George Sand, sa vie et ses œuvres/Texte entier

TABLE DES MATIÈRES

(ne fait pas partie de l’ouvrage original)

WLADIMIR KARÉNINE




GEORGE SAND
SA VIE ET SES ŒUVRES
*
1804-1833




Deuxième édition




PARIS
LIBRAIRIE PLON
PLON-NOURRIT et Cie, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
8, rue garancière — 6e

1899
Tous droits réservés


GEORGE SAND


SA VIE ET SES ŒUVRES




1804 — 1833
AURORE DUPIN enfant (Pastel)
AURORE DUPIN enfant (Pastel)



WLADIMIR KARÉNINE


GEORGE SAND
SA VIE ET SES ŒUVRES

*

1804-1833


Deuxième édition



PARIS

LIBRAIRIE PLON

PLON-NOURRIT et Cie, IMPRIMEURS-ÉDITEURS

8, RUE GARANCIÈRE — 6e



1899


Tous droits réservés


Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.


Le devoir de la critique ne saurait être de regretter que les hommes n’aient pas été autres qu’ils ne furent, mais d’expliquer ce qu’ils furent.
Ernest RENAN.


À


Monsieur Dmitri STASSOW


Permettez-moi, mon père, d’écrire votre nom sur la première page de mon premier grand travail. Il vous revient de droit. C’est vous qui m’avez appris à aimer George Sand. Ceux qui vous connaissent sauront en ouvrant ce livre, qu’il n’a pu être dicté que par l’amour de la vérité. Que ceux qui ne vous connaissent pas se disent que je trace ici avec toute ma piété filiale le nom de mon meilleur ami.

W. K.



INTRODUCTION


Nous adressons ici nos remerciements sincères à toutes les personnes qui ont bien voulu nous aider, soit de leurs conseils et de leur savoir, soit par la communication de documents et de correspondances inédites.

Nous tenons avant tout à exprimer notre reconnaissance sans bornes à notre excellent ami le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul, qui non seulement nous permit de puiser à pleines mains dans ses inestimables et si justement célèbres trésors littéraires et bibliographiques, mais encore nous guida de ses inappréciables conseils, empreints de cette érudition, quasi légendaire, qui le place au premier rang des chercheurs de notre siècle. De plus, il nous sacrifia des semaines entières de son précieux temps, et nous vint en aide avec une incomparable bienveillance. Si ce n’était la crainte de blesser sa modestie, nous aurions voulu ne point nous borner à ces quelques mots de remerciement, mais proclamer hautement tous les services qu’il nous a rendus au cours de notre travail.

De son côté, Mme Maurice Sand a bien voulu s’intéresser aussi à notre œuvre. Dès qu’elle lui fut connue, elle nous honora d’une confiance spontanée et illimitée, en nous donnant, par écrit et de vive voix, de nombreux renseignements, et en remettant entre nos mains des manuscrits et des documents précieux. Non seulement elle nous ouvrit les archives de Nohant, mais, pendant l’impression de ce livre, elle nous aida encore, avec une sollicitude toute maternelle. Tous ceux qui connaissent Mme Maurice Sand savent quelle bonne grâce et quelle simplicité, dignes de son grand cœur, cette noble et excellente femme apporte dans ses rapports avec ceux qui viennent à elle au nom de George Sand.

C’est à ce cher et illustre nom que nous devons aussi la chance d’avoir pu profiter des bons conseils et de l’aide gracieuse de M. Henri Amic. De plus, MM. Henry Harrisse, Albert Lacroix, Edmond Plauchut et Maurice Tourneux, à Paris, ainsi que M. Innocent Michaïlosvitch Boldakow, à Saint-Pétersbourg, ont bien voulu nous aider de leurs vastes connaissances, et de leurs conseils éclairés. Nous pûmes, grâce à l’extrême obligeance de M. S. Rocheblave, consulter les lettres inédites de George Sand à Dumas. Enfin, Mmes Oscar Cazamajou, Cosima Wagner et M. Ercole Moreni nous permirent, avec une grâce exquise, de publier dans ce livre un portrait inédit de George Sand, et des documents extrêmement précieux.

Combien de noms amis et connus viennent encore se presser sous notre plume ! Cette page ne suffirait pas pour les transcrire tous. Nous ne saurions donc mieux clore notre liste qu’en traçant ici les jolis noms de nos charmantes amies, Mmes Aurore Lauth et Gabrielle Sand, qui nous aidèrent de leurs souvenirs personnels, et furent nos guides à travers Nohant, le Nohant de George Sand ! Nous devons encore à l’amitié de la première de pouvoir orner notre ouvrage du portrait de sa grand’mère enfant, ainsi que de la reproduction, spécialement faite pour nous sur les originaux, de deux autres portraits d’elle.



GEORGE SAND
SA VIE ET SES ŒUVRES


CHAPITRE PREMIER

Coup d’œil général sur Paris par George Sand. — Traits saillants de la personnalité littéraire de la grande romancière. — Ses admirateurs et ses détracteurs. — Influence sur la société européenne. — Action toute spéciale sur les écrivains et la société russes. — Défauts et erreurs de toutes ses biographies. — Le but et la raison de notre livre — Les sources.


En l’an de grâce 1845, Jules Hetzel-Stahl publia un curieux recueil littéraire, intitulé le Diable à Paris[1]. Les artistes et les écrivains les plus connus de l’époque y figuraient tous. Illustré par Gavarni, Daubigny, Français, Bertall et d’autres, ce recueil renfermait un grand nombre de nouvelles ; contes, études et articles, signés des noms de George Sand, Balzac, Alfred de Musset, Théophile Gautier, Charles Nodier, Frédéric Soulié, Octave Feuillet, Léon Gozlan, Alphonse Karr, Méry, Gérard de Nerval, Arsène Houssaye, etc., etc. L’Histoire de Paris par Lavallée servait d’introduction. Mais que signifie ce titre bizarre ? Stahl, à qui nous devons la préface du livre et le texte reliant entre eux les divers récits, raconte, sous une forme humoristique, que Satan, s’ennuyant aux enfers, entreprit un voyage à travers son empire et visita ses domaines, à l’exception de la terre seule, qu’il n’eut pas le temps de parcourir ; mais à peine de retour chez lui, réfléchissant au moyen de parfaire son projet, il entendit tout à coup un vacarme affreux s’élever à la porte de l’enfer. C’était une nouvelle bande de pécheurs qui faisait son apparition. — « D’où venez-vous donc ? » — « Nous arrivons tous de Paris. » Enchanté de l’occasion d’avoir des nouvelles, sinon de la terre entière, du moins d’un de ses recoins, Satan se mit à questionner les pécheurs pour savoir ce que c’était que Paris, et il fut tout étonné de l’étrange contradiction de leurs réponses : tandis que les uns affirmaient que c’était un lieu de délices, les autres n’articulaient que plaintes et n’avaient qu’à déblatérer contre Paris.

Bref, de tous les renseignements qu’il obtint, Satan ne put tirer qu’une seule conclusion, c’était que Paris était une ville fort intéressante. Mais, comment faire pour en avoir des données plus précises ? Rien de plus simple. Satan se décida immédiatement à y envoyer son secrétaire et aide de camp, le diablotin Flammèche en lui enjoignant de se procurer, aussi vite que possible, les renseignements les plus exacts et les plus détaillés. Flammèche, déguisé en flâneur, descendit sur les boulevards de Paris, mais à peine y eut-il mis les pieds, qu’il tomba amoureux. Il est évident qu’il n’était plus en état d’écrire rien de sérieux ; il était réduit aux billets doux ! Le diablotin était au désespoir. Que faire pour contenter son chef ? Une idée lumineuse lui vint à l’esprit : faire travailler les hommes à sa place ! Sans perdre de temps, il engagea les peintres, les écrivains, les penseurs et les poètes à lui fournir, chacun selon ses moyens, quelque composition ou dessin pour son Tiroir du diable. Manuscrits et dessins affluèrent bientôt chez Flammèche. Il n’avait plus ainsi qu’à revoir, à relire et à expédier en enfer ce que les peintres et les écrivains lui apportaient de toutes parts. Tranquillisé et ravi de son invention, Flammèche écrit son très humble rapport à Satan et le lance dans l’espace en s’écriant : « Va au diable ! » Cet écrit est annexé au recueil sous forme de rapport manuscrit authentique, orné, comme vignette, d’une jolie guirlande de diablotins avec leurs attributs, en compagnie de pécheurs. Le rapport commence comme suit : « Sire ! nous avions tort de faire fi des hommes ; ces pygmées sont des géants, et, à côté de leurs femmes, ces géants ne sont eux-mêmes que des pygmées… »

Il serait difficile de dire aujourd’hui si Stahl pensait réellement que le seul article de son recueil qui fût signé d’un nom de femme était vraiment supérieur à ceux que lui avaient fournis les hommes de lettres, ou si ce n’était là qu’une galanterie de l’amoureux Flammèche, désireux de se montrer aimable envers les dames. Une chose que l’on peut affirmer à coup sûr, c’est que le Coup d’œil général sur Paris, cette sombre et passionnée diatribe de George Sand contre le bonheur d’une poignée de riches et de nobles, contre la pauvreté et la misère de la plèbe, contre l’exploitation des basses classes par quelques richards isolés, contre le capitalisme en général, contre la vie tout artificielle de ceux qui habitent les villes, contre l’hostilité des différentes classes entre elles et l’intolérance de toutes sortes, — cet ardent appel adressé à l’égalité, à la fraternité, à l’amour, cet espoir non moins ardent en un meilleur avenir, — ces quelques pages, enfin, qui valent ses plus beaux romans par la profondeur et l’intensité de leur sentiment, dépassent de toute une coudée tout le reste du livre. Elles sont bien supérieures au spirituel bavardage de Stahl ; au scepticisme brillant et froidement indulgent de la Philosophie de la vie conjugale, de Balzac[2] ; à la gracieuse Mimi Pinson, de Musset, et à tout le reste de l’ouvrage. Il se peut aussi qu’en plaçant le Coup d’œil général sur Paris en tête du recueil, Stahl l’ait fait pour obéir à la formule « place aux dames ». Toute courtoisie à part, la place d’honneur n’en revient pas moins à cet article en raison de sa valeur intrinsèque. Par le sérieux et le ton qui y règnent, il se distingue bellement du genre gai et spirituel des autres écrivains, que Stahl a même jugé nécessaire de le relier par une espèce de « passage aux affaires courantes », aux articles insoucieusement enjoués et inoffensifs, parfois même incisifs ou mordants, comme le sont les études de Balzac. En lisant cet article, on se rappelle involontairement le mot de Heine sur George Sand : Sie ist überhaupt eine der unwitzigsten Französinnen, die ich kenne = « Elle est en général une des Françaises les moins spirituelles que je connaisse[3]. » Cette « Unwitzigkeit », cette absence d’esprit, est ici tout à son honneur. George Sand ne songeait guère à faire de l’esprit. Les problèmes les plus graves du siècle et de l’humanité se présentaient à elle en ce moment, et c’est pour elle une gloire et un honneur de ne les avoir jamais perdus de vue. Elle ne pouvait répondre par un refus aux instances de Stahl qui lui demandait de collaborer à son ouvrage. « Tu m’as fait promettre, honnête Flammèche, de te dire mon mot sur Paris ; et comme un diable candide et bénin que tu es, tu as insisté au point de rendre tout refus impossible. Prends garde de te repentir de ta politesse, car, en vérité, tu ne pouvais t’adresser plus mal… » George Sand consentit donc, mais restant fidèle à elle-même, elle écrivit, avec le sang de son cœur, des pages profondément vécues. On y reconnaît la fille spirituelle de J.-J. Rousseau et la sœur de l’illustre auteur qui, de nos jours, prêche aux hommes la vie simple, tout animée de l’amour du prochain, la guerre à l’égoïsme, à l’intolérance, à toute oppression, sous quelque forme qu’ils se présentent.

En parlant des jouissances artistiques et matérielles, des avantages de la vie civilisée, des fêtes, du luxe, des œuvres d’art, ainsi que des hommes qui prétendent seuls être « le monde » elle s’écrie : « Oui, l’humanité a droit à ces richesses, à ces plaisirs, à ces satisfactions matérielles et intellectuelles. Mais c’est l’humanité, entendez-vous, c’est le monde des humains, c’est tout le monde qui doit jouir ainsi des fruits de son labeur et de son génie, et non pas seulement votre petit monde qui se compte par têtes et par maisons. Ce n’est pas votre monde de fainéants et d’inutiles, d’égoïstes et d’orgueilleux, d’importants et de timides, de patriciens et de banquiers, de parvenus et de pervertis : ce n’est pas même votre monde d’artistes vendus au succès, à la spéculation, au scepticisme et à une monstrueuse indifférence du bien et du mal. Car, tant qu’il y aura des pauvres à notre porte, des travailleurs sans jouissance et sans sécurité, des familles mourant de faim et de froid dans des bouges immondes, des maisons de prostitution, des bagnes, des hôpitaux auxquels vous léguez quelquefois une aumône, mais dans lesquels vous n’oseriez pas entrer, tant ils diffèrent de vos splendides demeures, de mendiants auxquels vous jetez une obole, mais dont vous craindriez d’effleurer le vêtement immonde, tant qu’il y aura ce contraste révoltant d’une épouvantable misère, résultat de votre luxe insensé, et des millions d’êtres, victimes de l’aveugle égoïsme d’une poignée de riches, vos fêtes feront horreur à Satan lui-même, et votre monde sera un enfer qui n’aura rien à envier à celui des fanatiques et des poètes !… »

Plus loin, après avoir indiqué plusieurs palliatifs, peu efficaces du reste, contre le mal, George Sand ajoute, en s’adressant de nouveau à Flammèche : « Mais, diras-tu, faut-il mettre le feu aux hôtels ou fermer la porte des palais ? Faut-il laisser croître la ronce et l’ortie sur les marbres, aux marges de ces fontaines ? Faut-il que la beauté revête le sac de la pénitence, que les artistes partent pour la Terre sainte, que les arts périssent pour renaître sous une inspiration nouvelle, que la société tombe en poussière, afin de se relever comme la Jérusalem céleste des prophètes ? Tout cela serait bien inutile à conseiller, lutin, et encore plus inutile à entreprendre sans lumière et sans doctrine. Un élan nouveau et subit de l’aumône catholique ne remédierait à rien, pas plus que certains essais de transaction pratiqués entre l’exploiteur et le producteur, conseillés aujourd’hui par les prétendues grandes intelligences du siècle. L’aumône, comme la transaction, ne sert qu’à consacrer l’abandon du principe sacré et imprescriptible de l’égalité. Ce sont des inventions étroites et grossières, au moyen desquelles on apaise hypocritement sa propre conscience, tout en perpétuant la mendicité, c’est-à-dire l’abjection et l’immoralité de l’homme, tout en prolongeant l’inégalité, c’est-à-dire l’exploitation de l’homme par l’homme. La doctrine est faussée par ces tentatives, il faut une autre science basée sur la doctrine… » Et après une description incisive de l’ennui, du vide, du luxe insensé et de la dépravation des mœurs de toute réunion mondaine, George Sand dit, comme l’auteur de la Danse macabre au moyen âge : « Et il me semblait voir mêlés ensemble, dans une sorte de cave située sous les pieds des danseurs, les cadavres des riches qui se brûlent la cervelle après s’être ruinés[4], et ceux des prolétaires qui sont morts de faim à la peine en amusant ces riches en démence… » Par leur profonde amertume et leur sombre poésie, ces paroles semblent être vraiment sorties de la bouche d’un prophète. Tout aussi sombre est la fin de cette ardente improvisation : « Et je rentrai dans ma chambre silencieuse et sombre, et je me demandai pourquoi, comme tant d’autres artistes insensés qui croient s’assurer une méditation paisible, un travail facile et agréable, et donner une couleur poétique à leurs rêves en faisant quelques frais d’imagination et de goût pour enjoliver modestement leur demeure, j’avais eu moi-même quelque souci de me cloîtrer contre le bruit et de placer sous mes yeux quelques objets d’art, types de beauté ou gages d’affection. Et je me répondis que je ne valais donc pas mieux que tant d’autres, qu’il était bien plus facile de dire le mal que de faire le bien. Et j’eus une telle horreur de moi-même, en pensant que d’autres avaient à peine un sac de paille pour se réchauffer entre quatre murs nus et glacés, que j’eus envie de sortir de chez moi pour n’y jamais rentrer. Et s’il y avait eu, comme au temps du Christ, des pauvres préparés à la doctrine du Christ, j’aurais été converser et prier avec eux sur le pavé du bon Dieu. Mais il n’y a même plus de pauvres dans la rue : vous leur avez défendu de mendier dehors, et l’homme sans ressource mendie la nuit, le couteau à la main. Et d’ailleurs, mon désespoir n’eût été qu’un acte de démence : je n’avais ni assez d’or pour diminuer la souffrance physique, ni assez de lumière pour répandre la doctrine du salut. Car, si l’on ne fait marcher ensemble le salut de l’âme et celui du corps, on tombera dans les plus monstrueuses erreurs. Je le sentais bien et je demeurai triste, élevant vers le ciel une protestation inutile, j’en conviens, Satan ; mais tu serais venu en vain m’enlever, pour me montrer d’en haut les royaumes de la terre et pour me dire : « Tout cela est à toi, si tu veux m’adorer », je t’aurais répondu : « Ton règne va finir, tentateur, et tes royaumes de la terre sont si laids, qu’il n’y a déjà plus de vertu à les mépriser. »

Ce minuscule article, écrit en 1844, au plus fort de l’activité de George Sand, lorsque son talent et sa gloire étaient à leur apogée, caractérise d’une manière remarquable la célèbre femme écrivain. Ce qui distingue par-dessus tout George Sand pendant les quarante-cinq années de sa carrière littéraire, tant dans ses romans et nouvelles que dans ses articles et études, c’est son attachement passionné à toutes les grandes idées de l’humanité, sa prédication convaincue pour atteindre à cet idéal et la personnalité intense qui règne dans tous ses écrits. George Sand ne fut jamais la représentante de l’impassibilité olympienne et de ce qui s’appelle « l’art pour l’art ». Ardente, passionnée, souvent immodérée, sachant aimer et haïr passionnément, n’ayant appris que dans les dernières années de sa vie à combiner l’amour du bien et la


fac-simile d’un page du journal de piffoël
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haine pour tout ce qui est égoïste ou faux, dans un amour qui embrasse l’humanité entière ; toujours assoiffée de lumière, de science, de vérité et de liberté — liberté intellectuelle, individuelle ou sociale, liberté pour elle-même, pour tous les déshérités de ce monde, pour tous les opprimés ; — tantôt profondément religieuse, tantôt torturée par le doute le plus cuisant, George Sand, de la première ligne à la dernière, est tout cela dans ses œuvres. C’est, selon nous, dans ces traits de son caractère humain et de son tempérament artistique qu’il faut chercher la clef de tout, si l’on veut comprendre sa vie personnelle et son œuvre littéraire que l’on ne peut séparer l’une de l’autre. Il nous arrivera plus d’une fois dans les pages suivantes, de faire remarquer que les biographes et critiques de George Sand, omettant, à dessein ou non, certaines particularités de son caractère et de sa vie, brisent ainsi le lien intime qui existe entre ses idées et ses actions, lien sans lequel beaucoup d’événements de son histoire personnelle et littéraire paraissent comme flotter dans l’air et semblent vagues et tout à fait inexplicables. Cette manière de présenter les faits rappelle certains manuels historiques : « Il y avait une fois un bon roi ; un roi méchant lui succéda, et, soudain, les mœurs se relâchèrent sous son règne. » Si l’on voulait les croire, il semblerait que tout se fait brusquement, tout à coup, comme venant d’un deus ex machina, sans cause ni raison aucune dans le passé, sans nul lien avec ce qui doit suivre. Nous aurons plus d’une fois l’occasion de signaler des omissions sans nombre, des lacunes de ce genre dans les biographies que l’on a données de George Sand. Nous nous contentons de répéter ici que chez George Sand, plus que chez tout autre écrivain, l’activité littéraire et la vie personnelle sont si étroitement liées l’une à l’autre et tellement soumises à l’influence de ses idées (ou plutôt au développement d’une seule idée) qu’il est impossible d’omettre un fait de sa vie sans perdre aussitôt le fil du développement progressif de ses idées qui, seul, peut nous faire comprendre son œuvre.

Théoriquement et par conviction, George Sand est l’ennemie du principe de « l’art pour l’art » ; de fait, elle est l’ennemie de l’impersonnalité et du calme. C’était une nature toute poétique, une âme de feu. De là ses brillantes qualités et ses grands défauts, de là ses traits particuliers d’écrivain, qui, pendant sa vie, ont empêché ses contemporains et empêchent aujourd’hui encore les critiques et les lecteurs, de la juger impartialement. Critiques et lecteurs se partagent nettement en deux camps : celui de ses admirateurs et celui de ses détracteurs. (Les indifférents n’existent pas ; s’il y en a, ce sont des gens qui ne l’ont pas lue et qui ne la connaissent que par ouï dire.) Déjà, Julien Schmidt[5] a judicieusement fait remarquer que George Sand, qui eut des admirateurs passionnés et d’amers critiques (bittere Tadler), a rarement rencontré une appréciation exempte de partialité. Ses admirateurs l’acceptent telle qu’elle est, avec tous ses défauts qu’ils regardent même souvent comme de grandes qualités, tandis que ceux qui n’approuvent pas sa manière d’écrire (ihre Art und Weise) ne veulent voir rien de bon en elle.

Caro, qui a écrit ses études sur George Sand trente ans après Julien Schmidt, dit que la passion avec laquelle on jugeait autrefois l’illustre écrivain, s’est éteinte, que le calme s’est fait, que l’on a même complètement oublié la furieuse indignation, la rage et la haine, aussi bien que les enthousiasmes non moins excessifs, les chœurs de louanges et de joie qui accueillaient auparavant presque chacun de ses nouveaux romans.

« On ne lit plus George Sand, nous dit-on » (c’est ainsi qu’il commence son étude)[6]. Mais bientôt après, il affirme que la critique se faisant maintenant plus calme et plus juste, le moment est venu de donner une nouvelle appréciation de ses œuvres, et il est persuadé qu’on se remettra à lire notre grande romancière ; cette persuasion se retrouve dans presque toutes les pages de son livre. Le fait seul que George Sand a su soulever des sentiments et des passions tellement opposés, susciter tant d’hostilité et d’amour, tant d’émotions contradictoires, un tel courant de sympathies et d’antipathies, ce fait seul, dit Caro, prouve que George Sand était un bien grand écrivain. En effet, ce sort-là n’échoit en partage qu’aux grands talents, aux vrais élus du génie.

L’influence de George Sand sur la société européenne, sans en excepter la société russe, fut immense de 1835 à 1855. On disait : « le siècle de George Sand » comme on disait : « le siècle de Byron[7]». Et sa personnalité, comme ses œuvres, comme l’influence qu’elle exerçait, étaient appréciées de deux façons diamétralement opposées. Heine, enclin à voir à la fois en George Sand le démon tentateur et l’ange gardien de la jeunesse d’alors, se tient sur la limite de ces deux opinions. Selon lui, les écrits de George Sand « incendièrent le monde entier, illuminant bien des prisons, où ne pénétrait nulle consolation ; mais, en même temps, leurs feux pernicieux dévorèrent les temples paisibles de l’innocence[8] ». Les deux moitiés de cette phrase s’appliquent aux deux camps dont nous venons de parler. Pour les uns, Georges Sand est précisément « la lumière des prisons », un grand poète, l’éducatrice de l’humanité moderne dans le sens le plus élevé de ce mot, le prophète inspiré d’un avenir meilleur, un génie, une sainte. Pour les autres, elle n’est qu’un objet d’horreur et de répulsion. Comme femme, c’est la mère de tous les vices ; comme écrivain, c’est la prédicatrice d’idées monstrueuses, de la corruption ou peu sans faut ; celle qui porte le trouble dans les cœurs purs, « l’incendiaire des sanctuaires de l’innocence, » une impie éhontée, une femme à idées subversives, une révolutionnaire. George Sand compte encore une autre catégorie d’ennemis ; ce sont, pour la plupart, ou les représentants de l’extrême réalisme, ou, au contraire, les adeptes de « l’art pour l’art ». Ceux-là laissent de côté sa vie personnelle et son influence sur les lecteurs ; mais, en revanche ses œuvres ne sont à leurs yeux qu’ennui mortel, qu’emphase, ou rhétorique sentimentale, ce que les Allemands appellent ein überwundener Standpankt, en un mot — du vieux jeu. Chateaubriand et Zola, Walsh[9] et Mazade, Capo de Feuillide et Nettement[10], des pléiades entières de critiques anglais, français, allemands et russes, Julien Schmidt à leur tête, et surtout les biographes de Musset, de Chopin et de Liszt, parlent exclusivement de « l’incendie des temples de l’innocence » ; ils accusent George Sand d’exercer sur la jeunesse, sur les femmes surtout, l’influence la plus pernicieuse, lui imputant tous les crimes privés et littéraires qui ont perverti, selon eux, des générations entières ; ils rejettent sur l’illustre écrivain la responsabilité de presque tous les cas où les femmes ont abandonné leurs maris, tous les divorces, tous les scandales et toutes les révoltes de son époque, qu’il s’agisse de la vie privée ou de la vie sociale, jusqu’aux événements de 1848 y compris. Ils accablent à l’envi George Sand, de malédictions et de reproches. Aussi, quoi qu’en dise Caro, il faut reconnaître que l’écho s’en est prolongé jusqu’aujourd’hui. En l’été de 1896, le Gaulois publiait encore un entretien du publiciste catholique Simon Boubée avec un certain « éminent religieux, dignitaire d’un ordre enseignant » (l’Indépendance Belge prétend que c’est le père Didon). Ce personnage, obligé par sa position de lire toutes les œuvres, celles de Zola comme les autres, et formulant, cela va sans dire, son opinion sur ces dernières dans les termes les plus violents, finit cependant par ajouter que « M. Zola n’est pas si immoral que George Sand ». — Des expressions dont ce publiciste s’est servi en parlant de Zola, il est permis de déduire la raison qui l’a porté à juger si sévèrement George Sand : c’est qu’ « elle embellit le vice ».

L’opinion du père Didon a été appuyée dernièrement encore dans une encyclique du pape défendant la lecture de certains ouvrages à tout bon catholique : l’une des premières séries citées, ce sont les œuvres de la « baronne Dudevant » dont le nom résonne si étrangement dans la langue de saint Augustin et de Thomas A-Kempis. Cela prouve donc que l’accusation d’immoralité subsiste encore aujourd’hui. Tandis que la majeure partie du public actuel se figure au seul nom de George Sand quelque chose de purement idéaliste et de sentimental, d’autres restent attachés à l’opinion accréditée qu’elle est « la prédicatrice de la débauche ». Et, ce qui étonne plus encore, c’est que, même chez les biographes contemporains les plus bienveillants de George Sand, comme MM. Caro et d’Haussonville[11], on remarque une sorte de retenue craintive, dès qu’ils ont à parler de l’influence qu’elle a exercée sur les femmes et sur la jeunesse.

En Russie, nous retrouvons les deux mêmes camps ennemis. Dans le camp hostile à George Sand on rencontre les mêmes craintes, les mêmes accusations. Senkovsky et Boulgarine se sont évertués à la noircir à qui mieux mieux, répandant sur elle toutes sortes de calomnies, cherchant à intimider les lecteurs pour les empêcher de la lire, de se prêter à écouter les doctrines de cet écrivain « immoral et impie ». Senkovsky et Boulgarine prévenaient le public contre elle, avant même que ses œuvres eussent paru en russe. « On cherchait surtout à effaroucher les dames russes en leur racontant qu’elle portait culotte, » dit Dostoïevsky dans son merveilleux article consacré à George Sand[12], on leur donnait sa dépravation comme un épouvantail, on cherchait à la rendre ridicule. Senkovsky, qui avait cependant l’intention de traduire George Sand dans sa Bibliothèque de lecture, forgeait sur son nom des jeux de mots pitoyables en croyant y mettre beaucoup d’esprit. Plus tard, en 1848, Boulgarine disait d’elle, dans l’Abeille du Nord, qu’elle se grisait tous les jours avec Pierre Leroux dans un cabaret de barrière et prenait part aux soirées athéniennes qui se donnaient au Ministère de l’Intérieur chez ce « brigand de Ledru-Rollin[13] ».

Les ennemis et détracteurs de George Sand n’ont fait, en résumé, que prouver, par leurs craintes et leurs anathèmes, qu’elle fut une grande puissance, puisqu’elle fut, selon eux, tellement redoutable, et son influence si pernicieuse, si effroyable, si destructrice.

Nous reviendrons encore à plusieurs reprises sur ces critiques, malveillants ou bienveillants, amis ou ennemis. Nous noterons, dans le cours de notre ouvrage, leurs opinions extrêmes, les enthousiasmes et les indignations qui accueillaient toute œuvre nouvelle de George Sand. Nous raconterons les attaques virulentes de ses ennemis, les joutes des journaux qui se terminaient parfois par de vrais duels. Cependant, nous n’avons encore rien dit sur la conduite de ses amis et de ses admirateurs ; c’est ce que nous allons faire.

Des dizaines de voix appartenant, soit à des hommes de lettres ou au simple public, nous signalent de leur côté l’influence étonnante, non plus cette fois dépravante, mais salutaire, vivifiante, éducatrice, que George Sand a exercée sur la société de son temps et sur eux-mêmes. Son nom, selon eux, est inséparable des plus belles aspirations de cette époque, et c’est sur un ton dithyrambique, enthousiaste, qu’ils parlent de son influence éducatrice sur deux ou trois générations. La faveur dont jouissait le nom de George Sand vers le milieu du siècle et la vénération que lui portaient ses adorateurs reconnaissants, à quelque nation qu’ils appartinssent, sont parfaitement dépeintes dans l’épisode suivant, que M. Edmond Plauchut nous a obligeamment raconté, et qu’il reproduit avec plus de détails et d’une façon fort pittoresque dans son livre intéressant : Le tour du monde en 120 jours, notamment dans le chapitre intitulé : Un naufrage aux îles du Cap Vert.

M. Edmond Plauchut, l’un des amis les plus intimes de George Sand pendant les quinze dernières années de sa vie, à l’époque dont nous parlons ne connaissait le grand écrivain que par correspondance. Lorsque éclata la révolution de 1848, il n’avait que vingt-cinq ans : il se retira dans son pays, un des départements de la France centrale, et y fonda un journal. Il surgissait ainsi en France, à cette époque, de nombreuses feuilles locales. George Sand publia alors une étude critique servant de préface à l’ouvrage de V. Borie Travailleurs et propriétaires[14]. M. Plauchut avait critiqué ce livre ; G. Sand lui écrivit une lettre pour défendre le jeune auteur ; M. Plauchut répondit à l’illustre femme. Une correspondance s’engagea dès lors entre eux, et le jeune homme échangea ainsi plusieurs lettres (une dizaine environ) avec la célèbre romancière, qui s’imaginait que son correspondant était un vénérable rédacteur de journal, et non un jeune homme d’une vingtaine d’années. Sur ces entrefaites, éclata la contre-révolution. M. Plauchut, comme bien d’autres, fut obligé de fuir. Il prit la résolution de faire le tour du monde et s’embarqua en Belgique, à bord du Rubens. Le bâtiment fit naufrage non loin des côtes de Bôa-Vista, l’une des îles du Cap Vert. Le capitaine, seize matelots et M. Plauchut, l’unique passager du Rubens, furent sauvés, mais ils se trouvaient tous dans une position critique. M. Plauchut n’avait sur lui que sa chemise ; mais, par miracle, dans l’affolement du naufrage, il avait eu le temps de saisir un gros volume, espèce d’album[15], contenant les lettres de quelques amis et de plusieurs célébrités, entre autres, celles de George Sand.

À peine vêtus, affamés, blessés, meurtris par les galets du rivage, les naufragés s’expliquèrent par signes, tant bien que mal, avec deux ou trois indigènes accourus à leur secours. Ces indigènes, on le sut plus tard, se réjouissaient à la vue de tout navire brisé à proximité de leur île, parce que leurs seules richesses étaient les épaves que la mer rejetait sur les côtes. Ces nègres et ces métis déclarèrent aux naufragés que la petite ville de Bôa-Vista était située à l’autre extrémité de l’île. Les voyageurs exténués, durent, pour s’y rendre, traverser toute la petite île déserte, couverte de marais salants. À Bôa-Vista, rien de bon ne les attendait. La petite ville venait d’être dévastée elle-même par un cyclone : les habitants avaient l’air de cadavres vivants à la suite de fièvres perpétuelles qui sévissaient dans l’île et décimaient la population. Ce qui causa le plus de peur aux naufragés, ce fut d’apprendre que les navires, par crainte des récifs de Bôa-Vista, n’apparaissaient presque jamais dans ces parages. Les malheureux, avec la crainte incessante de contracter la terrible fièvre, passèrent quelques jours soutenus par le vain espoir d’apercevoir un filet de fumée ou une voile à l’horizon. Désespéré, le capitaine du Rubens prit le parti de s’embarquer sur une chaloupe prêtée par l’un des habitants les plus aisés et de gagner l’île de Porto-Praya. Il espérait sinon trouver du secours, au moins informer le consul français de la triste situation des malheureux naufragés et obtenir, grâce à lui, le moyen de retourner en Europe. Cependant, son manque de confiance ou pour toute autre raison, les matelots ne voulurent pas laisser partir leur capitaine. Celui-ci pria alors M. Plauchut de se montrer bon camarade et de se rendre lui-même à Porto-Praya. Malgré les dangers et les difficultés de toute sorte, accompagné de plusieurs hommes minés par la fièvre et presque mourants, mais résolus à rassembler leurs dernières forces pour fuir l’île contagieuse, M. Plauchut put aborder à Porto-Praya et se présenta au soi-disant consul français, M. Oliveira. Oliveira n’était nullement consul de France. Il reçut grossièrement M. Plauchut, lui refusa tout secours et ne consentit pas même à l’héberger sous son toit. À la fin de leur conversation, il promit cependant de parler le lendemain à un des principaux propriétaires de la localité, revenu depuis peu d’Europe et de le consulter sur ce qu’il y aurait à faire. L’auberge où Oliveira envoya M. Plauchut était tellement sale, que celui-ci, quoique se trouvant dans une position désespérée, n’eut pas le courage d’y passer la nuit et préféra se coucher sous le portique de l’église ! En se rendant le matin chez Oliveira, il trouva, par bonheur, au lieu de celui-ci, un jeune Portugais, M. Francisco Cardozzo de Mello, revenu récemment d’Europe ; c’était un homme très instruit, parlant parfaitement le français. Après avoir écouté avec beaucoup de bonté et d’intérêt le récit de M. Plauchut, De Mello ne put cependant exprimer qu’un doute sur la possibilité de secourir le capitaine et les matelots restés à Bôa-Vista, et finit par demander à Plauchut s’il n’avait sauvé, en réalité, du naufrage aucun objet de valeur ; si, en vérité, il ne lui restait absolument rien de ses bagages. — Rien, sauf un album contenant quelques lettres de Cavaignac, d’Eugène Sue et de George Sand… « Comment ? Vous avez des lettres de George Sand ?… » — Ces deux mots magiques changèrent tout à coup le sort de M. Plauchut. Sans même attendre l’arrivée d’Oliveira, De Mello l’emmena chez lui, lui donna des vêtements, l’installa dans sa maison, qu’il mit toute à sa disposition, le présenta à sa mère et à ses tantes, le traita comme un vieil ami et finit par l’aider, lui et les autres naufragés, à gagner Lisbonne d’abord, et leur patrie ensuite.

Il se trouva que le père de De Mello, un vieux républicain portugais, mort un peu auparavant en exil à Porto-Praya, avait eu un vrai culte pour George Sand, avait inculqué à son fils un respect, un amour sans bornes pour le grand écrivain, et lui ai ait légué ses œuvres comme le plus beau joyau de se bibliothèque. En témoignant tant d’intérêt à un homme qui n’avait été que simplement en correspondance avec George Sand, De Mello ne faisait, disait-il, qu’honorer la mémoire de son père[16]. Telle était, à cette époque, la puissance du nom de George Sand.

Sans vouloir anticiper sur les événements, nous nous contenterons de rappeler ici, qu’à partir de 1836, à peu près, les admirateurs du talent de George Sand affluaient chez elle de tous les coins de l’Europe, d’Angleterre, d’Allemagne, de France et même de la lointaine Russie, pour lui demander conseil ou secours, ou bien pour lui exprimer simplement la respectueuse gratitude qui leur faisait entreprendre le pèlerinage de Paris ou de Nohant, comme, au siècle dernier, on s’empressait de courir à Ferney ou à Genève, et comme, de nos jours, on afflue à Yasnaïa-Poliana. George Sand était assiégée de demandes, bombardée de missives. En 1836, toute la « famille Saint-Simonienne de Paris » lui envoya une collection entière de cadeaux, (dont nous possédons la liste et dont nous parlerons ailleurs). Napoléon III, comme les simples mortels, se faisait un plaisir de lui adresser chacun de ses nouveaux ouvrages ; pendant sa réclusion à Ham, il lui avait envoyé sa brochure sur l’Extinction du paupérisme ; devenu empereur, il lui offrit son livre sur Jules César, en lui exprimant le désir d’avoir son avis sur son œuvre. Il faut que le nom de George Sand ait été bien « en vogue », pour qu’en 1859 le parfumeur Rafin en ait baptisé une eau de toilette, nouvellement inventée par lui, et ce nom a dû être bien « grand », pour que, plus tard encore, en 1870, on l’ait donné à l’un des deux ballons lâchés de Paris pour mettre la capitale assiégée en communication avec le gouvernement provisoire, installé alors à Bordeaux. (L’autre ballon porta le nom de son ami de 1848 — « Armand Barbès »). On peut assurer, sans crainte de se tromper, qu’il y eut vers le milieu du siècle peu de noms aussi aimés et aussi populaires que celui de George Sand. Sans vouloir anticiper sur les événements, comme nous venons de le dire, nous devons cependant noter encore, que les Russes doivent accorder une attention particulière à l’influence que George Sand a exercée chez eux pendant les années 1835-1855, parce que cette influence a été singulièrement puissante, hors ligne, tant par son étendue que par ses résultats.

Rien ne prouve l’influence et la domination de certaines idées et de certains goûts, à une époque donnée, comme la vogue dont ils jouissent tout à coup, vogue presque obligatoire, même pour les personnes qui ne se soucient d’aucune idée, mais s’affublent de celle du moment, tantôt du manteau romantique « à la Childe Harold » et tantôt du frac rouge. C’est ce que George Sand elle-même a fort bien signalé dans un des chapitres de Mlle La Quintinie. Elle y prétend, qu’en 1830 tout le monde prenait un air désenchanté, posait pour le Weltschmerz, de même, qu’en 1860, la jeunesse en France affectait une indifférence générale, un dilettantisme ironique. George Sand, comme tout vrai génie, comme Tolstoï à notre époque, n’a pu éviter d’être victime de ces adeptes de la mode, parfois ridicules, parfois hideux même. Cela nous explique comment son nom fut mêlé, pendant un certain temps, à toute sorte de folies ou même d’actions peu honorables, accomplies ou répandues en racontars par de soi-disant « George-Sandistes » des deux sexes, comme de nos jours nous avons les oreilles rabattues de toute espèce de sorties absurdes on ineptes de la part des « Tolstoïsants », prétendus ou sincères. En 1840, tout homme « avancé » en Russie ne pouvait faire autrement que de se montrer passionné pour les idées de George Sand. On en trouve des indices jusque dans certains écrits satiriques de l’époque. Qui ne se souvient en Russie d’une pièce de vers de Plestcheïew, d’un humour fin et d’une âpre ironie, intitulée : Une de mes connaissances. Voici le portrait que le poète trace de ce monsieur, que tout le monde a rencontré un peu partout, portrait fait au moment où ce personnage ne s’était pas encore transformé en conservateur enragé, de quasi libre-penseur qu’il était autrefois :

     «… Et c’était un enragé libéral,
     Et toutes les faiblesses des hommes
     Il les châtiait énergiquement,
     Bien qu’il n’eût pas écrit un seul article…
     Et pour George Sand et pour Leroux
     Il nourrissait une grande passion :
     Il faisait de la morale aux maris,
     S’efforçait d’instruire les femmes… » etc. etc.

Mais si les messieurs de ce genre-là affectaient, « par mode », cette passion, la meilleure partie de notre société, la classe intellectuelle dans le sens le plus élevé du mot, la pléïade de nos grands écrivains de l’époque en tête, était réellement pénétrée par les œuvres de George Sand et les vivait. Ses ouvrages les aidaient à s’éclairer sur les questions les plus sérieuses de notre siècle, découvrant aux uns des voies nouvelles, soutenant les autres dans des voies déjà choisies, permettant à d’autres encore de se pendre compte de leur vocation ; bref, elle fut presque pour tous l’étoile du matin, guidant ses contemporains, à travers les ténèbres oppressives de l’époque[17] — vers la lumière et le soleil, à travers l’esclavage — vers la liberté, à travers les mesquines préoccupations personnelles, — vers les vastes intérêts sociaux. Aussi, faut-il voir la reconnaissance enthousiaste avec laquelle chacun des lecteurs de cette époque, nous dit, à l’occasion, ce que fut pour lui George Sand. Et il n’est pas un seul écrivain d’alors qui ne lui ait consacré, soit dans ses mémoires, suit dans ses œuvres, quelques pages, ou du moins quelques lignes, pénétrées d’affection et de profonde gratitude pour cette grande âme.

Que l’on parle de George Sand à nos pères et à nos oncles, à nos mères, à nos grand’mères ou à nos tantes, à tous ceux qui étaient jeunes dans ces années-là, à ceux qui, ayant terminé ou terminant leurs études, entraient alors dans la vie, ils vous diront tous une seule et même chose. « Nous raffolions de George Sand », nous contait, peu de temps avant sa mort, une vieille dame honorable, très connue à Pétersbourg, tant par son zèle dans la question de l’instruction supérieure des femmes que par sa grande bienfaisance. « Je me souviens, disait-elle, que ma sœur et moi, nous passions des nuits entières à nous lire ses romans l’une à l’autre, à haute voix et à tour de rôle ; nous parlions d’elle et nous la discutions jusqu’au point du jour ; dès que l’une de nous était fatiguée, l’autre continuait la lecture, afin de ne pas interrompre le roman ou l’article commencé ; ses œuvres étaient pour nous un enseignement ». — « Je ne dois à personne autant que je dois à Bélinsky et à George Sand, » nous disait un jour un homme qui avait consacré ses meilleures forces à servir les réformes d’Alexandre II ; « moralement, j’ai grandi sous l’égide de ces deux auteurs ; ce sont eux qui ont été mes vrais maîtres. » Le biographe russe de George Sand que nous avons déjà cité plus haut[18], et qui appartenait à la génération des « enfants », tandis que les « pères » de ces années-là appartenaient justement aux années quarante, a dit qu’eux, les enfants, « ont grandi sous l’influence d’hommes élevés en partie par George Sand. » Et c’est pour nous un devoir de répéter la même chose, quoique la génération à laquelle nous appartenons, soit déjà celle des petits enfants.

On ne sera donc pas étonné de nous voir, en qualité de petit-fils spirituel du grand écrivain, tenter sur George Sand un ouvrage biographique et critique. Mais cette raison seule ne suffirait pas pour nous donner le droit d’oser entreprendre un travail aussi immense après tant d’auteurs brillants et célèbres, après tant d’ouvrages signés de noms consacrés et connus ! Il y a beaucoup trop d’autres raisons convaincantes pour que nous ne regardions pas comme notre devoir d’écrivain russe, de consacrer nos forces à écrire sur George Sand un ouvrage qui contienne sa biographie complète — il n’en existe pas encore — et à donner une appréciation aussi détaillée que possible de son talent d’artiste et de penseur.

La première de ces raisons est l’influence qu’exerça l’illustre romancière sur les grands écrivains russes, ses contemporains, influence que nous avons déjà mentionnée plus haut, avec les effets qu’elle a produits. On prétend que la lecture des œuvres de George Sand a joué un rôle important parmi les influences qui ont fait, plus tard, rougir Bélinsky[19] d’avoir écrit ses articles rétrogrades. L’influence de George Sand a mitigé, chez cet écrivain, ce qu’il y avait d’excessif dans les théories de Hegel comprises d’une façon trop exclusive, et ont adouci les déductions tirées de l’aphorisme du philosophe allemand, aphorisme incomplètement interprété : « Ce qui est réel est sensé ! » Si nous rencontrons souvent, il est vrai, dans les articles de Bélinsky de la première et de la seconde période, des opinions hostiles aux romans de George Sand, (tout comme on y rencontre des critiques malveillantes à l’adresse de Balzac), Bélinsky, à la fin de sa carrière, parle tout autrement de la célèbre femme de lettres, et il est à supposer qu’il avait fini par se convaincre à quel point était étroite son ancienne idée de « l’art pour l’art ». Dans son article intitulé : Discours sur la critique de A. B. Nikitenko, 1842, il disait déjà : « George Sand est, sans contredit, la première gloire poétique du monde contemporain. Quels que soient ses principes, on peut ne pas les accepter, ne pas les partager, les trouver faux, mais impossible de ne pas l’estimer, car c’est un être pour lequel toute conviction devient croyance de l’âme et du cœur. C’est pour cela que ses œuvres pénètrent si profondément en nous et ne s’effacent jamais de la mémoire. C’est pour cela que son talent ne perd jamais rien de sa vigueur et de son activité, qui ne cessent de se fortifier ni de grandir. Ces sortes de talent sont encore remarquables par leur caractère, leur nature énergique ; leur vie est aussi irréprochable que leurs œuvres, frémissantes de sympathie et d’amour pour l’humanité, sont profondes et lumineuses ». Ceux qui savent que Bélinsky lui-même a été, avant tout un homme pour qui « toute conviction devenait croyance de son cœur et de son âme », un homme qui, toute sa vie, « a frémi de sympathie et d’amour pour l’humanité », ceux-là comprendront facilement qu’aussitôt que Bélinsky se fut dégagé de la philosophie quiétiste qui ne lui allait nullement, et qui n’avait fait qu’effleurer sa vraie nature, il dut vibrer de concert avec le grand écrivain, dont les traits distinctifs se mariaient bien avec les siens propres, et partager ses idées.

George Sand joua également un rôle important dans l’histoire du développement moral de Saltykow-Stchédrine ; nous en trouvons le témoignage dans les œuvres du satiriste lui-même et de son biographe K. Arséniew. Dans le chapitre IV de Au delà de la frontière[20] Saltykow raconte ce qui suit : « Je venais de quitter les bancs de l’école, et, imbu des articles de Bélinsky, je me ralliai naturellement à mes compatriotes, admirateurs de l’occident. Je ne me soumis cependant pas aux doctrines de la majorité qui seule faisait alors autorité dans la littérature, et qui s’occupait à vulgariser les principes de la philosophie allemande ; je me rattachai à ce cercle peu connu qui s’était instinctivement rallié à la France, non pas à la France de Louis-Philippe et de Guizot, chose facile à comprendre, mais à la France de Saint-Simon, de Cabet, de Fourier, de Louis Blanc et surtout de George Sand. Ce sont eux qui nous inspiraient la foi en l’humanité, c’est d’eux que nous vint le rayon de lumière qui nous faisait comprendre que le « siècle d’or » n’était pas dans le passé, mais bien dans l’avenir. En un mot tout ce qui est bon et désirable, toute la pitié, tout nous venait de là ».

K. Arséniew aussi, dans les Matériaux pour la biographie de Saltykow-Stchédrine, annexés à l’édition, fait observer que, si l’on sent dans les Contradictions l’influence des premiers romans de George Sand — Indiana, Valentine, Jacques, — la nouvelle postérieure de Saltykow, Une affaire embrouillée, publiée dans le fascicule de mars des Annales de la Patrie, en 1848 et signée M. S., fut inspirée, en partie, par la seconde phase socialiste de la carrière de l’illustre romancière et, en partie, par la lecture de certains auteurs qui l’avaient charmée elle-même ; enfin, par le Manteau de Gogol et par Les pauvres gens de Dostoïewsky.

Il est hors de doute que les romans villageois de Grigorowitch, ainsi que les Mémoires d’un chasseur, de Tourguéniew, qui ont joué un rôle si important dans notre histoire et ont été l’un des leviers les plus puissants qui ont amené l’émancipation des serfs, ont dû leur origine à l’influence exercée par George Sand. La presse russe a mainte fois mentionné le fait[21]. Dmitry Grigorowitch en parle lui-même dans ses Mémoires, et nous avons aussi entendu cela de sa propre bouche. Mais un détail qui, selon nous, n’a jamais été signalé jusqu’ici, c’est que si la première œuvre de Tourguéniew, le poème dramatique Sténio, ne rappelle Lélia que par son titre, il faut reconnaître que le caractère du héros de Roudine est entièrement inspiré par l’Horace de George Sand. En laissant de côté toutes les particularités de nationalité et de caste qui marquent de leur empreinte Dmitry Roudine et Horace, nous nous trouvons en face d’un seul et même personnage : un seul et même type de noble phraseur entraînant les autres, et entraîné lui-même par sa chaleur factice et ses discours enflammés, mais incapable de toute action réelle, de tout sentiment absolu, un enthousiaste à froid, en réalité inférieur à des hommes moins brillants que lui, mais sachant vivre d’une vie pleine, cœurs simples, aimant sans arrière-pensée leur prochain et les idées auxquelles ils se sont complètement dévoués, en un mot, des hommes dont la volonté, l’esprit et le sentiment ne se contredisent pas les uns les autres. Et si Dmitry Roudine, à force de pérorer, en arrive à prendre part aux barricades et y meurt en 1848, tandis qu’Horace évite sagement toute participation à l’affaire de Saint-Merry en 1832 ; si Roudine est en général beaucoup plus sympathique, plus désintéressé et plus à plaindre que son prototype, il faut en chercher la cause précisément dans les traits de caractère inhérents à la nationalité et à la caste que nous avons déjà eu l’occasion de mentionner et qui se trouvent dépeints avec justesse et vigueur par George Sand et Tourguéniew. Roudine appartient à la noblesse russe, c’est un dilettante de la pensée, un homme indépendant, libre, grâce à sa position et à sa fortune ; c’est en même temps une nature éminemment russe, slave, un peu incohérente et large. Horace, au contraire, est un petit bourgeois français, un homme pratique, aspirant à se faire une position et si, au début, il est dans l’erreur, entraîné qu’il est par ses idées élevées, il sait parfaitement, avec le temps, en tirer parti, en les prêchant dans les buts les plus utiles.

Tourguéniew avait-il conscience de ce reflet du caractère d’Horace sur une de ses meilleures œuvres, ou bien, est-ce là de sa part un fait inconscient, c’est une question qu’il serait difficile de résoudre. Le point important, c’est que Tourguéniew, lui-même, mentionne à plusieurs reprises le rôle que joua George Sand dans son développement moral. Dans une lettre du 9/21 juillet 1876, adressée à A. Souvorine[22], lettre écrite, par conséquent, bientôt après la mort de George Sand, Tourguéniew rappelle l’admiration enthousiaste qu’elle lui avait autrefois inspirée. Cet « autrefois » se rapporte à ses jeunes années, comme on peut le voir par une autre lettre adressée à Drouginine[23], du 30 octobre 1886 : « Vous dites que je n’ai pu m’en tenir à George Sand ; c’est évident, tout comme je n’ai pu, non plus, m’en tenir à Schiller, par exemple ; mais voici en quoi nous différons tous deux : Pour vous, cette tendance est une erreur qu’il faut extirper, tandis que, pour moi, c’est la vérité imparfaite qui trouvera toujours, qui doit trouver des adeptes dans l’âge auquel la vérité parfaite est encore inaccessible. Vous pensez qu’il est déjà temps d’élever les murs de l’édifice ; mon avis est que nous ne pouvons encore penser qu’à en creuser les fondements. » Il est évident, que George Sand a joué dans la vie de Tourguéniew le rôle du terrassier qui creuse le sol et pose les bases de l’édifice. Et c’est pour cela que, vingt ans après cette lettre à Drouginine, Tourguéniew dit, dans la lettre à Souvorine, dont nous avons parlé quelques lignes plus haut : « Croyez-moi, George Sand est une de nos saintes ; vous comprendrez certainement ce que je veux dire », et, remarquons-le, c’est à l’époque où il connaissait personnellement la grande romancière, qu’il écrivait ces paroles surprenantes ; ce n’est donc pas la lecture seule de ses œuvres qui a pu les inspirer. « J’ai eu, écrit-il, le bonheur de faire la connaissance personnelle de George Sand, mais n’allez pas prendre mes paroles pour une phrase banale ; celui qui a pu voir de près cet être d’élite, doit réellement se croire heureux… Lorsque j’ai l’ait pour la première fois sa connaissance, il y a huit ans… j’avais déjà cessé de l’adorer, mais il était impossible de pénétrer plus avant dans sa vie privée sans redevenir son adorateur, mais dans un autre sens et, peut-être, meilleur. En la voyant, chacun sentait aussitôt qu’il se trouvait en présence d’une nature profondément généreuse et bienveillante, chez laquelle tout égoïsme s’était depuis longtemps complètement consumé à la flemme inextinguible de l’enthousiasme poétique et de sa foi à l’idéal, d’une nature à laquelle tout intérêt humain était accessible, cher, et dont il émanait aide et sympathie… Et, au-dessus de tout cela, une espèce d’auréole qui s’ignore, quelque chose d’élevé, de libre, d’héroïque ».

Quant à la haute opinion qu’avaient de George Sand Annenkow, Basile Botkine et Herzen[24], il faudrait, si l’on voulait en donner une idée, citer des pages entières de leurs œuvres[25].

À l’instar de ceux-ci, comme on peut le voir d’après une des lettres de Bélinsky, Les slavophiles, découvrant chez George Sand comme chez Louis Blanc la confirmation de leur théorie sur le rôle et la mission du peuple, la citent très souvent dans leurs articles.

Mais c’est incontestablement Dostoïéwsky, cette grande âme qui a su apprécier une autre grande âme, qui a trouvé pour parler de George Sand les paroles les plus chaleureuses, les plus caractéristiques, les mieux senties, inspirées par une profonde gratitude. Nous avons déjà mentionné plus haut les deux articles qu’il avait consacrés à la mémoire de George Sand, alors récemment décédée, dans la livraison de juin 1876, du Journal d’un homme de lettre. Commençons par citer le second article, qui se prête le mieux à notre exposé. Il est intitulé : Quelques mots sur George Sand.

« L’apparition de George Sand dans la littérature, dit Dostoïéwsky, coïncide avec les premières années de ma jeunesse. Je suis fort heureux maintenant que cela soit déjà si loin, car, à présent que trente années se sont écoulées, puis parler en toute franchise. Il faut noter qu’à cette époque éloignée[26] les romans étaient presque les seuls ouvrages qui fussent autorisés en Russie, pendant que tout le reste, comme presque toute pensée, celles surtout venant de France, était sévèrement interdit. Oh ! bien souvent on ne savait pas voir clair, dans ces pensées ! Comment aurait-on pu voir, comment nos imitateurs eussent-ils pu bien voir les choses lorsqu’elles échappaient souvent à Metternich lui-même ! Mais parfois certains « ouvrages terribles » passaient sans obstacle, tel Bélinsky, par exemple. En revanche, on prit plus tard, pour ne plus se tromper, le parti de tout interdire en bloc, même les guide-ânes. Les romans furent néanmoins toujours autorisés, et c’est dans ce domaine, et précisément en ce qui concerne George Sand, que les cerbères manquèrent leur coup… Que s’ensuivit-il ? Tout ce qui pénétra alors en Russie sous la forme de roman rendait, non seulement les mêmes services à la cause, mais peut-être de la façon la plus dangereuse, du moins au point de vue de l’époque, car il est très probable que les gens désireux de lire Louis Reybaud[27] n’ont pas été nombreux, tandis que les lecteurs de George Sand se comptaient par milliers[28]. Nous devons encore noter ici que, en dépit de tous les Magnitsky et les Liprandi, tout mouvement intellectuel en Europe se répercutait immédiatement chez nous depuis le siècle passé et se communiquait, sans parler des couches cultivées supérieures de la société, à une foule nombreuse que cette chose intéressait et faisait réfléchir. Cela ne manqua pas de se renouveler lors du mouvement qui se fit en Europe vers 1830. On apprit chez nous, dès le début, l’immense évolution qui s’opérait dans les littératures européennes. On connaissait déjà de nom bien des nouveaux orateurs, historiens, tribuns et professeurs. Et l’on savait déjà, par bribes, il est vrai, à quoi visait cette évolution qui se montrait surtout violente dans le domaine de l’art, dans le roman et notamment chez George Sand… Ses œuvres traduites en russe, parurent, pour la première fois, vers l’an 1835. Je regrette d’ignorer quelle fut la première de ses œuvres qui fut traduite et l’époque à laquelle elle parut ; mais l’impression qu’elle produisit ne dut en être que plus vive. Je crois que tout le monde fut, comme moi, encore adolescent alors, frappé de cette chaste et haute pureté des types, de l’idéal et de la grâce modeste, du ton grave et réservé de la narration… J’avais à peu près seize ans si je m’en souviens bien, lorsque je lus pour la première fois sa nouvelle l’Uscoque, une de ses plus charmantes premières œuvres. Je me souviens d’avoir passé toute une nuit enfiévrée à la suite de cette lecture. Je crois ne pas me tromper en affirmant que George Sand, à en juger du moins d’après mes propres impressions, avait pris incontestablement chez nous, dès le début, la première place dans les rangs de la pléiade des grands écrivains dont la gloire et la célébrité remplissaient tout à coup toute l’Europe… Tout ce que je dis ici n’est pas une appréciation critique ; j’évoque tout simplement le souvenir des goûts de la grande masse des lecteurs russes de cette époque, l’impression spontanée qu’ils ressentaient. L’essentiel, c’est que les lecteurs surent tirer des romans mêmes tout ce dont on cherchait à nous préserver avec tant de soin. La grande masse des lecteurs savait, du moins chez nous, vers le milieu des années 40, que George Sand était un des champions les plus éclatants, les plus inflexibles, les plus parfaits de cette catégorie d’écrivains occidentaux qui, dès leur apparition, avaient commencé par nier toutes les « conquêtes réelles » qu’avait amenées finalement la sanglante Révolution française, ou, pour parler plus exactement, la révolution européenne de la fin du xviiie siècle. Une parole nouvelle s’était fait brusquement entendre, de nouveaux espoirs avaient surgi ; certains proclamaient à cor et à cri que le progrès s’était arrêté inutile et stérile, que rien n’avait été obtenu par le changement politique des vainqueurs, qu’il fallait continuer, que la régénération de l’humanité devait être radicale, complète. »

« Il ne manqua certes pas de se produire, à côté de ces cris, beaucoup de conclusions malsaines et même monstrueuses ; l’essentiel, c’était que l’on voyait luire une espérance nouvelle et que la foi renaissait dans les âmes. Personne n’ignore l’histoire de cette évolution qui dure encore aujourd’hui et qui n’a pas l’air de devoir s’arrêter. Il n’entre nullement dans mon intention de la juger ici ; mon seul désir était d’indiquer la vraie place qui en revient à George Sand. C’est elle qui est à la tête de cette évolution. Tout en l’accueillant avec faveur, on disait alors d’elle, en Europe, qu’elle prêchait l’émancipation de la femme, jouant le rôle de prophète en ce qui concernait les droits de la « femme libre » (expression de Senkowsky), mais cela n’est pas tout à fait exact, parce qu’elle ne s’occupait pas de féminisme et ne visait pas à rendre la femme libre. George Sand prenait part à l’évolution tout entière, mais non à la seule propagande des droits de la femme… »

Après avoir fait remarquer, qu’en qualité de femme, elle préférait sans doute peindre des héroïnes plutôt que des héros, et que sa manière d’agir aurait dû lui attirer la sympathie des femmes du monde entier, comme sa mort leur inspirer un chagrin particulier, Dostoïewsky déclare voir en elle « l’une des plus sublimes et des plus belles représentantes de la femme, une femme presque unique par la vigueur de son esprit et de son talent, un nom devenu désormais historique, un nom destiné à ne jamais tomber dans l’oubli, à ne pas disparaître dans l’histoire de l’humanité européenne ». Plus Loin, après avoir analysé d’une façon incomparable et avec la simplicité d’un écrivain vraiment grand, les types principaux des jeunes filles et des femmes des Nouvelles vénitiennes, et après avoir signalé dans les premiers romans de George Sand « l’extraordinaire beauté de ces types moraux », Dostoïewsky s’écrie que « seule une grande et belle âme pouvait créer de pareils types et poser de telles questions ».

« Pareilles images, dit-il, pouvaient-elles révolter la société, soulever des doutes et des craintes ? Tout au contraire, les parents les plus sévères autorisaient dans leurs familles la lecture de George Sand et se demandaient avec étonnement pourquoi on parlait mal d’elle. C’est alors que s’élevèrent, pour prévenir les lecteurs, des voix qui déclarèrent que c’était justement dans cet orgueil féminin, dans l’incompatibilité de la chasteté avec les vices, dans le refus de toute concession au vice, dans la témérité avec laquelle l’innocence engageait la lutte et contemplait avec sérénité l’insulte face à face, que résidaient le poison, la contagion future de l’émancipation des femmes. Eh quoi ! il est fort possible que tout ce que l’on disait au sujet du « poison » fût juste ; la contagion se remarquait un peu, en effet, mais que menaçait-elle, que devait-elle détruire, et que devait-elle épargner ? Tel était le problème qui surgissait en effet et qui pesta longtemps sans solution. Toutes ces questions paraissent maintenant résolues… »

« Bornons-nous à noter ici que, vers 1845, la gloire de George Sand et la foi en son génie étaient si grandes que nous tous, ses contemporains, nous attendions d’elle quelque chose de beaucoup plus grand encore, une parole non entendue jusque-là, et même un je ne sais quoi de décisif et de définitif. Cet espoir-là ne s’est malheureusement pas réalisé… »

« George Sand n’est pas ce que l’on appelle « un penseur », mais elle était douée de la prescience la plus clairvoyante relativement à un avenir meilleur pour l’humanité. Celle-ci attendait immanquablement, selon elle, son idéal, et c’est là la croyance que l’écrivain a vaillamment et magnanimement affirmée pendant toute sa vie. Elle avait foi en son idéal, parce qu’elle-même le portait en son âme. Pouvoir conserver cette foi jusqu’à la fin de sa vie, c’est ordinairement l’apanage de toutes les grandes âmes, de tous les vrais philanthropes. George Sand est morte en déiste, avec une ferme croyance en Dieu et en l’immortalité de l’âme. Mais cela ne suffit pas quand on parle d’elle, car elle fut peut-être plus chrétienne que tous les écrivains français de son époque, quoiqu’elle ne fût guère pratiquante. On peut même assurer qu’elle fut l’un des adeptes les plus complets du Christ sans s’en douter elle-même. Son socialisme, ses convictions, ses espérances, son idéal, elle les basait, non sur une étroite nécessité, mais sur le sentiment moral de l’homme, sur la soif spirituelle de l’humanité, sur ses aspirations vers la perfection et la pureté. Elle avait une foi absolue dans l’être humain, car elle croyait à l’immortalité de l’âme. Toute sa vie, et dans toutes ses œuvres, elle élargit la notion de cet être, devenant ainsi, par sa pensée et ses sentiments, solidaire de l’une des idées les plus fondamentales du christianisme, celle qui reconnaît à l’être humain une personnalité propre, avec un libre arbitre et, par conséquent, une responsabilité personnelle. Ces principes entraînent la reconnaissance du devoir, des exigences morales sévères, l’admission absolue de la responsabilité humaine. Il n’y avait peut-être pas alors en France un seul penseur, un seul écrivain qui comprit mieux qu’elle que ce n’est pas « de pain seulement que l’homme peut vivre ». Quant à ce qu’on nous dit de l’orgueil de ses exigences et de ses protestations, jamais cet orgueil n’exclut chez elle la charité, le pardon des offenses, une patience sans bornes basée sur la pitié envers les insulteurs eux-mêmes. George Sand s’est montrée maintes fois, au contraire, dans ses œuvres, subjuguée par la beauté de ces vérités chrétiennes, en créant à plusieurs reprises, dans ses ouvrages, des types du pardon le plus sincère et de l’amour… »

Les lignes que nous venons de citer suffisent pour faire comprendre parfaitement le premier article de Dostoïewsky : La mort de George Sand, écrit sous l’impression toute fraîche de la nouvelle de sa fin et que nous allons citer en partie maintenant…

« C’est en apprenant sa mort que j’ai compris seulement toute la place que ce nom occupait dans ma vie, tout l’enthousiasme et l’adoration que j’avais voués à ce poète et combien je lui devais de joie et de bonheur ! Je parle ici avec hardiesse, car c’est bien là l’expression de ce que je ressentais. George Sand est une de nos contemporaines, à nous autres, idéalistes russes de 1840, dans le sens le plus complet du mot. C’est, — dans notre siècle puissant, épris de lui-même et malade en même temps, plein d idées indécises et de désirs irréalisables, — un de ces noms qui, surgissant là-bas dans le pays des miracles sacrés, ont attirés à eux, de notre Russie, ce pays en état de formation perpétuelle, une somme énorme de pensées, d’amour, de nobles élans, de vie et de convictions profondes. Mais nous n’avons nullement à nous en plaindre ! En exaltant des noms comme celui de George Sand et en s’inclinant devant eux, les Russes n’ont fait que remplir leur devoir et acquitter une dette. Qu’on ne s’étonne pas de mes paroles, surtout quand elles se rapportent à George Sand : On pourrait discuter encore aujourd’hui l’écrivain que l’on a déjà presque eu le temps d’oublier chez nous ; nous devons cependant reconnaître qu’elle a su accomplir sa besogne en temps et lieu. Et qui pourrait se réunir sur sa tombe pour évoquer son souvenir, sinon ses contemporains du monde entier ? Nous autres Russes, nous avons deux patries — notre chère Russie et l’Europe… Bien des choses que nous avons empruntées à l’Europe et transplantées chez nous n’ont pas été copiées seulement… elles ont été greffées à notre organisme, elles sont entrées dans notre chair, dans notre sang ; d’autres ont été subies ou vécues par nous-mêmes, indépendamment des autres, tout comme les occidentaux les ont subies et vécues chez eux. Jamais, peut-être, les autres Européens ne voudront le croire ; ils ne nous connaissent pas, et, en attendant, il vaut peut-être mieux qu’il en soit ainsi. L’évolution inévitable que nous attendons et qui surprendra un jour le monde entier ne s’accomplira que plus silencieusement et plus tranquillement. Ce développement, on peut l’observer déjà en partie de la manière la plus claire et la plus palpable dans les rapports de la Russie avec les littératures des autres nations. Leurs poètes nous sont tout aussi chers qu’ils le sont dans leur patrie, du moins en est-il ainsi chez nous pour la majorité des personnes cultivées. J’ose affirmer, et je répète que tout poète, penseur ou philanthrope européen n’est nulle part ailleurs que chez nous mieux compris ni plus cordialement accueilli. Cette façon de considérer la littérature de tous les pays est un phénomène que l’on n’a presque jamais observé, à ce degré du moins, chez d’autres peuples, dans tout le cours de l’histoire universelle. »

« Il se trouvera peut-être des personnes qui souriront de la grande importance que je viens d’attribuer à George Sand, mais les rieurs auront tort. Tout ce que cet écrivain a apporté avec lui de paroles nouvelles, d’universellement humain, a trouvé un écho dans notre Russie, a produit une forte et profonde impression, rien ne nous en a échappé. — Preuve qu’aucun poète, réformateur européen, qu’aucun homme porteur d’une pensée et d’une force nouvelles, ne saurait échapper à la pensée russe, ne pas devenir presque une force russe »…


C’est précisément en envisageant George Sand comme force russe, comme l’une des souches primordiales de la conscience sociale russe de notre temps, que nous avons considéré comme notre devoir d’écrivain russe de lui consacrer une étude sérieuse : Nous voulons donner d’elle une biographie complète et l’analyse aussi détaillée que possible de ses œuvres et de ses idées. C’est là une tâche très hardie et fort présomptueuse, mais bien légitime, lorsqu’on pense que, malgré des dizaines, presque des centaines de biographies, d’articles, de mémoires, d’études et de notes de tout genre sur cet écrivain, études parues pendant sa vie et depuis sa mort, on peut affirmer sans crainte qu’il n’existe en aucune langue de l’Europe une seule biographie complète qui soit en même temps un ouvrage de critique. Celle de toutes ses biographies qu’on peut considérer comme la meilleure, la plus concise, la moins entachée de lacunes et d’inexactitudes, c’est la concise et brève biographie anglaise, due à la plume de Miss Bertha Thomas et publiée dans le recueil des Femmes éminentes, édité par Ingram[29].

Mais il faut reconnaître d’abord qu’elle est exclusivement écrite pour des lecteurs anglais, qu’elle est appropriée aux dimensions de la collection où elle a paru, et qu’enfin, l’analyse critique en est presque tout à fait absente. Nous recommandons cependant l’étude de Miss Thomas à tous ceux qui ignorent la biographie de la célèbre romancière ; elle est succincte, il est vrai, mais elle est basée sur des documents précis et sûrs et donnera une idée très juste de cet esprit et de cette remarquable existence. On trouvera dans cette étude presque tous les faits importants de la vie du grand écrivain et une appréciation assez juste de sa personnalité, sans y rencontrer aucune de ces fables absurdes, répétées si souvent par presque tous les biographes. L’auteur ne prétendait pas autre chose, et, nous le répétons, c’est parmi les nombreuses études générales que nous avons eu l’occasion de lire sur George Sand, le seul ouvrage qui nous ait laissé l’impression d’un travail consciencieux et nous ait agréablement surpris par la précision des faits. Quant aux défauts du livre, ils viennent de ce que Miss Thomas n’a guère profité que des sources déjà publiées et qu’elle avait exclusivement en vue le public « collet-monté » de l’Angleterre, passant sous silence l’importance européenne de George Sand et laissant de côté l’analyse critique.

En ce qui concerne les autres biographies et articles écrits sur George Sand ou à propos d’elle, nous ne signalerons leurs mérites et ne constaterons leurs erreurs et défauts que plus tard, en arrivant au récit des faits auxquels ils se rapportent ; mais nous dirons tout de suite, pourquoi ils nous paraissent insuffisants et pour quelle raison on entend de plus en plus souvent à notre époque le public se plaindre de l’absence d’une biographie complète et détaillée de l’auteur, biographie qui contienne aussi l’analyse de toutes ses œuvres.

Tous les articles qui ont paru sur George Sand, à commencer par ceux des revues de 1835-36 et à finir par celui de Faguet en 1893[30], ou par l’Amitié romanesque, de M. Rocheblave ainsi que toutes les biographies, à dater de celle de Loménie[31] et en finissant par celle de Caro, sont remplis d’inexactitudes et d’erreurs ; les faits et les dates y sont relatés sans avoir été préalablement vérifiés. Outre l’absolue inexactitude des renseignements concernant l’origine et les parents de George Sand, outre la confusion qui règne dans la question de savoir lequel de ses parents fut aristocrate ou plébéien, les dates de sa naissance et de sa mort même sont complètement erronées. Jusqu’à son nom qui y est estropié, comme elle l’a fait justement remarquer elle-même dans une lettre adressée au biographe le plus étourdi qui ait jamais existé, le célèbre E. de Mirecourt[32], dont la série de biographies est, selon la juste expression de Lindau, mehr berüchtigt, als berühmt[33]. (Cette lettre, publiée dans le Mousquetaire et la Presse du vivant de George Sand, et reproduite dans la brochure de Mirecourt Lamennais, a paru, depuis la mort de George Sand, dans sa Correspondance, t. III, cccix). Loménie lui donne le nom de Marie-Aurore, Mirecourt, celui d’Amandine-Aurore, Faguet l’appelle Lucile-Aurore, tandis que son vrai nom était Amandine-Lucie-Aurore. Le nom de Marie-Aurore était celui de sa grand’mère. Nous ne mentionnerons pas ici une foule d’autres erreurs et d’inexactitudes que nous aurons maintes fois plus tard l’occasion de signaler. Il eût été pourtant facile de les éviter presque toutes dans les ouvrages qui ont paru après 1855, c’est-à-dire après la publication de l’Histoire de ma Vie. Nous voudrions cependant voir les biographes puiser un peu moins dans cet ouvrage, et c’est ici que nous touchons au second point qui ne nous satisfait nullement dans toutes les biographies que l’on nous a données.

Il y a un fait qui nous frappe surtout, c’est que, dans les biographies de George Sand, ainsi que dans celles des hommes remarquables qui eurent avec elle des rapports amicaux ou autres, tous les auteurs de monographies ou d’articles, aussitôt que son histoire y est exposée d’une manière plus ou moins détaillée, se contentent de reproduire, à leur façon, l’Histoire de ma Vie, jusqu’au point où l’a laissée George Sand elle-même, c’est-à-dire vers 1847. Pour les trente dernières années de sa vie, on se borne généralement à deux ou trois pages dépeignant son existence à Nohant, pages empruntées à sa lettre bien connue à Ulbach et annexée, par Calmann Lévy, comme épilogue au dernier volume de l’Histoire de ma Vie. C’est là un procédé vraiment trop facile pour fabriquer des biographies et, ajoutons-le, un procédé téméraire, comme le lecteur pourra s’en convaincre lui-même. En dehors de Miss Thomas et du biographe de Chopin, un Anglais aussi, Fr. Niecks, qui puisent dans la Correspondance et dans d’autres sources déjà publiées — (encore Niecks ne le fait-il que dans les limites du but spécial qu’il se propose), — tous les autres critiques : Caro, d’Haussonville, Nettement, Julien Schmidt, Kreyssig et les biographes russes de George Sand, sauf de rares exceptions, n’accordent aucune attention à ce que l’on pourrait puiser par exemple dans les biographies et correspondances de Balzac, de Sainte-Beuve, de Delacroix, de Chopin, de Liszt, de Lamennais et autres ; ils répètent tous en revanche la même version, en se contentant d’y produire quelques variantes. Il résulte de là, que ces ouvrages, lorsqu’on les lit les uns après les autres, sont d’une lecture insupportable, parce qu’on sait déjà d’avance quel passage de l’Histoire de ma Vie sera immanquablement cité après tel autre.

Cette unanimité peut se justifier et peut-être ne peut même être évitée jusqu’à l’année 1822 inclusivement, c’est-à-dire aussi longtemps qu’il est question de l’enfance, puis de l’adolescence de George Sand et de l’histoire de sa famille avant sa naissance. On pourrait dire que ce sont là des matériaux préparés par elle à l’avance pour ceux de ses futurs biographes qui voudraient, à propos de sa personne, expliquer la théorie de l’hérédité et motiver là-dessus son caractère et sa nature. Et encore y a-t-il beaucoup à y contrôler. Mais à partir de 1822, lorsque Aurore Dupin épousa Casimir Dudevant, et jusqu’à l’année 1831, où elle le quitta pour aller se fixer à Paris, nous avons une foule de lettres de George Sand elle-même, et d’autres nombreux documents plus ou moins connus qui dévoilent et éclairent bien des choses dont il n’est point question dans l’Histoire de ma Vie, ou qui n’y sont mentionnées que comme en passant. Quant à la dernière partie de l’Histoire de ma Vie qui embrasse les années 1831 à 1847, années orageuses, remplies d’événements et fourmillantes de personnages, années de labeur et d’entraînements, ces Lehr und Wanderjahre, les plus actives et les plus intéressantes dans la vie de George Sand, l’Histoire de ma Vie ne peut guère que servir de fil d’Ariane pour s’orienter ; mais elle ne peut, à aucun titre, servir de base à un sérieux travail biographique.

Nous ne serions pas complet si nous omettions de signaler que les écrivains sympathiques à George Sand, ses biographes amis, ses compatriotes bien élevés, par courtoisie, et Miss Thomas, par cant anglais, commettent tous une grosse erreur qui fournit des armes à ses ennemis. Tous passent avec soin, sous silence, des choses aussi universellement connues que les rapports de George Sand avec Jules Sandeau, Alfred de Musset, Michel de Bourges et Frédéric Chopin. C’est à peine si l’un d’eux se permet là-dessus une allusion respectueuse et vague, ou risque une phrase habile que peut comprendre un lecteur au courant des choses, mais complètement obscure pour celui qui ignore l’histoire intime de George Sand et les légendes de l’époque.

De leur côté, les ennemis et les détracteurs de George Sand, les critiques conservateurs et soi-disant « bien pensants », les feuilletonistes tracassiers et tous les biographes de Musset et de Chopin, profitant, sans se gêner, de ce que personne ne les dément en réalité, et que personne ne raconte les faits d’une manière claire et exacte, échafaudent dans leurs écrits des montagnes de racontars révoltants et grossiers. Que de potins louches et vagues sous leur plume, que d’inventions sur le compte de George Sand ! Pour elle, le moment de passer dans l’histoire est cependant arrivé depuis longtemps, voilà plus de vingt ans qu’elle est morte, et si ses compatriotes, peut-être pour des raisons personnelles et dignes d’estime, n’ont pu se décider jusqu’à présent à nous donner une biographie vraie, nous pourrons, nous autres Russes, qui ne sommes entravés par aucune considération de ce genre, parler avec hardiesse de tous ces événements qui datent déjà d’un demi-siècle. Nous ne craindrons pas non plus de conter certaines choses qui épouvantent les biographes de la célèbre romancière ; leur pusillanimité ne fait, nous le répétons, que fournir des armes déloyales à ses détracteurs. Nous sommes, avant tout, fermement persuadé que la sérénité de notre récit, la droiture et la franchise avec lesquelles nous reconnaîtrons des faits qui n’ont été que chuchotés jusqu’ici, aideront pleinement à blanchir le nom de George Sand de tous les bas commérages, de toutes les malsonnantes allusions qui pullulent dans les biographies de Musset et de ses autres contemporains.

Ce qui confirme parfaitement ce que nous avançons ici, c’est la monographie publiée par Arvède Barine, Alfred de Musset[34], la première de ces biographies où la fameuse excursion de Venise soit décrite d’après la correspondance authentique de Musset et de George Sand, et non d’après des œuvres d’imagination ou des pamphlets. Cette biographie est tout aussi favorable à la mémoire du poète bien-aimé de la jeunesse qu’à celle de George Sand et produit une impression agréable par la véracité de ton qui y règne, qualité qu’on ne trouve guère dans aucune des deux biographies émanées du frère de Musset[35], ni dans l’ouvrage de Paul Lindau[36] ni dans le petit volume de la vicomtesse de Janzé[37], ni en général dans aucune des biographies de Musset. Les auteurs de toutes ces biographies s’obstinent à vouloir condamner George Sand à tout prix en se contentant de se baser, en somme, sur des récits douteux ou… sur quelques chapitres de romans !

Malgré le tort qu’a notre époque de s’affubler d’une hypocrite vertu, on trouverait cependant aujourd’hui fort peu d’hommes capables d’anathématiser Byron ou George Sand pour leurs aventures amoureuses. Dans la vie journalière, nous ne restons pas moins médisants et malveillants que nos devanciers, mais nous comprenons cependant parfaitement qu’il serait ridicule d’appliquer à de grandes âmes comme celle de Gœthe, de Byron, de Pouchkine, de Heine et de George Sand, les mêmes mesures que celles dont abusent nos soi-disant vertueuses matrones de salon. Et si, il y a dix ou quinze ans, il se trouvait encore à Saint-Pétersbourg un professeur de lettres pour déclarer du haut de sa chaire que « Lermontow n’était pas un poète, mais un infâme » (textuel), et si de nos jours il existe encore un écrivain osant exprimer la même pensée, mais avec plus de ménagement « que l’immoralité de Lermontow l’a empêché d’être un poète véritable », ces jugements font preuve d’une si grande pauvreté intellectuelle qu’il est inutile d’y faire attention, ils ne font peur à personne.

Les biographes amis de George Sand se montrent pourtant troublés à l’idée qu’on puisse la soupçonner d’immoralité et qu’on pourrait les suspecter eux-mêmes de manquer de réserve et de tact ; ils préfèrent alors garder le silence ou se contenter d’allusions mystérieuses à des événements universellement connus, pendant que les biographes hostiles à George Sand, s’étendant sur son immoralité et sa perversion, citent à l’appui de ce qu’ils avancent toute une collection de considérations et d’anecdotes variées.

Pour en revenir aux biographes de Musset et de Chopin, nous devons, à notre grand regret, dire que l’on trouve chez eux une tendance étonnamment unanime à noircir George Sand, à la condamner coûte que coûte. Leur désaccord n’est que plus surprenant dans l’interprétation qu’ils donnent parfois des mêmes faits et de certains traits de son caractère. Tel est cependant le propre des pauvres humains, qu’ils ne peuvent jamais analyser une question de psychologie ordinaire ou sociale sans traîner quelqu’un sur le banc des accusés ; mais la vie, surtout la vie intime de notre être, c’est quelque chose de si grand, de si infini et qui se compose de tant de facteurs si infiniment petits, incommensurables, impondérables, impalpables, qu’elle se prête peu à cette façon juridique de poser la question et y échappe même absolument.

Les biographes de Musset et de Chopin s’évertuent à charger George Sand de toutes les accusations possibles et impossibles, à la peindre sous l’aspect le plus choquant ; ils tombent même souvent dans les contradictions les plus comiques les uns avec les autres et avec eux-mêmes, comme cela se voit chaque fois que les hommes se laissent entraîner par la colère, la méchanceté et la haine. C’est ce que nous voyons chez la mondaine et légitimiste vicomtesse de Janzé, chez ce hâbleur de Mirecourt, chez M. Mariéton et chez différents chroniqueurs de Revues qui, peu préoccupés de la vérité et prenant à rebours le dicton bien connu sur « Platon et la vérité », ont rompu des lances en faveur de Musset dans le courant de ces dernières années (1895-1897), c’est-à-dire depuis le moment de la publication des lettres et de différents documents relatifs au voyage de Venise. Nous observons le même phénomène chez des écrivains aussi sérieux que Paul Lindau et Frédéric Niecks. Laissant de côté les innombrables articles écrits au sujet de Musset-Sand, et reculant jusqu’aux chapitres viii et ix le signalement des erreurs partielles, des altérations de la vérité historique, toutes les fois qu’il est question de George Sand dans les biographies de Musset, nous nous contenterons de noter ici les inexactitudes typiques et les procédés d’une malveillance systématique que nous trouverons dans toutes les biographies de Musset et de Chopin hostiles à notre héroïne. Commençons par Lindau et Paul de Musset.

Déjà, dans la préface de la première édition de son ouvrage, Lindau nous raconte que, n’ayant sous la main aucun bon livre sur Alfred de Musset (la biographie écrite par son frère Paul n’avait pas encore paru) et trouvant insuffisants les renseignements contenus dans la Notice biographique (à laquelle nous avons déjà fait allusion), il avait été obligé de s’adresser, pour plus amples renseignements, au frère de Musset, qui l’avait aidé à démêler les obscurités de cette Notice et lui avait fourni les moyens d’étudier la vie d’Alfred de Musset, assez en détail pour bien juger son œuvre poétique. Aussi, Lindau adresse-t-il avant tout ses éloges, sa gratitude, à Paul de Musset, plutôt qu’à tous ceux qui l’ont également aidé dans sa tâche littéraire. Dans la préface de sa seconde édition, Lindau raconte que, dans une lettre datée du 3 novembre 1876, Paul de Musset lui annonçait la prochaine publication depuis si longtemps attendue, de la Biographie de son frère, « car la personne, envers laquelle il fallait être très prudent, avait quitté récemment le monde des vivants… » Une chose qui nous frappe bien désagréablement, c’est que ce même Paul de Musset, qui, du vivant de George Sand, et sans la moindre gêne, avait entassé, sous forme de roman[38]. Les accusations les plus grossières et les plus honteuses contre elle, cité des lettres d’elle comme quasi authentiques et conté l’histoire de Venise avec des détails révoltants et parfaitement invraisemblables, en s’efforçant de prouver l’exactitude de ses renseignements, ait attendu sa mort pour publier une biographie d’Alfred de Musset. N’était-ce pas là profiter de l’impossibilité où l’héroïne était de protester, du fond de sa tombe, contre les accusations qui allaient se produire ? Un autre fait aussi peu honorable, c’est que, dans cette Biographie, comme dans la Notice. Paul de Musset semble affecter une discrétion de bon goût au sujet de cette même histoire et se borne à des allusions, sans prononcer même le nom de George Sand, en ne s’exprimant partout que par ces mots : « une dame », une « personne », « la personne qui devait jouer un rôle », etc, lorsque, précisément, ce serait de la biographie d’Alfred de Musset, qui devrait être autant que possible historiquement exacte et impartiale, que nous serions en droit d’exiger des faits, des noms, des éclaircissements, et non des récits peu clairs et nébuleux, des potins mondains, des allusions mystérieuses à « une personne », et des menaces non moins mystérieuses, ces dernières, parfois, tout à fait incompréhensibles pour presque tous les lecteurs. Chacun conviendra que c’est là dire trop ou trop peu. Il fallait tout simplement, sans mettre à exécution l’ancien désir « de se venger ou d’écraser l’adversaire[39] », redire toute l’histoire avec sobriété et exactitude — ou garder le silence. Cette soi-disant délicatesse et réserve n’est, en somme qu’une grande indélicatesse, car c’en est une à nos yeux que de parler d’une morte par allusions et, qui plus est, par vilaines allusions, sans citer aucun fait à l’appui de ce que l’on avance. En ce cas il eût été, nous le répétons, bien plus délicat, de passer sous silence tout l’épisode ou de dire toute la vérité, et ne pas craindre que l’adversaire répliquât, de son côté, par toute la vérité. Musset n’avait aucune crainte là-dessus. Il ne redoutait qu’une seule chose, c’est que « ses lettres tombassent entre les mains de son frère Paul[40] ». Paul de Musset, au contraire, avait à craindre, et craignait réellement, que la publication des lettres authentiques du poète et de George Sand ne prouvât clairement à tout le monde combien il s’était écarté de la vérité dans les ouvrages qu’il avait écrits sur son frère. Il s’opposa obstinément à la publication de ces lettres et depuis sa mort, sa sœur, Mme Lardin de Musset, s’y oppose avec la même opiniâtreté. Aujourd’hui, les lettres de George Sand à Musset ont été publiées par M. Aucante ; il a paru aussi la totalité de ses lettres à Sainte-Beuve, une partie de celles à Boucoiran, à son mari, etc., lettres qui ont trait à cet épisode, et qui malheureusement ne sont pas insérées dans les six volumes de sa Correspondance, en général fort incomplète et pleine de graves omissions, de coupures et d’erreurs. Nous possédons donc, maintenant, d’un côté, des témoignages authentiques, mais les lettres complètes de Musset restent comme si elles n’existaient pas, la famille s’opposant à leur entière publication. Celui qui ne redoute pas la vérité n’agit pas ainsi ! Tout ce que nous avons eu jusqu’ici des lettres de Musset se réduit à des fragments disséminés çà et là (dans l’ouvrage d’Arvède Barine, dans les Mémoires de Grenier, dans les articles et les livres de MM. de Spœlberch de Lovenjoul, de Mariéton, etc.), et ces quelques fragments ont déjà suffi pour jeter un peu de lumière sur l’épisode qui nous occupe. Quant à nous, nous ne pouvons, en nous basant sur l’étude de sources non publiées jusqu’ici, qu’exprimer notre entière désapprobation sur la façon d’agir de la famille de Musset et nous rallier à l’opinion, souvent exprimée dans la presse, et émise encore récemment par le Mussettiste M. Clouard et le Sandiste vicomte de Spoelberch, que la publication complète de cette correspondance servirait à justifier pleinement George Sand, et dégagerait la vérité, sans ternir en rien la gloire d’Alfred de Musset.

Malheureusement, si la Biographie de ce dernier, écrite par son frère, essaie de travailler à cette gloire, elle est loin de remplir la seconde condition, celle de dégager la vérité, et nous souscrivons ici, avec une conviction inébranlable, à tout ce qu’en dit Arvède Barine[41].

Si toutes ces affirmations d’Arvède Barine étaient depuis longtemps plus que justes à nos yeux, puisque nous avions déjà[42], après avoir étudié à fond la correspondance inédite de George Sand et les documents qui ont trait à l’épisode en question, exprimé une conviction analogue, et affirmé que la publication complète des lettres de George Sand ne pouvait servir qu’à la justifier, maintenant que ses lettres inédites à Sainte-Beuve, à Pagello, Tattet, Boucoiran, Dudevant, etc., ont été publiées[43], cette opinion, nous la croyons partagée maintenant par la majorité de nos lecteurs. Le lecteur saura, dès à présent, apprécier à leur juste valeur les renseignements donnés par Paul de Musset ou puisés dans ses ouvrages. Il est donc doublement à regretter que Lindau, comme nous l’avons vu, les mette au premier plan. En règle judiciaire, les parents ne sont admis à témoigner qu’avec une grande réserve ; quelquefois même on refuse de les écouter pour ne pas les exposer à mentir ; souvent ils sont libérés de la prestation du serment. À plus forte raison, faut-il user d’une extrême prudence quand on a affaire à des témoignages de parents empressés de défendre la mémoire d’un cher défunt devant le tribunal de l’histoire. Lindau a beau s’évertuer à se poser en juge impartial alors qu’il écoute les témoignages partiaux du frère de Musset ; nous voyons bien clairement qu’il voit toute la vie d’Alfred de Musset et ses œuvres à travers le prisme de son frère Paul. Si, par moments, il s’écarte des appréciations de ce dernier, c’est dans le but de charger encore davantage George Sand. Paul de Musset, comme nous l’avons vu, s’évertue à diminuer le rôle de George Sand dans la vie de son frère, et c’est dans ce but qu’il exagère les rôles de Mme Colet et de Pauline Garcia, ceux de Mme Kalergis, de Rachel, de la princesse Belgiojoso et celui de la petite modiste qui a servi d’original à Bernerette, etc. Lindau veut que son livre soit le développement de ce thème : que dans toute la vie d’Alfred de Musset il n’y eut qu’un seul amour, George Sand, et que cet amour, après avoir empoisonné sa vie par le mensonge et la trahison, l’avait perdu. Il termine son ouvrage par les mots : « Eine an ihm verübte Lüge hat ihn zu Grunde gerichtet » = « Un mensonge qu’on avait commis envers lui l’a perdu ». Il est donc évident qu’en usant des renseignements fournis par Paul de Musset, Lindau ne les accepte que pour les besoins de sa cause, qu’il s’efforce d’atténuer tous les entraînements et les amours postérieurs de Musset et qu’il tâche de nous faire croire que Musset, comme Lermontow, « en aimant ailleurs n’a jamais oublié le regard de ses yeux[44] ».

Nous laissons au lecteur le soin de juger, par son impression personnelle, lequel des deux biographes de Musset lui paraît avoir raison sur ce point. La seule chose à laquelle nous attachions de l’importance, c’est de montrer à quel degré le désir de charger George Sand oblige les écrivains qui sont ordinairement le plus d’accord entre eux, à se contredire les uns les autres. Une autre observation que nous avons encore à faire, c’est que Lindau, en interprétant les actes et le caractère de George Sand, prend pour point de départ, que c’était une nature raisonneuse, réfléchie, que ce qui dominait chez cette femme, c’était la froideur (?), l’incapacité d’éprouver un sentiment ardent, spontané et chaleureux (tout cela joint à une « profonde immoralité », car les biographes de Musset ne veulent pas parler autrement d’elle). Voilà qu’à l’appui de cette thèse et, comme nous le savons, sans posséder sur cet épisode vénitien presque aucune donnée positive puisée dans quelque œuvre tant soit peu historique, Lindau recourt à un procédé fort risqué, bien que déjà employé avant et après lui par différents biographes. Il nous donne, comme sources, des ouvrages de pure imagination ou mi-autobiographiques, tels que Elle et lui, Lui et Elle, Lettres d’un voyageur, quelques passages de la Confession d’un enfant du siècle et enfin Lui de Louise Colet (livre que tout le monde reconnaît unanimement comme indigne de confiance à cause de ses futiles bavardages et de sa fausseté bien avérée). Il faut voir aussi comment Lindau procède dans ses citations : qu’il s’agisse, par exemple, d’une chose soi-disant dite par Musset, il l’emprunte à un des volumes que nous venons de citer, tandis que la réponse « faite par George Sand » est puisée dans un autre ouvrage et une « nouvelle réplique » de lui dans un troisième livre[45]. Semblable procédé est le comble de ce qu’un biographe peu scrupuleux peut se permettre ; il ne serait que trop facile, de cette manière, d’imputer n’importe quoi à n’importe qui ! Mais si ce procédé nous cause une surprise désagréable en le rencontrant une première fois chez Lindau, il nous froisse bien plus encore lorsque nous retrouvons ces mêmes citations arbitraires empruntées à différents ouvrages et groupées de façon à former un tout complet dans un autre livre, celui de Frédéric Niecks[46]. Il est vraiment étonnant que cet écrivain sérieux, le meilleur des biographes de Chopin, et qui a su, en général, se montrer consciencieux envers George Sand, qui analyse si bien les raisons pour lesquelles deux caractères aussi dissemblables que ceux de George Sand et de Musset, ne pouvaient se comprendre l’un l’autre, et pourquoi leur liaison dura assez peu de temps, il est étonnant, disons-nous, que ce même Niecks, dès qu’il se met à apprécier les causes de la fragilité des rapports entre George Sand et Chopin, perde tout à coup sa pénétration ordinaire et se fasse sciemment partial, mesquin et chicanier. En le lisant, nous nous heurtons de nouveau à des contradictions. À l’opposé de Lindau, il base toutes les explications qu’il donne du caractère de George Sand sur une phrase de l’Histoire de ma Vie, d’où il ressort qu’elle avait une nature follement passionnée, qu’elle était esclave de ses passions, incapable de se dompter, de raisonner, de remplir un devoir, ne cédant guère qu’à l’impulsion du moment. Mais, dès qu’il lui incombe de prouver qu’elle était une nature fausse et toute de réflexion (?), il laisse son sujet dans l’ombre et l’on voit de nouveau apparaître, sur la scène, la fameuse page de Lindau avec ses citations par bribes, et George Sand redevient une froide raisonneuse, une vraie « Lady Tartufe ». Dans le livre de Niecks, toutes ces citations ne viennent que de quatrième main, mais cela n’embarrasse nullement l’auteur. Cette manière de narrer les faits nous plonge dans un étonnement profond. Ce procédé mais paraît tout à fait antihistorique ; il n’est nullement en rapport, du reste nous aimons à le reconnaître, avec la narration sévèrement persuasive et sérieuse de Niecks, qui s’attache à ne jamais citer un fait de la vie de Chopin ou de toute autre personne, sans l’avoir d’abord soigneusement vérifié. Mais il s’agissait de condamner George Sand, et… l’exactitude historique, l’impartialité sont oubliées !

Notons encore un autre trait. Dans son récit biographique, Niecks prend pour guide l’Histoire de ma Vie et la Correspondance de George Sand et semble donner créance à ces deux livres. Mais, lorsqu’il s’agit de l’excursion faite à Majorque avec Chopin, Niecks n’hésite pas à affirmer que les lettres et les souvenirs de George Sand sont un tissu de mensonges et de faussetés ; à chaque pas, il prodigue des remarques dénuées de tout fondement, pour inspirer au lecteur une méfiance complète de ce qu’elle raconte (voir Niecks, t. II, p. 42, 44, 47, 48, 49. 83). En plusieurs endroits, il se montre mesquinement chicanier et partial. Que Chopin confonde les jours et les dates, les numéros d’opus de ses œuvres ou bien le chiffre exact de la somme qu’il a reçue pour chacune de ses œuvres, ce n’est là « qu’un oubli », une « distraction compréhensible ». Mais que, dans une lettre de Majorque, George Sand écrive que la douane, pour un piano expédié à Chopin à Palma de Mallorca, ait exigé 300 francs, tandis que dans un Hiver à Majorque, — souvenirs écrits de mémoire — la somme citée soit de 400 francs, cette différence est attribuée à la rage que George Sand a de tout enjoliver, de tout exagérer. Nous croyons pouvoir dire que, jusqu’à Niecks, aucun critique, si hostile qu’il se soit montré envers George Sand, ne l’avait jamais soupçonnée de cupidité, n’avait attaché aucune importance à ce qu’elle dit dans l’Histoire, que l’une des causes de son départ pour Paris, en 1831, avait été précisément le désir d’avoir plus d’argent ; aucun d’eux n’a prétendu que l’argent seul eût été le mobile de son divorce, que les mauvais traitements de son mari et les autres chefs d’accusation qu’elle portait contre lui, n’avaient été invoqués au tribunal que pour les besoins de sa cause. Tout au contraire, les amis et les ennemis de George Sand sont unanimes à reconnaître qu’elle était si peu économe, qu’elle s’entendait si peu à faire des épargnes et à conduire ses affaires, en un mot, qu’elle attachait si peu de prix au vil métal, qu’elle se laissait toujours duper, jetait l’argent par les fenêtres, donnait à droite et à gauche et aimait à venir en aide aux autres autant qu’elle le pouvait. C’est là un fait que tout le monde, et elle-même, reconnaissent et que Niecks admet comme tous les autres. Il est donc bien naturel qu’une capitaliste aussi peu sérieuse que le fut George Sand, ait pu oublier le chiffre exact de la somme exigée par la douane des îles Baléares, laquelle douane fit ensuite, comme une vraie marchande, rabais de la moitié de ce qu’elle avait demandé. Il est évident que ce dernier détail était bien resté dans la mémoire de George Sand, qui n’oubliait jamais aucun fait typique, caractéristique ou particulier, ayant trait à des mœurs ou à des coutumes locales ; tandis qu’elle était absolument insouciante dès qu’il était question de chiffres ou de comptabilité. Il est très naturel qu’elle ait pu oublier si c’était six ou sept cents francs qu’on leur avait réclamés, tout en se rappelant parfaitement, qu’après avoir demandé cette somme, on l’avait réduite de moitié. C’est même là, selon nous, un trait bien caractéristique pour une nature artiste. Nous comprenons très bien que les chiffres exacts se soient évaporés de sa mémoire, mais nous sommes convaincus que, si elle avait, comme tant d’autres, gardé pendant des dizaines d’années des factures déjà acquittées, et si elle les avait consultées avec intérêt de temps à autre, ce ne sont pas ces malheureux chiffres de sept cents et de quatre cents qu’on trouverait dans un Hiver à Majorque, mais bien six cents et trois cents.

Si nous nous sommes arrêté si longtemps sur cette mesquine chicane, c’était à dessein de montrer encore une fois au lecteur, à quel point un auteur peut s’accrocher à tout, lorsqu’il veut prouver la fausseté, le mensonge et l’incertitude des témoignages de George Sand et de ses deux ouvrages : un Hiver à Majorque et l’Histoire de ma Vie. Quant à nous, nous le répétons, elle est, à nos yeux, une nature incontestablement sincère, ardente, spontanée. Telle est l’opinion de tous ceux qui l’ont connue personnellement. Telle fut la nôtre lorsque, après plusieurs années de travail, nous avons essayé de nous rendre compte de la physionomie totale de l’image qui s’était dressée devant nos yeux durant ces années, tant sur les témoignages de ses contemporains que d’après ses œuvres, où la figure de l’auteur se dessine, pour ainsi dire, à son insu, ou encore d’après les récits où elle parle d’elle-même, volontairement.

Il est temps de donner ici notre avis sur la question que nous avons déjà effleurée en passant, à propos de l’ouvrage de Lindau, à savoir : s’il est possible de profiter d’œuvres d’imagination comme de documents véritablement historiques, pour écrire sur un auteur un ouvrage biographique ? Il est impossible, selon nous, d’accepter, pour données exactes, des faits, des traits et des explications de phénomènes quelconques tirés d’une œuvre de ce même auteur. S’il n’est pas douteux, en effet, que ce qu’écrit l’auteur a été inspiré par des faits réels, des conversations, des événements auxquels il a pris part, il est certain, aussi, que cela a été soumis au travail de la création — à ce procédé chimique qui tire, d’éléments composés, connus de l’auteur et parfois du lecteur, — une nouvelle matière composite, possédant des propriétés toutes différentes, des premiers ingrédients. Le célèbre critique Brandès, dans une conférence qu’il a donnée à Pétersbourg en 1887 sur la Critique littéraire, conférence qui a paru plus tard dans le Messager de l’Europe[47], nous raconte un fait bien caractéristique à propos des métamorphoses extraordinaires auxquelles une première donnée est parfois soumise dans l’âme de l’écrivain, où s’accomplit le lent travail de la transformation. L’écrivain danois, bien connu, Sören Kjerkegaard était fiancé, lorsqu’il se convainquit que son mariage ne pouvait s’accomplir ; ne voulant pas, par son refus, causer trop de chagrin à sa fiancée, il prit la résolution de recourir à un « pieux subterfuge ». Il se mit « à la tourmenter, à l’ennuyer pour se faire prendre en grippe et adoucir par là le désagrément de la rupture. Il s’attacha à se montrer sous le jour le plus désavantageux, afin de passer aux yeux de tout le monde pour un homme frivole, étourdi, dans la conviction que si tout le monde le blâmait, la jeune fille le quitterait plus facilement. Non content de cela il fit tout son possible pour raffermir la jeune fille dans sa foi religieuse, dans la pensée que cela lui donnerait la force de supporter son chagrin ». Cet épisode servit plus tard à Kjerkegaard pour écrire toute une série d’œuvres n’ayant rien de commun entre elles. Dans tous les ouvrages de Kjerkegaard, dans son Don Juan, dans Antigone, dans Abraham et Isaac on voit constamment apparaître le même personnage favori, le même sujet : Un homme aimant, possesseur d’un secret quelconque, souffrant de voir ce secret ignoré de l’être qu’il aime, malheureux de ne l’avoir révélé à personne, recourt à un « pieux subterfuge » afin de ne pas porter un coup irréparable à l’être aimé. Telle est Antigone, qui trompe celui qu’elle aime et qui en souffre, telle est Elvire abandonnée par Don Juan qui la trompe, telle est Abraham qui feint de haïr Isaac, afin que celui-ci ne doute pas de la bonté de Dieu. Le fond du sujet est partout le même, tandis que les figures, sous lesquelles l’auteur l’a successivement incarné, n’ont rien de commun entre elles.

Nous osons affirmer que ceux qui ont l’habitude de chercher dans tout roman, nouvelle ou drame, quel est le personnage qui a servi de modèle pour celui de N. ou de X, — ceux-là n’ont aucune notion du travail de la création, et ignorent comment on procède pour écrire des œuvres d’art, aussi bien que le font les écrivains habitués à faire de la pseudo-création en se bornant à copier, d’après nature, des figures et des scènes avec une précision photographique. Les lecteurs de ce genre vont quelquefois plus loin encore. Ils affirment, par exemple, avoir entendu dire au comte Tolstoï qu’il n’a pu écrire la Sonate à Kreutzer que parce qu’il avait éprouvé lui-même les sentiments de Pozdnichew, et qu’il n’aurait jamais pu créer le personnage de Natacha Rostow s’il n’avait consulté des demoiselles de sa connaissance pour peindre chacun des traits de son caractère, et s’il n’avait soumis à leur jugement chacune de ses lignes (il est enjoint au lecteur perspicace de conclure que Tolstoï a peint le caractère desdites demoiselles dans le type de Natacha). Pareils lecteurs ne restent muets que si on leur demande : « Et comment Tolstoï a-t-il donc fait, s’il vous plaît, pour écrire son Histoire d’un cheval[48] ? A-t-il consulté pour cela des chevaux qu’il connaissait, ou bien a-t-il éprouvé lui-même les sensations que peut avoir un cheval ? Comment encore Shakespeare a-t-il pu écrire Othello ou Hamlet, la scène des ombres dans Macbeth, le monologue nocturne de Lady Macbeth, et celui de Juliette à sa fenêtre ?… Est-il possible que tout cela ait été éprouvé par sir William ?… » Mais ce serait la plus pitoyable idée que l’on pût se faire de la création artistique, que cette opinion qu’un auteur doit avoir « vécu » tout ce qu’il écrit. Il est bon, cela va sans dire, que l’auteur vive de la vie de ses héros, qu’il soit pénétré de leurs pensées et de leurs sentiments ; les pages « vécues » se distinguent toujours par un éclat, une force tellement particulière et saisissante que nous avons un terme spécial pour le définir : « C’est pénétré d’un sentiment subjectif, dit-on, d’une chaleur subjective ». Néanmoins, il ne faut jamais perdre de vue que toute page d’une chaleur subjective a dû, nécessairement, passer par le creuset qui se nomme la création, et subir, chez l’écrivain, l’action du travail plus ou moins ardu. George Sand a maintes fois répété elle-même, qu’on ne pouvait se borner à copier servilement la vérité de l’existence quotidienne si l’on voulait atteindre la vérité artistique. En racontant, par exemple, dans le chapitre xv de l’Histoire de ma vie comment le célèbre prélat de Beaumont — son oncle — lui avait servi pour nous dépeindre le chanoine si typique et si plein de caractère, de Consuelo, qui ne ressemble en rien à son prototype, George Sand nous démontre clairement qu’un personnage de roman, pour être bien caractérisé et typique, ne doit point ressembler à une seule personne, réellement existante, mais à un grand nombre de personnages, que jamais un portrait copié directement sur nature ne sera artistiquement vrai, mais sera au contraire, incompréhensible comme type, plein de contradictions et de petits détails confus. Elle répète la même chose dans le dernier volume de l’Histoire de ma Vie à propos de la ressemblance du prince Carol, de Lucrezia Floriani, avec Chopin. Il ne faut pas chercher la vérité de la vie réelle, là où la vérité artistique doit faire loi. Il ne faut pas vouloir retrouver des traits et des personnages réels dans les créations de l’art. « Il serait vraiment trop facile de faire la biographie d’un romancier en transportant les fictions de ses contes dans la réalité de son existence. Les frais d’imagination ne seraient pas grands[49]. » Nous retrouvons la même pensée et à maintes reprises, chez Tourguéniew, dans ses Souvenirs et ses lettres à propos des Pères et Enfants et de À la Veille. Si l’on met en parallèle les opinions de George Sand et de Tourguéniew avec l’épisode de l’histoire de Kjerkegaard mentionné plus haut, nous sommes bien près de résoudre ce dilemme : Pourquoi, d’une part, dans les œuvres les plus objectives de la littérature, se cache-t-il un motif invisible, subjectif et vécu, et pourquoi, d’autre part, ne faut-il profiter qu’avec une extrême prudence de l’œuvre d’un écrivain, comme matière pour écrire sa biographie ? C’est là, cependant, un usage fort répandu de nos jours et, nous le répétons, c’est là un procédé fort risqué. Plus un homme a de talent, plus il a le don de transformer la réalité en fiction poétique, et plus il est facile au biographe de tomber dans l’erreur. Ce que nous disons s’applique aux productions de la littérature d’imagination non moins qu’aux mémoires, aux souvenirs et aux récits écrits après coup.

Il y a certainement de bien grandes réserves à établir à ce sujet. Il est évident qu’en lisant les Mémoires de Glinka[50], le lecteur a le sentiment que tout cela est vrai, que toutes les choses sont effectivement arrivées comme l’auteur le dit.

Mais combien chacun de nous n’a-t-il pas lu, en sa vie, de « Mémoires » et de « Souvenirs » où chaque ligne provoque le scepticisme !

Il est indubitable que les choses vraies ne passeront pas inaperçues même dans des souvenirs de ce genre et que le mensonge ne trompera personne. Mais la question se complique étrangement s’il s’agit de souvenirs rédigés par un écrivain de talent, surtout si ces souvenirs n’ont pas seulement trait aux personnages connus par l’auteur et aux événements dont il fut témoin, mais encore aux événements et aux actes de sa propre vie. Il arrive alors que l’homme le plus véridique omet, çà et là, certaines choses, laisse certaines lacunes, ou éclaire certains faits à sa guise. Il ne peut y avoir d’exceptions sous ce rapport, et plus un auteur a de génie, plus il est difficile de démêler de la vérité toute nue les enjolivements dont il l’orne, ces enjolivements affectassent-ils même le cynisme de Jean-Jacques ou la simplicité exagérée d’un grand écrivain moderne russe. C’est ce qui explique notre peu de foi en des « Mémoires » écrits avec talent ; nous ne croyons volontiers qu’aux notes authentiques, prises au jour le jour. (Nous partageons donc théoriquement l’avis de Niecks, mais le lecteur verra plus loin que nous différons de lui dans l’application de sa théorie.) Nous accordons encore plus de foi aux simples lettres privées, — naturellement, non à celles qu’écrivent des hommes plus ou moins éminents qui savent d’avance qu’elles paraîtront un jour dans l’Antiquité russe ou dans la Revue des deux Mondes et qui les écrivent en vue de la postérité, — mais à de simples et modestes lettres privées. En confrontant ces simples lettres, écrites à différentes personnes, on se fait d’une personnalité donnée une idée bien plus exacte que celle qu’on « tire » d’œuvres et de notices purement artistiques ou de souvenirs destinés à la publicité. Pour bien comprendre à quel point des lettres peuvent servir à faire apprécier à sa juste valeur une personnalité historique, il suffit de rappeler le revirement dans l’opinion publique que produisit la publication de la correspondance de Pouchkine. Que de gens se sont réconciliés avec notre grand poète, combien ont compris l’homme après la lecture du volume de ses lettres ! Que d’accusations contre lui sont tombées après l’apparition de celles qu’il écrivit à sa femme et à d’autres personnes, lettres remplies d’une amertume concentrée et d’une profonde douleur dissimulée, conséquence du joug qui pesait alors sur sa vie, tandis que jusqu’à leur publication, la plupart des lecteurs prétendaient que Pouchkine raffolait des grandeurs, qu’il aspirait à parvenir, et que, comme Gœthe, « il n’était et ne voulait être qu’un courtisan ». Ces lettres firent découvrir en lui un homme éclairé, un « esprit viril » (expression de Tourguéniew à propos de cette correspondance)[51] et cette opinion fut partagée par ceux-là même qui l’avaient hautement traité de « renégat » et de « rétrograde ». Mon Dieu, mais c’était un génie, conscient de lui-même, s’efforçant de se soustraire à la perdition pour ne pas étouffer et ne pas partager le sort de Poléjaïew et de Chewtchenko[52] ! S’il n’avait pas eu en lui cette force intérieure comme sauvegarde, ce n’est pas en 1837, mais en 1826 qu’il serait mort, et peut-être même plus tôt, étouffé, écrasé par les circonstances, par le « venin de la calomnie », par les amis, par les ennemis, par tous et par tout !

Qu’on nous pardonne si nous nous écartons en apparence de notre sujet ; nous ne le faisons que pour condamner encore une fois ceux qui s’opposent à la publication des lettres de qui que ce soit, et nous citerons à cette occasion les paroles de Tourgueniew : « Quand il s’agit de dégager la physionomie morale d’un homme comme Pouchkine, l’histoire entre dans ses droits et le temps voile d’un manteau de respect tout te qui aurait pu sembler autrefois trop intime, ou touchant de trop près à des hommes privés. »

Ainsi de pareils documents contemporains sur telle personnalité donnée sont éminemment importants par leur authenticité, leur véracité. Les Mémoires ont aussi indubitablement leur importance, pourtant le biographe doit faire un choix très délicat entre les choses se rapportant à l’époque même et celles qui ont été postérieurement ajoutées ou altérées par l’auteur, dont les idées générales ont varié d’une époque à l’autre. Mais, lorsque des Mémoires ou l’histoire d’une vie sont écrits dans le but de préconiser une idée, comme les Mémoires de l’Impératrice Catherine ou l’Histoire de ma Vie, alors tous les événements ne sont plus considérés comme accidentels ; ils forment dès lors un ensemble indissoluble. Remarquons, à ce propos, que par endroits, grâce à la manière intelligente, géniale même, de tourner autour de certains épisodes en présentant avec adresse et très simplement des choses nullement simples au fond, l’Histoire de ma Vie nous rappelle d’une manière frappante l’admirable autobiographie de l’auguste amie des encyclopédistes. La première des œuvres avait pour but d’expliquer et de justifier les événements ; la seconde, de peindre, sous forme de fil ininterrompu le développement d’un esprit, dont la vie extérieure s’est écoulée au milieu des événements les plus extraordinaires. Dans l’une comme dans l’autre histoire, on se heurte à bien des explications forcées, mais dans les deux ouvrages, l’idée générale, comme les traits principaux, sont conformes à la vérité. Il n’était pas au pouvoir des deux auteurs de supprimer beaucoup d’événements de leur vie ; mais ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient et devaient faire comme femmes, car ces deux esprits de génie ne pouvaient pas, ne devaient pas oublier, qu’elles étaient pourtant femmes ; soumises à la modestie féminine, elles ont gardé un silence discret sur certaines choses et c’est pour elles un mérite de l’avoir fait ; elles ont donc droit à notre entière approbation. Cette manière d’écrire entraîne naturellement quelques hésitations, quelques inexactitudes dans la thèse. Des détails importants apparaissent comme insignifiants, des faits minimes revêtent un caractère de grandeur, les choses vagues ou obscures s’éclairent, grâce à la lumière éblouissante projetée par un esprit brillant ou par le voisinage d’un fait éclatant, le criard et le tranchant s’estompent dans l’ombre des observations générales, spirituellement incolores, ou d’une profondeur obscure à dessein. On est forcé de lire entre les lignes, mais l’ensemble, surtout dans l’Histoire de ma Vie, est tout à fait conforme à l’idée générale. Aussi faut-il, si nous voulons dégager la vérité de ces deux géniales autobiographies, rejeter les détails sans importance et nous contenter de suivre le développement de l’idée générale, dans le premier comme dans le second ouvrage. Nous nous trouverons, par là, sûrement sur la bonne voie et nous n’aurons pas à craindre de nous égarer dans la brume des obscurités, ni dans la noire forêt des contradictions.

Dans ce livre, qui paraît après d’innombrables biographies, d’ouvrages et d’articles critiques sur George Sand, nous ne nous permettrons nullement, répétons-le, de redire tout ce que nous raconte l’Histoire de ma Vie, car nous ne la considérons pas comme un « document ».

D’un autre côté, nous n’avons pas non plus la prétention de ne faire connaître que des faits entièrement nouveaux, ignorés de tous, de ne publier que des documents inédits. Nous nous proposons de donner, d’une part, une biographie vraiment historique de George Sand, c’est-à-dire l’histoire de sa vie et de ses œuvres, basée sur des documents et des faits exacts et neufs ; d’autre part, de signaler et de réfuter, ne fût-ce que les plus importantes des innombrables erreurs et altérations préméditées que l’on rencontre dans les différents ouvrages sur George Sand. Enfin, nous tâcherons de donner un aperçu critique de ses œuvres, tant de celles que tout le monde a lues que de celles qui sont peu ou ne sont point connues. Hâtons-nous d’ajouter et de répéter que :

1° Pour tout ce qui concerne les personnes qui ont, d’une manière ou d’une autre, approché George Sand, nous avons tâché de puiser nos renseignements dans les biographies qui leur sont favorables. Tout en péchant souvent, il est vrai, contre la véracité des détails et des couleurs sous lesquelles elles nous représentent George Sand elle-même, ces biographies nous dépeignent bien plus véridiquement les personnes auxquelles elles sont consacrées. La sympathie n’est pas toujours aveugle, elle contribue souvent, au contraire, à ne pas faire perdre de vue au biographe le moindre petit trait, tandis que, si l’auteur avance quelque chose pour condamner ou faire remarquer les défauts de son héros, nous pouvons sans crainte nous fier à son opinion ; semblable auteur peut pécher par faiblesse ou par indulgence, mais il n’ira certainement pas jusqu’au mensonge, à la calomnie, et ne travestira pas la moindre peccadille en un crime impardonnable. C’est le système que nous nous sommes efforcé de suivre dans tout notre travail, c’est-à-dire de ne juger les personnes qui jouèrent un rôle plus ou moins important dans la vie de George Sand que d’après les témoignages des écrivains qui leur sont sympathiques. C’est le seul moyen de nous rapprocher de la vérité, s’il ne nous est pas donné d’y atteindre. Il va sans dire que les assertions d’un biographe perdent à nos yeux toute valeur, lorsque ses sympathies pour telle ou telle personne le conduisent jusqu’à la partialité ou au manque de conscience en le portant à calomnier George Sand.

2° Nous regardons comme procédé suranné et hypocrite, nuisible à George Sand elle-même, le silence que gardent ses biographes sur certains faits et même sur des époques entières de sa vie.

3° Nous ne pouvons considérer les œuvres d’imagination, même celles qui contiennent des faits pris sur nature, comme des documents vraiment historiques ; nous les citerons parfois et nous n’y ferons allusion qu’en qualité de documents psychologiques servant d’illustrations à notre récit.

4° L’Histoire de ma Vie nous paraît insuffisante et peu exacte pour les données chronologiques et précises de la vie de George Sand.

Nous divisons les sources auxquelles nous avons puisé pendant notre travail de dix ans, en Documents proprement dits et en Sources littéraires et bibliographiques.



DOCUMENTS

A

I. — Lettres imprimées de George Sand :

1. Les six volumes de la Correspondance.

2. Lettres à différentes personnes qui, avant d’avoir été insérées dans cette Correspondance, ont d’abord paru — sans changements, ni suppressions faites lors de leur publication en volumes — dans la Revue des deux Mondes des 1 et 15 janvier 1881 (36 lettres) et dans la Nouvelle Revue de 1881 (15 lettres).

3. Lettres à la comtesse d’Agoult et à Liszt, imprimées également dans la Nouvelle Revue de 1881 (18 lettres).

4. Lettres à la famille Sainte-Agnan, publiées dans la Revue Encyclopédique de 1893.

5. Lettres aux de Villeneuve, parues pour la première fois dans le Figaro des 16 et 23 janvier et du 18 septembre 1881, et dans le Voltaire, du 8 mai 1882.

6. Deux lettres à Sainte-Beuve, publiées par Charles de Loménie dans la Nouvelle Revue de 1895.

7. Lettres à Sainte-Beuve, imprimées en partie dans ses Portraits contemporains (vol. I), puis encore parues dans la Revue de Paris de 1896, et dans le volume des Lettres à de Musset et Sainte-Beuve, édité par Lévy en 1897, avec préface de M. Rocheblave.

8. Lettres à Alfred de Musset qui ont aussi paru pour la première fois dans la Revue de Paris de 1896, avec des notes d’Émile Aucante, ainsi que les lettres et les fragments de lettres à Musset, publiés par Mme Arvède Barine, le vicomte de Spoelberch, MM. Mariéton, Rocheblave, et autres.

9. Lettres à Émile Regnault, publiées par Henri Amic (fragments) dans son article « Défense de George Sand » (le Figaro, 2 novembre 1896).

10. Lettres à l’abbé Rochet parues dans la Gironde littéraire du 25 novembre 1883, dans les Nouvelles de l’Intermédiaire de 1895 et dans la Nouvelle Revue du 15 novembre 1896 au 15 janvier 1897 (cinq numéros.)

11. Lettres à Michel de Bourges parues sous le titre de Lettres de femme avec des dates arbitraires et des noms changés, dans la Revue illustrée de 1890-1891. (L’authenticité de ces lettres est indubitable ; nous en parlerons en son lieu.)

12. Quatre lettres à Liszt publiées par Mme La-Mara dans le volume des Briefe hervorragender Zeitgenossen an Franz Liszt.

13. Dix lettres à M. Dudevant publiées par le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul dans le Cosmopolis de 1896, et réimprimées dans son livre : la Véritable histoire de « Elle et Lui ».

14. Lettres au Dr Pagello imprimées par le Dr Cabanès dans la Revue hebdomadaire de 1896, et par M. Rafaello Barbiera dans l’Illustrazione Italiana de 1881.

15. D’innombrables lettres à diverses personnes et publiées jusqu’à ce jour dans différentes revues, journaux, monographies et biographies.

La plupart de ces monographies et biographies sont indiquées dans la liste bibliographique à la fin du livre.

II. — Lettres à George Sand ou à des tiers, mais se rapportant à George Sand. Par exemple : les lettres de Flaubert, de Musset, Sainte-Beuve, Lamennais, Delacroix, Chopin, Aurélien de Sèze, Barbès, Liszt, la comtesse d’Agoult, Heine, des deux Dumas, Tourguéniew, Victor Hugo, Tattet, Mme de Musset, Pagello, etc.

III. — 1. Les notes journalières (non les Mémoires écrits après coup), comme le journal de Delacroix, celui de Pagello, des Goncourt et d’autres.

2. Pages de journal de George Sand elle-même : les unes, tirées de celui qui est de date antérieure, sont reproduites dans l’Histoire de ma Vie, les autres, écrites pour Musset en 1834-35 ont paru par fragments dans les livres d’Arvède Barine, de MM. de Spoelberch, Mariéton, et dans la préface de M. Rocheblave aux lettres de G. Sand à Musset (édit. Lévy).


B

I. — Lettres inédites, ainsi que celles qui, jusqu’à présent, ont été imprimées avec des passages supprimés ou tronqués :

1. 93 lettres d’Aurore Dudevant à son mari (3 billets écrits avant le mariage, 5 lettres de 1824, 5 de 1825, 2 de 1826, 10 de 1827, 7 de 1828, 10 de 1829, 17 de 1830, 17 de 1831, 7 de 1832, 4 de 1833 et 6 de 1834). Dix de ces lettres ont été publiées par M. de Spoelberch dans le Cosmopolis de 1896. (Voir plus haut.)

2. Lettres d’Aurore Dudevant à sa mère et celles de Sophie-Antoinette à sa fille et à son beau-fils.

3. Lettres d’Hippolyte Châtiron à sa sœur et à son beau-frère, et d’Aurore à son frère.

4. La correspondance entre Zoé Leroy, Aurore Dudevant et Aurélien de Sèze.

5. Lettres inédites d’Aurore à M. Caron, et lettres de Dudevant et de Chatiron à ce même Caron.

6. Lettres inédites de George Sand, — ou imprimées jusqu’ici avec des passages supprimés ou tronqués, — à son fils Maurice, à Duvernet, Boucoiran, Dutheil, Papet, Guéroult, Rollinat, Dumas, Leroux, Louis Blanc. Grzymala, Félicie Sandeau, etc., etc.

7. Suite et fin de la correspondance avec Michel de Bourges, qui n’a pas paru dans la Revue illustrée.

8. Lettres inédites à George Sand par divers : Mlles Emilie Wismes, Jane, Aimée et Chérie Bazouin ; Mlle Crombach, Mme d’Agoult, MMmes Pauline Viardot, Arnould Plessy ; MM. F. Rollinat et la famille Rollinat, Néraud, de Latouche, de Sèze, les frères Leroux, Em. Arago, Geof.-Saint-Hilaire, Meyerbeer, Chopin, Liszt, Dessauer, Muller-Strubing, Charles Marchal, Bakounine, Magu, Gilland, Perdiguier, etc., etc.

9. Lettres de M. Dudevant et d’Aurore Dudevant à leurs avocats, lors de leur procès, tous les documents concernant ce procès et les lettres de Dudevant à Hippolyte Chatiron, s’y rapportant.

10. Lettres à Marie Dorval.

11. Journal complet envoyé en 1835 à Musset et dont Mme Jaubert et sa fille avaient pris une copie (comme l’affirme Paul de Musset). Voir les chapitres viii et ix de ce livre.

12. Lettres de Dudevant à sa femme.

II. — Toutes sortes de documents inédits, billets, notes, lettres, se trouvant dans des archives privées.

III. — Calepins, cahiers et journal intime de G. Sand, de 1817 à 1876.



SOURCES LITTÉRAIRES ET BIBLIOGRAPHIQUES


I. — Ouvrages et mélanges autobiographiques et demi-autobiographiques de George Sand :

Un voyage en Auvergne ;

Lettres d’un voyageur ;

Histoire de ma Vie ;

Nouvelles lettres d’un voyageur ;

Journal d’un voyageur pendant la guerre ;

Souvenirs de 1848 ;

La blonde Phœbé ;

Mon grand oncle ;

La nuit d’hiver ;

Fragment d’un roman qui n’a pas été fait ;

Impressions et souvenirs ;

Promenades autour d’un village.

II. — Mémoires et Souvenirs par divers.

III. — Monographies, biographies, cours de littérature, articles de journaux, encyclopédies, dictionnaires, notes et notices les plus courtes se rapportant à George Sand, à son époque, ou à ses contemporains.

IV. — Œuvres d’imagination, vers, nouvelles, romans, etc., contenant des données biographiques ou autobiographiques, et fréquemment cités comme « sources » pour l’histoire de George Sand.

Nous nous sommes déjà prononcés là-dessus : ces prétendues sources ne peuvent guère servir que d’illustrations à L’histoire véritable.

V. — Œuvres complètes de George Sand.

Enfin, nous avons pu profiter des indications et des renseignements oraux donnés par des parents, des amis et des contemporains de George Sand.


Résumons-nous : dans notre travail, nous tâcherons de ne point nous éloigner des faits vérifiés sur documents, nous ne nous engagerons pas dans des hypothèses, nous ne suivrons point notre imagination là ou les faits positifs font défaut, nous tâcherons en général d’être strictement historique, et enfin, nous nous souviendrons de ce que Pouchkine a dit à propos de Voltaire : « Tout nous est précieux d’un grand homme, même le mémoire de son tailleur. »





CHAPITRE II

Ancêtres et parents de George Sand. — Aurore Dupin considérée sous le point de vue de ses traits héréditaires.


George Sand naquit à Paris le 1er juillet 1804, dans la maison portant le n° 15 de la rue Meslay. Tous ses biographes indiquent pourtant, presque unanimement, le 5 juillet comme date de sa naissance. George Sand elle-même était restée longtemps dans l’erreur à ce sujet. Elle croyait être née le 5 juillet, jour qu’elle fêta toute sa vie, et ce ne fut que peu d’années avant sa mort qu’elle apprit la vraie date. Pour ne rien déranger aux vieilles habitudes de famille, elle continua de célébrer le 5 son anniversaire de naissance. Aux pages 69, 72, 74 et 77 (ch. viii du tome II de l’Histoire de ma Vie[53], édit. Lévy), George Sand place sa naissance au 5 juillet 1804 (16 messidor an XII de la République, an I de l’Empire), mais à la page 81 du même livre, elle donne déjà la date exacte du 12 messidor (1er juillet). Elle raconte, dans le même ouvrage, que plusieurs de ses parents croyaient qu’elle avait été inscrite dans le registre de la mairie au lieu d’une sœur ou d’un frère à elle, mort tout enfant, tandis qu’elle-même serait née en 1802. Ce n’est qu’en 1847, lorsqu’elle était en train de ranger certains papiers de famille, qu’elle découvrit qu’elle était bien elle-même, et non l’usurpatrice involontaire de l’état civil d’une autre. Voici ce document authentique qui ne permet aucun doute sur son jour de naissance. À la sacristie de l’église de Saint-Nicolas des Champs, on trouve ce qui suit dans l’un des registres :

« L’an mil huit cent quatre, le 2 juillet, a été baptisée Amandine-Aurore-Lucie, fille légitime de Maurice-François Dupin, et de Antoinette-Sophie-Victoire de la Borde, rue Meslée, n° 15.

« Parrain a été Armand-Jean-Louis Maréchal. Marraine a été Marie-Lucie de la Borde, tante de l’enfant[54]. »

George Sand dit dans l’Histoire de ma Vie que sa venue au monde ne coûta presque aucune souffrance à sa mère.

Parée, ce jour-là, à l’occasion d’une fête de famille, Sophie-Antoinette dansait joyeusement aux sons du violon du jeune Dupin, dans un cercle d’amis intimes. Au milieu d’une contredanse elle sentit les premières douleurs, se glissa inaperçue dans la chambre voisine, et bientôt, sa sœur vint annoncer au jeune mari qui n’avait pas quitté son violon, qu’une fille venait de lui naître. Le lendemain, la même jeune tante, accompagnée de son fiancé Maréchal, assista comme marraine, au baptême du nouveau-né, à qui on donna le nom d’Aurore en l’honneur de sa grand’mère, et celui de Lucie en l’honneur de sa tante. Au baptême de la « Belle au Bois dormant » (qui, disons-le en passant, se nommait aussi Aurore), douze bonnes fées et une méchante, réunies autour du berceau, exprimèrent leurs bons souhaits, auxquels se mêla une funeste prédiction. La marraine d’Aurore Dupin, interprétant naïvement les auspices qui accompagnaient la venue au monde de sa filleule — la couleur rose de la robe de sa mère et les sons de la musique de son père — prédit à l’enfant une vie de bonheur. Mais au-dessus de la simple corbeille d’osier qui servit de berceau à l’enfant flottaient aussi, invisible et puissantes, des forces mystérieuses, et bien que l’avenir de la petite Aurore fût entouré de plus de bons présages que de mauvais, ce n’est pas par pur caprice de sorcière que la future George Sand était prédestinée à subir de grandes tempêtes, à connaître beaucoup de revers et de malheurs.


Aurore Dupin apportait avec elle en ce monde les qualités et les défauts les plus divers, des traits de génie et des vices héréditaires qui, soit développés et fortifiés d’une génération à l’autre, soit modifiés et affaiblis sous l’influence d’éléments étrangers, atteignirent en elle leur plus haute expression. En prêchant, non sans arrière-pensée, et, nous le présumons, pro domo sua (et cela bien avant Émile Zola), la théorie de l’hérédité, George Sand démontre, à l’évidence, que chacun de nous est comme le produit de toute une série de générations, d’où il ressort que tous nos vices et nos vertus, toutes nos actions bonnes ou mauvaises, sont comme prédestinées et dépendent bien moins de notre volonté personnelle ou de notre éducation que des traits héréditaires de notre nature physique et morale. Le tome premier tout entier et une partie du tome II des Mémoires de George Sand sont consacrés à l’histoire de son bisaïeul et de sa bisaïeule, de son grand-père et de sa grand’mère, de son père, de sa mère et de ses autres parents, ainsi qu’à la correspondance entre la grand’mère et le père de notre héroïne. Des lecteurs naïfs se sont plaints de ces « longueurs ». Des critiques plus malveillants que perspicaces n’y ont même vu qu’un calcul pécuniaire peu honorable de la part de George Sand et du directeur de la Presse, Émile de Girardin. Il n’y a que bien peu de personnes[55], qui aient montré assez de perspicacité en démêlant le but de George Sand. Il est certain que, dans son Histoire, elle fournit avec beaucoup d’habileté, à tout lecteur attentif, la clé indispensable pour pénétrer son caractère, son tempérament, tout son être intime, en racontant en détail l’histoire d’une série de ses ancêtres, en soulignant leurs traits divers ou quelques particularités et anecdotes de leur vie.

Sans entrer dans ces détails et sans vouloir reproduire ici ce que chacun peut lire lui-même dans l’Histoire de ma Vie, nous retracerons brièvement la généalogie d’Aurore Dupin et nous nous arrêterons ensuite aux traits de caractère que ses ancêtres ont indubitablement transmis à George Sand, chez qui on les retrouve sous une forme tantôt affaiblie, tantôt saillante. Avant tout, nous attirons l’attention du lecteur sur cette profusion d’unions et de naissances illégitimes, sur toute cette série de sœurs et de frères naturels vivant en paix sous le même toit que les enfants légitimes, sur tous ces maris et femmes adoptant les enfants les uns des autres, vivant d’accord dans l’oubli du passé. Toutes ces singularités, on les observe de génération en génération dans cette famille issue d’Auguste II et contractant des unions avec d’autres familles non moins anormales ou étranges. L’anomalie, la bizarrerie et l’inconstance des unions semblent fatalement attachées, non seulement aux aïeux directs de George Sand, mais encore à la plupart des familles alliées d’une façon ou d’une autre à la sienne. L’un des biographes anglais de George Sand[56] cite, avec beaucoup de justesse, cette circonstance comme servant à justifier beaucoup de faits de sa vie, ainsi que son opinion sur ce qu’on appelle le libre amour et la « facilité » avec laquelle elle l’envisageait. Ce n’est pas seulement le tempérament sensuel et passionné de la famille qui se manifestait chez elle, mais aussi les exemples dont elle avait été témoin dans son enfance, cette atmosphère de relâchement moral qu’elle respirait et dans laquelle elle grandissait, ce ménage où le père et la mère avaient des enfants « de provenance inconnue », ce qui n’était ignoré de personne, et où cet ordre de choses, plus qu’étrange, était considéré comme simple et naturel. Ces impressions et les déductions inconscientes qui en résultaient s’incrustèrent pour toujours dans l’âme de George Sand. Jusque dans sa vieillesse, mère et grand’mère idéale, d’une exigence morale sévère pour elle-même et les autres, elle ne put jamais se défaire d’une certaine indulgence lorsqu’il s’agissait de ce qui s’appelle l’amour physique. Elle se montra toujours indulgente dans ses jugements sur les liaisons des jeunes amis et des parents qui l’entouraient. Le respect que nous devons à des personnes qui sont encore en vie ne nous permet pas d’initier le lecteur à des faits, à des récits que nous connaissons, mais nous ne pouvons passer sous silence l’étrange impression qu’ils ont produite sur nous. Ceux qui nous les ont racontés ne nourrissaient aucune malveillance envers George Sand ; ils n’avaient d’autre but que de prouver la largeur de ses opinions et son indulgence envers la pauvre humanité pécheresse. Ce trait de George Sand, nous l’attribuons bien plus aux habitudes de pensée héréditaires et aux impressions premières de son enfance et de son adolescence, qu’à l’influence postérieure des théories romantiques de 1830.

La table généalogique[57] d’Aurore Dupin nous apprend


I
  Frédéric-Auguste II,
électeur de Saxe
— (Aurore de Kœnisgmark)
|

Auguste III
roi de Pologne
|
Marie Josepha de Saxe
(épouse du Dauphin, fils de Louis XV)
|
Louis XVI, Louis XVIII, Charles X

|

Maurice, comte de Saxe
— (Mlle de Verrières) |
Marie Aurore de Saxe
(en première noce mariée au comte de Horn
puis Mme Dupin de Francueil)
|
Maurice François-Elisabeth Dupin (marié à Sophie-Victoire-Antoinette Delaborde)
|
Aurore Dupin (George Sand)

II
Jean-Georges, électeur de Brandebourg.

Joachim-Frédéric
électeur de Brandebourg
|
Jean-Sigismond
électeur de Brandebourg
|
Georges-Guillaume
électeur de Brandebourg
|
Frédéric-Guillaume
le Grand Électeur
|
Frédéric Ier
roi de Prusse
|
Frédéric-Guillaume Ier
|
Henri-Auguste
prince de Prusse
|
Frédéric-Guillaume II
|
Frédéric-Guillaume III
|
Guillaume Ier

 

Christian
Margraw de Bayreuth
|
Madeleine-Sybille
électrice de Saxe
|
Jean-Georges III
électeur de Saxe
|
Auguste II
électeur de Saxe, roi de Pologne
|
Maurice
comte de Saxe
|
Marie-Aurore de Saxe
|
Maurice Dupin
|
Aurore Dupin

Ce fut un certain Charles Delgaben qui envoya de Norvège, en 1872, ce second tableau à George Sand. Elle le communiqua à Henri Amic, et c’est au livre de ce dernier que nous l’empruntons (Henri Amic. « George Sand, Mes Souvenirs »). qu’elle descendait en ligne directe d’Auguste II électeur de Saxe et roi de Pologne. L’un des nombreux enfants naturels d’Auguste, né de la comtesse Aurore de Kœnigsmark, beauté célèbre en son temps[58], fut le maréchal Maurice de Saxe, l’illustre vainqueur de Fontenoy, prétendant manqué à la main d’Elisabeth Pétrowna et à celle d’Anna Iwanowna, mais amant heureux d’Adrienne Lecouvreur et de beaucoup d’autres dames et demoiselles, entre autres, d’une certaine Marie Rinteau qui chantait à l’opéra sous le nom de Mlle de Verrières. De sa Maison avec cette dernière, il naquit une fille, Marie-Aurore, d’abord inscrite sur les registres de l’église comme fille d’un petit bourgeois, mais reconnue plus tard, par un acte du Parlement, comme fille du maréchal ; aussi reçut-elle le nom de Marie-Aurore de Saxe. Confiée par le maréchal aux soins de la Dauphine, dont il était l’oncle naturel, Marie-Aurore fut d’abord placée par cette dernière à Saint-Cyr, puis elle resta toujours sous la surveillance de sa royale cousine. Est-ce par suite de cette circonstance, ou tout simplement parce qu’elle n’avait pas hérité du tempérament dangereux de son père ni la légèreté de sa mère, toujours est-il que la fille de ce Maurice de Saxe, si célèbre par ses incroyables aventures galantes, présente une remarquable exception parmi ses aïeux et ses descendants. Non seulement on ne trouve dans sa vie aucune liaison illégitime, on n’y trouve aucun roman. Mariée à deux reprises, elle fit, chaque fois, ce que l’on appelle un mariage de raison. Unie à quinze ans au comte de Horn, fils naturel de Louis XV[59]. elle n’eut aucune relation avec son mari, sauvée qu’elle fut des suites affreuses de cette union par le vieux valet de chambre du comte, qui eut pitié de la pauvre jeune fille et avertit son frère. Trois semaines après son mariage elle était veuve, son mari ayant été tué dans un duel au milieu des fêtes données à l’occasion de sa nomination au poste de « lieutenant du roi » à Schelestadt en Alsace. La jeune veuve retourna auprès de sa mère ; puis, sur les instances de la Dauphine, elle s’installa à l’Abbaye aux Bois. Après la mort de sa protectrice, elle alla encore rejoindre sa mère qui, accompagnée de sa sœur, actrice également en retraite, menait, après en avoir fini avec ses prouesses de théâtre et autres, une existence paisible, entourée d’amis plus ou moins lettrés, cultivant les muses, c’est-à-dire s’occupant de musique ou passant leur temps à lire les chefs-d’œuvre de poésie et de philosophie, à participer à des spectacles de société, à des charades, etc. Marie-Aurore passa une quinzaine d’années avec sa mère, s’occupant comme elle de belles-lettres et d’art, prenant part à des spectacles de société, vivant constamment en contact avec les hommes les plus cultivés et les plus intellectuels de son époque[60]. Flattée par les madrigaux qu’écrivaient en son honneur des amis de tout genre, entourée de l’adoration des habitués de Mlle de Verrières, avec leur morale plus que légère du xviiie siècle, Marie-Aurore sut « garder à ses plumes, blanches comme de la neige, une pureté immaculée ». Plus tard, à l’âge de trente ans, elle jugea raisonnable d’épouser un vieillard fort riche et très aimable, M. Dupin de Francueil. Au bout de dix années paisibles de mariage, cet époux idéal, selon elle, mourut en lui laissant, avec un fils unique, une grosse fortune. Malheureusement, cette fortune était grevée de dettes, parce que Dupin avait vécu comme on vivait dans le « bon vieux temps », préoccupé, avant tout de se rendre à lui-même et à ses proches la vie agréable, sans aucun souci de l’avenir. « Après nous le déluge. »

Nous trouvons dans l’Histoire de ma Vie un excellent portrait de cet élégant et aimable représentant de l’ancien régime et de son existence insouciante, consacrée aux lettres et aux arts et à toutes les jouissances d’une culture raffinée. Il dessinait, se livrait à des travaux manuels, jouait du violon, lisait beaucoup, se tenait au courant de la littérature contemporaine, connaissait tous les hommes éminents de son époque (il eut même, pendant quelque temps, Jean-Jacques Rousseau pour secrétaire). Morose, ou malade, ou désœuvré, il ne l’était jamais, considérant ces « trois choses » comme indignes d’un gentilhomme correct et sachant dissimuler ses souffrances jusqu’à sa dernière heure. Ce qu’il cherchait avant tout, c’était d’empêcher sa jeune femme de s’ennuyer auprès de lui. Il y réussit pleinement, elle ne rappela jamais plus tard qu’avec attendrissement le souvenir de son vieil époux. Mais lorsqu’elle s’avisa, après sa mort, de mettre ses affaires en ordre, elle s’aperçut que la moitié de sa fortune était dissipée. Après avoir acquitté toutes les dettes de feu son mari, Mme Dupin de Francueil put, avec le restant de sa fortune, acheter au sieur Piaron de Serennes son domaine — Nohant — qu’il avait acquis dans Le Berry au moment de la vente des biens nationaux. Elle s’y installa en 1795, et consacra toute sa vie à l’éducation de son fils adoré. Elle lui donna pour précepteur un certain Deschartres, un abbé qui, après la révolution, jeta sa soutane, s’adonna à l’étude des sciences naturelles et de la médecine, devint assez bon chirurgien, et fut, dans la suite, l’instituteur de George Sand elle-même. Il se montra toujours tout dévoué à Mme Dupin, à son fils, et plus tard à sa petit-fille ; nous aurons encore maintes fois l’occasion de parler de lui.

Le jeune Maurice Dupin grandit dans la même sphère intellectuelle que sa mère. Il aimait à s’occuper d’art ; il jouait fort bien du violon, avant pour la musique de grandes dispositions qu’il avait probablement héritées d’elle, ainsi que de son père et de sa grand’mère, et il aimait passionnément le théâtre. Sa mère L’adorait et il le lui rendait bien. La tempête de la Révolution qui éclata avec la même violence sur les bons et sur les méchants, sur les ennemis des doctrines libérales comme sur ses adeptes (Mme Dupin en était une ; elle partageait sérieusement les idées de Voltaire et de Rousseau et ne se contentait pas, comme la plupart des gens de son monde, de copier les petits pamphlets contre Marie-Antoinette ou de débiter des méchancetés contre la famille royale), cette tempête, disons-nous, faillit perdre les Dupin. Ils eurent à supporter des perquisitions, des « descentes à domicile », des arrestations et des incarcérations ; tout ce qu’ils blâmaient, eux et les autres aristocrates libres-penseurs, dans l’ancien régime, fut alors pratiqué par les représentants du nouvel ordre de choses. Les Dupin purent enfin, heureusement, sortir sains et saufs de toutes ces épreuves, mais l’ancien cours normal de leur existence se trouvait bouleversé ; ce qui souffrit surtout, ce fut la régularité de l’éducation de Maurice Dupin qui fut à jamais interrompue. Il avait à peine seize ans. Élevé par sa mère dans l’esprit des idées « d’égalité, de fraternité, de liberté, » alors triomphantes (elle envisageait cependant avec horreur la réalisation de ces idées au moyen de la guillotine et des autres violences de l’époque), il entra, une année plus tard, dans les rangs de l’armée républicaine. Simple soldat, d’abord, sous les ordres de Masséna, puis attaché à la personne du général Dupont, il fit, de 1796 à 1808, toutes les campagnes républicaines et impériales, traversa l’Allemagne, L’Italie et l’Espagne, fut blessé, fait prisonnier par les Autrichiens, et devint plus tard le brillant aide de camp du brave Murat. Il mourut subitement en 1808, tout jeune encore, désarçonné par un cheval ombrageux et tué sur place, pendant un congé qu’entre deux campagnes il passait à Nohant, chez sa mère. Sa correspondance avec sa mère nous le dépeint comme un jeune homme exubérant de vie, un peu étourdi, mais généreux et loyal, une nature franche et artistique, véritable type des vaillants soldats de la République.

Pendant les campagnes d’Italie, il fit la connaissance d’une jeune personne fort avenante et jolie, Sophie-Antoinette-Victoire Delaborde, qui partageait la vie de camp d’un vieux général. Celui-ci était riche, tandis que le jeune officier qui n’était pas encore entièrement remis de sa blessure, et qui se trouvait presque sans le sou après son retour de captivité, n’avait pour tout bien qu’un cœur aimant et un physique agréable. Il n’en est pas moins facile à deviner que la jeune femme envoya sa démission au vieux général et préféra suivre Maurice Dupin en France. Cette liaison devint plus sérieuse que ne l’aurait pu faire supposer la facilité de son début, et qu’elle ne parut d’abord à Mme Dupin qui était au courant de toutes les aventures de son fils ; elle élevait même un enfant, fruit d’une des anciennes liaisons passagères du jeune Dupin, ce frère naturel de George Sand, Hippolyte Châtiron, avec qui notre héroïne fut toujours si liée. Lorsque Sophie Delaborde fut enceinte, Maurice Dupin résolut de l’épouser. Mme Dupin fut naturellement effrayée en apprenant cette résolution de son fils et mit en œuvre tous les moyens, légitimes ou non, pour empêcher ce mariage. Le passé de Sophie Delaborde (George Sand a essayé de le gazer, mais elle aurait peut-être mieux fait de ne pas en parler du tout) était plus que douteux, et d’ailleurs, ce n’était guère une compagne assortie pour le fils d’une femme aussi distinguée, aussi instruite et aussi cultivée que Mme Dupin. C’est à tort que plusieurs biographes de George Sand, surtout nos écrivains russes de 1850 à 1880, nous présentent Marie-Aurore sous les traits d’une « vieille aristocrate imbue de préjugés et de morgue » ; nous allons bientôt voir à quel point elle avait raison en s’opposant à ce mariage, et nous pouvons déjà, dès à présent, comprendre les sentiments qui la guidaient. Il se peut que Dupin se fût bientôt convaincu de la justesse du jugement de sa mère, si celle-ci avait pu lui parler avec calme et lui montrer combien son choix était peu satisfaisant, mais l’affaire fut menée trop brusquement. Des personnes bien intentionnées, Deschartres surtout, par leurs cancans, leurs services maladroits et leur excès de zèle à aider Mme Dupin à rompre ce mariage, gâtèrent tout irrévocablement, amenèrent la discorde entre la mère et le fils et, finalement, au lieu de réussir à dissoudre ce mariage, ils en accélérèrent l’accomplissement. Le 16 prairial[61] 1804 (au commencement de juin), c’est-à-dire moins d’un mois avant la naissance de la future George Sand, Dupin, à l’insu de sa mère, signa, par-devant le maire du IIe arrondissement de Paris, son contrat de mariage avec Sophie Delaborde. En 1804, le mariage civil à la mairie primant déjà, de par la loi, le mariage religieux, il s’ensuivit que, lorsque Mme Dupin, avertie de ce qui s’était fait, se rendit précipitamment à Paris pour rompre ce mariage, elle acquit, à son grand chagrin, la conviction qu’il était parfaitement valable et indissoluble, toutes les formalités ayant été observées. Notons en passant ce fait singulier : tandis que Sophie Delaborde, que les biographes à tendance s’obstinent à nous dépeindre comme la représentante des aspirations libérales des nouveaux temps, ne considérait le mariage à la mairie que comme une simple formalité et ne se crut réellement mariée qu’après l’avoir célébré à l’église, Marie-Aurore, que les mêmes biographes nous représentent comme « une vraie aristocrate farcie de préjugés », considérait le mariage à l’église au point de vue des philosophes du xviiie siècle ; elle trouvait que c’était là « une cérémonie inutile », et ce ne fut que sur les instances de sa bru qu’elle assista plus tard à cette « cérémonie ».

Mais nous anticipons sur les événements : à ce moment de notre récit Marie-Aurore ne voulait plus entendre parler de son fils en révolte, et lui avait défendu de se présenter à ses yeux.

Quelques mois s’écoulèrent ainsi, mais le jeune Dupin recourut à une ruse dans le but d’amadouer sa mère dont il savait toute la tendresse. Un beau jour, la concierge de la maison où demeurait Marie-Aurore, vint déposer sur les genoux de la vieille dame une fillette mignonne, mais robuste, en disant que c’était un enfant que l’on avait confié à ses soins. Marie-Aurore se mit à caresser la petite, à jouer avec elle, la réchauffant dans ses bras, et, tout à coup, dans ce bébé aux yeux noirs, son cœur devina l’enfant de son fils adoré ! Tout ébranlée dans ses sentiments, elle repoussa la petite qu’elle voulait aussitôt renvoyer. Le jeune Dupin qui attendait, en bas de l’escalier, la décision de son sort, se précipita, sur un signe de la concierge, dans la chambre où se tenait sa mère, tomba à ses genoux et obtint un pardon. Comme gage de réconciliation, Marie-Aurore passa au doigt mignon de l’enfant la bague de rubis qui venait de lui servir de jouet, recommandant de la remettre à la mère du bébé, ce que Maurice Dupin fit religieusement, et George Sand garda toujours cette bague à son doigt. Quelque temps après, Marie-Aurore consentit aussi à voir sa belle-fille et retourna ensuite à Nohant. Les jeunes époux, mariés à l’église en automne, restèrent à Paris.

Maurice Dupin fut de nouveau obligé de retourner à son poste, et sa femme habita avec Aurore et son aînée Caroline, une fille naturelle, un petit appartement à Paris. Ce fut là que George Sand passa ses premières années dans les conditions les plus modestes d’un petit ménage bourgeois.

Arrêtons-nous un instant sur les traits du tempérament, du caractère, de l’esprit et de la nature de George Sand, traits, qu’indubitablement, elle hérita de ses ancêtres et qu’elle semble d’ailleurs souligner elle-même au cours de son récit. Auguste II, qu’elle n’appelle avec trop d’indulgence que « le plus étonnant débauché de son temps », avait passé à son fils sa nature sensuelle et dépravée, son goût des aventures galantes. Mais Maurice de Saxe, ce fils plus que libertin de ce grand libertin du xviiie siècle, ce coureur d’aventures qui en était arrivé à perdre un trône pour une fredaine presque comique avec une beauté de garnison[62] — ce même Maurice de Saxe, nature rien moins que vulgaire, était doué d’une intelligence remarquable, portée aux idées originales et aux vues générales d’une grande élévation. Sous sa tente de soldat il pensait au bien public, il rêvait des utopies sociales, visant à introduire dans les différents pays de l’Europe un meilleur ordre de choses, et portait, jusque dans les questions spécialement militaires, cet esprit critique et profondément humanitaire qui sait amener des réformes. Qui ne sera étonné d’apprendre, par exemple, que ce Condottiere du xviiie siècle rêvait déjà d’introduire le service militaire obligatoire en remplacement du système de recrutement de son époque, et qu’il a laissé à ce sujet un mémoire fort curieux. Comme on peut bien le croire, ces tendances politico-économiques et sociales de Maurice de Saxe n’ont pas été mises en oubli par son arrière-petite-fille : elle s’étend là-dessus avec une visible complaisance (ch. vi du tome I de l’Histoire de ma Vie).

La fille de Maurice de Saxe hérita de ses parents leurs heureuses qualités sans rien hériter de leurs défauts et de leurs faiblesses. On ne lui voit rien de l’esprit léger de sa mère, la joyeuse Mlle de Verrières, mais on retrouve en elle tout son talent musical et sa passion pour la littérature et les occupations littéraires. Elle était excellente musicienne, chantait à ravir et devint plus tard le professeur de sa petite-fille, non seulement pour lui enseigner le piano, mais aussi pour lui inculquer les premières notions de la science musicale. Type des libres-penseuses de son temps, imbue des idées des encyclopédistes, pleine de mépris pour les usages, les superstitions, pour tout ce qui est « irrationnel », enthousiaste de toute conquête dans le domaine de la pensée libre, elle s’occupa toute sa vie des travaux de l’esprit. Elle lisait beaucoup, faisait des extraits et des résumés de ses lectures, prenait des notes : les cahiers qu’elle a laissés, pleins de notes et d’observations, témoignent du sérieux et de la force de son intelligence. Marie-Aurore avait sans doute hérité de Maurice de Saxe cette direction d’esprit. Elle était, comme lui, encline à systématiser, à s’occuper de questions sociales et philosophiques ; heureusement pour elle, elle n’avait rien hérité de son tempérament passionné ; de toutes les passions elle ne connut que celle de l’amour maternel. À l’observer de plus près, on verra cependant qu’elle a porté dans cet amour maternel, pour son fils d’abord et pour sa petite-fille ensuite, deux éléments de passion : la jalousie et l’intolérance, Elle transmit son goût musical et littéraire à son fils, Maurice Dupin, qui, cependant, hérita avec son sang, en passant par-dessus une génération, de la nature passionnée et sensuelle de son aïeul. Son père, Dupin de Francueil, qui s’était fait remarquer en son temps comme un brillant galantin et un aimable cavalier, lui avait aussi transmis, avec sa « galanterie », son aimable légèreté. Les lettres de Maurice Dupin à sa mère, pendant que celle-ci était en prison, et celles surtout qu’il lui adressait du théâtre de la guerre, décèlent un véritable talent littéraire. Aussi, n’est-ce pas sans raison que George Sand en a publié un si grand nombre. Tout lecteur attentif se dira tout naturellement en les lisant : « Ah, je comprends maintenant pourquoi George Sand, dès ses premiers débuts dans la carrière littéraire, a fait preuve de tant de qualités de style ; je comprends maintenant sa facilité d’écrire ; c’était inné en elle, le talent d’écrivain était son sang[63]. » Ce n’est pas toutefois de son père, c’est de son aïeule en sautant encore une génération, que George Sand hérita de cet esprit un peu didactique, enclin aux utopies et à la systématisation. Elle a aussi bien raison, hélas, d’affirmer, que chacun de nous « tient plus encore de sa mère que de son père ». Et la mère de George Sand était une nature passionnée, qu’aucun frein d’éducation ne retenait, c’était un être primitif et vulgaire, une femme vive et artiste, mais quasi inculte, guidée uniquement par son instinct et son imagination, une exaltée et une déséquilibrée, dénuée de cette finesse morale qui — transmise à sa fille — aurait pu atténuer chez elle le tempérament dangereux et trop ardent de son père.

Nous pouvons nous dispenser, nous semble-t-il, de reproduire ici le tableau généalogique de la famille d’Auguste II en le commentant de notes dans le genre de celles qui parent l’arbre généalogique des Rougon-Macquart : « le trisaïeul et la trisaïeule, natures foncièrement sensuelles » ; « le bisaïeul, forte personnalité et esprit utopique » ; « la bisaïeule, artiste » ; « la grand’mère, lettrée et esprit fort » ; « le père, nature passionnée et artistique, talent musical et littéraire » ; « la mère, nature primitive, tempérament déséquilibré, exaltation et prépondérance de l’imagination » ; etc. Le lecteur, nous l’espérons, trouvera néanmoins fondée la conclusion suivante que nous déduirons de tout ce que nous avons dit jusqu’ici :

George Sand, cœur ardent, plein de pitié et de l’altruisme le plus profond ; esprit froid, enclin à tout systématiser, à tout généraliser, mais incapable d’opposer la moindre résistance à une utopie ou à la violence d’une passion ; tempérament passionné ; nature artiste dans le sens le plus large du mot ; imagination exaltée ; talent littéraire de première source et de première force.

Telle fut, en réalité, George Sand. Dès son plus jeune âge, ce fut une nature exceptionnelle, douée de rares qualités intellectuelles, mais portant en elle de funestes traits héréditaires. Son éducation, si elle en eut vraiment une ! — l’atmosphère sociale au milieu de laquelle s’écoulèrent ses premières années (les premières de l’Empire), — la vie nomade, les brusques changements dans le genre et les conditions de l’existence, ce passage perpétuel d’un milieu à un autre : du terne et bourgeois petit monde maternel dans le monde des grandeurs déchues, mais élégant et raffiné de l’aïeule, ou bien dans le brillant et bruyant milieu des guerriers napoléoniens — auquel appartenait son père, — tout cela rendit cette nature hors ligne plus individuellement exceptionnelle encore, et fit prendre à ses dons naturels une extension et une voie non moins extraordinaires.


CHAPITRE III
(1804-1817)

Premières années. — Les contes « entre quatre chaises ». — Napoléon. — Madrid et Murat. — Nohant. — L’aïeule et la mère. — Dédoublement moral ; impressions artistiques. — Premiers essais Littéraires. — « Corambé. » — Le Berry et la vie des champs. — La religion et le théâtre.


Les trois premières années de la vie d’Aurore Dupin s’écoulèrent dans le petit logis de ses jeunes parents (rue Grange-Batelière). Peu de temps après la naissance de sa fille, Dupin fut obligé, comme nous l’avons dit, de retourner à l’armée, et Sophie-Antoinette resta toute seule avec deux enfants, la petite Aurore et son aînée Caroline. La jeune femme menait alors la vie la plus recluse et la plus modeste, sans voir personne, à l’exception de sa sœur, mariée à ce même Maréchal, qui avait été son compère au baptême d’Aurore et demeurait à Chaillot[64], et de quelques connaissances et amis, dont le plus intime était un certain Pierret, bon bourgeois, dévoué comme un chien à Sophie et à son mari. Tous ses soins étaient consacrés à ces deux petites filles. De temps à autre on organisait des excursions dans les environs de Paris, ou l’on allait en bande passer une soirée au théâtre. Mais Le plus souvent, Sophie restait à La maison, cousant ou vaquant aux soins de son ménage, pendant que les deux fillettes jouaient auprès d’elle ou descendaient dans la cour pour s’amuser avec de petits voisins qui faisaient des rondes en chantant des airs simples et populaires. Il y avait entre autres, un air bien connu, même des enfants russes, qu’Aurore ne pouvait entendre sans émotion :

      Nous n’irons plus au bois
      Les lauriers sont coupés… etc.

Elle en éprouvait une tristesse inexprimable ; il lui semblait, en l’entendant, avoir perdu quelque chose précieux. Ce fut la première manifestation vague du sentiment poétique qui se fit remarquer chez le futur écrivain.

Caroline fut mise plus tard en pension, et la jeune mère, dans la crainte de laisser seule dans la cour la plus petite de ses filles, et trop occupée elle-même pour la surveiller personnellement, inventa un moyen ingénieux pour l’empêcher tout à la fois de se sauver et de la déranger dans les soins de son ménage. Elle arrangeait, à cet effet, une espèce de petit enclos, à l’aide de quatre chaises, et mettait au milieu, en guise de tabouret, une chaufferette sans feu. La petite Aurore qui montra presque dès ses premières années une tendance extraordinaire à la songerie, à la rêverie, les yeux grands ouverts, restait là des heures entières, se débitant à elle-même des histoires interminables, ou en inventant de véritables épopées, dont elle interprétait, à elle seule, tous les personnages imaginaires et fantastiques. Jamais elle ne s’ennuyait entre ses quatre chaises, si longtemps que sa mère l’y laissât. Elle se racontait des romans d’une longueur démesurée, où elle entremêlait de la façon la plus fantaisiste tout ce que retenait sa mémoire : bribes de contes, de chansons, d’histoires mythologiques. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que déjà, à cette époque, sa mère et sa tante pouvaient constater qu’elle aimait les « longueurs » et que ses héros prononçaient des monologues sans fin. Sa tante lui demandait souvent : « Eh bien, Aurore, est-ce que ton prince n’est pas encore sorti de la forêt ? Ta princesse, aura-t-elle bientôt fini de mettre sa robe à queue et sa couronne d’or ? » Le fond de ces histoires, si toutefois nous en croyons George Sand sur parole, n’est pas moins caractéristique que leur forme, pour le futur grand écrivain. « Il y avait, dit-elle[65], dans les petits romans que je forgeais alors, peu de méchants êtres et jamais de grands malheurs. Tout s’arrangeait sous l’influence d’une pensée riante et optimiste comme l’enfance… » Quand elle en avait assez de ses monologues, Aurore se taisait et se mettait à rêvasser, capable de rester des heures entières sur son tabouret-chaufferette, les yeux fixés sur un seul point et plongée dans une longue méditation. Quelquefois, les autres parents d’Aurore s’alarmaient en surprenant la fillette dans cet état , mais la mère les rassurait en disant : « Laissez-la tranquille, je ne peux travailler en repos que quand elle commence ses romans entre ses quatre chaises[66]. »

Sophie-Antoinette contribua beaucoup à développer l’imagination et l’instinct artistique de sa fille. Elle-même était une âme simple, mais poétique et expansive. Tantôt elle chantait de sa petite voix sonore, tantôt elle racontait des contes à Aurore, mêlant sans scrupule les légendes pieuses à la mythologie et aux contes de fée. Fondée ou non, son idée était que l’élément fantastique est indispensable aux enfants, que le monde des rêves enchantés est beaucoup plus que la rigide et prosaïque réalité compréhensible et familière leur entendement. Sophie-Antoinette avait aussi en elle le sentiment inné du beau et ce fut elle qui, la première, déposa dans l’âme de la future George Sand, le germe de l’amour de la nature. Dans les promenades qu’elle faisait, d’abord à pied, avec la petite, et plus tard en voiture, lorsqu’elle traversait avec elle les pays inconnus, elle ne cessait d’attirer l’attention de l’enfant, tantôt sur les contours capricieux des nuages roses du soir, tantôt sur la fraîcheur et la couleur d’une simple fleurette des champs, tantôt encore sur les crêtes menaçantes des rochers qui bordaient la route. La petite Aurore, dont l’âme était grande ouverte (comme toutes les âmes enfantines), à toutes les impressions de la vie, était surtout avide d’impressions artistiques. La première fois qu’elle entendit les sons de la flûte d’un modeste mélomane qui s’exerçait à l’étage supérieur de celui qu’elles habitaient, l’enfant fut comme plongée dans une sorte d’extase. Chaque parole nouvelle ou insolite à son esprit, chaque image neuve agissait sur elle avec une violence extraordinaire. Comme elle le dit elle-même, elle rêvait des heures entières à ce mystérieux « œuf d’argent », dont il est question dans la chanson bien connue que sa mère lui chantait en la berçant. Dans son imagination enfantine, cet œuf était le comble du beau et du désirable.

Telle fut la vie de la petite Aurore dans le modeste appartement de sa mère.

Mais lorsque le jeune aide de camp de Murat arrivait en congé, sans qu’on l’attendît, le logement de la rue de la Grange-Batelière se remplissait bientôt de jeunes gens gais et bruyants. Les officiers chamarrés d’or faisaient sonner leurs éperons, racontaient leurs victoires, les campagnes difficiles auxquelles ils avaient pris part, les traits de bravoure dont ils avaient été témoins, l’héroïsme des soldats, et s’exaltaient surtout en parlant de lui, lui ! l’unique, le Grand ! La fillette écoutait avec ravissement ces échos de la grande épopée, et, en un clin d’œil tous ces récits étaient appliqués à des jeux d’enfant. La petite rêveuse, en compagnie de sa demi-sœur Caroline, de sa cousine Clotilde et d’autres enfants, se mettait à improviser et à mettre en scène tantôt une bataille, tantôt une retraite de nuit dans des lieux effrayants, tantôt une marche forcée à travers des montagnes et des précipices imaginaires. Tout était bon à ces enfants : chaises, armoires, tapis et canapés ; l’appartement s’encombrait de forteresses inexpugnables faites de tables et de commodes, retentissait d’exclamations triomphantes ; et les champs de bataille d’une toise carrée se trouvaient jonchés des cadavres de poupées mises en pièces. Et c’était toujours Aurore elle-même qui représentait Napoléon, le héros de l’époque ; son nom, son image flottait toujours devant elle. Un jour qu’elle se promenait avec sa mère et Pierret, Napoléon passa, et pour le lui faire voir, on éleva la fillette au-dessus de la foule. Napoléon se tourna un instant vers leur groupe, et Aurore aperçut le regard vif, pénétrant, inoubliable de deux yeux admirables. Sa mère s’écria avec enthousiasme : « Il t’a regardée ! » Elle croyait fermement que ce regard portait bonheur. Une autre fois — George Sand se le rappela parfaitement, — comme les enfants jouaient dans le petit jardin de Chaillot, on entendit derrière la haute clôture des acclamations, des piétinements de chevaux, et, quoique invisible, un brillant cortège passa bruyamment. La petite fille qui, du matin au soir, entendait parler du grand homme, devina aussitôt quel était celui que la foule acclamait de l’autre côté de la clôture, car il n’y avait que lui que l’on pût acclamer ainsi ! Ne serait-ce pas dans ces jeux enfantins, parodiant la grandiose épopée, surnommée l’épopée napoléonienne, et dans l’enthousiasme avec lequel tout le monde autour d’Aurore accueillait toute apparition du grand homme et gardait le souvenir de chacun de ses regards et de ces gestes, n’est-ce pas dans cette atmosphère d’adoration pour le petit Corse, qu’il faudrait chercher la source de ces sympathies indubitablement bonapartistes qui, durant toute sa vie, et en dépit des convictions républicaines qu’elle élabora plus tard, couvèrent à son insu dans l’âme de George Sand et se manifestèrent maintes fois à l’égard de différents membres de la famille de Napoléon le Grand ? Comme elle se plaisait à le répéter, George Sand appartenait au peuple par un des côtés de sa nature, et dans beaucoup de ses souvenirs et de ses récits d’alors, on retrouve les échos de cette même légende napoléonienne, toute populaire, que Balzac nous a si chaleureusement et si incomparablement racontée par la bouche du vieux soldat, dans le « Napoléon des champs », de son Médecin de campagne. Ces mêmes impressions, conscientes et inconscientes, du milieu militaire où elle avait vécu, permirent plus tard à George Sand de créer les types extraordinairement vivants de militaires que l’on trouve dans ses romans.

Mais, quand le congé du jeune aide de camp arrivait à sa fin, lorsqu’il devait regagner son poste, les jours se remettaient à couler paisiblement dans le logis de la rue Grange-Batelière, entrecoupés seulement, de temps à autre, par des excursions à Chaillot où l’on envoyait souvent Aurore sous la garde d’une laitière amie qui conduisait et ramenait la fillette. Comme nous le savons déjà, elle installait Aurore et sa cousine Clotilde dans les immenses paniers attachés sur le dos de l’âne qui portait le lait à Paris. À Chaillot, les enfants prenaient leurs ébats dans le jardin et jouaient à la guerre, représentant, comme en ville, les exploits des armées napoléoniennes, gravissant de hautes montagnes, franchissant des marais bourbeux et des rivières au cours rapide.

Mais bientôt Aurore dut affronter, sinon les batailles elles-mêmes, au moins les difficultés de la vie de campagne. Dupin eut à accompagner Murat dans la guerre d’Espagne. Sophie-Antoinette qui s’ennuyait d’être seule, et de plus était jalouse de son mari qui, semble-t-il, lui en fournissait souvent l’occasion par sa conduite, au fond irréprochable, mais en apparence fort légère, prit la résolution de le suivre à Madrid. Elle était alors enceinte, et il était de sa part peu raisonnable de risquer en cet état sa santé et celle de son enfant. Malgré tout, accompagnée d’Aurore et d’une dame de sa connaissance qui allait aussi rejoindre son mari en Espagne, elle quitta Paris en calèche, et après un pénible voyage qui ne s’accomplit pas sans quelques dangers, elle arriva à Madrid exténuée et couverte de poussière, et s’installa dans le palais abandonné de Godoy, prince de la Paix (Godoy, principe de la Paz). Ce palais avait été réservé à Murat et à son état-major. Inutile de souligner ici les profondes impressions que rapporta de ce voyage la nature impressionnable de la petite rêveuse de quatre ans, qui avait déjà trouvé, entre quatre chaises, matière à des rêveries fantastiques. Un peu plus tard, un autre enfant presque du même âge, un autre grand poète de la France, faisait avec sa mère le même voyage de Paris à Madrid pour rejoindre son père qui occupait le palais Masserano abandonné aussi par les Espagnols. Les impressions que produisit l’Espagne sur le petit Victor Hugo furent si fortes, que bien des années après, elles se reflétèrent dans ses poésies et drames espagnols, en leur prêtant un éclat tout particulier, ce cachet de grandeur, de force, de passion, d’austérité, dont tout est empreint en Espagne : nature, hommes et sentiments. Quelquefois même, les impressions qui lui étaient restées d’Espagne, lui servirent de modèle dans les meilleures scènes qu’il nous a données. Il est hors de doute que la galerie des vieux portraits du palais Masserano[67] qui avait si fortement frappé l’imagination de Victor Hugo enfant, ressuscita bien des années après dans l’admirable scène des portraits de son Hernani. George Sand n’a écrit aucune œuvre purement espagnole ; elle était en outre plus jeune que Hugo à l’époque où elle traversa les sombres gorges des Pyrénées, l’aride Castille brûlée par le soleil, couverte d’agaves, de cactus, dévastée par la guerre, et, lorsqu’elle errait dans les salles grandioses et vides d’un palais autrefois splendide, mais alors abandonné. Les pas de l’enfant éveillaient des échos dans le silence de mort des sombres appartements, et sa propre image, reflétée dans les glaces immenses de ce vide et triste palais, effrayait la fillette. Confiée aux soins de l’ordonnance de son père, Weber, un brave Allemand qui avait le petit défaut de « si mal sentir » que la petite tombait en défaillance à son approche, l’enfant préférait rester seule pendant des heures entières, contente de le savoir loin d’elle, et elle se promenait en liberté dans toutes les chambres du palais. Parfois, elle allait sur le balcon qui surplombait une place déserte, inondée de soleil, et y demeurait longuement, respirant l’air embrasé, comprenant vaguement les motifs du vide qui l’environnait, pensant à ceux qui l’avaient jadis habité, aux petits princes dont les jouets abandonnés étaient devenus les siens. Il lui semblait qu’elle vivait au milieu d’un conte devenu réalité, qu’elle était tombée dans un palais enchanté et que le beau prince des contes de fée s’y trouvait avec elle. Son prince imaginaire, c’était Murat, élégant, étincelant d’or et de diamants. Il enchanta complètement la petite rêveuse qui lui donna un surnom fantastique, celui de Fanfarinet, sans se douter, certainement, que ce surnom contenait une épigramme fort méchante. Murat se divertissait de sa petite adoratrice, qu’il nommait en plaisantant son aide de camp. Le petit aide de camp reçut en cadeau un costume masculin : culotte à la hussard, bonnet à poil, petites bottes à éperons et même un petit sabre. Les détracteurs de George Sand qui se montrèrent plus tard si scandalisés de son costume d’homme, pourront peut-être envisager comme précédent dangereux cette habitude qu’elle en prit toute jeune, et en déduiront même l’explication du fait qu’elle recourut si facilement à ce travestissement à d’autres époques de sa vie. (On peut en compter quatre ou cinq). Cependant, en 1807, Aurore Dupin était moins frappée du côté commode de son costume masculin que de son éclat, de sa beauté et de la ressemblance qu’il lui donnait avec son père adoré et avec Murat qui la ravissait. Ce costume lui parut bientôt trop lourd, vu la grande chaleur qui régnait à Madrid, et elle l’échangea volontiers pour la robe noire espagnole qui composait sa toilette ordinaire et celle que portait sa mère à cette époque.

Cette belle vie ne dura pas longtemps ; le moment de la célèbre retraite d’Espagne était venu pour les troupes françaises. Mme Dupin et ses enfants (elle avait accouché à Madrid d’un enfant aveugle et malingre) eurent à éprouver les incommodités de l’insuccès de l’armée. La retraite ressemblait à une fuite. Épuisées par la chaleur, les troupes rentrèrent en France atteintes de la gale, déguenillées et affamées. Non moins triste était la position des voyageurs qui les accompagnaient ; ils se voyaient forcés de ne jamais demeurer d’un seul pas en arrière dans un pays dont la population en révolte et guerrière suivait de près l’ennemi en retraite. Les braves troupiers partageaient tout ce qu’ils avaient avec la pauvre et faible femme qu’ils voyaient inquiète du sort de ses enfants, mais leurs efforts ne pouvaient empêcher la petite famille de souffrir de la chaleur, de la faim, de la soif et de la maladie. Ils offraient cordialement leur soupe aux enfants, mais ils leur passaient aussi le mal dont ils souffraient eux-mêmes. Les enfants furent atteints de la gale, et les Dupin exténués, grelottant la fièvre, se traînèrent ainsi jusqu’à Nohant, la propriété berrichonne de la vieille Mme Dupin, qui les reçut à bras ouverts. La vieille dame accapara immédiatement Aurore, lui fit faire connaissance avec son frère naturel Hippolyte, l’installa dans son propre lit à baldaquin, immense, frais et moelleux, et se mit à soigner la fillette avec une tendresse toute maternelle, la mère ayant besoin de repos. Les revers, les voyages, les contes avaient pris fin, et dans le calme du vieux Nohant, une paisible vie nouvelle commençait, promettant d’être heureuse.

Mais des malheurs ne tardèrent pas à fondre sur la petite famille, et l’on s’aperçut bientôt que la vie à Nohant ne serait ni paisible ni heureuse. D’abord le petit frère aveugle d’Aurore mourut, probablement de faiblesse et par suite de l’excès de fatigue du voyage. Peu de temps après, Maurice Dupin, après une petite scène de famille, parti à cheval pour La Châtre où il allait dîner chez de bons amis, fut, la nuit même, désarçonné à son retour par son cheval ombrageux, précipité sur un tas de pierres et tué dans sa chute.

La petite Aurore ne pouvait comprendre l’effroyable malheur qui s’était abattu sur elle, mais plus que personne elle eut à subir les conséquences du coup qui venait de frapper si inopinément sa famille. Impossible de dépeindre l’épouvante, l’angoisse et le désespoir des Dupin. Marie-Aurore faillit en perdre la raison. Elle ne put jamais se remettre entièrement de cette secousse, et tout le reste de sa vie fut consacré au souvenir de son fils adoré. Sophie-Antoinette se reprochait amèrement toutes ses jalousies envers son mari. Le vieux Deschartres qui, sous un masque de cuistre cachait le cœur le plus tendre et qui adorait son ancien élève, fut tellement frappé de cette mort que, — comme il l’avoua plus tard à Aurore, — d’athée, il devint croyant. La pensée que Maurice était à jamais perdu pour lui, qu’il ne le reverrait plus, frappait tellement son cœur aimant qu’il commença à croire à l’immortalité de l’âme.

La petite Aurore risquait de s’étioler entre ces trois êtres qui pleuraient du matin au soir, plongés dans un sombre désespoir. Mais la grand’mère, toute désolée qu’elle était, ne perdait pas de vue sa petite fille. Elle trouva avec raison, qu’il était malsain pour un enfant de vivre dans cette atmosphère de douleur et de larmes. — Elle donna ordre de faire venir du village la nièce de sa camériste Julie, la petite paysanne Ursule, pour servir de compagne de jeu à Aurore. Quelques jours plus tard, Ursule, installée à Nohant, devint bien vite l’amie de La petite Dupin et lui resta dévouée toute sa vie.

Aurore passait des journées entières dans le jardin et dans les champs en compagnie d’Ursule et d’Hippolyte. — Celui-ci était un petit garçon de neuf ans, robuste et pétulant, ayant toujours en tête les entreprises et les espiégleries les plus risquées. Ursule était une fillette délurée, loquace, d’un caractère très indépendant ; elle se posa tout de suite sur un pied d’égalité avec Aurore. Leur société fut très salutaire à cette dernière, et les premières années de sa vie à Nohant firent à sa santé un bien extraordinaire. Après toutes les impressions si peu enfantines des années précédentes, Aurore put se reposer dans cette calme existence villageoise, passant son temps au milieu de choses à son niveau, d’espiégleries et de jeux enfantins. Les Dupin passèrent deux ans à Nohant sans en sortir, et ces deux années s’écoulèrent heureusement et paisiblement pour la petite fille, surtout si l’on compare ce temps à l’avenir qui l’attendait.

Aurore avait à peu près cinq ans lorsque sa mère lui apprit à écrire. À peine l’enfant se fût-elle assimilé le procédé de la lecture et eût-elle lu toute seule son premier conte, qu’elle se passionna pour les livres et dévora tous ceux qu’on lui donnait : les contes de Perrault, Berquin, un abrégé de mythologie et même les romans de Mme de Genlis. Pour cette dernière, du reste, c’était Sophie-Antoinette qui lui en faisait le plus souvent la lecture. La fillette écoutait, assise auprès de la cheminée, aux pieds de sa mère, les yeux fixés sur un écran vert sur lequel la lueur vacillante du loyer projetait des ombres capricieuses. Aurore regardait tour à tour l’écran et le feu ; il lui semblait voir des châteaux fantastiques, des roses d’or, des êtres bizarres, variant d’aspect à chaque écroulement des tisons, à chaque vacillement des ombres. En général, l’imagination du futur écrivain se manifesta d’une façon étonnante pendant les années dont nous parlons. Tantôt il lui semblait que la nymphe et la bacchante des tentures s’animaient et se mettaient à courir sur la corniche jusqu’à son lit, pour l’effrayer et disparaître ensuite. D’autres fois, elle passait ses journées à rêver au Prince Charmant, aux fées, aux génies, à l’existence desquels elle croyait et dont elle attendait l’arrivée. Sa grand’mère, — admiratrice de Voltaire, — ne voyait pas avec plaisir ce développement de l’imagination chez l’enfant. Mais Sophie-Antoinette, comme nous l’avons dit, comprenait d’instinct que l’élément fantastique est le propre de l’âme enfantine ; aussi, ne se bornait-elle pas à lire ou à raconter des contes aux enfants, elle s’associait encore aux petites entreprises d’Aurore, qui manifestait un amour évident pour tout ce qui était mystérieux. Un jour Sophie surprit sa fille occupée avec Ursule, à construire on ne sait quel édifice féerique à l’aide de cailloux et de coquillages. Sophie s’intéressa aux vaines tentatives de la fillette pour créer quelque chose de beau qui ne ressemblât en rien à la banale réalité ; elle se mit à l’œuvre sans perdre de temps, disposa une petite grotte, l’orna de mousse, de lierres, de fleurs, de coquillages et de petits cailloux roses et finit par y ajouter une petite cascade artificielle, le tout en cachette d’Aurore qui ne vit la grotte que lorsqu’elle était déjà achevée. Le charme fut complet ! La grotte fut pour Aurore le comble du beau et du poétique. Sophie-Antoinette avait deviné la confuse aspiration à la beauté que recélait la jeune âme d’Aurore et cette soif qui se manifestait déjà chez la future artiste de créer par elle-même quelque chose de beau. Aurore était profondément convaincue que la beauté de la grotte ravissait tout le monde ; elle fut bien peinée lorsque sa grand’mère, invitée à venir l’admirer, ne laissa voir aucun ravissement. La grand’maman ne pouvait s’associer aux amusements puérils de Sophie avec les enfants. Mais La jeune femme, qui resta à moitié enfant toute sa vie, avait su pénétrer instinctivement le fin fond de l’âme d’Aurore. Sophie resta toujours en contact plus intime avec la fillette, que l’aïeule ; l’enfant comprenait sa mère et l’aimait passionnément. Jeune et sémillante, Sophie-Antoinette partageait les jeux des petits, bêchait leurs plates-bandes, leur construisait toutes sortes de choses, leur chantait des chansons, leur racontait des histoires, les embrassait avec ardeur ; mais, lorsqu’il lui arrivait de se mettre en colère, elle leur appliquait sans cérémonie et au hasard, des claques sur les joues ou sur les mains. Elle ne se souciait pas de se mettre martel en tête au sujet de l’éducation de sa fille, elle se bornait à faire ce que faisaient toutes les femmes de sa classe. Elle lui fit apprendre des fables par cœur, l’initia de bonne heure à la lecture, lui enseigna la couture et le crochet. Quant à lui donner une éducation dans le sens large du mot, il n’en était pas même question. Par le degré de son intelligence et par ce qui l’intéressait, Sophie était aussi près de l’enfance que le sont les bonnes, les femmes de chambre et les cuisinières avec qui les enfants des classes supérieures passent si volontiers leur temps. C’est ce qui arrive souvent, malgré les défenses des parents, probablement parce que les enfants sentent qu’il y a moins de différence intellectuelle entre eux et ces personnes simples qu’il n’y en a entre eux et « les grandes personnes » de leur classe. L’aïeule était précisément, aux yeux d’Aurore, une de ces « grandes personnes ». La grand’maman adorait sa petite-fille à sa façon, mais elle trouvait déplacé de lui témoigner cet amour, comme de trop caresser les enfants et de se montrer trop familière avec eux[68]. Admiratrice de Rousseau, elle n’admettait pas non plus qu’on les punit et ne leur adressait des observations, autant par principe, que par habitude, que d’un ton réservé et froid qui leur inspirait plus de crainte et de respect que les cris les plus furieux de la mère, qui ne connaissait aucun frein lorsqu’elle était déchaînée contre ses enfants. Marie-Aurore aurait désiré élever sa petite fille selon ses convictions, orner son esprit et le diriger avant tout dans la voie de la raison : c’est-à-dire l’habituera réfléchir sur les phénomènes de la vie, — trait distinctif de la philosophie et de la science du xviiie siècle. L’aïeule eût voulu exclure aussi de l’éducation tout élément fantastique, afin de ne pas développer l’imagination de l’enfant au détriment de la raison et de n’encourager par là aucune croyance absurde, aucune superstition. Elle aurait également désiré inculquer à la fillette de bonnes manières, développer son goût, lui enseigner les beaux-arts, en un mot, en faire une jeune fille vraiment instruite, pleine de cette réserve et de ce tact qui sont le propre des personnes de leur classe. Dans son admiration pour l’Émile de Rousseau, la grand’mère ne voulait pas qu’on entravât, d’aucune façon, les jeux des enfants ou leur liberté en général, mais il lui déplaisait de voir grandir la petite Aurore comme une espèce de sauvageon de village ou comme une petite bourgeoise de Paris, à l’instar de Sophie-Antoinette qui était à moitié lettrée et ne s’occupait que d’intérêts mesquins, de chiffons, qui était pleine de préjugés, bourgeoisement vaniteuse et vantarde[69]. La grand’mère trouvait aussi que les vêtements des enfants devaient être simples, larges et commodes ; de ses anciennes douillettes elle confectionnait à sa petite fille d’amples petites robes et lui laissait flotter les cheveux sur les épaules. Sophie-Antoinette tenait à affubler sa fille conformément à la mode de l’Empire, la taille sous les aisselles, Les jupes collantes, et n’était contente que lorsqu’elle avait coiffé Aurore à la chinoise, selon La mode. Voici ce que George Sand raconte sur cette coiffure : « C’était bien la plus affreuse coiffure que l’on pût imaginer, elle a certainement été inventée pour les figures qui n’ont pas de front. On vous rebroussait les cheveux en les peignant à contre-poil jusqu’à ce qu’ils eussent pris une direction perpendiculaire, et alors on en tortillait le fouet juste au sommet du crâne de manière à faire de la tête une boule allongée, surmontée d’une autre petite houle de cheveux. On ressemblait ainsi à une brioche ou à une gourde de pèlerin. Ajoutez à cette laideur le supplice d’avoir les cheveux plantés à contre-poil, il fallait huit jours d’atroces douleurs et d’insomnie avant qu’ils eussent pris le pli forcé, et on les serrait si bien avec un cordon pour les y contraindre qu’on avait la peau du front tirée et le coin des yeux relevé comme les figures d’éventails chinois. » (Histoire de ma Vie, t. II, p. 294-95.) La grand’mère assistait avec dégoût à ces affreuses expériences ; quant à la fillette, cette coiffure lui faisait mal et la gênait, mais elle adorait sa mère et elle eût supporté pour elle toutes les incommodités et toutes les tortures. Sophie ne soupçonnait nullement combien était déraisonnable son engouement pour la mode.

Cette futilité se montrait en toute chose chez Sophie, qui ne comprenait pas les exigences les plus naturelles d’une éducation raisonnable. La vieille Mme Dupin, qui était beaucoup plus délicate et plus réfléchie, préférait en ces moments-là, ne pas discuter avec sa belle-fille qui n’aurait rien compris à ses objections et que, de son côté, elle ne comprenait pas du tout. C’était deux natures toutes différentes. Ce fut alors que l’on put entrevoir la désastreuse influence que la mort prématurée de son père allait avoir sur la vie d’Aurore.

Maurice Dupin, que sa mère et sa femme adoraient, avait été le chaînon qui les avait réunies l’une à l’autre, le petit dieu du foyer dont le culte pouvait concilier et unir ces deux parfaits contrastes. Du vivant de Maurice, les deux femmes étaient jalouses l’une de l’autre, car chacune aurait voulu posséder sans partage le cœur de Maurice. Après sa mort, elle reportèrent toutes deux sur sa fille cet amour passionné, exigeant et jaloux, et voulurent également, l’une et l’autre, l’absorber sans partage. De là, toute une série de scènes domestiques et une lutte acharnée qui agissaient de la façon la plus désastreuse sur l’éducation, le caractère et le précoce développement de la fillette. De là, toute une suite d’années pénibles dans son existence, de déceptions prématurées qui la faisaient se renfermer en elle-même et se méfier des hommes ; de là, ces passages subits d’une songerie sombre et morne à une gaîté sauvage et sans frein, qui s’emparait parfois d’elle, évolutions qui restèrent, presque jusqu’à l’âge mûr, le trait distinctif du caractère de George Sand. La mort du père, pour le dire en un mot, et la vie qu’elle mena entre les deux natures si dissemblables de sa mère et de son aïeule, exercèrent sur sa destinée une influence des plus graves. Leur commun malheur rapprocha pendant quelque temps les deux partis ennemis. Les deux femmes s’absorbèrent dans leur affreuse douleur, pendant que la petite Aurore, presque abandonnée à elle-même, jouait sans souci avec Ursule et Hippolyte. Mais la mère et l’aïeule ne pouvaient vivre longtemps en repos. Ni l’une ni l’autre ne pouvait se faire à l’idée que l’éducation de l’enfant ne lui fût pas confiée exclusivement. Au début, on se fit de part et d’autre des concessions pour vivre en paix et d’accord. Il y eut quelque condescendance de la part de la descendante d’une race royale qui ne pouvait oublier l’origine et le passé de sa belle-fille. Il y en eut aussi de la part de la fille des rues de Paris, qui ne nourrissait pour les aristocrates que haine et mépris, et en qui grondait comme un écho de la récente révolution, jointe à l’hostilité instinctive des gens du peuple à l’égard des familles seigneuriales. La nature de ces deux femmes, leur éducation, leurs intérêts étaient trop différents pour qu’elles pussent s’entendre, et le seul point qui eut dû les rapprocher, leur amour pour la petite Aurore, fut justement la pierre d’achoppement, la cause du conflit qui s’éleva entre elles.

Lettrée et instruite, toujours préoccupée de quelque question intellectuelle, avec ses calmes habitudes de grande dame casanière du xviiie siècle, ses manières et son parler serein et posé, femme distinguée, bien élevée, toujours maîtresse d’elle-même, indulgente, attentive et affable envers tout le monde, mais réservée dans la manifestation de ses sentiments, l’aïeule paraissait presque froide au premier abord. Au physique, elle était haute de taille, svelte, blonde, une vraie Anglo-Saxonne. Et, d’autre part, la mère, nature sans frein, emportée, illettrée, dénuée de tact et de toute éducation, une vraie Madame Sans-Gène, était une petite femme, brune comme une espagnole, vive, passionnée, apte à tout, principalement à tout travail plus ou moins artistique, toujours occupée de son ménage, jamais en place, toujours en mouvement, quittant sans cesse un ouvrage pour commencer autre chose, et passant d’un extrême à l’autre dans ses sentiments comme dans leur manifestation. C’est ainsi qu’elle passait subitement de l’amour à la haine, de l’animosité à l’adoration, des caresses aux injures et même aux coups ; nature changeante, incapable de porter deux jours de suite le même chapeau ou de dîner au même restaurant, sans parler des repas à la maison qu’elle voulait toujours varier.

Un seul point commun existait entre ces deux femmes : — ni l’une ni l’autre n’était jamais oisive. Mais pendant que Marie-Aurore lisait, prenait des notes, faisait des résumés de ses lectures ou s’occupait de musique, Sophie-Antoinette cousait, rafraîchissait quatre ou cinq fois ses chapeaux ou ses chiffons, confectionnait des merveilles avec des blondes et des rubans, fabriquait des cartonnages, savait recouvrir un meuble, cultiver un jardin, préparer un pâté, enluminer une boîte, en un mot, c’était une véritable fée par rapport au travail des mains. L’aïeule et la mère transmirent à Aurore cet amour de l’occupation et l’habituèrent dès son enfance à ne jamais rester oisive. L’aïeule lui inculqua l’habitude du travail intellectuel dont elle-même s’occupait assidûment ; la mère lui communiqua son savoir-faire dans le domaine des soins du ménage. C’est de sa mère qu’elle tenait son aptitude à « tout faire », à cuisiner, à recouvrir un meuble, à confectionner des robes de maison et des costumes fantastiques pour le théâtre, en un mot, cette étonnante adresse des mains dont George Sand fit preuve à toutes les époques de sa vie. Bien plus tard, en 1834, dans une lettre de Venise à son frère naturel Châtiron, George Sand exprime toute sa gratitude envers sa mère et sa grand’mère — envers cette dernière surtout, — qui lui avaient fait contracter, dès l’enfance, l’habitude du travail, habitude à laquelle elle attribuait son aptitude à travailler d’arrache-pied de sept à treize heures par jour. Qu’on se rappelle l’étonnement que provoqua la lecture de Lélia chez les amis de La Châtre qui connaissaient Aurore Dudevant comme une couturière adroite, une ménagère émérite, sachant faire d’excellentes confitures, et qui ne se doutaient nullement qu’il y eût en elle un poète amer et désabusé. Qu’on se souvienne encore des récits de Pagello, s’extasiant sur l’inappréciable et vaillante ménagère, qu’était George Sand pendant son séjour à Venise. Qu’on se rappelle les diverses occupations auxquelles George Sand se consacrait pendant le séjour qu’elle fit à Majorque avec ses enfants et Chopin malade, obligée d’être à la fois cuisinière, femme de chambre, sœur de charité, pharmacienne et maîtresse d’école, dans un pays où il était impossible de se procurer tant soit peu de commodité ni le moindre confort. Qu’on se souvienne de tous les détails dont sont remplies ses lettres publiées ou inédites, et les souvenirs de ses amis des différentes périodes de sa vie, depuis le moment où elle peignit une tabatière pour Aurélien de Sèze, jusqu’au temps où, âgée de soixante-dix ans, elle cousait, sous les yeux de Henri Amic, des costumes pour le théâtre des marionnettes de son fils et des robes pour les poupées de ses petites-filles. Tout cela nous permet d’affirmer hardiment que cette infatigable femme de lettres, dont la fécondité littéraire surprenait tous ses contemporains, profitait de ses moments de loisir pour s’occuper des différentes besognes de son ménage, beaucoup plus peut-être que ne l’eût fait la plus banale maîtresse de maison, point du tout « lettrée ». Ces qualités, elle les devait, comme nous l’avons déjà dit, à sa mère et à sa grand’mère, qui ne lui permettaient jamais de rester oisive.

Mais en dehors de l’aversion commune de ces deux femmes pour l’inaction, tout était dissemblable dans leur nature, et les discordes entre elles étaient inévitables. Au début, les conflits furent rares, mais plus tard ils devinrent de plus en plus fréquents. Une sourde animosité se faisait sentir dans l’air. Deschartres, qui n’avait jamais pu pardonner à Sophie le rôle absurde qu’il avait joué par trop de zèle pour empêcher son mariage avec Maurice et qui la détestait, ne faisait que verser de l’huile sur le feu et finit par envenimer les relations de la belle-mère avec la belle-fille. Leurs rapports devinrent de plus en plus tendus ; on en vint des piqûres d’épingles à des observations mordantes. On gardait d’un côté un silence dédaigneux, tandis qu’on se laissait aller de l’autre à des propos et même à des sorties violentes. Sophie ne pouvait prononcer le nom de sa belle-mère — souvent même en présence de la petite Aurore — sans l’accompagner d’une épigramme vulgaire, et Marie-Aurore, avec une réserve méprisante et glaciale, se contentait d’exprimer à haute voix quelque observation à l’endroit de « certaines personnes », et la fillette comprenait parfaitement quelles étaient ces certaines personnes ». Les médisantes commères attachées à la maison colportaient de part et d’autre ces propos. La discorde et les querelles, dans la famille Dupin, devenaient de plus en plus violentes et aboutirent finalement à une vraie lutte de partis. Aussi longtemps que dura cet état de choses, c’est-à-dire pendant environ douze ans, jusqu’à la mort de l’aïeule, la petite Aurore représenta la pomme de discorde ; elle fut comme une allumette entre deux feux. Vers l’automne de 1810, il était déjà évident que, malgré le désir qu’on avait de vivre en paix et en bonne intelligence, la vie en commun était devenue impossible pour ces deux femmes. Après beaucoup de débats et de pourparlers, il fut décidé que l’aïeule seule se chargerait dorénavant d’Aurore, qu’elle assumerait toute la responsabilité de son éducation et qu’elles passeraient toutes deux la majeure partie de l’année à Nohant, ne venant à Paris qu’en hiver pour y vivre quelque temps, dans l’intérêt de l’instruction de la fillette. Sophie-Antoinette s’installerait, de son côté, à Paris avec sa fille Caroline ; sa belle-mère lui fournirait de quoi vivre. Chaque été, elle irait à Notant, mais ne se mêlerait point de l’éducation d’Aurore. Cette décision satisfit également les deux partis ; Sophie, malgré tout, s’ennuyait à la campagne et brûlait du désir de retrouver les boulevards de Paris, le tumulte, le bruit, la cohue de la grande ville. La question pécuniaire jouait sans doute un rôle important dans les concessions qu’elle avait faites, car elle dépendait de sa belle-mère, Aurore étant la seule héritière directe de son aïeule, ce qui avait donné à la grand’maman une voix prépondérante dans l’affaire. Sophie l’avait parfaitement compris et sa raison lui avait conseillé de laisser Aurore à Nohant. Elle alla s’établir à Paris en 1810.

De 1810 à 1814, l’aïeule et la petite fille n’habitèrent Paris qu’en hiver, passant le reste du temps à la campagne, et Sophie venait chaque année passer deux ou trois mois, et quelquefois tout l’été, à Nohant. Nous dirons plus loin le rôle que la vie rustique joua dans la vie de la future George Sand. Contentons-nous, pour le moment, de parler de l’impression que produisit sur la fillette le changement survenu dans sa destinée.

Dans Les premiers temps, cette impression ne se fit point remarquer : La vie de l’enfant à Nohant était trop heureuse et trop agréable. Le premier départ de sa mère ne l’émut pas beaucoup, elle ne comprenait pas le chagrin d’en être séparée. Elle pleura un peu, mais ce fut tout. On peut croire que son amour pour sa mère n’aurait pas pris ce caractère maladif qui éclata plus tard, que les arrivées et les départs successifs de Sophie n’auraient pas servi de motifs aux scènes passionnées qui se produisirent alors, si les deux femmes eussent mis dans leurs rapports avec la fillette plus de raison et moins d’amour-propre et de jalousie. Hâtons-nous cependant de dire que George Sand, en parlant de l’amour exalté qu’elle portait à sa mère et des dramatiques péripéties de son affection, exagère sans doute, grossit les couleurs, prête à tout un caractère beaucoup plus romanesque que ne le comportait la réalité. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer ce qu’elle dit dans l’Histoire de ma Vie, à propos d’une lettre écrite par elle à sa mère en 1812, avec la lettre même, publiée dans sa Correspondance sous le numéro 1. Ce qu’elle dépeint, c’est quelque chose de passionné, de désespéré, de pathétique ; en réalité, c’est une gentille petite lettre touchante, mais bien naturelle et très enfantine[70]. Ainsi donc, malgré tous ces sentiments violents et ce qu’il y avait de vraiment tragique dans la situation de la fillette, es war nicht so arg, comme disent les Allemands[71]. Il est également fort possible que, si le cours des événements eût suivi sa marche naturelle, c’est-à-dire si la grand’mère avait tout doucement et prudemment dirigé Aurore selon ses idées, pendant que Sophie, — qui au fond se souciait assez peu de Caroline laissée en pension, mais préférait passer son temps à Paris et non à la campagne, — se serait peu à peu éloignée d’Aurore, il est probable, disons-nous, que, sans lutte, la grand’mère aurait su remplir son programme d’éducation, et Aurore n’aurait pas prématurément deviné l’antagonisme qui subsistait entre ses deux mères. Mais, comme cela se voit d’ailleurs presque toujours en pareil cas, des personnes étrangères vinrent s’immiscer dans ces débats, et les deux rivales elles-mêmes commirent mutuellement beaucoup de fautes.

Ursule fut la première à attirer l’attention d’Aurore sur sa position quelque peu exceptionnelle. Comme tous les enfants, elle répétait ce qu’elle entendait dire aux grandes personnes et redisait sur tous les tons, à Aurore, qu’elle était bien heureuse de passer son « âge d’or » chez sa grand’mère, dans le richement, et que le richement, c’est ce qu’il y a de meilleur au monde. Julie et Rose, demi femmes de chambre, demi confidentes de Mme Dupin, répétaient la même chose. Elles chantaient à l’enfant que sa grand’mère était sa bienfaitrice, que sans son aïeule, elle et sa mère mourraient de faim, que, si elle aimait sa grand’maman et lui obéissait, tous les bonheurs que donne la richesse l’attendaient à l’avenir, tandis que, si elle se montrait ingrate, elle se verrait réduite à vivre avec sa mère « dans son petit grenier, et à manger des haricots ». On peut s’imaginer que la perspective d’habiter un grenier et de se nourrir de haricots apparut immédiatement à la petite rêveuse comme le comble de la félicité. C’est là un trait qu’on rencontre souvent chez les enfants aisés, qui considèrent comme un bonheur suprême la possibilité d’acheter, non des bonbons qu’ils trouvent chez un confiseur ; mais du sucre d’orge aux petites boutiques, et sont tentés de mordre à belles dents dans les galettes de seigle des paysans, ou de marcher pieds nus dans le sable. Aurore, qui était déjà chagrine d’être séparée de sa mère bien-aimée, se mit à rêver à la possibilité de vivre à Paris avec elle, comme au plus grand des bonheurs, et à en parler tout haut. Les commères n’eurent rien de plus pressé que de s’épouvanter de tant de déraison. Cela suffit pour que la petite, naturellement entêtée, encline, comme tous les enfants, à la contradiction, n’ayant pas encore eu le temps de s’attacher à sa grand’mère, trop jeune pour la comprendre et l’apprécier — comme elle l’apprécia plus tard. — n’éprouvant aucune contrainte auprès d’une mère nullement préoccupée de son éducation, mais ennuyée par les leçons et les observations de sa grand’mère, cela suffit, disons-nous, pour qu’elle vît, du coup, dans son aïeule une ennemie, et dans sa mère une idole. Tel fut le début de la première crise romanesque dans la vie de la future George Sand. Ce fut un débordement de passion, de lettres écrites en cachette, d’entrevues tartives, d’entretiens soigneusement cachés aux « ennemis », ce furent des rêves, des larmes, des joies exaltées. Ni Marie-Aurore, ni Sophie-Antoinette ne surent envisager avec calme ces manifestations exagérées d’un sentiment filial, cependant bien naturel. L’une prit ouvertement le parti de sa fille, l’autre laissa éclater, non moins ouvertement, le chagrin que lui causaient la froideur et l’ingratitude de sa petite-fille (comme si les enfants étaient capables de reconnaissance, sentiment qui leur est totalement inconnu et qu’ils ne peuvent comprendre !) Rose prit le parti de la fillette parce qu’elle aimait beaucoup Sophie ; Julie et Deschartres, celui de la grand’mère. De là, une lutte de partis, une autre guerre des Guelfes et des Gibelins. Les petits griefs s’envenimèrent ; une hostilité sourde, sans devenir une guerre ouverte, engendrait des escarmouches chaque fois que Sophie venait à Nohant ou pendant les séjours que la grand’mère et la petite-fille faisaient à Paris. Aurore devint le bouc émissaire qui avait à souffrir des antipathies des deux femmes et à supporter le contre-coup des fautes des deux partis ennemis. Ce bouc émissaire était une enfant impressionnable, de tempérament passionné, de caractère doux en apparence, mais au fond dominateur et obstiné, une nature vouée, dès le berceau, aux contradictions, placée par sa naissance entre deux classes sociales, dédoublée, pour ainsi dire, dans ses sympathies, ses goûts et ses intérêts. Aurore Dupin avait besoin, plus que toute autre enfant, d’une vie familiale paisible, d’affections calmes et raisonnables, d’un régime de vie très régulier, d’une immuabilité réelle dans l’observation des lois morales.

Elle assistait, au contraire, à des scènes, à des discussions, à des conflits perpétuels. Un jour, elle entendait dire à Nohant, que les gens bien élevés devaient agir d’une telle façon ; le lendemain, à Paris, on tournait en dérision devant elle tous les gens, « soi-disant convenables ». Un jour, on tâchait de lui inspirer l’amour de la lecture et de l’étude, le lendemain les mêmes études étaient un sujet de quolibets et traités de « passe-temps bons tout au plus pour les oisifs et les fainéants ».

Lorsque Aurore accompagnait sa grand’mère à Paris, elles s’installaient toutes deux, rue Neuve-des-Mathurins, dans un appartement peu spacieux, il est vrai, mais fort élégant et de bon goût, où la vieille dame recevait souvent ses amis des deux sexes, pour la plupart des personnes de grande naissance et titrées. Quant à Sophie-Antoinette, elle demeurait toujours avec Caroline, rue de la Grange-Batelière. La grand’mère refusait d’y laisser aller Aurore, parce qu’elle ne voulait pas qu’elle vît sa demi-sœur ; elle s’opposa même résolument à tout rapport entre les deux fillettes. Caroline était une enfant paisible et pieuse, mais la grand’mère ignorait ses qualités et détestait en elle la preuve vivante de l’irréparable passé de sa belle-fille. La pauvre Caroline demandait souvent à sa mère pour quelle raison elle ne voyait pas sa sœur, mais elle ne recevait que des réponses évasives. Un jour que Sophie était allée dîner en ville, Caroline se présenta sans autorisation rue des Mathurins et demanda à Rose d’appeler Aurore ; celle-ci jouait sur le tapis ; la grand’mère paraissait sommeiller dans son fauteuil. L’enfant, sans savoir pourquoi on l’appelait, se dirigea sur la pointe des pieds vers la porte, mais la grand’mère ouvrit soudain les yeux et demanda où elle allait. Il fallut lui avouer la vérité. La grand’mère crut voir là une ruse de Sophie-Antoinette, qui tâchait d’enfreindre ainsi son interdiction. Elle entra dans une colère comme elle n’en avait jamais eu, et ordonna durement de ne pas permettre à Caroline de franchir le seuil de sa porte. Au premier moment, Aurore fut bouleversée et peinée à la vue de cette colère qu’elle n’avait jamais rencontrée dans sa grand mère, mais, quand elle entendit derrière la porte les sanglots de Caroline blessée et humiliée, elle en fut désespérée, fondit en larmes et s’élança vers la porte. Hélas, il était trop tard ; la pauvre enfant était déjà partie. Rose essaya de calmer Aurore, mais elle pleurait elle-même et suppliait l’enfant de cacher à sa grand’mère son chagrin, qui ne ferait que l’irriter. L’aïeule rappela sa petite-fille, mais celle-ci, pour la première fois de sa vie, désobéit et résista. Julie, qui jouait toujours le rôle de domestique espionne et rapporteuse, se mêla de l’affaire et ne fit, comme toujours, qu’aggraver le malentendu et les griefs mutuels. Aurore s’endormit encore toute en larmes, délira pendant la nuit, et le lendemain matin, malgré les caresses et les cadeaux que lui prodigua la grand’maman, elle n’avait rien oublié. Cette secousse morale compliqua d’une fièvre nerveuse la rougeole qui s’était déjà déclarée chez elle. La grand’mère s’aperçut qu’il fallait user de prudence envers sa petite-fille ; elle était trop intelligente et trop bonne pour persévérer dans sa première résolution. Dès qu’Aurore fut rétablie, elle la mena elle-même chez sa mère et sut, par quelques paroles adroites et pleines de douceur, désarmer la colère de Sophie qui semblait être à son paroxysme. À partir de ce jour, Aurore, qui n’avait vu jusque-là sa mère que chez son aïeule ou à la promenade, obtint la permission d’aller chez elle et de jouer avec Caroline, les jours où celle-ci avait congé et sortait de sa pension[72].

Son existence se dédoubla encore davantage. Passant un jour son temps au milieu du cercle de sa grand’mère, des dames de Pardaillan, de Maleteste, de la Marlière, de Ferrières, de Béranger, des abbés de Beaumont, d’Andrezel, etc., tous représentants de l’ancien régime, Aurore prêtait l’oreille à leur conversation, à leurs opinions orthodoxes et légitimistes, aux railleries dont on criblait Napoléon et l’Empire, et elle observait toutes ces figures originales et ces manières recherchées. L’esprit d’observation et l’instinct artistique s’éveillaient en elle à son insu. Elle avait là, devant elle comme une galerie d’anciens portraits, chacun empreint du sceau de la personnalité et de l’originalité la plus frappante. Tous ces personnages étaient les intimes de sa grand’mère, parlaient le même langage, mais la plupart lui étaient inférieurs par l’esprit et l’instruction. La vieille dame les aimait néanmoins et les proposait à Aurore comme des modèles de « gens corrects et policés ».

Le Lendemain, en entrant dans Le petit appartement de sa mère, Aurore était témoin de sorties virulentes contre toutes ces dames et ces seigneurs et se tordait de rire au spectacle de Sophie, qui, douée d’un don d’imitation étonnant, représentait, sous l’aspect le plus comique, chacune des vieilles comtesses (comme elle les appelait) qu’elle détestait, ou lorsqu’elle se répandait, une fois lancée, en furieuses invectives contre leur hypocrisie, leur immoralité, la futilité de leur vie ; elle allait si loin dans ses accusations qu’elle disait souvent des choses que les oreilles d’une fillette de huit à dix ans n’auraient pas dû entendre. Le surlendemain, rentrée dans le salon de sa grand’mère, Aurore ne se contentait plus, comme auparavant, de s’approprier inconsciemment le ton, les manières, l’allure de ces beautés d’autrefois et de ces beaux esprits de la cour des Bourbons ; elle les observait et les écoutait avec un esprit critique dont elle avait pleine conscience. Bientôt elle se mit à les imiter devant sa mère sans que celle-ci songeât à l’arrêter. Et pourtant, ces figures de l’ancien régime se gravèrent dans sa mémoire et dans son imagination. Instinctivement, elle s’appropriait l’aisance distinguée de leurs manières, le ton d’aimable condescendance du vrai grand monde, la faculté de ne jamais se donner un démenti en aucune circonstance. Et, en même temps, elle se rendait bien compte de leurs vices, de leurs défauts, de leurs faiblesses ; elle s’ennuyait dans la société de ces gens inoccupés, épaves d’une vie disparue, et elle se moquait d’eux. Les conséquences de ce dédoublement se reflétèrent plus tard sur elle et sur ses œuvres.

Un vieil ami de George Sand, qui l’a connue pendant les quinze dernières années de sa vie, nous disait un jour que George Sand avait beau se montrer démocrate dans ses allures et dans ses convictions, il arrivait parfois, comme malgré elle, et le plus souvent avec une relation de fraîche date ou avec une personne importune, que l’aristocrate se révélait en elle, et elle « savait si bien faire sa grande dame » qu’elle inspirait un respect involontaire et instinctif aux visiteurs les plus suffisants et les plus intrépides. Elle garda cette habitude jusqu’à sa mort. Elle transmit ces mêmes airs de « grande dame » à sa fille Solange, comme elle le dit à plusieurs reprises dans certaines de ses lettres déjà publiées. Telle fut l’empreinte que lui laissèrent sa race et ses impressions d’enfance.

Que peut-il y avoir d’autre part de plus charmant, de plus vrai, de plus artistique que la Marquise, cette fine perle parmi les Nouvelles de George Sand ? On trouverait difficilement, parmi les auteurs qui ont essayé de peindre le grand monde du xviiie siècle, un seul écrivain qui ait pu en incarner les côtés aimables ou artistiques avec la perfection que George Sand a su atteindre dans la Marquise. C’est qu’elle a passé la moitié de sa vie dans ce milieu et ne l’a pas connu seulement par ouï-dire. C’est bien aux observations qu’elle a faites sur le monde des vieilles comtesses qu’on doit des types comme ceux de la mère et de la grand’mère de Valentine, de la marquise de Villemer, du vieux chanoine, du prince mélomane et des divers courtisans dans Consuelo, des originaux comme Monsieur Antoine, l’oncle de Mauprat et Mauprat lui-même, des figures empreintes de la couleur du temps telles que le duc et la marquise de Puymonfort dans les Mississipiens, sans mentionner ici toute une série de figures et de personnages secondaires, mais d’un éclat souvent surprenant. Il est donc hors de doute que l’artiste en elle ne fit que gagner d’avoir eu à fréquenter ces types d’une époque disparue, et d’y apporter cette pointe de scepticisme, ce mépris que lui avait inspiré Sophie-Antoinette par ses sorties vulgaires et comiques contre des gens qu’elle détestait.

Un autre point venait encore se joindre à la différence de position sociale et d’habitudes pour amener la discorde entre la rue de la Grange-Batelière et celle des Mathurins. Dans la maison de Sophie, nous le savons déjà, on adorait Napoléon ; dans le salon de Marie-Aurore, on n’attendait tous les bienfaits que du retour des Bourbons, quoique la grand’mère, — cousine de Louis XVIII et de Charles X, et ayant même sacrifié 10.000 francs pour ce dernier au temps qu’il n’était encore que comte d’Artois et en exil, — n’estimât guère ses parents royaux dont elle connaissait très bien le caractère. À l’avènement de Louis XVIII, elle dit à sa petite-fille : « Ce doit être celui qui portait le titre de Monsieur. C’est un bien mauvais homme. Quant au comte d’Artois, c’est un vaurien détestable. Allons, ma fille, voilà nos cousins sur le trône, mais il n’y a pas là de quoi nous vanter[73] »… Mais l’entourage de la grand’mère regardait Napoléon comme un monstre, un usurpateur, un parvenu, dont l’orgueil avait entraîné à leur perte tant de vaillants enfants de la France. Les conversations des visiteurs de Mme Dupin roulaient presque toutes sur Napoléon pour le blâmer. Aurore, dont le jeune cœur, animé de sympathies bonapartistes, commençait à deviner vaguement — et grâce aux discours de son père que sa mémoire avait retenus — que l’imposante image de Napoléon incarnait, en réalité, l’idée de la Patrie, de la France grande et une, se sentait prise de plus en plus d’antipathie envers les vieilles comtesses et leurs étroites sympathies de parti. Aussi fut-elle ravie, le jour où elle entendit un petit garçon de treize ans se révolter hardiment contre tout un cercle de grandes personnes qui étaient en train de se réjouir de la défaite de Napoléon, et de l’entendre blâmer avec colère ceux qui ne comprenaient pas que la défaite du grand homme était aussi la défaite de la France, un désastre public dont les Français ne pouvaient et ne devaient nullement se réjouir. Quoique la petite Aurore ne sût pas encore exprimer ses pensées, elle éprouva le même sentiment, et, lorsqu’elle apprit la défaite de la grande armée, il naquit dans son âme un conte fantastique dont elle était l’héroïne. Elle se voyait volant dans l’espace à la recherche de l’armée française et de Napoléon perdus dans les steppes de la Russie, les trouvant, les sauvant de la fureur des ennemis et les ramenant sains et saufs dans leur patrie. Mais Aurore ne pouvait adorer Napoléon, et rêver à lui que dans son for intérieur, car on ne parlait de lui chez sa grand’mère qu’avec indignation. C’était là encore toute une série de sentiments et de pensées contraires aux idées et aux sentiments du monde où elle passait la plus grande partie de son temps, une nouvelle cause de dédoublement pour Aurore, une impulsion de plus qui la portait à s’échapper de la réalité déplaisante pour s’élancer dans le monde des rêves et des fictions, tendance qui en s’accentuant d’année en année, devint plus tard l’un des traits de la physionomie morale de George Sand.

Toutes ces impressions, observations, fantaisies diverses et contradictoires furent ensuite d’une grande utilité à l’artiste. Mais les perpétuelles ironies et diatribes qu’elle entendait, rue de la Grange Batelière, contre des choses approuvées la veille, rue des Mathurins[74], ou vice versa cette manie de tourner en dérision, d’un côté, tout ce qu’on estimait de l’autre, tout cela sapait dans l’âme de la fillette cette foi en l’absolu de certaines lois, notions ou idées morales, cette conviction de leur immuabilité, — principe qui doit former la base de toute éducation. Car, il faut le reconnaître, c’est de ces notions du bien et du mal, d’abord peu nombreuses et primitives, mais toujours catégoriques, excluant toute interprétation sophistique et sceptique, que s’élabore dans l’âme la notion générale, d’abord inconsciente. d’une loi morale obligatoire, et plus tard, toutes les exigences les plus compliquées et les plus délicates de l’homme moral. Toute conception du monde une et immuable, quelle que soit cette conception — ne peut être basée que sur un fondement un et immuable.

Bien des années après, George Sand effrayait encore ses amis les plus proches, entre autres l’élégant Musset et Chopin si maladivement sensible, par des sorties parfois presque vulgaires contre les croyances les plus intimes et les habitudes morales qu’ils avaient contractées dès leur enfance envers des personnes ou des principes qui ne pouvaient, selon eux, se prêter à la critique et encore moins être jugés. Il lui arrivait de traiter avec une désinvolture étonnante, de vive voix ou par écrit, le passé de sa mère et sa propre naissance, survenue un mois à peine après le mariage de ses parents ; elle choquait ses amis par la liberté avec laquelle elle parlait de sujets aussi sacrés pour eux que le sentiment filial, la personnalité des parents, leur souvenir, etc. Mais il n’y a rien là qui puisse nous étonner ! Dès sa plus tendre enfance, du vivant de sa mère et de sa grand’mère, elle avait constamment entendu les deux femmes se critiquer et les avait vues perpétuellement se blâmer et se condamner l’une l’autre. La critique était en effet réciproque. La vieille Mme Dupin avait le même travers que Sophie-Antoinette, mais sous des formes différentes. L’aïeule causa un mal irréparable à Aurore en se laissant aller à juger sans appel sa belle-fille aux yeux de sa petite-fille. La mère d’Aurore haïssait, il est vrai, dans l’aïeule, l’aristocrate, l’ancienne ennemie qui s’était opposée à son mariage avec Dupin, La femme instruite et bien élevée, fière de son éducation et de sa vertu. Mais Marie-Aurore savait lui rendre la pareille ! Elle méprisait en sa belle-fille la modiste ignorante, l’aventurière immorale qui avait commencé ses ébats sur les tréteaux d’un petit théâtre et les avaient continués sur le théâtre de la guerre d’Italie ; elle ne pouvait oublier qu’avant de devenir la maîtresse de son fils. Sophie-Antoinette avait profité de la fortune d’un vieux général, et que sa fille Caroline était d’un père inconnu ; peut-être aussi savait-elle qu’il y avait eu un nouveau roman dans la vie de Sophie après la mort de Maurice Dupin. George Sand avance, mais vaguement, que tant que son père avait vécu, sa mère lui était restée fidèle, mais on peut déduire de sa correspondance inédite que Sophie, jusqu’à sa mort (elle mourut à soixante-dix ans), resta une femme légère, constamment occupée de fleurettes. Ceci soit dit en passant, mais cela explique suffisamment que Mme Dupin-mère ait déploré toute sa vie le choix que son fils avait fait d’une pareille compagne ; et lorsqu’elle avait eu à trancher la question de l’éducation de sa petite-fille, aurait-elle pu abandonner cette éducation à une personne aussi peu digne d’estime et même la livrer pendant quelque temps aux soins d’une telle mère ? Chez celle-ci, qu’aurait donc pu voir et entendre la petite Aurore ? La haine que Mme Dupin-mère avait pour Sophie, elle la reportait sur Caroline, et, tout en laissant Aurore jouer librement, à Nohant, avec Hippolyte, le bâtard de son fils, ce ne fut pas sans lutte, comme nous venons de le voir, qu’elle lui permit de fréquenter la fille naturelle de Sophie. Les conflits qui surgirent au sujet de Caroline ne furent pas les seuls dont la petite Aurore dut être témoin. Elle entendait tout et devinait confusément la différence qui existait entre sa position et celle de Caroline, et bien d’autres choses encore ! Ces impressions précoces empoisonnaient son âme enfantine. Par suite de ces luttes qu’elle voyait engagées autour d’elle, son caractère, de docile et doux qu’il était, devint opiniâtre et obstiné. On lui conseillait de ne pas voir souvent Caroline — elle ne voulait jouer qu’avec elle. On lui disait que la société que recevait sa mère était mauvaise — elle ne trouvait du plaisir qu’au milieu des personnes qu’elle voyait chez cette dernière. On s’efforçait de lui apprendre les bonnes manières — elle décida du coup que ce n’étaient que d’ennuyeuses futilités. Sa grand’mère aurait voulu qu’elle devint une jeune fille tirée à quatre épingles, soignée, à la peau blanche, comme tous les enfants de sa classe — elle préféra courir au soleil sans gants et nu-tête, et elle le faisait exprès, parce qu’elle voyait que sa mère ne craignait ni le vent, ni le hâle, ni les longues promenades et méprisait la vie casanière de sa grand’mère. Sophie et l’enfant oubliaient toutes deux que ce n’était pas l’âge seul de l’aïeule qui avait amené sa vie sédentaire, mais que c’était pour elle l’habitude de toute une vie. Les dames du xviiie siècle ne savaient pas aller à pied ; la grand’mère n’avait franchi une grande distance que deux fois en sa vie et en des circonstances tragiques : La première fois, lorsque, échappée à la guillotine, elle avait quitté Paris à la hâte pour aller rejoindre son fils qui demeurait dans la banlieue (pendant le trajet elle avait failli être prise par des poissardes). La seconde fois, ce fut dans la nuit de la mort de son fils, lorsque, toute seule, à peine vêtue, elle courut sur la grande route jusqu’à l’endroit où il gisait. On ne sait quelle force inconnue l’avait aidée à parcourir de telles distances. Mais si les grandes dames de l’époque étaient incapables de faire à pied deux pas dans la rue, elles savaient marcher à l’échafaud avec calme et fierté, ce qui n’empêche et n’empêchera nullement Sophie et ses pareilles de les traiter d’aristocrates douillettes. La petite Aurore, elle aussi, par excès d’amour pour sa mère, traitait alors dédaigneusement sa grand’mère. Mais le moment n’était pas loin où allait s’éveiller dans son cœur une grande affection pour la vieille dame qui l’idolâtrait. La jeune fille devait bientôt comprendre quelle amie instruite, perspicace et sage, le destin lui avait donnée pour remplacer le père qu’elle avait perdu trop tôt et pour faire contre-poids à une mère dénuée de tact et de culture intellectuelle.

Cependant les années s’écoulaient l’une après l’autre. À Paris, Aurore étudiait, tantôt seule, tantôt en compagnie de petits garçons et de petites filles de son âge et de son monde ; elle apprenait l’écriture, La danse, le dessin, la musique et même la grammaire et l’histoire. Elle avait pour maîtres des professeurs en vogue, mais la plupart du temps c’étaient des hommes sans aucun talent ni esprit, ou bien des survivants du siècle dernier dans le genre de M. Gogault, son maître de danse.

Lorsqu’en 1814, effrayée par l’entrée des alliés en France, la grand’mère se retira à Nohant plus tôt que d’habitude et puis y resta plus de quatre ans sans presque jamais en bouger, Aurore fut confiée aux soins de Deschartres. Celui-ci n’établissait aucune différence entre les garçons et les filles, et était d’avis qu’il fallait leur donner une instruction et une éducation identiques. Notons cette circonstance comme ayant joué, à notre avis, un rôle fort important dans le développement de la logique « non féminine » de George Sand et de tout le pli de sa pensée. Aussi Deschartres enseignait-il à Aurore comme à Hippolyte les grammaires française et latine, la versification, les mathématiques, la botanique et la zoologie. Il donnait sur les doigts d’Aurore des coups de règle comme il le faisait pour Hippolyte, et parfois même il lui administrait une bonne taloche. Et Aurore, toujours comme Hippolyte, tâchait de supporter stoïquement la douleur et de narguer les punitions.

La grand’maman, qui enseignait à sa petite-fille les premiers éléments de la musique, continuait ses leçons, et il ne faut point croire que ce fût le piano seul, mais encore la théorie et le solfège. George Sand pense que si son aïeule se fût occupée plus longtemps de son éducation musicale, elle serait devenue aussi bonne musicienne que la vieille dame elle-même, car elle avait le don et l’amour de la musique et souvent elle chantonnait pendant des heures entières des improvisations musicales tout en jouant dans la cour ou en bêchant son petit jardin. Pour des raisons que nous ne connaissons pas, mais probablement à cause de l’affaiblissement de sa santé, la grand’mère dut transmettre les leçons de musique à un certain Gayard, organiste à La Châtre, pédant et musicien médiocre. Il imposa des exercices à la fillette, lui fit apprendre par cœur de « petits morceaux », et la dégoûta complètement du piano ; Aurore abandonna entièrement la vraie musique sans avoir dépassé le niveau ordinaire du « tapotage des demoiselles ». Pour remplacer ses leçons de musique, la grand’mère entreprit d’enseigner à sa petite-fille l’histoire et la géographie et lui fit faire, dans ce but, des lectures quotidiennes, lui faisant brièvement résumer ce qu’elle avait lu, et se montrant très attentive au style de la narration. Ces leçons étaient les seules qui fussent du goût de la future George Sand, et ce fut ainsi que se déclara sa vocation. La grand’mère ne se donnait pas toujours la peine de contrôler l’exactitude des résumés de la jeune fille avec les manuels dont elle se servait, et Aurore ne pouvait se contenter d’une exposition aride de ses lectures. Elle y intercalait tantôt des descriptions de la nature ou des villes, tantôt elle complétait et commentait les actions mal motivées des personnages historiques en y ajoutant des aperçus et des détails de sa propre invention. La moindre indication dans le texte suffisait à Aurore pour lui faire émailler sa narration de levers et de couchers de soleil, d’orages, « de ruines, de fleurs, des sons de la flûte sacrée ou de la lyre d’Ionie », du cliquetis et du fracas des armes, etc., etc. La grand’maman était ravie des capacités que montrait sa petite-fille et fut tout particulièrement enchantée lorsque celle-ci, livrée à ses seules inspirations, se mit à « faire de la littérature » en écrivant deux descriptions : l’une d’un orage, l’autre d’un clair de lune. Quel contraste frappant entre la perspicacité de la grand’mère et celle de Sophie-Antoinette ! Celle-ci, après avoir lu les exercices littéraires de sa fille, se contenta d’écrire pour toute réponse : « Tes belles phrases m’ont bien fait rire ; j’espère que tu ne vas pas te mettre à parler comme ça[75] ». La petite Aurore, qui adorait alors sa mère, partagea immédiatement son avis, reconnut qu’elle avait raison de ne trouver que du pédantisme dans « ces belles phrases », et lui promit de ne plus tomber à L’avenir dans de pareilles sottises.

Mais on a beau chasser le naturel, il revient au galop. La passion du mystérieux, les aspirations mystiques d’une âme naturellement religieuse, qui ne trouvait aucune satisfaction ni dans le déïsme raisonné de la grand’mère, ni dans la piété toute superficielle de la mère, le besoin de créer et de revêtir ses créations d’une forme littéraire précise furent autant d’éléments qui finirent par trouver chez la fillette leur voie et leur expression. Nous avons déjà vu, qu’à peine âgée de quatre ans, Aurore se contait à elle-même des histoires sans fin, qu’à huit ans elle rêvait de sauver la grande armée, et s’envolait, sur les ailes de la fantaisie, vers les steppes et les montagnes, secourant, guérissant, ramenant dans leur patrie Napoléon et ses légions vaincues. La future romancière avait maintenant onze ans et venait de lire l’Iliade et la Jérusalem délivrée. Cette lecture la frappa ; son imagination exaltée resta comme éblouie par la beauté des images poétiques et la magique fantaisie de la fiction. Elle se sentit profondément peinée de voir ces beaux poèmes se terminer si vite, renfermés en des cadres si étroits pour elle ; elle aurait voulu qu’ils eussent une suite, et elle entreprit de la faire. Elle commença à se raconter une interminable épopée, un long roman, dont les héros étaient d’abord les personnages préférés qu’elle avait trouvés dans ces deux vieux poèmes, mais peu à peu, tout le sujet et tout l’intérêt du récit gravitèrent autour d’une mystérieuse divinité, d’une figure inconsciemment créée dans l’imagination d’Aurore, et composée de tout ce qui l’avait charmée dans le christianisme, la mythologie et les œuvres poétiques qu’elle venait de lire. Cette divinité, — qu’Aurore avait baptisée d’un nom imaginaire Corambé, nom entendu dans son sommeil, — réunissait en elle la perfection morale du Christ, la beauté immatérielle de l’ange Gabriel, le souffle inspiré d’Apollon, la grâce et le charme de toutes les divinités de l’Olympe, tout le beau et le sublime qui la ravissaient dans les dieux mythologiques, tout le poétique et le miséricordieux du christianisme, en dehors de son rigorisme et de sa condamnation de la matière. Corambé revêtait, au gré de sa créatrice, tous les aspects, devenait, tour à tour, homme ou femme, ou pour mieux dire, n’avait aucun sexe. Corambé était le défenseur des faibles, des opprimés, volait en un clin d’œil, partout où l’on avait besoin de son secours, était toute bonté, miséricorde et amour. Dans les innombrables chants de ce poème sans fin, Corambé se trouvait, à chaque instant, entouré de nouveaux personnages, le plus souvent beaux et vertueux, à qui il offrait soutien et conseils ; les êtres mauvais accomplissaient comme dans l’ombre leurs faits et gestes astucieux et pervers, mais Corambé réparait tout, effaçant aussitôt jusqu’aux traces de leur conduite criminelle. Pour que la trop grande perfection de Corambé n’éclipsât pas complètement ceux qui approchaient de lui, Aurore s’avisa de l’atténuer un peu en lui attribuant un petit défaut. Et c’est un trait caractéristique, pour la future George Sand, que le défaut qu’elle donna à sa divinité : c’était un excès de bonté, bonté allant jusqu’à la faiblesse ! Aurore vivait des journées entières au milieu de ses rêveries, imaginant chant sur chant, créant « livre sur livre » pour cette interminable épopée, qui d’ailleurs ne vit point le jour. La petite rêveuse n’interrompait presque jamais ses entretiens imaginaires avec Corambé, soit qu’elle se sauvât dans les champs pour rejoindre ses petites compagnes villageoises, soit qu’elle se promenât avec Liset, un petit paysan qu’elle avait pris en amitié, parce qu’il s’était montré chagriné du départ de Mme Sophie, de Nohant. Elle en arrivait parfois à prendre ses amies, Marie et Solange, pour des nymphes venues, sous forme humaine, préparer la demeure terrestre de Corambé. Un beau jour, comme l’avait fait Gœthe enfant, Aurore érigea même un petit temple à sa divinité. Elle appropria une clairière sous des érables, suspendit, entre les branches, des couronnes et des guirlandes de coquillages, éleva une espèce d’autel, qu’elle orna de mousse et de petits cailloux. C’était là comme une seconde édition de la fameuse « grotte féerique ». Elle se promettait, en l’honneur du bienfaisant Corambé, de rendre sur cet autel la liberté à des oiseaux et à des papillons, mais son bran projet s’écroula soudain. Le petit Liset, se glissant un jour derrière la fillette, s’écria, extasié, en voyant le mystérieux autel : « Ah ! mam’zelle, le joli reposoir de la Fête-Dieu !… » Aurore se dégoûta immédiatement du petit édifice sacré, comme s’il fût profané par les paroles de Liset ; l’autel fut déserté, le culte de Corambé ne revêtit plus, dès lors, que la forme d’une rêverie abstraite.

Mais parfois notre petite improvisatrice semblait oublier Corambé pour de bon et prenait plaisir à s’amuser et à folâtrer avec les petits villageois, parmi lesquels elle comptait beaucoup d’amis. Marie et Solange étaient les premiers, le porcher Plaisir venait à leur suite. À cette époque, plus que jamais peut-être, Aurore partagea la vie des simples campagnards, et c’est ici, pour nous, le moment d’arrêter l’attention du lecteur sur la bienfaisante influence qu’exerça sur Aurore Dupin et sur George Sand cette école buissonnière, à laquelle elle consacra la seconde moitié de son enfance, la plus grande partie de sa jeunesse et plusieurs années de sa vie de mariage. Toujours en bonne santé et d’une robustesse vraiment campagnarde (pendant son mariage, elle eut cependant presque toujours à se plaindre de divers maux et ne fit que se soigner, allant souvent aux eaux), Mme Dudevant pouvait écrire treize heures par jour, veiller des nuits entières, faire, dans les montagnes, les ascensions les plus difficiles, marcher toute une journée, franchissant à pied des kilomètres dans ses promenades et ses voyages. Si les champs de Nohant ne lui avaient pas donné cette santé, ils l’avaient certainement fortifiée. En admiratrice d’Émile, sa grand’mère jugeait qu’il fallait laisser à la fillette une liberté complète jusqu’au moment des études sérieuses, et, quand celles-ci eurent commencé, dans les entr’actes, il lui était permis de s’amuser. Accompagnée d’Ursule et d’Hippolyte, ou de Liset et de petits villageois, Aurore allait dans les bois chercher des fraises, dénicher des oiseaux, ou garder les troupeaux dans les prairies ou dans les pâturaux, terrains vagues et sauvages, propriétés des communes, que, de temps immémorial, on conservait en friche dans le Berry, et où tout villageois avait droit de laisser paitre son bétail. Elle savait tout aussi bien que n’importe quelle petite villageoise, dans quelle clairière mûrissaient les plus grosses fraises, au bord de quel ruisseau croissaient les myosotis les mieux teintés, dans quel champ on trouvait les plus belles nielles et les plus beaux bluets. Aurore grimpait hardiment aux arbres pour dénicher des oiseaux, prenait plaisir à faire paître des brebis, n’avait aucune crainte des grands bœufs que les Berrichons savent si bien conduire en les aiguillonnant de leurs bâtons ferrés. Lorsqu’il survenait un orage ou une tempête, la joyeuse bande se réfugiait sous quelque vieux hangar ou dans une grange en ruines. Leur plus grand plaisir était alors de conter des histoires terribles et mystérieuses dans le genre de celles que se racontent les petits camarades du Biégine Loug de Tourguéniew. Hippolyte, dans les veines duquel coulait un sang plébéien, croyait aux fadets, aux lupins, aux loups-garous qui faisaient trembler Pierre, Silvain et Fanchette. La petite-fille d’une aïeule encyclopédiste était sans doute plus sceptique que ses petits camarades à l’endroit de ces épouvantails, mais elle croyait cependant un peu à la grand’bête, aux lavandières, à l’affreux diable berrichon Georgeon[76] Elle écoutait avec Le même plaisir que sa petite bande de va-nu-pieds, les contes du vieux chanvreur, c’est-à-dire du paysan chargé de broyer le chanvre pour tout le village. Ce chanvreur, du nom d’Étienne Depardieu, tout en faisant sa besogne dans un hangar ou dans quelque maison déserte, contait, durant les longues soirées d’hiver, les « rustiques légendes » du Berry, de ce Berry d’antan, naïf et illettré, nourri de ses anciennes croyances et superstitions, où, à l’époque de George Sand, se parlait encore cette bonne langue toute semblable au vieux français de Rabelais et où se conservaient les anciens costumes et les habitudes Locales. Le petit poète inconscient, qu’était alors Aurore, aspirait avidement, par tout son être, les récits qu’elle entendait, et la poésie qui s’en dégageait, dont son âme garda à jamais le souvenir. Ainsi, grâce à sa grand’mère, dès son enfance, Aurore prit part à la vie rustique, aux intérêts villageois, dans le vrai sens du mot, et cette connaissance de la vie de la campagne, ce lien qui la rattachait au village, eurent sur la destinée d’Aurore Dupin et les œuvres de George Sand, une portée profonde.

La fillette ne se contentait pas de se mêler aux plaisirs de ses petits camarades, elle participait à leurs travaux, à leurs soucis. Elle voyait de près la vie laborieuse des paysans, connaissait par leurs noms toutes les familles de Nohant, leurs besoins, leurs rapports mutuels, leurs désirs, leurs intérêts et jusqu’à leur façon de penser. Toute jeune elle pouvait s’associer ainsi à leur vie ; plus tard, elle put les observer et vérifier ses impressions d’enfance. Deschartres, qui administrait les biens de Nohant en qualité de gérant, se faisait un devoir d’initier peu à peu la jeune propriétaire à tous les détails de l’administration du domaine, et, dans ce but, l’emmenait avec lui dans ses tournées de régisseur. Dans son Histoire, George Sand tâche de souligner les sympathies démocratiques qui s’éveillèrent en elle à cette époque, c’est-à-dire ses idées d’égalité sociale et son aversion pour l’injuste partage des biens. C’est ainsi que dans le chapitre ix du tome III de l’Histoire de ma Vie, elle nous raconte ses révoltes contre les punitions infligées par Deschartres aux paysans pour leurs dégâts ou la coupe illégale de bois. Elle tâchait, disait-elle, tantôt d’indemniser, en cachette, ceux qui devaient payer une amende, tantôt de faire lever les punitions, en demandant de l’argent à sa grand mère, ou en envoyant, à l’insu de Deschartres, des bottes de loin ou des gerbes de blé aux malheureux indigents condamnés pour avoir glané quelques épis dans les champs ou avoir pris une poignée de foin dans les prés de sa grand’mère. Nous trouvons chez elle, à la suite de ces récits, une théorie d’égalité évangélico-socialiste, qu’elle aurait, si nous voulions l’en croire, opposée aux enseignements pratiques du régisseur et aux tentatives par lesquelles il essayait d’inspirer à sa pupille un certain respect pour le bien qui lui appartiendrait un jour. Aurore Dupin, il serait injuste d’en douter, fut douée, dès l’enfance, de cette bonté active qui resta toujours l’un des traits dominants de George Sand ; dès l’âge où elle commença à comprendre, elle eut sans cesse à cœur d’être secourable, soit de fait, soit d’intention. Il est également hors de doute que bien souvent, Lorsque Deschartres emmenait son élève dans les pâturages où les beaux bœufs berrichons ruminaient ou piétinaient lourdement le noir et gras humus d’un terrain encore vierge, le futur auteur de la Mare au Diable témoignait certainement beaucoup moins d’intérêt aux explications agronomiques de son précepteur et intendant, qu’à la nuance brune des couches de terre en friche, à la démarche lente et paresseuse des bœufs, au vieux refrain et aux archaïques paroles de l’air des laboureurs ; elle savourait la poésie primitive et saine du tableau qui se déroulait sous ses yeux. Si cependant Aurore ne s’était déjà révélée poète à dix ou douze ans, les leçons d’administration agronomique de Deschartres se seraient tout de même perdues pour elle comme elles l’eussent été pour tout enfant vif et pétulant, toujours plus intéressé et plus ravi à la vue des beaux tableaux de la nature qu’en écoutant des définitions scientifiques, et surtout des renseignements sur les qualités ou la valeur d’un terrain. Personne n’ignore non plus qu’à douze ou treize ans, — à l’exception de ceux qui singent les grandes personnes ou qui n’ont pas les qualités de leur âge, — tous Les enfants sont démocrates, jouant, avec le même plaisir, avec leurs camarades titrés comme avec de petits paysans ou paysannes, et sachant observer très strictement entre eux les principes de l’égalité et de la fraternité. Les enfants les plus aisés partagent volontiers leur argent, leurs effets ou ceux de leurs parents avec les enfants pauvres, et montrent, pour le faire, d’autant plus de cœur qu’ils se voient plus favorisés eux-mêmes et que le destin, s’est montré plus « injuste », en octroyant à leurs parents l’aisance dont ils jouissent et en leur faisant ignorer la valeur de l’argent et les souffrances de la misère. Ce serait, selon nous, chose bien superflue que d’attacher de l’importance aux théories sociales et économiques que nous trouvons dans le chapitre de l’Histoire de ma Vie, ayant trait aux années de l’adolescence de George Sand. Ou plutôt ces longues digressions communistes font honneur à l’écrivain de quarante-trois ans, mais ne doivent pas être rapportées à la petite châtelaine de Nohant parcourant, avec son précepteur, les terres de son aïeule. Il est vrai que cette petite châtelaine était une démocrate inconsciente, aussi bien qu’un poète inconscient, c’était encore une bonne et excellente enfant qui faisait le bien inconsciemment, partageant ce qu’elle avait avec ses petits amis campagnards, distribuant de sa propre autorité, ou grâce à la générosité de sa grand’mère, à eux et à leurs familles, du blé, du foin, du bois et de l’argent, leur épargnant les punitions ou les amendes, venant en aide à ceux qui ne possédaient ni un lopin de forêt ou de terrain, ni le moindre pâturage et ne subsistaient que grâce aux secours que leur accordaient les propriétaires. Mais George Sand a mal fait en attribuant à la petite fille de douze ans les mûres convictions socialistes de la femme de quarante-trois.

Toutefois si, ces années avaient été incontestablement utiles à la future penseuse démocrate, en lui fournissant, dès son bas-âge, matière à observations et à conclusions, elles rendirent au futur écrivain d’autres services plus précieux encore. Quelle que soit la naïveté du sujet des nouvelles rustiques de George Sand, si justes que puissent être les reproches qu’on lui adresse sur l’excès de sentimentalité et de vertu chez ses héros campagnards, on ne peut nier, qu’à côté de cette idéalisation des paysans, on rencontre toujours chez elle une observation si exacte, une si profonde connaissance de la vie du peuple, une telle pénétration de ses idées et de sa pensée, que les scènes populaires de George Sand sont bien supérieures aux œuvres de notre temps, qui, il est vrai, copient assez exactement le côté extérieur de la vie des paysans, leur grossièreté, leur pauvreté, leur inertie dans l’ignorance, mais dans lesquelles l’auteur qui ne connaît la vie de campagne que pour l’avoir interviewé pendant quelques quinze jours[77] n’a su pénétrer ni le sens ni l’esprit de la vie du peuple. En lisant certaines de ces pages émouvantes et éclatantes de talent, nous éprouvons la même impression que si nous lisions un voyage chez des sauvages de la Nouvelle-Calédonie. Cela nous surprend, nous intéresse, mais nous nous sentons étrangers à ces sauvages, tandis qu’en lisant les scènes populaires de Tourguéniew, de Tolstoï ou de George Sand, nous sentons en leurs personnages, nos semblables, nos proches ; nous y retrouvons les traits typiques que, vivant à la campagne, l’on peut observer partout, que cette campagne se trouve en plein Berry, ou dans les gouvernements de Toula, de Riazan ou de Novgorod.

C’est justement cette « vérité populaire » que nous apprécions dans les œuvres des auteurs ci-dessus nommés. Leurs observations sur la vie du peuple ne sont pas artificielles, spécialement assemblées en vue de tel ou tel roman, mais des observations organiques, réellement vécues, et notées à mesure qu’ils les vivaient, dans leur enfance, dans leur jeunesse passées au village, quand leurs impressions, pour être inconscientes, n’en étaient que plus profondes, dans leurs années de maturité passées aussi à la campagne et alors que ces écrivains avaient déjà conscience des observations qu’ils faisaient avec amour, avec le vouloir de pénétrer le sens et l’esprit de la vie du peuple. Que ces œuvres soient réalistes, comme celles de Tolstoï et de Tourguéniew, qu’elles soient un mélange de réalisme et d’idéalisme comme chez George Sand, elles nous deviennent chères avant tout par la vérité avec laquelle elles interprètent l’esprit du peuple, par leur vérité psychologique jointe à la vérité matérielle. En analysant, à leur place, ce que l’on est convenu d’appeler les romans rustiques de George Sand, nous aurons plusieurs fois l’occasion de répéter l’opinion banale et rebattue, que leur auteur ne se serait « convertie » à la nature et à la campagne qu’après la terreur de 1848-49. Nous ferons remarquer aussi que cette « conversion » à la vie villageoise s’est manifestée également dans toutes les littératures européennes, même en Russie, pendant le second et le troisième quart de notre siècle, et que ce phénomène s’est même produit dans les pays qui n’ont eu, en 1848, aucune « horreur » à déplorer. Nous en parlerons plus loin. Qu’il nous suffise, pour le moment, de faire remarquer que George Sand se distingue — comme Maupassant — de tous les autres écrivains français par sa connaissance approfondie, son amour et la peinture qu’elle nous donne de la vie rustique. Et, comme Maupassant, elle présente le type, rare en France, mais très répandu en Russie, de l’écrivain grandi à la campagne, de l’écrivain-propriétaire, produit organique du milieu et de la vie qu’il a décrits plus tard.

Disons aussi que les descriptions de la nature berrichonne, devenues déjà classiques et publiées dans des « Pages choisies » et des manuels de littérature, sont bien supérieures — à la fois beaucoup plus vivantes et plus artistiques — à toutes celles des autres régions de la France que nous trouvons dans les romans de date postérieure et dans les tous derniers romans de George Sand. Le Berry, comme plus tard les Pyrénées et Venise, sont devenus, de plein droit et à jamais, l’apanage de notre héroïne, quoiqu’elle ne les ait nullement observés, dans le but d’utiliser ses impressions comme matière à description littéraire. Toutes les impressions qu’elle avait reçues du Berry se sont gravées, comme à son insu, dans son imagination à l’époque, où, toute enfant, elle vivait d’une vie propre, dans ces calmes plaines verdoyantes, à l’ombre des grands ormes, le long des poétiques rives de l’Indre ou des traînes serpentant entre deux murs de verdure. Quel lecteur ne s’est pas senti pénétré par la poésie, le pittoresque de ces beaux tableaux, dont il garde à jamais le souvenir ? Lorsque plus tard, George Sand se mit à décrire à dessein différents paysages de la France et de l’Italie où se passent ses romans ultérieurs — tels que Mademoiselle Merquem, Mademoiselle la Quintinie, Tamaris, La Daniella, Jean de la Roche, etc. — l’effet en fut tout autre et l’impression bien moins pénétrante. Ces dernières descriptions approchant du réalisme documentaire contemporain, avec ses détails si précis, sont froides et s’oublient d’autant plus vite que que la lecture en est moins facile ; elles sont même fréquemment lourdes et ennuyeuses. Les descriptions du Berry s’emparent de nous comme les choses de la nature réellement vues, senties, et la raison en est simple, c’est qu’elles ont été vécues par l’écrivain. La vie des gens rustiques et les scènes de la nature berruyère, voilà les deux éléments des œuvres de George Sand que lui avait légués son cher Berry où elle avait si longuement séjourné pendant son enfance et sa jeunesse[78].

En 1814 et 1815, Paris se trouvant occupé par les alliés, Marie-Aurore ne voulut pas quitter Nohant, et il semble qu’Aurore n’a vu que très peu sa mère en 1814. L’amour romanesque que lui portait l’enfant n’était pas encore à son déclin, mais, avec les années, il avait certainement revêtu un caractère plus paisible. La fillette avait déjà pu se convaincre que ses rêves enfantins et son désir de se réfugier à Paris, d’y vivre dans une mansarde, d’ouvrir, avec sa mère, un magasin de modes, portant, afin de blesser plus vivement l’amour-propre de la grand’mère, l’enseigne « Madame veuve Dupin. Modes », étaient complètement irréalisables. Sophie-Antoinette, qui s’était plu, dans le feu de la lutte avec sa belle-mère, à exciter, par de violentes attaques, l’enfant contre l’aïeule, et avait fait les plans les plus hardis d’une vie laborieuse en compagnie de sa fille, ne traitait plus ses anciens projets que de chimères, ou les avait peu à peu complètement oubliés. Elle ne témoignait plus aucune velléité d’encourager sa fille à fuir de chez sa grand’mère, ni à lui désobéir. La fillette s’aperçut bientôt aussi, lors des différents séjours de Sophie-Antoinette à Nohant, que l’amour de sa mère ne répondait pas au sien ; elle vit qu’elle aimait beaucoup plus sa mère que sa mère ne l’aimait. Sophie-Antoinette était de ces natures passionnées, qui ne sont ni profondes ni tendres ; loin des yeux signifiait pour elle : loin du cœur. George Sand se garde bien de nous le dire, mais il est évident que Sophie-Antoinette s’était parfaitement habituée à vivre sans sa fille, que leur séparation lui coûtait peu, qu’elle s’était fait tranquillement à Paris une vie nouvelle et toute personnelle, et se détachait de plus en plus de son enfant, qu’elle abandonnait aux soins de sa grand’mère. Cependant, Mme Dupin qui vieillissait, fut atteinte d’une première attaque d’apoplexie, qui lui laissa, avec beaucoup de faiblesse, un état maladif, dont elle ne put se remettre. Une constante sollicitude envers la pauvre malade, une tendresse toute féminine s’éveillèrent aussitôt dans le cœur d’Aurore, et un amour sincère pour l’aïeule qui l’idolâtrait, l’envahit sans qu’elle cessât cependant de la traiter comme son ennemie, lui opposant constamment une sourde résistance, jetant le blâme sur tous ses désirs, toutes ses observations, toutes ses décisions. Elle n’étudiait que pour obéir passivement aux ordres de sa grand’mère, étant convaincue que l’étude ne servait à rien. La vie qui l’attendait chez sa mère était celle d’une petite bourgeoise parisienne ; dans le milieu où il lui faudrait vivre, elle ne pourrait rien retirer de toutes les connaissances que sa grand’mère voulait lui inculquer. Depuis Longtemps déjà, Aurore avait renoncé à un ancien projet, celui d’aller à Paris, en faisant des économies sur son argent de poche et en vendant ses petits bijoux. L’espoir qui l’avait animée, la conviction qu’elle finirait par vivre avec sa mère s’affaiblissaient chez elle de jour en jour, et les rêves d’un avenir heureux prenaient, de plus en plus, le caractère de mélancoliques souvenirs d’un bonheur passé, évanoui. Les chants dédiés à Corambé tournaient de plus en plus à l’élégie, mais le dieu ne continuait pas moins à consoler Aurore par ses prédictions d’un avenir meilleur. Tout cela la rendait encore plus renfermée, plus silencieuse en présence de sa grand’mère et de ses amis. Certains jours, on la voyait, au contraire, d’une gaieté folle, prenant part à toutes les espiègleries d’Ursule et d’Hippolyte.

En 1815, Sophie-Antoinette fit à Nohant un séjour assez prolongé, toutes les routes étant encombrées par les troupes en marche. Les alliés quittaient la France, l’armée impériale avait été licenciée, des régiments français ou étrangers passaient par Nohant, et, dans la maison même de Mme Dupin, plusieurs officiers firent halte ou séjournèrent même pendant un temps plus ou moins prolongé. Il semblait à Aurore qu’elle retrouvait le décor de ses premières années ; c’était la même atmosphère de militarisme napoléonien, héroïque et brillante, qui l’entourait, elle revoyait des amis de son père, entendait une fois encore leurs récits animés, leurs paroles ardentes ou émues, leurs diatribes contre le rétablissement de « l’ancien régime », représenté par Louis XVIII, leurs évocations du glorieux passé de la grande armée, les regrets amers de ces soldats qui soupiraient après lui, l’homme d’impérissable mémoire.

Tous ces brillants et vaillants soldats partis, Sophie-Antoinette quitta Nohant, ainsi que les amis de la grand’mère, « ces vieilles comtesses » qui étaient venues la voir. Un cousin de la petite Aurore, René de Villeneuve, qui avait passé l’automne à Nohant, s’en alla également au grand chagrin d’Aurore et à la grande joie d’Hippolyte, qui venait d’obtenir, grâce à lui, la permission d’entrer comme porte-enseigne dans un régiment de cavalerie.

À la fin de l’automne, Hippolyte partit à son tour. « Alors, dit George Sand, s’écoulèrent pour moi les deux plus longues, les deux plus rêveuses, les deux plus mélancoliques années qu’il y eût encore eues dans ma vie… »

De 1815 à 1817, Aurore vécut en effet à Nohant dans une solitude et un calme absolus, entre sa grand’mère, à moitié infirme, et le pédant Deschartres, devenu grognon. Elle avait avec celui-ci moins de rapports qu’auparavant, ayant elle-même interrompu ses leçons de latin ; il s’était avisé un jour de lui jeter un livre à la tête et elle lui déclara froidement qu’elle ne supporterait plus ses corrections. Elle eut dès lors plus de temps qu’il ne lui en fallait pour se livrer à ses tristes réflexions et à ses lectures solitaires, qui devinrent aussitôt sa passion dominante. À vivre dans la liberté des champs, Aurore avait vite grandi et à douze ou treize ans paraissait déjà presque une jeune fille. Au fur et à mesure qu’elle se développait physiquement, elle sentait s’éveiller en elle un vif besoin d’activité et d’exercices violents. Elle ne tenait plus en place. Souvent, au beau milieu d’une lecture, sans même refermer le livre commencé, elle sautait brusquement par la fenêtre, se sauvait au jardin où dans les champs, passait des journées entières au grand air, sans céder le pas aux gamins du village dans leurs gambades les plus folles, franchissant, comme eux, fossés et ruisseaux, prenant part à leurs entreprises les plus périlleuses et encourant de plus en plus souvent les reproches de Rose pour des robes déchirées ou abîmées et les observations de l’aïeule pour ces disparitions par trop prolongées. Et puis, tout à coup, la soif de s’instruire, soif que sa grand’mère avait su, malgré tout, inspirer à sa tête rebelle, ramenait Aurore aux livres. Son cerveau, autrefois si indifférent aux études, cherchait sa nourriture dans la lecture. Alors, on ne pouvait pas plus arracher la jeune fille à sa chambre et à ses bouquins qu’on n’avait pu la forcer auparavant à rester un moment tranquille.

En 1817, malgré toutes ses idées de libre-penseuse, la grand’maman jugea nécessaire qu’Aurore fit sa première communion. La religion, « rentrait en faveur » avec la Restauration. La dévotion devenait l’apanage de tout noble bien pensant, comme l’athéisme et les railleries à l’adresse de la religion et des superstitions avaient été de rigueur chez tout gentilhomme correct du xviiie siècle. Marie-Aurore était philosophe et voltairienne, mais elle était aussi, ne l’oublions pas, une tante de Charles X et de Louis XVIII. Aussi, tout en restant, jusqu’à la fin de sa vie, inébranlablement fidèle à la libre pensée, et sans faire, jusque sur son lit de mort, la moindre concession aux exigences du catholicisme pratiquant, elle trouva bon, néanmoins, qu’Aurore fit sa première communion, comme cela sied à toute jeune fille de treize à quatorze ans. Jusqu’alors on ne lui avait enseigné aucun précepte religieux. La grand’mère s’était même attachée à extirper une fois pour toutes, de l’âme de sa petite fille, la foi aux miracles et aux choses surnaturelles ; elle avait fait tous ses efforts pour lui donner les explications les plus voltairiennes des miracles évangéliques : entre autres celle de la transsubstantiation dans l’Eucharistie. En envoyant sa petite fille à l’église pour communier, la grand’mère redoutait que la fillette n’apprît à se mentir à elle-même en accomplissant hypocritement des rites auxquels elle ne croirait pas ; d’un autre côté, elle craignait qu’Aurore, avec son caractère passionné, ne devint tout à coup une croyante fervente. Mme Dupin aurait voulu que l’ « affaire fut bâclée » aussi vite et aussi convenablement que possible. Aurore apprit mécaniquement son catéchisme, se confessa et communia chez un vieux prêtre débonnaire de La Châtre, choisi par sa grand’mère. Huit jours plus tard, elle communia une seconde fois, selon l’usage catholique, et c’est à cela que se borna sa « confirmation », dans la doctrine et les dogmes chrétiens.

Pendant le temps de son instruction religieuse, Aurore fut installée, dans la petite ville de La Châtre, chez de vieux amis des Dupin, les Decerfz. Elle se lia avec les enfants de cette famille, comme la vieille Mme Dupin et son fils étaient liés avec la grand’mère et la mère de la petite Laure Decerfz. C’est à La Châtre encore qu’elle fit la connaissance du petit Charles Duvernet appartenant aussi à une famille liée depuis plusieurs générations avec la famille Dupin. Ce Charles Duvernet fut, pendant toute sa vie, un fidèle ami de George Sand. En été et en automne, les jours de messes solennelles et de processions, la grand’mère envoyait Aurore chez les Duvernet ou chez les Decerfz pour y passer un ou deux jours. En même temps, il se trouva qu’une assez bonne troupe d’acteurs ambulants était arrivée à La Châtre, où elle donnait tous les soirs des représentations dans une vieille grange. On jouait des drames, des mélodrames, des vaudevilles, et, le plus souvent, de petits opéras-comiques. Mmes Decerfz et Duvernet, à tour de rôle, menaient les enfants au spectacle. Aurore, Charles et tous les autres petits amis furent enchantés de ces représentations théâtrales. La passion de l’art dramatique était héréditaire chez les descendants de Maurice de Saxe, — l’adorateur d’Adrienne Lecouvreur et de « la dame de l’Opéra » Mlle de Verrières. L’arrière-petite-fille de Maurice de Saxe, qui était bien aussi l’arrière-petite-fille de l’actrice, se montrait d’autant plus charmée de ces spectacles qu’elle aimait passionnément la musique, avait l’oreille musicale et retenait aisément les faciles mélodies des opérettes d’alors, dans le genre d’Aucassin et Nicolette, etc. Le matin, les enfants s’en allaient à la messe, le soir au théâtre, et les intervalles entre les visites au temple de Dieu et celui de l’art se passaient le plus joyeusement possible en jeux et en divertissements bruyants. Les enfants, transportent facilement dans leurs jeux tout ce qui frappe leur imagination, et nos petits amis mettaient tour à tour en scène la messe et les processions, l’opérette et le mélodrame, chantaient à pleins poumons des cantiques et des psaumes, ou des récitatifs et des airs d’opéra. Les châles et les jupes brodées des mamans jouaient, tantôt le rôle de manteaux de chevaliers ou de toges romaines, et tantôt celui de surplis.

En rentrant à Nohant après des journées si bien remplies, Aurore se montrait moins assidue que jamais à ses leçons, et la grand’mère qui avait introduit elle-même sa petite-fille dans ces familles hospitalières, et qui était contente de la voir s’amuser, était alors de plus en plus obligée de la gronder pour son inapplication, sa distraction, sa négligence à apprendre ses leçons et les changements continuels de son humeur. Nature calme, toujours pondérée, toujours maîtresse d’elle-même dès l’âge le plus tendre, la grand’mère perdait complètement la tête devant le caractère étrange de sa petite-fille. Ces bizarres changements d’humeur, ce passage perpétuel d’une gaieté folle à l’apathie et à un morne silence inquiétaient et peinaient la bonne dame. Ces changements lui rappelaient bien un peu l’enfance et la jeunesse de son fils Maurice, mais ils l’effrayaient davantage chez la jeune fille et elle faisait tout son possible pour y mettre fin.

Or, un jour, que la vieille dame venait d’adresser une observation particulièrement sensible à la fillette, Aurore quitta brusquement la chambre en jetant ses livres par terre et en s’écriant : « Eh bien, oui, c’est vrai, je n’étudie pas, parce que je ne veux pas. J’ai mes raisons. On les saura plus tard ». Elle faisait évidemment par là une nouvelle allusion à son intention de partager un jour la modeste destinée de sa mère, pour laquelle, pensait-elle, toutes les sciences étaient inutiles et superflues. Julie, la favorite de la grand’mère, reprocha à l’enfant d’être ingrate et mauvaise, la menaça du courroux de l’aïeule et d’être renvoyée chez sa mère. Aurore lui déclara tout net que c’était là justement ce qu’elle désirait le plus au monde et demanda à Julie de le répéter sans scrupule à sa grand’mère. Julie s’empressa, en effet, de tout rapporter à Marie-Aurore, en ne se privant pas du plaisir d’orner, à sa guise, la scène qui venait d’avoir lieu. La grand’maman en fut vivement courroucée et blessée au cœur. Aurore fut prévenue de ne plus se montrer à ses yeux. Toutes les leçons furent interrompues, aucune surveillance ne fut plus exercée sur la jeune fille. Cela voulait dire, que si Aurore ne voulait pas se conformer au genre de vie et d’éducation que sa grand’mère considérait comme nécessaire, elle n’avait qu’à vivre comme elle l’entendrait. Pendant quelques jours, l’enfant ne ressentit aucun embarras à jouir si soudainement d’une liberté illimitée ; elle passait des journées entières dans les champs avec ses amis villageois, déjeunait et dînait seule, après que sa grand’mère avait quitté la salle à manger, ne faisait que ce qu’elle voulait. Mais au bout de quelques jours, cette vie solitaire commença à lui peser. Rose, qui comprenait que cet ordre de choses ne pouvait durer, ni aboutir à rien de bon, et que le malentendu qui régnait entre l’aïeule et l’enfant ne faisait que grandir de jour en jour, conseilla à la fillette d’aller demander pardon à sa bonne maman. Aurore s’empressa de suivre ce conseil et, tombant à genoux, sincèrement repentante, devant sa grand’mère attristée et malade, elle lui baisa tendrement la main. La vieille dame, tout en voulant le bien de l’enfant, commit une faute énorme et irréparable. Elle était effrayée de voir que tous ses efforts pour faire d’Aurore une jeune fille raisonnable n’aboutissaient qu’à des résultats tout contraires, que la jeune rebelle lui échappait de plus en plus. Elle se persuada qu’avec ces tendances et ces dispositions l’enfant finirait par se perdre, que le sort qui l’attendait ne pouvait être que malheureux si on la remettait effectivement entre les mains d’une mère fantasque et frivole, et elle se décida à recourir à un dernier et héroïque moyen. Elle voulut préserver l’enfant du malheur qu’elle sentait menaçant ; elle lui révéla sans rien dissimuler, le passé de sa mère et lui mit devant les yeux, les dangers que lui ménageait une existence commune. Sophie-Antoinette et Marie-Aurore avaient déjà commis bien des fautes et causé bien du mal par leur amour déraisonnable et leur animosité réciproque, mais cette dernière faute fut la plus terrible de toutes ; elle gâta tout. Le sentiment filial d’Aurore fut outrageusement insulté, son âme enfantine fut épouvantée et souillée par des propos et des pensées que ses innocentes oreilles n’eussent jamais dû entendre, sa fierté filiale fut humiliée. L’horreur et le chagrin qu’elle en ressentit furent si profonds, qu’elle en parut d’abord comme pétrifiée. Dès ce moment elle vécut machinalement, perdit le goût de vivre. De longues journées s’écoulèrent ainsi. Puis, ce désespoir prit un autre caractère. Aurore devint tout à coup ce qu’on appelle un « enfant terrible ». Son air provocant semblait dire : « Baste ! qu’importe ! Je n’ai rien à perdre ! Vous allez voir de quoi je suis capable !… » Voyant que l’enfant courait ainsi à des malheurs certains, qu’elle se montrait indomptable, la grand’mère lui déclara qu’elle allait la mettre en pension au couvent des Anglaises à Paris. Aurore espéra un moment que sa mère protesterait contre une pareille décision, mais quand elle s’aperçut, en la revoyant, qu’elle l’acceptait non seulement avec indifférence, mais que, visiblement détachée de sa fille, elle employait toute son éloquence à lui persuader d’obéir à la volonté de sa bonne maman, l’enfant renonça du coup à tous ses rêves d’autrefois et se soumit docilement aux volontés de sa grand’mère.

Le couvent des Anglaises avait été fondé par Henriette d’Angleterre, veuve de Charles Ier, pour les religieuses émigrées, Anglaises, Écossaises et Irlandaises, et le pensionnat qui en faisait partie, était considéré comme le meilleur établissement d’éducation pour les jeunes filles des familles nobles, surtout depuis la Restauration, lorsque la religion et la piété furent à l’ordre du jour. Il y a tout lieu de supposer, qu’indépendamment de ce qui venait de se passer, la grand’mère aurait volontiers placé Aurore dans cet établissement fashionable. Elle jugeait certainement utile et important qu’Aurore passât les années de son adolescence avec des jeunes filles de son monde, s’y créât des relations et des amitiés et que son éducation, par trop originale jusque-là, fût plus conforme aux exigences de sa caste.

Aurore, de son côté, trouvait fort indifférent de rester à la maison ou d’entrer au couvent ; elle était plongée dans une morne apathie, tout la dégoûtait. « On est partout plus mal, » avait-elle l’air de penser. Elle se laissa conduire au couvent sans faire la moindre résistance, et, au commencement de l’hiver 1817-1818. elle entra au pensionnat des Anglaises.

L’entrée d’Aurore Dupin sous les voûtes du couvent inaugura une nouvelle période de sa vie, période de bonheur relatif et de calme. C’était la fin de son enfance et de son adolescence et le commencement de sa jeunesse.

C’est de cette époque que nous allons nous occuper dans le chapitre suivant.



CHAPITRE IV
(1817-1821)

Le couvent. — Diablerie. — Mysticisme. — Socialisme chrétien. — Les jésuites. — Molière au couvent. — 1820. — Crise morale : vie indépendante ; premiers romans ; éléments du caractère littéraire et individuel.

Le destin qui, jusque-là, avait donné à la future George Sand la possibilité de voir de près le grand monde, la petite bourgeoisie de Paris, les villageois, le brillant milieu militaire et la vie de campagne des troupes napoléoniennes, ouvrit alors devant elle les portes d’un monde qu’elle ignorait encore : le catholicisme, le christianisme avec ses vastes et poétiques horizons. La pauvre jeune fille, toute désespérée par les continuelles disputes de famille, trouva au couvent le repos extérieur, la possibilité de faire des études régulières, une société animée de jeunes compagnes de son âge, avec lesquelles elle pouvait folâtrer ou s’occuper sans mécontenter qui que ce fût. À son esprit fatigué par les doutes et les déchirements intérieurs, le cloître présentait des dogmes immuables et des convictions établies, consacrées par les siècles. Son pauvre cœur d’enfant, martyrisé par un amour humain vraiment déraisonnable, se trouva tout à coup au milieu d’un essaim d’êtres, jeunes et vieux, absorbés par la pensée de Dieu, cherchant dans l’amour divin leur repos et leur félicité. Et l’âme d’Aurore, naturellement portée vers l’idéal religieux, « tourmentée de choses divines, » trouva l’aliment qu’il lui fallait, la foi à Laquelle elle aspirait inconsciemment. C’est là qu’elle puisa cette forte croyance en Dieu, en l’immortalité de l’âme, qui ne l’abandonna plus durant toute sa vie, lui faisant franchir, sans y sombrer, les périodes du désespoir le plus profond et de la critique la plus libre en matière de dogme. Par nature, c’était une âme religieuse qui ne changea jamais, quoique le nom de George Sand fasse jusqu’à présent l’épouvantail des dévots et que ses livres se trouvent toujours à l’index. Il ne viendra sans doute pas de sitôt le jour rêvé par le personnage inconnu et mystérieux dont parle le vicomte de Spoelberch dans ses Lundis d’un chercheur : « Aussi, à propos de certaines pages spéciales de l’auteur de Lélia, de certains appels au Créateur, pleins d’éloquence et de foi, avons-nous entendu sans surprise un membre distingué du clergé français nous exprimer l’opinion, qu’à son avis, l’avenir réservait à ces élans enflammés, à ces supplications entraînantes, l’étonnant retour de fortune d’être un jour cités en chaire comme d’admirables exemples de prière ardente et chrétienne[79]… »

Aurore Dupin passa trois ans au couvent des Augustines Anglaises, de l’hiver 1817-1818 jusqu’au printemps de 1820. Elle assure que ce furent peut-être là les années les plus heureuses de sa vie. Depuis sa naissance, la fillette se trouvait en effet pour la première fois dans un milieu plus ou moins normal et calme, bien que, là aussi, tout ne passât pas sans petites collisions entre élèves et supérieures, mais les bonnes impressions et les bons côtés de la vie de couvent l’emportaient de beaucoup sur ces petits désagréments, inévitables dans tout internat. Deux ou trois querelles avec Mlle D…, chargée de la petite classe où Aurore était entrée, et une vive altercation avec la supérieure qui avait décacheté les lettres d’Aurore à sa grand’mère, dans lesquelles la fillette s’était amusée à faire des descriptions satiriques et à caricaturer le couvent et ses habitantes — événement que George Sand daigna appeler trop complaisamment « nouveau déchirement » dans sa vie, attachant trop de valeur au désenchantement et au chagrin qu’elle avait éprouvés à la nouvelle de la violation de sa correspondance — voilà, semble-t-il, à quoi se réduisent tous les désagréments qu’elle eût à supporter pendant son séjour au couvent. Ajoutons à cela les défauts habituels de ces établissements d’éducation : mauvaise nourriture, cellules et dortoirs froids, surveillance trop rigoureuse pour qu’aucun bruit du monde extérieur n’arrive aux élèves, et nous aurons tous les côtés désagréables de la vie d’Aurore chez les Dames Augustines. Sa vie de couvent avait cependant pour elle de si bons côtés que les mauvais ne peuvent pas être mis en balance.

D’abord, malgré l’insuffisance des études que l’on y faisait, c’étaient pourtant des études systématiques et réglées ; et si, après trois ans, Aurore n’y acquit pas de trop amples connaissances, elle y apprit du moins, outre l’anglais, qu’elle posséda à fond, à travailler tous les jours d’une manière régulière. George Sand raconte avec beaucoup d’humour que, quoique sa grand’mère et elle fussent très fières de ses brillantes connaissances, il se trouva que la petite philosophe, l’écrivain d’ « exercices de style » ne savait pas même faire le signe de la croix comme il faut, et scandalisa la maîtresse et égaya toute la petite classe par son ignorance complète du catéchisme et des dogmes fondamentaux de la religion. Ses autres connaissances étaient à peu près dans le même état ; elle discutait sur les faits historiques, sans presque connaître la chronologie et les événements, et il en était de même en grammaire et en géographie.

Sous le rapport moral, le système d’éducation catholique que beaucoup de personnes jugent superficiellement et condamnent sans vouloir l’approfondir, offre cependant ce bon côté qu’il développe dans la jeunesse la volonté de lutter contre les penchants égoïstes, qu’il pousse vers une perfection continuelle, vers l’analyse incessante de soi-même et au désir de se spiritualiser. En même temps, la sévère discipline du couvent non seulement n’exclut pas les relations cordiales entre ses jeunes et ses vieilles habitantes, elle crée, au contraire, une intimité toute particulière et vraiment touchante entre ces femmes qui ont renoncé au monde et leurs élèves, pour la plupart jeunes filles correctes, affables envers leurs compagnes et celles des religieuses qui s’occupent spécialement de leur éducation en choisissant comme « filles » une ou plusieurs d’entre elles. Toute cette atmosphère d’amour placide, sans petites persécutions réciproques, sans jalousie, sans pleurs ni scènes d’aucune sorte, ce milieu où tout le monde s’aimait, mais où tout sentiment et toute pensée se portaient avant tout vers Dieu, était un véritable bienfait pour Aurore, élevée d’une manière si irrégulière.

Un autre avantage encore, c’était que la société joyeuse de ses compagnes empêchait l’enfant de se livrer à des réflexions prématurées sur l’avenir, sur la triste vie qu’elle avait eue et qu’elle aurait encore à passer entre sa grand’mère et sa mère, et sur la nécessité où elle serait de choisir entre elles. Comment eût-elle eu le temps d’être triste et de rêver, quand il lui fallait tantôt jouer aux barres, tantôt manigancer quelque escapade avec toute la classe ou organiser des excursions pour délivrer la victime. Cette victime légendaire que personne n’avait jamais vue, mais qu’on s’imaginait exister dans quelque souterrain ou grenier du monastère et à laquelle toutes les pensionnaires croyaient, il fallait la délivrer, mais l’on ne savait où elle était murée. Elle était ce prétexte tout trouvé des rêveries auxquelles sont toujours si enclins jeunes gens et jeunes filles séquestrés du monde, rêveries qui servent de pâture à leur esprit et à leur imagination, leur donnant en même temps l’occasion de déployer leur volonté et l’excès de leur jeune énergie.

Dès le premier jour de son entrée au couvent, Aurore fût l’âme et le boute-en-train de tous les jeux. Elle s’enrégimenta sans balancer dans le camps des espiègles, à qui on avait donné le surnom de diables pour les distinguer des élèves exemplaires ou « sages », et des « bêtes ». Ces dernières n’étaient ni folles comme les premières, ni studieuses et dévotes comme les secondes ; elles se contentaient tantôt de rire à gorge déployée des espiègleries des « diables », tantôt de les blâmer avec les « sages » et, quand il y avait danger, elles ne manquaient jamais de dire : « Ce n’est pas moi, ce n’est pas nous. »

Parmi les compagnes d’Aurore, il y avait de très gentilles et sympathiques jeunes filles, portant pour la plupart de grands noms. Les pages que George Sand leur consacre dans son Histoire sont si bien senties et si bien écrites que nous ne nous permettrons pas de les répéter, d’autant plus que nous devons nous borner à signaler ici ceux des événements de la vie cloîtrée d’Aurore Dupin qui eurent une influence sur son caractère et sur son développement moral et intellectuel.

Aurore conserva avec beaucoup de ses amies des relations affectueuses, même après sa sortie du couvent, tout comme elle entretint pendant de longues années une correspondance avec sa « mère spirituelle » Alicia, grand cœur, esprit original, qui avait su dompter l’insoumise petite berrichonne à force de douceur, de patience et surtout d’amour.

Un autre côté encore qui se refléta fortement sur la nature impressionnable d’Aurore, ce fut l’aspect pittoresque et le charme poétique du couvent. Ce dédale de vieilles constructions, avec ses couloirs et ses cloîtres, ses galeries, ses escaliers et ses recoins mystérieux, où les lampes scintillaient dans la pénombre ; toutes ces niches, ces greniers et ces souterrains ; ces cellules proprettes toutes remplies du pieux et naïf bric-à-brac, dont la foi simple embellit les objets de sa vénération, toutes ces fleurettes, ces enluminures, ces cierges, ces auréoles et ces dorures ; l’église, avec son tableau admirable du Titien ; le jardin embaumé de fleurs et endormi dans son calme poétique ; la petite cour toute pavée de pierres sépulcrales aux emblèmes de mort ; les hautes murailles, les grilles en fer et les grandes portes lourdes retombant à grand bruit ; tout cela ne pouvait pas ne pas enchanter l’artiste inconsciente qui sommeillait dans la jeune fille.

Il est digne de remarquer que la conversion d’Aurore, qui survint la seconde année de son séjour au couvent, dépendit en grande partie de ces impressions purement artistiques et que la poésie extérieure du catholicisme y joua aussi un rôle considérable. Durant la première année, Aurore s’était montrée fort indifférente aux cérémonies obligatoires du culte et aux pratiques religieuses du monastère. Aux heures des offices, elle lisait des prières, accompagnait ses condisciples à l’église, écrivait avec elles pour son confesseur de petits « examens de conscience », qui finissaient toujours par les mots d’usage : « mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa ; elle assistait aux leçons de catéchisme, mais son âme n’y avait aucune part. À l’exemple de ses compagnes, elle sommeillait à l’église sur son petit banc ou se distrayait sans écouter le sermon du prédicateur. Vers la fin de la seconde année qu’elle passa au couvent, lorsque toutes les escapades semblaient être épuisées et que la diablerie commençait à l’ennuyer, elle lut un jour dans « la Vie des Saints », livre qu’on lui avait donné, la vie de Siméon le Stylite, dont Voltaire s’était tant moqué jadis. Aurore fut frappée de cette foi profonde, qui avait amené un homme à un fanatisme ressemblant à celui des fakirs indous. « La sainteté l’intéressa par son côté psychologique, » elle se mit à lire avidement le Martyrologe, dans l’espoir d’y trouver la solution de cette énigme psychologique. Elle se remit également à lire l’Évangile, mais comme il n’avait plus pour elle le charme de la nouveauté, qu’elle le connaissait trop, puis, se souvenant de plus des commentaires athées de sa grand’mère, sa lecture ne produisit sur elle aucun effet bienfaisant. Néanmoins, le sol était préparé. Un soir qu’Aurore s’était échappée d’une leçon, elle entra comme par hasard dans l’église demi-obscure. Le superbe tableau du Titien était éclairé par la lumière vacillante d’une petite lampe ; une religieuse solitaire, humblement prosternée sur les dalles, semblait anéantie dans la ferveur de sa prière. Aurore crut tout à coup reconnaître une voix mystérieuse qui lui redisait le même tolle, lege qu’avait entendu saint Augustin. Son âme tressaillit, ce fut pour elle comme une révélation ; elle fut touchée par la « grâce ».

Nous avons déjà eu l’occasion de dire que la soif des choses divines qui s’était manifestée chez Aurore, son besoin d’aimer, de croire en quelque chose qui fût toute bonté, toute puissance, qui s’éleva au-dessus des hommes et de leurs passions mesquines et égoïstes, au-dessus de leurs inconstances, le besoin de croire en quelque chose d’éternel, d’absolu, l’avait amenée à créer son Corambé. À cette heure, la Bonté suprême, l’Omnipotence, l’Éternel, l’Absolu même s’était soudainement révélé à elle, l’avait éclairée de sa lumière éblouissante et avait rempli son cœur d’une joie ineffable. Cette conversion subite ébranla et bouleversa sa jeune âme. Les doutes d’autrefois, les idées précoces et déplacées dans une tête de treize ans furent instantanément oubliés, sa vie prit une nouvelle direction, un autre sens. Il n’était pas dans le caractère d’Aurore d’aimer à moitié, elle s’adonna au bonheur de croire avec passion, avec entraînement, avec un entier oubli de soi-même.

Elle alla trouver son confesseur, l’abbé de Prémord, homme d’esprit et de cœur, et lui dit qu’elle ne s’était jamais, comme il le savait, dignement confessée, qu’en conséquence, elle n’avait jamais reçu de lui l’absolution, mais qu’elle le priait, vu sa conversion, de la confesser et de la réconcilier formellement avec l’Église. L’abbé de Prémord était un homme pénétrant, plein de finesse ; il était non seulement très habile à discerner le caractère. Les inclinations, le degré de développement de chacune de ses pénitentes, mais il s’entendait encore à diriger les âmes de ses ouailles conformément à leurs penchants et aux traits de leurs caractères. Il vit aussitôt à quelle âme sincère, profonde et sans frein il avait affaire, et qu’il devait agir avec elle contrairement à la routine et aux habitudes ordinaires. Pour toute confession, il lui fit raconter en détail, dans toute la sincérité de son cœur et sans rien lui cacher, sa vie antérieure, les souffrances et les épreuves de son âme. À la fin de cet examen spirituel, il lui dit qu’il ne jugeait pas nécessaire de lui demander une confession de ses petits péchés véniels et qu’il lui permettait de communier le lendemain, exigeant seulement que dorénavant elle veillât elle-même, à ce que sa foi ne souffrit aucune atteinte par sa négligence.

Depuis ce jour la vie d’Aurore changea complètement. Les espiègleries et les jeux perdirent pour elle tout charme, tout intérêt. Sans le moindre effort de volonté, de « diable » qu’elle était, elle se convertit en « sage ». Il n’y a pas à s’étonner si, dès lors, elle devint tout aussi exemplaire dans le travail et l’étude, que jusque-là elle avait été portée à s’amuser et à ne rien faire. Du matin au soir elle fut comme dévorée du désir de se perfectionner, de se corriger de tous ses mauvais penchants, d’atteindre à l’idéal de la vertu chrétienne qui seule pouvait témoigner de sa reconnaissance envers le Créateur pour sa conversion à la lumière. Plusieurs compagnes d’Aurore s’étonnèrent de cette conversion subite, d’autres s’en réjouirent, d’autres encore s’en attristèrent. Elle-même se montra indifférente à leur blâme comme à leur approbation. Dans l’état de béatitude où elle se sentait après avoir été touchée par la « grâce », tous les attachements humains et les intérêts terrestres reculèrent à l’arrière-plan. Ce n’était pas qu’elle n’aimât plus ses camarades ou qu’elle se fut refroidie envers elles, mais ces sentiments étaient comme éclipsés par l’unique amour de Dieu qui absorbait tous les autres. Sa foi devenait de jour en jour plus exaltée. Elle passait des heures entières en prières extatiques ; elle se confessait et communiait chaque dimanche et parfois même plus souvent ; elle se mit à porter autour du cou, en guise de cilice, un chapelet de filigrane qui l’écorchait jusqu’au sang. « Je sentais, dit-elle la fraîcheur des gouttes de mon sang. « Je sentais, d’une douleur, c’était une sensation agréable. Enfin je vivais dans l’extase, mon corps était insensible, il n’existait plus. La pensée prenait un développement insolite et impossible. Était-ce même la pensée ? Non, les mystiques ne pensent pas. Ils rêvent sans cesse, ils contemplent, ils aspirent, ils brûlent, ils se consument comme des lampes et ils ne sauraient se rendre compte de ce mode d’existence qui est tout spécial et ne peut se comparer à rien[80]. » Peu à peu elle arriva ainsi à l’idée de se consacrer à Dieu et de prendre le voile. Si, déjà avant sa conversion, la vie de couvent, calme, paisible, en société de femmes douces, dépourvues de passions, lui avait paru un paradis sur la terre, en comparaison de sa vie pénible, triste et agitée, grâce à l’amour déraisonnable de ses deux mères et à leur inimitié réciproque, — à plus forte raison, maintenant ; elle n’eut plus qu’une pensée, passer le reste de ses jours dans le cloître, loin du monde et de ses passions égoïstes, loin de tout intérêt bas et personnel, entourée de personnes entièrement dévouées à Dieu. Poussée par ces sentiments chrétiens, elle s’était liée d’amitié avec les sœurs converses les plus humbles, chargées des emplois les plus inférieurs ; elle s’acquittait pour elles des travaux les plus grossiers et les plus malpropres, trouvant une consolation dans ce rapprochement avec ces pauvres servantes du Seigneur. Ou bien encore elle passait des heures entières avec les plus petites élèves et les aidait à bêcher leurs parterres et à planter des fleurs. C’est ainsi qu’elle passait évangéliquement la plus grande partie de son temps avec « les petits enfants » et avec les « pauvres d’esprit ». Les compagnes d’Aurore voyaient avec étonnement et mépris ces occupations ; certaines disaient qu’elle avait perdu l’esprit. Elles ne comprenaient pas, que cette âme ardente ne pouvait croire avec calme, aimer Dieu avec tiédeur, ne pas s’efforcer d’être chrétienne dans toute la force du terme, en s’immolant, en souffrant ; qu’elle voulait, en chaque action et à chaque pas, suivre l’enseignement du Christ et aimer parvulos quos de cet amour qui agit, prescrit par L’Évangile.

Nous ne pouvons pas ne pas attirer ici l’attention du lecteur sur ce fait de toute importance, que les premiers pas d’Aurore Dupin dans la voie religieuse étaient empreints de cet amour actif, et ne pas faire remarquer qu’elle puisa, avant tout, dans le christianisme cette pitié qui en est l’essence même et vers laquelle elle s’était sentie inconsciemment attirée lorsqu’elle avait créé son Corambé, divinité toujours occupée à soulager les malheureux, à protéger les faibles, à consoler les oppprimés. L’amour actif du prochain, était non seulement la religion la plus appropriée au caractère d’Aurore Dupin, c’était le fond même de son âme. Toute âme possède une parcelle de la divinité, un cristal — base première — autour duquel viennent se grouper les autres qualités de l’âme et dont les facettes reflètent Le Grand Soleil. Dans Aurore, ce diamant était une miséricorde et une charité sans bornes, un amour actif, celui dont saint Jean ne cessa de parler sur son lit de mort. Comme une source alpestre, née du pur cristal d’un glacier qui fond aux rayons du soleil, devient peu à peu un torrent impétueux entraînant tout ce qu’il rencontre sur sa voie — ainsi le développement ultérieur, l’activité et la direction d’esprit de George Sand prirent naissance dans cette essence fondamentale de son âme. L’amour actif, cette source latente, mystérieusement cachée au milieu de ses rêveries enfantines jaillit, du chaos de ses sentiments et de ses pensées, en un torrent, qui les emporta avec lui. Comme un ruisseau clair et limpide, il traversa toute la jeunesse d’Aurore et les années troubles et sombres de sa vie conjugale. Devenu rivière profonde et transparente, il refléta les belles et grandioses créations sociales de notre siècle ; plus tard, il faillit l’entraîner dans le gouffre des ténèbres révolutionnaires… Et comme les embouchures sans rivages de nos rivières russes qui, déversant leurs bienfaits à des centaines de verstes, se confondent insensiblemens avec la mer, ainsi, au déclin de la vie de George Sand, cet amour infini du prochain, encore élargi, embrassant toute l’humanité, lui rendit insensible et presque joyeux le passage de la vie terrestre à l’océan de l’Éternité. C’est en cet amour-actif, qu’il faut chercher le principe de tous les engouements de George Sand pour les doctrines sociales ; la raison de ses sympathies pour Le saint-simonisme, de son adoration pour Rousseau et Lamennais, de son amitié pour Pierre Leroux, Michel de Bourges et les républicains de 1848, la cause de son enthousiasme lors de l’élection à la présidence de la république de Napoléon III, qu’elle regardait comme le vrai défenseur des droits sociaux du peuple à l’inverse des représentants des autres partis politiques, plus soucieux de la forme du gouvernement que du bien des masses populaires. Voilà les vrais motifs de sa discorde en 1870-1871 et même de ses querelles avec ses anciens amis républicains. Les partis n’avaient d’importance à ses yeux qu’autant qu’ils prenaient la défense des faibles, des opprimés, des déshérités de la vie, qu’ils se faisaient les avocats de ceux auxquels on refusait tout droit. Ils perdaient sa sympathie aussitôt qu’ils devenaient triomphants, qu’ils se faisaient persécuteurs, vengeurs, oppresseurs, soufflant la haine et la discorde. Pendant toute sa vie, elle donna ses préférences au régime républicain qui seul lui semblait pouvoir assurer le bonheur des masses et lui paraissait le plus propre à satisfaire les vœux de toutes les classes, mais elle ne fut jamais vraiment un écrivain politique. Nous avons déjà eu l’occasion de parler plusieurs fois[81] ailleurs, des prétendues trois périodes de sa carrière littéraire, répétées dans toutes ses biographies, de ces trois malheureuses phases, auxquelles ne peut échapper aucun écrivain, aucun compositeur, aucun artiste, et dont la seconde serait pour George Sand son « entraînement subit pour les idées sociales » et la troisième son « retour à l’art pur et doux ». C’est tout aussi rebattu que faux. On dit aussi fréquemment qu’elle a presque toujours écrit sous l’influence de tels ou tels inspirateurs, et qu’on peut en suivre les traces dans toutes ses œuvres. On serait cependant bien plus juste et plus près de la vérité si l’on disait, que depuis l’époque où elle avait soulevé les sceaux malpropres de la sœur converse Hélène, dans l’unique but de venir en aide à cette humble servante, objet de répulsion du couvent, jusqu’en 1870-71, moment où elle rompit avec ses anciens amis et blâma les crimes de la Commune aussi chaudement qu’elle avait applaudi le retour de la République, George Sand, fidèle à elle-même, resta toujours socialiste dans le sens de la prédication de la charité, de l’amour actif envers Le prochain. Si elle a pris à cœur les doctrines de Lamennais, de Michel de Bourges et de Leroux, si elle s’en est enthousiasmée et leur a servi de porte-voix dans ses romans et ses articles, si elle a fondé des journaux et écrit des bulletins pour propager les idées de ses amis républicains elle ne se fit pas faute de les abandonner aussitôt qu’elle ne vit plus en eux que des rhéteurs de partis, qui oubliaient le peuple pour leurs propres intérêts (comme Michel de Bourges), ou qui, pour les réaliser, recouraient au poignard et à la baïonnette (comme les agitateurs de 1870), ou bien encore lorsque les intrigues et les querelles des partis leur faisaient oublier le bien général, le bonheur des masses, questions qui, pour George Sand, primaient toutes les théories sur les différentes formes de gouvernement. George Sand, nous le répétons, ne fut jamais un politicien. C’est là un point que ne voient ni les conservateurs qui lui font un crime d’avoir pris part au gouvernement provisoire, ni les libéraux qui la louent de sa ligne de conduite. Que les deux partis condamnent, s’ils le veulent, ce que nous avançons, nous nous en tenons à notre assertion ; elle ressort de toute la vie et de tout l’œuvre de George Sand. Les politiques, qu’ils soient conservateurs ou libéraux, sont des hommes, convaincus d’être seuls possesseurs de la vérité ; ils se croient le droit de persécuter les autres pour leurs erreurs ; dans l’un comme dans l’autre cas, ce sont des représentants d’une église militante, des adeptes de saint Pierre. Les socialistes sont des adeptes de saint Jean. George Sand professait le socialisme tel que l’entendait saint Jean : « Frères, aimez-vous les uns les autres. » L’Évangile de saint Jean, base de toutes les sectes sociales et chrétiennes du moyen âge, des hussites et des moraves jusqu’aux francs-maçons et aux carbonari, fut, comme on le sait, le résultat de la doctrine auquel est arrivé Lessing dans ses derniers ouvrages philosophiques, tels que son Testament Johannis, ses Freimaurer-Gespräche, etc. Le même évangile est le fond des croyances religieuses du moine Alexis dans le roman de George Sand, Spiridion. Mais Alexis et son maître mystérieux ne sont pas les seuls : tous les représentants de sectes apparaissant d’une manière ou d’une autre dans les romans de George Sand : les carbonari dans Lélia, les hussites et les thaborites dans Consuelo, Jean Ziska et Procope le Grand, les illuminés et les francs-maçons dans la Comtesse de Rudolstadt, tous ces sectaires sont autant de prédicateurs de l’évangile de saint Jean. Et lorsque, à la fin de sa vie, elle écrivit ses Impressions et Souvenirs, elle y parla encore de saint Jean et consacra des pages inspirées à cet Évangile de l’amour. Et si elle s’est laissée entraîner par les récits que Liszt et Mickiewicz lui faisaient des sectes slaves ; si elle a sympathisé avec les Hongrois opprimés par les Autrichiens et les Polonais vaincus par les Russes ; si avec Leroux, elle a vu dans les hussites et les thaborites des prédicateurs actifs du christianisme, comme doctrine sociale ; si, pour la même cause, elle entourait d’un culte passionné Lamennais et a prêté sa plume à le défendre contre les attaques de Lerminier et autres représentants de la morale bourgeoise, elle ne l’a fait, répétons-le, que parce que ces doctrines, ces récits et ces prédications répondaient à ses tendances, à son propre idéal. Et ces tendances et cet idéal se sont développés en elle et ont grandi sur le sol de son ardeur religieuse qui, il est vrai, se modifia plus tard ; George Sand eût à traverser une période de doute poignant ; avec les années elle rejeta entièrement les pratiques du culte, se dégagea de l’étroitesse du catholicisme, devint déiste, presque panthéiste, mais un profond sentiment religieux ne l’abandonna jamais, sentiment qu’elle devait tout autant à sa nature qu’à sa vie au couvent. On ne saurait dire, quelle direction eût pris le développement de son esprit, si elle avait passé toute sa jeunesse avec son aïeule incrédule et voltairienne ou avec sa mère superstitieuse.

Aurore avait passé l’automne de 1818 soit avec les petites élèves qu’elle aidait à bêcher leurs jardinets, soit avec les humbles sœurs converses, pour lesquelles elle travaillait et à qui elle donnait des leçons. L’une de ces sœurs converses, Irlandaise fanatique, exaltée et ignorante, était entrée au couvent contre la volonté de sa famille, avait renié ses proches et tout ce qu’elle avait de cher au monde pour la gloire du Christ et croyait être en possession du vrai bonheur, car, ayant fait couler les larmes et enduré les reproches de ses parents (!), maudite par son père, libérée de tout lien terrestre, elle pouvait s’adonner au seul amour divin. Cette exaltée encouragea Aurore, par ses récits, à renoncer au monde et à se faire religieuse. Aurore communiqua son projet à son confesseur, l’abbé de Prémord, et à sa « mère spirituelle ». Ni l’un ni l’autre ne prirent la chose au sérieux. Ils lui conseillèrent de ne pas s’empresser de prononcer des vœux trop hâtifs et d’attendre pour en parler à ses parents, afin de ne pas les attrister et de ne pas avoir plus tard à être elle-même malheureuse. George Sand a bien raison de dire que c’est un bonheur que son confesseur n’était ni fanatique ni même catholique orthodoxe, mais jésuite. Le catholicisme se résume dans les mots : « Hors de l’Église, pas de salut. » Les jésuites disent : « Chacun trouve son salut selon le degré de sa sincérité et de ses bonnes intentions. » George Sand nous donne, à ce propos, une analyse très intéressante de l’ordre des jésuites comme secte sapant en réalité la papauté, dont elle devrait être un support, conformément au but de sa fondation. Le jésuitisme renferme un principe de liberté individuelle rejetée par le catholicisme. Le catholicisme pris à la lettre est une négation de la vie, une préoccupation égoïste et personnelle du salut de soi-même. Les jésuites, au contraire, s’efforcent de concilier la foi avec les facultés et les inclinations et d’en faire une aide et un levier pour ramener à Dieu chaque individualité. George Sand n’oublie pas le revers de la médaille, la devise jésuitique : « La fin justifie les moyens », qui a amené de si grands abus ; mais elle conseille aussi de ne pas juger les institutions politiques et religieuses d’après leurs résultats, moins encore par leurs aberrations, ou il faudrait alors condamner le christianisme lui-même en le jugeant sur les atrocités de l’Inquisition et autres erreurs et malentendus semblables. Certains lecteurs seront, à coup sûr, complètement désenchantés en apprenant que George Sand s’est faite ainsi l’apologiste des jésuites. Quant à nous, nous ne pouvons que rendre justice à son impartialité et soutenir que, pour elle, du moins, le jésuitisme a été une institution bienfaisante. « Si l’abbé de Prémord eût été fanatique, écrit-elle, je serais morte à l’heure qu’il est, ou folle. » Quiconque connaît tant soit peu le triste sort des malheureux qui ont prononcé dans leur jeunesse des vœux trop précipités et se sont trouvés murés à tout jamais dans l’esclavage monastique, intolérable pour toute âme libre, ne trouvera certes rien d’exagéré dans ce que nous venons de dire. Le romancier italien, Verga, dans sa charmante et touchante nouvelle Capinera (Fauvette à tête noire) nous conte la vie tragique d’une jeune fille, qui, par inexpérience et pour obéir à ses parents, avait pris le voile. Cette jeune fille ; lorsque son cœur se fut éveillé à la vie et à l’amour, se vit avec terreur ensevelie toute vivante dans un couvent. Après d’incroyables tortures morales elle en arriva aux suprêmes limites de la souffrance humaine, à la folie, à la réclusion dans un in-pace, à la mort, loin de toute communication avec le monde des vivants. Et cette pauvre petite Capinera était une âme douce et simple, une petite bourgeoise italienne insignifiante, qui ne s’était élevée au-dessus du niveau commun que par la force de son amour et au prix de ses épreuves terribles. Mettons à sa place l’âme ardente et agitée d’une Aurore Dupin avec ses élans et ses brusques contrastes, avec son ardeur et sa force, avec son imagination, sa foi exaltée et ses moments de doute cuisant, avec son talent d’artiste qui ne cherchait que l’occasion de se déployer ! Quelle horreur ! On ne peut que féliciter Aurore de ce que l’abbé de Prémord était moins catholique qu’elle-même, qu’il ne faisait pas de prosélytisme et qu’il fut un bon prêtre jésuite très indulgent, un peu mondain et plus préoccupé de ne pas fâcher les parents de ses élèves que soucieux de gagner à l’autel une nouvelle « fiancée du Christ » !

Aurore ne savait ni aimer, ni croire avec tiédeur, elle ne savait qu’adorer à l’excès ; elle était devenue plus catholique que son confesseur, était éternellement mécontente d’elle-même, craignait sans cesse de tomber tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre péché ; du matin au soir elle analysait et scrutait sa foi et ses rapports avec Dieu ; en un mot elle était devenue ce qu’en style de couvent on appelle scrupuleuse. Sa santé se ressentit bientôt de cette tension d’esprit ; elle devint pâte, maigre, souffrit d’insomnie, dépérit à vue d’œil, brûlée par un feu intérieur. Cette langueur physique amena à son tour une défaillance morale, Aurore crût remarquer que sa foi s’affaiblissait ; elle avait des moments d’apathie spirituelle, d’insensibilité, qu’elle subissait comme un châtiment mérité pour des péchés imaginaires. Un jour enfin, elle alla, tout effrayée, se confesser à l’abbé de Prémord de ses prétendus péchés qui ne lui permettaient pas, disait-elle, d’être en paix avec Dieu et la privaient de cet état de grâce dans lequel elle avait vécu plusieurs mois.

L’abbé de Prémord saisit le motif de ce « refroidissement de foi » de son enthousiaste pénitente, et, en sa qualité de directeur spirituel, lui défendit de s’adonner à la prière des heures entières au lieu de courir avec ses amies, de passer toutes les récréations sur les dalles froides de l’église, de se mortifier inutilement et de se livrer à ses scrupules. Il lui imposa comme pénitence de mener un genre de vie plus conforme à son âge et à sa nature, de jouer, de s’amuser, de sortir de son ascétisme, de vivre dans la société, en un mot, d’être à la fois affable et pieuse. « Dieu n’aime pas les élans fiévreux d’une âme en délire, dit-il, il préfère un hommage pur et soutenu. » L’abbé Prémord avait parfaitement deviné le caractère de sa pénitente, tout composé de contraste et de transitions d’un extrême à l’autre. Ce conseil était donné très à propos. D’abord, Aurore ne se remit à jouer aux barres et à la balle que par obéissance pour son confesseur, puis elle reprit goût au jeu et redevint bientôt le boute-en-train de tous les amusements. La piété d’Aurore n’en souffrit nullement, mais la « diablerie » ne ressuscita plus : les jeux, les espiègleries n’étaient plus les mêmes. Jamais le couvent n’avait vu des jours d’une joie aussi franche ; toutes les élèves, grandes et petites, ne formèrent plus qu’une seule famille amicale dont Aurore était le centre. En très peu de temps elle recouvra la santé, le calme de l’esprit et sa foi sereine. Elle ne s’épuisa plus en prières ascétiques et sut trouver dans l’affection et la société de ses amies cette tranquillité et cet équilibre d’âme, qui lui rendit le bonheur de la prière confiante. Jamais, selon elle, elle ne s’était sentie si heureuse, si aimée, parce que, ajoute-t-elle, « il est facile d’être parfaitement aimable quand on se sent parfaitement heureux[82] ». George Sand se rencontre ainsi avec Léon Tolstoï, qui fait dire à Natacha Rostow : « Elle avait atteint ce suprême bonheur où l’homme devient tout à fait bon et aimable[83]. »

Bientôt Aurore introduisit un nouveau genre d’amusement au couvent, celui-là même qu’elle avait déjà pratiqué à La Châtre chez les Duvernet et pour lequel elle avait une prédilection qui trahissait en elle la petite fille de l’actrice Mlle de Verrières et la fille de Maurice et de Sophie Dupin, dont l’un avait joué dans des spectacles d’amateurs, et l’autre sur les tréteaux. Ce qu’elle imagina, ce n’était ni plus ni moins que de jouer la comédie au couvent. Cela commença par des charades et des représentations mimiques avec travestissements. Puis, ce furent des scènes improvisées que les pensionnaires jouaient sur des scénarios arrêtés d’avance. Enfin, Aurore se risqua à jouer avec sa troupe ni plus ni moins que le Malade imaginaire de Molière. Voilà comment cela se passa : la supérieure, Mme Canning, aimait assez à assister aux spectacles donnés parfois au couvent. Elle avait beaucoup entendu parler des représentations improvisées par Aurore Dupin et annonça qu’elle viendrait les voir un jour. Elle permit de prolonger la récréation du soir jusqu’à minuit. La troupe qui voulait faire parade de son savoir, s’adressa à Aurore, l’initiatrice ordinaire (les occupations littéraires sous La direction de son aïeule n’avaient pas été, on le voit, sans profit, et ses amies s’en apercevaient fort bien). Aurore fut priée d’imaginer quelque chose d’extraordinaire. Il y avait déjà eu des spectacles au couvent aux anniversaires ou à la fête de la supérieure et des spectacles mieux réglés que les scènes improvisées par Aurore ; mais ç’avait été le plus souvent des pièces insipides de Mme de Genlis, récitées plutôt comme examens publics de déclamation que comme amusements. Cette fois, il leur fallait autre chose, et voilà que la petite romancière en herbe osa songer au Malade imaginaire. Elle n’avait pas les œuvres de Molière sous la main, car Molière était à l’index au couvent. Heureusement qu’ayant lu la pièce avec sa grand’mère, Aurore en savait plusieurs scènes par cœur. Par contre, les bonnes sœurs n’en savaient mot. Notre actrice pouvait donc, impunément, confiante en sa mémoire, risquer de mettre le Malade sur la scène, sans citer l’auteur et en excluant les passages passionnés, qui, elle le comprenait parfaitement, n’étaient pas de mise dans un cloître. Aussitôt pensé, aussitôt fait. Aurore se fit hardiment collaboratrice de Molière et composa un scénario, en se servant des fragments, qu’elle savait par cœur, y introduisant des dialogues de sa propre invention, abrégeant par-ci, amplifiant par-là, enfin y joignant, comme intermède, la scène connue de M. de Pourceaugnac. En un rien de temps la pièce fut apprise et répétée. Chaque actrice apporta de chez ses parents ce qu’elle pouvait en fait de costumes, d’accessoires et de décors. La scène fut disposée de la manière la plus primitive, à l’aide de chaises, de bancs et de paravents. Le plus difficile était de confectionner des costumes d’hommes, qui ne choquassent point la pudeur des nonnes et qui ressemblassent cependant au costume Louis XIII. La difficulté fut éludée avec beaucoup d’adresse et d’invention, et un beau soir Aurore parut devant la communauté réunie, dans le rôle de Purgon, et ses compagnes sous la figure des autres personnages de la pièce. La comédie, qui passa pour être d’Aurore, fut enlevée avec gaieté et entrain. Le succès fut complet. Mme Canning et les religieuses rirent jusqu’aux larmes. Le génie comique de Molière, bien que « corrigé et complété » n’en enchanta pas moins les spectatrices. Aurore fut proclamée talent littéraire et comblée d’éloges et de félicitations. Elle garda certainement le silence sur son plagiat littéraire, afin de ne pas encourir la défense de jouer des pièces de théâtre, si par hasard on apprenait que la pièce n’était pas de son invention, mais de l’impie Molière.

Si nous nous sommes arrêté à dessein sur cet épisode, qui paraît à première vue fort insignifiant, c’est que nous avons voulu mettre en relief un des traits du caractère d’Aurore Dupin, que l’on peut suivre depuis son enfance jusqu’à l’âge mûr, et même jusqu’à la vieillesse. Ce trait, c’est sa passion pour le théâtre et pour tout ce qui le rappelle. Enfant, elle « jouait au théâtre » chez les Duvernet ; jeune fille, elle joue du Molière au couvent ; écrivain, elle emprunte avant tout ses sujets et ses héros au monde des tréteaux. Les héroïnes de ses premières œuvres sont des actrices ; des pages entières sont consacrées à la vie des coulisses. Dans l’âge mûr et dans la vieillesse, George Sand se divertit à Nohant, à ses moments perdus, à la comedia del arte ou à l’arrangement de vrais spectacles bien montés et prend plaisir à assister aux représentations de marionnettes de son fils Maurice. Les pages de l’Histoire de ma Vie où elle nous raconte dans quelle impatience fébrile elle était les jours où elle devait aller au théâtre, et avec quelle curiosité candide et quelle bonne foi naïve elle suivait la représentation, ces pages ne peuvent être comparées qu’aux lignes si célèbres et si chaleureuses de Bélinsky : « Aimez-vous le théâtre ? »… etc.

Le succès de la première soirée théâtrale en amena beaucoup d’autres. Au couvent, on ne parlait plus que de répétitions et de spectacles. Les derniers mois de l’hiver de 1820 se passèrent en ces occupations et ces plaisirs. L’assassinat du duc de Berry, qui attrista profondément les bonnes dévotes et les familles non moins pieuses de leurs aristocratiques pupilles, vint mettre fin à ces divertissements, au fond peu compatibles avec la vie de couvent. Mais, pour le moral et la santé d’Aurore, tout ce mouvement qui la distrayait de ses idées ascétiques, était ce qu’il y avait de plus salutaire. En même temps, ces improvisations et ces scénarios étaient, à son insu, un nouveau pas en avant dans l’évolution littéraire de la future George Sand.

Sur ces entrefaites, la grand’mère d’Aurore arriva à Paris. La nouvelle de la « conversion », de l’exaltation religieuse, de la dévotion de sa petite fille était parvenue jusqu’à elle. Toutefois, tant que cette exaltation s’était manifestée impétueuse, passionnée, presque tragique, l’aïeule ne s’en était pas inquiétée, comptant, avec raison, que cette tension d’esprit ne se maintiendrait pas et que tout cela passerait. Mais quand elle vit que sa petite-fille était gaie, riait, voyait le monde les jours de congé où elle pouvait sortir avec sa grand’mère, mais qu’au fond tout lui était devenu indifférent, qu’elle ne rêvait qu’à rentrer au couvent, que sa piété avait pris un caractère chronique, qu’elle ne pensait qu’à se faire religieuse (la grand’mère l’avait appris par une amie d’Aurore, Pauline de Pontcarré) alors, l’adoratrice de Voltaire eut peur. Dans sa crainte de voir sa petite-fille devenir bigote et prendre le voile, elle lui annonça un beau jour de la fin de février 1820, qu’elle allait la retirer du cloître. Cette nouvelle tomba sur la jeune mystique comme un coup de foudre. Elle fut au désespoir. Mais la religion, au nom de Laquelle elle eût voulu rester au couvent, exigeait qu’elle se soumît à la volonté de ses parents, et elle dut obéir à sa grand’mère. Elle le fit surtout dans l’intention et avec La ferme conviction d’obtenir de son aïeule, aussitôt qu’elle le pourrait, l’autorisation de rentrer au couvent pour s’y fixer à jamais. L’abbé de Prémord et la mère Alicia ne firent rien ni pour la détourner ni pour l’affermir dans son projet. Ils lui conseillèrent de ne pas désespérer, de ne prononcer aucun vœu, d’avoir patience. « L’intention de votre grand’mère est de vous marier. Si dans deux ou trois ans vous ne l’êtes pas et que nous n’ayez pas envie de l’être, nous reparlerons de vos projets — lui dit le bon abbé, — et jusqu’alors attendons les événements. » Les événements ne se firent pas attendre, mais ils furent tout autres que ne les rêvait Aurore en faisant ses adieux à l’asile qui l’avait abritée pendant les plus heureuses années de sa jeunesse.


Aurore quitta le couvent avec regret et tristesse et fut profondément malheureuse tout le temps qu’elle passa à Paris avec son aïeule. D’un côté, elle était tourmentée par l’appréhension de quelque projet de mariage, d’un autre côté, elle éprouva un grand désenchantement en se retrouvant avec sa mère, qu’elle n’avait vue que très rarement dans le courant des trois dernières années. Dès les premiers jours elle remarqua, avant tout, que les relations entre son aïeule et sa mère s’étaient de nouveau aigries, et qu’elle allait être encore une fois enveloppée dans cette atmosphère de querelles et de coups d’épingle dont elle avait déjà tant souffert. Elle eut d’autre part le chagrin de constater que sa mère s’était faite à l’idée de voir sa fille rester sous la dépendance de la grand’mère, et qu’une nouvelle séparation ne lui causerait aucune peine. Sophie-Antoinette refusa nettement d’accompagner sa fille à Nohant et eut la cruauté de lui dire : « Non, certes ! Je ne retournerai à Nohant que quand ma belle-mère sera morte. » Ces dures paroles brisèrent le cœur de la jeune fille, déshabituée de ces sorties et de ces vulgarités, dont Sophie était si prodigue. Elle sentit alors combien sa mère lui était devenue étrangère, elle regretta d’autant plus le couvent, où elle avait été entourée de l’atmosphère si sereine et si douce de la bienveillance générale. Dans les premiers jours du printemps de 1820, Aurore arriva avec sa grand’mère à Nohant. Elle raconte dans son Histoire, que le lendemain, se réveillant dans sa chambre d’enfant, dans cet immense et antique lit à ciel, entre tous ces vieux meubles, à la vue de tout ce qu’elle connaissait si bien et de cette belle et fraîche matinée de printemps, le premier sentiment dont elle fut envahie fut le désespoir, — et son premier mouvement — de fondre en larmes. Était-ce regret de n’être plus au couvent, peur de sa nouvelle vie, espoir ou crainte de l’avenir qui l’attendait, qui le saurait dire ? Quoique George Sand s’arrête sur ces larmes et souligne ce chagrin inexplicable, les pages où elle nous raconte son réveil dans sa chambre d’enfant, désormais sa chambre de jeune fille, respirent une fraîcheur adorable en nous montrant la mystique pupille de la mère Alicia toute palpitante dans l’attente d’une nouvelle vie. Chaque fois que nous les lisons, nous évoquons involontairement une autre charmante description, celle du réveil de la jeune héroïne dans le roman de Maupassant « Une Vie » le lendemain de son arrivée au château paternel. L’époque (1820 environ) et la mise en scène décrite par George Sand et par Maupassant offrent même tant de ressemblance, que nous ne pouvons lire ce chapitre de : « Une vie » sans penser à l’Histoire de ma Vie et vice versa. Il en est de même des fragments de la correspondance d’Aurore avec une de ses amies de couvent ; on les croirait empruntés aux premiers chapitres des Mémoires de deux jeunes Mariées de Balzac. Il nous semble hors de doute que George Sand a fourni à Balzac des données pour ce roman, qui lui est du reste dédié. On y trouve bon nombre d’épisodes, de traits et de faits parfaitement identiques avec les événements de la vie de jeune fille de George Sand et on croit parfois y lire des lettres de ses amies, les demoiselles Bazouin, Émilie de Wismes, etc.

Retournons au séjour d’Aurore à Nohant et à ses seize ans. Elle avait pleuré à son réveil, mais quand elle se vit au milieu de ces bois qui venaient à peine de reverdir, des champs émaillés de fleurs printanières et qu’elle revit le vieux Deschartres, ses anciennes camarades de village, ses chiens favoris, quand

           « Du grand souffle de liberté et de vie
                    Son âme fut envahie…… »

quand elle respira le grand air du printemps, le soleil, elle oublia comme par enchantement ses chagrins et son noviciat manqué et s’adonna tout entière à la joie de se sentir libre. Elle passa tout son temps dans les champs et les prairies ; il lui tardait de revoir ses amies villageoises et tous les sites jadis préférés. Puis, arrivèrent son amie du couvent, Pauline de Pontcarré avec sa mère, et le chevalier de Lacoux, qui apprit à Aurore à jouer de la harpe, puis M. de Trémoville, qui arrangea, pour distraire la vieille Mme Dupin, un spectacle où la jeune fille joua de nouveau un rôle d’homme, celui du « berger Colin ». L’été s’écoula dans ces divertissements. Aurore s’était d’abord composé un programme de ses occupations, car elle avait l’intention de continuer à étudier la musique, le dessin, l’histoire, l’anglais et l’italien, mais ce projet dut être remis à plus tard.

Hippolyte arriva ensuite en congé. C’était alors un bel et brave officier. L’idée lui vint d’enseigner l’équitation à sa sœur, et en très peu de temps Aurore apprit non seulement à monter les chevaux les plus fougueux, mais devint encore une écuyère intrépide. Ce sport, auquel elle s’adonna passionnément pendant de longues années, joua, comme nous le verrons, un grand rôle dans la vie de George Sand[84].

L’automne arriva. Hippolyte parti, Aurore passa l’hiver et toute l’année suivante en compagnie de Deschartres et de sa grand’mère, dont la santé s’affaiblissait de jour en jour. La vieille dame, qui avait toujours strictement observé le code de la correction mondaine, faisait encore de la toilette les jours où elle avait des invités chez elle, mettait des diamants à ses oreilles et du rouge à ses pommettes, présidait les repas et « tenait ensuite son salon », c’est-à-dire que pendant plusieurs heures elle causait très agréablement sans donner aucun signe de défaillance ou d’infirmité. Mais cette contrainte qu’elle s’imposait lui coûtait de plus en plus, elle devait s’enfermer des journées entières dans ses appartements pour se reposer de la fatigue des longues réceptions. Avec l’arrivée de l’automne, la vieille dame ne quitta plus sa chambre. Aurore passait avec elle des heures entières, lui faisant la lecture, jouant avec elle et Deschartres au grabuge, pinçant de la harpe ou touchant du piano pour faire plaisir à son aïeule, ou s’entretenant avec elle sur différents sujets. C’est alors qu’elle s’aperçut que l’instruction reçue au couvent était bien insuffisante auprès des connaissances de Mme Dupin. Animée d’un beau zèle, elle se mit à travailler, à étudier. Elle ne pouvait pourtant s’occuper qu’après dix heures du soir, lorsque Mme Dupin procédait à son grand coucher — ce qui constituait une solennité. Deux femmes de chambre lui passaient sa douillette de satin piqué, son bonnet enrubanné, lui mettaient entre les mains des mouchoirs brodés, des bagues, des tabatières, dites « de nuit » et la couchaient à demi assise, appuyée contre un tas d’oreillers de dentelles.

Après les dix heures, Aurore était donc libre et pendant les calmes heures de la nuit, souvent jusqu’à l’aube, elle tâchait de réparer le temps perdu au couvent et de suppléer aux lacunes de son instruction. Elle lisait tout ce que sa grand’mère lui avait recommandé, et, comme autrefois Marie-Aurore elle-même, prenait des notes et faisait des résumés. Dans sa chambre elle jouait de la harpe, déchiffrait à livre ouvert des partitions ; en général, elle s’efforçait de rester, à la campagne, fidèle à ses habitudes de travail intellectuel et d’avancer dans le perfectionnement et le développement de ses facultés. Néanmoins, les premiers mois de son séjour à Nohant lui furent pénibles. Elle était trop habituée à une nombreuse société de compagnes, et elle avait le mal du couvent, comme d’autres ont le mal du pays. « Mon cœur, dit-elle, s’était fait comme une habitude d’aimer beaucoup de personnes à la fois et de leur communiquer ou de recevoir d’elles un continuel aliment à la bienveillance et à l’enjouement. » Elle ajoute aussitôt après : « L’existence en commun avec des êtres doucement aimables et doucement aimés est l’idéal du bonheur[85]. » Ce bonheur lui manquait, elle devint mélancolique et ne comprenait pas comment, occupée du matin au soir, elle pouvait l’être. Heureusement le temps vint où elle connut de plus près et sut apprécier sa grand’mère. Les dix-huit derniers mois de la vie que Marie-Aurore de Saxe passa avec sa petite-fille, furent de toute importance pour le développement morale de celle-ci. « Mon affection pour elle se développait extrêmement. J’arrivais à la comprendre, à avoir le secret de ses douces faiblesses maternelles, à ne plus voir en elle le froid esprit fort que ma mère m’avait exagéré, mais bien la femme nerveuse et délicatement susceptible qui ne faisait souffrir que parce qu’elle souffrait elle-même à force d’aimer. » Aurore sut apprécier quelle excellente femme, quel grand esprit délicat et cultivé, était sa grand’mère, elle apprit peu à peu à faire la part de ses petites faiblesses et de ses petits préjugés provenant de son éducation et du cercle trop exclusivement restreint où elle avait vécu, et à les distinguer des grandes et belles qualités foncières de la nature de son aïeule. Elle comprit combien son esprit était profond et sérieux, quelle âme habitait ce corps faible et fragile. « Sortant moi-même des ténèbres de l’enfance, je pouvais enfin profiter de son influence morale et du bienfait intellectuel de son intimité. » Dès lors Aurore aima son aïeule de tout son cœur et n’eut plus d’autre désir que de mériter son approbation et de lui ressembler.

Malheureusement, elle ne put jouir longtemps de cette intimité et de cette bienfaisante influencé. Un jour, pendant qu’elle lisait le Génie du Christianisme à sa grand’mère, qui commentait, comme toujours, la lecture avec esprit et finesse, celle-ci l’interrompit en disant quelque chose de tout à fait incohérent. C’était le délire. Un moment après, revenue à elle, elle étonna bien davantage encore sa lectrice en lui disant, qu’elle avait refusé un vieux général de l’Empire, homme du plus grand monde, qui avait demandé la main d’Aurore par l’entremise de son cousin René de Villeneuve, et l’avait refusé non à cause de son âge et de ses blessures, disait-elle, mais parce qu’il avait posé comme condition qu’Aurore ne pourrait voir sa mère. L’aïeule conquit alors définitivement l’affection de sa petite-fille en lui avouant combien elle avait eu tort dans le temps d’avoir voulu l’éloigner de sa mère. Elle lui fit connaître les raisons qui l’avaient portée à agir ainsi et à craindre pour elle l’intimité de sa mère, ainsi que la peur que lui avait inspirée son mysticisme de l’année précédente. Maintenant qu’elle la savait raisonnable, attachée aux occupations intellectuelles, raisonnablement pieuse, elle se sentait tout à fait rassurée, ne la pressait pas de se marier et lui disait de ne pas s’inquiéter à ce sujet.

Cette critique de soi-même et ce repentir sincère, si peu dans les habitudes de sa grand’mère, frappèrent tellement Aurore que, rentrée dans sa chambre et faisant de la musique, elle s’en réjouit d’abord involontairement, comme d’une victoire qu’elle venait de remporter, puis fut tout alarmée de ce qui venait de se passer d’extraordinaire. Elle se trouva si inquiète qu’elle redescendit pour voir si sa grand’mère dormait. Tout était tranquille. Cependant, le matin, elle fut éveillée par Deschartres qui lui annonça que, pendant la nuit, la vieille Mme Dupin avait eu un coup d’apoplexie, qu’on avait réussi à la réchauffer et à la ranimer, mais qu’elle avait un côté paralysé. Grâce au médecin et aux soins qu’on lui prodigua, la malade recouvra l’usage de ses membres, et aux approches de l’été elle put se mouvoir un peu et faire des siestes au jardin. Néanmoins elle ne vécut plus, elle végéta ; lentement et pas à pas elle s’approchait de la destruction finale. Elle s’y plongeait déjà, car le lendemain de son coup d’apoplexie, Deschartres constata, à la consternation d’Aurore, que les divagations de la vieille dame n’étaient pas du délire, mais l’enfance.

La jeune fille se vit soudain maîtresse de maison et de sa propre existence et le fut pendant près de dix mois. Nous signalons dès à présent à l’attention du lecteur l’importance de ces dix mois de liberté individuelle et absolue dans l’évolution de l’esprit, du caractère et des habitudes de la future George Sand.

Les derniers jours qui avaient précédé la nouvelle maladie de sa grand’mère, Aurore lui avait lu l’ouvrage de Chateaubriand. Assise pendant de longues nuits dans la chambre de la malade, elle avait eu le temps de lire et de relire le livre. Elle fut charmée et surprise par la beauté et la poésie dont Chateaubriand revêtait le christianisme. Elle y trouva une religion toute différente de celle qu’enseignait l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ, qui avait été jusque-là son guide, le fil qui dirigeait sa vie. « Quitte-toi, abîme-toi, méprise-toi ; détruis ta raison, confonds ton jugement ; fuis le bruit des paroles humaines. Rampe et fais-toi poussière sous la loi du mystère divin ; n’aime rien, n’étudie rien ; ne connais rien, ne possède rien, ni dans tes mains, ni dans ton âme. Deviens une abstraction fondue et prosternée dans l’abstraction divine ; méprise l’humanité, détruis la nature ; fais de toi une poignée de cendre et tu seras heureux. Pour avoir tout, il faut tout quitter » — voilà ce qu’enseigne Gerson. « Élève ton âme, dit Chateaubriand, orne ton esprit, développe tes facultés, glorifie Dieu par tout ce que tu as de bon en toi, aime les hommes, la nature, la vie ; car la science, l’art, la beauté, tout cela est manifestation de Dieu. Il faut comprendre Dieu pour l’aimer. Pour comprendre le christianisme, il faut aimer les hommes et tout ce qui est beau. Le christianisme est la religion de la sublime poésie et de la beauté. »

En voulant se rendre compte de ces contradictions, Aurore fut épouvantée et sentit, pour la première fois, à quoi l’avaient menée sa soumission aveugle aux autorités de l’Église catholique et son désir de suivre, en tout point, les préceptes de Gerson. Elle comprit qu’elle s’était éloignée en esprit de sa famille, qu’elle avait trompé et qu’elle trompait encore son aïeule, en se soumettant extérieurement à sa volonté, mais en continuant secrètement à se préparer à entrer en religion, que, vivant dans les rêveries égoïstes de sa béatitude et de son salut et voulant « s’abrutir », elle avait agi contre la volonté de sa grand’mère et contre ses propres tendances instinctives. Dans sa vie, pendant ces dernières années, tout était contradiction et dualité qui lui faisait horreur à elle-même. D’un côté, l’instinct et le sentiment la portaient non seulement à sympathiser avec sa grand’mère, avec ses convictions et ses goûts, mais encore à croire fermement que malgré son athéisme et son insoumission à l’Église, celle-ci ne pouvait être une pécheresse maudite par Dieu. En même temps l’habitude acquise au couvent lui faisait continuer à s’occuper de science, d’art et de lecture. Et d’un autre côté au point de vue de l’orthodoxie catholique, la grand’mère était une athée ennemie de Dieu, toutes ses convictions étaient hérétiques, et les occupations d’Aurore elle-même, l’histoire, la littérature, les arts, toute sa vie, toutes ses affections, n’étaient que vanité, actes en plein désaccord avec la vraie vie chrétienne telle que l’entendait Gerson. Pour être conséquente avec elle-même, Aurore aurait dû, comme sœur Hélène, rompre avec sa grand’mère et sa mère, fouler aux pieds leurs cœurs, renoncer à tous ses attachements, quitter Le monde. Elle ne l’avait pas fait, parce que l’abbé de Prémord et la mère Alicia l’en avaient dissuadée. L’abbé de Prémord et la mère Alicia suivaient-ils donc, comme Chateaubriand, une vérité relative, et la vérité absolue, était-elle du côté de Gerson ? Mais Aurore ne se sentait plus la force de renoncer, sans murmure, aux occupations intellectuelles et, qui plus est, de condamner sa grand’mère, parce qu’elle ne pratiquait pas, et ne fréquentait pas les sacrements. Elle crut, un temps, qu’elle devait persuader à son aïeule de se confesser et de communier pour ne pas mourir dans l’impénitence finale et qu’elle accomplirait ainsi envers elle son devoir de chrétienne. Cependant, elle ne donna pas suite à son projet, comprenant quel coup elle lui porterait en lui parlant de sa fin prochaine. Du désaccord entre son sentiment et les préceptes de foi qu’elle aurait voulu suivre, elle conclut encore une fois qu’il y avait dans son âme une contradiction et une discorde originelle. Elle écrivit à l’abbé de Prémord pour le prier de l’éclairer sur cette contradiction, de lui indiquer ce qu’elle devait penser et comment elle devait agir avec sa grand’mère ; elle lui demanda aussi s’il lui était permis de lire des auteurs profanes, des philosophes et des poètes, si, par son savoir elle ne péchait pas contre l’humilité chrétienne. L’abbé, qui comprenait sa nature, lui répondit avec autant de raison que d’esprit. Il se moqua finement de la peur qu’elle avait de devenir vaniteuse de ses connaissances « qui ne lui paraissaient pas, disait-il, assez considérables pour avoir de quoi s’enorgueillir ». Il lui conseilla de ne se laisser guider dans ses rapports avec son aïeule, que par son cœur, car « le meilleur guide qu’un chrétien puisse suivre c’est la bonté du cœur », et il lui permit de lire tout ce qu’elle voudrait « la vraie foi ne pouvant être ébranlée par aucune lecture ».

Dès ce moment, Aurore commença à dévorer les livres de la bibliothèque, à l’exception de ceux que sa grand’mère lui avait conseillé de ne pas lire[86]. Elle lut d’arrache-pied, Mably, Locke, Condillac, Montesquieu, Bacon, Bossuet, Aristote, Leibnitz, Pascal, la Bruyère et Montaigne ; ensuite ce fut le tour des poètes : Pope, Milton, Dante, Virgile, Shakespeare ; l’Émile, la Profession de foi du vicaire savoyard, le Contrat social et les Discours de Jean-Jacques Rousseau servirent de dessert à cette nourriture aussi abondante qu’indigeste.

Dans l’Histoire de ma Vie, George Sand raconte éloquemment l’évolution produite en elle par ces lectures hétérogènes, et comment elles l’éloignèrent insensiblement de la religion, du moins du catholicisme. Ce dernier fait est certain. Quant à l’influence philosophique de tous ces écrivains sur le développement de sa pensée et de sa manière d’envisager le monde, il nous semble que des pages de l’Histoire où elle parle de ses lectures, on ne peut tirer que ceci : la jeune fille se jeta avec une curiosité avide sur tout ce qui lui tombait sous la main, mais elle ne put s’assimiler que ce qui était à la portée de sa jeune intelligence et de ses forces. Ce furent certainement les poètes, comme Chateaubriand, Byron, Milton, Molière, en partie aussi Shakespeare, qui la charmèrent le plus. Des œuvres d’art et d’exaltation poétique comme René ou le Génie du christianisme ; les désespérés et les désenchantés, comme Hamlet et les héros de Byron, comme Alceste et le Satan de Milton dans son étincelante et funeste beauté ; Rousseau avec ses sermons, prêchant la fraternité, la vie simple et le retour à la nature, avec ses déclamations enflammées, voilà ce qui a dû entraîner l’artiste inconscient qui sommeillait dans la jeune fille. Franklin (George Sand ne parle pas de lui dans les pages citées de l’Histoire de ma Vie, mais elle le lisait alors avec enthousiasme)[87] a dû certainement la charmer aussi par son idéal mi-chrétien, mi-stoïque, et par ses sages préceptes. Quant à la philosophie et la science, elles sont le partage des hommes et des peuples mûrs. Les peuples dans leur enfance et les jeunes gens ne sont capables de comprendre la vérité que sous la forme de l’art et de la beauté. Les poètes, par le caractère de leur nature même, n’acceptent qu’avec peine les idées toutes nues, les images seules les frappent. Aurore, moitié enfant, moitié poète à cette époque, dut naturellement trouver bien plus de plaisir dans les poètes et les orateurs éloquents, comme Rousseau, que dans les purs et froids penseurs. Aurore avait beau s’efforcer de pénétrer les idées de Locke, de Mably et de Leibnitz, de se préparer à comprendre le grandiose système de ce dernier en étudiant la physique, la chimie et les mathématiques, sous la direction de Deschartres, qui s’était mis, avec le plus grand plaisir et un profond savoir, à enseigner des théorèmes et des axiomes à son élève autrefois si indocile, maintenant si studieuse ; toutes ces louables intentions ne l’amenèrent à rien. Aurore n’avait ni facilité pour les mathématiques, ni désir sérieux de savoir s’y prendre pour réussir. Elle était trop artiste et trop dilettante pour approfondir la science. Elle cessa ses leçons avec Deschartres sans trop se tourmenter de n’avoir pu s’approprier les systèmes philosophiques de Leibnitz et de Mably. Elle s’enfonça bien plus volontiers dans les idées de Rousseau. Ajoutons, que pendant toute sa vie, elle n’apporta pas plus de système et de persévérance à étudier les philosophes. En vraie femme, elle y puisait, plutôt par le sentiment que par l’esprit, ce qui convenait le mieux à sa nature d’artiste et à la disposition altruiste de son âme ; quant au reste, elle le rejetait sans nullement s’inquiéter de l’unité et de la clarté des doctrines ainsi simplifiées et sengouant tour à tour de différents auteurs dont elle devenait alors une fervente adepte, elle ne rendait justice que froidement et par acquis de conscience, aux autres non moins remarquables. « Il y a des natures qui ne s’emparent jamais de certaines autres natures, quelque supérieures qu’elles soient. Et cela ne tient pas, comme on pourrait se l’imaginer, à des antipathies de caractère, pas plus que l’influence entraînante de certains génies ne tient à des similitudes d’organisation chez ceux qui la subissent[88]. » Ainsi, selon elle, elle ne put jamais avoir de sympathie pour le caractère privé de Jean-Jacques ; néanmoins, à partir de cette époque, elle devint et resta toujours un de ses disciples les plus zélés. Le passage que nous venons de citer et qui caractérise avec beaucoup de justesse sa manière d’étudier et de s’approprier les auteurs qu’elle lisait alors, peut être appliqué à George Sand pendant tout le cours de sa vie, et ne doit pas être négligé par ceux qui se plaisent à critiquer la facilité avec laquelle, dans sa carrière littéraire, elle tomba sous l’influence de différentes personnalités. En réalité, elle ne se laissa influencer que par ceux qui vibraient d’accord avec sa nature, qui lui ressemblaient par leur tour d’esprit et la direction de leurs idées.

Quoi qu’il en soit, l’année 1821 fut une époque importante dans la vie d’Aurore Dupin. Après les rêveries demi-conscientes de son enfance, après les extases mystiques des deux dernières années, son âme s’était réveillée subitement à une vie intellectuelle et consciente, aux délices réfléchies de la poésie et de l’art.

Son genre de vie fut aussi plus qu’extraordinaire pendant les dix mois où sa grand’mère fut entre la vie et la mort. Celle-ci était retombée en enfance, et sa petite-fille devait être jour et nuit auprès d’elle. Comme la grand’mère avait perdu toute notion du temps, elle exigeait souvent, au milieu de la nuit, qu’on causât ou qu’on jouât aux cartes avec elle. Aurore, qui pouvait toujours s’attendre à être appelée, dut autant que possible, réduire son sommeil et, veillant la malade alternativement avec Deschartres, elle ne pouvait plus se reposer que de deux nuits l’une, passant ainsi vingt-quatre, parfois quarante-huit heures sans dormir. Pour se tenir éveillée pendant ces longues nuits, elle commença à priser, à fumer, à boire du café très fort et même de l’eau-de-vie. Mais tout cela l’aidait fort peu et n’amenait qu’un grand affaiblissement de forces ; Deschartres, remarquant qu’Aurore s’ennuyait, privée de toute société intellectuelle, que les nuits passées sans sommeil et l’absence de mouvement nuisaient à sa santé, lui conseilla de reprendre les promenades à cheval qui lui avaient tant plu l’année précédente. Il lui adjoignit pour l’accompagner, André, un petit groom qu’il avait d’abord formé ; il donna à Aurore, pour les dresser l’un après l’autre tous les jeunes chevaux de Nohant, mais elle aimait surtout à monter Colette, sa jument favorite. Après trois ou quatre heures de sommeil (habitude qui lui rendit plus tard de grands services, lorsqu’elle eut à passer des nuits entières à travailler), Aurore faisait avant l’aube de grandes promenades à cheval, désirant être de retour avant le lever de sa grand’mère : Elle s’adonna de nouveau avec ardeur à ce sport favori, galopant tantôt à travers champs, si vite que le petit écuyer avait peine à la suivre, tantôt laissant flotter les rênes sur le cou de son intelligente bête et avançant au pas, plongée dans la contemplation de la nature et dans une rêverie qu’André ne se permettait jamais d’interrompre par la moindre réflexion.

Ces promenades journalières, au milieu de ces réveils de la nature embaumée de fraîcheur, éveillèrent le poète dans l’âme endormie de la jeune fille. Tout ce qui frappait sa vue dans ses chevauchées au pas ou au galop, trouvait son écho dans cette âme délicate et sensitive. Tout l’impressionnait et se gravait dans son imagination et sa mémoire : nuance de feuillage ; teinte des nuages ; murmure du ruisseau qu’elle devait traverser à gué ; cris des oiseaux voyageurs ; patois caractéristique, ce vieux parler français des villageois berrichons qu’elle rencontrait ; bêlement des brebis et clochettes des troupeaux paissant le long du chemin ; ombrage verdàtre et transparent des traînes, ou les guérets dorés par le soleil. S’il n’y avait pas eu pour Aurore nécessité de rentrer au château, elle eût, pendant des journées entières, parcouru avec plaisir les champs et les forêts, s’abandonnant au hasard, en vrai artiste, au charme de ses diverses impressions et de ses rencontres inattendues.

Outre ces courses à cheval, Deschartres, lorsqu’il allait à la chasse, se faisait accompagner par Aurore. Il avait toujours regretté qu’elle ne fût pas un garçon, et les robes seules de la jeune fille l’avaient empêché, semble-t-il, de la traiter en jeune homme. Comme les vêtements de femme de l’Empire et de la Restauration, ressemblaient plutôt à des gaines qu’à des robes qui auraient permis de franchir commodément et décemment les fossés et de courir dans les sentiers étroits, Deschartres lui conseilla de se vêtir en garçon. Elle se rappelait encore trop bien son uniforme « d’aide de camp de Murat » et il y avait trop peu de temps qu’elle avait joué les rôles de Purgon et de Colin pour ne pas suivre avec plaisir ce conseil. Après avoir mis une blouse, des guêtres et une casquette, elle fit, avec Deschartres, la chasse aux cailles et aux coqs de bruyère. Aussitôt qu’elle eut quitté ses jupons brodés, Deschartres oublia qu’il avait devant lui une demoiselle et la traita avec la même familiarité, la même simplicité et les mêmes exigences, dont il usait autrefois avec le père d’Aurore, son ancien élève. Lorsque, bien des années plus tard, George Sand écrivit son roman Gabriel-Gabrielle, histoire d’une jeune fille élevée comme un jeune homme par un vieux précepteur et qui acquiert ainsi toutes les qualités viriles, — elle reproduisit bien des choses vues et vécues lors de ses parties de chasse avec Deschartres. Le portrait qu’elle fait du vieux Porpora dans Consuelo est encore indubitablement copié tout autant sur le critique de Latouche, ce mentor jaloux et despote qu’elle eut plus tard, que sur Deschartres, son vieux précepteur de jadis, grondeur et cuistre, mais au fond, tendre et aimant. Deschartres exerça sur son élève une énorme influence en l’élevant, non comme une demoiselle, mais comme un homme. C’est à lui, avant tout, qu’elle dut plusieurs de ses qualités morales et de ses habitudes, et surtout ses « vertus viriles » qui firent d’elle ce « parfait honnête homme » que nous admirons en George Sand. Ce fut le contrepoids de l’éducation du couvent, sans dire que ces promenades, tantôt à cheval, tantôt à pied, fortifiaient sa santé et l’habituaient au mouvement en plein air. Promenades, courses, mouvement, équitation, voyages, devinrent pour George Sand comme un besoin nécessaire quelle garda jusqu’à son extrême vieillesse.

Mais tout le monde ne voyait pas les choses du même œil que Deschartres. Les commères de La Châtre furent choquées de la conduite « répréhensible » de la jeune fille. La chasse, l’équitation, les habits d’homme ! quelle horreur ! quel sujet de médire ! À tout cela vint s’ajouter encore l’arrivée à Nohant de René de Villeneuve. Aurore avait toujours aimé son cousin, qui frisait alors la quarantaine[89], et elle avait une grande prédilection pour sa fille Emma. Elle se prit maintenant d’une plus grande amitié encore pour cet excellent homme, délicat, plein d’esprit, lettré et d’une grande culture. Bonapartiste par conviction, aristocrate par sa naissance et ses alliances (sa femme était née de Ségur), il était tolérant au point de condescendre aux opinions et aux convictions les plus extrêmes ; il avait beaucoup de littérature, il savait par cœur des pages entières ; il aimait la nature, la lecture, la vie de famille à la campagne, et, par-dessus tout, les promenades à cheval et la causerie avec quelques amis de choix. Tous ces goûts s’accordaient avec ceux d’Aurore, qu’il chérissait sincèrement. Il la comprenait si bien que, dès 1821, il s’aperçut de son talent littéraire et lui conseilla, après avoir lu ses premiers essais, d’écrire des romans. Il était trop grand seigneur pour partager les préjugés et les appréciations étroites de La Châtre sur les habitudes et la conduite de sa jeune cousine ; il se promenait volontiers à cheval et luttait d’adresse avec elle pour sauter les fossés ; il lui apprit à tirer au pistolet. Malheureusement René de Villeneuve ne paraissait pas avoir l’âge qu’il avait, et les commères de La Châtre décidèrent aussitôt qu’Aurore se promenait avec son promis « au nez du monde ». C’était, à leur avis, le comble de l’inconvenance.

Bientôt Aurore donna aux langues un nouveau sujet de médisance ! Dans le voisinage de Nohant, demeurait une nombreuse famille de gentillâtres, autrefois riche, mais à ce moment ruinée, les Ajasson de Grandsaigne ou Grandsagne, Aurore et Hippolyte étaient très intimes avec plusieurs de ces fils de famille, mais en 1821. Aurore se lia d’une amitié plus particulière avec l’un d’eux, Stéphane, que dans l’Histoire de ma Vie elle appelle du faux nom de Claudius[90]. Stéphane se destinait à être médecin et s’occupait de sciences naturelles. Aurore prit goût à ces sciences et se mit à s’occuper, sous la direction de Stéphane, de zoologie, d’anatomie et de physiologie. Deschartres approuva ces occupations, car il était lui-même médecin, aimait la science et espérait qu’Aurore acquerrait, par là, assez de connaissances pour l’aider dans les soins qu’il donnait aux paysans malades.

Voyant le zèle de son élève, Stéphane lui apporta des bras, des jambes et des têtes pour étudier l’ostéologie. C’était là pour les gens de La Châtre, curieux des affaires d’autrui, l’abomination de la désolation. Aussitôt commencèrent à circuler des histoires plus incroyables les unes que les autres, et tellement stupides, qu’Aurore n’aurait jamais pu s’imaginer de pareilles choses si elle ne les avait pas vues plus tard, noir sur blanc, dans une des lettres envoyées à sa mère. On racontait qu’elle déterrait les cadavres, entrait à cheval dans l’église, lirait du pistolet sur l’hostie, que ses chiens dévoraient des petits enfants, et, pour couronner l’œuvre, on débitait que Stéphane était son amant. Les calomnies parvinrent aux oreilles du curé de La Châtre, le confesseur d’Aurore, qui se permit un jour, la confession finie, de lui en parler d’une manière fort peu délicate. Indignée jusqu’au fond de l’âme, Aurore se leva, et, ayant hardiment déclaré au prêtre combien elle était révoltée par la grossière inconvenance de son interrogatoire, quitta le confessionnal pour n’y plus jamais revenir.

Lorsque Stéphane fut parti pour Paris, afin d’y continuer ses études de médecine, une correspondance suivie s’engagea entre les deux jeunes gens, au su de Deschartres. Les lettres de Stéphane avaient un ton sérieux et quelque peu pédantesque qui ne déplaisait point à Aurore. Malheureusement, il tomba réellement amoureux de son élève, ce que George Sand nous raconte d’une manière assez transparente, bien qu’avec des réticences et tout en ayant l’air de dire le contraire. Stéphane Ajasson fut, disons-le dès à présent, le premier de la nombreuse série des hommes qui furent épris de George Sand. Laissant de côté ceux envers qui elle ne fut pas indifférente, remarquons qu’Aurore Dupin, comme plus tard Aurore Dudevant, eut, dans le sens propre du mot, un « succès » presque incroyable ; le nombre de ses adorateurs fut légion. Sa Correspondance et son premier ouvrage : Voyage en Auvergne, nous montrent que toutes ses apparitions dans le monde, tous ses voyages, etc., furent, toujours et partout, accompagnés de « conquêtes », ce qui l’ennuyait sauvent et la fâchait même. Elle attirait les adorations sans le vouloir. C’était une nature de charmeuse.

Quoi qu’il en soit, elle resta indifférente envers Stéphane et fut très peinée quand Deschartres assura, que la lettre qu’elle venait de recevoir, ressemblait fort à une déclaration d’amour. Dans sa naïveté, elle n’y avait rien vu.

Le grossière indiscrétion de son confesseur à ce sujet l’avait néanmoins empêchée de fréquenter le confessionnal. Depuis lors elle ne pratiqua presque plus. En comparaison des offices du couvent, le service à l’église du village lui semblait une sorte de parodie. Elle préférait lire la messe chez elle. Un nouvel incident qui eut lieu au cours de l’été, vint lui montrer combien petites et insignifiantes sont ces cérémonies quand on les compare à la foi véritable.

Le mari de la vieille Mme Dupin avait eu de Mme d’Epinay un fils naturel, qui, en 1821, était archevêque d’Arles. Il aimait beaucoup sa quasi belle-mère, qui l’avait tendrement soigné dans son enfance. À cette époque, c’était un bonhomme gai, replet, gourmand, débonnaire et très borné. Lorsqu’il apprit que sa belle-mère était malade, il s’empressa d’arriver et entreprit, selon George Sand, une chose impossible. Il voulut persuader à Marie-Aurore qu’elle devait se confesser et recevoir l’extrême-onction, afin de ne pas mourir dans l’impénitence finale. La vieille dame se trouvait alors dans un de ses moments lucides et s’était même remise à sa correspondance et à ses affaires. Aurore, en vraie croyante, fut donc épouvantée en voyant l’archevêque, sans préparations, sans préambules et de la manière la plus grossièrement plaisante du monde, déclarer à Mme Dupin que, quoiqu’il n’osât pas disputer contre sa « maman », elle pourrait bien — puisqu’elle allait mieux, — remplir les formalités catholiques. Lui, archevêque, l’empêcherait ainsi de tomber en enfer, où elle irait infailliblement, il en était sûr, malgré tout son amour pour « maman », si elle ne s’y soumettait pas. Ce discours baroque et d’un comique achevé à force de candeur dévote, fit sourire Marie-Aurore. Mais, voyant l’émotion d’Aurore, qui assistait à cette scène, connaissant sa foi profonde, ne voulant attrister ni son quasi beau-fils, ni sa petite-fille, ne voulant surtout pas lui faire encourir les reproches de qui que ce fût d’avoir laissé mourir sa grand’mère sans confession, elle consentit à faire ce qu’on demandait d’elle. L’archevêque se frotta les mains de joie, d’avoir « si bien bâclé cette affaire », dit, à plusieurs reprises, « qu’il fallait battre le fer pendant qu’il était chaud », et le lendemain même il fit venir le vieux curé rustique de Saint-Chartier pour confesser sa belle-mère. Aurore n’osait pas même s’en réjouir, tellement elle était indignée de la manière inconvenante, dont un prêtre, un archevêque, traitait les choses les plus sacrées de la religion. Mais Marie-Aurore, ayant tranquillisé son beau-fils par sa soumission à remplir ses devoirs religieux, sut aussi calmer l’âme angoissée d’Aurore. Elle fit assister la jeune fille à sa confession, avoua sincèrement qu’elle n’avait jamais donné de l’importance aux pratiques du culte, que depuis la mort de son fils, elle avait même complètement cessé de penser à Dieu, mais, qu’au fond de son cœur, elle n’avait jamais douté de son existence et qu’elle attendait de Lui son pardon, car Lui, qui sait et comprend tout, avait sûrement dû comprendre son désespoir. Cette confession ébranla complètement Aurore et le vieux curé villageois, qui prononça en pleurant les paroles d’absolution. Marie-Aurore fit ensuite entrer dans sa chambre tous les gens de la maison et du village, demanda pardon à tous et reçut devant eux les derniers sacrements. Mais comme elle possédait à fond le latin, elle commentait à sa manière les paroles du prêtre, disant tantôt : « Je crois à cela », tantôt : « Il importe peu ». Elle avait l’air de vouloir conserver par là son droit à la liberté de conscience ; même dans un moment aussi solennel elle restait fidèle à ses convictions et aux libres croyances de toute sa vie. Le vicomte d’Haussonville a bien raison de croire que cette scène a dû laisser dans l’âme sensible de la jeune fille une empreinte ineffaçable et ébranler en elle les préceptes catholiques, qui lui furent inculqués au couvent. Ce régime catholique avait duré trop peu de temps et avait été trop superficiel pour pouvoir jeter des racines bien profondes dans l’âme d’Aurore, qui avait grandi en dehors de toute doctrine religieuse, et qui trouvait maintenant, dans cette période de doutes et de réflexions, l’Église orthodoxe représentée par des serviteurs aussi ineptes : un prélat stupide, un prêtre de petite ville manquant de tact, et un rustique curé de village tout craintif devant sa docte et noble fille spirituelle.

Avant le départ de Monseigneur l’archevêque, il se passa encore des choses qui lui firent définitivement perdre tout ascendant aux yeux d’Aurore. Ainsi, par exemple, il entra dans la bibliothèque de sa soi-disant belle-mère et s’occupa de brûler et de mettre en pièces les livres, dont la lecture lui paraissait nuisible. Heureusement, Deschartres, qui, en sa qualité de régisseur et de maire de Nohant, devait veiller aux intérêts des membres de sa commune, arriva à temps pour arrêter ce vandalisme.

Ainsi, par gradations insensibles, par un enchaînement d’événements, de faits, de réflexions et de sentiments, Aurore, cette fervente pratiquante, qui se confessait trois fois par semaine et avait coutume de s’entretenir presque chaque jour avec son directeur de conscience, rompit presque tout à fait avec l’Église romaine, tout en restant de cœur, comme par le passé, ardemment et profondément croyante. C’est à cette époque aussi, hélas ! qu’elle rompit hardiment avec l’opinion publique.

Les méchantes langues de La Châtre lui avaient déjà suffisamment montré qu’on ne doit pas se soucier du « qu’en dira-t-on ». Un « affront » que la soi-disant bonne société voulait lui faire à une fête de village pour la punir de l’appui moral qu’elle avait donné à une pauvre fille, l’édifia plus encore (cette fille lui servit sans doute de modèle pour sa Louise, sœur de Valentine). Cet « affront » ne reussit pas, grâce à l’intervention des jeunes villageois qui aimaient et estimaient Aurore. Cet incident inspira à celle-ci un profond mépris pour le « monde » et son jugement. Et, quoique nous soyons portés à croire que les dialogues à ce sujet entre Aurore et Deschartres, que George Sand a la complaisance de transcrire dans son Histoire, ont dû être écrits post facto, que c’est là, probablement, l’expression des opinions ultérieures de George Sand et non des causeries ayant réellement existé, ou, si elles ont existé, que les choses se sont passées autrement qu’elle ne le dit, il faut pourtant reconnaître que les sentiments hostiles de la société de La Châtre envers la jeune fille exercèrent sur sa vie une influence considérable. Dès cet âge la médisance et l’injustice qu’elle eut à endurer la firent entrer en guerre avec l’opinion publique qu’elle fut portée à confondre avec le « que dira le monde », et cette guerre, elle la continua, sinon, toute sa vie, au moins pendant de longues années. Comme il arrive toujours en pareil cas, la position « offensive et défensive » qu’elle dut prendre envers et contre tous, lui fit dire ou faire beaucoup de choses inutiles ou injustes. À l’époque dont nous parlons, l’injustice humaine, les déceptions, l’isolement, la fatigue par suite d’un excès de lectures et l’impressionnabilité d’un vrai artiste, qu’elle portait dans toutes ces lectures et qui lui faisait épouser les douleurs et le « mal général » sur lesquels gémissaient ses auteurs favoris[91], l’amenèrent à un pessimisme si noir, qu’elle songea au suicide. (Il y eut dans la suite plusieurs périodes de semblables désenchantements et de désespoir dans la vie de George Sand.) Un jour qu’elle traversait la rivière au gué, avec Deschartres qui l’avait devancée de quelques pas, elle voulut se noyer dans l’Indre avec sa Colette. Heureusement Deschartres qui ne se doutait de rien, et la brave jument qui sut lutter contre le torrent — la sauvèrent pour cette fois. Le bain froid la guérit pour longtemps de cette manie, mais une disposition à la mélancolie et au pessimisme, tout à fait en désaccord avec son âge, ne la quitta pas de si tôt.

C’est ainsi qu’en l’espace de ces dix-huit mois, Aurore avait énormément avancé dans ses idées, dans ses habitudes intellectuelles et dans ses rapports avec le monde ; elle s’était mise dans une position tout exceptionnelle. D’adoratrice aveugle de sa mère, elle était devenue l’amie et l’admiratrice consciente de sa grand’mère ; de rêveuse mystique — rêveuse libre-penseuse : d’ « eau douce et dormante » du couvent — amazone intrépide et jeune étudiant hardi et avide de sciences ; d’humble ouaille de l’Église, presque sœur converse — une révoltée contre l’opinion publique. Pendant ces dix-huit mois, trois traits fonciers de sa nature se manifestèrent, se formèrent et se développèrent définitivement chez elle : 1° la soif passionnée de s’instruire, de chercher la vérité, jointe à la rêverie et au désir de concilier ses connaissances et ses croyances avec ses actions et son régime de vie, afin que le tout fût en harmonie avec sa notion du monde entier ; 2° l’amour passionné de la liberté, de la vie libre au milieu de la nature, dans un mouvement continuel et une variété perpétuelle d’impressions extérieures ; 3° l’esprit d’indépendance et le courage de jouir de cette liberté, — « l’audace de son opinion » allant jusqu’au mépris de l’opinion publique et surtout du « qu’en dira-t-on ».

Nous ne croyons pas nous tromper en avançant que nous avons là tous les points de répère, tous les fils conducteurs de la vie future d’Aurore Dupin et d’Aurore Dudevant, et tout à la fois les Leitmotive de l’œuvre de George Sand.

Combien l’âme aimante de la grand’mère eût pu adoucir et éclairer tout cela, et que n’aurait-elle pas pu prévenir ! Mais la grand’mère était-elle encore là ? Non, hélas ! il n’y avait plus que son corps et ce corps était arrivé à sa dernière heure. La lucidité d’esprit qui lui était revenue pendant l’été avait duré fort peu. Vers l’automne, son état empira. Ce n’est pas de cet être faible, qui ne pouvait plus prendre part à rien et pour lequel Aurore déployait désormais des soins vraiment maternels, qu’elle pouvait attendre des conseils et un soutien. Deschartres, qui pendant toute l’enfance d’Aurore l’avait persécutée, s’inclinait maintenant aveuglément devant son esprit, ses capacités, son caractère et lui laissait une liberté entière. Il serait donc difficile de dire quelle direction eussent pris les pensées et le caractère de la jeune fille si sa grand’mère avait vécu plus longtemps, si Aurore avait pu jouir davantage de cette liberté illimitée et si elle avait pu réaliser le désir qui ne l’avait pas quittée de rentrer au couvent, afin d’y terminer ses études et de vivre dans la société de nombreuses compagnes et d’institutrices aimées et aimables. La mort de sa grand’mère vint tout bouleverser.



CHAPITRE V[92]

(1825-1831)


Mort de la grand’mère. — Vie pénible à Paris. — Le Plessis. M. Dudevant. — Bonheur. — Premiers troubles et premiers chagrins. — Voyages. — Les Pyrénées. Aurélien de Sèze et Zoé Leroy. Vie à Nohant et à la Châtre. — Luttes intimes. — Recherches d’un métier. — Départ pour Paris.

Dans la nuit du 25 décembre 1821, à l’aube, aux sons des cloches de Noël, mourut Marie-Aurore Dupin de Francueil, l’aïeule d’Aurore Dupin. Cette mort amena de grands changements dans la vie et le sort de la future George Sand. Aussitôt s’ouvrit la question de savoir à qui serait confiée la tutelle de la jeune fille qui avait alors dix-sept ans. Mme Dupin, soucieuse de l’avenir de sa petite-fille, désirait la marier de son vivant, et rêvait pour elle, cela se comprend, un beau parti, en lui faisant épouser un homme bon, riche et de son monde. Mais, comme Sophie Dupin, la mère de la jeune fille n’avait agréé aucun des partis que proposait l’aïeule, et que, d’ailleurs, Aurore était encore trop jeune pour être mariée, les choses en étaient restées à l’état de projet. Sentant sa fin approcher, la vieille Mme Dupin s’inquiétait en pensant que sa petite-fille resterait seule dans la vie, sans guide pour la diriger et sans tuteur pour la protéger. Longtemps encore avant sa dernière maladie, elle avait exprimé le désir formel que la tutelle ne fût confiée en aucun cas à Sophie. Elle avait toute raison, comme nous l’avons vu, de s’opposer à ce choix qui paraissait cependant naturel. Elle voulut se précautionner contre tout événement. Elle eut un entretien avec Aurore. Elle lui mit sous les yeux combien ses intérêts, ses habitudes, ses idées différaient des intérêts et des idées de sa mère, et elle lui démontra qu’elles ne pourraient jamais vivre ensemble. Elle fit venir à Nohant le plus proche parent d’Aurore du côté paternel, le petit-fils de son défunt mari, le comte René de Villeneuve[93], et, après avoir causé avec lui, elle fit insérer dans son testament une clause déclarant qu’après sa mort, ce serait lui, René de Villeneuve, et sa femme, qui seraient chargés de la tutelle de la jeune fille. Par ce testament, Mme Dupin laissait à Aurore, son unique héritière en ligne directe, tous ses biens, meubles et immeubles, qui comprenaient la terre et le château de Nohant, une maison à Paris (portant le nom de l’Hôtel de Narbonne et qui se trouvait dans la rue de la Harpe, où passa plus tard le boulevard Saint-Germain), et des valeurs d’État ; le tout formant un capital total de 500.000 francs. Aurore devait là-dessus faire une rente viagère à sa mère, à Deschartres et à quelques vieux serviteurs.

Sophie apprit par un espion domestique l’article du testament qui lui enlevait la tutelle de sa fille ; elle n’ignorait jamais ce qui se passait chez sa belle-mère ; mais elle feignit de n’en rien savoir.

Lorsque, après les funérailles, on ouvrit le testament en présence d’Aurore, de Sophie, des Villeneuve, de Deschartres et de quelques amis intimes, et qu’on en vint à lire la clause mentionnée, Sophie fut hors d’elle-même, fit à tous ceux qui étaient là une scène épouvantable, déclara qu’elle ne céderait jamais à personne les droits qu’elle avait sur sa fille, qu’elle la prendrait chez elle, et qu’elle ne voulait rien entendre à ce sujet. Elle accabla de reproches Deschartres qu’elle haïssait et regardait comme son plus grand ennemi, et sa fille dont elle ne s’était plus du tout occupée depuis plusieurs années et qu’elle n’avait nullement pensé à aider pendant les longs mois où Aurore était restée seule avec sa grand’mère mourante et son vieux gouverneur ; elle accabla aussi d’injures la défunte elle-même sans mesurer ni ses accusations, ni ses expressions. Elle ne put retenir sa colère, jeta sa pauvre fille dans un grand désespoir et lui fit comprendre, pour la première fois de sa vie, qu’il y avait en effet un gouffre entre elles deux. Tout les séparait : la différence de nature qu’Aurore tenait de son père plus que de sa mère, et l’éducation ! Élevée d’abord sous la direction de son aïeule, femme d’une culture élégante et de grande instruction, puis au couvent des Anglaises, elle s’était par là encore éloignée de sa mère, qui l’aimait d’un amour sincère et ardent, mais qui, elle-même, était vulgaire, extravagante, disons même un peu grossière, et parfois irresponsable de ses actions au point de paraître détraquée. Sans revenir sur les détails de l’adolescence d’Aurore, nous nous contenterons de rappeler ici que l’éducation catholique qu’elle reçut au couvent, avait développé en elle l’esprit d’analyse et une tendance vers les aspirations spiritualistes. Sa pensée avait pris une force nouvelle sous l’influence des œuvres poétiques et philosophiques qu’elle aimait à lire et qui étaient devenues, depuis quelque temps, une véritable passion. Ces lectures graves dirigèrent, à leur tour, cet esprit d’analyse vers des intérêts et des questions graves. Malgré leur désordre et leur manque de système ils développèrent étonnamment la jeune fille et en firent, avec le temps, une femme sérieuse et réfléchie. Pour le moment, cet esprit d’analyse lui montrait combien il y avait peu de similitude entre elle et sa mère. Voici ce qu’elle écrivait à René de Villeneuve, par rapport à ses luttes domestiques, dans une lettre datée de 1821 — il est à présumer que ce fut immédiatement après la scène dont nous avons parlé plus haut :


À Monsieur le comte René de Villeneuve,
rue de Grammont, Paris.
Jeudi soir (1821)

« Je ne veux pas perdre cette petite occasion de vous dire quelques mots, mon bien cher et bon cousin, avant le départ de mon groom, lequel est accompagné de Chlupon, qui va faire les délices ou le désespoir de ses compagnons de voyage. La journée a été odieuse. Un propos abominable, atroce, impudent, qui m’a été relaté ce matin, m’avait mise d’une humeur massacrante et d’un froid de glace. Pendant le déjeuner, on me signifie que Sophie fera la route avec André, vu qu’on n’a pas besoin d’elle pour voyager ni pour faire mes malles. Je désire, dis-je froidement, qu’elle m’accompagne. — Et moi, me répond une voix aigre, je désire qu’elle ne vous accompagne pas. Je veux trouver mon dîner et mon appartement tout prêts : et puisque je veux bien vous garder avec moi, je ne veux pas essuyer de privation, de gêne, etc., etc. À ces mots, l’indigne propos du matin s’est réuni à ce nouveau motif d’indignation.

« Pour la première fois de ma vie, j’ai éprouvé de la colère, car ce que j’ai senti en cet instant ne ressemble en rien à ce que j’ai jamais éprouvé, je me suis tenue à quatre pour ne répondre que ces mots avec un mépris concentré : « Vous voulez bien me garder auprès de vous ! Quand vous l’ai-je demandé ? Ne m’avez-vous pas forcée ! » M. Deschartres et ses maréchaux[94] ont mis des holà !

« Ma mère est restée muette comme un terme et pâle comme la mort, de rage, et de confusion. La tante a eu une espèce d’étourdissement très intéressant, et le Maréchal était tout tremblant. Le pauvre Deschartres se tenait à quatre pour ne pas pleurer tout haut, mais pour moi, le sang-froid du mépris est venu à mon secours.

« Ma mère a été sans rancune apparente et s’est rendue. Elle m’a fait grâce des affreux baisers, mais elle m’a lancé des coups de pattes aigres comme verjus, ou pour mieux dire comme elle, pendant le dîner. Dans le jour, nous avons été faire nos visites d’adieu à la Châtre, les deux sœurs ensemble par une rue, mes femmes et moi par l’autre. À peine rentrées, le Maréchal a commencé ses assommantes histoires. Pour moi, je me suis endormie sur ma chaise du plus profond sommeil et je ne me suis réveillée qu’au bout de quelques heures, au dénouement. Les ma mère, ma bonne, mon lapin, vont toujours leur train. Tonton Deschartres perd la tête, le pauvre homme en radote. J’ai reçu de nouvelles propositions d’insurrection dans mon village. Ceci a fait un peu diversion à mon chagrin.

« Au total, la journée m’a paru mortelle, jusqu’à Chlupon qui faisait des bâillements à se démettre la mâchoire.

« Il est inutile d’ajouter des réflexions à ce récit. Vous savez trop celles que je ferais. Mais ce que je dois vous dire et ne jamais me lasser de vous redire, cher René, c’est que je n’oublierai de ma vie le service que vous m’avez rendu, le sacrifice que vous m’avez fait, la preuve d’amitié que vous m’avez donnée et la reconnaissance que je vous dois. J’ai fait des vœux toute la journée pour que vous eussiez bon voyage. Vous voyez que le ciel a exaucé ma prière et qu’il fait tout exprès pour vous le plus beau temps du monde.

« Adieu ! Adieu ! je dors ; mes yeux s’appesantissent, j’écris à tâtons, mais les mots de tendresse et de reconnaissance éternelle se trouvent tout naturellement sous ma plume.

« À mardi matin.

« Tonton Chedartres[95] est à vos pieds, la petite mère dit que vous êtes un joli homme et la tante, voulant vous sourire, fait une grimace épouvantable. »

Comme elle ne cessait pas cependant d’aimer sa mère, elle déclara, en voyant la sincérité de son chagrin, qu’elle se soumettrait à sa volonté et qu’elle la suivrait où elle voudrait la mener.

En faisant cette déclaration, Aurore savait parfaitement ce qu’elle perdait et à quoi elle renonçait. Elle était, comme nous l’avons vu, très liée avec René de Villeneuve ; elle partageait aussi les goûts et les habitudes de sa fille Emma, plus tard comtesse de la Roche-Aymon. Si Aurore avait pu s’établir chez eux et passer quelques années dans l’atmosphère de cette famille aimante, amie et tranquille, qui lui convenait et aurait partagé ses goûts, elle s’en fût certainement bien trouvée et son avenir fût devenu probablement tout autre. Se sentant à l’aise et heureuse, elle ne se fût sans doute pas mariée si vite et avec tant d’étourderie, et les Villeneuve, loin de se refuser à son désir de rentrer pour quelque temps au couvent, afin d’y continuer et d’y finir son éducation, l’auraient certainement encouragée dans son dessein.

L’orageux emportement de sa mère changea tous ces plans et ces projets. Aurore la suivit à Paris, laissant Nohant aux soins de Deschartres. Les Villeneuve eurent quelque temps encore l’espoir que Sophie permettrait à sa fille de rentrer au couvent et qu’Aurore saurait ensuite reconquérir son indépendance. Mais, comme il n’y avait alors aucune place vacante au couvent des Anglaises et que, d’un autre côté, Sophie, par suite de comptes d’argent et d’héritage, éclata de nouveau en sorties orageuses et furibondes, les Villeneuve, qui gardaient encore quelques préjugés de race, déclarèrent à Aurore qu’elle avait à choisir entre ses parents paternels, et sa mère, escortée de sa parenté et de ses amis.

René de Villeneuve, plus doux et plus fin, cacha les causes de cette mise en demeure, ou du moins ne s’en expliqua pas clairement. Son frère Auguste déclara ouvertement qu’il regardait, quant à lui, tout cela comme bagatelles et préjugés, mais que la jeune fille se perdrait aux yeux du monde, si jamais elle se montrait dans les rues ou au théâtre avec sa mère et la parenté de cette dernière ; que ses parents paternels, Les femmes surtout, refuseraient de la recevoir, et qu’elle devait renoncer à jamais à l’espoir de trouver un bon parti dans leur monde. Si elle voulait remplir les volontés de sa grand’mère, elle devait, sans rompre brusquement avec sa mère, tâcher d’échapper prudemment à son autorité, en rentrant d’abord au couvent à la première vacance qui se présenterait, puis chez les Villeneuve pour occuper ensuite dans le monde la place qui lui revenait de droit. Il ne fallait que cela pour décider immédiatement Aurore à ne pas quitter sa mère et à rompre avec les Villeneuve. René la quitta comme eût pu le faire un étranger, sans même la saluer, chagrinant profondément Aurore, mais la laissant inébranlable dans sa résolution.

Les raisonnements démocratiques et les doctrines égalitaires que déploie à ce sujet George Sand dans son Histoire de ma Vie, en avançant que tous les hommes sont égaux devant Dieu, que, déjà dès son enfance, elle n’avait reconnu ni patriciens, ni plébéiens, ni seigneurs, ni vassaux, et que c’étaient ces convictions qui l’avaient portée à agir comme elle l’avait fait, — doivent être rapportés comme presque tous ceux que l’on trouve dans cet ouvrage, non aux années de son enfance et de sa jeunesse, mais à l’année 1847, pendant laquelle elle écrivit en partie ce livre. En 1822, Aurore Dupin n’avait pas conscience de ces idées, ou ne l’avait que confusément. En choisissant entre les Villeneuve et sa mère et en suivant celle-ci, elle n’écouta que son instinct et son amour filial, et l’on ne peut que la louer de sa résolution.

Elle vit cependant bientôt avec chagrin et terreur qu’elle se sentait bien plutôt la petite-fille de sa grand’mère, que la fille de sa mère. La mère et la fille ne se comprenaient point l’une l’autre. La mère était toujours la même ménagère affairée, peu éclairée, noyée dans les mesquines préoccupations de la petite bourgeoisie parisienne. Sans aucun doute, George Sand est dans le vrai, quand elle nous raconte que sa mère était très active et savait tout faire, mais tous ces étonnants chapeaux façonnés en moins de trois heures, ces « petites merveilles » et ces « chefs-d’œuvre », témoignages d’adresse des mains, cet art tout parisien de savoir faire des miracles d’un chiffon ou d’un ruban, n’avaient rien de commun avec les habitudes, les goûts, et tout ce qui intéressait Aurore. Pareille activité ne pouvait la satisfaire. D’un autre côté, Sophie détestait et méprisait tout ce qu’aimait sa fille, lui faisait d’éternels reproches, raillait son originalité et sa belle éducation qui était, selon elle, presque synonyme de perversité. Elle commença par chasser le chien favori d’Aurore, puis la jeune servante qui lui était dévouée, lui enleva et jeta au rebut tous les livres qu’elle avait apportés de Nohant, déclarant qu’elle n’y comprenait goutte et que cela prouvait à l’évidence qu’ils étaient nuisibles, immoraux et par-dessus tout parfaitement inutiles. Bientôt La mère se montra encore plus cruelle envers sa fille. Dans le courant des dernières années, lorsque Sophie-Antoinette vivait à Paris et Mlle Dupin à Nohant, la mère avait reçu de La Châtre, et conservé, sans aucun scrupule, un tas de lettres écrites de la plume enfiellée de médisantes et provinciales commères dépeignant, sous les traits les plus noirs et avec des détails révoltants et stupides, toutes les « affreuses aventures », les agissements et la conduite immorale d’Aurore. Il n’y eut pas de vilenie que ne rejetassent sur elle ses ennemis de La Châtre, pas de turpitude que la maman ne lui jetât à la face. Et ces propos ne faisaient naitre en elle ni indignation ni révolte, elle y croyait. Elle y ajoutait ses propres commentaires et des reproches qui consternaient et blessaient la jeune fille jusqu’au fond de l’âme. Et c’était là cette mère qu’elle avait autrefois adorée, qu’elle avait aspiré à revoir, avec qui elle avait rêvé de vivre comme si c’eût été le bonheur suprême : cette mère pour qui elle avait tant de fois accusé sa grand’mère et à qui elle avait obéi pour désobéir aux dernières volontés de son aïeule ! La jeune fille sentit alors plus vivement que jamais combien elle était seule au monde. Le vie devenait dure à Aurore. Du matin au soir sa mère avait recours à tous les prétextes, à tous les motifs pour l’accabler de ses reproches, de ses réprimandes, de ses invectives et même de coups. La moindre contradiction la mettait hors d’elle-même ; elle éclatait en un torrent d’injures, en accusations incroyables. Parfois ces accès d’emportement allaient jusqu’au paroxysme d’une vraie démence. La grand’mère avait déjà prévenu Aurore que ces accès allaient souvent, surtout au printemps, jusqu’à l’aliénation mentale. Aurore put alors se convaincre que sa grand’mère disait vrai.

Ces scènes faisaient place à d’autres scènes non moins orageuses : caresses et tendresses impétueuses, larmes, pardons à genoux, suivies de nouveaux reproches humiliants, de criailleries insensées, et de la répétition d’incroyables accusations mensongères qu’elle avait entendues. À côté de cela qu’on se figure le perpétuel remue-ménage, la futilité et la légèreté de cette petite Parisienne, ses désespoirs à propos d’un chapeau mal acheté, ou ses transports de joie à l’occasion du rafistolage réussi d’un autre, ses perpétuels changements de logements, de domestiques, des restaurants où elle dînait, de passe-temps et de manière de vivre, voire de la couleur des perruques qu’elle variait, pour ainsi dire, d’un jour à l’autre, quoiqu’elle eût elle-même des cheveux noirs magnifiques et abondants ! Quelle différence de vie, d’intérêts, d’habitudes avec l’existence tranquille, consacrée à la lecture, aux occupations intellectuelles et sérieuses d’Aurore à Nohant ! Sans compter que tout ce milieu parisien de tapage, de bruit, d’agitation et de bagarre dont Sophie ne pouvait se passer, était insupportable à Aurore, cette adoratrice de l’immensité des champs et du silence des bois.

Chaque jour les relations d’Aurore avec sa mère prenaient une nouvelle aigreur, non pas qu’elle opposât rien de semblable aux sorties furibondes de Sophie, mais précisément parce qu’elle les supportait avec patience, cachant souvent, sans rien dire, le mécontentement et le chagrin qui la rongeaient d’autant plus vivement et qui lui faisaient plus souvent s’avouer à elle-même, avec terreur, que la tendresse passionnée qu’elle avait autrefois portée à sa mère s’était changée en une sorte d’indifférence dédaigneuse.

L’humeur d’Aurore devenait de plus en plus sombre, elle était tombée dans une telle apathie morale, qu’elle finit par en être malade ; il y eut des jours où elle ne pouvait rien avaler, tant sa gorge était nerveusement contractée.

La mère et la fille avaient comme changé de rôle : la patience, le calme, l’indulgence étaient du côté de la fille ; le déchaînement, les continuels changements d’humeur, les brusques transitions de la colère aux larmes, du chagrin à la joie, étaient du côté de la mère. La mère s’excusait, la fille pardonnait. La mère se mettait en rage, la fille s’efforçait, autant qu’elle le pouvait, de ne pas donner motif à ces colères, comme on éloigne d’un enfant capricieux tout ce qui pourrait, ne fût-ce qu’une seule fois, donner prise à ses caprices. La position n’était pas naturelle, les deux partis rêvaient aux moyens de mettre fin à cette torture insupportable. Une occasion favorable s’offrit bientôt.

Près de Melun, dans le domaine de Plessis-Picard, demeurait la famille des Rœtiers du Plessis ou Duplessis. James Duplessis avait été l’ami intime de Maurice Dupin, avec qui il avait servi dans la cavalerie à l’époque des guerres de la République. Leur amitié continua après la guerre, et Duplessis venait fréquemment voir la famille, alors heureuse, des Dupin, et, après la mort de Maurice, les deux femmes désolées, dont l’une avait perdu son fils et l’autre son mari. Il savait toujours les distraire et les égayer. Il était aussi ami d’Hippolyte Châtiron. Au commencement de 1822, Sophie Dupin alla, avec sa fille, passer trois jours chez les Duplessis[96].

Les Duplessis habitaient à la campagne un vaste et beau château entouré d’un parc et de champs. Cette famille aimante et gaie se composait de James Duplessis, officier en retraite âgé de quarante ans, homme gai et vif, autrefois excellent cavalier et bon vivant, alors bon père dévoué à sa famille ; de Mme Angèle, son épouse, femme intelligente et d’un esprit indépendant, excellente mère et bonne ménagère, de leurs cinq filles et de nombreux voisins et parents accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants. Tout ce monde remplissait la maison de bruit et de gaieté. Il y avait là la sœur de Mme Angèle, Mme Gondoin de Saint-Agnan (ou Saint-Aignan) avec ses trois filles : Elvire, Félicie et Méline ; les Saint-Martin avec leur fils Norbert ; Loïsa Puget avec sa mère ; Stanislas Hue — un avare à la Molière et une méchante langue ; le vieux Caron — l’ami de tout le monde ; Eugène Sandré et une foule d’autres personnes, vieilles ou jeunes. Le baron Dudevant, colonel en retraite, venait souvent avec son fils naturel Casimir, jeune homme de vingt-sept ans, qui, après avoir servi deux ans dans l’armée, avait fait son droit à Paris[97].

La liberté, la gaieté et le sans-gêne régnaient dans cette nombreuse société, qui semblait ne former qu’une seule et même famille. Toute cette jeunesse, adolescents et bébés, ne faisant que courir les champs et les prés, se livrant à la joie la plus bruyante, les « parties de barres effrénées et d’escarpolette » alternaient avec le colin-maillard et le cache-cache ; puis venaient les danses, les cavalcades et les promenades.

Il eût été difficile de trouver quelque chose qui pût mieux plaire à la pauvre Aurore que ce que le sort lui envoyait au Plessis. Elle y trouvait ce qui lui avait toujours manqué, surtout depuis la mort de son père : la vie de famille amicale et calme et la saine gaieté de la jeunesse. Jusque-là elle n’avait assisté qu’à des querelles de famille entre son aïeule et sa mère ; elle n’avait connu que la solitude : à Nohant d’abord, entourée de ses livres, auprès de sa grand’mère moribonde, puis à Paris auprès d’une mère extravagante et quasi folle. Il n’est pas étonnant que cette vie eût plongé la jeune fille en de sombres pensées, et l’eût jetée dans un état d’apathie et d’accablement. Nous savons déjà, il est vrai, qu’Aurore avait, dès son enfance, un penchant à la rêverie et au recueillement, mais les périodes de cette douce rêverie étaient souvent suivies d’une activité effrénée, d’une gaieté sans bornes. C’était comme si sa nature s’était révoltée contre ce sérieux qui n’est pas le propre de l’enfance, comme si elle avait voulu compenser les heures perdues par des semaines entières d’une gaieté folâtre, par des courses à travers champs à Nohant et dans les cloîtres du couvent. Dans les dernières années, les périodes de méditation étaient devenues continuelles, il n’était plus question d’amusements, elle n’en avait aucune envie. La vie qu’elle menait était trop rude pour elle. Lors de son dernier séjour à Paris, cette sombre disposition d’esprit l’avait jetée dans un tel désespoir qu’elle ne pensait plus pouvoir en sortir. Et voilà que cette visite au Plessis changeait tout d’un coup cet état de choses et rendait la pauvre jeune fille à la vie.

Sophie Dupin, qui n’aimait pas les longs séjours à la campagne, repartit pour Paris au bout de trois jours. Elle promit de revenir dans huit jours, mais, comme si elle était contente de ne pas avoir affaire à une fille aussi insupportable qu’Aurore, elle la laissa pendant plus de trois mois au Plessis. La jeune fille, de son côté, ne pensait nullement à rentrer chez elle. Avec toute la vivacité de sa nature ardente et toute la pétulance de sa jeunesse, elle se laissait entraîner par les amusements et la gaîté des jeunes gens qui l’entouraient.

On eût dit, à la voir infatigable aux jeux, qu’elle s’empressait de retrouver le précieux temps perdu. Elle était la première à imaginer toutes sortes de nouvelles espiègleries et de promenades, se mettait à la tête des plus jeunes et était le boute-en-train des plus âgés. Il n’y avait pas un seul enfant au Plessis qui, comme cette petite brune de dix-sept ans, s’amusât et rît à cœur joie, en y mettant toute son âme. Elle avait oublié toutes ses sombres idées, jeté bien loin toute apathie et toute indifférence. Elle se sentait comme chez elle et s’attachait de tout son être à ses hôtes qu’elle estima comme des parents et ses meilleurs amis. Les Duplessis, de leur côté, la regardaient comme leur fille. Mme Angèle qui avait conservé un air de jeunesse, malgré ses cheveux grisonnants et sa nombreuse famille, l’avait prise en amitié dès les premiers jours. Elles se convenaient bien l’une et l’autre par l’indépendance de leurs caractères, leurs habitudes et leur amour de la liberté. Remarquant combien cette pauvre riche héritière était délaissée et abandonnée à elle-même, qu’elle n’avait même pas de garde-robe convenable, parce que la jeune fille était trop insouciante et que sa mère ne pensait pas à sa toilette, quoiqu’elle aimât beaucoup à se parer elle-même ; voyant que les costumes et la chaussure d’Aurore étaient dans un état pitoyable, Mme Angèle l’habilla des pieds à la tête. Peu à peu elle se chargea de sa direction matérielle et spirituelle, la traita comme une sixième fille, aimée et amie. Aurore l’appela bientôt « maman » comme elle appelait James « papa » ! Tous les hôtes de la maison et tous les domestiques, en lui parlant de James, disaient « votre papa » et, en parlant d’Angèle, disaient, « votre maman » ! Elle appelait aussi Mme Saint-Aignan, qu’elle aimait beaucoup, « ma tante » et elle lui conserva toujours ce nom.

Les Duplessis, chaque fois qu’ils allaient à Paris, prenaient toujours Aurore avec eux, et, quoique la jeune fille demeurât chez sa mère, elle passait des journées entières avec ses soi-disant nouveaux parents. Ils allaient la chercher le matin, se promenaient avec elle dans Paris, lui en montraient les curiosités, la menaient dîner chez les « Frères Provençaux » ou au « Café de Paris » et, le soir, au théâtre ou au cirque. Aurore ne les quittait pas, et sa véritable mère paraissait très contente d’avoir rejeté la tutelle de sa fille sur les Duplessis. Si elle s’était révoltée contre les Villeneuve, ce n’était pas qu’elle ne pût vivre sans sa fille, mais uniquement pour ne pas se soumettre à la volonté de sa belle-mère, même après sa mort.

Dans une de ces courses à Paris, pendant que les Duplessis et Aurore étaient à manger des glaces chez Tortoni « maman Angèle » dit à son mari : « Tiens, voilà Casimir ! » C’était un jeu ne homme de bonne mine, élancé, assez élégant, et dont les manières militaires trahissaient l’ex-officier. Il vint serrer la main aux Duplessis et parla de son père, le colonel Dudevant, dont on lui demandait des nouvelles et que toute la famille Duplessis aimait et estimait. Il prit place à table à côté de Mme Angèle et lui demanda à l’oreille qui était la jeune fille. « C’est ma fille, » répondit-elle tout haut. « Alors, c’est donc ma femme, continua-t-il tout bas. Vous savez que vous m’avez promis la main de votre fille aînée. Je croyais que ce serait Wilfrid, mais comme celle-ci me parait d’un âge mieux assorti au mien, je l’accepte, si vous voulez me la donner ! » Mme Angèle se mit à rire, mais cette plaisanterie fut une prédiction[98].

Quelques jours plus tard, Casimir arriva au Plessis, se joignit aussitôt à la société des jeunes gens et prit part à tous leurs jeux enfantins, ce qui plut beaucoup à Aurore. Il ne pensait pas même à lui faire la cour. Dès le premier jour, des rapports de simple camaraderie s’étaient établis entre eux, et Casimir, en parlant d’elle, disait souvent à Mme Angèle : « Votre fille est un bon garçon ! » Aurore de son côté lui disait : « Votre gendre est un bon enfant ! » Le vieux Stanislas Hue s’écria un jour au jardin, pendant le jeu de barres : « Courez donc après votre mari. » Une autre fois Casimir, dans l’ardeur du jeu, s’écria : « Délivrez donc ma femme ! » À partir de ce moment, Casimir et Aurore, sans se gêner le moins du monde et sans penser aucunement à l’amour, s’appelèrent réciproquement mari et femme. Ils étaient tous deux aussi enfants que le petit Norbert et la petite Justine. Les personnes mûres attribuèrent cependant bientôt à ces relations quelque chose de sérieux. Stanislas Hue fut le premier à faire avec malveillance une allusion offensante, et répondit à Aurore qui lui demandait avec étonnement ce qu’il voulait dire, que ce serait en vain qu’elle continuât ce jeu, qu’elle n’épouserait jamais Casimir qui était trop riche pour elle.

La jeune fille qui avait pris tout cela comme des plaisanteries fut très offensée et, s’adressant à celui qu’elle appelait son père, elle lui demanda ce qu’elle avait à faire. Duplessis lui dit qu’avec le demi-million qu’elle possédait, elle était un très bon parti pour Casimir, que celui-ci, comme fils illégitime, n’avait droit qu’à la moitié de la fortune de son père, que l’autre moitié revenait à la femme de son père — sa belle-mère, et que la pension que son père recevait comme baron de l’Empire et officier en retraite de la Légion d’honneur lui était personnelle et après sa mort ne passerait point au fils. Ce serait donc lui, et non elle, qui y gagnerait, si le mariage venait à s’accomplir ; et que, comme jusque-là il n’en avait pas été question, il était facile à Aurore de faire cesser cette plaisanterie si cela ne lui plaisait pas : qu’elle n’avait pour cela qu’à en dire quelques mots à Casimir. Aurore n’en voulut rien faire et tout demeura comme par le passé.

Casimir partit et revint. À son retour, il se montra plus sérieux et, avec beaucoup de sincérité et de simplicité, fit une proposition à Aurore elle-même, sans se conformer à l’usage ; car, disait-il, il désirait obtenir son consentement avant de s’adresser à sa mère. « Il ne me parlait point d’amour et s’avouait peu disposé à la passion subite, à l’enthousiasme, et, dans tous les cas, inhabile à l’exprimer d’une manière séduisante. Il parlait d’une amitié à toute épreuve et comparait le tranquille bonheur domestique de nos hôtes à celui qu’il croyait pouvoir jurer de me procurer. « Pour vous prouver que je suis sûr de moi, disait-il, je veux vous avouer que j’ai été frappé à la première vue de votre air bon et raisonnable. Je ne vous ai trouvée ni belle, ni jolie ; je ne savais pas qui vous étiez, je n’avais jamais entendu parler de vous ; et cependant, lorsque j’ai dit en riant à Mme Angèle que vous seriez ma femme, j’ai senti tout à coup en moi la pensée que si une telle chose arrivait, j’en serais bien heureux. Cette idée vague m’est revenue tous les jours plus nette, et quand je me suis mis à rire et à jouer avec vous, il m’a semblé que je vous connaissais depuis longtemps et que nous étions de vieux amis[99]. »

Tout cela plut beaucoup à Aurore. Casimir lui agréait comme bon compagnon et jeune homme gai. Par les Duplessis elle avait entendu dire beaucoup de bien de lui et de toute sa famille. Elle fut même ravie qu’il n’eût point parlé d’amour, qu’il ne lui eût pas juré fidélité, qu’il n’eût pas soupiré, mais, qu’au contraire, il se fût adressé à elle presque froidement. Malgré son jeune âge, elle avait déjà eu tant à souffrir de l’excès d’amour et de passion de la part de ceux qui lui étaient les plus proches, que cette froideur la calma et la réjouit. Elle lui permit donc de s’adresser à sa mère.

Casimir n’était pas le premier qui eût recherché la main d’Aurore. Depuis son arrivée au Plessis elle avait déjà reçu plusieurs propositions. Mais c’étaient des partis dont s’occupaient ou son oncle de Beaumont, ou l’oncle Maréchal (marié, on s’en souvient, à la sœur de sa mère, Lucie Delaborde), ou Pierret, l’ami de sa mère ; tous ceux-là étaient des gens parfaitement inconnus à Aurore, mais qui, en revanche, connaissaient très bien le chiffre de sa dot. C’était si évident, que la jeune fille, malgré son manque d’expérience, refusa, sans balancer, toutes les propositions, quoique les prétendants fussent gens de noblesse et souvent riches eux-mêmes. Elle se montra cependant très prudente, comprenant qu’un refus trop raide de sa part pourrait avoir pour conséquence que sa mère, par esprit de contradiction, insistât et la forçât d’accepter. Aurore, semble-t-il, fit exception pour Casimir, ne pensant pas qu’il cherchait lui aussi un « mariage d’intérêt ». George Sand, dans l’Histoire de ma Vie, garde le silence sur ce point. Mais, si nous prenons en considération tous les faits et indices que nous trouvons dans l’Histoire et les lettres publiées ou inédites de George Sand, il en ressort avec évidence que Casimir, comme tous les autres prétendants à la main d’Aurore, voyait avant tout en elle la riche héritière ; or, la richesse — il le prouva bien dans la suite — était à ses yeux la première des vertus. Acquérir et conserver sa fortune, acquérir et conserver quoi que ce fût, voilà peut-être quelle fut l’unique passion vive et réelle de cet homme nul et terne. Toutes ses autres occupations, ses plaisirs et ses habitudes : service municipal (il avait d’abord été maire de Nohant et plus tard de Guillery, propriété de son père, près Nérac), participation aux élections locales et aux préoccupations politiques, économie rurale, chasses, goût de la boisson, amourettes avec des femmes de chambre, etc., — c’était là le passe-temps ordinaire et le faible de tous les hobereaux de province. Le désir d’acquérir, de s’enrichir sans rien laisser glisser de ses mains, tel fut toujours le trail particulier, la passion dominante de Dudevant : d’année en année, cette passion devint de plus en plus forte chez lui. Dans la vieillesse elle se transforma même en une avidité honteuse, en avarice phénoménale, comiquement minutieuse, jusqu’à chicaner sur des riens sa femme déjà divorcée, et ses enfants sur des pots de confitures, ou des poêles de fonte à payer. — À cette époque, nous le répétons, Aurore Dupin ne sut pas distinguer en son futur mari cette passion de l’argent, et George Sand, dans son Histoire, n’a pas jugé nécessaire d’avouer ce qui, pour elle, ne fut plus tard que trop clair. Dans sa Correspondance nous trouvons une foule d’indices qui prouvent qu’elle ne l’ignora pas dans la suite. Quoi qu’il en soit, en 1822, Aurore avait toute confiance dans les sentiments « de son bon camarade » Casimir Dudevant et elle lui permit d’aller voir sa mère.

Aurore eut de nouveau à faire de la diplomatie et à ruser avec Sophie. Quand la mère sut de quoi il s’agissait, elle donna son consentement, puis refusa et enfin consentit. Longtemps, elle taquina Casimir, tantôt se fâchant contre lui, tantôt débitant sur son compte toute espèce d’inventions, entre autres, qu’elle avait « découvert » qu’il avait servi autrefois comme garçon de café ; tantôt elle se brouillait et se réconciliait avec lui. Comme il n’était pas de nature à se tourmenter comme Aurore, et qu’il opposait aux sorties de Sophie beaucoup de sang-froid et d’indifférence, celle-ci en prit bientôt son parti et se familiarisa à l’idée du mariage de sa fille avec Dudevant. Ce qui finit par l’adoucir, ce fut que la baronne Dudevant, belle-mère de Casimir, dame élégante et de bon ton, vint la première lui faire une visite et eut pour elle, en général, beaucoup d’attentions. Pour Sophie, qui était d’un amour-propre maladif et qui, toute sa vie, avait eu à souffrir des offenses et des piqûres de la part de beaucoup de nobles dames et de nobles seigneurs (à propos de son passé), ces attentions et ces amabilités étaient plus que suffisantes pour l’attendrir envers les Dudevant ; la cause de Casimir était gagnée. Elle se montra toutefois hostile envers lui jusqu’au mariage. Une des conséquences qui s’ensuivirent fut qu’Aurore se maria « sous le régime dotal ».

Par son contrat de mariage soumis au « régime dotal », Aurore conservait sa fortune personnelle de 500.000 francs. En outre, les parents avaient inséré la clause que Casimir, en jouissant du revenu des biens de sa femme, et en se chargeant de leur gestion, s’engageait à lui payer une rente annuelle de 3.000 francs pour ses besoins personnels. George Sand suppose que sa mère avait voulu simplement, par là, faire preuve, jusqu’au dernier moment, de son pouvoir et de son influence sur sa fille et se montrer peu agréable envers Casimir.

Il faut plutôt voir en cela, selon nous, la perspicacité de Sophie, qui, malgré son caractère mal équilibré, était une femme très pratique, sachant juger les gens. Elle avait sans doute remarqué dans le jeune Dudevant des traits qui l’avaient mise sur ses gardes et qui l’avaient rendue soucieuse pour l’avenir de sa fille. Nous verrons bientôt combien elle avait eu raison d’agir ainsi et quel service elle avait rendu à sa fille par sa prudence, service qui influa sur tout le reste de la vie de celle-ci. Aurore ne pouvait alors ni le comprendre, ni l’apprécier. Bien au contraire, cette mise en doute de la probité de son fiancé, ces comptes et ces calculs la révoltaient. « L’instinct des poètes commençait apparemment à se manifester en elle, » disait plus tard à ce sujet Michel de Bourges. Lorsqu’elle apprit que la fortune de son mari n’était à peu près que le dixième de la sienne[100], elle s’opposa à ce qu’il lui payât, de son argent à elle, la rente de 3.000 francs qui lui avait été assignée. Elle voulut que cette somme fût diminuée de moitié, et, pour égaliser autant que possible les avantages des deux fortunes, elle exigea généreusement qu’il y eût entre eux « communauté d’acquêts », c’est-à-dire que ce qu’on acquerrait dans la suite sur le revenu ou les économies de l’un des deux époux deviendrait propriété commune.

Le contrat de mariage resta toutefois soumis « au régime dotal », et ce fut un bonheur pour Aurore que les volontés de sa mère et de ses plus proches amis fussent exécutées. Le mariage fut conclu le 10 septembre 1822[101], et, après les visites d’usage, les jeunes époux se retirèrent à Nohant.

Avant de raconter leur vie conjugale, qui eut une fin si malheureuse, et de faire le portrait du mari, disons d’abord que les circonstances de ce mariage, telles que nous les avons mises sous les yeux des lecteurs, éveillent un sentiment très pénible. Une jeune fille belle, instruite et riche, épouse, pour ainsi dire, le premier venu — nous ne pouvons parler autrement de Dudevant, car elle avait à peine vu quelques-uns des autres prétendants qui avaient demandé sa main ; — elle se marie sans y penser, sans savoir ce que c’est que l’amour, ignorant ce qu’est un mariage sans amour. Pour elle, c’est un compagnon de jeu qu’elle épouse, sans soupçonner qu’une gaie camaraderie ne suffit pas au bonheur, sans même se soucier de savoir si cela peut suffire pour que la vie en commun soit supportable. Si Aurore se fut mariée une ou deux années plus tard, elle eût certainement mieux connu la vie et les hommes. Un vrai sentiment aurait peut-être eu le temps de s’éveiller en elle, elle ne se fût pas donnée si facilement et n’aurait pas confié son bonheur et son avenir à un homme qui, quoique son aîné et connaissant déjà la vie, ne pensait, pas plus que sa fiancée, qu’il devait l’aimer et être aimé d’elle. Tous deux envisageaient l’amour comme chose tout à fait superflue. Tout semblait si simple et si facile à cette jeune fille ingénue qui connaissait, il est vrai, fort peu la vie humaine, mais dont la vie intérieure était si riche et si complexe. Tout semblait également simple et facile au jeune propriétaire gascon qui ne s’était jamais arrêté à rien qui eût l’apparence d’une idée ou d’un sentiment sérieux. Mais cela n’était pas du tout aussi simple, ni aussi facile qu’ils le croyaient, et l’épilogue de cette douloureuse histoire ne le fut aucunement. Ni l’un ni l’autre des deux jeunes gens, ni aucun de ceux qui les entouraient, ne pressentait alors rien de tragique dans leur avenir ; personne ne trouva mauvais qu’ils fissent un mariage sans amour. Il est trop clair que, quoique Aurore se sentit très heureuse chez les Duplessis, c’était cependant pour elle une maison étrangère. Et où était-elle, sa maison, à elle, à cette époque ? À Nohant, elle ne pouvait pas y retourner, parce que sa mère avait fermement refusé d’y aller, et elle-même ne voulait pas accompagner sa mère à Paris, sachant que la vie y serait insupportable. Elle se sentait fatiguée. Il lui fallait sortir de cette position incertaine, de cette dépendance de tout le monde, et elle saisit avec joie la première occasion de liberté qui se présentait. Elle ne fit que changer de chaînes : sa dépendance devint esclavage. Certes, si sa grand’mère eût encore été vivante, et si la vie d’Aurore à Paris avait été heureuse et calme, elle n’eût pas agi avec tant d’empressement.

Cette résolution, que nous attribuons uniquement à la tristesse de ses jeunes années et aux conditions pénibles de sa vie de famille, eut une influence funeste sur le sort d’Aurore Dupin et sur le développement de son idéal social et moral. Si elle avait fait un mariage d’amour, si son mari l’avait comprise, se fût montré digne d’elle, lui eût été égal en grandeur d’âme, et qu’il y eût eu harmonie et bonheur dans leur vie conjugale, qui sait si nous aurions eu l’écrivain George Sand et si cet écrivain eût soulevé ces « questions féminines » qui sont si étroitement liées à plusieurs de ses romans.

Il y aurait trop de naïveté à croire qu’il n’y a que les mariages d’amour passionné qui donnent le bonheur et le calme à la vie de famille. La vie conjugale, pour être heureuse et tranquille, est ordinairement soumise à trois conditions ; si ces trois conditions sont réunies, c’est alors le bonheur idéal. Il faut d’abord qu’il y ait similitude, ou, du moins, une certaine égalité dans le niveau des exigences intellectuelles, des intérêts, des goûts et des croyances, d’une entente mutuelle et d’une harmonie morale, qui, réunies ensemble, tiennent finalement lieu de véritable bonheur et amènent cette même union paisible, qui est aussi l’épilogue des amours passionnées. Il faut, en second lieu, ce vif amour réciproque, qui fait que les époux se chérissent malgré tout, se pardonnent tout, même la différence et l’inégalité des opinions, des intérêts et des croyances, Troisièmement, il faut un certain savoir-vivre extérieur, c’est-à-dire de la patience, de la tolérance, de la dignité et du respect dans les relations avec le compagnon de vie auquel le sort nous a liés pour toujours, alors même qu’il ne serait pas ardemment aimé, et qu’il aurait des opinions et des intérêts opposés aux nôtres. Ces trois conditions, qui sont au fond indispensables dans toute union, se trouvent, en réalité, très rarement réunies, mais il suffit de l’une d’elles pour assurer la stabilité du bonheur ; et voilà pourquoi on trouve relativement un grand nombre de familles heureuses, quoiqu’il soit peut-être impossible de trouver dans le monde un couple parfaitement assorti. Le mariage d’Aurore et de Casimir ne réunissait aucune de ces conditions ; logiquement, il devait finir par une rupture, et les quatorze années qu’il dura furent, pour les deux époux, un martyre presque égal.

Dans leur union, il y avait trois conditions négatives : 1° d’un côté, un homme nul en face d’une nature hors ligne comme celle d’Aurore, et cet homme se croyait, de par la loi et par sa propre opinion, en droit d’être le chef de la maison et de la famille ; 2° l’absence, chez les deux époux, du véritable amour ; 3° la brutalité, le laisser-aller, la grossièreté de Casimir qui l’amenèrent aux actes les plus révoltants et aux violences qui forcèrent Aurore à quitter d’abord le toit conjugal, et à recourir ensuite à la protection de la loi. — George Sand, dans l’Histoire de ma Vie, a toutefois trouvé nécessaire de parler de Dudevant aussi discrètement que possible. « Depuis que la séparation a été prononcée et maintenue, — dit-elle, — je me suis hâtée d’oublier mes griefs, en ce sens que toute récrimination publique contre lui me semble de mauvais goût, et ferait croire à une persistance de ressentiments dont je ne suis pas complice[102]. » Selon nous, sa réserve est poussée trop loin. Quand on connaît la vie du ménage Dudevant et certains actes de Casimir, on éprouve, en lisant l’Histoire de ma Vie, un étrange sentiment d’étonnement et l’on se demande involontairement : « George Sand a-t-elle donc voulu faire parade de sa générosité ou a-t-elle réellement oublié tous ses anciens griefs ? »

Il nous semble, en conséquence, indispensable de n’attacher aucune importance à son ton d’indulgence et au silence qu’elle garde en parlant de Dudevant. Nous exposerons les faits comme ils se sont passés, sans nous effrayer de ce que les déductions à en tirer soient peut-être peu conformes à la magnanimité dont elle semble faire preuve dans l’Histoire de ma Vie.

Revenons à l’exposé des raisons qui ont amené les dissentiments et les malheurs des Dudevant, en répétant que, si le développement intellectuel et les aspirations de Casimir avaient été à la hauteur de ceux de sa femme, elle se serait peut-être habituée à cette absence de tendresse. Si son mari l’eût aimée comme elle y aspirait instinctivement et comme elle le méritait, elle se fût probablement réconciliée avec lui malgré son infériorité d’esprit. Il aurait enfin pu se faire qu’un semblant extérieur d’amitié leur eût fait supporter patiemment leur croix, le manque d’amour et la divergence de leurs intérêts. En un mot, sans former une famille idéale, les Dudevant auraient peut-être été une de ces nombreuses familles où l’amitié n’est qu’extérieure. Notre supposition n’est pas sans fondement : nous en trouvons les preuves dans la Correspondance de George Sand et dans l’Histoire de ma Vie. Mais ces mêmes passages et faits prouvent qu’aussitôt que les convenances extérieures furent violées entre les Dudevant, la dernière possibilité de vivre en commun disparut, — il fallut se séparer pour toujours.

Bien que tous les biographes soient d’accord à peu près sur Casimir Dudevant, on peut cependant les diviser en deux groupes : les uns, s’en rapportant exclusivement à l’Histoire de ma Vie, parlent de lui avec réserve et indulgence et le représentent surtout comme un homme médiocre et insignifiant. Les autres, contemporains du fameux procès de 1836 ou, en tout cas, au courant de tout ce qui fut alors élucidé, soulignent sa grossièreté, sa violence, son ivrognerie, sa profonde immoralité, sa brutalité envers sa femme, etc. Grâce à cela, beaucoup de lecteurs disposés tout d’abord à ne voir en Dudevant qu’un tyran, un despote, s’imaginent que dès les premiers jours du mariage la maison des Dudevant fut un épouvantable enfer. Il n’en est pas ainsi. Si la grossièreté, le despotisme de Casimir et « l’enfer » sont des faits réels, ces faits ne peuvent se rapporter qu’à une époque ultérieure. C’est la médiocrité, la nullité du mari qui ont, sans contredit, joué d’abord un triste rôle. Disons plus : les deux premières années furent réellement assez heureuses. À cette confusion que nous signalons, et à cet anachronisme contribue encore le fait qu’immédiatement après le récit de son mariage, George Sand passe, dans son Histoire, au récit de ses dissentiments ; elle nous raconte comment, sans qu’il y eût inimitié déclarée, il existait déjà des mésintelligences, que tous deux commençaient à s’ennuyer, attribuant cet ennui à leur solitude ; qu’ils entreprirent alors une série de voyages : à Guillery chez le beau-père d’Aurore, à Bordeaux, aux Pyrénées, à Paris où ils demeurèrent tout un hiver, etc., etc. Puis George Sand nous raconte son triste isolement, ses vagues aspirations, ses rêveries et ses pensées. Tout cela, joint au souvenir de l’issue tragique, universellement connue, de la vie conjugale des Dudevant, a toujours fait supposer aux biographes de George Sand et aux lecteurs de l’Histoire de ma Vie, que leur malheur remonte aux premiers temps de leur mariage. Mais c’est là une erreur. Quoique tout cela soit réellement arrivé, il ne faut rapporter ces faits qu’aux années 1824 et 1825, et surtout à 1827-1829. Entre 1822-1824, les relations entre les deux époux ont été non seulement les meilleures qu’on puisse imaginer, mais on a même toutes les raisons de croire qu’Aurore aimait véritablement son mari. Sans doute, ce n’était pas là une passion violente, et ce sentiment était bien différent de celui que George Sand éprouva plus tard pour Musset ou Michel de Bourges ; c’était un amour tendre, dévoué, sincère, un peu enfantin. Aurore témoignait à Casimir la sollicitude et l’amitié la plus sincère ; de son côté, il l’entourait de petits soins, lui témoignait de la cordialité, si toutefois on peut employer ce mot en parlant de Dudevant.

De dix-huit à vingt ans. Aurore n’était pas encore telle qu’elle le devint à vingt-sept, lorsqu’elle commença sa carrière littéraire. Entre 1822 et 1824, elle ne savait pas non plus ce que c’était que le véritable sentiment, l’amour vrai ; elle n’avait pas encore d’idées bien arrêtées sur ce que l’on peut exiger de soi-même et des autres ; elle n’avait pas la compréhension précise de ce qui constitue le véritable bonheur, la vie vraiment humaine avec son but et ses devoirs. Aurore s’ignorait : elle n’avait pas conscience des exigences de son cœur. Le besoin d’aimer venait de naître instinctivement en elle ; elle s’attacha de toute son âme d’enfant à son mari parce qu’il lui semblait bon et honnête. Il faut aussi reconnaître que Casimir ne laissait pas voir les défauts et les traits de caractère qui éclatèrent dans la suite, surtout lors du procès en divorce et dans les affaires d’intérêt qu’ils eurent à traiter plus tard. Dans sa jeunesse, Dudevant n’était ni avare, ni ivrogne, ni coureur de filles de chambre et ne se permettait envers sa femme aucun des mauvais procédés qu’elle eut à supporter dans la suite, et même bientôt, hélas !

À peine étaient-ils établis à Nohant, qu’Aurore, devenue enceinte, se mit aussitôt avec amour et sollicitude à la confection de la layette, occupation toute prosaïque, mais tout imprégnée pour elle de poétiques espérances et de tendres rêveries. Jusque-là, elle n’avait jamais travaillé à l’aiguille, quoique sa grand’mère eût toujours trouvé que c’était un savoir nécessaire à toute femme. Maintenant, avec cet entrain qu’elle apportait à tout ce qu’elle faisait, Aurore se mit à confectionner des bonnets, des brassières, et atteignit bientôt une perfection extraordinaire dans la coupe et la couture, « une maëstria de coup de ciseaux », qu’elle conserva toute sa vie. C’était, sans doute, une faculté qu’elle avait héritée de sa mère. Ses amis et ses parents nous ont raconté que cette facilité de tailler et de coudre en quelques instants, soit une camisole pour l’un de ses propres enfants, ou pour l’un de ceux dont elle était toujours entourée, soit un manteau pour le théâtre de la maison, soit un costume entier pour la poupée de sa fille ou de sa petite-fille, que cette facilité à confectionner en un rien de temps et avec élégance, tantôt des vêtements nécessaires, tantôt les attifements les plus fantastiques, était vraiment surprenante. « Elle avait de petits doigts de fée, » disait un de ses vieux amis. Pendant l’hiver de 1822 à 1823, ces « petits doigts de fée » furent occupés à broder de minuscules bonnets ; cette occupation lui prenait tout son temps, elle en avait même oublié ses livres et ses cahiers.

Sa santé était cependant alors très mauvaise. Elle éprouvait tous les malaises qui accompagnent quelquefois la grossesse. Elle fit, en outre, en sortant de la maison, une chute malheureuse. Il s’ensuivit des complications qui firent craindre pour sa vie et celle de l’enfant. Deschartres, son ancien précepteur, médecin de profession, et Decerfz, médecin de la famille, la firent mettre au lit pour six semaines[103]. Grâce à ces mesures prises à temps, tout finit heureusement, et le 30 juin 1823, un fils, Maurice, naquit aux Dudevant.

Peu de temps avant cet événement, les Dudevant s’étaient établis à Paris, à l’Hôtel de Florence, rue Neuve des Mathurins, n° 56. Aurore se consacra avec une abnégation entière aux soins maternels, nourrit elle-même son enfant, lui servit de bonne, toujours tremblante pour sa santé, s’effrayant à chacun de ses cris, à la moindre toux. Dès le premier jour, elle s’attacha passionnément à lui, et jusqu’à sa mort il fut pour elle son trésor, sa consolation, sa joie. Ce fut sa passion la plus durable, la plus heureuse, la seule peut-être qui ne l’ait jamais trompée. Toutes les lettres qu’elle écrivait à cette époque, sont pleines de son enfant. Elle aimait à donner de ses nouvelles, à sa mère, à sa sœur, au vieux Caron, à tout le monde.

Sur ces entrefaites, la gestion de Deschartres était arrivée à son terme. Il ne voulut plus vivre à Nohant, quoiqu’il fût en bonnes relations avec Casimir, et, malgré les instances d’Aurore pour qu’il restât, il alla s’établir à Paris. Il ne voulait pas sans doute être second à Nohant, après y avoir été maître absolu pendant vingt-cinq ans et n’avoir pas eu de compte à rendre aux vrais maîtres : la vieille Mme Dupin et Aurore. Après son départ, Casimir dut prendre l’intendance de Nohant, ce qui força les Dudevant, à l’approche de l’hiver 1823-24 de retourner à la campagne qu’ils croyaient ne plus quitter.

Une parfaite union et les meilleurs rapports régnaient alors entre les deux époux. Dans ses lettres, Aurore parle presque toujours à la première personne du pluriel, « nous ». « Jour et nuit nous ne nous occupons que de Maurice, » dit-elle en parlant d’elle et de son mari dans la lettre qu’elle écrivit à sa mère le 24 février 1824[104]. « Nous vous embrassons et nous sommes vos bons amis, » disait-elle à la fin d’une de ses lettres à Caron[105], et elle signait pour tous deux : « Les deux Casimir ». Il n’y a pas une seule des lettres qu’elle a écrites à cette époque à sa mère, surtout de celles qui sont restées inédites et que nous avons eu l’occasion de parcourir, où Aurore ne parle de Casimir sur le ton le plus amical ; elle l’appelle : « mon ami Casimir », « mon bon ami », ou, à l’instar des paysannes, « mon homme ».

Toutes ses lettres des premières années de mariage nous montrent avec quelle sollicitude Aurore s’occupait de son mari. Lorsque, en 1824, les Dudevant firent aux Duplessis une visite, pendant laquelle Casimir alla passer quelque temps à Nohant, Aurore fit exprès un voyage à Paris, dans le seul but de l’ « embarquer »[106] En automne, Casimir va une seconde fois à Nohant, et Aurore est dans toutes les transes, lorsque les lettres de son mari se font attendre ou ne lui arrivent pas. Elle bombarde de billets le vieux Caron, qui habitait Paris en ce moment et remplissait différentes commissions que lui donnaient les Dudevant, depuis les rubans et les commandes de robes d’Aurore, jusqu’aux affaires d’argent de Casimir. Elle exige que Caron lui écrive, s’il reçoit avant elle des nouvelles de son mari. Toute journée passée sans lettre la met au désespoir. Les lettres à Dudevant du ler, 3, 16, 19 août et 23 décembre 1824 (inédites) sont toutes remplies d’expressions d’amour, d’un amour très tendre, presque passionné. De son côté, Casimir, lui ayant promis de lui écrire pendant la route, et « même le jour de son départ », veut savoir tout ce que fait sa femme en son absence, et « elle lui écrit un volume », comme elle s’exprime dans une lettre à Caron, du 8 novembre 1824[107]. Et le 10 novembre elle écrit au même Caron : « Je suis fort inquiète de ne peint recevoir des nouvelles de Casimir ; lui, qui est si exact, ne m’a pas écrit depuis la lettre que vous m’avez envoyée le 19. Enfin, j’aime mieux une certitude quelconque que l’agitation et l’inquiétude où je vis. Je ne vis pas… soyez exact à m’envoyer ses lettres, je vous en conjure, mon ami. Vous direz que je n’ai pas le sens commun de me tourmenter ainsi, tout le monde le dit et m’obsède. Cela ne dépend pas de moi. Il est parti avec des pressentiments si tristes. Je vois tout en noir. Je patienterai encore demain, mais si je ne reçois pas de nouvelles, je vais à Paris mercredi matin. Je ne sais à quoi cela m’avancera, mais le corps ne peut pas pester en place quand l’esprit court les champs[108]. »

Aurore, on le voit, s’était attachée à son « ami Casimir ». N’oublions pas qu’à quinze ans encore, lassée et brisée par tout ce qu’elle avait eu à souffrir de son unique affection passionnée — son amour pour sa mère — et, n’ayant encore rencontré personne à qui elle eût pu consacrer toute cette ardeur d’un cœur qui s’éveille, elle se jeta à corps perdu dans une piété exaltée. « Il me fallait, » dit-elle, « aimer hors de moi[109]. » Depuis lors, elle se trouva encore plus seule ; sa grand’mère était morte, la religion ne la satisfaisait plus. Aurore fit ses premiers pas dans la vie, et le besoin d’aimer se réveilla en elle avec une nouvelle force. Il est hors de doute que, si Dudevant eût compris sa femme et lui eût été égal, s’il ne s’était pas manifesté, deux ans à peine après le mariage, grossier et brutal, le sentiment qui s’était éveillé en elle, se serait probablement épanoui en un éclat splendide, aurait brûlé d’une flamme ardente. Hélas, il était condamné à se flétrir, à être étouffé. Des mains grossières vinrent froisser cette tendre plante et ne lui permirent pas de se développer. Le petit feu s’éteignit ; à peine une vive étincelle couva-t-elle sous la cendre tout au fond de son cœur. Lorsque cette étincelle éclata plus tard en incendie, elle consuma la maison entière qu’elle eût pu éclairer et réchauffer.

Les Dudevant passèrent donc deux années assez paisibles et assez heureuses. Aurore soignait son enfant et s’occupait du ménage, préparait de petites surprises à sa mère, à sa belle-mère et à sa sœur, faisait des confitures, cousait des gilets et des guêtres pour son mari[110]. Casimir rétablissait l’ordre dans la gestion du domaine, administré d’une manière assez décousue et relâchée par Deschartres, qui avait toujours eu en tête toutes sortes de projets fantastiques et perdait de vue les choses les plus essentielles. Dudevant déploya, dans les premiers temps, une grande activité et beaucoup d’énergie. Il défrichait les champs et les prés négligés, mettait la maison en ordre, faisait nettoyer et planter le jardin, travaillant minutieusement à rétablir l’ordre au dedans comme au dehors de la maison. C’est alors que se manifesta, d’abord assez confusément, le désaccord qui régnait entre les deux époux. Leurs natures étaient trop différentes. Dudevant, comme Aurore le dit plus tard en définissant elle-même son mari dans une lettre inédite qu’elle lui écrivit en 1825, aimait l’économie rurale, mais aimait peu les descriptions champêtres. Aurore aimait la nature agreste, la littérature, l’art… Comme toute nature vraiment poétique, elle tenait aux coins ombragés et délaissés du jardin, aux vieilles choses de la maison, elle était attachée aux anciens souvenirs de la famille, aux vieux animaux domestiques. Quand disparurent ces coins sauvages, les vieux chiens pelés qui lui étaient dévoués, les vieux paons qui se faisaient impunément les maîtres du jardin, quand dans les champs et la maison elle vit installé un ordre modèle, il sembla à Aurore qu’on lui avait enlevé quelque chose, que le vieux Nohant n’était plus le même ; il survint en elle des accès de chagrin incompréhensibles pour elle-même comme pour Casimir. Elle devint nerveuse, elle pleura sans raison. Ni elle ni son mari ne comprirent que cela était dû en partie au besoin de satisfaire ce réel amour qu’elle ne trouvait pas, amour vraiment humain, union spirituelle avec l’être aimé, et en partie à son ignorance d’elle-même, de sa nature artistique, qui cherchait sa voie. Ayant beaucoup lu dès son adolescence, Aurore, esprit très mobile, adoratrice de Rousseau et de Byron, admiratrice de Locke et de Leibniz, âme pleine d’enthousiasme pour tout ce qui est grand et beau, et sincèrement tourmentée par les questions les plus profondes de l’existence, languissait dans la solitude. Elle n’avait personne avec qui elle pût s’entretenir, personne à qui elle pût faire part de ses sérieuses pensées ou de ses rêveries de jeunesse. Ses oreilles n’entendaient éternellement que des conversations sur le jardinier surpris en flagrant délit de vol, sur la fenaison, sur les dégâts commis dans les champs, sur le fermage du moulin ou sur une nouvelle sorte de pommes. Elle se chagrinait, devenait de plus en plus nerveuse, pleurait et étonnait son mari par ses étrangetés. Tous deux furent d’avis qu’Aurore avait besoin de se distraire. Casimir, Gascon de naissance, n’aimait pas le Berry, il le trouvait trop ennuyeux, trop monotone. Les deux époux résolurent de quitter Nohant pour quelque temps. Pour se sentir plus à l’aise et pour plus de commodité mutuelle, ils prièrent les Duplessis de leur donner la nourriture et le logement moyennant rétribution modique, et, après un court séjour à Paris où ils passèrent les fêtes de Pâques avec leurs parents, ils allèrent s’établir au Plessis-Picard en avril 1824.

Aurore eut ainsi le bonheur de retomber dans son joyeux cercle d’amis, qui s’augmenta encore, cette année-là, de quelques membres nouveaux. Sa tristesse tomba comme par enchantement, les cavalcades, les jeux de colin-maillard, de barres, les courses, le bruit, les allées et venues recommencèrent de plus belle du matin au soir. On alla jusqu’à inventer des jeux auxquels des enfants comme Maurice, marchant à quatre pattes, pouvaient même prendre part. Et Casimir qui venait de partir de Nohant tout préoccupé de l’abattement d’Aurore, de sa mélancolie sans raison, de ses pleurs perpétuels, était à présent frappé de ses incartades enfantines, de son rire continuel, de la préférence qu’elle donnait aux courses des enfants et des adolescents sur les conversations avec les grands (elle avait une prédilection toute particulière pour Loïsa Puget, la musicienne bien connue, qui n’avait alors que douze ans, et pour Félicie Saint-Agnan, jeune fille de quatorze ans). Dans sa lettre déjà mentionnée, du 8 novembre à Caron, elle écrit : « Je meurs toujours de peur d’être obligée de causer ou de me coucher tard. Vous savez que mon suprême bonheur est de manger beaucoup, de beaucoup dormir, et ne rien dire, si ce n’est à de bons amis tels que vous. » Casimir ne comprenait plus sa femme, et, ne la comprenant pas, il arriva ce qui arrive très souvent : il se crut en droit de se comporter avec mépris envers elle. Les personnes étrangères qui étaient là et quelques-uns des amis s’étonnèrent aussi en voyant Aurore reprendre, après une période de méditations et de contemplations, une existence toute de joie et de gaieté.

« Grâce à ces contrastes, certaines gens prirent de moi l’opinion que j’étais tout à fait bizarre. Mon mari, plus indulgent, me jugea idiote. Il n’avait peut-être pas tort, et peu à peu il arriva, avec le temps, à me faire tellement sentir la supériorité de sa raison et de son intelligence, que j’en fus longtemps écrasée et comme hébétée devant le monde. Je ne m’en plaignis pas. Deschartres m’avait habituée à ne pas contredire violemment l’infaillibilité d’autrui, et ma paresse s’arrangeait fort bien de ce régime d’effacement et de silence[111]… »

Toutes les incartades enfantines d’Aurore n’eurent cependant pas une issue aussi paisible, aussi peu remarquée ; elles provoquèrent de plus en plus souvent l’irritation de Casimir. Une de ces folies finit fort malheureusement et devint une date insigne dans l’histoire des Dudevant. — Un jour du mois de juillet, c’était le 25 (le 31, selon d’autres versions) on prenait au Plessis le café après le dîner. Aurore, Félicie Saint-Agnan, Clarisse Lacroix, une autre encore se poursuivaient sur la terrasse, et étaient « bien folles », comme George Sand le déclara plus tard. L’une d’elles, voyant l’inutilité de ses efforts pour en saisir une autre, lui jeta du sable. Quelques grains tombèrent dans la tasse de « papa James ». Il demanda à cette jeunesse turbulente de cesser de se démener de la sorte ; mais elles étaient en train, elles ne cessèrent pas, et Aurore se mit aussi à lancer du sable, Casimir, hors de lui, cria grossièrement contre sa femme, lui ordonna de mettre immédiatement fin à ce jeu stupide, la menaça et, voyant qu’elle ne cessait pas, lui donna un soufflet. Aurore, exaspérée par la colère et cruellement offensée, s’enfuit dans le parc avec Félicie et Clarisse et fut longtemps à se calmer. Dans une de ses lettres postérieures, lorsqu’elle demanda à Félicie, en 1835, d’être témoin, lors de son procès en séparation, où il devait être question de cette scène, George Sand ajoute que ce jour-là elle avait cessé d’aimer Dudevant et que « tout alla de mal en pis[112] ». Mais cela n’est pas exact. En novembre de cette même année 1821, Dudevant partit pour Nohant et Aurore écrivit à Caron les lettres déjà mentionnées, dans lesquelles elle exprime pour son mari tant d’attachement et tant d’inquiétude. L’événement qui s’était passé sur la terrasse est, cependant, bien significatif ; si Aurore pleurait maintenant, ses pleurs ne pouvaient plus, comme au printemps, être qualifiés d’inexpliquables et d’incompréhensibles. Et malheureusement ce fait regrettable ne resta pas isolé, il fut, semble-t-il, comme le premier anneau d’une série d’autres actes, plus grossiers et plus révoltants encore. Si George Sand a trouvé nécessaire, après le divorce, de les oublier, l’historien qui écrit la chronique de ce mariage et de ce divorce a, lui, le devoir de ne pas oublier de pareils faits. Ce n’est aussi qu’un grain de sable peut-être, mais ce fut un des grains de sable qui, devant la justice, firent pencher la balance en faveur d’Aurore, car d’année en année il s’en était accumulé trop, de ces petits grains, beaucoup trop !

En automne, les Duplessis allèrent s’établir à Paris ; les Dudevant ne pouvaient, seuls, rester au Plessis, mais craignaient en retournant à Nohant de s’y trouver en tête à tête.

« Nous aimions la campagne, mais nous avions peur de Nohant, peur probablement de nous retrouver vis-à-vis l’un de l’autre, avec des instincts différents à tous égards et des caractères qui ne se pénétraient pas mutuellement. Sans vouloir nous rien cacher, nous ne savions rien nous expliquer ; nous ne nous disputions jamais sur rien, j’ai trop horreur de la discussion pour vouloir entamer l’esprit d’un autre, je faisais, au contraire, de grands efforts, pour voir par les yeux de mon mari et agir comme il souhaitait. Mais à peine m’étais-je mise d’accord avec lui, que, ne me sentant plus d’accord avec mes propres instincts, je tombais dans une tristesse effroyable.

« Il éprouvait probablement quelque chose d’analogue sans s’en rendre compte, et il abondait dans mon sens quand je lui parlais de nous entourer et de nous distraire. Si j’avais eu l’art de nous établir dans une vie un peu extérieure et animée, si j’avais été un peu légère d’esprit, si je m’étais plu dans le mouvement des relations variées, il eût été secoué et maintenu par le commerce du monde. Mais je n’étais pas du tout la compagne qu’il lui eût fallu. J’étais trop exclusive, trop concentrée, trop en dehors du convenu. Si j’avais su d’où venait le mal, si la cause de son ennui et du mien se fût dessinée dans mon esprit sans expérience et sans pénétration, j’aurais trouvé le remède ; j’aurais peut-être réussi à me transformer : mais je ne comprenais rien du tout à lui ni à moi-même[113]. »

Toute la cause de leur malentendu résidait en la complète médiocrité, la pauvreté morale, le manque d’esprit et le peu d’élévation d’âme de Dudevant. Comment ces deux natures eussent-elles pu s’harmoniser ? D’un côté, un gentillâtre assez nul, un homme fort médiocre, indifférent à tous les travaux de l’esprit, de l’autre, une âme passionnée, ardente, vivant d’une vie intérieure intense, cherchant par toutes les voies la lumière et la vérité, allant même, lorsqu’elle n’avait encore que dix-sept ans, jusqu’à la pensée du suicide, non par suite de quelque insuccès personnel, mais à cause de la petitesse et de l’instabilité de tout ce qui est terrestre, une de ces âmes dont Mme Allart dit en parlant de Sainte-Beuve « qu’elles sont tourmentées des choses divines ». Quelque petite provinciale avenante, sans prétention, eût fait l’affaire de Casimir ; elle se fût faite à ses gronderies, à sa grossièreté, elle eût tranquillement supporté son ivrognerie (comme l’a fait, entre autres, la femme d’Hippolyte Châtiron, frère naturel d’Aurore), et eût accepté ses quelques petites infidélités (comme ont su le faire les femmes de plusieurs amis de Casimir à La Châtre). Casimir aurait eu ainsi la vie facile, et n’eût pas connu l’ennui. Il n’aurait pas souffert et n’eût pas eu à s’irriter de voir à ses côtés un être incompréhensible, cherchant midi à quatorze heures, éternellement rêveur et jamais content de la réalité. Si Casimir eût eu une femme plus simple et plus ordinaire, il ne se serait certainement pas senti étranger à elle, et elle ne lui eût semblé ni excentrique ni idiote car, « La médiocrité seule est à notre niveau et ne nous choque pas[114] ». Louis de Loménie, parlant de Casimir, est dans le vrai lorsqu’il nous dit que « c’était un soldat de l’empire rentré dans ses foyers, l’espèce d’hommes en général la plus prosaïque qui soit sous le ciel. Cet époux était un digne gentillâtre campagnard, comme il en fourmille dans la vieille Aquitaine, tenant les raffinements du cœur pour folies et billevesées, prenant la vie pour ce qu’elle vaut et le temps pour ce qu’il dure, pas trop savant, un peu rude, à en juger par certains détails d’un procès fameux, et, au demeurant le meilleur fils du monde[115] »…

S’il est permis de douter de la justesse de cette dernière épithète, il faut au moins rendre justice au reste de cette appréciation. Mais nous trouvons encore un meilleur portrait de Dudevant dans la Lutèce de Heine[116]. Le lecteur nous permettra de citer ici in extenso cette page presque intraduisible : « …… Dudevant, l’époux légitime de George Sand, dit-il, — der kein Mythos ist, wie man glauben sollte, sondern ein leiblicher Edelmann aus der Provinz Berry und den ich selbst einmal das Vergnügen hatte mit eigenen Augen zu sehen. Ich sah ihn sogar bei seiner damals schon de facto geschiedenen Gattin, in ihrer kleinen Wohnung auf dem Quai Voltaire, und dass ich ihn eben dort sah, war an und für sich eine Merkwürdigkeit, ob welcher, wie Chamisso sagen würde, ich selbst mich für Geld sehen lassen könnte. Er trug ein nichts-sagendes Philistergesicht und schien weder böse, noch roh zu sein, doch begriff ich sehr leicht, dass diese feuchtkühle Tagtäglichkeit, dieser porzellanhafte Blick, diese monotonen, chinesischen Pagodenbewegungen für ein banales Weibzimmer sehr amüsant sein könnten, jedoch einem tiefern Frauengemüthe auf die Länge sehr unheimlich werden und dasselbe endlich mit Schauer und Entsetzen, bis zum Dafonlaufen, erfüllen mussten[117] ». En effet, à partir de la fin de 1821, nous remarquons que le désir inconscient et mutuel des deux époux de « s’enfuir bien loin l’un de l’autre » se manifestait de plus en plus. Ils ont peur de rester seuls en tête à tête. Après Le départ des Duplessis pour Paris, ils se décident à les suivre. Se trouvant en ce moment dans la gêne, ils ne s’établissent pas à Paris même, mais dans les environs, à Ormesson, où ils louent une maisonnette.

Les affaires pécuniaires des Dudevant, quelque étrange que cela paraisse, étaient alors très embrouillées ; elles le furent, du reste, tout le temps de l’administration de Casimir. Dans les lettres inédites de cette époque nous rencontrons, à chaque pas, la preuve que Casimir empruntait de l’argent chez n’importe qui, qu’il était souvent dans l’impossibilité de payer les termes, s’en excusait, qu’il se jetait dans des opérations financières fort compliquées et s’ingéniait en vain à se tirer d’affaire. Tout cela lui réussissait peu. Sa fortune allait toujours en diminuant, mais jusque-là l’avenir ne faisait encore présager aucun danger. Pour toutes ses affaires et peut-être pour d’autres raisons encore, Casimir allait continuellement d’Ormesson à Paris, laissant sa femme seule et ne rentrant chez lui que le soir.

La maison qu’habitait Aurore appartenait à une certaine dame Richardot qui avait des enfants ; tout à côté demeurait la famille du baron Malus. Les trois ramilles avaient lié amitié entre elles et là encore recommencèrent les jeux et les charades. Comme les Dudevant étaient gens, semble-t-il, à rechercher partout le plaisir de vivre en société, l’automne passa très agréablement et joyeusement. Mais quand, à la fin de l’arrière-saison, les deux familles voisines retournèrent à Paris, tout changea : Aurore resta toute seule à Ormesson. Le mari passait les nuits hors de la maison. D’abord elle ne s’en plaignit pas. Elle se promenait seule avec le petit Maurice dans le parc immense, lisait les Essais de Montaigne et s’amusait des jeux de son bébé. Le sentiment de la solitude croissait cependant dans l’âme de la jeune femme, et, avec lui, augmentaient l’impression encore inconsciente de l’offense, le chagrin et la soif du vrai bonheur. Le séjour à Ormesson lui pesa bientôt, grâce aux désagréments qu’elle eut avec le jardinier, à qui l’on avait confié la surveillance de la maison et du jardin ; c’était un homme bourru qui se chamaillait pour chaque brin d’herbe froissée ; et peut-être plus encore, grâce aux cris sauvages qui se faisaient entendre, la nuit, dans la maison du même jardinier, — probablement un ivrogne, — et qui effrayaient Aurore. Aussi, malgré tout son amour pour la solitude, éprouva-t-elle presque de la joie lorsque son mari se querella avec le jardinier et partit immédiatement pour Paris avec sa famille.

Les Dudevant s’établirent dans un petit logement meublé de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Ils virent beaucoup d’amis et de connaissances, allèrent aussi chez les parents de Casimir qui séjournaient à la même époque à Paris. Mais bientôt cette vie de distractions ne put faire qu’Aurore s’oubliât elle-même. Il y avait quelque chose de rompu dans leur existence.

« La tristesse revint, une tristesse sans but et sans nom, maladive peut-être. J’étais très fatiguée d’avoir nourri mon fils, je ne m’étais pas remise depuis ce temps-là. Je me reprochais cet abattement et je pensais que le refroidissement insensible de ma foi religieuse pouvait bien en être la cause[118]. » Aurore alla consulter son confesseur du couvent, l’abbé de Prémord, qui, à son avis, fut trop tiède et trop indulgent pour une âme comme la sienne, assoiffée de croyance et de vérité absolues ; il conseilla à sa fille spirituelle d’aller de nouveau s’enfermer pour quelque temps au couvent, d’y faire, comme on le dit, « une retraite ». Elle suivit son conseil et alla d’abord seule, puis avec le petit Maurice[119], passer quelques semaines au couvent des Anglaises, où elle avait fait son éducation. Là non plus elle ne trouva pas la paix de l’âme. Ses relations avec ses amies, les bonnes religieuses, le couvent lui-même, la vie monastique ne la satisfaisaient plus. Ici la devise était renonciation à la vie, à ses joies comme à ses chagrins, à toutes les affections terrestres ; l’amour maternel même y paraissait à peine pardonnable. Aurore s’était trop développée depuis trois ans pour admettre ce point de vue. L’adoratrice de Rousseau et de Leibniz embrassait les choses trop largement pour se faire aux préceptes et aux exigences d’un catholicisme étroit et rigoureux. À cela vint s’ajouter encore qu’une des sœurs vint imprudemment et de l’air le plus indifférent du monde lui parler de la frêle santé de Maurice, qui n’aurait peut-être pas longtemps à vivre et qui était alors, pour Aurore, sa seule et unique consolation. Pleine de craintes, elle quitta le couvent pour consulter au plus tôt un docteur sur la santé de l’enfant. Celui-ci trouva que le petit Maurice était bien portant et ne donnait aucune raison de craindre pour sa vie. Le séjour d’Aurore au couvent avait été définitivement empoisonné par cet épisode. Elle n’y retourna plus et s’installa avec son mari, d’abord chez sa tante, Lucie Maréchal, et, plus tard, à proximité, dans un logement séparé. De nouveau, les Dudevant sortirent beaucoup et reçurent des amis. Aurore voyait fréquemment ses anciennes amies de couvent, surtout Jane et Aimée Bazouin, et faisait de la musique avec sa cousine Clotilde. Dans les premiers jours du printemps, les Dudevant retournèrent à Nohant.

Bientôt Aurore eut un grand chagrin, la mort énigmatique de Deschartres, qui mourut sans que l’on ait jamais su quand ni comment, et sans laisser aucun écrit. Aurore crut qu’il s’était tué après s’être ruiné dans une entreprise malheureuse, et, après avoir perdu tout espoir de s’enrichir, ce qui avait été le rêve de toute sa vie. George Sand est dans le vrai quand elle nous dit que cet homme, si dur en apparence, n’avait vécu que pour les autres ; ce n’est qu’à son déclin qu’il avait commencé à vivre seul, s’imaginant — comme il le fit du reste pendant tout sa vie — qu’il n’était qu’un égoïste. C’est que le pauvre vieillard ne se connaissait pas lui-même. Ce qui le porta au suicide, ce fut la solitude et le chagrin. Cette mort rompit les derniers fils qui rattachaient Aurore à sa jeunesse et au vieux Nohant. « Deschartres emportait avec lui, dans le néant des choses finies, toute une notable portion de ma vie, tous mes souvenirs d’enfance, tout le stimulant, tantôt bienfaisant, tantôt fâcheux de mon développement intellectuel. » Elle perdait en lui l’homme à qui elle devait beaucoup, malgré la tyrannie pédagogique et la brusquerie qui le caractérisaient ; elle perdait enfin en lui « un cœur dévoué et le commerce d’un esprit remarquable à beaucoup d’égards… ». Quoi qu’il en soit, Deschartres était un homme qui comprenait en partie ses exigences d’esprit et savait quelquefois répondre à ses questions scrutatrices. Après sa mort, elle se sentit plus orpheline encore qu’auparavant ; elle le pleura amèrement, cachant ses larmes à tout le monde pour ne pas offenser ceux qu’il avait fait souffrir pendant sa vie : sa mère et son frère Hippolyte.

La vie commençait à se montrer à Aurore sous son côté le plus sombre. Des dissentiments s’étaient élevés entre elle et son mari. Quoique, à cette époque, « les mauvais traitements fussent encore plus rares que les mauvais procédés[120] » — comme le dit plus tard Michel de Bourges — son mari lui jetait déjà à la face les épithètes de « stupide » et d’ « idiote » et lui avait ôté le droit de prendre part à la conversation. « M. Dudevant, il faut l’avouer, n’avait pas le talent de divination, » ajouta malicieusement Michel de Bourges. En vérité, se figurer George Sand se taisant dans une conversation générale, parce que M. Dudevant daignait trouver que tout ce qu’elle disait était idiot et indigne de se faire entendre en présence d’un seigneur et maître aussi docte que lui, est d’un effet incroyablement comique ! Mais Aurore n’avait pas lieu d’en rire. Elle devait constamment être sur ses gardes pour ne pas irriter son mari, pour ne pas le faire sortir des gonds. Sa santé était, du reste, très mauvaise alors. Elle avait des palpitations de cœur, souffrait de maux de tête et d’esquinancies, toussait très fortement, crachait le sang. On sut plus tard que tout cela était plutôt nerveux, mais alors Aurore et tous ses proches pensaient qu’elle était phtisique. Lorsque ses amies Bazouin avec leur père et un vieil ami, M. Gaillard, vinrent la voir à Nohant au commencement de l’été de 1825 et de là allèrent aux eaux de Cauterets, il fut décidé qu’Aurore devait les accompagner pour y être traitée aussi. Les Dudevant convinrent donc d’aller avec eux aux eaux et résolurent de passer l’hiver au sud, à Guillery, en Gascogne, chez le père de Casimir, pour lequel Aurore avait beaucoup d’affection. Après avoir fêté l’anniversaire de la naissance de Maurice et d’Aurore elle-même, les Dudevant partirent le 5 juillet de Nohant pour se rendre aux Pyrénées. Outre Maurice et sa bonne Fanchon, ils prirent encore avec eux Vincent, domestique tout dévoué à Aurore.

La jeune femme quitta Nohant avec les plus sombres pressentiments et sans espoir de jamais le revoir. La pensée d’une fin prochaine semblait lui sourire. Se solitude d’esprit s’était encore accrue dans les derniers temps depuis que se mourait la vieille amitié qu’Hippolyte avait pour elle. Celui-ci avait quitté le service militaire, s’était marié bientôt après Aurore, venait souvent à Nohant, comme par le passé, et y faisait de longs séjours, ayant son quartier général soit à Paris, soit à Corbeil, ou dans la terre de sa femme à Montgivray près de Nohant. Mais alors, il avait déjà commencé à boire, et, quoique cette funeste passion, qui le mena plus tard presque à la folie, ne se fût pas encore définitivement développée, elle fit passer à Aurore des moments très pénibles. À son départ de Nohant, Aurore remarqua avec tristesse qu’Hippolyte était gai et riait en se séparant d’elle, que leur vieille amitié devait donc s’être bien refroidie. C’était encore là une nouvelle goutte de fiel pour la pauvre femme.

À cette époque où il n’y avait pas de chemins de fer et où les voyages se faisaient lentement, il fallait une bonne provision de patience pour entreprendre un si long trajet avec un petit enfant de deux ans et un mari qui s’irritait à la moindre bagatelle. Aurore écrit dans son journal : « J’ai pris de belles résolutions pour le voyage : ne pas m’inquiéter du moindre cri de Maurice, ne pas m’impatienter de la longueur du chemin, ne pas me chagriner des moments d’humeur de mon ami. »

Dans ce voyage aux Pyrénées, les Dudevant s’arrêtèrent momentanément à Bordeaux, où Casimir comptait une foule de parents et de connaissances. Ils y tombèrent dans une société très animée et très nombreuse et passèrent le temps très agréablement. Ils firent même beaucoup de nouvelles relations et renouvelèrent les anciennes amitiés. Ce fut là qu’Aurore fit la connaissance de l’avocat général Aurélien de Sèze[121] et Casimir se lia plus intimement avec un certain Desgranges qu’il connaissait depuis longtemps. Des rôles importants, bien que différents, étaient réservés à ces deux hommes dans la vie des Dudevant. De Bordeaux les Dudevant partirent, accompagnés de quelques nouveaux amis, en passant par Tarbes et Périgueux, et arrivèrent à Cauterets, où Aurore rencontra ses amies Jane et Aimée. Ses sombres pensées ne la quittèrent ni pendant tout le voyage, ni au début de son séjour à Cauterets. Son journal de route est plein de méditations, de ces « Tristes remarques d’un triste cœur », qui deviennent peu à peu de froides observations de l’esprit »[122] et poussent l’homme au désenchantement.

Voici quelques fragments de son journal sous la forme qu’elle leur a donnée dans l’Histoire de ma Vie. Elle écrit de Périgueux :

« Cette ville me paraît agréable, mais je suis triste à la mort. J’ai beaucoup pleuré en marchant ; mais à quoi sert de pleurer ? Il faut s’habituer à avoir la mort dans l’âme et le visage riant… »

Elle écrit de Tarbes :

… « Un beau ciel, des eaux vives, des constructions bizarres faites d’énormes galets apportés par le gave, des costumes variés, un rendez-vous forain, des types animés de tout ce côté sud de la France. C’est très joli, Tarbes ; mais mon mari est toujours de mauvaise humeur. Il s’ennuie en voyage, il voudrait être arrivé. Je comprends ça ; mais ce n’est pas ma faute si le voyage est de deux cents lieues… »

Enfin, le voyage, comme toute chose, arriva à sa fin et les Dudevant s’installèrent à Cauterets. Là, ils rencontrèrent, de nouveau, une société très nombreuse et très variée : la princesse de Condé, veuve du duc d’Enghien, le savant Magendie, le général Foy, la femme du savant Rumfort, les demoiselles Bazouin avec leur père, Aurélien de Sèze et la nouvelle amie d’Aurore, Zoé Leroy, à qui George Sand a consacré plusieurs pages de ses Souvenirs. Comme il arrive toujours aux eaux, il se forma bientôt de petits cercles, des parties et des coteries. Les uns, comme Aimée Bazouin, suivaient strictement les prescriptions des médecins : ils buvaient de l’eau, prenaient des bains, suaient ensuite sous des tas de couvertures et, en même temps, arrangeaient des bals et des soirées musicales, faisaient des visites, suivaient généralement la même vie qu’à Bordeaux et à Paris, se souciant même de trier leurs connaissances. D’autres, comme Zoé et Aurore, se traitaient à la diable ou ne se traitaient pas du tout, passant les journées entières à se promener ou à faire des excursions dans les montagnes. Aurore continuait à tousser et à être malade, mais ne se lassait jamais d’aller par monts et par vaux. « Le mouvement m’a saisie comme une fièvre. Je tousse et j’étouffe à chaque instant, mais je ne sais pas si je souffre. Oui, au fait, je souffre, je m’en aperçois quand je suis seule[123]. »

Dans l’âme d’Aurore couvait, dès son enfance, l’amour de la nature et elle en comprenait instinctivement la beauté. Encore enfant, elle charmait sa grand’mère par ses premiers essais de descriptions : d’un « clair de lune », d’un « orage », etc. Ici, au milieu du spectacle majestueux des montagnes, de la sombre poésie des Pyrénées, ce vague sentiment poétique s’était tout à coup éveillé avec une nouvelle force et était devenu pleinement conscient. À peine arrivée aux Pyrénées, Aurore fut éprise de leur terrifiante beauté.

« Enfin, nous sommes entrés dans Les Pyrénées, — écrit-elle sur son carnet, — la surprise et l’admiration m’ont saisie jusqu’à l’étouffement. J’ai toujours rêvé les hautes montagnes. J’avais gardé de celles-ci un souvenir confus qui se réveille et se complète à présent ; mais ni le souvenir, ni l’imagination ne m’avaient préparée à l’émotion que j’éprouve…[124]. »

« Je suis dans un tel enthousiasme des Pyrénées que je ne vais plus parler et rêver toute ma vie que montagnes, torrents, grottes et précipices », écrit-elle le 28 août 1825, de Bagnères, à sa mère[125].

Dans l’Histoire de ma Vie, elle nous raconte les efforts qu’elle a dû faire pour exprimer et fixer sur le papier son ravissement devant cette nature divine : « J’écrivis beaucoup sur les Pyrénées durant et après ce voyage. Mes premières notes, jetées sur un agenda de poche, sont rédigées avec assez de spontanéité… Mais il m’arriva, après coup, ce qui doit être arrivé à beaucoup d’écrivains en herbe. Mécontente du laisser-aller de ma première forme, je rédigeai, sur des cahiers, un voyage qui se trouve très lourd et très prétentieux de style. Et pourtant ce prétentieux fut naïvement cherché. Je m’en souviens. À mesure que je m’éloignais des Pyrénées, j’avais peur de laisser échapper les vives impressions que j’y avais reçues et je cherchais des mots et des phrases pour les fixer, sans en trouver qui fussent à la hauteur de mon sujet. Mon admiration rétrospective n’avait plus de limites et j’étais emphatique consciencieusement. Au reste, je sentis bien que je n’étais pas capable de me contenter moi-même par mes écrits, car je ne complétai rien et ne pris pas encore le goût d’écrire. »

Ces ébauches lui servirent cependant plus tard pour ses romans, surtout pour Lavinia, dont la scène se passe dans les Pyrénées. Les Pyrénées restèrent toujours chères à Aurore Dudevant, comme le Caucase à Lermontow, la mer Noire à Pouchkine, et peut-être lui furent-elles surtout chères, parce que c’est là que, pour la première fois, elle prit conscience d’elle-même.

Dès son enfance, Aurore avait aimé la solitude et la nature. Ce double amour venait de se manifester définitivement ; à partir de ce moment, Aurore ne cessa, pendant toute sa vie, de quitter, chaque année, l’endroit qu’elle habitait pour aller passer quelques semaines ou quelques mois dans les montagnes, au bord de la mer, ou simplement dans quelque coin caché et inconnu au centre même de la France.

Pleine liberté au milieu de la nature, promenades à cheval, ascensions périlleuses des monts ou des glaciers, le grand air pur des montagnes, tout cela guérissait à la fois Aurore de son spleen et même de tous ses maux physiques. Et si l’indifférence de son mari l’attristait encore, elle l’envisageait avec calme, et commençait à comprendre que ce n’était pas sa faute, à elle, s’il ne savait pas l’apprécier, et, qu’au fond, elle ne devait pas s’en affecter. Elle écrit encore, il est vrai, dans son journal :

« Monsieur *** chasse avec passion[126]. Il tue des chamois et des aigles. Il se lève à deux heures du matin et ne rentre qu’à la nuit. Sa femme s’en plaint. » Mais elle ajoute aussitôt : « Il n’a pas l’air de prévoir qu’un temps peut venir où elle s’en réjouira ».

Voici encore un fragment de son journal :

« Madame *** a dit à Aimée que j’avais tort de faire des courses sans mon mari. Je ne vois pas que cela soit, puisqu’il prend les devants et que je vais où il veut aller… » Plus loin, Aurore prend déjà plaisir à se moquer des minuties de son mari et de ses chicanes. Racontant diverses excursions faites par les Dudevant, de Luz à Saint-Sauveur, à Gavarnie, au Marborée, etc., elle dit entre autres choses : « On ne pense pas même au danger. Mon mari est des plus intrépides. Il va partout et je le suis. Il se retourne et il me gronde. Il dit que je me singularise. Je veux être pendue si j’y songe. Je me retourne, et je vois que Zoé me suit. Je lui dis qu’elle se singularise. Mon mari se fâche parce que Zoé rit. Mais la pluie des cataractes est un grand calmant, et on s’y défâche vite »[127]. On le voit, tout cela n’est encore ni trop sérieux, ni trop sombre. Mais voici une autre page bien capable de rendre songeur tout lecteur attentif, car il n’est que trop évident que de telles pensées ne sont pas le fait d’une femme heureuse, mariée à peine depuis trois ans.

… « Dans le rêve qu’il est permis de faire d’un amour parfait, l’époux ne se créerait pas volontiers la nécessité continuelle de l’absence. Quand des devoirs inévitables, des occupations sérieuses la lui auraient imposée, la tendresse qu’il éprouverait et qu’il inspirerait au retour serait d’autant plus vive et mieux fondée. Il me semble que l’absence subie à regret doit être un stimulant pour l’affection, mais que l’absence cherchée passionnément par l’un des deux est une grande leçon de philosophie et de modestie pour l’autre. Belle leçon sans doute, mais bien refroidissante !

« Le mariage est beau pour les amants et utile pour les saints.

« En dehors des saints et des amants, il y a une foule d’esprits ordinaires et de cœurs paisibles qui ne connaissent pas l’amour et ne peuvent atteindre à la sainteté.

« Le mariage est le but suprême de l’amour. Quand l’amour n’y est plus, ou n’y est pas, reste le sacrifice.

— Très bien pour qui comprend le sacrifice. Cela suppose une dose de cœur et un degré d’intelligence qui ne courent pas les rues. Il y a, au sacrifice, des compensations qu’un esprit vulgaire peut apprécier. L’approbation du monde, la douceur routinière de l’usage, une petite dévotion tranquille et sensée qui ne tient pas à s’exalter, ou bien de l’argent, c’est-à-dire des jouets, des chiffons, du luxe : que sais-je ? Mille petites choses qui font oublier qu’on est privé du bonheur. Alors tout est bien apparemment, puisque le grand nombre est vulgaire ; c’est une infériorité de jugement et de bon sens que de ne pas se contenter du goût du vulgaire ». (George Sand t’ait sans doute allusion ici aux gronderies de son mari, aux reproches qu’il lui faisait de manquer d’esprit et de jugement).

« Il n’y a peut-être pas de milieu entre la puissance des grandes âmes qui fait la sainteté, et le commode hébétement des petits esprits qui fait l’insensibilité.

« Si fait, il y a un milieu : c’est le désespoir…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Mais il y a aussi l’enfantillage, bonne et douce chose à conserver, quoi qu’on en dise.

« Courir, monter à cheval, rire d’un rien, ne pas se soucier de la santé et de la vie ! Aimée me gronde beaucoup. Elle ne comprend pas qu’on s’étourdisse et qu’on ait besoin d’oublier. « Oublier quoi ? « me dit-elle. — Que sais-je ? Oublier tout, oublier surtout qu’on existe[128]… »

On s’aperçoit dans le fragment qu’on vient de lire qu’il se passe déjà quelque chose de très sérieux. On y sent cette secrète agitation, précurseur de l’orage : l’air est saturé d’électricité, au loin brillent déjà des éclairs, et d’un moment à l’autre le tonnerre va éclater, et la tempête dévastatrice va se déchaîner au-dessus de la terre engourdie dans l’attente.

En effet, le voyage aux Pyrénées fut une époque marquante dans la vie des Dudevant. C’est pendant ce voyage qu’Aurore se convainquit pleinement de l’indifférence de son mari et de sa froideur envers elle ; c’est alors aussi que naquit son premier attachement sérieux. Elle y rencontra l’homme qui sut la comprendre et l’aimer, et que, de son côté, elle aima de tout son cœur. Cet homme était Aurélien de Sèze.

Ce nom n’est cité dans aucune biographie de George Sand, et même, tout dernièrement, M. Rocheblave[129], qui a parlé de cet épisode et cité des fragments de la correspondance entre notre héroïne et Aurélien de Sèze, n’a pas jugé nécessaire de le nommer. Cela n’a cependant pas empêché les ennemis et détracteurs de George Sand de dire bien haut et sans aucun fondement, que de Sèze fut, lui aussi, un de ses amants[130]. Le nom de de Sèze dans la Correspondance de George Sand n’est également mentionné que deux fois : dans une lettre à Caron du Ier octobre 1829[131] et dans celle qu’elle écrivit à Mme Saint-Agnan, le 23 juillet 1830[132]. Dans une lettre antérieure, datée du 6 juillet 1830, elle le nomme simplement mon ami de Bordeaux. Dans une lettre de Bordeaux du 4 juin 1829, elle écrit à Caron : « Nous avons ici l’avocat général ». Mais cet avocat général n’était autre encore qu’Aurélien de Sèze, comme on le voit dans la note au bas de la page. Dans l’Histoire de ma Vie, elle ne parle pas une seule fois de lui, quoique le lecteur le nomme aussitôt, car il en est souvent question. Pourtant les biographes amis de George Sand semblent ne rien savoir de lui ou bien ils en parlent d’une manière mystérieuse. Ainsi Louis de Loménie[133] ne fait-il allusion, qu’en passant légèrement, à « une première illusion toute passagère que George Sand aurait eue pendant son voyage aux Pyrénées. » M. d’Haussonville[134] se borne également aux allusions suivantes qui ne jettent aucune clarté sur cet épisode. En racontant que George Sand a placé dans les Pyrénées la scène d’une de ses plus charmantes nouvelles, Lavinia, il dit : « Si George Sand a cherché dans ses souvenirs le cadre et les couleurs du tableau qui a servi de scène à l’action de Lavinia, le langage qu’elle prête à son héroïne n’est point celui que parlait alors son cœur. À cette date, elle n’aurait point encore écrit la lettre si triste et si fière où Lavinia repousse les offres de l’homme qu’elle a aimé, sans lui cacher ce que ce refus lui coûte d’hésitations et de regrets… Elle n’était pas alors au moment du réveil, elle en était encore aux premières et aux plus belles heures du rêve… » (p. 286). Aux pages suivantes (287-288) M. d’Haussonville donne un petit extrait (nous en parlerons plus bas) de « l’Histoire de ma Vie », sans nous dire encore à qui l’épisode se rapporte. Enfin, page 404, il nous dit, et cette fois tout à fait en passant : « Le bonheur, elle l’a cherché partout : aux Pyrénées, à Paris, à Venise, à Majorque, à Nohant, dans tous les Lieux où elle a promené l’inconstance de son imagination, la fumée de son cigare et la facilité de son tutoiement. À chaque pas, elle croyait le saisir ; à chaque pas, le bonheur lui échappait… »

Tous les autres biographes amis se taisent sur Aurélien de Sèze. Et cependant ce fut cet amour, resté toujours pur et platonique, qui décida définitivement du sort futur de George Sand, lui ouvrit les yeux sur le prix et la conception de la vie, lui montra combien il est nécessaire à une femme d’être comprise de l’homme aimé, quelle méprise affreuse était son mariage avec Dudevant et qu’il était impossible de gâcher toute sa vie rien qu’à cause de cette seule méprise.

Voici une page inédite écrite sur un petit calepin et qui nous peint bien l’état d’âme d’Aurore Dudevant à ce moment de sa vie :

« Si l’on savait ce que c’est que le chagrin ! Si l’on pouvait prévoir quelles longues angoisses payeront l’erreur d’un jour ! Mais non. L’homme est si fanfaron de sa nature. Il se lance en souriant au milieu des dangers, la mer orageuse est son élément ; et le moins prudent est souvent le plus sage ; le confiant esclave du sort qui livre sa barque au caprice des flots arrive souvent au port, tandis que l’habile pilote combat vainement la tempête qui se joue de ses prévisions. Il semble que le hasard soit le dieu qui nous gouverne ! Si c’est un lot, si c’est une rencontre fortuite que le bonheur, pourquoi tant de soins pour le fixer ? Pourquoi tant de réflexions avant de faire le bien, et tant de prudence à secourir autrui ? Ce n’est pas de préparer l’avenir qui doit occuper une grande âme. Elle sait trop bien qu’il déjouera ses plans, c’est de le recevoir, qu’il est difficile… Si vous voulez savoir ce que c’est que la douleur, déchirez votre chair avec les ongles, percez-la avec un instrument tranchant et versez sur vos blessures du plomb fondu et de l’huile bouillante, ou supportez l’ardeur d’un brasier, ou frappez votre tête aux murs d’une prison. Mais vous ne saurez pas encore ce que c’est que de souffrir. Il n’y a peut-être pas deux créatures humaines qui le sachent. La coupe de fiel n’est pas également amère pour tous, la plupart de ceux qui l’ont goûtée la repoussent et n’ont pas le courage de la savourer jusqu’à la lie. Il y a des êtres privilégiés, des esclaves de la fatalité qui semblent s’y plaire et n’en vouloir pas perdre une seule goutte ; vous les raillez pourtant d’avoir pris pour eux la triste part que vous leur avez laissée ».

Si nous ne pouvons, à notre grand regret, faire l’histoire du prologue et des débuts de ce premier roman dans la vie de George Sand, nous pouvons dire du moins, qu’Aurore, en aimant Aurélien de tout son cœur, et aussi en sachant tout l’amour qu’il avait pour elle, sut non seulement vaincre sa propre passion, mais qu’elle sut consoler son ami et ramener en lui le calme. Elle lui fit même jurer qu’il n’exigerait d’elle aucune preuve décisive de l’amour qu’elle avait pour lui, qu’il respecterait la sainteté de son mariage, qu’ils se contenteraient tous deux de rester toujours amis. Cette explication eut lieu entre les deux jeunes gens pendant une excursion dans les montagnes, peu de temps avant de quitter les Pyrénées.

De Bagnères, les Dudevant entreprirent une excursion aux célèbres grottes de Lourdes. Dans sa lettre de Bagnères à sa mère (du 28 juillet), elle écrit : « Nous avons été hier à six lieues d’ici à cheval, pour visiter les grottes de Lourdes. Nous sommes entrés à plat ventre dans celle du Loup. Quand on s’est bien fatigué pour arriver à un trou d’un pied de haut, j’avoue que l’on se sent un peu découragé. J’étais avec mon mari et deux autres jeunes gens avec qui nous nous étions liés à Cauterets et que nous avons retrouvés à Bagnères, ainsi qu’une grande partie de notre aimable et nombreuse société bordelaise…[135] En sortant de la grotte du Loup, nous entrâmes dans les Espeluches. Nous trouvâmes l’entrée de ces grottes admirable ; j’étais seule en avant[136], je fus ravie de me trouver dans une salle magnifique, soutenue par d’énormes masses de rochers qu’on aurait pris pour des piliers d’architecture gothique, le plus beau pays du monde, le torrent d’un bleu d’azur, les prairies d’un vert éclatant, un premier cercle de montagnes couvertes de bois épais, et un second, à l’horizon, d’un bleu tendre qui se confondait avec le ciel, toute cette belle nature éclairée parle soleil couchant, vue du haut d’une montagne, au travers de ces noires arcades de rochers, derrière moi la sombre ouverture des grottes ; j’étais transportée ».

Et c’est bien là, « au pied des Pyrénées, en face de cette nature imposante, qu’elle avait fait ses adieux à l’homme généreux et digne d’elle qu’elle n’avait pu s’empêcher d’estimer et d’aimer dans le fond de son cœur[137] ».

Que ces faits se soient réellement passés comme nous l’assurons, et qu’ils se soient passés là, c’est une lettre d’Aurore à son mari qui nous le raconte, lettre inédite jusqu’à présent, mais fort connue depuis le procès de 1836, et dont nous avons déjà parlé plus haut. Dans cette longue lettre qui compte plus de vingt pages, Aurore raconte d’abord brièvement l’histoire de son désaccord intime avec son mari, qu’elle explique par la trop grande dissemblance de leurs natures, puis elle avoue, avec candeur et simplicité, son amour pour Aurélien, disant la lutte qui s’était produite dans son cœur, la victoire qu’elle avait remportée sur sa passion ; elle rappelle ensuite à Casimir la scène des adieux que le mari avait surprise à Bordeaux lors de leur retour et avant son départ pour Nohant, scène qui devait le rassurer complètement sur les résolutions prises par Aurore et Aurélien quant à l’avenir, et finit par demander à son mari, comme à son meilleur ami, aide et secours. Plus tard, lors du procès entre les deux époux, des fragments de cette lettre furent lus, devant le tribunal, par l’avocat de Dudevant. Mais quand, après cela, l’avocat d’Aurore, Michel de Bourges, lut à son tour la lettre en entier, de la première ligne à la dernière, l’impression produite sur tout l’auditoire fut incroyable, foudroyante. L’extraordinaire grandeur d’âme qui se dégageait de chaque mot de cette lettre, écrite dans une langue digne des meilleures pages d’Indiana et de Jacques, les descriptions des Pyrénées tracées sous les fraîches impressions qu’elle y avait ressenties et étonnantes de poésie et d’éclat, la candeur touchante que révélait chaque mot, firent que les armes que les adversaires avaient voulu employer contre Mme Dudevant ne servirent qu’à lui faire remporter une pleine et éclatante victoire. Nous avons dû, en parlant de cette lettre, anticiper un peu sur les événements, mais le lecteur nous pardonnera, sachant qu’elle se rapporte à 1825, et au voyage de Lourdes qui vient de nous occuper.

Retournons maintenant à la journée qu’elle décrit à sa mère dans la lettre dont il a été question plus haut… « Nos compagnons arrivèrent et nous nous enfonçâmes encore dans les détours d’un labyrinthe étroit et humide, nous aperçûmes au-dessus de nos têtes une salle magnifique, où notre guide ne se souciait guère de nous conduire. Nous le forçâmes de nous mener à ce second étage. Ces messieurs se déchaussèrent et grimpèrent assez adroitement ; pour moi j’entrepris l’escalade.

« Je passai sans frayeur sur le taillant d’un marbre glissant, au-dessous duquel était une profonde excavation. Mais quand il fallut enjamber sur un trou que l’obscurité rendait très effrayant, n’ayant aucun appui pour mes pieds, ni pour mes mains, glissant de tous côtés, je sentis mon courage chanceler. Je riais, mais j’avoue que j’avais peur. Mon mari m’attacha deux ou trois foulards autour du corps et me soutint ainsi pendant que les autres me tiraient par les mains. Je ne sais ce que devinrent mes jambes pendant ce temps-là ! Quand je fus en haut, je m’assurai que mes mains (dont je souffre encore) n’étaient pas restées dans les leurs et je fus payée de mes efforts par l’admiration que j’éprouvai.

« Nous rentrâmes à Lourdes dans un état de saleté impossible à décrire ; je remontai à cheval avec mon mari, et, nos jeunes gens prenant la route de Bordeaux, nous prîmes tous deux celle de Bagnères. Nous eûmes, pendant dix lieues, une pluie à verse et nous sommes rentrés ici à dix heures du soir, trempés jusqu’aux os et mourant de faim. Nous ne nous en portons que mieux aujourd’hui »…

Le ton de cette lettre à sa mère est assez calme, et presque gai, mais Aurore parle tout autrement de cette même journée dans l’Histoire de ma Vie, où elle copie des fragments de son journal. On y entend comme un son fiévreux ; le ton s’élève, et le lecteur, à ce ton seul, sent involontairement que quelque chose de particulier est entré ce jour-là dans la vie d’Aurore.

… « L’entrée de la grotte n’était pas attrayante… Mais une promenade de plusieurs heures dans ce monde souterrain fut un enchantement véritable. Des galeries, tantôt resserrées, étouffantes, tantôt incommensurables à la clarté des torches, des torrents invisibles, rugissant dans les profondes entrailles de la terre, des salles bizarrement superposées, des puits sans fond, c’est-à-dire des gouffres perdus dans les abîmes impénétrables et battant avec fureur leurs parois sonores de leurs eaux puissantes, des chauves-souris effarées, des portiques, des voûtes, des chemins croisés, toute une ville fantastique, creusée et dressée par ce que l’on appelle bénignement le caprice de la nature, c’est-à-dire par les épouvantables convulsions de la formation volcanique : c’était un beau voyage pour l’imagination, terrible pour le corps : mais nous n’y pensions pas. Nous voulions pénétrer partout, découvrir toujours. Nous étions un peu fous, et le guide menaçait de nous abandonner. Nous marchions sur des corniches au-dessus d’abîmes qui nous rappelaient l’enfer du Dante ; il y en eut un où nous voulûmes descendre… Nous revînmes à cheval pendant la nuit par une pluie fine et un clair de lune doucement voilé. Nous étions à Bagnères à deux heures du matin. J’étais plus excitée que lasse et je ressentis, pendant mon sommeil, le phénomène de la peur rétrospective. Je n’avais songé, dans les spélonques, qu’à rire et à oser. Dans mes songes, la cité souterraine m’apparut dans toutes ses terreurs. Elle se brisait, elle s’entassait sur moi ; j’étais suspendue à des cordes de mille pieds, qui rompaient tout à coup, et je me trouvais seule dans une autre ville plus enfouie encore, descendant toujours et se perdant par mille galeries et recoins piranésiques jusqu’au centre du globe. Je me réveillais baignée d’une sueur froide, et, me rendormant, je partais pour d’autres voyages et d’autres visions encore plus fiévreuses… »

Si le lecteur ignorait ce qui s’est passé aux Pyrénées, et que les lignes qui précèdent ne l’aient pas encore suffisamment convaincu qu’au voyage à Lourdes se rattachaient, pour Aurore, des souvenirs tout particuliers, les lignes par lesquelles elle termine le chapitre sur Les Pyrénées, ne laissent plus place à aucun doute.

… « Je n’ai gardé aucun souvenir du voyage de Bagnères à Nérac. Il en est ainsi de beaucoup de pays que j’ai traversés sous l’empire de quelque préoccupation intérieure : je ne l’ai pas vu.

… « Les Pyrénées m’avaient exaltée et enivrée comme un rêve qui devait me suivre et me charmer pendant des années. Je les emportais avec moi pour m’y promener en imagination, le jour et la nuit, pour placer mon oasis fantastique dans ces tableaux enchanteurs et grandioses que j’avais traversés si vite, et qui restaient pourtant si complets et si nets dans mon souvenir, que je les voyais encore dans leurs moindres détails[138]… »

C’est, en effet, dans les Pyrénées, et mieux encore à Bordeaux, qu’était demeurée l’oasis où la pensée d’Aurore se reportait sans cesse au milieu du désert intellectuel et moral où elle se sentait si seule. Plusieurs années durant, cette oasis — amitié exaltée pour Aurélien de Sèze — soutint Aurore et éclaira sa vie. Cette amitié traversa d’abord bien des épreuves. Quand on est jeune et que l’amour est ardent et mutuel, il est difficile de renoncer au bonheur. Malgré toutes les bonnes résolutions, il arrive que tantôt l’un, tantôt l’autre des deux nouveaux amis vienne à violer par quelque parole imprudente ou passionnée les règles d’une sévère amitié, et c’est ce qui arriva entre Aurore et Aurélien.

Après un séjour à Guillery, les Dudevant, en automne, revinrent pour quelque temps à Bordeaux. Les deux jeunes gens se revirent, et, entre eux, il faut le croire, éclatèrent des scènes orageuses et des explications dont leur honneur à tous deux sortit vainqueur, mais qui agitèrent profondément Aurore. Seuls, le dévouement et la tendre amitié de Zoé la soutinrent dans ces moments pénibles…

« L’automne, nous nous rendîmes à Bordeaux, mon mari et moi, et nous allâmes jusqu’à La Brède, où la famille de Zoé avait une maison de campagne. J’eus là un violent chagrin, dont cette inappréciable amie me sauva par sa courageuse et amicale éloquence. L’influence que son esprit vif et sa parole nette eurent sur moi, en ce moment de désespoir, se maintint durant plusieurs années de ma vie et aida ma conscience à établir l’équilibre auquel je m’étais en vain efforcée d’arriver jusque-là. Je retournerai à Guillery, brisée de fatigue, mais calme, après avoir erré plus d’une fois sous les grands chênes plantés par Montesquieu, pleine de pensées joyeuses et enthousiastes, dans lesquelles, je l’avoue, le souvenir du grand philosophe ne joua aucun rôle ».

Et aussitôt, jouant malicieusement sur les mots, George Sand ajoute : « Et pourtant j’aurais pu foire ce jeu de mots que l’Esprit des lois était entré d’une certaine façon et à certains égards dans ma nouvelle manière d’accepter la vie… »

Évidemment, c’est là une allusion transparente à Aurélien de Sèze, à l’avocat général, le représentant de la loi. Et, en effet, la lettre mentionnée plus haut qu’Aurore écrivit à son mari le 8 novembre 1825, a trait à la visite qu’elle fit à La Brède, lieu natal de Montesquieu, en compagnie d’une nombreuse société où se trouvait Aurélien, et raconte que là ils eurent une dernière explication orageuse, après laquelle ils renoncèrent tout à fait à l’amour en se promettant de n’être qu’amis[139].

Voilà donc Aurore racontant à son mari avec sa noble franchise et sa droiture de caractère honnête et sincère, sans rien lui cacher, ce qui était arrivé. Dudevant, étant alors allé passer quelque temps à Nohant, la lettre dut le suivre de Nérac à Bordeaux, ou plus loin encore. Notons ici un fait curieux dans l’histoire des relations conjugales des Dudevant, fait que nous ne pouvons guère déterminer d’une manière précise. Parmi les lettres inédites de Dudevant à sa femme, nous en trouvons une série, ou plutôt une seule grande lettre, dont les fragments avaient été envoyés à Aurore, en route, et de Nohant, sous forme de journal, portant les dates de :

    7 novembre 1825, lundi, minuit. Périgueux.
    Mardi, mercredi et jeudi (en route pour Nohant).
    Vendredi, 6 heures et demie du matin.
    5 heures du soir.
    10 heures et demie du soir.
    Samedi, 6 heures et demie du matin.
    7 heures du soir, 12 novembre.

    Dimanche, 13 novembre 1825.
    Lundi.
    Mardi.
    Et, enfin, Bordeaux, 25 décembre 1825.

Dans ces lettres, « il y a de tout, s’il n’y a pas de duperie[140]». Vu le caractère de Dudevant et en comparant ces lettres avec toutes celles qu’il a écrites à sa femme de 1822 à 1825 et de 1825 à 1836, nous les déclarons absolument surprenantes. Dans aucune de ses autres lettres, nous ne trouvons rien qui les rappelle, tant ces lettres sont différentes de ton et de manière, tant elles sont loin de l’esprit qui règne dans la correspondance de Casimir avec Aurore. Ces Lettres étaient apparemment destinées à prouver combien Dudevant fut bouleversé par la lettre de sa femme, quels efforts il avait faits pour se rendre digne de son amitié et de celle d’Aurélien (celui-ci ayant toujours été aussi bien l’ami du mari que de la femme durant les longues années qu’ils furent en relations). La lettre de Dudevant, disons-nous, ressemble si peu à toutes celles que nous possédons de lui, que nous ne sommes pas les seuls disposés à croire qu’elle a été écrite, ou en commun avec Hippolyte Châtiron — nous en avons des indices à l’appui, — ou bien post-facto, pour être présentée devant le tribunal : car c’est Dudevant lui-même qui l’a transmise à son avoué pendant le procès en séparation. Il est donc difficile de dire si cette lettre reflète réellement le trouble d’âme de Dudevant en l’automne de 1825, ou si ce n’est qu’un pastiche de ces troubles.

Il y a de tout, dans ces pages, comme nous le disions plus haut : essais d’être poétique et d’atteindre à la grandeur d’âme d’Aurore, et essais de parler sa langue ou du moins de l’imiter, jusqu’à des descriptions poétiques de la nature ! Dudevant y raconte, par exemple, que tout à coup il lui était venu à Nohant l’ardent désir de s’instruire, et qu’il s’était mis à lire Pascal dans un exemplaire qui appartenait à Aurore, qu’il avait aussi commencé à apprendre l’anglais, qu’il prenait même son livre au lit en se couchant, tâchant par là d’adoucir sa solitude. Il y exprime aussi son amour passionné pour sa femme, sa crainte de la perdre (disons plutôt de perdre sa fortune), la tristesse et la joie qui l’envahirent après la Lecture de la lettre de sa femme ; il fait preuve de noblesse de cœur et même de grandeur d’âme dans la manière dont il avait reçu sa confidence sur tout ce qui s’était passé. Bref, ou bien l’aveu fait par Aurore de son amour pour Aurélien avait réellement agité Dudevant et réveillé cette âme comme engourdie dans les ténèbres, ou bien ce n’était là qu’une ruse, une manœuvre diplomatique de sa part. Nous sommes portés à admettre cette dernière supposition, grâce à deux lettres écrites par Châtiron à sa sœur, dont nous avons la copie entre nos mains. À la première de ces deux lettres, toute remplie de grossières invectives de la part de Châtiron, à la suite des plaintes qu’il avait reçues de Casimir, Aurore répondit par une lettre[141] fort sévère, où elle réfute, d’un ton ferme et sérieux, les diverses accusations portées contre elle par son frère au nom de son mari. Dans une seconde lettre, datée du 10 décembre 1825, Châtiron s’excuse après avoir reçu la réponse de sa sœur. De tout cela, il est permis de conclure que Dudevant, après son arrivée à Nohant, s’était plaint d’Aurore à Hippolyte, qu’il l’avait accusée, qu’il lui gardait rancune, et que ce n’était chez lui qu’une feinte lorsqu’il appréciait la franchise de la confession de sa femme dont il avait méconnu jusque là le mérite.

Mais Dudevant était hypocrite, il sut cacher dès lors son ressentiment. En attendant, grâce aux efforts réunis de de Sèze, d’Aurore et de son mari, le petit drame romanesque se transforma en amitié idyllique. Comme réfutation des méchantes allusions et assertions de certains auteurs, comme Viel-Castel et autres, prétendant qu’Aurélien de Sèze avait été l’amant d’Aurore, il nous suffit de dire qu’Aurore n’avait aucun secret pour son mari. Elle lui communiquait toutes les lettres qu’elle recevait d’Aurélien en son absence, elle lui disait toutes leurs rencontres à Paris et à Bordeaux quand elle y allait seule, ou les arrivées d’Aurélien à Nohant, en l’absence du mari. De Sèze, de son côté, soutenait avec une sévérité très correcte son rôle de simple ami, et, comme le prouvent ses lettres de plusieurs années à Aurore et à Zoé Leroy, et celles d’Aurore à lui et à Zoé, il tâchait de maintenir constamment la jeune femme ardente et enthousiaste dans le ton quelque peu surélevé, romanesco-mystique, que leur amitié avait pris dès son début. C’était un homme très cultivé, ayant beaucoup lu, de tempérament assez froid, quelque peu ambitieux, plus tard même un peu trop épris de ses succès parlementaires, mais très probe, très honnête, et d’une vraie noblesse de cœur, digne représentant de la vieille magistrature française avec ses hautes traditions, ses mœurs sévères et les grandes qualités morales de sa corporation[142]. Par sa nature, son caractère, son éducation, ses études, ses habitudes correctes et tranquilles, il présentait un parfait contraste avec Aurore Dudevant, et ce contraste, c’était peut-être justement la force secrète qui, en vertu de la loi des contraires, les attirait l’un vers l’autre. D’autre part, leur amour de la lecture, leurs tendances idéalistes, leurs goûts intellectuels, les habitudes et les exigences de leur esprit quelque peu abstrait, et une forte dose de romantisme dans leur caractère, contribuaient beaucoup à ce rapprochement plus intime et conscient des deux nouveaux amis. L’amitié qu’ils portaient tous deux à Zoé Leroy, qui habitait La Brède, tandis que de Sèze demeurait à Bordeaux, venait très à propos pour former le chaînon qui liait les deux jeunes gens ; elle les aidait non seulement à se voir plus souvent, mais encore à rendre leurs lettres plus fréquentes, lorsque Dudevant partit de Bordeaux pour Nohant et qu’Aurore se rendit d’abord chez son beau-père à Guillery, et plus tard quitta définitivement le sud de la France pour retourner chez elle. C’est alors que commença cette correspondance entre de Sèze et Aurore qui joua un si grand rôle dans la vie de notre héroïne. Les lettres affluèrent des deux côtés, lettres philosophiques, poétiques, gaies, sentimentales ; elles contenaient toute la vie d’âme et d’esprit d’Aurore pendant six années, et faisaient naître l’écho qui répondait, chez son ami, à chacune de ses moindres paroles, à ses sentiments, à ses pensées. Aurélien de Sèze et Aurore, on le voit, avaient pris au sérieux leur résolution de n’être qu’amis, grâce surtout à la ferme et inébranlable volonté d’Aurélien qui avait pris à cœur sa qualité de guide et de directeur de conscience de la jeune femme, et ne tenait pas moins à être l’ami de l’époux que celui de l’épouse. Mais, n’anticipons pas sur les événements, et, sans nous écarter de l’ordre chronologique que nous avons résolu de suivre, revenons à l’année 1825.

Aurore passa l’hiver de 1825-1826 à Guillery, chez le père de Casimir, et s’y amusa beaucoup. On y organisait tantôt des chasses, tantôt de simples cavalcades ; dans ce but, on fit même venir de Nohant le cheval favori d’Aurore, « Colette ». On allait souvent chez divers propriétaires voisins, qui, dans leurs châteaux, arrangeaient des bals, des spectacles, des charades, auxquels assistaient les parents et les connaissances, venus non seulement des châteaux voisins, mais aussi de Nérac et de Bordeaux. Aurore écrit à sa mère le 30 décembre 1825 : « Je ne fais que d’arriver d’un château voisin où j’ai passé plusieurs jours à chasser à cheval et à jouer des charades le soir. J’ai une assez mauvaise santé pour toutes ces folies qui m’ont passablement fatiguée. Me voilà pourtant rentrée et reposée, et décidée à me soigner et à ne sortir de mon trou que pour aller passer la fin du carnaval à Bordeaux. Nous y serons, je pense, avant la fin de janvier, on veut bien nous y désirer et nous y attendre avec toute sorte d’amitiés… Casimir arrive de Bordeaux bien portant et se joint à mes vœux pour votre santé et vos plaisirs[143]. »

En effet, cet hiver-là et les années suivantes, Casimir alla souvent à Bordeaux, où son père avait une maison de rapport qu’il fallait gérer et qui devait plus tard revenir an fils. À Bordeaux, comme nous le savons déjà, Dudevant s’était lié avec Desgranges, armateur de profession et faiseur d’affaires de la plus belle eau. Celui-ci ne tarda pas à l’entraîner dans une série d’entreprises et d’opérations financières qui le conduisirent peu à peu à une ruine complète. Quel personnage était ce Desgranges et quelles sortes de relations s’établirent entre lui et Dudevant, c’est ce que nous fait comprendre la lettre[144] suivante d’Aurore à son avoué Accolas, que Michel de Bourges s’était adjoint dans le procès en séparation… « Le fait le plus important est celui d’un vaisseau acheté en 1828. M. Dudevant était entre les mains d’un escroc, appelé Desgranges, qu’il avait assez peu connu dans sa jeunesse et qui l’accapara en lui faisant boire du vin de Champagne, à la suite d’un dîner où les actionnaires virent le portrait lithographié d’un fort joli brick de commerce. Chacun signa suivant sa capacité. M. Dudevant en fut pour 25 000 francs. Pendant deux ans il fut très tourmenté par les lettres de change qu’il avait signées. Quand il eut bien payé le tout, on apprit que le navire n’avait jamais existé. M. Dudevant avait été armateur in partibus ».

Toutes ces opérations pécuniaires et autres, appelaient souvent Casimir à Bordeaux, et Aurore était sans doute ravie lorsqu’elle pouvait l’y accompagner. Les rapports les plus amicaux s’étaient déjà établis entre elle et son ami de Bordeaux, mais quelle différence entre leur amitié poétique et les relations prosaïques entre Casimir et Desgranges ! Ces deux amitiés contribuèrent cependant, chacune de leur côté, à séparer de plus en plus les deux époux.

Aurore se prit d’une grande affection pour le vieux Dudevant. C’était un homme juste et cordial, un peu emporté, mais un bon cœur. George Sand nous dit qu’elle aurait voulu passer toute sa vie auprès de lui, qu’il aurait probablement su la défendre contre les tempêtes conjugales qui empoisonnèrent sa vie de famille. Elle ajoute que, malheureusement, il ne lui a pas été donné de garder longtemps son défenseur et protecteur. Elle le perdit cette année même. Les Dudevant passèrent le carnaval à Bordeaux. Aurore vit souvent Zoé, ses frères et ses sœurs, et c’est chez eux qu’elle reçut la nouvelle de la mort de son beau-père[145]. Elle partit aussitôt avec son mari pour Guillery afin de se rendre chez sa belle-mère. Celle-ci était une femme froide, avare et sèche, qui n’a jamais aimé personne, et qui, par amour du mal, tâchait de faire du mal à tout le monde. Quoiqu’elle fût tout à fait seule et sans enfants, elle prit néanmoins de bonne heure toutes ses mesures pour que Casimir ne reçût pas un rouge liard de plus que ce qui lui revenait d’après la loi, en sa qualité de fils naturel reconnu. Elle savait cependant qu’il avait constamment besoin d’argent pour les nécessités de son grand ménage. Tout en se montrant toujours fort mal disposée envers lui, elle prit son parti au moment du procès avec sa femme, l’excitant et l’irritant continuellement contre Aurore, et fut une des principales causes pour lesquelles les deux époux ne purent s’accorder, comme l’espéraient d’abord les amis communs, ni sur une séparation amicale, ni sur le partage de la fortune ; l’affaire dut aller devant les tribunaux. Aurore n’avait cependant jamais été fautive envers sa belle-mère, elle avait, au contraire, toujours eu pour elle beaucoup d’attentions et de respect, lui avait fait la cour en lui envoyant fréquemment de petites surprises, des bonnets de tulle confectionnés de ses propres mains, des cols brodés, etc. Idéalisant sa belle-mère, elle allait jusqu’à l’aimer, voyait en elle une nature profonde et réservée, et prenait sa retenue et sa sécheresse comme la marque d’un sentiment caché et d’une grande force d’âme.

Pour les affaires de succession, entre autres pour vendre la maison qu’il avait reçue en échange des 40 000 francs qui lui revenaient, Casimir et Aurore firent de nouveau le voyage de Bordeaux, d’où ils revinrent au printemps à Nohant. En mai, ils durent encore aller passer quelque temps à Guillery[146], et ce n’est qu’en l’été de 1826 qu’ils retournèrent définitivement à Nohant.

George Sand nous raconte qu’elle passa presque tout entières à Nohant, les cinq années suivantes, c’est-à-dire de 1826 à 1831. Cela est à peu près vrai, mais en faisant remarquer que les absences d’Aurore avec son mari, ou d’Aurore seule, étaient assez fréquentes et parfois prolongées. On rencontre, en général, dans le récit qu’elle nous fait de sa vie pendant ces cinq années, bon nombre d’inexactitudes chronologiques et un certain manque de clarté. Arrêtons-nous donc, avant tout, sur les faits extérieurs de la vie des Dudevant pendant ce laps de temps, et exposons-les aussi brièvement que possible dans leur sécheresse tout historique.

Dans l’été de 1826, en pleine moisson, Casimir partit de nouveau pour Bordeaux et Paris, où ses affaires exigeaient sa présence, et Aurore dut se charger temporairement de la gérance rurale. Le 13 juillet, elle écrit à sa mère qu’elle est occupée du matin au soir, qu’elle se sent d’autant plus fatiguée qu’elle a pris à cœur, cette année-là, de prodiguer ses soins aux paysans malades. À partir de ce moment, elle leur consacra, en effet, beaucoup d’heures, de jours et de mois de sa vie. Les Dudevant passèrent l’été et l’automne de 1826, à Nohant. Au commencement de l’hiver, Mme Duplessis y arriva avec toute sa famille et y resta trois mois. La gaieté rentra de nouveau à Nohant : les jeux se renouvelèrent, les danses, les travestissements. Deux mariages de paysans furent célébrés. Fanchon, la bonne de Maurice, se maria et les « maîtres » prirent une part active aux fêtes des villageois. En janvier 1827, laissant Maurice aux soins de « maman Angèle », Aurore alla passer deux semaines à Paris avec son mari[147]. Revenus à Nohant, les Dudevant y restèrent jusqu’en août. Ils se rendirent ensuite aux eaux de Clermont-Ferrand, car Aurore était retombée très malade, souffrait d’étouffements, d’insomnies, d’esquinancies qui lui revenaient souvent et, pour comble de malheur, elle s’était démis un pied en faisant un faux pas, ce qui l’obligeait à garder le lit. C’est à cette époque que se rapporte le Voyage en Auvergne écrit pour Zoé Leroy, et qui est, pour ainsi dire, la première œuvre sortie de la plume de George Sand. L’ouvrage offre un grand intérêt psychologique et autobiographique : on y voit apparaître tout le désarroi et la fermentation qui régnaient alors dans l’âme d’Aurore, presque tous les éléments des créations futures de l’illustre écrivain et même le plan en germe de l’Histoire de ma Vie. C’est donc à cette époque reculée qu’il faut rapporter l’intention, née en George Sand, d’expliquer sa vie et sa disposition d’âme par des traits héréditaires et par les circonstances au milieu desquelles elle s’était développée et avait grandi[148]. À son retour, elle se trouvait beaucoup mieux[149], mais aussitôt que l’hiver arriva, elle retomba encore malade, et à tout ce qu’elle avait ressenti auparavant vinrent se joindre les rhumatismes, dont elle souffrit pendant plusieurs années, ce qui l’obligeait, dans la mauvaise saison, à s’envelopper de flanelle des pieds à la tête. Les Dudevant passèrent l’hiver de 1827-1828 à La Châtre, à l’occasion des élections, auxquelles Casimir prit une part active, et dans lesquelles, grâce surtout à ses efforts et à ceux de ses amis, triompha le parti libéral qui nomma, comme député, le vieux républicain Duris-Dufresne. À La Châtre, les Dudevant tinrent table ouverte, donnant des soirées et des dîners. La maison était pleine de monde. Chacun s’intéressait aux élus et aux électeurs, intriguait, s’échauffait, et, dans les intervalles, dansait ou potinait, comme il est de mise dans toute bonne ville de province qui se respecte. Dans l’Histoire de ma Vie, George Sand rapporte à cette époque un épisode qu’elle raconte dans la Correspondance sous la date du 20 janvier 1829, dans une lettre à Caron. L’épisode se résume en ceci que, tout en se trouvant en antagonisme avec le sous-préfet qui appartenait au parti gouvernemental, tandis que les Dudevant appartenaient aux bonapartistes qui s’étaient joints aux libéraux dans cette occasion, Aurore n’était cependant pas moins en relations d’amitié avec le sous-préfet M. de Périgny et avec sa femme. En ne faisant pas la moindre attention aux sottes distinctions provinciales entre les classes et les cercles, les Périgny et Mme Dudevant soulevèrent toute la « haute société de La Châtre » par les invitations qu’ils lancèrent sans distinction à tout le monde. Le « monde » les punit en cessant d’aller chez eux, et il arriva même, un soir, que trois personnes seulement, dont l’une était Aurore, se trouvèrent chez Périgny. Ceux-ci fermèrent leur salon, mais Aurore prit sa revanche en écrivant, avec Dutheil, leur ami commun, une chanson humoristique, où elle raillait toute l’aventure, ce qui déchaîna toute la ville contre elle et ses amis, mais elle augmenta sa liste des invitations à la « seconde société », ses soirées furent très animées et très fréquentées et quelques soupers et dîners suffirent pour tout pacifier.

Cet épisode s’est-il passé en 1827 ou en 1829[150] ? C’est ce qu’il est difficile de décider, et nous n’osons prendre sur nous de dire si l’erreur se trouve dans l’Histoire ou dans la Correspondance, car les Dudevant passèrent à La Châtre une grande partie des trois hivers de 1826-1827, 1827-1828, 1828-1829 ; ils y passèrent toujours, du moins, le carnaval, et, chaque fois, d’une manière très gaie, donnant des dîners et des soirées, fidèles, comme on le voit, à leur ancienne coutume de rechercher le monde. Les Lettres de ces années-là, surtout les lettres inédites à sa mère et à Caron, sont chargées de commissions : acheter un chapeau, un bonnet de fourrure, un nouveau quadrille, un duo pour baryton et contralto ; commander des habits, s’abonner au Petit Courrier des Dames, s’informer de la coupe la plus à la mode pour manches, envoyer « une guimpe et des manches longues en tricot de soie couleur de chair », pour les mettre sous la robe claire, par-dessus la flanelle sans laquelle Aurore n’osait sortir, craignant les rhumatismes, dont elle souffrait toujours et, « à La Châtre il faut des toilettes ». Le 12 janvier 1828, Aurore écrit à sa mère qu’ils ont eu une fort belle soirée pour laquelle elle avait dessiné elle-même des paravents et appris des quadrilles à quatre mains. Comme une seconde grossesse l’empêchait de danser cette année-là, elle jouait d’autant plus volontiers pour les autres. Se sentant de nouveau plus mal, elle partit dans le courant du mois de janvier pour Paris, afin de consulter des célébrités médicales ; les uns trouvèrent qu’elle était phtisique, d’autres, qu’elle avait un anévrisme, les troisièmes, enfin, qu’elle n’avait rien du tout. Après un hiver très bruyant, les Dudevant passèrent un été très tranquille à Nohant, où Hippolyte s’était définitivement transféré avec sa femme Émilie, personne maladive, passive, tranquille, avec qui Aurore s’était liée d’amitié, et leur petite fille Léontine. Aurore éleva longtemps cette petite avec Maurice et l’aimait comme son propre enfant. « Le cher père (Casimir), écrit Aurore à sa mère, est enfoncé dans la moisson. Il a inventé, pour battre le grain, une machine qui fait en trois semaines ce qu’on ne peut faire ordinairement qu’en cinq ou six mois. Aussi travaille-t-il à la sueur de son front. Le matin, de très bonne heure, il part en blouse avec ses râteaux en main. Les ouvriers suivent forcément son exemple, mais ils ne s’en plaignent pas, parce qu’on ne leur épargne pas le vin du cru. Nous autres femmes — (il y avait cet été à Nohant, outre Émilie, Mme Saint-Agnan avec ses filles) — nous nous asseyons sur les gerbes qui encombrent la cour, nous lisons, travaillons beaucoup et nous nous promenons peu. Nous faisons aussi beaucoup de musique… » Au mois de septembre, une fille naquit aux Dudevant, Solange. L’événement arriva avant terme, à la suite d’une frayeur qu’avait éprouvée Aurore et si inopinément qu’elle eut à peine le temps de préparer, pour le nouveau-né, la layette qui se trouvait encore dans le panier à ouvrage. Le docteur arriva quand la mère et l’enfant étaient déjà endormies. Malgré cela, on peut remarquer que, dès les premiers jours de sa vie, Mlle Solange a toujours joui d’une excellente santé, et Mme Dudevant, de son côté, se trouvait si bien qu’elle ne resta couchée qu’un seul jour, et huit jours après elle montait déjà à cheval[151].

Après avoir passé l’hiver en partie à Nohant, en partie à La Châtre, menant cette vie de plaisir et de bruit dont nous avons déjà parlé, — les Dudevant allèrent en famille, au commencement de l’été 1829, passer deux mois à Paris et à Nérac. Aurore y retourna encore à la fin de l’automne, après avoir fait, à Périgueux, une visite de quelques semaines à une de ses amies, Félicie Mollier. Elle ne rentra chez elle que pour Noël (entre le 18 décembre où elle écrivit encore une lettre de Périgueux à son petit Maurice[152] et le 29 décembre où elle écrit déjà de Nohant à sa mère). L’année suivante, 1830, elle se rendit pour quelque temps à Paris pour consulter un oculiste sur un mal d’yeux dont elle avait sérieusement souffert au printemps et en été. Elle avait pris avec elle son petit Maurice. Un an auparavant, le 2 septembre 1829, par l’entremise de Duris-Dufresne, elle avait pris Jules Boucoiran comme gouverneur de son fils. Ce jeune homme sympathique resta plusieurs années à Nohant, et fut l’ami de toute la famille, surtout de Maurice et d’Aurore. Plus tard, après s’être établi dans le Midi, où, avec le temps, il était devenu rédacteur en chef du Courrier du Gard, il garda toujours avec eux les relations les plus intimes, leur écrivit souvent et, en 1836, il vint exprès du Midi pour être témoin au procès de Mme Dudevant. À cette époque de sa vie, Mme Dudevant s’était liée d’amitié avec plusieurs jeunes gens du Berry et leurs familles, amitié qui dura tant qu’elle vécut, et qu’elle reporta sur leurs fils et petits-fils. Outre Dutheil et sa femme, et la famille Duvernet, il y avait Les Fleury, les Decerfz, Jules Néraud, Gustave Papet, Planet et, dans la suite, toute la famille Rollinat. Voilà pour les faits extérieurs pendant ces cinq années.

Tout cet intervalle de temps semble s’être passé tranquillement et sans que le moindre événement ait troublé la surface unie de cette vie provinciale, presque mesquine, dans laquelle les soucis de l’été, dont le plus grave était de rentrer à temps les foins, faisaient place aux préoccupations de l’hiver, les bals et les dîners… Mais de fait, il en fut tout autrement. Tout ce temps fut rempli, pour Aurore, par de secrètes luttes intérieures, des souffrances morales si profondes qu’on peut, à juste titre, s’étonner de la force d’âme qu’elle devait posséder pour recevoir chez elle tout ce monde, pour leur jouer des quadrilles, s’occuper avec calme de ses enfants et paraître si sémillante, écrire des lettres si gaies, si joviales, à sa mère, à Caron et à sa tante Saint-Agnan ! Les lettres qu’elle écrivit à sa mère surtout sont très remarquables sous ce rapport. Elle sont pleines de descriptions de parties de plaisir et de bals, parlent de chiffons, racontent des plaisanteries, donnent des détails sur les faits drolatiques qui se passaient dans leur société ; Aurore parle, du ton le plus léger, le plus insouciant, de tout ce qui tombe sous sa plume, mais sans dire un mot de sa vie intérieure. C’est sans doute avec intention qu’elle écrivait sur ce ton, pour que sa mère ne pût soupçonner que tout était bien loin d’être heureux dans sa famille. C’est ainsi par exemple que, dans sa lettre inédite du 21 avril 1828, elle écrit, à sa mère : « J’ai beaucoup toussé en hiver et beaucoup souffert de la poitrine. C’est une mauvaise habitude que j’ai prise depuis trois hivers, mais le printemps est mon sauveur, et, après avoir été flétrie comme les arbres, je reverdis avec eux. Ne croyez pas non plus, chère maman, que ces dérangements de santé aient aucune cause morale. Je ne vous en ferais pas un mystère, car je serais bien sûre de trouver en vous plus d’indulgence et d’intérêt que partout ailleurs. On peut être malade à tout âge, et le corps peut aller fort mal, quoique la tête aille bien. La mienne est fort calme, quoique malheureusement assez vive, je ne sais si je dois m’en féliciter ou m’en plaindre, mais à coup sûr, vous ne devez pas m’en blâmer, car c’est un présent que vous m’avez fait, chère mère, et comme un héritage que vous m’avez légué. On dit que les gens ainsi faits ont plus de jouissances et de chagrins que les autres. »

En cet endroit le papier est déchiré. À la fin de la lettre, Aurore raconte avec ses plaisanteries habituelles et d’un ton insouciant, ses occupations médicales et sa manière de traiter les malades.

Il eût été plus vrai de dire que, à l’exception de l’amour qu’elle portait à ses enfants, cette existence n’offrait plus rien de bon à Aurore, que chaque jour surgissaient de nouveaux motifs de tristesse, qu’à chaque heure sa vie devenait de plus en plus insupportable.

Casimir s’était mis à boire, et peu à peu, ce furent de véritables orgies à Nohant, auxquelles prirent part, outre Dudevant, Hippolyte et Stéphane Ajasson de Grandsagne[153], ancien ami et adorateur d’Aurore. Un des autres compagnons de la dive bouteille était Dutheil, homme excellent, mais, semble-t-il, sans caractère, grand ami de Casimir et d’Aurore.

Aurore supporta d’abord patiemment ces débauches. Elle dit dans l’Histoire de ma Vie (t. IV. p. 51-52) que toute cette compagnie, et particulièrement son frère, ressentaient instinctivement pour elle du respect et que, en sa présence, ils gardaient une certaine retenue en sorte que « tant que l’on se bornait à être radoteurs, fatigants, bruyants, malades même et forts dégoûtants, je tâchais de rire et je m’étais même habituée à supporter un ton de plaisanterie qui, dans le principe, m’avait révoltée ». Mais ces débauches se faisaient chaque jour avec moins de cérémonie, tout en se prolongeant plus longtemps, « les nerfs se mettaient de la partie », et les choses allèrent si loin qu’en présence d’Aurore on devint grossier et obscène. Hippolyte lui-même, qui auparavant se repentait de sa conduite et se montrait si soumis devant les remontrances d’Aurore, était devenu brutal et méchant, en sorte que la jeune femme devait tâcher de disparaître de la chambre sans être aperçue, et allait se cacher dans l’ancien petit boudoir de sa grand’mère qui n’avait qu’une porte et, sous aucun prétexte que ce fût, n’était un passage pour personne. Elle s’y trouvait tout près de ses enfants, qu’elle entendait respirer. « Là, je savais bien m’occuper et me distraire du vacarme extérieur qui durait souvent jusqu’à six ou sept heures du matin. Je m’étais habituée à travailler la nuit auprès de ma grand’mère malade ; maintenant, j’avais d’autres malades, non à soigner, mais à entendre divaguer. »

Cette ivrognerie entraîna plus tard d’autres suites, encore plus mauvaises. Casimir commença, dans le sens le plus grossier du mot et de la manière la plus ordurière, à trahir sa femme, sans même se donner la peine de le lui cacher. Ainsi, Aurore apprit d’abord sa liaison à Bordeaux avec une personne innommable, qui était alors la maîtresse de Desgranges[154]. Après cela, Casimir ne se gêna plus, ni à La Châtre, ni à Nohant. Ses liaisons avec deux femmes de chambre, — l’espagnole Pépita, ancienne bonne de Solange, et la berrichonne Claire — étaient sues, non seulement dans toute la ville et dans tout Nohant, mais aussi d’Hippolyte et des amis d’Aurore. Tout le monde regardait cela avec calme, comme quelque chose de très simple et d’amusant, et l’on se moquait très plaisamment de Dudevant. Et même, quand une de ces filles se mit à poursuivre Casimir, en exigeant qu’il assurât des ressources à son enfant[155], on continua à rire de Dudevant, sans se soucier le moins du monde d’être plus retenu dans ses paroles. Casimir, lui-même poussa si loin son cynisme que le lendemain de la naissance de Solange, lorsque Aurore était encore au lit, elle entendit, dans la chambre voisine, une conversation de son mari qui ne laissait planer aucun doute sur ses rapports avec son interlocutrice. C’était, dans le sens littéral du mot, « une conversation criminelle ». Aurore fut offensée jusqu’au plus profond de son cœur en voyant que l’homme à qui elle avait sacrifié, pour lui rester fidèle, un attachement vrai et profond, la récompensait en ne reculant même pas devant la dépravation la plus basse, la plus révoltante, et cela où ? Sous le toit de la maison qui abritait sa femme et ses enfants !

On comprend qu’à partir de ce jour, toute intimité conjugale disparut de la vie des Dudevant[156]. Mais, par amour pour ses enfants, Aurore résolut de tout supporter avec patience, de s’enfermer dans son attachement pour eux et de leur garder l’illusion d’une vie de famille, sans leur laisser voir qu’entre elle et leur père, tout lien moral était rompu. « Refoulant en elle la vie débordante, elle souffrait, mais luttait vaillamment contre la souffrance, en appelant à son aide les livres, les courses à cheval et surtout le grand livre de la nature pour lequel George Sand semble avoir reçu une facilité toute particulière d’intuition large et pénétrante[157]… »

Aurore lut beaucoup, pendant toutes ces années, entre autres, plusieurs ouvrages historiques, car elle faisait venir de Paris, par ses amis, tout ce qui s’y publiait de nouveau. Elle continua aussi à s’occuper d’histoire naturelle, non plus avec Stéphane de Grandsagne, mais avec son ami nouveau, ce bon Jules Néraud qu’elle avait surnommé « le Malgache » après le séjour qu’il avait fait aux îles de la Réunion et de Madagascar. Soucieuse de travailler le plus possible et désireuse d’aider son mari que ses affaires appelaient souvent soit à Bordeaux, soit à Paris, elle avait pris en mains, en 1826, la gérance du ménage : « Les soins domestiques, dit-elle, ne m’ont jamais ennuyée, je ne suis pas de ces esprits sublimes qui ne peuvent pas descendre de leurs nuages. Je vis beaucoup dans les nuages, certainement, et c’est une raison de plus pour que j’éprouve le besoin de me retrouver plus souvent sur la terre[158]… » Ces occupations domestiques ne durèrent pas longtemps. « Économe en tout, comme cela m’était recommandé, je n’arrivais qu’à me pénétrer de l’impossibilité d’être économe sans égoïsme en certains cas ; plus j’approchais de la terre, en creusant le petit problème de lui faire rapporter le plus possible, plus je voyais que la terre rapporte peu, et que ceux qui ont peu ou point de terre à bêcher ne peuvent pas exister avec leurs deux bras. Le salaire était trop faible, le travail trop peu assuré, l’épuisement et la maladie trop inévitables. Mon mari n’était pas inhumain et ne m’arrêtait pas dans le détail de la dépense ; mais quand, au bout du mois, il voyait mes comptes, il perdait la tête et me la faisait perdre aussi, en me disant que mon revenu était de moitié trop faible pour mes libéralités et qu’il n’avait aucune possibilité de vivre à Nohant et avec Nohant sur ce pied-là. C’était la vérité ; mais je ne pouvais prendre sur moi de réduire au strict nécessaire l’aisance de ceux que je gouvernais et de refuser le nécessaire à ceux que je ne gouvernais pas. Je ne résistais à rien de ce qui m’était imposé ou conseillé, mais je ne savais pas m’y prendre. Je m’impatientais et j’étais débonnaire. On le savait et on en abusait souvent. Ma gestion ne dura qu’une année. On m’avait prescrit de ne pas dépasser 10.000 francs, j’en dépensais 14.000, de quoi j’étais penaude comme un enfant pris en faute. J’offris ma démission, et on l’accepta[159]… »

Aurore se mit alors à s’occuper plus activement des soins médicaux qu’elle donnait aux villageois. Que l’on nous permette ici une petite digression. Nous ne comprenons nullement le ton condescendant que prend M. Skabitchevsky (dans les articles qu’il a écrits sur G. Sand)[160] en parlant des soins qu’elle prodiguait aux paysans, comme des secours prêtés aux paysans russes par quelques-unes de nos dames propriétaires. Les paysans du Berry étaient, entre 1820 et 1830, aussi ignares, aussi grossiers, aussi dénués d’assistance que chez nous en Russie. L’assistance médicale, comprise comme la pratiquait Aurore Dudevant, comme l’exercent les dames propriétaires en Russie, M. Skabitchevsky l’envisage comme une petite philanthropie qui ne mérite que le sourire ; il ne voit pas que c’est là le premier rayon de lumière qui pénètre en cette masse encore plongée dans un profond obscurantisme, le premier pas pour l’éloigner des devins, des préjugés, de la saleté, de l’ignorance, et pour rendre aux paysans la vie plus humaine et plus éclairée. C’est ce que fit cependant Aurore Dudevant pour ses Berrichons. Tout en lavant et en pansant leurs plaies, en préparant ses sirops et ses mixtures, Aurore apprenait peu à peu à connaître leur développement, la position et les conditions de chaque famille, de chaque habitant de Nohant en particulier ; elle se mettait par là en rapports directs avec chacun et avec tous. Ses relations personnelles avec les paysans s’établirent dès lors pour toute sa vie et la mirent à même, lorsqu’elle devint plus tard seule maîtresse à Nohant, de les aider d’une manière rationnelle et sérieuse, et non de loin, par les dons qu’elle aurait pu leur envoyer. Ce secours raisonnable porté aux paysans durant toute la vie de Mme Sand fit, qu’au jour de ses funérailles, le villageois qui vint déposer au nom de tout son village, une couronne sur sa tombe, put dire qu’ « à Nohant, il y avait des paysans, mais pas de pauvres ». Quelque insignifiante qu’ait pu paraître cette aide accordée à quelques dizaines de familles, elle n’en a pas été pour cela moins réelle, et plût à Dieu que chacun fit ce que Mme Dudevant avait fait dans sa petite commune de Nohant.

C’est ainsi, qu’à partir de 1826, Aurore s’occupa tout particulièrement du traitement des malades. La grande difficulté qui se présentait à elle était le manque d’argent ou le peu qu’elle en possédait. L’enquête judiciaire prouva qu’elle n’avait même jamais touché les 1 500 francs qu’elle avait voulu recevoir au lieu des 3 000 francs qui lui étaient assignés par son contrat de mariage. Elle ne s’en était jamais plainte, n’avait rien réclamé de son mari, — quoique toute la fortune fût sienne, — n’avait jamais dépensé un sou sans en demander auparavant l’autorisation à son mari. Lorsqu’en 1831, après neuf ans de mariage, elle pria son mari de payer les dettes personnelles qu’elle avait faites, ces dettes ne s’élevaient qu’à 500 francs[161]. Faute d’argent qui lui appartînt en propre, les occupations médicinales d’Aurore lui faisaient perdre le double et même le triple de temps que si elle eût pu disposer d’une petite somme pour sa bonne œuvre. Elle se vit forcée de se faire pharmacien, d’enduire ses emplâtres, de triturer et de cuire ses mixtures et ses sirops, et même de se faire le jardinier de sa pharmacie, en cultivant les plantes nécessaires à ses médicaments. Aurore se sentait parfois si fatiguée qu’elle se traînait à peine jusqu’à son lit. Elle ne s’en fût pas plainte non plus, si elle n’avait pas été travaillée par l’idée qu’avec un peu de ressources à elle, elle pourrait se rendre plus utile à ses malades, engager un médecin, donner à son traitement et à ses soins un caractère plus judicieux, et, par suite, obtenir de meilleurs résultats.

Son mari, à ce qu’elle dit, n’était cependant pas avare. « Il ne me refusait rien ; mais je n’avais pas de besoins, je ne désirais rien en dehors des dépenses courantes établies par lui dans la maison, et, contente de n’avoir plus aucune responsabilité, je lui laissais une autorité sans limites et sans contrôle. Il avait donc pris tout naturellement l’habitude de me regarder comme un enfant en tutelle et il n’avait pas sujet de s’irriter contre un enfant si tranquille[162]. » Sans être l’esclave de son mari, elle était ainsi « asservie à une situation donnée, dont il ne dépendait pas de son mari de l’affranchir ». Aurore reconnaissait de plus en plus qu’il lui fallait trouver une occupation qui lui permit de se créer des ressources.

Elle essaya de faire des traductions, mais elle s’aperçut que les traductions consciencieuses prennent beaucoup de temps et ne donnent pas de quoi vivre. Elle recourut alors au dessin, talent qu’elle avait hérité de sa mère, et se mit à faire des portraits. (Ainsi elle envoya à sa mère celui de Maurice, de Caroline, le sien, etc.) Les portraits étaient très ressemblants[163], mais ils manquaient d’originalité, et Aurore ne pouvait pas espérer que ce métier la fît subsister. Elle se mit ensuite à peindre des boîtes en bois de Spa, des éventails, des tabatières, qui furent un temps à la mode et très demandés. Presque tous les biographes de George Sand parlent de cette occupation comme d’une de celles auxquelles elle eut recours en 1831, lorsque, déjà à Paris, elle dut penser à gagner son pain, et, qu’avant d’entrer dans la carrière littéraire, elle s’était essayée dans différents métiers. Et cependant, par l’Histoire de ma Vie, par la Correspondance, et plus encore par ses Lettres à Mme Saint-Agnan, on voit qu’elle s’occupait de peinture à Nohant bien avant de l’avoir quitté. Il semble que c’est sa « tante Saint-Agnan » et sa fille Félicie, qui lui avaient surtout appris à peindre sur bois pendant leurs séjours à Nohant, car dans ses lettres à ces dames, elle leur demande toujours conseil à ce sujet, les prie de choisir et de lui envoyer des couleurs, les consulte sur la manière de vernir les boîtes, etc. Dans les premiers temps, ce fut là une occupation dont Aurore remplissait ses moments perdus en simple dilettante, faisant cadeau de ses boîtes et de ses tabatières à Caron, à de Sèze, à M. Saint-Agnan ou à sa femme. Elle commença ensuite, par l’entremise de Mme Saint-Aignan, à les vendre à des personnes étrangères. Enfin, dans un de ses voyages à Paris, elle régla avec Giroux, qu’il les exposerait en vente dans son magasin. Elle se convainquit bientôt que la vente de ces objets couvrait à peine le prix d’achat, que leur mode commençait à passer, et qu’elle n’avait pas non plus à compter là-dessus pour vivre. Un instinct encore vague la poussait d’ailleurs d’un autre côté. Elle sentait peut-être, — et peut-être moins à son insu que ne l’assure l’Histoire de ma vie, — qu’elle était née artiste. Dès son enfance, elle avait essayé d’écrire ; elle créa son Corambé ; au couvent, elle avait écrit tout un roman et s’était essayée à faire une pièce de théâtre ; à sa sortie du cloître, lors de son amitié avec René de Villeneuve, nous le savons, elle n’avait pas abandonné cette occupation. En 1827, elle avait envoyé à Zoé Leroy son Voyage en Auvergne. En 1829, elle reprit la plume et écrivit encore un roman, La Marraine, qu’elle envoya entre le 19 novembre et le 22 décembre de la même année à Jane Bazouin qui avait épousé en 1828 le comte de Fenoyl et, ne pouvant quitter sa chambre pour cause de maladie, avait prié son amie de lui envoyer un volume écrit de sa main pour la distraire. Jane trouva la préface (qui contenait l’Histoire du grillon[164]) et le début du roman très intéressants et en réclamait la suite ; mais l’important, c’est qu’Aurore s’aperçut elle-même qu’elle savait écrire, et mieux que cela, que son roman n’était nullement inférieur à ceux grâce auxquels leurs auteurs, bien ou mal, gagnent de l’argent… « Je reconnus que j’écrivais vite, facilement, longtemps, sans fatigue, que mes idées engourdies dans mon cerveau s’éveillaient et s’enchaînaient, par la déduction, au courant de la plume, que, dans ma vie de recueillement, j’avais beaucoup observé et assez bien compris les caractères que le hasard avait fait passer devant moi, et que, par conséquent, je connaissais assez la nature humaine pour la dépeindre ; enfin, que de tous les petits travaux dont j’étais capable, la littérature proprement dite était celui qui m’offrait le plus de chances de succès comme métier, et, tranchons le mot, comme gagne-pain[165]. » Il serait plus vrai de dire que c’est à partir de cette époque qu’Aurore Dudevant avait deviné sa vocation, et que George Sand était prête à naître. Il lui fallut cependant éprouver de fortes secousses pour entrer dans cette voie ; l’enfantement de ce nouveau génie, comme tout enfantement, ne se fit pas sans souffrances, ni sans appréhensions.

Toutes ces occupations n’auraient pu tenir lieu de bonheur à Aurore si elle ne se fût sentie soutenue par l’amitié d’Aurélien de Sèze. C’est à lui qu’elle écrivait, puisant dans cette correspondance très suivie la joie et la consolation, la force et la patience dont elle avait besoin dans sa vie de tristesse. C’est à de Sèze que se rapportent les pages si connues de l’Histoire de ma Vie, qui sont comme enveloppées de mystère, pages auxquelles M. d’Haussonville fait allusion et qui ont intrigué tant de lecteurs… « Ma solitude morale était profonde, absolue, elle eût été mortelle à une âme tendre et à une jeunesse encore dans sa fleur, si elle ne se fût remplie d’un rêve qui avait pris l’importance d’une passion, non pas dans ma vie, puisque j’avais sacrifié ma vie au devoir, mais dans ma pensée. Un être absent, avec lequel je m’entretenais sans cesse, à qui je rapportais toutes mes réflexions, toutes mes rêveries, toutes mes humbles vertus, tout mon platonique enthousiasme, un être excellent en réalité, mais que je parais de toutes les perfections que ne comporte pas l’humaine nature, un homme enfin qui m’apparaissait quelques jours, quelques heures parfois[166], dans le courant d’une année, et qui, romanesque auprès de moi autant que moi-même, n’avait mis aucun effroi dans ma religion, aucun trouble dans ma conscience, ce fut là le soutien et la consolation de mon exil dans le monde de la réalité[167] ».

La correspondance d’Aurore avec de Sèze et Zoé Leroy nous offre un document psychologique très intéressant pour la biographie de George Sand. On y voit toute l’évolution qui s’est accomplie peu à peu, en Aurore, évolution qui a fait, dans l’espace de cinq à six ans, d’une femme-enfant, mystique, exaltée, inconsciente d’elle-même, pleine de vagues aspirations et d’élans contradictoires, de l’obéissante amie du réservé et sérieux de Sèze, cette femme originale et courageuse, cette âme d’une force vraiment virile, cet esprit profond, mais enclin aux paradoxes et aux utopies, ce brillant talent littéraire qui, dès 1832, apparut comme une révélation dans le monde des lettres, sous le nom de George Sand. En suivant avec attention les lettres d’Aurore à Zoé et surtout à Aurélien — celles-là par les réponses d’Aurélien et les allusions de Zoé — on y trouve tous les éléments qui constituent la physionomie morale et avant tout, la physionomie littéraire de George Sand. Parfois, on croirait lire les pages de ses futurs ouvrages. Telle est, entre autres, la lettre, sous forme de journal, écrite en petits cahiers et envoyée à Zoé, en 1827, sous le titre de Voyage en Auvergne ; telle encore la lettre, adressée à Zoé le 26 juin 1826, dans laquelle Mme Dudevant écrit déjà presque littéralement ce qu’elle répète plus tard dans ses Impressions et Souvenirs (n° 1) et où elle nous entretient de son union avec la nature, de ce que parfois elle se sent « pierre gisant au bord du chemin, clair de Lune, oiseau, fleur », tout ce qui existe et vit. Ces pages — des plus profondes et des plus charmantes de la plume de George Sand — tout imprégnées de calme, d’harmonieuse beauté, de mûres conceptions et d’hellénisme, et attestant le grand calme qu’après tant de tempêtes et d’agitations recouvra cette grande âme dans la contemplation et la compréhension de la nature ; ces pages apparaissent comme une conception déjà ancienne dans l’esprit de l’écrivain.

Remarquons encore que, dans ses lettres, Aurore se montre toujours comme une femme « en révolte » et Aurélien comme un homme qui s’efforce de la ramener au calme. Elle soulève des questions alarmantes, religieuses, politiques, philosophiques, sociales, — il lui répond d’une manière pacifiante, en tâchant de la retenir dans de justes mesures, ennemi qu’il est de toute opinion extrême, de tout ce qui est vulgaire. Et il est intéressant de voir Aurore se dégager peu à peu de l’influence de son ami. D’auditeur obéissant, comptant trouver en lui éclaircissement et soutien, elle devient d’abord interlocutrice réclamant égalité de droit, critiquant chacune des paroles et des opinions de son correspondant, ensuite penseuse indépendante qui ne veut se mettre d’accord en rien et ne fait aucune concession. Et ce n’est pas étonnant : dans le jeune magistrat de 1827, couvait déjà le représentant de l’extrême droite, et dans Aurore, le futur auteur des bulletins du gouvernement provisoire. Lui, imbu des traditions religieuses et morales de la magistrature de province, patriarcale et exclusive ; elle, élevée en dehors de toute tradition précise, au milieu d’impressions contradictoires. Lui, suivant avec calme et conviction les vérités et les principes établis depuis des siècles ; elle, toujours avide de vérités nouvelles. Lui, vivant d’un travail régulier ; elle, vivant, travaillant, s’amusant par élans subits. Lui toute raison ; elle, toute passion. En un mot, Aurore, en ces cinq ans, devint supérieure à son correspondant, le dépassa et le devança.

Ce divorce spirituel entre les deux amis rendait la rupture inévitable. Cette rupture eût, du reste, été amenée par les exigences naturelles de la vie, incompatible avec une amitié romantico-exaltée et mystique. Insensiblement des nuages s’accumulèrent à l’horizon, preuve que tout n’y était pas all right. Au commencement de 1828, les lettres d’Aurore à Zoé ne sont plus ni gaies, ni alertes, mais respirent une souffrance secrète et de sombres pensées… « Je ne mérite plus l’amitié de personne ; comme l’animal blessé qui meurt dans un coin, je ne saurais chercher d’adoucissement, » écrit-elle le 2 février en ajoutant que « ce n’est plus qu’à elle, Zoé, qu’elle peut écrire ». — Ce désespoir ne nous parait pas devoir être commenté ; il est tout aussi facile à expliquer que l’étonnement de de Sèze lorsqu’il apprit, le jour même de son arrivée à Nohant, au mois de septembre de 1828, que son amie mystique, prêcheuse d’un amour presque ascétique, attendait d’un moment à l’autre la naissance d’un enfant. De Sèze ne soupçonnait rien, ne s’attendait à rien de pareil. Il est permis de croire que cet étonnement ébranla les sentiments d’Aurélien et qu’une forte dose de mysticisme et de confiance s’évapora de cet amour. Il est douteux qu’Aurélien ait continué à regarder la mère de la petite Solange des mêmes yeux qu’il avait eus pour la jeune femme malheureuse en mariage, avec qui il avait formé, sous les chênes de La Brède, une alliance d’une pureté céleste, et il est tout naturel qu’il ait senti se relâcher les liens qui l’avaient attaché à son amie et les serments qu’il lui avait prêtés. Il ne semble pas qu’Aurore ait aussitôt remarqué cette froideur d’Aurélien. Ce ne fut qu’au bout d’un an qu’elle comprit enfin ce que jusque-là elle n’avait que confusément soupçonné. Pendant le voyage qu’elle fit à Bordeaux dans l’été de 1829, Aurore remarqua qu’un changement s’était opéré en Aurélien : les lettres de de Sèze aussi n’étaient plus les mêmes.

… « L’être absent, je pourrais presque dire l’invisible, dont j’avais fait le troisième terme de mon existence (Dieu, lui et moi) était fatigué de cette aspiration surhumaine à l’amour sublime. Généreux et tendre, il ne le disait pas, mais ses lettres devenaient plus rares, ses expressions plus vives ou plus froides, selon le sens que je voulais y attacher. Ses passions avaient besoin d’un autre aliment que l’amitié enthousiaste et la vie épistolaire. Il avait fait un serment qu’il m’avait tenu religieusement et sans lequel j’eusse rompu avec lui ; mais il ne m’avait pas fait de serment restrictif à l’égard des joies ou des plaisirs qu’il pouvait rencontrer ailleurs, je sentis que je devenais pour lui une chaîne terrible, ou que je n’étais plus qu’un amusement d’esprit. Je penchai trop modestement vers cette dernière opinion, et j’ai su plus tard que je m’étais trompée. Je ne m’en suis que davantage applaudie d’avoir mis fin à la contrainte de son cœur et à l’empêchement de sa destinée. Je l’aimai longtemps dans le silence et l’abattement. Puis je pensai à lui avec calme, avec reconnaissance et je n’y pense jamais qu’avec une amitié sérieuse et une estime fondée ».[168]

Il est plausible de supposer que c’est le désir de se convaincre de la justesse de ses soupçons, qui fit partir Aurore de Périgueux à la fin de l’automne de 1829 pour se rendre à Bordeaux. Dans une lettre à Jules Boucoiran, qui fut le confident de toutes ses peines de cœur pendant la période de 1829 à 1835, Aurore écrit le 8 décembre de Périgueux : « Ma santé est assez bonne, je sais, du reste, en humeur de chanter le Nunc dimittis. Vous ne savez pas, hérétique, ce que cela signifie. Je vous le dirai… » D’autre part, par la lettre inédite qu’elle écrivit de Bordeaux à son mari le 1er décembre 1829, on voit qu’elle tâchait d’effacer en lui les impressions tragiques d’une lettre précédente, dans laquelle eue lui disait son désir de mourir. Une explication définitive eut-elle lieu entre les deux jeunes gens ? c’est ce qu’il serait difficile d’assurer. George Sand prétend que non[169]. Il n’y eut ni explications ni reproches dès que mon parti fut pris. De quoi me serais-je plainte ? Que pouvais-je exiger ? Pourquoi aurais-je tourmenté cette belle et bonne âme, gâté cette vie pleine d’avenir ? Il y a d’ailleurs un point de détachement où celui qui a fait le premier pas ne doit plus être interrogé et persécuté, sous peine d’être forcé de devenir cruel ou malheureux. Je ne voulais pas qu’il en fût ainsi. Il n’avait pas mérité de souffrir, lui, et moi, je ne voulais pas descendre dans son respect en risquant de l’irriter. Je ne suis pas si j’ai raison de regarder la fierté comme un des premiers devoirs de la femme, mais il n’est pas en mon pouvoir de ne pas mépriser la passion qui s’acharne. Il me semble qu’il y a là un attentat contre le ciel, qui seul donne et reprend les vraies affections. Un ne doit pas plus disputer la possession d’une âme que celle d’un esclave. On doit rendre à l’homme sa liberté, à l’âme son élan, à Dieu la flamme émanée de lui. Quand ce divorce tranquille, mais sans retour, fut consommé, j’essayai de continuer l’existence que rien d’extérieur n’avait dérangée ni modifiée ; mais cela fut impossible. Ma petite chambre ne voulait plus de moi… »

Aussitôt après, George Sand raconte en termes si indiciblement touchants la ruine de ses rêves, que nous n’osons pas exposer prosaïquement à nos lecteurs cette page de sa vie, nous préférons la citer textuellement : « J’habitais alors l’ancien boudoir de ma grand’mère parce qu’il n’y avait qu’une porte et que ce n’était un passage pour personne, sous aucun prétexte que ce fût. Mes deux enfants occupaient la grande chambre attenante. Je les entendais respirer et je pouvais veiller sans troubler leur sommeil. Ce boudoir était si petit, qu’avec mes livres, mes herbiers, mes papillons et mes cailloux (j’allais toujours m’amusant de l’histoire naturelle, sans rien apprendre), il n’y avait pas de place pour un lit. J’y suppléais par un hamac. Je faisais mon bureau d’une armoire qui s’ouvrait en manière de secrétaire et qu’un cricri, que l’habitude de me voir avait apprivoisé, occupa longtemps avec moi. Il y vivait de mes pains à cacheter, que j’avais soin de choisir blancs, dans la crainte qu’il ne s’empoisonnât. Il venait manger sur mon papier pendant que j’écrivais, après quoi il allait chanter dans un certain tiroir de prédilection. Quelquefois, il marchait sur mon écriture, et j’étais obligée de le chasser pour qu’il ne s’avisât pas de goûter à l’encre fraîche. Un soir, ne l’entendant plus remuer et ne le voyant pas venir, je le cherchai partout. Je ne trouvai de mon ami que les deux pattes de derrière entre la croisée et la boiserie. Il ne m’avait pas dit qu’il avait l’habitude de sortir, la servante l’avait écrasé en fermant la fenêtre. »

« J’ensevelis ses tristes restes dans une fleur de datura, que je gardai longtemps comme une relique ; mais je ne saurais dire quelle impression me fit ce petit incident, par sa coïncidence avec la fin de mes poétiques amours. J’essayai bien de faire là-dessus de la poésie, j’avais ouï dire que le bel esprit console de tout ; mais tout en écrivant la Vie et la mort d’un esprit familier, ouvrage inédit et bien fait pour l’être toujours, je me surpris plus d’une fois toute en larmes. Je songeais, malgré moi, que ce petit cri du grillon, qui est comme la voix même du foyer domestique, aurait pu chanter mon bonheur réel, qu’il avait bercé au moins les derniers épanchements d’une illusion douce et qu’il venait de s’envoler pour toujours avec elle.

La mort du grillon marqua donc, comme d’une manière symbolique, la fin de mon séjour à Nohant[170]… »

George Sand raconte plus loin qu’elle s’efforça de penser à autre chose, qu’elle changea son genre de vie, se promena beaucoup, passa l’automne au grand air et s’occupa de littérature. C’est à cette époque qu’elle rapporte la création d’un roman. Mais comme elle avait déjà envoyé la Marraine à Jane au commencement de décembre 1829, ce roman fut écrit un an plus tôt, et non en cet automne de 1830. Peut-être Aurore se mit-elle, au commencement de 1830, à un nouveau roman, lequel pourrait être Indiana (qui rappelle beaucoup ce qui se passa alors dans la vie d’Aurore, et qu’elle ne fit peut-être qu’achever plus tard). Mais ce que l’on peut admettre avec plus de probabilité encore, c’est qu’il s’agit ici du roman Aimée qu’elle avait lue sa belle-sœur, Mme Émilie Châtiron, et qu’elle brûla dans la suite. D’après une note de M. de Spoelberch au bas de la dixième lettre d’Aurore à son mari, publiée dans le Cosmopolis, George Sand aurait apporté avec elle de Nohant à Paris, en 1831, ce roman d’Aimée.

Quoi qu’il en soit, pendant toute une année, Aurore supporta encore courageusement sa position difficile, se tourmentant à l’idée de son inutilité, de son quasi-esclavage et de son abaissement, mais étonnant, en même temps, Boucoiran par cette « élasticité et cette force de caractère qui lui permettaient, après les scènes domestiques les plus violentes, de rire le lendemain comme si de rien n’était, et de ne pas courber la tête sous le poids de son malheur ». C’est cette « élasticité », nous dit-elle, qui l’a sauvée du désespoir final. Ses forces ne purent cependant pas résister à cette lutte incessante avec elle-même, à cette tension continuelle de la volonté et des nerfs. Dans l’automne de 1830, elle fut atteinte d’une congestion cérébrale et pendant quarante-huit heures, elle resta sans connaissance. À peine remise, un nouveau coup vint la frapper, sans qu’elle s’y attendît le moins du monde. Le sort lui préparait une porte de sortie pour la faire s’évader de sa vie pénible et douloureuse ; le drame qui durait depuis plusieurs années dans la famille des Dudevant allait arriver à son dénouement. Un événement tout à fait inattendu vint mettre sous Les yeux d’Aurore, que son sacrifice d’elle-même, sa longue patience, son pardon des offenses étaient non seulement inappréciés par Casimir, mais qu’il les payait d’une haine qui n’avait absolument aucun fondement. Le 3 décembre 1830, Aurore Dudevant écrit à Boucoiran : « Sachez, qu’en dépit de mon inertie et de mon insouciance, de ma légèreté à m’étourdir, de ma facilité à pardonner, à oublier les injures, sachez que je viens de prendre un parti violent… Personne ne s’est aperçu de rien. Il n’y a pas eu de bruit. J’ai simplement trouvé un paquet à mon adresse, en cherchant quelque chose dans le secrétaire de mon mari. Ce paquet avait un air solennel qui m’a frappée. On y lisait : Ne l’ouvrez qu’après ma mort. Je n’ai pas eu la patience d’attendre que je fusse veuve. Ce n’est pas avec une tournure de santé comme la mienne qu’on doit compter survivre à quelqu’un. D’ailleurs, j’ai supposé que mon mari était mort et j’ai été bien aise de voir ce qu’il pensait de moi durant sa vie. Le paquet m’étant adressé, j’avais le droit de l’ouvrir sans indiscrétion, et, mon mari se portant fort bien, je pouvais lire son testament de sang-froid. Vive Dieu ! quel testament ! Des malédictions, et c’est tout. Il avait rassemblé là tous ses mouvements d’humeur et de colère contre moi, toutes ses réflexions sur ma perversité, tous ses sentiments de mépris pour mon caractère. Et il me

laissait cela comme un gage de sa tendresse ! Je croyais



AURORE DUDEVANT

Dessinée par elle-même

(1831)


rêver, moi qui, jusqu’ici, fermais les yeux et ne voulais

pas voir que j’étais méprisée. Cette lecture m’a enfin tirée de mon sommeil. Je me suis dit que, vivre avec un homme qui n’a pour sa femme ni estime ni confiance, ce serait vouloir rendre la vie à un mort. Mon parti a été pris et, j’ose le dire, irrévocablement. Vous savez que je n’abuse pas de ce mot. Sans attendre un jour de plus, faible et malade encore, j’ai déclaré ma volonté et décliné mes motifs avec un aplomb et un sang-froid qui l’ont pétrifié. Il ne s’attendait pas à voir un être comme moi se lever de toute sa hauteur pour lui faire tête. Il a grondé, disputé, prié. Je suis restée inébranlable. Je veux une pension, j’irai à Paris, mes enfants resteront à Nohant. Voilà le résultat de notre première explication »… La pauvre femme continue en lui disant que, naturellement, elle n’a aucune envie d’abandonner ses enfants, que ce n’était là qu’une feinte pour faire peur à Dudevant, qu’elle ne partira que si Boucoiran se décide à rester avec Maurice à Nohant, mais qu’en tout cas, elle a résolu de passer dorénavant six mois à Paris et « six mois à Nohant, près de mes enfants, voire près de mon mari que cette leçon rendra plus circonspect. Il m’a traitée jusqu’ici comme si je lui étais odieuse. Du moment que j’en suis assurée, je m’en vais. Aujourd’hui il me pleure, tant pis pour lui ! Je lui prouve que je ne veux pas être supportée comme un fardeau, mais recherchée et appelée comme une compagne libre, qui ne demeurera près de lui que lorsqu’il en sera digne. Ne me trouvez pas impertinente. Rappelez-vous comme j’ai été humiliée ! cela a duré huit ans ! » Puis elle prie Boucoiran de lui garder là-dessus le secret et le prie de lui adresser la réponse « poste restante. Ma correspondance n’est plus en sûreté »…

Aurore écriT encore à Boucoiran le 13 janvier 1831 (fragment inédit qui manque dans la « Correspondance »)[171] : « Mettez-y toute votre prudence naturelle. Ne laissez jamais passer celles que vous m’écrirez par les mains de mon mari. Fiez-vous médiocrement à mon frère, à Duteil et à André. Vincent est le seul sur qui vous puissiez compter et vous ferez bien de l’avertir qu’il n’ait jamais à remettre la réponse à d’autres qu’à vous. Le meilleur moyen de vous assurer de lui, c’est de lui dire que ces lettres sont de moi ou pour moi ; il est accoutumé à soigner religieusement ma correspondance. En outre je vous écrirai à La Châtre poste restante et vous recommanderez à Mme Decerfz ou à son remplaçant, si elle vient à perdre son bureau, comme il en est question, de ne remettre ces lettres qu’à vous ou à Vincent. Quand vous les aurez lues, jetez-les au feu ou serrez-les à clef, car je vous avertis que vous ne serez pas le premier dont les papiers aient été fouillés et examinés. Hélas ! quels détails dégoûtants ! Il faut que vous soyez bien mon ami pour n’en être pas rebuté… »

Il fut donc décidé qu’Aurore passerait tour à tour trois mois à Nohant et trois mois à Paris, et, qu’aussitôt établie dans cette ville, elle prendrait chez elle Solange, que, pendant ce temps, Maurice resterait avec son père et Boucoiran à Nohant, qu’il serait ensuite mis dans un collège, qu’enfin Dudevant payerait à Aurore les 3 000 francs qui lui étaient assignés par son contrat. Ceci pendant les six mois que sa femme passerait à Paris.

Hippolyte, Duteil et quelques autres amis essayèrent, aussitôt qu’ils eurent appris cet arrangement, d’en détourner Aurore et de l’effrayer. Seule, Émilie Châtiron qui connaissait parfaitement toutes les misères de la vie d’Aurore, comprit que la résolution de la jeune femme était la meilleure à laquelle elle pût avoir recours pour s’y soustraire et conjurer d’avance un dénouement plus funeste encore.

Dans l’Histoire de ma Vie, il n’est rien dit de l’événement dont parle la lettre, tout y est raconté de manière à laisser la cause définitive de la résolution d’Aurore assez inexpliquée. C’est ce qui fait que tous les biographes (à l’exception de miss Thomas, dont nous avons su plus haut reconnaître le mérite dû à son ouvrage[172]), s’étendent, en parlant de cet épisode de la vie d’Aurore Dudevant, sur son désir de gagner sa vie et regardent ce désir comme la raison définitive qui lui a fait abandonner Nohant, tandis qu’il n’en est qu’une des causes préliminaires. Sa lettre à Boucoiran prouve, au contraire, qu’Aurore voulait, avant tout, sauver sa personnalité, se mettre en dehors des volontés et du manque de volonté de son mari. Ce que nous avançons ici mérite une attention toute particulière, car c’est, selon nous, cette idée de liberté individuelle qui est la pierre angulaire de tous les écrits de George Sand. Cette « libération de l’individu », elle la prêcha toute sa vie et sous toutes les formes possibles, et non dans le sens étroit de la « femme libre » voire de « l’amour libre », comme beaucoup l’ont cru et le croient encore. Il semble que, seul, Dostoïevsky ait bien compris et bien rendu cette idée principale de toute l’œuvre de George Sand, ce qu’il y avait en elle d’éternellement vrai, de grand et d’inestimable et ce qui survivra au romantisme, au naturalisme, à toutes les écoles littéraires, quelles qu’elles puissent être.

Certes, L’histoire de la lettre « testament de Dudevant » trouvée par Aurore ne fut que la dernière goutte qui fit déborder la coupe de l’amertume ; néanmoins, si cette goutte ne fût pas tombée, Aurore Dudevant ne se fût peut-être pas décidée, au commencement de 1831, à s’établir à Paris. On dirait qu’elle l’a saisie au vol comme le prétexte qui allait la mettre hors de page, lui permettant de rompre avec Dudevant. Elle quitta Nohant le 4 janvier 1831. Au début de notre récit du mariage des Dudevant, nous avons signalé les trois causes qui peuvent assurer la stabilité du mariage. Le lecteur peu voir, par tout ce qui vient d’être dit, que c’est le manque de ces trois conditions, le manque d’harmonie dans la vie intellectuelle des deux époux, l’absence d’un amour vrai et du savoir-vivre extérieur qui amenèrent Aurore au désenchantement, au refroidissement et au divorce moral. En 1831, Aurore et Émilie Châtiron supposaient que cette séparation de facto serait la solution définitive de cette question embrouillée ; Aurore ne prévoyait pas qu’une autre cause — l’avenir des enfants à assurer — exigerait un jour une solution légale, et que pendant de longues années encore, même après son divorce, elle aurait à défendre ses droits et ceux de ses enfants. Quoiqu’il en soit, l’année 1831 fait époque dans la vie de Casimir et d’Aurore Dudevant ; et, à partir de ce moment, les deux époux se trouvent, vis-à-vis l’un de l’autre, dans une position toute nouvelle, ce qui nous permet de clore, par cet incident, le chapitre de la vie conjugale de George Sand.


CHAPITRE VI

(1831)


Inexactitudes de l’Histoire de ma Vie et erreurs des biographies. — Vie excentrique. — Amis berrichons. — Jules Sandeau. — Le comte de Kératry et de Latouche. — Rose et Blanche. — « Jules Sand » et « George Sand ». — La Molinara, Bigarrure, « Vision », La Fille d’Albano, Indiana, Valentine, La Marquise, Melchior, Le Toast, La Reine Mab.


Félix Pyat[173], un pays de George Sand comme on le sait, raconte dans ses Souvenirs[174] qu’en 1831, il fut un jour invité par Jules Sandeau à l’accompagner au bureau des diligences du Berry pour y rencontrer une dame de sa connaissance. Il vit descendre de l’impériale un jeune étudiant alerte, en jaquette de velours, coiffé d’un béret, qui, à son grand étonnement, se trouva être la baronne Dudevant. C’est ainsi qu’il fit la connaissance de la future George Sand dès le premier jour de son arrivée à Paris. Malheureusement ces mémoires doivent être rangés parmi récits apocryphes et légendaires auxquels sont si enclins tous ceux qui écrivent leurs souvenirs après coup, lorsque la mémoire leur fait déjà défaut et lorsque ce qu’ils ont entendu à diverses époques, imaginé ou inventé, vient se confondre sous leur plume avec des faits réellement vus et se transformer en quelque chose de vague et de nuageux, où il n’est plus possible de distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux[175].

Le petit étudiant à physionomie éveillée courut en effet plus tard les rues de Paris avec ses compagnons berrichons, mais ce n’est pas d’un coup que se métamorphosa la rêveuse amie de Zoé Leroy en ce gamin et en cet apprenti littéraire dont George Sand parle dans l’Histoire de ma Vie (chapitres XIII, XIV de la quatrième partie, vol. IV).

Une seule chose est exacte dans le récit de Pyat, c’est qu’à l’arrivée d’Aurore Dudevant à Paris, dans le courant de janvier 1831, Jules Sandeau l’y attendait déjà.

Le récit que George Sand elle-même nous fait dans l’Histoire de ma Vie de ses premiers pas à Paris n’est pas moins inexact. En guise d’introduction à ce récit, elle expose, mais d’une manière fort vague et obscure, les raisons pour lesquelles elle ne racontera plus ses faits et gestes dans leur ordre chronologique, quoique « ici, dit-elle, ma vie devienne plus active, plus remplie de détails et d’incidents[176] ». Elle prétend agir ainsi par générosité et par délicatesse envers les personnes dont la vie est trop étroitement liée à la sienne, pour ne pas être indiscrète envers elles. Elle préfère, ajoute-t-elle, se taire sur beaucoup de choses et sauter par-dessus, préférant même donner par là l’occasion de la calomnier, plutôt que d’avoir à accuser les autres et à se justifier, et, à partir de 1831, tout ordre chronologique dans l’Histoire de ma Vie est en effet interverti et dès les premières pages, racontant l’établissement d’Aurore Dudevant à Paris, le biographe ne doit plus la suivre à la lettre, tant son récit est embrouillé. Ainsi, George Sand commence par faire la description du logement qu’elle occupait quai Saint-Michel et par nous raconter comment elle a acheté des meubles et s’y est installée avec sa petite fille, pour ajouter aussitôt après, comme en passant, que c’était là son logement durant « la deuxième année de son séjour à Paris, mais que, d’abord, elle y avait vécu d’une manière très inusitée »… Par contre, la Correspondance nous apprend qu’elle avait d’abord logé rue de Seine, no 31[177], et que ce ne fut qu’au mois de juillet 1831, après une seconde arrivée de Nohant à Paris, qu’elle s’était installée au quai Saint-Michel, avait acheté des meubles et s’était fait un chez-soi ; qu’elle avait ensuite passé une fois deux mois à Nohant, était rentrée à Paris pour les mois de novembre et de décembre, était retournée à la campagne pour le mois de janvier 1832 et n’avait amené sa fille Solange à Paris qu’en avril de la même année[178]. Cependant, au chapitre XIII du vol. IV de l’Histoire de ma Vie, elle dépeint, dès les premières pages, son logement du quai Saint-Michel et raconte comment elle vivait à Paris « avec sa fille ». Puis elle fait tout à coup un retour à l’année 1831 et nous raconte sa vie « inusitée », puis elle revient encore une fois, et sans prévenir le lecteur, à 1832, en sorte que l’on peut perdre le fil du récit au milieu de ce gâchis chronologique. George Sand jette à dessein un voile sur cette nouvelle époque de sa vie, car son arrivée à Paris et la rupture avec son mari coïncidaient avec un autre événement important dans la vie d’Aurore Dudevant : sa liaison avec Jules Sandeau.

Léonard-Sylvin-Julien Sandeau, un berrichon encore comme George Sand et Pyat, naquit Le 19 février 1811 à Aubusson. Il se préparait au barreau et faisait son droit à Paris. C’est en 1820 ou 1830, qu’il fit la connaissance des Dudevant au Coudray, près La Châtre, chez des amis communs, les Duvernet. Étant le camarade de Fleury, de Charles Duvernet, de Papet et de Gabriel de Planet, il se lia bientôt d’amitié avec Aurore et son jeune protégé Boucoiran. Tous ces jeunes gens se voyaient tantôt chez l’un, tantôt chez L’autre ; on s’amusait, on faisait des promenades, on dansait ou on faisait de la musique[179]. Mais ce qui les intéressait surtout, c’était la littérature et sa nouvelle école. (Ce goût de la Littérature n’a rien qui puisse nous étonner, car presque tous les membres de cette petite société intime, à commencer par George Sand et Sandeau, entrèrent plus tard, de façon ou d’autre, dans la carrière littéraire. C’étaient tous des écrivains ou des amateurs de littérature en herbe.) On faisait souvent des lectures à haute voix et on s’enthousiasmait surtout pour le chef du romantisme, Victor Hugo. Ses œuvres étaient avidement dévorées, ainsi que les articles de Sainte-Beuve. Aurore et ses jeunes amis se moquaient bien du style de la nouvelle école romantique et de ses exagérations, ils les parodiaient même dans leurs lettres, mais Victor Hugo restait néanmoins pour eux un objet d’admiration et de vénération.

Les relations d’Aurore avec ces jeunes gens étaient simples et cordiales, une vraie camaraderie, avec cette teinte de bohème romantique, que, sous l’influence des idées saint-simoniennes flottant dans l’air et du romantisme naissant, George Sand adopta dès lors envers ses amis masculins et qu’elle professa toute sa vie.

Chaque fois qu’un des membres de la petite société partait pour Paris pendant que les autres restaient à Nohant ou à La Châtre, une lettre était aussitôt écrite en commun et expédiée à l’absent. Parmi les lettres inédites de George Sand, on trouve plusieurs épîtres humoristiques à Duvernet, écrites en commun ou tour à tour, en vers et en prose, par Aurore, Sandeau et Fleury. Elles sont pleines de verve et d’une gaieté exubérante.

L’une d’elles est signée comme suit :

Aurore Dudevant

hugolâtre !

Jules Sandeau
hugolâtre ! !

Alphonse Fleury

hugolâtre ! ! !

Lorsque, en 1830, tous ces messieurs partirent pour Paris, ils envoyèrent à leur tour à Aurore une lettre collective, à laquelle elle répondit par les deux missives humoristiques publiées dans la Correspondance. L’une d’elles porte le titre. « Épître romantique à mes amis, Sandeau, Fleury, Duvernet », et l’autre est écrite sous forme de « Réclamation adressée par le chien Brave à MM. Fleury et Duvernet, pour offense à la personne du dit Brave et diffamation gratuite auprès de sa protectrice, dame Aurore, châtelaine de Nohant et de beaucoup de châteaux en Espagne, dont la description serait trop longue à mentionner ». Le chien Brave porte plainte contre ces messieurs, qui l’accusaient de « traiter de factieux les glorieux libérateurs de la patrie », de lire la Quotidienne et d’autres crimes semblables.

Ces épitres drolatiques nous peignent de la manière la plus attrayante le parfait accord et la gaieté qui régnaient parmi cette jeunesse. Bien autrement remarquable encore est la fin de la lettre du 27 octobre 1830, adressée à Jules Boucoiran et imprimée en entier dans la Revue des Deux-Mondes, de 1881, parmi les quatorze lettres de George Sand, mais qui, pour une raison quelconque, fut tronquée lors de son impression dans la Correspondance[180] et où George Sand dit : « Les cancans vont leur train à la Châtre plus que jamais. Ceux qui ne m’aiment guère disent que j’aime Sandot[181] (vous comprenez la portée du mot) ; ceux qui ne m’aiment pas du tout disent que j’aime Sandot et Fleury à la fois ; ceux qui me détestent, que Duvernet et vous, par-dessus le marché, ne me font pas peur. Ainsi, j’ai quatre amants à la fois. Ce n’est pas trop quand on a comme moi les passions vives. Les méchants et les imbéciles ! Que je les plains d’être au monde ! Bonsoir, mon fils, écrivez-moi. Et à propos, Sandot m’a chargé de le rappeler spécialement à votre souvenir. Il vous aime, cela ne m’étonne pas. Aimez-le aussi, il le mérite ».

Si, comme on le voit, tout le monde dans cette petite société était lié d’amitié, il y avait deux de ses membres, les deux Jules, qui étaient tout particulièrement chers à Aurore : Boucoiran et Sandeau. Dans le chapitre précédent nous avons vu que c’est à Boucoiran qu’Aurore, avant tout autre, avait communiqué les détails de sa catastrophe de famille et de la résolution qu’elle avait prise de quitter le toit conjugal. Elle ne s’éloigne de Nohant qu’après avoir reçu de Boucoiran la promesse de diriger l’éducation de ses enfants pendant ses absences. Les lignes que nous venons de citer nous apprennent, d’autre part, que les calomnies de la Châtre lui donnaient déjà alors Sandeau pour amant. La médisance anticipait beaucoup sur les faits, car les rapports entre Aurore et Sandeau ne devinrent intimes que beaucoup plus tard[182].

À l’époque où Aurore Dudevant quitta son mari, ses rapports avec Sandeau n’étaient encore que purement amicaux, un peu « bohèmes » comme nous l’avons dit plus haut, quoique plus intimes qu’avec les autres jeunes gens de son cercle. Dans ses Lettres à Émile Regnault, Aurore raconte comment naquit cet amour, comment ils se voyaient souvent dans le petit bois entre Nohant et le château d’Ars et comment Jules devina le sentiment qu’elle lui portait avant qu’elle s’en rendit compte elle-même. Naïvement et candidement, elle dit, qu’en apercevant au salon un tas de chapeaux gris à peu près les mêmes, elle s’empressait de reconnaître au « lacet rouge » qui distinguait le chapeau de Jules, si Jules était là, sans s’avouer qu’elle l’attendait.

En arrivant à Paris, Aurore y retrouva la même société de jeunes Berrichons. Jouissant d’une pleine liberté, elle voulut plus que jamais se mettre avec eux sur le pied de l’égalité, secouer tout préjugé, toute chaîne qui l’empêchât de partager en camarade l’existence de ses amis, adonnée aux intérêts les plus brûlants, aux projets les plus hardis. Elle eut tout d’abord à « liquider » son passé, à quitter ses anciennes liaisons mondaines, pour commencer une vie nouvelle et se faire un avenir à sa guise. Elle commença par rompre avec ceux de ses parents et amies, qui auraient désapprouvé sa démarche, qui auraient jeté le haro et se seraient éloignés d’elle en apprenant qu’elle avait quitté le toit conjugal. Elle alla donc au couvent faire ses adieux à ses Sœurs bien-aimées, puis elle fit une visite aux demoiselles Bazouin, alors mariées et devenues comtesses, et à quelques autres de ses amies du grand monde. Elle ne leur révéla rien. Elle leur promit même de revenir, quoiqu’elle sût parfaitement qu’elle les voyait pour la dernière fois, que le temps viendrait bientôt, où, malgré leur attachement, elles n’oseraient plus la recevoir, et, à leur corps défendant, se détourneraient d’elle comme d’une femme qui avait foulé aux pieds toutes les règles de la morale. Elle revit encore quelques autres amies mondaines et irréprochablement morales, puis, ces visites finies, elle brûla ses vaisseaux, et devint définitivement « gamin » et « apprenti littéraire ». Alors commencèrent pour elle les Lehr und Wanderjahre — « Années de voyages et d’apprentissage. »

La situation matérielle d’Aurore était bien pénible. La somme consentie par son mari était trop minime et Mme Dudevant dut économiser sur toutes choses, nourriture, vêtements, billets de théâtre trop coûteux, livres nouveaux. Elle voulait cependant ne pas rester en arrière de ses camarades et prendre sa part de leurs plaisirs. Dans ses courses à travers Paris, par tous les temps, à chaque heure du jour et de la nuit, les belles robes et les fines chaussures s’abîmaient ; elles l’empêchaient en outre d’aller partout sans attirer l’attention et sans scandaliser ceux qui la voyaient. N’oublions pas qu’à cette époque, les dames n’occupaient jamais aux théâtres que les places de loges et de balcon et ne sortaient pas seules le soir. En ces années, où l’on se serait récrié d’horreur à la vue d’une bicycliste contemporaine ou d’une femme portant un petit chapeau d’homme et un de ces costumes tailleurs mi-masculins avec gilet et cravate, si reçus de nos jours, les dames recouraient dans les circonstances les plus diverses au costume masculin, et Byron n’a rien inventé d’invraisemblable en obligeant ses amoureuses à se travestir en hommes pour accompagner ainsi leurs amants dans leurs voyages à travers le monde. Lorsque Lamartine rencontra à Rome le chanteur David avec sa fille Camille, celle-ci, pour plus de commodité, accompagnait son père, habillée en garçon. La mère et la tante d’Aurore Dudevant, dans leur jeunesse, faute d’avoir assez de fortune pour prendre des loges trop coûteuses, accompagnaient leurs maris au spectacle en costume d’homme, sans aucune prétention au « féminisme » ni à l’émancipation. Non loin de Nohant, demeurait une jeune comtesse avec son père ; elle portait des vêtements d’homme pour chasser le lièvre, et c’est ce qui avait inspirée Deschartres l’idée de conseiller à Aurore d’en porter aussi pour aller à la chasse. D’ailleurs Mme Dudevant avait déjà revêtu tant de fois ce costume dans la vie et sur la scène, qu’elle trouvait maintenant tout naturel de l’adopter sans rien vouloir « prouver » par là, mais tout simplement pour faire des économies et parce qu’elle le trouvait pratique. De nos jours, quand les hommes portent les cheveux coupés ras et que tous s’habillent uniformément en frac ou en veston, en culotte étroite et en chapeaux de haute forme, ce qui, selon l’expression d’un écrivain d’esprit, leur donne à tous un air de « piteux ramoneurs » — une femme habillée en homme serait aussitôt reconnue, comme Mme Dieulafoi qui se fait trop remarquer en frac, avec sa boutonnière décorée. Il n’en était pas ainsi à Paris, en 1830. On était alors en plein romantisme. Il suffit de lire la description de la maison La Chilpéric et de ses habitants dans les Mémoires d’un Anglais à Paris[183] pour se faire une idée des costumes extravagants, moyen-âgeux ou fantastiques, des coiffures impossibles et des chapeaux étranges, que portaient Les jeunes poètes et les artistes du quartier latin. C’était une mascarade permanente. Si Aurore se fût même costumée en Raphaël — cheveux jusqu’aux épaules et béret à larges bords — ou quelque autre costume historique, commode pour une femme, personne n’y aurait reconnu une dame ; mais elle s’habillait en simple bourgeois de l’époque. La mode du temps facilitait ce travestissement. « Les hommes portaient de longues redingotes carrées dites à la propriétaire, qui tombaient jusqu’aux talons et qui dessinaient si peu la taille » que le frère d’Aurore, Hippolyte, avait dit en riant : « le tailleur prend mesure sur une guérite et ça irait à ravir à tout un régiment ». Aurore endossa donc une « redingote-guérite », se noua une grosse cravate en laine, se fit couper ses boucles noires jusqu’aux épaules, et mit un chapeau de feutre mou.

George Sand nous dit avec raison que, même sur le théâtre, les femmes ne trahissent leur sexe que par leur trop grand désir de plaire et de faire impression ; mais comme le meilleur moyen pour une femme, qu’elle soit habillée en homme ou en femme, pour passer inaperçue, est de sacrifier l’éclat de ses yeux, ce déguisement lui réussit parfaitement. Sans attirer l’attention de personne, elle put courir les rues, fréquenter les cafés, les cabarets, aller aux places à bon marché au théâtre, prendre part aux réunions des clubs républicains et des Saints-Simoniens, visiter les ateliers des peintres et les musées, gravir les tours de Notre-Dame et assister aux conférences des sociétés savantes, en un mot, aller partout avec les trois ou quatre amis berrichons, qui composaient son cénacle pendant les premiers mois de son séjour à Paris. C’étaient Félix Pyat, Jules Sandeau et de Latouche[184], auxquels se joignaient parfois Charles Duvernet et Alphonse Fleury, surnommé par eux « le Gaulois » ou « le Germanique ». Le député Duris-Dufresne, dont nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion de parler, et qui, dans les premiers temps, aidait Aurore à se mettre en relation avec le monde littéraire de Paris, venait souvent compléter leur société.

Nous ne reproduirons pas ici les belles pages de l’Histoire de ma Vie ou George Sand raconte avec tant de verve et d’entrain le passe-temps de ses joyeux compagnons, toutes les farces inventées par eux au milieu de leur vagabondage à travers Paris, leur gaieté contagieuse leur faisant oublier pauvreté, privations et adversités de fortune. Les souvenirs de George Sand se rapportant à cette époque respirent la fraîcheur, la joie de vivre. Toute cette généreuse jeunesse était pleine de foi en l’idéal, portée à l’héroïsme, rêvait la gloire, aspirait à transformer, sinon le monde, au moins la littérature. Pouvait-on regretter un dîner, qu’on ne pouvait se payer, lorsqu’il s’agissait d’une soirée au théâtre, où se donnait un nouveau drame de Victor Hugo ou une pièce de de Latouche où il fallait siffler ou applaudir, car on « luttait pour le bon principe ». Était-ce la peine de se soucier du froid de la mansarde, lorsque les articles de de Latouche, de Planche ou de Sainte-Beuve échauffaient tous les cœurs, soulevaient des tempêtes d’enthousiasmes et d’espérances, d’indignation et de ressentiment ?

Comme un jeune aigle échappé de sa cage, ivre de sa liberté, assoiffée de savoir, brûlant d’une fièvre d’activité, les yeux grands ouverts sur toutes les merveilles qui s’ouvraient devant elle, Aurore Dudevant se trouva jetée à Paris, et dans quel Paris ? Dans ce Paris de 1831, au lendemain d’une révolution, lorsque la vie sociale, artistique et intellectuelle, ressemblait à une mer après une tempête, quand ses flots, non encore calmés, rejettent sur la plage de beaux coquillages, de merveilleuses herbes marines, des perles précieuses, mais aussi des monstres expirés, des mollusques repoussants et des épaves de navires brisés. La littérature, les arts, les doctrines sociales, la religion, tout était en fermentation, tout semblait renaître à une vie nouvelle ; chaque jour, surgissaient de nouveaux écrivains et de nouveaux livres, de nouveaux prédicateurs et de nouveaux systèmes, de nouvelles pièces de théâtre et de nouveaux projets de bonheur universel. Et tout cela, il fallait le connaître au plus vite, le voir, l’entendre ; il fallait, en outre, ne plus être une campagnarde arriérée, plonger dans le tourbillon de la vie parisienne, saisir au vol l’esprit du temps « être dans le train », selon l’expression des héroïnes de Gyp, mot que George Sand n’aurait certes pas employé, mais ce qu’elle nous dit à ce propos en a bien le sens : « … J’étais avide de me déprovincialiser et de me mettre au courant des choses, au niveau des idées et des formes de mon temps ».

Elle avait l’air de vouloir rattraper le précieux temps perdu à Nohant et à La Châtre, dans une vie uniforme, banale, dénuée de tout intérêt[185]. Elle avait trop peu de vingt-quatre heures par jour pour voir, entendre, prendre connaissance de tout ce qui l’intéressait. Comme Liszt, autre génie de l’époque, elle courait, du musée du Louvre à l’église, pour entendre le prédicateur célèbre ; d’une conférence au théâtre, pour entendre chanter la Malibran[186], ou voir un nouveau drame de Victor Hugo ; de la bibliothèque où elle dévorait à l’instant tout ce qui paraissait, ou ce qu’elle ignorait des grandes œuvres littéraires, elle allait errer dans le vieux Paris, dont raffolaient les romantiques, ou assister à quelque réunion saint-simonienne[187]. Tout l’intéressait, tout l’attirait. Chaque jour il arrivait à Aurore de faire la connaissance de quelque personnalité plus ou moins célèbre du monde littéraire ou artistique de Paris. Elle se réjouissait de chaque nouvelle relation sortant de l’ordinaire, espérait toujours — comme elle le dit avec beaucoup de candeur — entendre quelque chose de bon, de beau et « devenir meilleure ». Dans toute personne éminente, écrivain ou artiste, elle saluait une nouvelle « lumière », de chacune elle attendait « une nouvelle parole », une idée profonde, une révélation.

Recherchant partout quelque manifestation éclatante du génie humain, elle ne soupçonnait pas que cette soif de lumière, cette ardeur intarissable, qui tendait à s’ouvrir des horizons nouveaux, encore confus pour elle, ce vif désir de savoir, d’élargir ses vues, que tout cela la distinguait des femmes ordinaires, l’élevait au-dessus de la foule et attirait à elle tous ceux qui étaient capables de la comprendre et de l’apprécier. Elle, qui se croyait heureuse de se trouver dans la société des élus, ne soupçonnait pas qu’elle était elle-même marquée du sceau du génie.

On ne pouvait cependant pas toujours se borner au rôle de spectateurs et de dilettanti, il fallait travailler. Dans les deux dernières années qu’elle avait passées à Nohant, Aurore avait essayé de diverses occupations et « métiers » et s’était décidée pour celui d’écrivain. Nous avons dit déjà qu’il serait absolument erroné de croire que c’était après son arrivée à Paris et la rupture avec son époux, qu’elle fit tous ces essais. C’est cependant là une erreur, qui, ainsi que nous l’avons fait remarquer, se rencontre chez tous les biographes de George Sand.

En 1831 elle ne s’était donc plus « essayée » à différents métiers, mais elle se mit immédiatement à écrire pour se créer des ressources, ce que l’on peut du reste voir par toutes ses lettres publiées ou inédites. Il est très intéressant, très instructif aussi, de suivre dans cette correspondance tous les tourments et la rude école par lesquels elle eut à passer dans les premiers temps de son apprentissage littéraire. Sous ce rapport, ses Lettres nous présentent une source bien plus féconde et des données bien plus véridiques que l’Histoire de ma Vie, où toutes ces difficultés sont racontées d’une manière plus ou moins adoucie, et où nous trouvons beaucoup de lacunes et d’inexactitudes : disons plus, les lettres et l’Histoire de ma Vie se contredisent même assez souvent. Dans l’Histoire de ma Vie, George Sand dit qu’elle s’adressa d’abord, par l’entremise de Duris-Dufresne, à Kératry, l’auteur du Dernier des Beaumanoir, écrivain qui jouissait alors d’une grande réputation, mais aujourd’hui entièrement oublié. Elle raconte comme quoi il la reçut d’une manière fort peu aimable, qu’elle vit, dès l’abord que ce n’était pas le guide qu’il lui fallait, que leurs idées, leurs habitudes et leurs goûts différaient complètement, qu’elle ne remit donc plus les pieds chez lui et qu’elle s’adressa ensuite à de Latouche. Celui-ci rit beaucoup du conseil que Kératry lui avait donné de « ne pas faire de livres, mais des enfants », à quoi elle aurait répondu : « Gardez le précepte pour vous-même, si bon vous semble » ou même, d’après la version de de Latouche : « Faites-en vous-même, si vous pouvez[188] », et que c’est alors que de Latouche l’aida dans les premiers pas à faire dans la carrière littéraire.

Dans la Correspondance de George Sand, nous lisons aussi que de Latouche, pour lequel elle avait une lettre de recommandation, la reçut très aimablement, mais qu’il n’approuva pas son roman (Aimée ?) et la fit entrer dans le journalisme ; qu’il était très sévère et ne lui passait rien, mais que ce fut lui seul qui l’aida en tout et devint aussitôt un ami pour elle.

Mais, par les lettres inédites à son mari[189], nous voyons que tout d’abord elle s’était bien adressée à de Latouche pour qui elle avait réellement une lettre de recommandation de la part de Mme Duvernet mère, tante de de Latouche, que celui-ci reçut la jeune aspirante avec beaucoup d’affabilité, mais qu’il ne lui plut pas. Ses manières lui avaient paru antipathiques et lui-même ne lui avait inspiré aucune confiance. C’est alors qu’elle s’était adressée à Duris-Dufresne en le priant de la recommander à Kératry. Dans ses lettres, datées de janvier à mars 1831, elle dit à plusieurs reprises qu’elle ne veut pas avoir affaire à de Latouche, ni même suivre ses conseils, que Kératry lui plaît beaucoup mieux, mais qu’elle prie son mari de ne souffler mot là-dessus devant les Duvernet, peur ne pas offenser Mme Duvernet et pour que la nouvelle de ses rapports avec Kératry n’arrive pas aux oreilles de de Latouche. Le fils du comte de Kératry a donc eu parfaitement raison quand il protesta, dans le Figaro[190], contre ce qui est dit de son père dans « l’Histoire de ma Vie » et que, pour le prouver, il publia des lettres d’Aurore Dudevant à son père. Il est hors de doute qu’au début, les relations entre elle et Kératry furent amicales et agréables, que Kératry désirait l’aider autant qu’il le pouvait[191], et que ce ne fut qu’au bout de quelques temps qu’ils virent combien ils se convenaient peu par leurs idées et leurs goûts. Cela n’arriva que plusieurs mois après l’installation de Mme Dudevant à Paris. Le 4 mars 1831 elle écrit à Boucoiran. « J’ai revu Kératry et j’en ai assez. Hélas ! Il ne faut pas voir les célébrités de trop près »… Il est donc évident que ce n’est pas de Latouche qui la conseilla le premier, mais que son premier conseiller fut Kératry. Il est évident aussi que ce n’est pas Duris-Dufresne « qui combattit son projet d’aller voir de Latouche contre lequel il avait de fortes préventions » — comme elle l’écrit dans l’« Histoire[192] » mais qu’elle-même, ayant, dès son arrivée à Paris et avant de connaître Kératry, fait la connaissance de de Latouche, ressentit aussitôt de la défiance et de l’antipathie pour lui, tâcha de l’éviter et se tint sur la réserve jusqu’à ce qu’elle eût compris quel brave cœur, toujours prêt à aider ses jeunes confrères, se cachait sous son extérieur revêche, et alors leurs relations devinrent très amicales. Dans les commencements, de Latouche se montra effectivement d’une grande sévérité envers la novice ; la petite fille de Marie-Aurore de Saxe fut très choquée de ses manières brusques et de son ton autoritaire, l’impression fut — comme nous l’avons vu — que Kératry était plus agréable et elle prétendait « ne pas aimer de Latouche et ne pas vouloir lui être obligée[193] ».

Le 15 janvier elle avait cependant déjà l’intention d’aller avec de Latouche chez Mme Récamier où elle espérait voir Delphine Gay et plusieurs autres célébrités littéraires. Le 19 janvier, Aurore écrit encore, comme toujours d’un ton humoristique, à Charles Duvernet qu’elle était allée avec Fleury chez de Latouche, « car, dit-elle, il aurait fallu deux mulets pour traîner jusque-là mes œuvres légères, qui avaient cependant du poids », que de Latouche l’avait reçue d’une manière charmante — ce qu’elle attribue à la protection de la vieille Mme Duvernet — mais le résultat de sa visite avait été que « son roman était déclaré n’avoir pas le sens commun ». De Latouche lui dit encore « qu’il fallait tout refaire, que je ferais bien de recommencer, à quoi j’ai ajouté : Suffit ».

Elle essaya ensuite, comme elle le dit dans la lettre à son mari de la fin de janvier dont il a été déjà question, de faire paraître une œuvre dans la Revue de Paris, mais là on lui dit qu’on ne pouvait l’accepter, « le nom de l’auteur n’étant pas connu ». « De Latouche, — ajoute-t-elle dans une autre lettre à son mari, écrite à la fin de février, — promet d’en inventer un… »

Dans la lettre déjà citée, du 19 janvier, adressée à Charles Duvernet, elle parle avec plus de détails de ses rapports avec la Revue de Paris et de son rédacteur en chef, M. Véron. « Quant à la Revue de Paris, dit-elle, elle a été tout à fait charmante. Nous lui avons porté un article incroyable. Jules l’a signé, et, entre nous soit dit, il en a fait les trois quarts ; car j’avais la fièvre. D’ailleurs, je ne possède pas comme lui le genre sublime de la Revue de Paris. M. Véron a promis solennellement de le faire insérer et il l’a trouvé bien. J’en suis charmée pour Jules. Cela nous prouve qu’il peut réussir. J’ai résolu de l’associer à mes travaux ou de m’associer aux siens, comme nous voudrez. Tant y a qu’il me prête son nom, car je ne veux pas paraître, et je lui prêterai mon aide quand il en aura besoin. Gardez-nous le secret sur cette association littéraire (vraiment j’ai un choix d’expressions délicieux !) On m’habille si cruellement à La Châtre (vous n’êtes pas sans le savoir) qu’il ne manquerait plus que cela pour m’achever. Après tout je m’en moque un peu ; l’opinion que je respecte, c’est celle de mes amis. Je me passe du reste… Je n’ai pas parlé de Jules à M. de Latouche, sa protection n’est pas très facile à obtenir, m’a-t-on dit. Sans la recommandation de votre maman, j’aurais pu la rechercher longtemps sans succès. J’ai donc craint qu’il ne voulut pas l’étendre à deux personnes. Je lui ai dit que le nom de Sandeau était celui d’un de mes compatriotes, qui avait bien voulu me le prêter. En cela, je suivis son conseil, car il est bon que je vous le dise, M. Véron, le rédacteur en chef de la Revue, déteste les femmes et n’en veut pas entendre parler ».

Aurore ajoute qu’elle explique tout cela pour que Mme Duvernet ne soit pas étonnée en trouvant dans la Revue le nom de Sandeau… « Quand nous serons assez avancés pour voler de nos propres ailes, je lui laisserai tout l’honneur de la publication et nous partagerons les profits (s’il y en a). Pour moi, âme épaisse et positive, il n’y a que cela qui me tente… »

Voilà combien Aurore Dudevant était alors modeste et à quel point les premiers pas dans le chemin de la gloire furent difficiles à George Sand. De Latouche, qui avait toutefois deviné le talent littéraire de la jeune femme, lui conseilla, si elle voulait devenir un véritable écrivain, d’observer autant que possible, de connaître la vie sous toutes ses faces et dans toutes ses variétés avant de se mettre à écrire. Mais, comme il la voyait assez embarrassée par la vie matérielle, il lui offrit les mêmes occupations qu’à Félix Pyat et à Jules Sandeau, c’est-à-dire de s’employer à la rédaction du Figaro. Voilà donc Aurore, commençant son « apprentissage littéraire », en oubliant pour le moment son rêve d’écrire des romans. Elle s’y mit avec le même zèle et la même soumission que les garçons apprentis apportent à s’approprier les premiers éléments de leur métier. Chaque jour la jeune femme se mettait à sa petite table dans le cabinet de rédaction, écrivant sur un sujet qu’on lui avait donné, tantôt un récit fantastique, tantôt une chronique de la vie politique, tantôt une bigarrure.

De Latouche, toujours mécontent de ce qu’elle écrivait, déchirait ce qu’elle avait fait et lui faisait refaire plusieurs fois la même chose. Aurore se désespérait. Il lui semblait qu’elle ne serait jamais capable de mériter l’approbation de son sévère censeur, de plaire au public, d’écrire des notices mordantes et des pages « dans le goût du temps », comme savaient en faire les autres collaborateurs du journal. Cependant elle ne perdait pas de vue le but qu’elle s’était fixé, ne perdait pas non plus courage et continuait à travailler ferme. Le 4 mars elle écrit à Boucoiran :

« Je suis plus que jamais résolue à suivre la carrière littéraire. Malgré les dégoûts que j’y rencontre parfois, malgré les jours de paresse et de fatigue, qui viennent interrompre mon travail, malgré la vie plus que modeste que je mène ici, je sens que mon existence est désormais remplie. J’ai un but, une tâche, disons le mot, une passion. Le métier d’écrire en est une violente, presque indestructible. Quand elle s’est emparée d’une pauvre bête, elle ne peut plus la quitter. Je n’ai point eu de succès. Mon ouvrage a été trouvé invraisemblable par les gens auxquels j’ai demandé conseil. En conscience, ils m’ont dit que c’était trop bien de morale et de vertu pour être trouvé probable par le public. C’est juste, il faut servir le pauvre public à son goût, et je vais faire comme le veut la mode. Ce sera mauvais. Je m’en lave les mains. Il faut que les noms connus passent avant moi. C’est trop juste. Patience donc. Je travaille à me faire inscrire dans la Mode et dans l’Artiste, deux journaux du même genre que la Revue. C’est bien le diable si je ne réussis dans aucun.

« En attendant il faut vivre. Pour cela je fais le dernier des métiers, je fais des articles pour le Figaro. Si vous saviez ce que c’est ! Mais on est payé sept francs la colonne et avec ça on boit, on mange, on va même au spectacle, en suivant certain conseil que vous m’avez donné. C’est pour moi l’occasion des observations les plus utiles et les plus amusantes. Il faut, quand on veut écrire, tout voir, tout connaître, rire de tout. Ah ! Ma foi, vive la vie d’artiste ! Notre devise est liberté !

« Je me vante un peu pourtant. Nous n’avons pas précisément la liberté au Figaro. M. de Latouche, notre digne patron (ah ! si vous connaissiez cet homme-là !) est sur nos épaules, taillant, rognant à tort et à travers, nous imposant ses lubies, ses aberrations, ses caprices. Et nous, d’écrire comme il l’entend ; car, après tout, c’est son affaire, nous ne sommes que ses manœuvres ; ouvrier-journaliste, garçon-rédacteur, je ne suis pas autre chose pour le moment[194] !… »

Deux jours plus tard, le 6 mars, Mme Dudevant communique à Duvernet qu’enfin elle a eu du succès. La Molinara parue dans le Figaro du 3 mars sans nom d’auteur, fit une grande impression, intéressa vivement les lecteurs, et tout le monde voulut savoir qui avait écrit l’article. Le 5 mars parut la Vision, écrite par Jules Sandeau, mais corrigée par Aurore Dudevant, et, dans le même numéro une Bigarrure, — « nouvelle à la main », un petit entrefilet politique écrit par elle seule. Cet entrefilet plut beaucoup au public qui le trouva « profond » ; la censure, qui y trouva des allusions contre le gouvernement, s’en mêla, voulut traîner le rédacteur du journal devant les tribunaux et même l’incarcérer. En un mot, la « Bigarrure » eut un succès de scandale. Mme Dudevant écrit dans la même lettre du 6 mars[195] : « Alors le roi-citoyen s’est fâché. Et voilà qu’on a saisi le Figaro et qu’on lui a intenté un procès de tendance. Si on incrimine les articles en particulier, le mien le sera pour sûr. Je m’en déclare l’auteur et je me fais mettre en prison. Vive Dieu ! Quel scandale à La Châtre ! Quelle horreur, quel désespoir dans ma famille ! Mais ma réputation est faite, et je trouve un éditeur pour acheter mes platitudes et des sots pour les lire. Je donnerais neuf francs cinquante centimes pour avoir le bonheur d’être condamnée !… »

Elle ne fut ni poursuivie, ni condamnée, mais cela contribua à lui faire une certaine réputation. Bientôt après elle fit paraître, dans la Revue de Paris, une petite nouvelle la Prima-Donna[196], et le 15 mars, dans la Mode : La Fille d’Albano. Plus tard, George Sand avait si complètement oublié ce récit, que, quand le futur historien de ses œuvres, le vicomte de Spoelberch lui demanda si c’était elle qui l’avait écrit, elle dit d’abord que non ; mais quand il lui en eut montré le texte, elle reconnut ce récit.

En avril, Aurore partit pour Nohant où elle resta jusqu’en juillet, se reposant, au milieu de la nature, de sa vie de travail de l’agitation de Paris, s’occupant de ses enfants, Maurice et Solange, et de sa petite nièce Léontine. Revenue à Paris au commencement de juillet et désirant s’installer plus commodément, elle se logea, quai Saint-Michel, dans cette grande maison, qu’elle décrit dans l’Histoire de ma Vie, immédiatement après avoir raconté son arrivée en janvier à Paris ; elle s’acheta quelques meubles et en loua d’autres. Bien que ses ressources fussent supérieures à ce qu’elles étaient lors de son premier voyage à Paris, sa vie restait cependant toujours difficile. « Je cherchai un logement et m’établis bientôt quai Saint-Michel, dans une des mansardes de la grande maison qui fait le coin de la place, au bout du pont, en face de la Morgue[197]. J’avais là trois petites pièces très propres donnant sur un balcon, d’où je dominais une grande étendue du cours de la Seine et d’où je contemplais face à lace les monuments gigantesques de Notre-Dame, Saint-Jacques-la-Boucherie, la Sainte-Chapelle, etc. J’avais du ciel, de l’eau, de l’air, des hirondelles, de la verdure sur les toits ; je ne me sentais pas trop dans le Paris de la civilisation, qui n’eût convenu ni à mes goûts, ni à mes ressources, mais plutôt dans le Paris pittoresque et poétique de Victor Hugo, dans la ville du passé.

« J’avais, je crois, 300 francs de loyer par an. Les cinq étages de l’escalier me chagrinaient fort, je n’ai jamais su monter ; mais il le fallait bien et souvent avec ma grosse fille dans les bras[198]. Je n’avais pas de servante ; ma portière, très fidèle, très propre et très bonne, m’aida à faire mon ménage pour 15 francs par mois. Je me fis apporter mon repas de chez un gargotier très propre et très honnête aussi, moyennant 2 francs par jour. Je savonnais et repassais moi-même le fin. J’arrivai alors à trouver mon existence possible dans la limite de ma pension. Le plus difficile fut d’acheter des meubles[199]… »

Pour s’acheter des meubles[200] elle fut obligée d’emprunter de l’argent à de Latouche. Toutes ses lettres inédites à son mari et à Hippolyte, datées de la seconde moitié de 1831 et du commencement de 1832, sont remplies de ses soucis et de ses inquiétudes à propos du payement de cette dette. Longtemps elle ne sut comment l’acquitter. Elle demanda à Hippolyte de la cautionner ; il refusa d’abord, consentit ensuite et même lui avança 500 francs. Dans un de ses voyages à Paris, Casimir Dudevant paya gracieusement le restant de la dette de sa femme. À la fin de 1831, la vie extérieure d’Aurore devint par là plus tranquille et plus régulière, ce qui lui permit d’être plus sédentaire.

À cette époque, ses rapports avec Jules Sandeau étaient déjà tout autres que son amour mystique pour Aurélien de Sèze. Aurore se regardait maintenant comme parfaitement libre, pouvant disposer de sa personne comme elle l’entendait. Elle prétendait jouir du même droit de liberté que son mari, comme le prouvent ces quelques lignes d’une lettre écrite de Nohant à sa mère, dans laquelle elle réfute, on ne sait trop pourquoi ni comment, le bruit, arrivé aux oreilles de Mme Dupin, qu’elle s’habillait en homme : « On vous a dit que je portais culotte, on vous a bien trompée ; si vous passiez vingt-quatre heures ici, vous verriez bien que non. En revanche je ne veux point qu’un mari porte mes jupes. Chacun son vêtement, chacun sa liberté. J’ai des défauts, mon mari en a aussi, et, si je vous disais que notre ménage est le modèle des ménages, qu’il n’y a jamais eu un nuage entre nous, nous ne le croiriez pas. Il y a dans ma position, comme dans celle de tout le monde, du bon et du mauvais[201]. Le fait est que mon mari fait tout ce qu’il veut ; qu’il a des maîtresses ou n’en a pas, suivant son appétit ; qu’il boit du vin muscat ou de l’eau claire, selon sa soif ; qu’il entasse ou dépense, selon son goût ; qu’il bâtit, plante, change, achète, gouverne son bien et sa maison, comme il l’entend. Je n’y suis pour rien »… Et aussitôt ajoute-t-elle fermement : « Il est bien juste que cette grande liberté dont jouit mon mari soit réciproque ; sans cela il me deviendrait odieux et méprisable ; c’est ce qu’il ne veut point être. Je suis donc entièrement indépendante ; je me couche quand il se lève, je vais à La Châtre ou à Rome, je rentre à minuit ou à six heures ; tout cela c’est mon affaire. Ceux qui ne le trouveraient pas bon et vous tiendraient des propos sur mon compte, jugez-les avec votre raison et avec votre cœur de mère ; l’un et l’autre doivent être pour moi[202]… »

Et au mois de juillet, de retour à Paris, voilà ce qu’Aurore écrit à Duvernet[203] : « (Je voudrais vous donner) cette faculté de la sentir vive, joyeuse ou brûlante, comme elle circule dans mon sang, comme elle bouillonne dans mon sein ! Vivre ! que c’est doux ! que c’est bon ! malgré les chagrins, les maris, l’ennui, les dettes, les parents, les cancans, malgré les poignantes douleurs et les fastidieuses tracasseries. Vivre ! c’est enivrant ! Aimer, être aimé ! c’est le bonheur ! c’est le Ciel ! Vous savez aimer aussi, vous. Tout votre mal est venu de ce qu’on n’a pas su vous le rendre. Et maintenant que vous êtes compris, vous devez guérir… »

Aurore faisait d’autant moins un secret de ses rapports avec Sandeau que les théories de l’amour « libre et divin » planaient dans l’air et étaient proclamées non seulement par les Saint-Simoniens, mais aussi par tous les amis de la jeune femme. Cet amour pour Sandeau joua dans sa vie intime un rôle fatal. Ce fut le premier anneau de toute une chaîne de liaisons plus ou moins malheureuses, trop nombreuses, et qui ne laissèrent à la fin, dans ce cœur de femme, qu’amertume et désenchantement. Ces amours ont creusé, il est vrai, bien plus avant dans l’âme de l’écrivain. Elles le mirent aussi bien souvent en relations avec des personnages éminents et même des hommes de génie dans les sphères les plus diverses de la vie sociale et artistique. On sait que ce premier essai de « l’amour libre » ne fut pas heureux, ou pour mieux dire, le bonheur fut aussi fugitif qu’il l’est toujours dans toutes les amours, libres ou non. Quoi qu’il en soif, dans les commencements, ce bonheur sourit à ce couple de camarades amoureux ; leurs communs travaux littéraires contribuèrent encore à les unir et firent de leur liaison une alliance de collaborateurs se respectant et se soutenant réciproquement

Ainsi, à partir de l’été de 1831, Aurore était plus souvent chez elle qu’à la rédaction du Figaro, d’autant plus qu’elle écrivait, en commun avec Jules Sandeau, leur grand roman Rose et Blanche. Ils écrivaient tour à tour. Chacun rédigeait son chapitre d’après le plan arrêté d’avance. Il semble toutefois que c’est Aurore qui a écrit la plus grande partie et que le travail de Sandeau consistait plutôt à corriger et à animer les dialogues. Dans l’Histoire de ma Vie, George Sand assure que Jules Sandeau refit ensuite tout le roman et que par conséquent il lui revient de droit ; mais il suffit de lire attentivement Rose et Blanche, pour se convaincre qu’elle n’est pas ici dans la vérité. Le roman est écrit d’une manière inégale et il est évident qu’il n’est pas d’une seule et même main. Il y a des chapitres qui sont certainement dus à l’auteur de Consuelo, de Lélia et du Péché de M. Antoine, dont ils semblent parfois être des fragments. D’autres ont été indubitablement écrits par l’auteur de Marianna et de Mlle de la Seiglière ; ceux-là sont moins nombreux et produisent l’impression d’épisodes isolés. Il est très étrange que quelques petites nouvelles de George Sand soient entrées dans les deux volumes publiés en 1840, sous le titre des Revenants, par Jules Sandeau et Arsène Houssaye. Cependant de Rose et Blanche il n’y est entré qu’un fragment, Horace, très refait et changé par Sandeau et avant déjà servi, sous le titre Vie et Malheurs d’Horace de Saint-Aubin, d’introduction à l’œuvre de jeunesse de Balzac, la Dernière Fée, reparue en 1836 sous le pseudonyme d’ « Horace de Saint-Aubin[204] ». Ni Jules Sandeau, ni George Sand ne reconnurent donc plus tard Rose et Blanche comme leur œuvre, et ne l’insérèrent ni l’un ni l’autre dans leurs œuvres complètes. Rose et Blanche ou La comédienne et la religieuse est l’histoire parallèle de deux jeunes filles, l’une actrice, l’autre religieuse, et peint sous des couleurs très vives le contraste des deux mondes où vivent les deux héroïnes. Les héros sont aussi au nombre de deux et font également contraste par leur tempérament et leur caractère. Dans le principal nous apparaît le type favori de George Sand, celui d’un jeune homme faible, manquant de volonté, incapable de se laisser absorber par aucun sentiment ou de prendre aucune résolution décisive, mais se laissant facilement entraîner et entraînant les autres, un peu phraseur, un peu désenchanté, au fond, froid et égoïste. Remarquons dès maintenant que plus tard, dans son roman Horace, où elle exposa toutes les faiblesses de ce type, George Sand lui donna le nom d’un des héros de son premier roman (ce nom appartient, dans Rose et Blanche, d’ailleurs, à un tout autre caractère) et lui attribua, en outre, plusieurs traits de Jules Sandeau lui-même. Il y a dans Rose et Blanche de merveilleuses descriptions, une peinture magistrale des mœurs de théâtre, des pages d’une fine analyse psychologique. On y suit en outre facilement les souvenirs personnels, vécus par Aurore Dupin. Le couvent, avec ses types si variés, et la noblesse campagnarde y ont trouvé un peintre véridique d’un puissant coloris. La mère de l’actrice, Primerose, ressemble beaucoup par sa nature excentrique et fougueuse à la mère de l’auteur, Sophie-Antoinette Dupin, tout comme l’arrivée du prélat et le dîner donné en son honneur, sont évidemment copiés sur nature et représentent l’arrivée à Nohant, en 1829, de Monseigneur de Villèle (frère du ministre), jadis confesseur de presque toutes les élèves pendant le séjour d’Aurore au couvent, ensuite évêque de Bourges. Nous trouvons le récit de cette arrivée de l’évêque à Nohant, et le dîner en son honneur, dans une lettre inédite de Casimir Dudevant à Caron, et sa description est de tous points la même que celle qu’en donne sa femme, certes avec plus de couleur et d’art, dans son premier roman. On ignore qui des deux auteurs a écrit l’épisode d’ « Horace » ; les deux jeunes berrichons, en le peignant, se sont servis du même original, mais en relisant, dans Rose et Blanche, les pages qui se rapportent à Horace, on croit relire certains passages du Péché de M. Antoine, de Mauprat et même des romans postérieurs de George Sand, tels que Jean de la Roche ou Mlle Merquen. Il est difficile de prouver et de montrer en quoi consiste cette ressemblance : elle est dans tout et dans rien — mais le Lecteur la sent vivement. Ainsi donc, Rose et Blanche renferme en germe les éléments les plus variés des œuvres ultérieures de George Sand. Ce qui est plus remarquable encore, c’est que ce roman est beaucoup plus réaliste que ceux qu’elle a écrits plus tard. Son style rappelle le ton insouciant et spontané de ses lettres où elle ne craint pas de dire les choses carrément et hardiment, et emploie des mots très verts et fort peu admis dans un salon. Sa manière de traiter, avec verve et crânerie, les héros et les événements, les dialogues et les conversations, est la même que celle de son Voyage en Auvergne. Il s’en dégage quelque chose de naturel, de sain, de frais. On y trouve bien moins d’exagérations, de déclamations, de phrases ampoulées et nébuleuses que dans les romans postérieurs. Et c’est là un point digne de remarque. Il est très probable que si, dès ses débuts, George Sand n’était pas tombée dans le groupe des romantiques et n’avait pas été endoctrinée par de Latouche, Sainte-Beuve et d’autres, mais qu’elle eût écrit sous sa propre inspiration sans essayer du « genre sublime » alors en vogue, son talent eût pris une tout autre direction et se fût plutôt rapproché de la manière de Balzac, (quoique dans les mêmes chapitres où elle parle de ses premiers pas dans la carrière littéraire, elle nous dise elle-même que Balzac et elle avaient, dès le début, compris la différence de leurs aspirations littéraires et de leurs tendances : elle était portée à idéaliser dans le sens du beau, et lui dans le sens du comique ou du laid). Il serait peut-être téméraire de se livrer à des hypothèses basées uniquement sur Rose et Blanche, mais il est toutefois curieux de signaler le réalisme prononcé du premier grand roman de George Sand. Pour confirmer nos paroles, nous ne donnerons pourtant ici aucun extrait de ce roman, pour la bonne raison que de courts passages prouvent toujours très peu. Moins encore nous récrierons-nous d’admiration ou d’indignation à propos de la fameuse arrivée de la diligence avec la vieille nonne perchée à l’impériale, scène tant citée à cause de ses détails grossièrement réalistes. Cependant, comme preuve que ces pages sont réellement dues à George Sand, rappelons au souvenir du lecteur les lignes suivantes d’une lettre à sa mère, datée du 22 février 1832 de Nohant.

… « Si vous trouvez la sœur Olympe trop troupière, c’est sa faute plus que la mienne. Je l’ai beaucoup connue, et je vous assure que, malgré ses jurons, c’était la meilleure et la plus digne des femmes. Au reste, je ne prétends pas avoir bien fait de la prendre pour modèle dans le caractère de ce personnage. Tout ce qui est vérité, n’est pas bon à dire ; il peut y avoir mauvais goût dans le choix. En somme, je vous ai dit que je n’avais pas fait cet ouvrage seule. Il y a beaucoup de farces que je désapprouve : je ne les ai tolérées que pour satisfaire mon éditeur, qui voulait quelque chose d’un peu égrillard. Vous pouvez répondre cela pour me justifier aux yeux de Caroline, si la verdeur des mots la scandalise. Je n’aime pas non plus les polissonneries. Pas une seule ne se trouve dans le livre que j’écris maintenant et auquel je ne m’adjoindrai de mes collaborateurs que le nom, le mien n’étant pas destiné à entrer jamais dans le commerce du bel esprit[205] ».

En l’automne de 1831, Aurore passa de nouveau deux mois à Nohant, d’où elle rapporta à Paris Indiana, roman qu’elle avait écrit pendant l’été dans l’espoir que Sandeau, comme il était convenu, le corrigerait, y apporterait quelques changements et ajouterait quelques chapitres de sa plume. Mais il se trouva que Sandeau n’avait rien écrit pendant ce temps ; il ne voulut non plus rien changer au roman. À la fin de 1831 parut cependant Rose et Blanche. Le nom du nouvel auteur, J. Sand, dont les deux collaborateurs signaient leurs œuvres communes, était déjà connu et avait acquis une notable célébrité. Les jeunes auteurs n’avaient plus besoin de courir à la recherche d’un éditeur ; celui qui vint ensuite, vint de lui-même chez eux pour leur demander s’ils avaient quelque chose à lui donner. Aurore lui remit le manuscrit d’Indiana, espérant pouvoir le signer, comme auparavant, du nom de J. Sand. Mais la modestie de Sandeau se révolta à l’idée de signer du pseudonyme commun un travail auquel il n’avait pris aucune part. L’éditeur, de son côté, ne voulut pas voir son édition signée d’un autre nom que du nom déjà connu de J. Sand ou Jules Sand, lui promettant ainsi un prompt écoulement. Que faire ? De Latouche conseilla à Sandeau de signer dorénavant ses ouvrages de son vrai nom tout entier, proposa à Mme Dudevant d’en conserver la moitié — Sand, en ne changeant que le prénom, et choisit pour elle celui de Georges[206], presque synonyme de « berrichon».

Dans l’Histoire de ma Vie, George Sand dit que plus tard beaucoup de ses admirateurs peu sagaces et d’ennemis pas plus raisonnables, virent dans ce pseudonyme un témoignage ostensible de ses sympathies pour Karl Sand, l’assassin de Kotzébue, tandis qu’en réalité ce pseudonyme n’est que la moitié du nom de Sandeau que de Latouche lui avait, sans aucune arrière-pensée, conseillé de prendre, et qu’elle-même avait accepté sans penser à mal et sans y attacher la moindre importance. Mais les chers ours bienfaisants continuèrent encore longtemps à la féliciter « d’arborer les idées révolutionnaires », pendant que ses ennemis lui reprochaient « sa passion pour les idées subversives qu’elle affichait si ouvertement et si insolemment ».

Voilà George Sand venue au monde. Quelques mois après Indiana, qui parut le 19 mai 1832, fut publié : Melchior, puis La Marquise, Valentine, le Toast, la poésie La Reine Mab.

« L’apprentissage » était fini. La littérature française pouvait saluer un nouveau « maître », et Aurore Dudevant, de collaborateur inconnu de l’insignifiant Figaro d’alors, était devenue une célébrité, un nom. Cette année de 1831 clôt la vie d’Aurore Dudevant. George Sand apparaît, et c’est ce nom que nous lui conserverons désormais. Dans les chapitres précédents, nous avons tâché de montrer quels traits héréditaires, quelles impressions d’enfance et de jeunesse, quelles observations froides de l’esprit et tristes remarques d’un triste cœur[207] ont contribué à former la nature et le caractère d’Aurore Dupin-Dudevant ; nous y avons donné le portrait de la femme, nous allons maintenant faire la même chose pour l’écrivain. Tout en racontant les événements de sa vie privée, nous indiquerons les étapes successives de son évolution et les éléments sous l’influence desquels s’est agrandie et modifiée sa personnalité d’écrivain.

Nous avons déjà attiré l’attention du lecteur sur la période de développement latent et inconscient qu’Aurore eut à traverser depuis l’enfance jusqu’au moment où, dit-elle, « Je compris que de tous les petits travaux dont j’étais capable, la littérature proprement dite était celui qui m’offrait le plus de chances de succès comme métier, et, tranchons le mot, comme gagne-pain ». Cette période « latente » rappelle les métamorphoses du papillon depuis le moment où il sort de l’œuf, jusqu’au moment où, déjà un papillon in potentia, sous forme de cocon, il reste suspendu dans quelque coin caché aux yeux. La faiseuse de romans « entre quatre chaises » ; l’écriveuse de « résumés historiques et de descriptions poétiques » ; l’arrangeuse de Molière sur la scène du couvent ; l’auteur mystique du roman sentimental sans amour, approuvé par les amies de couvent et par son cousin René et de la Marraine, tout imprégnée d’amour romanesque ; le chroniqueur désenchanté du Voyage en Auvergne, — voilà les différentes étapes que la chrysalide avait déjà traversées avant 1831 : voilà comment, dans sa jeunesse, elle s’était préparée, à son insu, à la carrière d’écrivain. Ils avaient bien raison ceux qui, comme l’aïeule et René de Villeneuve, l’avaient encouragée à suivre cette voie et lui avaient prédit un glorieux avenir.

Mais il lui a fallu sa correspondance avec Aurélien de Sèze pour qu’elle se découvrît, et son amour pour Jules Sandeau fut pour elle l’haleine de printemps, qui éveilla à la vie la timide chrysalide, la dégagea de sa gaine et fit d’elle un brillant et splendide papillon. C’est en écrivant à Aurélien qu’elle apprit à énoncer ses idées et à créer sur le papier la fiction d’une vie dont elle était privée en réalité. Son établissement à Paris et son intimité avec l’homme aimé, au plus fort du mouvement artistique et intellectuel de l’époque, firent, de ce besoin de se manifester et de ce talent de donner au courant de la plume la vie à tout un monde rêvé, — non plus un passe-temps d’amateur, mais un gagne-pain et un sacerdoce. De dilettante, elle devint écrivain de profession, et, après avoir passé en très peu de temps par tous les degrés de l’apprentissage, la voilà maître.

C’est pour cette raison que nous sommes porté à voir dans sa liaison avec Sandeau, une date marquant surtout la manifestation de son génie Littéraire, qui, du reste, a coïncidé avec la crise qui a décidé de son sort.

Avant de parler de la vie de George Sand à Paris et à Nohant en 1832, nous jetterons un coup d’œil sur ses premières œuvres.

Comme nous avons ou plusieurs fois l’occasion de le faire remarquer, depuis son enfance, les jours de rêveries succédaient chez Aurore Dupin aux accès de folle gaieté. À partir de 1821, dans les entr’actes de ses périodes de contemplation et d’aspirations vers l’idéal et la vérité, Aurore, tantôt savourait la vie en artiste, courant à travers champs et jouissant de sa liberté au milieu de la nature, tantôt entrait en révolte ouverte contre la société et le monde entier. Son amitié pour Zoé et son amour pour de Sèze — ces six années si calmes en apparence, si remplies par la vie intense de l’âme — furent encore une époque vouée aux recherches mi-mystiques, mi-poétiques, d’une vérité nouvelle, devant succéder aux croyances d’autrefois, aux rêveries enfantines. Les années 1830, 1831, 1832, et le commencement de 1833, apparaissent comme des années de protestation et de révolte par excellence. Les premières œuvres de George Sand, à commencer par la Prima Donna jusqu’à Lélia, portent l’empreinte évidente tant de ses rêveries poétiques et de ses recherches passionnées de la vérité pendant sa vie calme à Nohant, que de ses révoltes contre la société, ses institutions et ses abus.

Examinons sommairement ses contes, nouvelles et romans en passant Rose et Blanche dont nous avons déjà parlé antérieurement, car cette œuvre ne peut être considérée comme sortie exclusivement de la plume de George Sand. Nous avons devant nous — La Prima Donna, la Fille d’Albano, Indiana, Melchior, la Marquise, Valentine, le Toast, un petit poème La reine Mab et le roman Pauline, paru beaucoup plus tard, mais écrit immédiatement après Indiana[208], George Sand a essayé dans les préfaces de plusieurs de ses œuvres et dans la douzième Lettre d’un voyageur, adressée à Nisard, de prouver que ses premiers romans n’ont pas été écrits pour protester contre l’institution du mariage ou contre toute autre institution sociale. Cependant tous ces ouvrages sont pénétrés, qu’elle en ait conscience ou non, d’un esprit de protestation et de révolte contre la société, la famille, les préjugés, les injustices et les violences, au nom de la liberté individuelle de la femme. Ou bien ils sont un plaidoyer en faveur des artistes, des talents étouffés dans les tenailles de la vie bourgeoise.

Qu’est-ce en réalité que la Prima Donna ? C’est, en trois ou quatre pages, l’histoire d’une chanteuse d’opéra. Mariée à un homme du grand monde, Gina, c’est le nom de l’héroïne, dépérit du mal de la scène ; un feu intérieur la dévore, ne trouvant pas d’issue dans sa vie de mariage uniforme et terne, elle languit, s’éteint, est mortellement malade. Le docteur, qui comprend la raison de sa maladie, persuade à son mari de la laisser remonter sur la scène. La permission est donnée. Gina chante avec succès dans « Roméo et Juliette » et meurt au milieu de son triomphe, foudroyée par le bonheur de se trouver dans le monde de l’art, terrassée par le trop-plein de ses sentiments qui sont au-dessus de ses forces déjà brisées.

La fille d’Albano ? — C’est une diatribe de poète contre le bien-être moral et matériel de la bourgeoisie, milieu le moins approprié et le plus funeste à une nature artistique ; Carlos, frère aîné d’une artiste, Laurence, attaque énergiquement la vie bourgeoise pour sauver sa sœur adoptive en l’empêchant d’épouser un excellent homme de très bonne famille, parce que ni lui, ni les siens ne conviennent nullement à sa bouillante nature artistique. Presqu’au moment de signer le contrat, Carlos arrache Laurence à l’homme aimé, il l’enlève à l’eau tranquille et stagnante, pour l’entraîner de nouveau vers la mer houleuse de la vie artistique où l’art seul est but, moyen, récompense, souverain bonheur. Le ton quelque peu emphatique du récit lui nuit un peu, mais ce ton est presque naturel dans la bouche d’un « artiste » qui a la parole ardente, plastique, presque exubérante. Le héros s’appelle Aurélien… de Nancé ; il se console bien vite de la perte de la femme aimée, se marie, entre dans l’arène politique dans l’espoir de devenir avec le temps pair de France ou ministre. Tout en lui, dans sa vie, dans sa famille, est correct, d’accord avec les règles de la morale et du bon ton, tout est noble, mais frise la froideur et… évoque quelques vagues souvenirs personnels de l’auteur.

C’est ainsi que George Sand se laisse aller, dès ses premiers pas dans la carrière littéraire, à décrier la vie bourgeoisement vertueuse, intolérable, funeste à chaque talent, et manifeste une sympathie spéciale et un vif intérêt pour les « artistes » dans le sens précis du mot. Une des héroïnes de Rose et Blanche est encore une actrice, comme nous l’avons vu, et le roman lui-même porte comme sous-titre : « La comédienne et la religieuse ».

Dans la Marquise, ce n’est pas l’héroïne, mais le héros qui appartient au monde théâtral. Cette charmante et triste nouvelle, écrite dans les tons tendres d’un pastel de Latour, atteste à quel point l’auteur possédait la connaissance approfondie du grand monde brillant de la fin du xviiie siècle. C’est l’histoire d’une certaine marquise, qui, n’ayant jamais connu l’amour, quoique mariée depuis plusieurs années et en liaison toute de convenance comme il était de bon ton alors, avec un chevalier quelconque, tombe tout à coup amoureuse de l’acteur Lélio. Elle L’aime d’un amour tout différent des intrigues passagères et légères des vicomtesses et des comtesses de son entourage. Lélio, lui-même, ne ressemble en rien aux chevaliers et aux abbés poudrés, parfumés, maniérés, froidement pervertis, d’une élégance extérieure, d’une nullité de cœur effrayante, familiers du cercle de la marquise. Lélio était tout feu et tout âme : il ne mimait pas seulement les grands sentiments des héros de Corneille et de Racine, leur noblesse, leur fougue, — par sa nature il était lui-même un de ces héros. Il était beaucoup moins acteur sur la scène que ne l’étaient dans la vie les fats mondains qui entouraient la marquise. Disons plus, son jeu était si simple, si naturel et si plein de passion et de poésie, qu’il déplaisait aux amateurs contemporains de l’art dramatique, qui demandaient alors aux acteurs un jeu plus artificiel et plus maniéré. Mais la marquise, languissant au milieu d’une société mondaine où elle ne trouvait rien ni personne capable de toucher son cœur, ni ses sentiments, se prit d’amour pour Lélio uniquement pour la beauté de son âme qu’elle avait devinée, pour ce feu sacré qui illuminait son visage laid et sa personne chétive. La marquise était sur le point d’oublier pour Lélio sa réputation « impeccable », qui la rendait presque ridicule au milieu de ses amies frivoles ; mais en l’ayant vu hors de la scène, elle en fut désenchantée, car hors du théâtre c’était un homme laid, insignifiant, aux mouvements brusques et aux manières grossières. Alors L’amour de la marquise se trouva être encore plus en opposition avec sa vie réelle et devint une rêverie, où elle cherchait l’oubli de l’ennui qui la rongeait. Elle consentit à un rendez-vous que Lélio l’avait suppliée de lui accorder, car lui aussi l’aimait de loin et avait su deviner sa nature à l’expression attentive de son visage. Au grand étonnement de la marquise, Lélio se présenta à l’entrevue paré et orné comme elle l’avait vu au théâtre ; sa conversation lui montra aussi que son commerce de tous les jours avec les classiques avait ennobli et rehaussé son âme, lui rendant familiers les sentiments les plus sublimes. Malheureusement, ce que la marquise aimait surtout dans Lélio, ce n’était pas l’homme, c’était l’idéal qui l’avait consolée dans sa vie terne ; d’autre part, Lélio adorait trop la marquise pour ne point remplir ses moindres désirs. Tous deux comprirent que le bonheur était chose impossible pour eux ; que, si même ils réussissaient à le conquérir, leur vie au milieu d’une société, alors rigoureusement divisée en castes, aurait été intolérable. Ils se séparent pour toujours. Comme autrefois la grand’mère d’Aurore, la marquise « conserve ses plumes blanches » d’une pureté immaculée, et il ne reste au lecteur qu’à s’affliger avec Lélio sur les préjugés du monde, qui mettent une barrière artificielle entre deux âmes sœurs, se comprenant l’une l’autre, ou à se dire, qu’en général, les natures ardentes, passionnées, profondes, soit dans le monde, soit sur la scène, sont toujours condamnées à souffrir parmi les hommes ordinaires, froids et indifférents, et à rester incomprises et même méprisées. Lélio passe pour un homme sauvage, mal élevé et mauvais acteur, parce qu’il donne toute son âme dans son art. La marquise, de même, se croit et tous la croient bornée et sotte, quoiqu’elle soit cent fois supérieure aux poupées qui l’entourent.

Remarquons que, dans l’édition illustrée des œuvres de George Sand, au-dessus du titre La Marquise se trouve un médaillon avec le portrait soi-disant de la marquise elle-même, dont l’auteur nous parle dans la préface. Elle est en Diane-chasseresse (comme est représentée Marie-Aurore de Saxe elle-même sur le portrait par Latour, qui appartient maintenant à La petite fille de George Sand, Mme Aurore Lauth : corsage très décolleté, style Louis XV, en « satin tigré », un arc à la main et un croissant dans les cheveux poudrés. Remarquons aussi que, si l’amie de la marquise porte le nom de Mme de Ferrières, lequel appartenait à une des vraies amies de Mme Dupin de Francueil, la marquise elle-même très belle et fort sotte (elle passait au moins pour stupide) semble rappeler Mme de Pardaillan[209], ou même un original qui était beaucoup plus proche d’Aurore Dudevant. Rappelons-nous qu’elle répète à plusieurs reprises dans « l’Histoire de ma Vie » que, dans son enfance, elle paraissait souvent « sotte », « bête » et que même plus tard, lorsqu’elle songeait ou réfléchissait, sa figure prenait une expression d’immobilité stupide — elle-même le prétend et quantité de personnes qui l’ont connue dans différentes périodes de sa vie[210], le disent aussi, en ajoutant que cette expression pouvait induire en erreur ceux qui ne la connaissaient pas, — tout comme la figure peu éveillée de la pauvre marquise lui faisait faire, de même qu’à ses amies, des réflexions dédaigneuses à propos de son esprit. Nous voyons ainsi dans La Marquise, à côté d’observations sur autrui, des traits plus ou moins autobiographiques. Par sa naissance et par son éducation, l’auteur appartenait au même monde que la marquise ; comme celle-ci, elle a cherché le bonheur dans la bohème artistique, et même n’a pas manqué de faire porter à sa marquise le costume d’homme pour aller au théâtre, lorsqu’elle se glisse incognito aux stalles pour jouir du jeu de Lélio sans avoir à craindre de trahir son amour et son émotion.

Pauline doit également être rangée parmi les premières œuvres de George Sand ; ce roman n’a été publié, il est vrai, qu’à la fin de 1839 et au commencement de 1840, mais c’est au début de l’année 1832 qu’il a été conçu et même écrit à moitié. Dans la préface de l’édition de 1852, George Sand dit : « J’avais commencé ce roman en 1832 à Paris, dans une mansarde où je me plaisais beaucoup. Le manuscrit s’égara : je crus l’avoir jeté au feu par mégarde, et, comme au bout de trois jouis, je ne me souvenais déjà plus de ce que j’avais voulu faire… je ne songeai point à recommencer. Au bout de dix ans environ, en ouvrant un in-quarto à la campagne, j’y retrouvai la moitié d’un volume manuscrit, intitulé Pauline. J’eus peine à reconnaître mon écriture, tant elle était meilleure que celle d’aujourd’hui. Est-ce que cela ne vous est pas souvent arrivé à vous-même, de retrouver toute la spontanéité de votre jeunesse et tous les souvenirs du passé dans la netteté d’une majuscule et dans le laisser-aller d’une ponctuation ? Et les fautes d’orthographe, que tout le monde fait et dont on se corrige tard, quand on s’en corrige, est-ce qu’elles ne repassent pas sous vos yeux comme de vieux amis ? En relisant ce manuscrit, la mémoire de la première donnée me revint aussitôt, et j’écrivis le reste sans incertitude ».

Et que voyons-nous dans ce roman ?

Nous y retrouvons encore une actrice, Laurence. Par sa nature généreuse, grande, spontanée et ouverte, candide et impressionnable, Laurence fait contraste avec la provinciale Pauline, bourgeoisement vertueuse, sèchement pieuse, mesquine, incapable de tout élan, de tout mouvement spontané, éloignée du vice, mais éloignée aussi de tout profond sentiment humain. Laurence, actrice de beaucoup de talent et déjà célèbre, arrive par hasard, étant en route pour Lyon, dans la petite ville de Saint-Front, où elle avait passé sa triste jeunesse abreuvée de privations et de peines. Elle y avait laissé une amie et élève, Pauline, dont elle avait fait la connaissance, lorsque, âgée de quinze ans à peine, elle donnait des leçons dans une pension, avant d’avoir songé au théâtre. Plus tard, quand elle eut franchi ce pas hardi en se faisant actrice et en rompant ainsi avec les vertus bourgeoises, Pauline, comme tous ses concitoyens et ses concitoyennes, avait rompu avec elle, ou du moins avait cessé de lui écrire. Laurence avait pourtant très bien compris que Pauline, dans le monde où elle est née, ne pouvait agir autrement, mais malgré les longues années de séparation, elle ne doute pas de l’amitié de Pauline. (Le lecteur remarque certainement ce trait autobiographique). Apprenant que Pauline était toujours dans cette ville et point mariée, Laurence interrompt son voyage et va la voir. À peine a-t-elle franchi le seuil de la porte de Pauline, qu’elle est envahie par la sensation du calme et du silence qui y règnent, par le sentiment de l’éloignement des agitations et des passions mondaines. L’atmosphère de cette maison provinciale, terne et morte, lui semble pénétrée d’humbles et austères vertus, et Pauline, elle-même, penchée tantôt sur son métier, tantôt occupée à soigner sa mère acariâtre et aveugle, égoïste comme tous les malades, s’offre à son imagination comme la personnification de l’humilité angélique, de la miséricorde chrétienne, de la patience, du sacrifice tranquille et conscient. Laurence se sent saisie envers Pauline d’étonnement, de respect et presque d’adoration. Il lui semble que jamais elle ne serait en état de remplir une mission aussi sublime. Pauline accueille son ancienne amie à bras ouverts et dit que c’est par simple obéissance à sa mère, qui n’avait pas permis de continuer son amitié avec une actrice — selon elle, femme perdue — qu’elle avait cessé de lui écrire. L’aveugle, d’abord fort peu aimable avec Laurence, la traite de « malheureuse », puis s’adoucit, vaincue par les bonnes grâces de la jeune femme qui sait la charmer, et, enfin, pour faire pièce à toute la petite ville, la prend sous sa protection et fait éclater aux yeux de tous l’amitié qu’elle lui témoigne. La nouvelle de l’arrivée d’une belle inconnue se répand aussitôt dans la ville, remuant ce marais stagnant. Les rumeurs, les bruits, les commérages se propagent. Enfin, poussés par la curiosité, les habitants de Saint-Front n’y tiennent plus, et, sous des prétextes spécieux, ils se rendent chez la mère de Pauline. La scène de l’apparition de presque toute la ville dans le salon éternellement silencieux et toujours désert de la vieille Mme D., la lutte des petits amours-propres et des mesquines vanités avec la curiosité ; les potins, les coups d’épingles et les grosses médisances, tous ces bas-fonds de la vie provinciale remués tout à coup jusque dans leurs profondeurs par l’arrivée, sinon d’un « inspecteur général », au moins d’une célébrité, sont dépeints de main de maître en traits concis, énergiques, incisifs, mais pleins, en même temps, de bonhomie et d’humour. Ce sont là des pages que l’auteur du « Reviseur », lui-même pourrait presque envier. Tous, MM. les maires et Mmes les sous-préfettes, sont si pleins d’une terreur panique devant « l’affreuse femme », en même temps si désireux d’apprendre quelque chose d’elle : ils craignent tant d’avouer leur curiosité ou d’adresser la parole à Laurence et plus tard sont si pressés d’assurer qu’ils ont été justement « les premiers à causer avec elle et qu’ils se sont mis au-dessus des préjugés » qu’on arrive involontairement à conclure que la calme Mme Aurore Dudevant, tout en faisant ses confitures, en taillant des gilets ou en jouant des contredanses à quatre mains avec Dutheil ou Périgny, n’avait pas mal réussi à récolter d’heureuses observations sur les petitesses provinciales et qu’elle avait peut-être même eu l’occasion d’en faire l’épreuve sur sa propre personne, Lorsque, de femme effacée d’un insignifiant gentillâtre, elle s’était faite, elle aussi, artiste et « femme affreuse ». On peut même croire que George Sand a vécu pareil retour au pays natal, retour qui aura remué le lac dormant de La Châtre. Si elle ne l’a pas vécu personnellement, elle connaissait du moins toutes les conditions locales pour se l’imaginer et le dépeindre avec une vérité frappante. On croit aussi lire des pages de journal intime dans les lignes suivantes : « C’était affreux, cette pauvre ville, et pourtant j’y ai passé des années de jeunesse et de force ! J’étais bien autre alors… J’étais pauvre de condition, mais j’étais riche d’énergie et d’espoir, le souffrais bien ! Ma vie se consumait dans l’ombre et l’inaction ; mais qui me rendra ces souffrances d’une âme agitée par sa propre puissance ? Ô jeunesse de cœur ! qu’êtes-vous devenue ?… »

Mais revenons à notre récit. Après avoir soumis et enchanté les habitants de Saint-Front par la vivacité de son caractère, le charme qui émane d’une artiste, la grâce de toute sa personne, Laurence quitte la ville ; elle quitte la maison de Pauline avec de tout autres pensées que celles qu’elle avait en y entrant deux jours auparavant. Idéalisant en artiste ses premières impressions, elle croyait être tombée dans un abri de vraie vertu ; il lui semblait que Pauline était l’idéal d’un sacrifice conscient ; qu’elle s’était volontairement immolée à l’amour de sa mère. Mais il n’en était rien : Pauline ne remplissait son devoir que par orgueil, dans le désir de s’élever à ses propres yeux ; le sacrifice de sa jeunesse et les soins qu’elle prenait de sa mère n’étaient qu’une sorte de « manteau de vertu » dans lequel elle se drapait devant le monde et plus encore devant elle-même ; ses soins cachaient le dépit contre sa mère, l’irritation d’avoir perdu sa jeunesse, rivée à une mourante, presque à un être mort. Et en Mme D., Laurence remarque au lieu d’une reconnaissance touchante, la crainte qu’elle a de sa fille, la peur de se voir tout à coup privée de son aide et de son soutien, et en même temps le dépit d’avoir cette crainte et de ne plus pouvoir se suffire à elle-même. Pour cette raison, aux moments où elle a besoin de sa fille, elle met de côté ses convictions et ses principes pour l’amadouer (c’est dans un de ces moments qu’elle a consenti à recevoir Laurence) ; mais quand elle n’a plus besoin de rien, que tous ses désirs sont satisfaits, elle se venge de sa fille par des coups d’épingle, des caprices, des paroles méchantes et amères. En un mot, ce paradis que Laurence avait cru trouver, était en vérité, sinon un enfer, du moins un bagne où ces deux êtres, rivés l’un à l’autre, par une chaîne indestructible, ne pouvaient faire un pas sans s’être à charge.

Laurence n’est pas la seule qui fut désenchantée. Pauline aussi fut trompée dans son attente ; elle avait espéré faire envers son amie la généreuse, la protectrice, lui accorder son pardon et lui montrer son indulgence envers la femme déchue. Tout au contraire, Laurence n’était nullement ni femme « déchue », ni femme « perdue » ; elle n’avait besoin de la protection de personne, vivait d’une vie pleine et heureuse au milieu d’une société brillante, entourée de respect, d’amitié, d’adoration, de luxe, habituée à une grande liberté et à toutes les petites jouissances du bien-être inconnues à Pauline. Au lieu d’avoir à pardonner, l’âme de Pauline se remplit de fiel et de jalousie. Laurence, au contraire, n’a pour Pauline que de la pitié. Elles se quittent. Il s’établit entre elles une correspondance qui, d’un côté comme de l’autre, ne fait que développer ces sentiments opposés. La mère de Pauline, morte, la généreuse Laurence, après avoir consulté sa bonne et sensible mère, la prend chez elle à Paris. (Au moment où elle terminait son roman, en 1840, George Sand attribua à la mère de Laurence bien des traits de la vieille Mme Garcia, mère de Mmes Malibran et Viardot, comme elle a aussi dessiné, en partie, toute la famille de Laurence d’après cette famille d’artiste.) La première partie du roman forme, pour ainsi dire, le nœud de l’action, et la seconde le développement de toutes les données. Laurence, insoucieuse, généreuse, sincère, enthousiaste, occupée de son art, de ses nombreuses connaissances et de l’éducation de ses deux jeunes sœurs, se comporte avec Pauline en toute confiance et tâche en toute sincérité, de lui faire une vie heureuse. Elle fait du bien à tous sans s’en donner la peine, parce que sa nature est généreuse et bienfaisante, et les privations des années précédentes lui ont fait mieux sentir les tristesses « des humbles et des opprimés ». Pauline, au contraire, agit toujours en pleine conscience avec la susceptibilité craintive des natures égoïstes. Elle craint tellement de se sentir redevable à Laurence et à sa famille qu’elle s’empresse de se charger de presque tout le ménage et des soins domestiques pour ne pas être obligée à la reconnaissance envers ses hôtes, et pour relever son rôle à ses propres yeux et à ceux du monde. « Je suis utile, dit-elle, je n’admets aucun bienfait gratuit, je paye tout au centuple. » Pleine d’un amour-propre mesquin, elle envie le succès, les adorateurs de Laurence et sa manière de vivre ; son rôle volontaire de confidente, d’aide et de ménagère lui pèse bientôt, et elle se met à détester Laurence qui n’en peut mais, comme autrefois elle couvait une haine sourde contre sa mère. Ici encore elle renferme tout cela en elle, mais l’amertume ne fait que grandir. Apparaît alors un riche dilettante, Montgenays, homme sans cœur et vaniteux, qui par son amour-propre excessif, lequel ne pardonne rien ; ressemble beaucoup à Pauline. Il avait autrefois tenté de faire la cour à Laurence, mais sans succès : sa vertu inaltérable était à juste titre légendaire. Il n’est pas homme à pardonner sa défaite. Bassement personnel, cachant sous un semblant d’amitié respectueuse la soif de se venger, Montgenays espère, tôt ou tard, arriver à son but. Devinant L’amour-propre de Pauline et à quel point elle est vaniteuse, il recourt, avec son expérience de viveur, au moyen classique, la jalousie, pour exciter l’amour de Laurence. Il se sert comme arme de Pauline, et commence à lui faire la cour. Laurence, flairant le mensonge, essaye de prévenir Pauline contre le danger et lui conseille de ne pas prendre au sérieux toutes les paroles de Montgenays. Mesquine et incapable d’abnégation, Pauline ne peut pas comprendre qu’il puisse y avoir chez les autres des sentiments désintéressés. Elle regarde la sincérité de Laurence comme la ruse d’une coquette qui craint de perdre un seul de ses adorateurs, et elle y répond par un redoublement d’animosité, de méfiance et de haine. Non contente de cela, elle fait part à Montgenays des conseils de Laurence, ce qui l’exaspère encore davantage contre la jeune femme. Après quelques nouvelles ruses, aussi malheureuses que la première, pour conquérir l’amour de Laurence, par haine et par vengeance, il séduit Pauline, après l’avoir brouillée avec sa protectrice, et installée dans un grenier où elle gagne à peine sa vie en s’occupant de couture. Montgenays, dont l’amour-propre et le désir de paraître est le seul mobile, finit par épouser Pauline pour étonner le monde par son désintéressement. Mais il se venge sur elle de son insuccès, et la vie extérieurement brillante qu’il lui fait mener est un véritable enfer. Pauline se console par la pensée qu’elle est enviée des autres femmes et qu’elle l’a emporté sur sa prétendue rivale, Laurence, qu’elle croit jalouse de la savoir mariée à son ancien adorateur. Consolation digne de cette nature insignifiante ! Le roman finit par ces mots : « Beaucoup de vertus tiennent à des facultés négatives. Il ne faut pas les estimer moins pour cela. La rose ne s’est pas créée elle-même, son parfum n’en est pas moins suave, parce qu’il émane d’elle sans qu’elle en ait conscience ; mais il ne faut pas trop s’étonner si la rose se flétrit un jour, si les grandes vertus domestiques s’altèrent vite sur un théâtre pour lequel elles n’avaient pas été créées ».

Et dans la petite préface, que nous avons déjà reproduite en partie, George Sand dit encore : « La morale du conte, s’il faut en trouver une, c’est que l’extrême gêne et l’extrême souffrance sont un terrible milieu pour la jeunesse et la beauté. Un peu de goût, un peu de poésie, ne seraient point incompatibles, même au fond des provinces, avec les vertus austères de la médiocrité, mais il ne faut pas que la médiocrité touche à la détresse : c’est là une situation que ni l’homme, ni la femme, ni la vieillesse, ni la jeunesse, ni même l’âge mûr ne peuvent regarder comme le développement normal de la destinée providentielle ».

Selon nous, cependant, les lignes qui terminent ce livre expriment d’une manière bien plus juste, quoiqu’un peu nuageuse, l’idée-mère du roman. Elles peuvent être commentées ainsi : Ne vous fiez pas trop à ces vertus passives qui ne sont souvent vertus que parce qu’elles n’ont pas la force d’être quelque chose de plus actif. La vertu, le sacrifice de soi-même, l’humilité chrétienne, ne sont durables et bonnes, que lorsqu’elles sont d’un côté purement instinctives et émanent d’une âme pure et belle, et d’un autre sont conscientes et viennent d’un esprit éclairé et bienfaisant. Là où il n’y a que le désir de paraître élevé, bon, pur, où la vertu chrétienne et l’abnégation ne sont pas pénétrées d’un vrai amour, cette vertu est froide, conduit souvent à la sécheresse, à l’envie, à la méchanceté, à l’orgueil, à l’égoïsme, à tout ce que vous voudrez, mais non aux actes et aux sentiments chrétiens. De pareille vertu, on peut s’attendre à l’occasion, à toutes les méchancetés et même au crime. Placez-la dans des conditions où l’on n’exige ni humilité, ni patience, ni amour, mais des qualités tout opposées, et elle sera capable de tout. On bien on peut tirer de Pauline la conclusion que voici : Des natures non artistiques ne seront jamais de grandes âmes, elles sont trop sèches dans leur morale journalière, trop confinées dans leur mesquine et égoïste individualité.

Le roman, la première partie surtout, renferme bon nombre de pages très belles et d’observations heureuses, et les premiers chapitres nous font partager l’opinion d’un auteur inconnu qui dit dans un petit article publié dans la Nouvelle Biographie générale éditée chez Firmin Didot : « Ses entrées (de G. Sand) en matière sont adorables et dignes des plus beaux débuts de Walter Scott »… Cette remarque ne s’applique à aucun des romans de George Sand mieux qu’à Pauline. En effet, le début en est non seulement parfaitement écrit, mais nous y trouvons encore tous les motifs favoris des débuts de Walter Scott : l’indispensable auberge, l’arrivée d’une voyageuse, et le postillon, et l’aubergiste, et un relais, — tout ce que nous aimons tant dans les récits du vieux « sacristain de Ganderclaigh ».

Ainsi, dans ces cinq premières œuvres, George Sand dépeint le conflit entre le talent et le milieu bourgeois, la lutte des âmes empreintes du sceau du génie contre l’oppression de la vie quotidienne et les préjugés de caste, et prêche le droit des gens de génie à une liberté plus large que celle dont jouit le commun des hommes. C’est pourquoi la Prima Donna, Rose et Blanche, la Fille d’Albano, la Marquise, Pauline, sont comme les jalons des thèmes qu’elle a si artistement développés plus tard dans la Dernière Aldini, dans Carl, Teverino, Consuelo, Lucrezia Floriani, dans le Château des Désertes, Constance Verrier et même dans le conte le Château de Pictordu.

Dans Melchior, dans le Toast, dans Indiana et dans Valentine elle met en scène, non des problèmes concernant les artistes, mais des problèmes tragiques de la vie de femme. Une femme mariée, malheureuse, incomprise et languissant dans une union mal assortie, n’aurait-elle donc pas le droit de s’affranchir ? Son âme doit-elle être sacrifiée au code de la morale formelle qui ordonne l’indissolubilité du mariage, la soumission de la femme à son mari ? Vaudrait-il mieux par hasard mentir et continuer à vivre avec un homme non aimé, indigne, que d’unir honnêtement et librement sa vie à l’homme aimé ? Aujourd’hui que ces questions et leurs solutions sont des vieilleries par trop rebattues par les « féministes » il serait absurde d’en parler. Il y a plus encore : il en fourmille de ces « femmes incomprises » et on a vraiment trop abusé dans la littérature et dans la vie de la prétendue « liberté sacrée » de l’amour, on s’en est trop servi pour déguiser des caprices et des fredaines. Rompre des lances pour défendre le droit au bonheur de la pauvre Indiana, d’autant plus qu’elle n’a pas trouvé le bonheur dans l’homme de son choix, serait certes parfaitement ridicule aujourd’hui, puisque, par là, son « crime » contre la morale sociale eut son « châtiment ». Mais si ces questions ont été discutées, résolues et reléguées aux archives, c’est peut-être parce qu’il y eut une George Sand, qui les a soulevées à temps et qu’une des premières elle a lutté contre la position humiliée et opprimée de la femme dans le mariage. Et Indiana, quoi qu’en ait dit George Sand dans ses « préfaces », mérite d’arrêter aujourd’hui notre attention comme une première tentative de révolte. Ce roman est d’ailleurs écrit avec tant de passion, avec tant d’ardeur artistique et un style si merveilleux que, même au point de vue de l’art, il demeure de nos jours encore, une œuvre vraiment remarquable.

On a souvent dit qu’en créant la pauvre Indiana. — cette créole rêveuse et passionnée, mariée au colonel Delmare, dépérissant auprès de ce mari rude et prosaïque, brûlant d’amour pour Raymon de Ramière, un élégant correct et sans cœur, docile et servile devant les lois mondaines, d’abord épris d’Indiana et l’entraînant dans sa passion, puis l’abandonnant pour faire un mariage avantageux et suivre une carrière parlementaire (comme Aurélien de Nancé dans la Fille d’Albano) — George Sand avait voulu dépeindre sa triste vie conjugale, son roman manqué avec de Sèze et la consolation qu’elle a trouvé dans l’amitié. Remarquons, à ce propos, que l’un des intimes amis d’Aurore Dudevant, son voisin de Nohant, Jules Néraud, avait donnée à la jeune romancière des cahiers de notes et de descriptions du Madagascar et de l’île de la Réunion, où il avait passé quelque temps, poussé au loin à la fois par son amour pour la botanique et l’amour qu’il portait à son élève de Nohant. Car, — tout comme son prédécesseur, Stéphane de Grandsagne, l’ex-professeur d’histoire naturelle d’Aurore, — Jules Néraud était tombé sous le charme « des grands yeux noirs », à la suite de quoi il y eût des scènes orageuses de jalousie entre lui et sa femme[211].

George Sand mit à profit les descriptions de la luxuriante nature des îles, qu’elle avait lues et copiées dans le journal du Malgache comme elle appelait Néraud[212]. Elle fait faire la traversée à Indiana et l’installe à l’île Bourbon avec son mari et plus tard, lorsque toute sa vie s’écroule, elle l’y renvoie encore une fois chercher la mort à deux avec son ami et cousin, sir Ralph Brown.

Le lecteur doit s’en souvenir, nous ne trouvons pas possible pour un biographe de se servir de héros de romans et surtout d’événements fictifs pour établir des faits de la vie de leur auteur.

Mais nous avons toutefois dit que dans l’œuvre la plus objective on peut toujours trouver des pages vécues et personnelles. Voici les passages d’Indiana qui produiront, sur le lecteur l’impression de quelque chose de déjà connu ; ils rappelleront à son souvenir l’histoire de leur auteur. Et d’abord le portrait du colonel Delmare[213] :

« Savez-vous ce qu’en province on appelle un honnête homme ? C’est celui qui n’empiète pas sur le champ de son voisin, qui n’exige pas de ses débiteurs un sou de plus qu’ils ne lui doivent, qui ôte son chapeau à tout individu qui le salue ; c’est celui qui ne viole pas les filles sur la voie publique, qui ne met pas le feu à la grange de personne, qui ne détrousse pas les passants au coin de son parc. Pourvu qu’il respecte religieusement la vie et la bourse de ses concitoyens, on ne lui demande pas compte d’autre chose. Il peut battre sa femme, maltraiter ses gens, ruiner ses enfants, cela ne regarde personne. La société ne condamne que les actes qui lui sont nuisibles ; la vie privée n’est pas de son ressort.

« Telle était la morale de M. Delmare. Il n’avait jamais étudié d’autre contrat social que celui-ci : « Chacun chez soi. » Il traitait toutes les délicatesses du cœur de puérilités féminines et de subtilités sentimentales. Homme sans esprit, sans tact et sans éducation, il jouissait d’une considération plus solide que celle qu’on obtient par les talents et la bonté. Il avait de larges épaules, un vigoureux poignet ; il maniait parfaitement le sabre et l’épée, et avec cela il possédait une susceptibilité ombrageuse. Comme il ne comprenait pas toujours la plaisanterie, il était sans cesse préoccupé de l’idée qu’on se moquait de lui. Incapable d’y répondre d’une manière convenable, il n’avait qu’un moyen de se défendre : c’était d’imposer silence par des menaces. Ses épigrammes favorites roulaient toujours sur des coups de bâton à donner et des affaires d’honneur à vider ; moyennant quoi, la province accompagnait toujours son nom de l’épithète de brave.

… Candide jusqu’à l’enfantillage sur certaines délicatesses du point d’honneur, il savait fort bien conduire ses intérêts à la meilleure fin possible sans s’inquiéter du bien ou du mal qui pouvait en résulter pour autrui. Toute sa conscience c’était la loi ; toute sa morale, c’était son droit. C’était une de ces probités sèches et rigides qui n’empruntent rien, de peur de ne pas rendre, et qui ne prêtent pas davantage, de peur de ne pas recouvrer. C’était l’honnête homme qui ne prend et ne donne rien ; qui aimerait mieux mourir que de dérober un fagot dans les forêts du roi, mais qui vous tuerait sans façon pour un fétu ramassé dans la sienne. Utile à lui seul, il n’était nuisible à personne. Il ne se mêlait de rien autour de lui, de peur d’être forcé de rendre un service. Mais, quand il se croyait engagé par honneur à le rendre, nul n’y mettait un zèle plus actif, et une franchise plus chevaleresque. À la fois, confiant comme un enfant, soupçonneux comme un despote, il croyait un faux serment et se défiait d’une promesse sincère. Comme dans l’état militaire, tout pour lui consistait dans la forme. L’opinion le gouvernait à tel point que le bon sens et la raison n’entraient pour rien dans ses décisions, et quand il avait dit : « Cela se fait, » il croyait avoir posé un argument sans réplique.

« C’était donc la nature la plus antipathique à celle de sa femme, le cœur le moins fait pour la comprendre, l’esprit le plus incapable de l’apprécier. Et pourtant, il est certain que l’esclavage avait engendré dans ce cœur de femme une sorte d’aversion vertueuse et muette, qui n’était pas toujours juste. Mme Delmare doutait trop du cœur de son mari ; il n’était que dur, et elle le jugeait cruel. Il y avait plus de rudesse que de colère dans ses emportements, plus de grossièreté que d’insolence dans ses manières. La nature ne l’avait pas fait méchant ; il avait des instants de pitié qui l’amenaient au repentir, et, dans le repentir, il était presque sensible. C’était la vie des camps qui avait érigé chez lui la brutalité en principe. Avec une femme moins polie et moins douce, il eut été craintif comme un loup apprivoisé ; mais cette femme était rebutée de son sort ; elle ne se donnait pas la peine de chercher à le rendre meilleur. »

Voici maintenant comment George Sand dépeint cette résistance passive d’Indiana : « Si elle eût élevé la voix, Delmare qui n’était que brutal, eût rougi de passer pour méchant. Rien n’était plus facile que d’attendrir son cœur et de dominer son caractère, quand on voulait descendre à son niveau et entrer dans le cercle d’idées qui était à la portée de son esprit. Mais Indiana était roide et hautaine dans sa soumission ; elle obéissait toujours en silence ; mais c’étaient le silence et la soumission de l’esclave qui s’est fait une vertu de la haine et un mérite de l’infortune. Sa résignation, c’était la dignité d’un roi qui accepte des fers et un cachot, plutôt que d’abdiquer sa couronne et de se dépouiller d’un vain titre. Une femme de l’espèce commune eût dominé cet homme d’une trempe vulgaire ; elle eût dit comme lui et se fut réservé le plaisir de penser autrement ; elle eût feint de respecter ses préjugés et elle les eût foulés aux pieds en secret ; elle l’eût caressé et trompé. Indiana voyait beaucoup de femmes agir ainsi, mais elle se sentait si au-dessus d’elles qu’elle eût rougit de les imiter. Vertueuse et chaste, elle se croyait dispensée de flatter son maître dans ses paroles, pourvu qu’elle le respectât dans ses actions. Elle ne voulait point de sa tendresse, parce qu’elle n’y pouvait pas répondre. Elle se fût regardée comme bien plus coupable de témoigner de l’amour à ce mari qu’elle n’aimait pas, que d’en accorder à l’amant qui lui en inspirait. Tromper, c’était là le crime à ses yeux, et vingt fois par jour elle se sentait prête à déclarer qu’elle aimait Raymon ; la crainte seule de perdre Raymon la retenait. Sa froide obéissance irritait le colonel bien plus que ne l’eût fait une rébellion adroite. Si son amour-propre eût souffert de n’être pas le maître absolu dans sa maison, il souffrait bien davantage de l’être d’une façon odieuse ou ridicule. Il eût voulu convaincre, et il ne faisait que commander ; régner, et il gouvernait. Parfois il donnait chez lui un ordre mal exprimé, ou bien il dictait sans réflexion des ordres nuisibles à ses propres intérêts. Mme Delmare les faisait exécuter sans examen, sans appel, avec l’indifférence du cheval qui traîne la charrue dans un sens ou dans l’autre. Delmare, en voyant le résultat de ses idées mal comprises, de ses volontés méconnues, entrait en fureur ; mais quand elle lui avait prouvé d’un mot calme et glacial qu’elle n’avait fait qu’obéir strictement à ses arrêts, il était réduit à tourner sa colère contre lui-même. C’était pour cet homme, petit d’amour-propre et violent de sensations, une souffrance cruelle, un affront sanglant.

« Alors il eût tué sa femme s’il eût été à Smyrne ou au Caire. Et pourtant il aimait au fond du cœur cette femme faible qui vivait sous sa dépendance et gardait le secret de ses torts avec une prudence religieuse. Il l’aimait ou la plaignait, je ne sais lequel. Il eût voulu en être aimé ; car il était vain de son éducation et de sa supériorité. Il se fût élevé à ses propres yeux si elle eût daigné s’abaisser jusqu’à entrer en capitulation avec ses idées et ses principes. Lorsqu’il pénétrait chez elle le matin avec l’intention de la quereller, il la trouvait quelquefois endormie, et il n’osait pas l’éveiller. Il la contemplait en silence ; il s’effrayait de la délicatesse de sa constitution, de la pâleur de ses joues, de l’air de calme mélancolique, de malheur résigné, qu’exprimait cette figure immobile et muette. Il trouvait dans ses traits mille sujets de reproche, de remords, de colère et de crainte ; il rougissait de sentir l’influence qu’un être si faible avait exercée sur sa destinée, lui, homme de fer…

« Une femme encore enfant l’avait donc rendu malheureux ! Elle le forçait de rentrer en lui-même, d’examiner ses volontés, d’en modifier beaucoup, d’en rétracter plusieurs, et tout cela sans daigner lui dire : « Vous avez tort ; je vous prie de faire ainsi. » Jamais, jamais elle ne l’avait imploré, jamais elle n’avait daigné se montrer son égale et s’avouer sa compagne. Cette femme qu’il aurait brisée dans sa main s’il eût voulu, elle était là, chétive, rêvant d’un autre peut-être sous ses yeux, et le bravant jusque dans son sommeil. Il était tenté de l’étrangler, de la traîner par les cheveux, de la fouler aux pieds pour la forcer de crier merci, d’implorer sa grâce, mais elle était si jolie, si mignonne et si blanche, qu’il se prenait à avoir pitié d’elle, comme l’enfant s’attendrit à regarder l’oiseau qu’il voulait tuer. Et il pleurait comme une femme, cet homme de bronze, et il s’en allait pour qu’elle n’eût pas le triomphe de le voir pleurer. En vérité, je ne sais lequel était plus malheureux d’elle ou de lui. Elle était cruelle par vertu, comme il était bon par faiblesse ; elle avait de trop la patience qu’il n’avait pas assez ; elle avait les défauts de ses qualités, et lui les qualités de ses défauts… M. et Mme Delmare ne se querellaient point du tout ; car, avec la systématique soumission d’Indiana, jamais, quoi qu’il fît, le colonel ne pouvait arriver à engager une dispute »…

Raymon de Ramière qui avait d’abord recherché l’amour d’Indiana, faisait maintenant, comme autrefois l’ami de Bordeaux d’Aurore, valoir des « principes ». « Quand il vit le colonel lui témoigner tant de confiance et d’amitié, le regarder comme le type de l’honneur et de la franchise, l’établir comme médiateur entre sa femme et lui, il résolut de justifier cette confiance, de mériter cette amitié, de réconcilier ce mari et cette femme, de repousser de la part de l’une toute préférence qui eût pu porter préjudice au repos de l’autre. Il redevint moral, vertueux et philosophe. Vous verrez pour combien de temps »…

Cependant, par l’immixtion non sollicitée de personnes étrangères[214], les relations entre les époux s’aigrissent et Delmare en vient aux « actes ». Il enferme sa femme et essaye de la terrifier par la souffrance physique en lui meurtrissant les mains, lorsqu’elle refuse de répondre. Alors, exaspérée, elle se décide à aller demander aide et protection à Raymon. Celui-ci fait, à cette occasion, preuve de son égoïsme, de sa pusillanimité devant l’ « opinion » et d’un triste manque de cœur. Il prêche la morale courante sans se rendre aucun compte de la responsabilité que lui impose la possession d’une âme qui s’est abandonnée à lui. Son amour pour Indiana s’est déjà refroidi. La trouvant dans sa chambre en rentrant d’un bal, il est uniquement soucieux, non d’unir son sort au sien, mais de la faire rentrer « décemment » chez elle pour la sauver des conséquences de sa démarche « insensé ». Il ne trouve rien de mieux à faire que d’appeler sa mère, afin de calmer la malheureuse jeune femme et de la faire retourner au foyer conjugal. Indiana est d’abord comme pétrifiée en voyant son bonheur subitement écroulé à tout jamais. Cruellement déçue par l’homme qu’elle avait aimé, elle rassemble ses dernières forces et part seule, refusant la protection de Mme de Ramière. Quasi folle, appelant la mort, elle erre au jour levant par les rues désertes. Sauvée du suicide par Ralph, elle suit avec une docilité apathique et machinale son mari à l’île Bourbon où l’appellent ses affaires.

Faible et égoïste qu’il est, Raymon ne la laisse pourtant point au repos ; maintenant qu’elle est loin, il lui écrit de tendres lettres. Indiana, brisée et malheureuse, lui répond de même. Sa vie est redevenue monotone et tranquille, mais une nouvelle brutalité de Delmare vient de nouveau rompre leurs liens, déjà si fragiles.

… « La situation de madame Delmare était devenue presque intolérable par suite d’un incident domestique de la plus grande importance pour elle. Elle avait pris la triste habitude d’écrire chaque soir la relation des chagrins de la journée. Ce journal de ses douleurs s’adressait à Raymon, et, quoiqu’elle n’eût pas l’intention de le lui faire parvenir, elle s’entretenait avec lui tantôt avec passion, tantôt avec amertume des maux de sa vie et des sentiments qu’elle ne pouvait étouffer. Ces papiers tombèrent entre les mains de Delmare, c’est-à-dire qu’il brisa le coffre qui les recélait. ainsi que les anciennes lettres de Raymon, et qu’il les dévora d’un œil jaloux et furieux[215]. Dans le premier mouvement de sa colère il perdit la force de se contenir, et alla, le cœur palpitant, les mains crispées, attendre qu’elle revint de sa promenade. Peut-être, si elle eût tardé quelques minutes, cet homme malheureux aurait eu le temps de rentrer en lui-même ; mais leur mauvaise étoile à tous deux voulut qu’elle se présentât presque aussitôt devant lui. Alors, sans pouvoir articuler une parole, il la saisit par les cheveux, la renversa, et la frappa au front du talon de sa botte ».

Delmare fut désespéré de sa brutalité, mais il était trop tard. Indiana, revenue à elle, se décida à le quitter pour toujours. Sous l’impression d’une lettre de Raymon, triste et tendre, que pendant longtemps elle avait gardée sans oser l’ouvrir et la lire et dans laquelle il semblait la rappeler auprès de lui, elle s’enfuit secrètement de la maison et s’arrangea avec un capitaine de vaisseau pour rentrer en France. Elle expia cruellement cette dernière faiblesse, cette dernière confiance en l’homme aimé : elle trouva Raymon marié.

La malheureuse Indiana but jusqu’à la lie la coupe de sa déception et résolut de mourir. Sir Ralph, à qui elle ne cachait pas son dessein, et qui, comme un chien fidèle l’avait suivie à Bourbon et en revient en même temps qu’elle, voulait lui rester dévoué jusqu’à la mort et disparaître avec elle. Il persuada pourtant à la pauvre femme, devenue toute passive et comme indifférente à tout, à force de souffrances, de visiter une dernière fois les lieux où s’écoulèrent les jours riants de leur enfance et puis d’y chercher la mort ensemble dans quelque précipice aux flancs du mont Bernica. D’après le plan primitif du roman, ils devaient réellement se jeter dans une cataracte, et cette fin eût été certainement plus hardie et plus naturelle, vu le désespoir et la mort morale d’Indiana. C’est ce que Gustave Planche a déjà fait remarquer en son temps. Mais George Sand, qui n’aimait pas les dénouements tragiques, changea d’idée et ajouta un épilogue, dans lequel Indiana et Ralph, au moment de se précipiter dans l’abîme, découvrent tout à coup, elle — qu’elle peut encore aimer, lui, — qu’il l’a toujours aimée. Le couple heureux vient alors s’établir dans une vallée idyllique de l’île, toute noyée dans la verdure. Cette fin ne l’ail que nuire au roman, péchant trop déjà par des exagérations romantiques, des longueurs et des tirades. Et pourtant, ces pages brûlantes de passion, ces belles descriptions, ces fines analyses psychologiques, ces observations prises sur le vif, nous enchantent quand même. Il y a là des passages et des scènes qui se gravent pour toujours dans la mémoire. Telle est, par exemple, cette obscure soirée d’automne au château des Delmare : le colonel, sombre et farouche, arpente la chambre ; la fluette et jolie Indiana (nous allions dire, Aurore), assise devant la cheminée, de ses tristes yeux noirs contemple rêveusement le feu. L’ami fidèle, Ralph, silencieux et correct, les examine tous les deux à la dérobée. L’oppression, le morne chagrin, la révolte secrète, mais implacable d’une âme insondable de femme, tout cela semble flotter dans l’air et pénétrer le lecteur, Tel aussi ce commencement du premier chapitre de la seconde partie (dans la première édition, et qui n’a plus été inséré, on ne sait pas trop pourquoi, dans les suivantes), si parfaitement pessimiste et d’une si fine analyse psychologique. Remarquons que George Sand, tout en écrivant très vite, presque sans rature, ni corrections, — ce dont tous les critiques l’ont louée à satiété, — aimait à changer et à refaire ses ouvrages, soit pour leur apparition en volumes, soit pour les éditions suivantes, et presque toujours à leur désavantage. À parler franchement, nous préférons les premières versions aux autres. En changeant ou en ajoutant, elle gâtait toujours son premier texte. C’est ainsi qu’elle a gâté Indiana en supprimant beaucoup d’expressions, frappantes de précision et de justesse, et même des pages entières. C’est encore ainsi qu’elle a gâté Lélia en changeant complètement l’idée première et en atténuant par une dernière partie optimiste le profond désespoir, qui faisait le charme du livre. Voici quelques lignes qui ont disparu d’Indiana et qui sont cependant, par leur profondeur, dignes d’un Tolstoï :

« Je pourrais, pour peu que je fusse à la hauteur de mon siècle, exploiter avec fruit, la catastrophe qui se trouve si agréablement sous ma main, — (la mort de la sœur de lait d’Indiana, la créole Noun, qui périt aussi par la faute de Raymon) — vous faire assister aux funérailles, vous exposer le cadavre d’une femme noyée, avec ses taches livides, ses lèvres bleues et tous ces menus détails de l’horrible et du dégoûtant qui sont en possession de vous récréer par le temps qui court. Mais chacun sa manière, et moi je conçois la terreur autrement. Ce n’est pas sous la pierre des tombeaux, mais autour des tombeaux que je l’ai vue habiter ; ce n’est pas dans les vers du sépulcre que je l’ai trouvée, c’est dans le cœur des vivants et sous leurs habits de fête ; ce n’est pas dans la mort de celui qui nous quitte, c’est dans l’indifférence de ceux qui lui survivent ; c’est l’oubli qui est le véritable linceul des morts, c’est celui-là qui fait dresser mes cheveux, c’est celui-là qui glace mon sang et me serre le cœur ; ce n’est pas l’église avec son deuil et ses cierges, ce n’est pas le fossoyeur avec sa puanteur et sa bêche qui ont pour moi des émotions profondes et de pâles frayeurs ; c’est le lendemain tranquille, la vie qui reprend son cours sur la tombe à peine fermée, le repas où la famille s’assemble comme de coutume en sortant du cimetière. Shakespeare l’entendait bien ainsi, lorsqu’au lieu de baisser le rideau sur le meurtre ou le suicide, il rassemblait autour des cadavres ses personnages secondaires, et leur mettait dans la bouche des sentences philosophiques, ou le plus souvent des réflexions sur leurs propres affaires. Pour lui, un drame n’était pas une scène d’échafaud ou d’assassinat, c’était une peinture de la vie, avec ses intérêts, ses passions, ses chances de succès ou de défaite ; l’homme qui succombait n’était qu’un accident, un moyen pour dénouer l’entreprise de plusieurs[216] »…

Impossible de citer toutes les beautés du livre ; il faudrait pour cela copier des pages entières. Le lecteur fera bien de lire ou de relire le roman, s’il l’a oublié. Il comprendra certainement alors pourquoi les lecteurs et les critiques de l’époque saluèrent en l’auteur nue nouvelle étoile littéraire ; il comprendra également pourquoi les critiques contemporains y signalèrent d’emblée ces problèmes, ces « cruelles énigmes » pour tout homme pensant, que George Sand a soulevés dans ce roman !

Indiana aux yeux noirs, est toute passion, Valentine est toute poésie. C’est cette poésie douce et suave, répandue dans l’air du Berry, que George Sand avait humé dans ses matinales promenades solitaires. Le roman nous prouve pourtant que le poète connaît aussi à fond la vie de campagne. C’est là-dessus que les critiques et les historiens de la littérature, qui, par routine divisent les romans de George Sand en trois périodes, en rattachant exclusivement à la troisième l’élément champêtre, devraient fixer leur attention. Il nous est difficile de comprendre pourquoi la famille Lhéry dans Valentine devrait être considérée « peinte dans une autre manière » que la famille Barbeau dans la Petite Fadette ; pour quelle raison le nom de « personnages rustiques » appartiendrait à Germain le fin laboureur, à son beau-père positif et pratique, le vieux Maurice, au vieux fripon Léonard, père de la coquette de village, Catherine Guérin (La Mare au diable), à plus juste titre qu’à la mère Janille dans Le Péché de M. Antoine, à Bricolin dans le Meunier d’Angibault ou à « la mère Lhéry », à Pierre Blutty et à Athénaïs dans Valentine ; ni quelle différence on pourrait trouver entre la description de la fête champêtre dans Valentine et celle de la « bourrée » dans la Petite Fadette ? Il est temps d’en finir avec divisions arbitraires en « trois périodes » et de reconnaître enfin que George Sand, dès ses premiers pas dans la carrière littéraire, se mit à dépeindre des tableaux et des figures rustiques de son Berry ; puis, que dans ses premiers, comme dans ses derniers romans, elle en a représenté avec un succès égal les personnages comiques, négatifs, typiques, dans le genre des Bricolin, des Lhéry, des Léonard et des Catherine, en idéalisant et en traitant à l’eau de rose les personnages positifs, comme elle le faisait pour tous héros principaux, à quelque classe qu’ils appartinssent.

Revenons à Valentine. Le drame d’amour de ce roman est plus varié que celui d’Indiana ; l’action, qui se passe entièrement dans le Berry, donne à l’auteur la possibilité de prendre sur nature des tableaux aimés dès son plus jeune âge, des tableaux de la vie rustique et de la vie de château. La fable du livre est plus simple, plus réelle, plus vraie que dans Indiana.

Valentine de Raimbault, une douce rêveuse, aimant la nature et la vie simple, épouse M. de Lansac, pour obéir d’une part à sa grand’mère, une bonne vieille à la morale légère du siècle passé, admettant tous les caprices, toutes les folies, pourvu qu’elles fussent voilées, d’autre part pour complaire à sa mère, désireuse de se débarrasser au plus vite de sa fille. Dans ses promenades à travers les forêts du Berry — reproduisant évidemment celles de l’auteur lui-même — il arrive à Valentine de faire la connaissance de Bénédict. Ce fils de paysan, petit jeune homme à grandes ambitions, ce chercheur d’idéal, en révolte contre la modestie de son sort oui ne répond pas à l’élévation de son âme, est assez désenchanté, mais souffre surtout de son inactivité. Somme toute, c’est un pastiche de René et des héros de Victor Hugo, mais en même temps, un personnage ressemblant beaucoup à certains jeunes gens de l’entourage d’Aurore. En réalité, c’est une nature passionnée, sans convictions arrêtées, un caractère faible dont les actions dépendent plutôt du hasard que d’intentions déterminées ; c’est aussi un prototype de tous ces nombreux « jeunes premiers » prolétaires de George Sand qui s’éprennent d’amour pour des demoiselles nobles : de tous ces Simon Féline, Pierre Huguenin, Henri Lemor, etc. Les deux jeunes gens s’éprennent l’un de l’autre. La naissance de l’amour de Valentine pour Bénédict, la lutte entre l’amour et le devoir, la triste histoire de la jeune femme, victime des préjugés de caste et de la morale reçue qui exige la fidélité de la femme à son mari, même lorsqu’il n’existe aucun amour ni aucune sympathie entre les époux ; d’autre part, la position tragique du jeune homme sorti du peuple, supérieur par le développement de son âme et de son esprit aux représentants de la haute société qui l’entoure, périssant uniquement pour avoir osé aimer une jeune patricienne, toutes les péripéties de ce drame sont peintes avec un élan poétique et une inimitable finesse d’analyse psychologique. La tragédie de la passion des deux jeunes gens se complique par les relations de Bénedict avec la famille de sa fiancée, Athénaïs Lhéry, fille d’un paysan enrichi qui l’a élevée « comme une demoiselle », et par les relations de Valentine avec Louise, sa sœur aînée, fille perdue, que sa famille a maudite. La position de cette malheureuse est un avertissement pour Valentine, si jamais elle se laissait entraîner par son amour pour Bénédict. Louise, que Valentine voit malgré la défense de sa mère et de sa grand’mère, devient à son tour amoureuse de Bénédict, ce qui ne les empêche pas de rester amies ; le mépris même qui retombe sur Louise ne fait que rendre leur tendresse plus ardente, plus émue. Ce sont là des souvenirs des relations d’Aurore avec sa mère, et d’une fête de La Châtre, où elle s’était faite la protectrice d’une fille déchue (il en a été parlé plus haut). La scène où Valentine danse la « bourrée » rappelle tout à fait celle qui est racontée dans l’ « Histoire de ma Vie » à propos de l’amitié d’Aurore pour cette malheureuse jeune fille. C’est une des meilleures scènes du roman et ce n’est pas la seule excellente. Nous ne tenons pas à répéter ici les éloges, tant de fois prodigués, au récit de la première rencontre de Valentine avec Bénédict, quand, ne l’apercevant pas encore, elle admire son chant dans le silence de la forêt, ni à vanter une fois de plus la charmante idylle au bord du ruisseau lors de la partie de plaisir champêtre : nous ne parlerons pas non plus du départ de la famille Lhéry, pour la fête, ni de la brûlante explication, la nuit, entre Bénédict et Valentine dans la chambre de celle-ci. Si nous ne répétons pas ici toutes les louanges adressées à l’auteur à l’occasion de ces scènes admirables, ce n’est pas que nous ne désirions les louer encore cent fois davantage, mais uniquement pour ne pas ressasser ce que chaque lecteur, tant soit peu au courant des œuvres de G. Sand et de ce qu’on a écrit sur elle, sait parfaitement bien, tandis que cela ne peut rien expliquer à celui qui ignore œuvres et critiques.

Portons maintenant notre attention sur ce fait, qu’en dépit des attaques répandues, dès l’apparition d’Indiana et de Valentine, sur ces romans, leur tendance, le désir de l’auteur de « saper la sainte institution du mariage », le lecteur impartial d’aujourd’hui en jugera tout autrement et n’y trouvera aucune apologie d’immortalité. Tout au contraire, dans les deux romans, les héroïnes sont punies pour avoir violé leurs devoirs d’épouses. Indiana, qui fuit le toit conjugal, expie sa faute, en découvrant la perfidie et la bassesse de l’homme aimé ; Valentine et Bénédict périssent l’un après l’autre, ayant à peine goûté au fruit défendu. Ici comme là, le châtiment ne surgit pas comme un deus ex machina, mais ressort logiquement de l’engrenage de relations et de circonstances où les héroïnes ont été entraînées par leurs amours fatales[217]. C’est la même thèse que celle du roman génial de Tolstoï avec son adage implacable : « À Moi la vengeance et c’est Moi qui châtie. » (Anna Karénine).

Quoi qu’il en soit, dans les deux premiers grands romans que George Sand a écrits sans collaborateur, son talent d’écrivain apparaît déjà déterminé et éclatant, et même on y trouve toute sa « manière » très nettement manifestée avec ses particularités et ses types favoris. Il y a plus encore : les qualités de ces deux romans remportent de beaucoup sur leurs défauts, ce que l’on ne peut pas toujours dire des œuvres ultérieures. Ainsi nous y voyons : 1° une femme supérieure par son âme et ses facultés intellectuelles à celui qu’elle aime ; 2° un ami dévoué, désintéressé, épris de l’héroïne, mais cachant son amour au fond du cœur, prêt à tous les sacrifices, même à se dévouer en faveur de son rival, plus heureux et moins désintéressé ; 3° des héros sortis du peuple tombant amoureux de femmes appartenant aux classes supérieures et des héroïnes, qui oublient, pour leur amour, leur noblesse et leurs prérogatives. (Remarquons seulement que, chez Valentine, il n’y a pas encore d’intention de descendre jusqu’à l’homme sorti du peuple au nom de l’égalité, mais qu’au contraire ses rêves, ses désirs et ses goûts sont si modestes, si mesquins et si insignifiants, que c’est plutôt Bénédict, plus éclairé, plus brillant que celle qu’il aime, qui doit descendre à son niveau. Habiter une ferme, nourrir des oies et des moutons — idéal de la vie heureuse que se fait Valentine, — c’est bien gentil, mais bien peu de chose et montre plutôt la pauvreté d’intérêts de la gracieuse héroïne que ses tendances démocratiques). 4° nous voyons dans ces romans de magnifiques descriptions de la nature et… des monologues et des dialogues interminables, ampoulés, et, enfin 5°, la fidélité et le réalisme dans la description des personnages secondaires et l’exagération romanesque des principaux héros.

Le même plaidoyer pour la liberté de sentiment contre le joug de la morale reçue se voit dans Melchior, petit récit, dont voici le sujet : un certain marin, beau, brave et honnête, Melchior, dans un accès de désespoir, noie dans l’océan sa cousine Jenny, qui avait le malheur de l’aimer et qu’il aimait aussi passionnément ; il la fait périr pour l’unique raison qu’il est depuis longtemps marié à une femme intéressée, menteuse, une aventurière dont il s’est séparé depuis longtemps et qui, de son côté, ne pense pas à lui, mais dont l’existence seule rend cependant criminel l’amour de Melchior pour Jenny, et leur bonheur. La jeune fille paie, par sa mort, un court moment de ce criminel et enivrant bonheur partagé, et Melchior le paie à son tour par la folie[218].

La Providence et la nature ont donné aux hommes l’amour, cette joie pure et sublime, mais les hommes ne savent pas en profiter ; créant par leurs lois des obstacles et des entraves, ils périssent chaque fois que volontairement ou malgré eux ils s’en affranchissent. Telle est la morale renfermée dans Melchior.

Dans le Toast, petit conte romantique paru dans les Soirées littéraires de Paris (recueil publié en 1832)[219], l’auteur chante, cette fois sur un ton majeur, un hymne au sentiment divin. L’action se passe aux Pays-Bas au xviie siècle. Le vieux gouverneur de Berg-op-Zoom, Sneyders a épousé une jeune et belle Espagnole, Juana. La pauvre Juana, qui a grandi sous le soleil de l’Andalousie ; s’ennuie et langui ! dans ce pays humide et triste, entourée de Hollandais lourds et prosaïques. « Joignez à l’influence du climat la société d’un mari fort riche, fort sensé, fort entendu en ce qui touche ses affaires et son gouvernement, mais fort ennuyeux, il faut bien le dire, et vous comprendrez que la belle et tendre Juana pouvait bien avoir le mal du pays… » Elle a, comme on peut s’y attendre, les yeux noirs et tristes, la pâleur mate et l’air mélancolique de la soumission, traits d’une femme bien connue de George Sand, qui avait le malheur de vivre depuis neuf ans avec un mari qui, quoiqu’il ne fût pas gouverneur de Berg-op-Zoom, n’en était pas moins aussi prosaïque que l’honorable Sneyders. Heureusement pour la pauvre Juana, il se trouvait dans la maison du gouverneur un jeune page aux yeux noirs, Ramiro, né aussi dans la chaude Espagne, amateur de musique, chantant parfaitement les anciennes romances espagnoles ; il était, en outre, « d’une noble et antique maison, ce qui, dans ce temps-là, ne gâtait rien », ajoute l’auteur, qui, de la première à la dernière ligne de cette gentille bluette, ne se départit pas d’un ton gai, léger, plein d’humour et d’entrain le plus parfait. Sneyders aurait pu, semblerait-il, ne pas avoir trop d’inquiétudes, vu la conduite irréprochable de sa jeune femme et la chaste innocence de son page de seize ans, et compter, en plus, sur « le climat refroidissant de la Flandre ». Il n’aurait donc dû avoir aucun motif de jalousie, « ce dont il était contrarié parfois autant que flatté car il y a certaines liaisons pures, discrètes, mystérieuses, gai font plus de tort au repos d’un mari que de franches et loyales infidélités ». En vain Sneyders essaye-t-il d’espionner les jeunes gens, il perd son temps. « On peut surprendre en flagrant délit des coupables, découvrir les manèges de la passion, — on ne peut surprendre ou démasquer un amour pur, profond et innocent ». Sneyders se met à railler le page, se moque de sa musique et de ses empressements ; peine inutile ! Alors, il recourt au crime, déguisé de la plus belle façon. Sous prétexte d’une mission urgente, Sneyders envoie le jeune page chez le gouverneur d’Anvers, son parent, espérant qu’il y sera retenu comme otage espagnol ou même tué (l’action se passe à l’époque de la lutte des Pays-Bas contre l’Espagne), d’autant plus que le gouverneur est l’ennemi juré du père et de toute la famille de Ramiro. Mais le vieux Sneyders se réjouit trop tôt d’avoir éconduit le jeune homme ; il a trop compté sur la perfidie de son parent, homme d’honneur ; il a oublié que le petit dieu capricieux protège ses fidèles adorateurs et se moque des vieillards, ses ennemis. Un jour, après un bon dîner et après avoir aiguisé sa langue sur l’ « Espagne, les femmes, les romances, les petits chiens et les pages, joueurs de guitare », Sneyders veut méchamment faire boire Juana à La santé du gouverneur d’Anvers. Il triomphe perfidement de sa victoire sur Ramiro et se réjouit déjà de sa mort, lorsque Juana, au désespoir du péril que court le jeune homme, prend le verre en main et, bouleversée par la cruelle plaisanterie de son mari, s’écrie : « Si la confiance des Anversois dans leur gouverneur est si aveugle, dit-elle, c’est qu’apparemment ils le savent incapable d’une action lâche et d’un crime inutile ».

Tout à coup une jeune voix se fait entendre sous la fenêtre, chantant le refrain d’une romance favorite de Juana, et celle-ci boit joyeusement à la santé de « son ami et parent, le glorieux gouverneur d’Anvers ». Après avoir calmé sa bien-aimée, Ramiro se cache pour échapper à la vengeance du très cher Sneyders, qui, cette fois, aurait certainement tout fait pour le perdre. La victoire reste à la jeunesse. Ramiro et Juana ne se reverront peut-être plus, mais ce moment de bonheur a compensé tous leurs chagrins. L’amour a vaincu et se rit des vieux maris, des chaînes, des proscriptions, des défenses, des lois et des sévices. Vive l’amour, vive tout sentiment pur et humain, voilà ce que nous dit ce petit conte gracieux et gai, écrit d’une plume alerte et avec une verve et un entrain tout à fait surprenants.

Ainsi la lutte (finissant par la perte ou le triomphe) des âmes marquées de l’étincelle du génie, ou simplement des natures douées de talents, contre la vie bourgeoise, mesquine et plate, contre la tourbe banale, médiocrement vertueuse ou médiocrement vicieuse et contre les idées étroites et routinières ; puis la défense de l’inspiration contre la morale reçue, du talent contre la foule, de l’amour contre les préjugés du monde et les intérêts prosaïques ; et enfin le triomphe de l’amour véritable sur tous les obstacles, toutes les barrières et toutes les entraves, voilà les thèmes principaux des premières œuvres de George Sand.

« Quels rêves irréalisables, quelle sentimentalité ! » dira le lecteur pratique et réaliste de 1898. Néanmoins, bien des rêves irréalisables de George Sand sont devenus de vieilles vérités, et, ce qui n’est pas encore réalisé, les poètes de tous les peuples l’ont toujours rêvé, espéré et prédit ; c’est le rêve doré que chacun de nous porte en soi et voudrait voir accompli.

Donc, rien d’étonnant si la dernière œuvre, écrite en 1832 par George Sand, alors si enflammée par l’espoir en l’avenir, si vibrante d’énergie, de courage, de croyance à l’idéal, fut la Reine Mab, cette pièce de vers dédiée à la fée des songes qui nous envoie des rêves riants, des visions heureuses, — à cette adorable reine Mab qui nous emporte, ne fût-ce que pour un moment fugitif, hors de notre vie terrestre, nous transporte dans une autre sphère et nous fait voir ce qui n’est pas, mais ce que nous désirerions qui fût !



CHAPITRE VII

(1832-1833)


Malheurs sociaux et intimes. — Rupture avec Sandeau. — Prosper Mérimée. — La Double Méprise et Marianna. — François Rollinat. — Lélia. — Gustave Planche. — De Latouche et Sainte-Beuve. — Lavinia, Obermann, Cora, Garnier.


À L’époque où les unes après les autres ces œuvres hardies et brillantes paraissaient à l’horizon littéraire, la vie personnelle de George Sand avait complètement changé et ne ressemblait nullement aux premiers mois de son séjour à Paris, ce temps de joie et d’ivresse. Déjà l’année 1831 avait fini assez mal pour George Sand. Elle avait été très malade ; elle écrit à Boucoiran, le 13 novembre[220], qu’elle avait eu quelque chose comme une « congestion cérébrale, en d’autres termes une attaque d’apoplexie » ce qui avait amené deux saignées. Elle fut soignée par un jeune Sancerrois, Émile Régnault[221], alors carabin et grand ami de Sandeau. Il la soignait avec abnégation et dévouement, passant auprès de la malade des nuits entières sans fermer l’œil, toujours sur le qui-vive, ne dormant qu’à peine sur un canapé du salon.

En décembre, George Sand eut une rechute, et ce ne fut qu’à la fin du mois qu’elle se sentit assez rétablie pour aller à Nohant. En janvier 1832, elle fut encore malade, ainsi que ses enfants. Son humeur était noire et ses lettres de janvier à avril, portent une empreinte de sombre tristesse. En avril, elle partit pour Paris avec Solange. C’est à cette époque qu’il faut rapporter la description qu’elle fait de sa vie avec sa fille au quai Saint-Michel dans l’Histoire de ma Vie[222], racontant comment une excellente voisine avait pris la petite berrichonne sous sa protection et la faisait jouer auprès d’elle avec d’autres enfants, lorsqu’Aurore était occupée ou qu’elle avait à sortir.

À peine établie à Paris avec Solange, George Sand tomba de nouveau malade, et cette fois elle inspira plus de craintes encore à ses amis qui prirent la maladie pour un des premiers cas du choléra qui venait d’éclater à Paris. Elle écrit à sa mère : « Mes amis et mes portiers épouvantés ont décidé que j’avais le choléra ; le médecin a eu beau les assurer du contraire. Ils le croient et le croiront toujours. Deux de mes plus dévoués sont couchés dans mon salon, l’un par terre, l’autre je ne sais où. Je m’éveille et m’étonne beaucoup du grand aria que je vois autour de moi, car je vous assure que j’étais bien moins malade qu’ils ne me font. J’ai eu quelques symptômes du choléra, mais si légers, qu’une tasse de thé et des couvertures les ont dissipés et que j’ai dormi comme un sonneur jusqu’à midi[223]. » Il est à croire que ce choléra n’était pas bien effrayant et qu’en général George Sand avait des notions fort peu exactes sur cette maladie, car, lorsqu’elle écrivit un an plus tard, Lélia, dans une scène des plus importantes du roman, elle représenta son héroïne parlant philosophie avec ses amis au milieu d’une attaque très intense de choléra, et terrassant le pusillanime moine Magnus par la force de son esprit et de sa libre pensée. George Sand est sans doute l’unique romancière qui ait condamné son héroïne à souffrir de cette maladie si peu poétique ; il est fort probable qu’elle même ne l’a jamais eue et que c’est à tort que ses amis ont eu peur pour elle. Si nous nous sommes permis de citer ici ce passage peut-être peu intéressant de la lettre de George Sand à sa mère, c’est parce que nous avons voulu par là excuser quelque peu cette scène de Lélia absolument invraisemblable.

Le temps alors était en général à la tristesse. Le choléra avait d’abord frappé de terreur les habitants de Paris, puis éclatèrent ces émeutes de triste mémoire, qui finirent par le massacre du cloître Saint-Merry. Enfin le choléra se propagea en province. Aurore Dudevant fut inquiète pour son mari, alors membre du jury aux assises de Châteauroux (ce qui ne manquera pas d’étonner le lecteur, s’il n’a pas encore assez remarqué combien les relations des deux époux étaient amicales même après leur séparation). Elle craignit également pour Maurice qui était resté avec son précepteur à Nohant. Cependant, toutes ces craintes furent gratuites : au mois d’août, toute la famille, saine et sauve, se réunit à Nohant.

Alors, soit qu’il se fut passé quelque chose de terrible dans la vie d’Aurore, soit qu’à chaque arrivée à Nohant elle sentit plus profondément le côté anormal de sa vie en commun avec Dudevant et se convainquit combien alors ces mêmes relations paisibles devenaient hostiles, il est certain que le malaise moral dont elle souffrait depuis le commencement de l’année s’accentua tout à coup. Le 20 août, à peine arrivée à Nohant, elle écrivait à Rollinat qu’elle désirait le voir et lui proposait de faire une partie de plaisir avec d’autres amis à Valençay, ou bien d’aller elle-même le retrouver chez lui à Châteauroux, et, comme toujours dans sa correspondance avec ses amis, elle décrivait ses préparatifs pour « ce voyage autour du monde » de la manière la plus humoristique.

Aurore avait fait la connaissance de M. Rollinat père et de sa nombreuse famille, en 1831, mais elle s’était surtout liée d’amitié avec François Rollinat, une amitié tout exceptionnelle, toute particulière, quelque chose hors de l’ordinaire, l’idéal des relations humaines. C’était une absolue et constante pénétration réciproque de pensées et de sentiments, une presque entière identité d’idées et de tendances, une entente mutuelle à demi-mots, l’absence complète de discordance et de dissentiment en quoi où à propos de quoi que ce fût, en un mot, François Rollinat fut l’alter ego de George Sand, son double moral.

Et voilà que deux jours après le billet que nous venons de mentionner, George Sand écrivait le 22 août, à ce même Rollinat : « Je n’irai point à Valençay, je n’irai point à Châteauroux, j’irai peut-être au cimetière »…[224] et elle l’invitait à venir la voir au plus vite à Nohant. Ce billet de quelques lignes, écrit négligemment et d’une écriture nerveuse, témoigne par sa seule vue du triste état d’esprit, dans lequel Aurore Dudevant se trouvait alors. Toutes ses autres lettres de la fin de cette année sont également pleines de mélancolie et de pessimisme. La vie sociale de Paris et la vie privée d’Aurore Dudevant étaient troublées, il y régnait la tristesse des rêves perdus et des espoirs déçus, une sourde irritation, un dépit impuissant, un morne désespoir.

Au mois de novembre, George Sand s’installa avec Solange dans un autre Logement quai Malaquais, dont de Latouche lui avait cédé le bail. Elle y était mieux que dans la mansarde qu’elle avait occupée : il y faisait plus chaud, tout y était calfeutré et tapissé. Une servante qu’Aurore avait amenée de Nohant faisait la cuisine, lavait le linge et soignait la petite fille. Indiana avait apporté de la gloire et de l’argent. Après Valentine, Aurore n’eut plus à se soucier du sort de ses œuvres, les éditeurs sollicitaient le droit d’imprimer ses romans. La Revue de Paris et la Revue des Deux Mondes se les disputaient aussi. La Revue des Deux Mondes l’emporta. George Sand s’engagea par contrat à lui fournir « pour une rente de quatre mille francs, trente-deux pages d’écriture toutes les six semaines[225] ».

Mais Le bonheur qui avait régné dans la froide et incommode mansarde du quai Saint-Michel, semblait fuir le gentil logement du quai Malaquais. L’amour, naguère si heureux, de la jeune femme pour Jules Sandeau était maintenant devenu une source de souffrances et de nouvelles déceptions. Aurore vit avec terreur que son union « libre » était tout aussi malheureuse que l’avait été pour elle le mariage. Vers le commencement de 1833, cette liaison se brisa soudainement. M. Edmond Plauchut[226] raconte que, désirant faire une surprise à Sandeau, Aurore Dudevant arriva à l’improviste de Nohant et le trouva en conversation criminelle avec une blanchisseuse quelconque. La rupture fut immédiate et définitive. En juin 1833, George Sand écrit à ce propos à Émile Régnault :

13 juin 1833.

« Cher ami, je viens d’écrire à M. Desgranges pour lui donner congé de l’appartement de Jules et lui demander quittance des deux termes échus que je veux payer ; l’appartement sera donc à ma charge jusqu’au mois de janvier 1834.

« … Je reprends chez moi le reste de mes meubles. Je ferai un paquet de quelques hardes de Jules, restées dans les armoires et je les ferai porter chez vous, car je désire n’avoir aucune entrevue, aucune relation avec lui à son retour, qui, d’après les derniers mots de sa lettre, que vous m’avez montrée, me parait devoir ou pouvoir être prochain. J’ai été trop profondément blessée des découvertes que j’ai faites sur sa conduite, pour lui conserver aucun autre sentiment qu’une compassion affectueuse. Faites-lui comprendre, tant qu’il en sera besoin, que rien dans l’avenir ne peut nous rapprocher. Si cette dure commission n’est pas nécessaire, c’est-à-dire si Jules comprend de lui-même qu’il doit en être ainsi, épargnez-lui le chagrin d’apprendre qu’il a tout perdu, même mon estime. Il a sans doute perdu la sienne propre. Il est assez puni… »


Remarquons que c’est à cet épisode que s’est attachée une légende souvent racontée depuis, et dont l’auteur fut Paul de Musset : que George Sand avait elle-même, en l’absence de Sandeau, alors en Italie, pris ses lettres dans le bureau de ce dernier et les avait brûlées. Remarquons aussi que quoique George Sand le nie (par exemple dans la fameuse lettre à Mirecourt), Sandeau était effectivement allé en Italie à ses frais à elle, et que, malgré sa rupture avec lui, elle était restée en de bonnes relations avec la famille Sandeau. Ainsi, le 18 juillet 1833, elle écrivait encore à Mlle Félicie Sandeau, à Niort : « Notre bon Jules est à Florence »… « pour sa santé », ajoutant que ce petit voyage était « très utiles à Jules pour écrire et raconter », et terminait en priant Mlle Félicie de présenter ses salutations à son père et d’embrasser sa mère, etc. Nous attirons aussi l’attention du lecteur sur le passage très transparent du roman de Sandeau, Marianna, où l’auteur raconte comment Henry partageait, sans scrupule, les ressources de Marianna, trouvant, qu’entre eux, « tout était commun ».

Néanmoins, au commencement de 1833, tout rapport personnel entre George Sand et Jules Sandeau avait cessé et ils ne se rencontrèrent que très rarement plus tard. Nous savons, par exemple, par le journal d’Aurore, qu’elle envoya en 1835 à Musset, que le hasard les avait mis en présence l’un de l’autre chez Gustave Papet, en décembre 1834, et qu’ils avaient alors causé paisiblement. Mais en 1833, elle ne voulait pas entendre parler de le voir.

Le désespoir d’Aurore fut extrême. Elle avait pu s’expliquer la trahison grossière de la part de Dudevant par l’absence du véritable amour dès les débuts de leur mariage, mais Jules Sandeau l’avait passionnément aimée, leur liaison était une liaison de deux cœurs, leur camaraderie et leur amitié avaient précédé leur union ; ils n’avaient qu’une seule âme ; leurs intérêts, leurs goûts, étaient en tout semblables. Et cependant Sandeau l’avait trahie, et la trahison avait été tout aussi simplement grossière que celle de son mari. Où en trouver l’explication ? N’était-ce là qu’un effet fatal du hasard ou était-ce une tendance générale masculine ? Un amour élevé, platonique, comme celui d’Aurélien de Sèze, s’éteint et se flétrit, parce qu’il est incomplet, détaché de la vie réelle ; mais l’amour passionné et heureux serait-il aussi peu à l’abri de la trahison, des « distractions », d’un caprice de sensualité, que l’amour prosaïque du mariage ? « Le néant est son nom » ! Voilà ce que semblait se dire avec mépris George Sand. Oui, elle avait rêvé trouver une âme dans l’être aimé, et elle avait elle-même donné tout son être. Mais pour les hommes ? L’amour est-il le même sentiment que pour la femme ? L’amour pur et l’amour sensuel ne sont-ils pas chez eux en contradiction continuelle ? Est-ce qu’ils ne sont pas, tout en aimant une femme, capables de la trahir avec la première venue ? Et, au contraire, est-ce qu’ils ne sont pas capables, malgré l’intimité la plus complète, de rester intellectuellement étrangers à la femme aimée ? La fidélité et l’éternité dans l’amour ne sont que mirage. Tout dépend d’un moment. Les serments ne sont que tromperie. Les rêves de l’union des âmes sont de naïves illusions. Dans l’amour, comme partout ailleurs, règne le hasard. L’esprit et la matière sont hostiles l’un à l’autre et le plus souvent c’est la matière qui remporte le triomphe sur l’esprit…

Et autour d’elle, Aurore Dudevant entendait alors retentir les prédictions hardie des « romantiques » et des Saint-Simoniens, renversant tous les principes d’antan, des tirades éloquentes sur la légitimité de tous les instincts et, en particulier, sur la toute-puissance de l’amour ; sur la sottise de réprimer ses passions, surtout celles qui sont « naturelles » ; sur l’égalité des droits des deux sexes devant les droits de la nature ; sur l’injustice qu’il y a de mesurer autrement la morale de l’homme et celle de la femme, etc. La jeune femme inexpérimentée qui venait de goûter au fruit défendu et l’avait trouvé médiocrement doux, eut comme un vertige au milieu de tous ces paradoxes et de toutes ces contradictions. Et, en même temps, s’éveillèrent en elle les indomptables instincts de la fière indépendance. C’était un trait de caractère qui s’était manifesté chez elle depuis l’enfance. Le moindre joug, la moindre pression de la part de ceux qui l’entouraient suffisaient pour faire surgir en elle l’esprit de contradiction et lui faire « prendre le mors aux dents ». Les années de sourde révolte et de mécontentement qu’elle avait passées à Nohant avaient aiguisé et développé à l’excès cet esprit de contradiction, et, à ce moment, il se produisit en elle quelque chose de semblable à ce qui avait éclaté, lorsque la grand’mère lui avait révélé le passé et la nature de sa mère. Comme alors, le chagrin de se voir déçue dans ce qu’elle avait de plus cher au monde, le mal irréparable, l’absence de toute espérance en un avenir meilleur, amenèrent Aurore au plus dangereux, au plus funeste de tous les états d’esprit : à l’apathie morne, à l’indifférence désespérée. « Eh bien, s’il en est ainsi, tout m’est égal, » semblait-elle se dire. « Ah ! ils ne cherchent dans l’amour que le plaisir, ils s’adonnent à chaque nouvelle passion sans daigner regarder en arrière, ils disent que dans leurs liaisons sans nombre ils finissent par trouver le véritable amour, ce sentiment sans égal, tout puissant et justifiant tout, prêché par Les romantiques. Très bien ! Pourquoi la femme ne ferait-elle pas de même ? Pourquoi doit-elle seule payer les malheurs et les insuccès ? Qu’en sait-elle ? Peut-être ses sentiments précédents n’ont-ils été qu’une série de méprises, et l’avenir lui réserve-t-il cette grande passion toute puissante ?… » Joignez à tout cela les guet-apens d’un tempérament hérité des aïeux et la soif du bonheur, qui venait de se réveiller !… Et cette infatigable chercheuse d’idéal, cette romancière dont le premier roman avait été trouvé par de Latouche, trop vertueux et, par cela même, trop peu conforme à la réalité, risquant de mériter, de la part des lecteurs, l’épithète « d’invraisemblable », la rêveuse qui avait, pendant six ans, aimé son ami lointain d’un amour presque mystique, la compagne de Jules Sandeau, pénétrée des idées les plus pures et les plus honnêtes sur l’amour et la fidélité, elle ne cherche maintenant que l’oubli, elle se laisse emporter par La soif des sensations, des plaisirs. Son entourage, les exemples qu’elle voyait autour d’elle, tout la poussait dans cette dangereuse et sombre voie.

Vers cette époque, elle fit, dans des circonstances assez extraordinaires, la connaissance de Marie Dorval, célèbre actrice tragique et très amie de Sandeau (plus tard sa maîtresse) : « J’avais publié seulement Indiana, je crois, quand, poussée vers Mme Dorval par une sympathie profonde, je lui écrivis pour lui demander de me recevoir. Je n’étais nullement célèbre et je ne sais même si elle avait entendu parler de mon livre. Mais ma lettre la frappa par sa sincérité. Le jour même où elle l’avait reçue, comme je parlais de cette lettre à Jules Sandeau, la porte de ma mansarde s’ouvre brusquement, et une femme vient me sauter au cou avec effusion, en criant tout essoufflée : « Me voilà, moi ! » Je ne l’avais jamais vue que sur les planches, mais sa voix était si bien dans mes oreilles que je n’hésitai pas à la reconnaître. Elle était mieux que jolie, elle était charmante ; et cependant elle était jolie, mais si charmante que cela était inutile. Ce n’était pas une figure, c’était une physionomie, une âme. Elle était encore mince, et sa taille était un souple roseau qui semblait toujours balancé par quelque souffle mystérieux, sensible pour lui seul. Jules Sandeau la compara, ce jour-là, à la plume brisée qui ornait son chapeau. « Je suis sûr, disait-il, qu’on chercherait dans l’univers entier une plume aussi légère et aussi molle que celle qu’elle a trouvée. Cette plume unique et merveilleuse a volé vers elle par la loi des affinités, ou elle est tombée sur elle de l’aile de quelque fée en voyage…[227]. »

En lisant la lettre de George Sand, l’actrice s’était rappelée une lettre naïve et enthousiaste qu’elle avait écrite dans sa jeunesse à Mlle Mars et que celle-ci avait reçue froidement, bien qu’en l’écrivant, la jeune Dorval se fut sentie, pour la première fois, véritablement artiste. Devinant que la lettre d’Aurore avait été écrite par une vraie artiste aussi et ne voulant pas faire comme Mlle Mars, Marie Dorval était accourue dans sa mansarde. Depuis ce jour, l’amitié la plus cordiale lia les deux femmes[228]. George Sand a consacré à son amie un chapitre à part de l’Histoire de ma Vie[229]. Elle y raconte les souffrances et les déboires de cette malheureuse actrice trop impétueuse, ménageant trop peu ses forces sur la scène, de cette malheureuse femme trop sincère, ménageant trop peu son âme dans la vie réelle. Malgré la grandeur de son talent, elle n’a atteint ni à la richesse, ni à la gloire, avantages qui sont le lot d’actrices souvent plus froides, plus réservées. Toute sa vie était une alternance continuelle d’enivrements et de désenchantements ; elle vivait sans s’épargner, ne mesurant ni les forces de l’âme, ni celles du corps, ne connaissant pas le doute, se livrant sans réserve à chaque nouveau sentiment et jouant chaque rôle avec toute la force de sa passion et de son talent. Elle appartenait à ce type d’artistes qui, selon l’expression russe, « jouent de leurs entrailles ». C’était une de ces natures qui, tout à coup, à force de sincérité peuvent, dans un même acte, être sublimes et médiocres, capables de conduire deux scènes de suite avec une puissance inimitable, pour tomber, dans la troisième, au-dessous du faible[230].

Elle aimait ses enfants passionnément et outre mesure et elle eût à essuyer de la part de plusieurs d’entre eux, comme de la part de beaucoup de ses relations, la froideur et l’ingratitude. Elle mourut épuisée par le chagrin d’avoir perdu son petit-fils, — sa joie, au milieu des privations les les plus horribles, — usée avant l’âge, comme brûlée par le feu intérieur qui la consumait[231].

Nous trouvons inutile de nous arrêter sur le chapitre de l’Histoire de ma Vie consacré à Marie Dorval, ce chapitre nous paraissant toutes les fois que nous l’avons relu, écrit pro domo sua. Par exemple, les rapports entre Mme Dorval et sa fille qui lui a brisé le cœur, n’ont, évidemment, été décrits avec tant de compassion et de détails que parce qu’ils sont la copie exacte de ce que George Sand eût elle-même à souffrir à l’époque où elle commença l’Histoire de ma Vie. C’est pour cela que nous considérons ce chapitre, non comme une biographie proprement dite de Mme Dorval, mais plutôt comme un document purement psychologique et autobiographique important pour la biographie de George Sand elle-même. Nous y reviendrons dans l’analyse de l’Histoire de ma Vie.

Marie Dorval, une belle et bonne âme en principe, avait une vie remplie de toutes sortes de vicissitudes ; son tempérament passionné, la liberté des mœurs théâtrales en faisaient une amie dangereuse pour le jeune femme de vingt-sept ans, qui, après des années de rêverie et de mysticisme passées au couvent et à Nohant, se trouvait transplantée à Paris, comme elle le dit elle-même « avec des idées très arrêtées sur les choses abstraites à mon usage, mais avec une grande indifférence et une complète ignorance des choses de la réalité… ». Et voilà pourquoi Marie Dorval, cette âme honnête, naïve et ardente, eût une influence si pernicieuse sur Aurore Dudevant, que nous n’osons même pas l’approfondir.

L’époque où ces deux femmes se connurent fut fatale à George Sand. Tout en elle était en fermentation ; ses croyances antérieures s’écroulaient, avaient été l’une après l’autre mises à l’épreuve, ses espérances étaient déçues. Le passé était triste, le présent désolé, l’avenir sombre. Et à peine eût-elle rompu avec Sandeau, que le cœur malade, meurtri, désespéré, l’âme désenchantée, la tête hantée des idées les plus noires, les plus sinistres, elle chercha l’oubli et la consolation dans une nouvelle liaison, inexcusable, incroyablement passagère. Presque sans amour, sans trop savoir elle-même pourquoi, elle se donna à Prosper Mérimée. Voici ce qu’elle écrit à ce sujet à Sainte-Beuve[232], et c’est si caractéristique, si horrible dans sa désolante sincérité que tous commentaires seraient superflus : « Déjà très vieille et encore un peu jeune, je voulais en finir avec cette lutte entre la veille et le lendemain ; je voulais arranger tout de suite ma vie comme elle devait l’être toujours. J’avais, comme tout le monde, des jours de volonté grave et de saine résignation ; mais, comme tout le monde, j’avais des jours d’inquiétude, de souffrance et d’ennui mortel. Ces jours-là, j’étais si déplorablement sombre et chagrine que je désespérais de tout, et que, prête à m’aller noyer, je demandais au ciel, avec angoisse, s’il n’était pas sur terre un bonheur, un soulagement, même un plaisir.

« Vous ne m’avez pas demandé de confidence : je ne vous en fais pas, en vous disant ce que je vais vous dire, car je ne vous demande pas de discrétion. Je serais prête à raconter et à imprimer tous les faits de ma vie, si je croyais que cela pût être utile à quelqu’un. Comme votre estime m’est utile et nécessaire, j’ai le droit de me montrer à vous telle que je suis, même quand vous repousseriez ma confession.

« Un de ces jours d’ennui et de désespoir, je rencontrai un homme qui ne doutait de rien, un homme calme et fort, qui ne comprenait rien à ma nature et qui riait de mes chagrins. La puissance de son esprit me fascina entièrement ; pendant huit jours je crus qu’il avait le secret du bonheur, qu’il me l’apprendrait, que sa dédaigneuse insouciance me guérirait de mes puériles susceptibilités. Je croyais qu’il avait souffert comme moi et qu’il avait triomphé de sa sensibilité extérieure. Je ne sais pas encore si je me suis trompée, si cet homme est fort par sa grandeur ou par sa pauvreté. Je suis toujours portée à croire le premier cas. Mais à présent peu m’importe, je continue mon récit.

« Je ne me convainquis pas assez d’une chose, c’est que j’étais absolument et complètement Lélia[233]. Je voulus me persuader que non ; j’espérais pouvoir abjurer ce rôle froid et odieux. Je voyais à mes côtés une femme sans frein[234], et elle était sublime ; moi, austère et presque vierge, j’étais hideuse dans mon égoïsme et dans mon isolement. J’essayai de vaincre ma nature, d’oublier les mécomptes du passé. Cet homme qui ne voulait m’aimer qu’à une condition, et qui savait me faire désirer son amour, me persuadait qu’il pouvait exister pour moi une sorte d’amour supportable aux sens, enivrant à l’âme. Je l’avais compris comme cela jadis, et je me disais que, peut-être, n’avais-je pas assez connu l’amour moral pour tolérer l’autre, j’étais atteinte de cette inquiétude romanesque, de cette fatigue qui donne des vertiges et qui fait, qu’après avoir tout nié, on remet tout en question et l’on se met à adopter des erreurs beaucoup plus grandes que celles qu’on a abjurées. Ainsi, après avoir cru que des années d’intimité ne pouvaient pas me lier à une autre existence, je m’imaginai que la fascination de quelques jours déciderait de mon existence. Enfin je me conduisis à trente ans, comme une fille de quinze ne l’eût pas fait. Prenez courage… le reste de l’histoire est odieux à raconter. Mais pourquoi aurais-je honte d’être ridicule, si je n’ai pas été coupable ?

« L’expérience manqua complètement. Je pleurai de souffrance, de dégoût, de découragement. Au lieu de trouver une affection capable de me plaindre et de me dédommager, je ne trouvai qu’une raillerie amère et frivole. Ce fut tout, et l’on a résumé cette histoire en deux mots que je n’ai pas dits, que Mme Dorval n’a ni trahis, ni inventés, et qui font peu d’honneur à l’imagination de M. Dumas[235]. »

Cette dernière phrase semble ne pas s’accorder avec la page inédite que nous trouvons dans les Sketches and Hints, album où George Sand notait ses impressions et ses pensées :

« Laissez-moi l’aimer ; je sais qui elle est et ce qu’elle vaut. Ses défauts, je les connais. Ses vices… ah ! voilà votre grand mot, à vous ! Vous avez peur du vice, mais vous en êtes pétris et vous ne le savez pas, ou vous n’en convenez pas ! Le vice ! vous faites attention à cela, vous autres ? Vous ne savez donc pas qu’il est partout, à chaque pas de votre vie, autour de vous, au dedans de vous ? Votre père est avare, votre mère est menteuse, vos frères sont de mauvaise foi, votre confesseur a volé au jeu, votre sœur s’est vendue, votre meilleur ami vous a renié dix fois. Vous ne saviez pas cela ? Comment donc vivez-vous tous, tant que vous êtes ? Que faites-vous donc de vos yeux, de vos oreilles et de votre mémoire ? Vous m’appelez cynique de cœur, parce que je vois et parce que je me souviens, parce que je rougirais de devoir à l’aveuglement ou à l’hypocrisie cette faussé bonté qui vous fait à la fois dupes et fripons.

« Vous dites qu’elle m’a trahie, je le sais bien : mais vous,

mes bons amis, quel est celui d’entre vous qui ne m’a pas trahie ? Elle ne m’a encore trahie qu’une fois et vous, vous m’avez trahie tous les jours de votre vie. Elle a répété un mot que je lui avais dit. Vous m’avez tous fait répéter des mots que je n’avais pas dits (1833) ».

On voit que Marie Dorval l’avait bien « trahie », mais George Sand ne lui avait réellement pas gardé rancune, comme on le voit par cet ajouté, écrit en 1847, lorsque George Sand avait relu et annoté tout son journal intime :

« … Maladie de foie, mais Elle, elle est toujours la même, et je l’aime toujours. C’est une âme admirablement belle, généreuse et tendre, une intelligence d’élite, avec une vie pleine d’égarement et de misères. Je t’en aime et t’en respecte d’autant plus, ô Marie Dorval ! »

Revenons à la lettre à Sainte-Beuve : « Si Prosper Mérimée m’avait comprise, il m’eût peut-être aimée, et s’il m’eût aimée, il m’eût soumise, et si j’avais pu me soumettre à un homme, je serais sauvée, car une liberté me ronge et me tue. Mais il ne me connut pas assez, et au lieu de lui en donner le temps, je me décourageai tout de suite et je rejetai la seule condition qui pût l’attirer à moi[236].

« Après cette ânerie, je fus plus consternée que jamais et vous m’avez vue en humeur de suicide très réelle… »

Cette liaison passagère ne laissa aucun souvenir profond ni chez George Sand, ni chez Mérimée. Bien des années après, ils se rencontrèrent dans les circonstances suivantes. Au printemps de 1848, Monckton-Milnes, plus tard Lord Hougton, un riche anglais qui habitait Paris, très connu dans le monde littéraire et artistique, donnait un jour un dîner, « en petite comité » (sic). Mérimée était au nombre des invités avec Tocqueville[237]. « La société fut assez peu homogène », dit-il ; il y avait Tocqueville, Mignet, Considérant, quelques « fouriéristes » et trois dames. Une de ces dames avait de fort beaux yeux qu’elle baissait sur son assiette. Elle était en face de moi, et je trouvais que ses traits ne m’étaient pas inconnus. Enfin, je demandai son nom à mon voisin. C’était Mme Sand. Elle m’a paru infiniment mieux qu’autrefois. Nous ne nous sommes rien dit, comme vous pouvez penser, mais nous nous sommes fort entre-lorgnés[238] ».

Dans la suite, Mérimée eut l’occasion d’être encore plus aimable envers George Sand, et, hélas ! chevalier plus fidèle que Sandeau qui ne fit preuve de sentiments rien moins que chevaleresques envers son ancienne amie. En 1861, il fut question, à l’Académie française, de décerner le prix de 20 000 francs à George Sand. Elle ne l’obtint pas, n’ayant pas eu le nombre nécessaire de voix dans la commission chargée d’adjuger le prix. D’après les uns, ce serait Jules Sandeau qui lui aurait mis une boule noire, d’après les autres, il se serait dit « malade », et son absence à la séance du scrutin aurait été cause de l’insuccès de George Sand[239].

Lorsque, une dizaine d’années auparavant, Sandeau avait été élu à l’Académie, quelqu’un avait fait circuler le spirituel quatrain que voici :

Entre Sand et Sandeau, la froide Académie
À choisi le plus long et préféré Sandeau,
Le féminin talent au masculin génie.
Le vin pur lui fait peur, elle le trempe d’eau !

Sans vouloir ni pouvoir nous arrêter ici sur la justesse ou l’erreur de l’observation que ce calembour renferme, appelons l’attention du lecteur sur une œuvre de ce « féminin talent » qui touche de près à notre sujet.

Un écrivain sympathique a fait spirituellement remarquer que l’amour entre gens de lettres a pour rançon de toujours être accompagné par une légère odeur d’encre d’imprimerie. En effet, des écrivains qui se sont aimés, résistent rarement après s’être quittés, à la tentation de peindre lui ou elle, et Brandès a tort de n’attribuer cette tendance qu’à Mesdames les romancières[240]. Le sexe fort ne le cède en rien au sexe faible sur ce point. George Sand n’a pas moins subi ce sort de la part de ses anciens adorateurs qu’elle ne le leur a fait subir. Mais tandis que dans La Double méprise de Mérimée, comme nous l’avons dit, on ne peut voir qu’une faible allusion à l’amour passager de l’auteur de Clara Gazul pour l’auteur de Lélia, et que tout le monde connaît au moins de nom la Confession d’un enfant du siècle, seuls les chercheurs, ou à peu près, savent que dans la Marianna de Jules Sandeau, l’héroïne est également copiée sur Aurore Dudevant, et que ce roman contient bien plus de détails pris sur nature que le roman de Musset. Sainte-Beuve déjà, fut si frappé de la ressemblance entre Marianna et la lettre du 8 novembre 1825 d’Aurore à son mari, que sur la copie qu’il possédait de cette lettre il écrivit : « Comparer avec le début de Marianna ». En effet, si l’on ne peut pas désigner avec certitude les deux héros du roman, Gustave Bussy et Henri de Felquères, dont le premier a certainement beaucoup de traits de ressemblance avec Jules Sandeau, il ne faut pas être doué d’une perspicacité bien grande pour s’apercevoir que les époux de Belnave représentent le couple Dudevant, et que les Valton, leurs parents et amis, sont copiés sur Hyppolite Châtiron et sur sa femme Émilie, sauf quelques traits empruntés à Zoé Leroy. M. de Belnave est de tous points semblable au colonel Delmare, le mari d’Indiana. (Remarquons, en passant, la consonnance de ces deux noms : Delmare-Belnave.) Jules Sandeau, il est vrai, a pour son fabricant plus d’égards, et le traite avec plus de bonté que George Sand ne le fait pour son colonel ; dans les derniers chapitres du roman, il lui fait même jouer un rôle très magnanime ; mais il faut reconnaître que chez Sandeau comme chez George Sand, le trait dominant de cet industriel quasi incrusté dans sa propriété de Blanfort (lisez « Nohant » est son esprit prosaïque et terre à terre[241].

Et voici maintenant comment Jules Sandeau nous peint Marianna elle-même : « Jeune, belle, d’une beauté que relevait encore un air de souffrance rêveuse, Marianna apparut à Bagnères (sic) comme une des créations qu’enfante seul le génie des poëtes. C’était une de ces âmes qui ne doivent rien au monde qui ne les connaît pas. Élevée aux champs qu’elle désertait pour la première fois un peu auparavant l’auteur avait dit qu’elle fût élevée par son aïeule), ses manières offraient un singulier mélange de hardiesse et de timidité ; (rappelons-nous les courses effrénées avec Zoé Leroy et même le célèbre : « Tu te singularises »), parfois même elles affectaient je ne sais quelle brusquerie pétulante qui venait d’une secrète inquiétude et d’une ardeur inoccupée, familière et presque virile (sic) ; son intimité était d’un facile accès ; mais sa fière chasteté et son instinctive noblesse mêlaient, au laisser-aller de toute sa personne, des airs de vierge et de duchesse qui contrastaient d’une façon étrange avec son mépris des convenances et son ignorance du monde, et si nulle ne savait mieux qu’elle encourager les sympathies, elle savait mieux que toute autre leur commander un saint respect…[242] »

Qui ne reconnaîtrait pas dans ce portrait la petite fille des ancêtres royaux, qui savait si bien faire sa grande dame, la mystique amie de de Sèze, l’élève de Deschartres et le brave petit camarade des Duvernet, Papet, Fleury et C° ?

« Tout révélait en elle une nature luxuriante qui s’agitait impatiemment sous le poids de ses richesses inactives. On eût dit que la vie circulait, frémissante, entre les boucles de son épaisse et noire chevelure, on sentait comme un feu caché sous cette peau brune, fine et transparente ; la taille était frêle, mais soutenue par une svelte et gracieuse audace. Son front net et pur disait bien que les orages de la passion n’avaient point grondé sur cette noble tête, mais l’expression de ses yeux, brûlante, fatiguée, maladive, accusait des luttes intérieures, terribles, incessantes, inavouées. »

Alors que M. de Belnave, plongé dans les soucis que lui donne la gestion de ses biens et de sa fabrique finit, comme Casimir Dudevant, par « se pétrifier dans la réalité », Marianna se sent délaissée, s’ennuie et languit dans la solitude.

« Le dessin, le piano, la lecture des romans modernes, les courses à cheval, les promenades solitaires, remplissaient ses journées oisives. Elle avait dû conserver d’ailleurs une humeur douce, un caractère égal, et M. de Belnave n’imaginait pas que sa femme pût ne pas être heureuse. Oui, sans doute elle était heureuse ; seulement elle se mourait d’ennui[243]. »

Un soir que son mari entra par hasard dans la chambre de Marianna qui de sa croisée admirait tristement la belle soirée, son chagrin éclata tout à coup, et sans motif aucun elle fondit en larmes. Casimir Dudevant ne fut pas moins étonné que M. de Belnave de ces larmes que rien ne justifiait.) Il fut aussitôt résolu que Marianna avait besoin de se distraire et l’on partit pour les Pyrénées ! À Bagnères Marianna fit la connaissance d’un jeune homme plus ou moins poétique, Gustave Bussy. » Les deux ennuis devaient se comprendre l’un l’autre. Ils se comprirent. » Ils se lient d’un amour romanesque tout semblable à celui d’Aurore Dudevant pour Aurélien de Sèze. Mais bientôt ils doivent se quitter. Les Belnave retournent à Blanfort. M. de Belnave tout comme Dudevant, semble protéger et partager l’amitié de sa femme pour le jeune élégant.

« Tout avait pris pour Marianna une face nouvelle. Les beautés de la route qu’elle avait à peine remarquées en allant de Blanfort à Bagnères la plongèrent, au retour, dans un muet enchantement[244]. »

Il se fit probablement en Marianna le même changement que celui qu’Aurore Dudevant avait observé en elle lors de son voyage aux Pyrénées, comme elle le raconte dans l’Histoire de ma Vie. Une correspondance animée s’engage entre Blanfort et Bagnères, correspondance favorisée par la circonstance qu’il y a des amis communs (lisez « Zoé Leroy ») demeurés à Bagnères.

Et les pages consacrées par Sandeau à l’analyse de cette correspondance, qui est l’unique bonheur, La seule consolation de la pauvre Marianna, et dans lesquelles il raconte comment elle passait des nuits entières à écrire, lorsque tous dormaient et que tout était silencieux à Blanfort, et comment elle initiait son ami absent à tous les détails de sa vie, lui disant ses chagrins, ses doutes, ses espoirs, mettant à nu tous les recoins de son cœur, ces pages pourraient parfaitement remplacer celles de l’Histoire de ma Vie, dont nous avons fait mention plus haut[245], où George Sand raconte ses causeries épistolaires avec « l’être absent. »

Cette correspondance fut, comme celle d’Indiana et de Raymon, la cause de la ruine de Marianna. Cela nous prouve une fois de plus que Sandeau avait profité des révélations que sa collaboratrice de 1831 lui avait faites sur sa vie antérieure.

« On l’a dit, la manie d’écrire a perdu tous les amants, c’est par là qu’ils périssent tous »… C’est ainsi que débute (tout comme dans Indiana), le chapitre où il nous est raconté qu’en l’absence de Marianna, alors à Paris, M. de Belnave entra dans ta chambre de sa femme pour y chercher une facture quelconque, comment ensuite pour la première fois, il fit attention à tous tes menus objets qui ornaient cette chambre bien semblable à celle d’Aurore Dudevant à Nohant : « Des rayons mobiles étaient chargés de plantes desséchées, de cristaux et de minéraux rapportés des Pyrénées. Sur une causeuse dormaient pêle-mêle des livres, des cahiers de musique, des palettes de porcelaine ; des albums étaient jetés négligemment sur une table de marqueterie, entre des boîtes de laque et de palissandre ; » la décoration de la cheminée consistait en quelques objets d’art ; « une cravache à manche d’or ciselé, incrusté de turquoises, gisait près d’un gant déchirée et d’un bouquet d’hépatiques, (on voit que Marianne était aussi une élève de Néraud)… un chapeau d’amazone, oublié sur le tapis, n’avait point été relevé… » M. de Belnave l’ayant soulevé, se représente bien clairement, « sous la forme du feutre aux bords légèrement cambrés des flots de cheveux ruisselant dans leur liberté, autour d’un front de déesse, des yeux noirs aux chastes flammes, un nez aquilin et fier et toute cette noble tête qui semblait attendre un diadème[246] ».

Ensuite M. de Belnave (encore tout comme Dudevant après la lettre du 8 novembre 1825) éprouve tout à coup un élan de tendresse et d’amour pour sa femme et commence à apprécier et admirer tous les charmes de sa beauté et de son esprit. Mais alors le hasard lui fait tomber sous la main un album, entre les feuillets duquel, parmi des dessins et des notes (Aurore nous le savons avait un pareil album avec l’inscription Sketches and Hints) se trouvaient plusieurs lettres, et entre autres une de Bussy qui révèle à M. de Belnave l’amour platonique de sa femme pour le jeune homme.

Marianne était à ce moment à Paris, où, coïncidence étrange, elle était arrivée aussitôt après la Révolution de Juillet et où elle fut envahie « par l’esprit du temps », comme George Sand l’y avait été de même en y arrivant. M. de Belnave court à Paris pour éclaircir ses craintes et, comme Dudevant à Bordeaux, il arrive au moment des touchants adieux de Marianna et de son amant platonique. Belnave et la raisonnable Emilie-Noémi parviennent à attirer encore une fois Marianna sous le toit conjugal, cependant le dénouement survient quand même. Marianna s’installe définitivement à Paris, Bussy devient son amant, mais la passion de cet homme sec et froid est de courte durée. Repoussée par lui, déçue dans son amour, Marianna n’est plus capable de ressentir un sentiment spontané. Elle devient la cause du malheur d’un bon jeune homme, Henry de Felquères, qui l’aime éperdument et enfin, ayant tout perdu dans la vie, elle quitte, cette fois pour toujours, la maison conjugale que la générosité de son mari lui avait encore rouverte.

Jules Sandeau, demeuré au courant de la vie d’Aurore Dudevant après sa rupture avec elle, a sans doute, dans Marianna, voulu expliquer et justifier la conduite ultérieure de George Sand, en s’accusant d’avoir été la cause des futures liaisons de son ancienne amie, et en assumant la faute sur lui. Ou bien, si on tient à voir dans Bussy Aurélien de Sèze, alors peut-être Sandeau a-t-il voulu le rendre coupable des malheurs et des fautes de George Sand et le présenter comme ayant causé son premier désenchantement, et faire chercher dans cette première déception la raison du peu de durée de ses amours à lui, Sandeau, avec Aurore ? Nous ne saurions affirmer ni l’un ni l’autre. Plusieurs scènes entre Henry et Marianna sont d’autre part la copie exacte des scènes orageuses survenues entre Musset et George Sand. Quoi qu’il en soit, l’héroïne de Marianna éveille la compassion sympathique du lecteur, on la plaint et on excuse tous ses entraînements, car on en comprend la cause. Il paraît que tel était l’opinion de Sandeau sur George Sand. Avant d’en finir avec Sandeau, nous devons ajouter, qu’à en juger d’après les paroles de M. Grenier[247], de M. Levallois[248] et d’autres personnes ayant beaucoup connu l’auteur de Marianna et écrit sur lui, ainsi que d’après ce que nous-mêmes nous avons entendu raconter, cet écrivain n’a jamais pu se consoler d’avoir perdu par sa propre faute, l’amour d’Aurore Dudevant, et, jusqu’à la fin de ses jours il n’a pu parler d’elle autrement que les yeux pleins de larmes. George Sand, de son côté, comme nous l’assure un écrivain de renom qui l’a connue durant les quinze dernières années de sa vie, ne parlait d’aucun de ses anciens amis avec autant de mépris et de dégoût que de Sandeau. Ce fait seul suffirait à prouver la profondeur de son désenchantement et de son chagrin.

Mais revenons à l’époque qui suivit la rupture avec Sandeau et l’amour éphémère de George Sand pour Mérimée. Nous n’avons touché à cet épisode, si insignifiant dans la vie de George Sand, que pour faire voir le trouble, le chaos qui régnaient alors dans l’âme de George Sand, à quelles chutes et à quelles aberrations cette ardente idéaliste avait été conduite par des théories aussi mal comprises que mal digérées, par son tempérament dangereux et par son désenchantement pessimiste, arrivé à son comble.

Après cette crise, elle eût horreur d’elle-même, la pensée du suicide s’empara de nouveau de son âme et cette fois d’une manière plus intense ; l’amertume, le dégoût, la douleur, l’humiliation remplissaient son cœur. À quoi l’avait conduite la recherche de la vérité, du véritable amour ? Qu’étaient devenues sa pureté, sa dignité, sa fierté ? Tout cela avait péri, s’était inutilement perdu, tout était vain !

Voici un passage d’une lettre ultérieure de George Sand à Sainte Beuve, écrite le 4 avril 1835, peu de temps après sa rupture avec Musset, mais qui nous montre ce qu’elle avait été dans ses jeunes années et surtout dans la période orageuse et désordonnée entre 1831 et 1833[249].

… « Je vois bien que mon tort et mon mal sont là dans l’orgueil avide qui m’a perdue. Tout dans les choses extérieures (dans le monde ambiant comme dirait Geoffroy Saint-Hilaire) m’appelait à cette vie d’insouciance présomptueuse et d’héroïsme effronté. Mais je comptais sans la faiblesse humaine qui devait, à chaque pas que je faisais en avant, me faire reculer de deux. Ne vivant que pour moi et ne risquant que moi, je me suis exposée et sacrifiée toujours comme une chose libre, inutile aux autres, maîtresse d’elle-même, au point de se suicider par partie de plaisir et par ennui de tout le reste. Maudits soient les hommes et les livres qui m’y ont aidée par leurs sophismes ! J’aurais dû m’en tenir à Franklin, dont j’ai fait mes délices jusqu’à vingt-cinq ans, et dont le portrait, suspendu près de mon lit, me donne toujours envie de pleurer, comme ferait celui d’un ami que j’aurais trahi. Je ne retournerai plus à Franklin, ni à mon confesseur jésuite, ni à mon premier amour platonique pendant six ans, ni à mes collections d’insectes et de plantes, ni au plaisir d’allaiter des enfants, ni à la chasse au renard, ni au galop du cheval. Rien de ce qui a été ne sera plus. Je le sais trop… »

Outre ces raisons toutes personnelles de son désenchantement et de son pessimisme, les impressions que lui donnait à ce moment le monde extérieur furent telles qu’elles ne pouvaient pas ne point se refléter sur son humeur et sa disposition d’esprit. Devenue célèbre et arrivée par la gloire à des conditions pécuniaires plus favorables, une foule de personnes vinrent s’adresser à elle pour lui demander secours et aumône. Elle connût les revers de notre civilisation ; la misère obscure, la mendicité se révélèrent à George Sand et l’épouvantèrent. « J’ai pratiqué la charité et je l’ai pratiquée longtemps avec beaucoup de mystère croyant naïvement que c’était là un mérite dont il fallait se cacher… Hélas ! en voyant l’étendue et l’horreur de la misère j’ai reconnu que la pitié était une obligation si pressante, qu’il n’y avait aucune espèce de mérite à en subir les tiraillements et que, d’ailleurs, dans une société si opposée à la loi du Christ, garder le silence sur de telles plaies ne pouvait être que lâcheté ou hypocrisie. Voilà à quelles certitudes m’amenait le commencement de ma vie d’artiste, et ce n’était que le commencement ! Mais à peine eus-je abordé ce problème du malheur général que l’effroi me saisit jusqu’au vertige. J’avais fait bien des réflexions, j’avais subi bien des tristesses dans la solitude de Nohant, mais j’avais été absorbée et comme engourdie par des préoccupations personnelles. J’avais probablement cédé au goût du siècle, qui était alors de s’enfermer dans une douleur égoïste, de se croire René ou Obermann et de s’attribuer une sensibilité exceptionnelle, par conséquent des souffrances inconnues au vulgaire. Le milieu dans lequel je m’étais isolée alors, était fait pour me persuader que tout le monde ne pensait pas et ne souffrait pas à ma manière, puisque je ne voyais autour de moi que préoccupations des intérêts matériels, aussitôt noyées dans La satisfaction de ces mêmes intérêts. Quand mon horizon se fut élargi, quand m’apparurent toutes les tristesses, tous les besoins, tous les vices d’un grand milieu social, quand mes réflexions n’eurent plus pour objet ma propre destinée, mais celle du monde où je n’étais qu’un atome, ma désespérance personnelle s’étendit à tous les êtres, et la loi de la fatalité se dressa devant moi, si terrible, que ma raison en fut ébranlée. Qu’on se figure une personne arrivée jusqu’à l’âge de trente ans sans avoir ouvert les yeux sur la réalité, et douée pourtant de très bons yeux pour tout voir ; une personne austère et sérieuse au fond de l’âme, qui s’est laissée bercer et endormir si longtemps par des rêves poétiques, par une foi enthousiaste aux choses divines, par l’illusion d’un renoncement absolu à tous Les intérêts de la vie générale et qui, tout à coup, frappée du spectacle étrange de cette vie générale l’embrasse et le pénètre avec toute la lucidité que donne la force d’une jeunesse pure et d’une conscience saine[250] !…

« La vie générale, dit-elle un peu auparavant dans cette même « Histoire de ma Vie », devint bientôt si tragique et si sombre, que j’en dus ressentir le contre-coup. Le choléra enveloppa des premiers les quartiers qui nous entouraient. Il approcha rapidement, il monta d’étage en étage la maison que nous habitions. Il y emporta six personnes et s’arrêta à la porte de notre mansarde, comme s’il eût dédaigné une si chétive proie. »

George Sand et ses amis se rassemblent tous les jours avec angoisse, inquiets d’avance d’avoir à constater l’absence de quelqu’un d’entre eux…

« C’était un horrible spectacle que ce convoi sans relâche passant sous mes fenêtres et traversant le pont Saint-Michel. En de certains jours, les grandes voitures de déménagement, dites tapissières, devenues les corbillards des pauvres, se succédèrent sans interruption, et, ce qu’il y avait de plus effrayant, ce n’étaient pas ces morts entassés pêle-mêle, comme des ballots, c’était l’absence des parents et des amis derrière les chars funèbres ; c’étaient les conducteurs doublant le pas, jurant et fouettant les chevaux ; c’étaient les passants s’éloignant avec effroi du hideux cortège ; c’était la rage des ouvriers qui croyaient à une fantastique mesure d’empoisonnement et qui levaient leurs poings fermés contre le ciel ; c’était, quand ces groupes menaçants avaient passé, l’abattement ou l’insouciance qui rendaient toutes les physionomies irritantes ou stupides… Au milieu de cette crise sinistre, survint le drame poignant du cloître Saint-Merry…[251] »

C’était, en général, une époque de désespérance commune et d’abattement… « La République rêvée en juillet aboutissait aux massacres de Varsovie et à l’holocauste du cloître Saint-Merry. Le choléra venait de décimer le monde. Le saint-simonisme, qui avait donné aux imaginations un moment d’élan, était frappé de persécution et avortait, sans avoir tranché la grande question de l’amour, et même, selon moi, après l’avoir un peu souillée. L’art aussi avait souillé, par des aberrations déplorables, le berceau de sa réforme romantique. Le temps était à l’épouvante et à l’ironie, à la consternation et à l’impudence ; les uns pleurant sur la ruine de leurs généreuses illusions, les autres riant sur les premiers échelons d’un triomphe impur ; personne ne croyant plus à rien, les uns par découragement, les autres par athéisme. Rien dans mes anciennes croyances ne s’était assez nettement formulé en moi, au point de vue social, pour m’aider à lutter contre ce cataclysme où s’inaugurait le règne de la matière, et je ne trouvai pas dans les idées républicaines et socialistes du moment une lumière suffisante pour combattre les ténèbres que Mammon soufflait ouvertement sur le monde. Je restais donc seule avec mon rêve de la Divinité toute puissante, mais non plus tout amour, puisqu’elle abandonnait la race humaine à sa propre perversité ou à sa propre démence[252]. »

Toutes ces questions religieuses, politiques et sociales troublaient profondément son âme, sa nature ardente s’impatientait de n’y pas trouver spontanément de solution. Déjà dans ses premiers romans et nouvelles, elle avait touché à la question de l’inégalité sociale (Valentine, La Marquise) aux cruels problèmes moraux provenant de la constitution anormale de la famille et de la société (Indiana) ; depuis lors, ces questions devinrent familières à son âme ; le doute religieux, le néant de la morale publique la tourmentaient et l’angoissaient non moins que les préoccupations de sa vie personnelle.

Les idées saint-simoniennes, l’écho des événements récents, toutes les croyances de 1789, qui surgissaient de nouveau chez certains représentants de la société française, croyances qui ne cherchaient que l’occasion de s’exprimer et de s’appliquer, et qui se manifestaient dans les sectes, dans les clubs, dans l’épanouissement extraordinaire des lettres, des arts et de la vie politique, tout cela se reflète avec plus ou moins de vigueur, — parfois dans une seule phrase, parfois rien que dans le choix des mots, — dans chacune des œuvres de George Sand, même des plus insignifiantes.

En dépit de la division généralement reçue de ses romans en trois périodes (romans psychologiques jusqu’en 1838 à peu près ; romans à tendances sociales jusqu’en 1849 ; idylles villageoises[253] avec retour à la première manière, après 1849), division d’après laquelle George Sand n’aurait traité les questions sociales que dans la seconde de ces périodes, nous soutenons que, dès ses premiers pas dans la voie littéraire, tout comme après 1840, elle était non seulement « tourmentée des choses divines », comme elle le dit, mais aussi profondément préoccupée des « choses humaines ». Ni Michel de Bourges, ni Lamennais, ni Pierre Leroux ne l’avaient encore endoctrinée, mais son intérêt pour ces utopies était bien éveillé déjà, le sol où elles pouvaient prendre racine était tout prêt.

Quoique George Sand ait aimé dans la suite à représenter sa conversion aux questions sociales comme une espèce de révélation soudaine, descendue une nuit en elle, pendant une discussion avec Michel de Bourges sur le pont des Saints-Pères, ce n’est là qu’une licence poétique. On voit par les œuvres et les lettres d’Aurore, qu’elle n’avait pas à être convertie : toutes ces questions l’intéressaient depuis longtemps, bien que peut-être moins exclusivement. Depuis longtemps elle avait, dans sa mansarde du quai Malaquais, dans les allées de Nohant et à la cascade d’Urmont, passé des heures entières à causer avec son ami, Rollinat, sur les misères du genre humain, sur les injustices de toutes sortes et sur les moyens à prendre pour y remédier. Ce n’est pas sans raison que dans une lettre à Rollinat, elle appelle Lélia « une éternelle causerie entre nous deux. Nous en sommes les plus graves personnages ». Et voilà maintenant comment elle caractérise son état d’âme à l’époque où elle écrivait Lélia, sous l’empire de ce désenchantement amer qui s’empara de tous ceux qui traversèrent la crise de 1830-1832.

« Il est une douleur plus difficile à supporter que toutes celles qui nous frappent à l’état d’individu. Elle a pris tant de place dans mes réflexions, elle a ou tant d’empire sur ma vie jusqu’à venir empoisonner mes phrases de pur bonheur personnel, que je dois bien la dire aussi ! Cette douleur, c’est le mal général : c’est la souffrance de la race entière, c’est la vue, la connaissance, la méditation du destin de l’homme ici-bas. On se fatigue vite de se contempler soi-même. Nous sommes de petits êtres si tôt épuisés, et le roman de chacun de nous est si vite repassé dans sa propre mémoire… Nous n’arrivons à nous comprendre et à nous sentir vraiment nous-mêmes, qu’en nous oubliant pour ainsi dire et en nous perdant dans la grande conscience de l’humanité. C’est alors qu’à côté de certaines joies et de certaines gloires dont le reflet nous grandit et nous transfigure, nous sommes tous saisis tout à coup d’un invincible effroi et de poignants remords ne regardant les maux, les crimes, les folies, les injustices, les stupidités, les hontes de cette nation qui couvre le globe et qui s’appelle l’homme. Il n’y a pas d’orgueil, il n’y a pas d’égoïsme qui nous console quand nous nous absorbons dans cette idée… Eh bien, il n’est pas nécessaire d’être un saint pour vivre ainsi de la vie des autres et pour sentir que le mal général empoisonne et flétrit le bonheur personnel. Tous, oui tous, nous subissons cette douleur commune à tous, et que ceux qui semblent s’en préoccuper le moins s’en préoccupent encore assez pour en redouter le contre-coup sur l’édifice fragile de leur sécurité… Deux personnes ne se rencontrent pas, trois hommes ne se trouvent pas réunis, sans que, du chapitre des intérêts particuliers, on ne passe vite à celui des intérêts généraux pour s’interroger, se répondre, se passionner… »

En faisant le bilan de toutes ces douleurs personnelles et générales, on comprend facilement que toutes les lettres de George Sand, datant de 1832 et du commencement de 1833 soient pénétrées d’un morne chagrin et d’un sombre désespoir. En janvier 1832, elle écrit de Nohant à François Rollinat : « Je ne saurais me résoudre à vous écrire ma vie depuis ces quinze jours. Il faut que je parle avec vous. Viendrez-vous ? » À Duvernet elle écrit de Paris, le 15 avril… « il est des temps de tristesse et d’amertume où l’on ne veut croire qu’à ce qui blesse et froisse…[254] ».

Nous avons déjà vu la lettre à Rollinat du mois d’août, dans laquelle elle écrit : « Je n’irai point à Valencay, je n’irai point à Châteauroux, j’irai peut-être au cimetière ».

Le 26 mai 1833, elle écrit de nouveau à Rollinat une lettre plus remarquable encore, que nous reproduirons presque en entier : « Tu ne penses pas que j’aie changé d’avis. Tu es toujours à mes yeux le meilleur et le plus honnête des hommes. Je ne t’ai pas donné signe de souvenir et de vie depuis bien des mois. C’est que j’ai vécu des siècles ; c’est que j’ai subi un enfer depuis ce temps-là. Socialement, je suis libre et plus heureuse. Ma position est extrêmement calme, indépendante, avantageuse. Mais pour arriver là, tu ne sais pas quels affreux orages j’ai traversés. Il faudrait, pour te les raconter, passer bien des soirs dans les allées de Nohant, à la clarté des étoiles, dans ce grand et beau silence que nous aimons tant. Dieu veuille que ces temps nous soient rendus et que nous admirions encore, ensemble, le clair de lune sur la cascade d’Urmont ! Mais cette indépendance si chèrement achetée, il faudrait savoir en jouir et je n’en suis plus capable. Mon cœur a vieilli de vingt ans et rien dans la vie ne me sourit plus. Il n’est plus pour moi de passions profondes, plus de joies vives. Tout est dit : j’ai doublé le cap. Je suis au port, non pas comme ces bons nababs qui se reposent dans les hamacs de soie, sous les plafonds de bois de cèdre de leurs palais, mais comme ces pauvres pilotes qui, écrasés de fatigue et hâlés par le soleil, sont à l’ancre et ne peuvent plus risquer sur les mers leur chaloupe avariée. Ils n’ont pas de quoi vivre à terre, et, d’ailleurs, la terre les ennuie. Ils ont eu jadis une belle vie, des aventures, des combats, des amours, des richesses. Ils voudraient recommencer, mais le navire est démâté, la cargaison perdue, il faut échouer sur le sable et rester là. Tu comprends, au fond de cette belle poésie, l’état maussade de mon cerveau ? Suis-je plus à plaindre qu’auparavant ? Peut-être ; le calme qui vient de l’impuissance est une plate chose. Pour toi, c’est différent… »

Et dans le cahier des Sketches and Hints, elle écrit à cette même époque :

« Il n’est pas dit qu’on pourra jouir impunément des fruits amers de l’expérience. Il faut s’en nourrir en secret et ne pas dire aux hommes tout ce qu’on sait d’eux, car ils vous lapideraient pour se venger de ne pouvoir plus vous tromper.

Et pourtant ceux-là qui vous accuseraient de méconnaître la confiance et de résister à l’amitié, ceux-là qui feignent de croire en vous afin de vous ôter le droit de douter d’eux, ceux-là, dis-je, sont souvent plus sceptiques que vous. Ils parlent d’affection et de persévérance, eux qui ne sont plus capables que d’égoïsme. Les hypocrites !

Soyez prudent, cependant, acceptez leurs protestations, feignez d’y prendre confiance, ou bien ils vous flétriront de leurs calomnies et vous montreront au doigt comme un lépreux. Les hommes ne veulent pas qu’on les dévoile et qu’on les fasse rire du masque qu’ils portent. — Si vous n’êtes plus capable d’aimer, mentez ou serrez si bien autour de vous les plis du voile, qu’aucun regard ne puisse lire au travers. Faites pour votre cœur comme les vieillards libertins font pour leur corps. Cachez sous le fard et le mensonge, dissimulez, à force de vanterie et de fanfaronnade, la décrépitude qui vous rend incrédule et la société qui vous rend impuissant. N’avouez jamais, surtout, la vieillesse de votre intelligence ; ne dites à personne l’âge de vos pensées. »

« Voilà sous l’empire de quelles préoccupations secrètes j’avais écrit Lélia, » dit George Sand dans son Histoire, après nous avoir conté les impressions douloureuses et les événements non moins tristes de 1832 et après nous avoir dépeint sa disposition d’esprit à cette époque. Faisons comme elle et passons à l’examen de ce roman, écrit en 1832 encore, mais dont le manuscrit avait « traîné un an sous sa plume[255] », car il ne fut publié qu’en l’été de 1833[256]. Le sort de ce roman fut bien étrange. De tous ceux de George Sand, c’est peut-être celui qui a le plus contribué à sa réputation, qui a fait le plus de bruit et qui lui a valu l’honneur d’être appelée « l’auteur de Lélia », et cependant, c’est celui de ses ouvrages qui a le plus vieilli. Des longueurs, de la rhétorique, du nuageux, des allégories, et avec cela une ardeur, une passion extraordinaire, une profondeur de scepticisme et de doutes navrants ! Lélia est une sœur de René, de Werther, de Manfred, une nature titanique ; il y a en elle du Child-Harold et du Faust, avec sa soif de savoir et ses aspirations à la liberté de l’esprit. On n’oserait recommander à nos contemporains la lecture de ce livre, tant il est long et vague ; mais celui qui l’a lu est involontairement emporté par le jet de vraie poésie qui en émane et par la révolte passionnée de cette grande âme, cherchant sa voie vers la lumière et la liberté.

Voici le sujet du roman : Lélia d’Alvaro ou d’Almovar, selon la seconde version ne croit plus ni à l’amour, ni aux hommes, ni à Dieu. Elle souffre et languit sous le double poids de l’inaction, étrangère à sa nature ardente, et sous celui de l’analyse qui ronge son cœur. Elle est aimée par Sténio, jeune poète ignorant encore la vie. Elle l’aime ; mais comme dans sa jeunesse elle a beaucoup souffert d’un amour malheureux qu’elle portait à un homme indigne d’elle, elle ne veut pas admettre que leurs rapports deviennent intimes. Une lutte sourde s’engage entre Lélia et Sténio, compliquée encore par la jalousie du poêle envers le mystérieux Trenmor, ancien viveur et libertin, assassin involontaire de sa maîtresse et forçat, qui, par de longues années de souffrances et de repentir, a expié ses fautes et que la méditation sur les problèmes les plus élevés de l’humanité a purifié et conduit dans la voie de l’amour actif du prochain. Quand Sténio apprend l’histoire de Trenmor, sa jalousie se calme, mais il ne peut pardonner à Lélia d’éprouver pour Trenmor une amitié et une estime si profondes[257]. Elle ne lui cache aucune de ses pensées, tandis qu’elle le traite, lui, Sténio, en enfant innocent, veut ne pas l’empoisonner par ses doutes et garder la pureté de leur amour. Lélia fuit même le poète, tout en l’aimant. D’abord, elle se retire dans les ruines d’un couvent, où elle passé les jours et les nuits dans les doutes les plus affreux, en cherchant la lumière et la vérité. Elle se contraint à ne pas dépasser une limite qu’elle se trace mentalement autour de son refuge et jure de ne quitter ces ruines que lorsqu’elles s’écrouleront. Cependant le sort ne veut pas de ce sacrifice volontaire. Une nuit, un orage éclate, et la tempête fait tomber les vieux murs. Lélia, qui a failli périr sous les débris, est sauvée par le moine Magnus, qui l’emporte évanouie sur son âne. Magnus, déjà épris de la jeune femme, devient fou d’amour, mais il voit en Lélia l’incarnation de Satan, du démon de la négation ; elle le dompte et le subjugue continuellement par la force de sa volonté, de son esprit ; il se soumet, mais sa vie n’est plus qu’une suite de tourments sans issue, de luttes impuissantes contre sa passion, ou, comme il le croit, contre la suggestion diabolique. Il ne peut plus vivre sans Lélia, sans penser à elle, et en même temps il la fuit comme la tentation. Lélia voit tout cela avec une pitié mêlée de dédain. Sténio commence aussi à chanceler dans son aveugle confiance en Lélia. Il l’accuse de coquetterie, de froideur, de dureté, et il est sur le point de voir en elle, tout comme Magnus, une créature surnaturelle, il devient dur et méchant. Lélia a une sœur, Pulchérie, fille perdue, qu’elle n’a pas vue depuis plusieurs années. Le hasard les met en présence l’une de l’autre. Pulchérie tâche de persuader à sa sœur que toute sa philosophie, toutes ses recherches de la vérité n’ont servi qu’à faire son malheur et celui de tous Ceux qui l’ont approchée ; elle lui conseille de suivre son exemple, de ne vivre que pour le plaisir seul. Pulchérie est pour ainsi dire, un dédoublement de Lélia, la personnification de la partie passionnelle, féminine de son être. En même temps, le lecteur comprend que l’amitié de Lélia pour Pulchérie est comme un reflet de l’amitié d’Aurore pour Mme Dorval, que les paroles de Pulchérie sont une reproduction exagérée et comme qui dirait concentrée des conversations des deux femmes. Pour lui prouver que dans la vie les jouissances seules sont réelles et vraies, Pulchérie se charge, en profitant de sa ressemblance avec sa sœur, d’abuser et de séduire Sténio qui, elle en est persuadée, n’aime en Lélia que la femme.

Le poète connaît en effet si peu Lélia, que, rencontrant Pulchérie dans un réduit sombre et mystérieux pendant une fête à la villa Bambucci, il la prend pour Lélia. Les caresses et les paroles provoquantes de Pulchérie lui paraissent naturelles ; il croit que l’amour de Lélia a enfin triomphé de ses raisonnements. Lélia, que le hasard conduit, est entrée dans le même pavillon ; elle assiste à leur tête-à-tête. Sténio parle tantôt avec l’une, tantôt avec l’autre sœur, il n’entend ni la différence de leurs voix, qui est nulle, ni la dissonnance de l’esprit des paroles, qui est énorme entre la spiritualiste Lélia et la passionnée et matérielle Pulchérie. Sténio devient l’amant de Pulchérie. Lélia est au désespoir. Elle avait sincèrement aimé Sténio, mais d’un amour qui n’avait rien de commun avec la passion du jeune homme. Quand elle apprend qu’il est tombé dans le piège grossier, qu’il a été si facilement vaincu par les sens et que, découvrant sa méprise, il l’accuse, elle, Lélia, la maudit et se jette dans la débauche et les orgies, malgré Trenmor qui ne peut le retenir (Trenmor, de son vrai nom Valmarina, se trouve être le chef d’une loge mystérieuse de carbonari qui a pour but de sauver et de relever son pays natal), alors Lélia renonce définitivement aux affections humaines. À qui croire ? Qui aimer ? Elle ne sait que faire, se voyant inutile au monde ; la bienfaisance ordinaire lui semble une misérable pièce mise aux haillons de l’ancien monde en destruction. Elle ne veut soumettre son individualité à personne ni à rien. Elle se décide — voilà une décision étrange pour cette âme avide de liberté — à s’enfermer dans un couvent aux règles les plus austères ; dans le cadre de cette dépendance extérieure, elle voit la seule issue, le seul moyen de rester libre ; dans une cellule de religieuse elle croit trouver le seul endroit où sa personnalité sera indépendante, où elle aura quelque valeur par elle-même. Lélia prend le voile et atteint bientôt les degrés les plus élevés de la hiérarchie ecclésiastique. Elle transforme son monastère, enseigne les sœurs converses, maintient une piété sérieuse dans tout le diocèse, pousse à une large bienfaisance tous les éléments sains du pays, exerce l’influence la plus salutaire sur tout le monde. Le couvent devient méconnaissable : au lieu de la lettre froide qui tue, il y règne l’esprit du vrai christianisme, car Lélia elle-même est libre de toutes les minuties du culte dogmatique. Sa force de volonté fascine même le cardinal, un monseigneur Annibal, qui, de prélat ambitieux et voluptueux qu’il avait été jusque-là, devient le défenseur zélé des opprimés et des délaissés ; il sauve même de la peine de mort Valmarina, incarcéré pour avoir pris part à une conspiration. Le cardinal aime Lélia d’un amour tout terrestre. Cependant Sténio aussi n’a pas cessé de l’aimer, mais son amour, de passion enfantinement pure et aveuglément dévouée, s’est transformé en un sentiment plein de haine farouche ; il est prêt à tout pour se venger de Lélia, pour l’offenser, l’humilier. Déguisé en nonne, il pénètre dans le couvent pour assister à l’une des conférences de Lélia, pour semer l’esprit de doute parmi les religieuses et paralyser l’influence de la supérieure. La tentative se termine par un nouveau triomphe de Lélia sur les esprits et les cœurs de son auditoire. Ensuite, Sténio veut ravir une des novices, La jeune princesse Claudia et par là, encore, humilier et mortifier l’orgueil de Lélia. Mais c’est Lélia elle-même qu’il rencontre la nuit, il la prend pour un spectre et s’enfuit épouvanté. Pénétrant enfin dans sa cellule, il la trouve éveillée, absorbée dans ses méditations. Il s’engage alors entre eux un dialogue qui est une des plus belles pages du roman. Lélia lui fait comme une confession générale, c’est l’explication de sa conduite passée. Ce n’est qu’à ce moment que Sténio comprend qui il a aimé et qui il a perdu. Son désespoir est sans bornes, mais rien ne peut le soulager, il est tombé trop bas. Il essaie de blasphémer contre son amour, mais il succombe à sa douleur et met fin à sa vie en se noyant dans le lac à quelques pas du couvent et de la demeure de Magnus. Magnus, qui n’a pas répondu au dernier appel du malheureux jeune homme, se croit coupable de ce suicide, il en est désespéré. Faible qu’il est, il cherche aide et soutien chez les autres. Il s’en va trouver le cardinal, l’ami de Lélia, espérant que la pénitence qu’il lui imposera le mettra en paix avec sa conscience tourmentée. Monseigneur Annibal est lui-même si bouleversé par ce drame sinistre et mystérieux qu’il ne peut soulager le moine superstitieux.

Magnus disparaît. Quelque temps après on apprend qu’il est allé s’ensevelir dans un monastère d’où l’on voit bientôt surgir des dénonciations contre bon nombre de personnes et contre Lélia elle-même (une manière comme une autre de se réconcilier avec le ciel et le dogme). Le mouvement politique dirigé par Trenmor-Valmarina est découvert, ses fauteurs sont exilés ou mis à mort. Plusieurs membres du haut clergé qui avaient secondé Lélia dans sa généreuse activité sont disgraciés ou interdits. Monseigneur Annibal échappe au châtiment en s’empoisonnant. Par sa mort, Lélia a perdu l’unique soutien qu’elle avait au monde. Citée devant le tribunal de l’inquisition, elle est accusée de tous les crimes : d’avoir entraîné dans la voie de la perdition un prince de l’Église, d’avoir inhumé le cadavre d’un suicidé dans la terre sainte du couvent, d’avoir entretenu des relations criminelles avec l’impie Sténio, d’avoir aidé à l’évasion de Trenmor, d’avoir eu des rapports avec les carbonari, d’avoir disposé arbitrairement du trésor du couvent. Elle est condamnée à être dégradée de sa dignité et reléguée dans une chartreuse. Elle erre, seule et abandonnée, dans un coin solitaire de la montagne. C’est là que Trenmor la voit mourir. Il lui rend les derniers devoirs et l’enterre au bord du lac, en face de la tombe de Sténio. Assis an bord de ce lac qui sépare les deux tombes, il voit deux météores, tout comme dans le Ratkliff de Heine) qui s’approchent en voltigeant des deux rives opposées, se rencontrent, puis se séparent de nouveau, s’éloignant chacun de son côté. Pour Trenmor, ces deux feux follets sont les âmes malheureuses de Lélia et de Sténio qui n’ont pu se comprendre sur terre. Absorbé dans ses pensées, il médite quelques moments, puis se rappelant qu’il y a encore des malheureux à consoler et que le monde est plein de douleurs à soulager, à guérir, il prend son bâton blanc et se remet en route.

George Sand écrivit deux préfaces[258] pour Lélia. Dans l’une, elle prétendit que Trenmor était la personnification de telle idée, Lélia et Sténio de telles autres. Pour nous, ces tentatives de se justifier d’accusations soulevées contre elle après la publication du livre n’ont aucune valeur. Au lieu d’attribuer une signification symbolique aux personnages du roman, nous préférons, en ne leur attribuant aucune allégorie, les prendre pour des types réels. Et tels ils sont : ce Sténio, jeune poète divinement confiant d’abord, libertin sceptique et désenchanté ensuite ; cette Pulchérie, passionnée et sensuelle ; ce Magnus, un pauvre sire qui n’a le courage ni de croire paisiblement, ni de rompre avec ses croyances et ses superstitions. Les tentations de Magnus, sa lutte, ses mortifications et ses remords sont peints avec vigueur et concision, écrits de main de maître ; l’effet est bien plus intense que celui de la si célèbre Faute de l’abbé Mouret. Magnus est un homme vivant, un pécheur en chair et en os, un véritable prêtre, luttant contre les tentations de la chair ; tantôt vaincu par elle, tantôt triomphant de Satan. Il prend les sentiments les plus humains, les plus naturels, les vertus les plus sublimes pour des inspirations diaboliques, dès qu’ils sont en contradiction avec les dogmes de l’orthodoxie. On trouve là le souvenir du trouble que ressentit Aurore Dupin lors de ses lectures solitaires et de ses méditations juvéniles, quand, d’un côté, Gerson, de l’autre les grands penseurs et poètes vinrent offrir à son esprit des doctrines diamétralement opposées.

Trenmor est un personnage par trop abstrait et condamné à la sublimité : aussi n’est-ce pas un type, mais simplement le raisonneur, le confident obligatoire de presque tous les ouvrages d’antan : c’est « l’ami Horatio » à qui s’adresse Hamlet ; c’est le Jarno dans les Années de voyage et d’apprentissage de Goethe ; bref, c’est l’écho du héros principal, la conscience du roman. Trenmor est cet ami idéal qui reparait si fréquemment dans les œuvres de George Sand, l’ami, dont le prototype était François Rollinat. Dans la lettre du 26 mai 1833, dont nous avons déjà cité deux fragments, George Sand lui écrit à propos de Lélia : « Je t’enverrai une longue lettre avant peu de temps ; c’est-à-dire un livre que j’ai fait depuis que nous nous sommes quittés. C’est une éternelle causerie entre nous deux. Nous en sommes les plus graves personnages. Quant aux autres, tu les expliqueras à ta fantaisie. Tu iras, au moyen de ce livre, jusqu’au fond de mon âme et jusqu’au fond de la tienne. Aussi je ne compte pas ces lignes pour une lettre. Tu es avec moi et dans ma pensée à toute heure.

Tu verras bien, en me lisant, que je ne mens pas »…

Et dans les pages du Sketches and Hints, nous lisons encore ce qui suit sur cet incomparable ami :

à F. R. (1833.)

« C’est vous, dont l’âme est forte et patiente, vous dont la tête est froide, vous dont la mémoire est pleine de la science du mal et du bien, vous, homme obscur, laborieux, résigné, c’est vous qui êtes vertueux et qui brillez dans mes songes comme une étoile fixe parmi les vains météores de la nuit. C’est vous, homme purifié, homme retrempé, homme nouveau, dont je rêvais, lorsque j’écrivis Trenmor.

Par quelle liaison d’idées, j’ai été de lui à vous, pourquoi j’ai comblé la distance qui vous séparait, homme réel, de ce personnage imaginaire par des lignes fantasques et des ornements capricieux ; pourquoi, enfin, j’ai altéré la pureté de mon modèle, en le revêtant d’un éclat puéril et d’une vaine beauté de corps, c’est ce que vous devinerez peut-être, car, pour moi, je ne le sais plus. Peut-être, en lisant avec un esprit tranquille, ce que j’écrivis avec une âme préoccupée de sa propre douleur, retrouverez-vous dans ce dédale de l’imagination, le fil mystérieux qui se rattache à votre destinée. Moi, qui ai vécu tant de vies, je ne sais plus à quel type de candeur ou de perversité appartient ma ressemblance. Quelques-uns diront que je suis Lélia, mais d’autres pourraient se souvenir que je fus jadis Sténio. J’ai eu aussi des jours de dévotion peureuse, de désir passionné, de combat violent et d’austérité timorée, où j’ai été Magnus. Je puis être Trenmor aussi. Magnus, c’est mon enfance, Sténio ma jeunesse, Lélia est mon âge mûr. Trenmor sera ma vieillesse peut-être. Tous ces types ont été en moi, toutes ces formes de l’esprit et du cœur, je les ai possédées à différents degrés, suivant le cours des ans et les vicissitudes de la vie. Sténio est ma crédulité, mon inexpérience, mon pieux rigorisme, mon attente craintive et ardente de l’avenir, ma faiblesse déplorable dans la lutte terrible qui sépare les deux jeunesses de l’homme. Eh bien ! ce calque n’est pas encore épuisé entièrement. Encore maintenant je retrouve de ces puériles grandeurs et de cette candeur funeste, quelques heures de plus en plus rares et passagères. Magnus avec ses irréalisables besoins, avec sa destinée de fer et son éternel appétit de l’impossible représente encore une douleur énergique, combattue réprimée, que j’ai subie longtemps dans sa force et dont je ressens encore parfois les lointaines atteintes. Trenmor, c’est ce beau rêve de sérénité philosophique, d’impassible résignation dont je me suis souvent bercée, quand ma rude destinée me laissait un instant de relâche pour respirer et songer à des temps calmes, à des jours meilleurs.

À vos côtés, mon ami, j’étais Trenmor, j’étais vous. En contemplant le magnifique spectacle d’une grande âme victorieuse de l’adversité, je m’identifiais à ce sublime repos de l’intelligence, j’aspirais aux mêmes triomphes, aux mêmes satisfactions pures et sérieuses. Et vous, en écoutant le récit de mes travaux incessants, en voyant cette lutte journalière entre ma raison et mes vains désirs, vous deveniez pour me comprendre, pour me plaindre, pour partager ma souffrance, un homme semblable à moi. Et vous aussi, Trenmor, Vous deveniez Lélia.

Car avant de vaincre, vous avez combattu ; vous avez traversé les orages de la vie. Vous avez subi les maux dont aujourd’hui votre amitié sainte cherche à me guérir. Vous avez longtemps flotté entre un sublime rêve de votre sérénité présente et d’impuissantes aspirations vers les orages du passé. Vous avez été mal comme je le suis aujourd’hui, inquiet, déchiré, sanglant, en suspens entre les horreurs du suicide et l’éternelle paix du cloître.

Ainsi nous avons tous deux reflété, sans doute, ces quatre diverses faces de la vie. Mais moi, pourtant, dirai-je que j’ai été, que je suis, que je puis être Trenmor ? Hélas ! qu’elles ont été courtes, mes heures de raison et de force ! Combien Dieu a été avare envers moi des consolations qu’il répand sur vous ! Combien je me suis laissée dévorer par cette soif de l’irréalisable que n’ont pas encore daigné éteindre les saintes rosées du ciel !… » (15 juin 1833).

Et en 1847, elle ajoute : « Je ne suis rien de tout cela. Je suis le cyprès qui couvre leurs tombes. Toi, mon ami fidèle, rien n’a jamais été plus grand ni meilleur que toi, François Rollinat. »

Aussi Trenmor n’est en réalité que le porte-voix de l’auteur ; par la bouche de cet ex-forçat, il exprime des pensées si profondes, qu’elles ont ému et émeuvent encore les meilleurs esprits de notre temps. Tels sont par exemple, les discours sur l’erreur qu’il y a de vouloir punir un crime par le bagne, qui, au lieu de corriger, ne fait souvent que tuer définitivement le moral du criminel. Ce n’est plus alors la correction du coupable, mais la vengeance de la société. Trenmor lui-même pourtant a éprouvé l’influence bienfaitrice de la souffrance qui, selon lui, conduit à l’expiation. Tout ce qu’il dit à ce sujet, rappelle beaucoup ce que Dostoïewsky dit sur le châtiment de Roskolnikow. Non moins profondes sont les idées de Trenmor sur la prétention de vouloir châtier les crimes, tandis qu’au fond, la société devrait les prévenir, les déraciner dans leur germe ; elle devrait se réformer elle-même, prendre soin de l’éducation de ses enfants, améliorer la vie matérielle de ses pauvres, répandre les connaissances et la lumière, mépriser ceux de ses membres qui gaspillent leur temps et leur argent, — fruit du travail du peuple, — en des orgies effrénées qui dépravent et empoisonnent par leur exemple les jeunes gens inexpérimentés cherchant un but et un emploi de leurs forces.

La religion, la vie sociale, les lois de la morale, l’amour, le sort des femmes, le but de la vie humaine, la vanité et le peu de durée de tout ce qui est terrestre, l’impuissance de la science à soulever les voiles qui enveloppent notre vie, l’inconstance des sentiments humains, l’imperfection de la création et de notre âme, les étroites limites de nos sentiments et de nos connaissances[259], la cruauté de la nature, le néant des recherches de l’idéal absolu que poursuivent les âmes élevées, leurs aspirations vers la foi absolue, l’amour absolu, le savoir absolu, le bien, la vérité suprêmes, voilà à quoi pense Lélia, de quoi elle s’entretient avec Trenmor, voilà les causes de sa déception, de son renoncement à la vie. Avant de mourir, dans le délire de l’agonie, s’identifiant avec tous ceux qui ont lutté, dès le début des siècles, qui se sont élancés vers la vérité et la lumière, qui ont succombé dans la lutte, Lélia s’écrie : « Depuis dix mille ans j’ai crié dans l’infini : « Vérité ! Vérité ! ». Depuis dix mille ans, l’infini me répond : « Désir ! Désir ! ».

Pour ne pas encourir les reproches des lecteurs qui ne connaissent le roman que d’après la seconde version reproduite dans toutes les éditions ultérieures des œuvres de George Sand, nous avons exposé le sujet de Lélia, tel qu’il se présente dans la seconde édition entièrement refaite, parue en 1839. La première édition, publiée en 1833, diffère tellement de la seconde que l’on croirait avoir sous les yeux deux romans différents. Le dénouement de la première produit une tout autre impression que celui de la seconde. Dans le roman de 1833, Lélia meurt étranglée par Magnus, sans s’être réconciliée avec la vie, sans avoir trouvé un adoucissement à son désespoir, à son pessimisme dans l’activité sociale, sans avoir rien fait d’utile pour l’humanité, comme c’est au contraire le cas dans la seconde édition du roman. En 1836, lorsque sous l’influence des idées de Lamennais, de Liszt, de Leroux et de Michel de Bourges, George Sand transporta peu à peu le centre de gravité de sa sphère personnelle dans la sphère sociale, et vit de nouveau s’épanouir ses tendances à la pitié active pour l’humanité, elle voulut refaire Lélia dans un sens plus consolant. La désespérance sans issue, le tragique trop cruel de la destinée de l’héroïne, tels qu’elle les avait peints dans la première édition, la révoltant maintenant, elle changea la seconde partie du roman et y ajouta tout un volume. Nous devons dire que la première édition de Lélia donne une impression infiniment plus forte et plus complète que la seconde. Les raisonnements à l’infini et les longues expositions de l’activité bienfaisante de l’abbesse Lélia atténuent et refroidissent considérablement la saisissante beauté de ce sombre poème en prose.

Il y a bon nombre de personnes qui ont voulu voir en Sténio le portrait d’Alfred de Musset, Cela ne peut être vrai pour la première version, par la simple raison que Lélia, commencée, comme nous l’avons vu, bien avant qu’Aurore Dudevant eût fait la connaissance de Musset, fut terminée en juillet 1833 et livré à la publicité le 10 août de la même année. Par conséquent, à l’époque où George Sand connut Musset, elle était déjà en train de corriger les épreuves du roman. Quoique Musset ait écrit pour son amie le Chant de Sténio et que George Sand ait donné comme épigraphe à la troisième partie quelques vers de Musset, il est évident que ce n’est pas Musset qui a servi d’original à Sténio (première édition). Il est à regretter que cet Inno Ebbrioso, une des plus belles poésies de Musset par la puissance, la verve, la passion et la beauté de la forme, n’ait été inséré dans aucune des éditions du poète, et que dans les éditions postérieures de Lélia il ne soit plus publié en entier ; les éditeurs, par trop vertueux, trouvant probablement trop franches les strophes six et sept, les ont supprimées et font suivre la cinquième strophe de la huitième. De cette manière, les adorateurs contemporains de Musset — nous en sommes, et des plus Sincères — ne connaissent ces vers merveilleux que s’ils ont la patience des chercheurs[260], ou s’ils ont eu la chance de les trouver dans la première édition de Lélia, depuis longtemps devenue une rareté bibliographique[261]. En refaisant la dernière partie de Lélia, George Sand a pu, il est vrai, donner à Sténio quelques-uns des traits de Musset, car l’extérieur de Sténio vers la fin de sa vie ressemble de point en point au portrait qu’une des contemporaines de Musset, qui l’a connu vers 1838, a fait du poète, en quelques paroles incisives au cours d’une conversation avec un de nos amis.

La première édition de Lélia se distingue encore en ceci des éditions suivantes qu’elle seule est dédiée à de Latouche. Pour expliquer ce fait, nous nous permettrons de nous éloigner un moment de notre sujet, d’autant plus qu’au chapitre précédent nous n’avons presque rien dit de ce premier mentor de George Sand dans sa carrière littéraire et nous n’y reviendrons plus dans la suite.

Henri de Latouche, ou Delatouche, dont le vrai nom était Hyacinthe Alexandre Thabaud[262], était plutôt une nature poétique qu’un véritable poète. Doué d’une sensibilité profonde et fine, — maladivement fine, toutes les manifestations du monde extérieur, de l’art, de la pensée, du sentiment l’émouvaient et l’impressionnaient avec une force dont les élus, les artistes, sont seuls capables. Il vibrait au moindre contact, tout trouvait en lui un écho. Cependant, son talent créateur était très inférieur à ce don de réceptivité, et la discordance qui en résultait faisait le malheur de sa vie. Critique excellent des œuvres d’autrui, — c’est lui qui, le premier dans notre siècle, a ressuscité la mémoire d’André Chénier — il n’a écrit que des œuvres médiocres, aujourd’hui oubliées, et il en avait conscience.

Les insuccès aigrirent tellement sa susceptibilité maladive et son esprit enclin au scepticisme, qu’à la fin de sa vie, il fut atteint, comme autrefois Jean-Jacques Rousseau, du délire de la persécution. Il mourut à Aulnay, dans un complet isolement, habitant une petite maison où il se tint caché de tous ses amis. Dans les dernières années de sa vie, sa solitude ne fut partagée que par la jeune poétesse Pauline de Flaugergues, qui entoura le pauvre malade de ses soins filiaux, jusqu’à son dernier soupir. Mais il y avait encore en de Latouche, outre le critique pénétrant, un despote. En indiquant à ses jeunes amis leurs défauts, il exigeait qu’ils travaillassent absolument d’après sa manière à lui. Nous avons déjà vu quels efforts le futur auteur d’Indiana avait dû faire pour satisfaire les exigences littéraires de ce mentor sévère. Sans la moindre pitié, il condamnait au feu et… à l’eau des pages entières enlevées des articles qu’elle avait écrits selon ses préceptes ; il taillait, rognait, changeait et biffait dix fois la même chose avant de se montrer content. L’Histoire de ma Vie, la Correspondance et la Notice[263] consacrée à la mémoire de de Latouche, nous font juger par quelle rude école ce dernier avait fait passer George Sand. Elle en parle pourtant avec reconnaissance mais avec un peu de raillerie déguisée. Il désirait toutefois que chaque nouveau talent fût original et ne pouvait souffrir l’imitation. Lorsque George Sand eut écrit Indiana, de Latouche, mécontent de l’amitié naissante d’Aurore pour Balzac, prit le premier exemplaire du livre, celui qu’elle venait de lui donner, se mit à le feuilleter avec méfiance, craignant d’y trouver quelque chose d’inférieur, à l’imitation de Balzac (« Pastiche, que me veux-tu ? Balzac, que me veux-tu ? »). Mais après avoir parcouru quelques chapitres et s’être convaincu du talent personnel de l’auteur, il lui fit amende honorable et la pria d’oublier ses duretés. Voilà comment il appréciait le mérite vrai et se réjouissait du succès de sa jeune amie.

Cette amitié fut de courte durée. Vers 1832, George Sand fit la connaissance du critique Gustave Planche. On a assuré que Planche a vécu, lui aussi, dans une intimité trop grande avec elle. Depuis la publication dans la Revue de Paris des lettres de George Sand adressées à Sainte-Beuve en juillet et août 1833, on sait que c’est là une profonde erreur. Dans la première de ces lettres, George Sand dit entre autres : « On le regarde comme mon amant, on se trompe. Il ne l’est pas, ne l’a pas été et ne le sera pas » ; dans la seconde : « Planche a passé pour être mon amant ; peu m’importe. Il ne l’est pas. » La tournure d’esprit et l’humeur de Planche cadraient parfaitement avec la mélancolie d’Aurore à cette époque. Il était encore plus logique et plus tranchant qu’elle dans son pessimisme. Elle dit même dans l’Histoire de ma Vie qu’elle évitait « soigneusement de dire à Planche le fond de son propre problème », de peur que par ses discours âpres, convaincus, il n’achevât de la jeter dans une désespérance et un athéisme sans appel[264]. Elle réussit néanmoins à subjuguer l’implacable auteur de Mes haines littéraires, cet original et curieux type d’écrivain, jusqu’à nos jours encore trop peu apprécié en France[265], comme elle avait fait avant lui la conquête du despotique de Latouche et plus tard celle de Sainte-Beuve, si finement exigeant. Dans la lettre déjà citée à ce dernier, elle établit, par un habile parallèle l’influence différente qu’avaient exercée sur elle Planche et Sainte-Beuve, dont chacun répondait à un côté différent de son esprit.

Cependant de Latouche voulait être le seul guide de George Sand. Son amitié était jalouse et exigeante à l’excès. Aurore, de son côté, était, on le sait, une nature libre, indépendante. Il n’y eut aucun choc entre eux, mais leurs relations s’altérèrent. L’amour-propre maladif et susceptible de de Latouche ayant été offensé par quelque observation ou réponse de George Sand — elle-même assure qu’elle ne s’en souvient pas — il cessa tout à coup d’aller la voir et durant dix ans toutes relations entre eux furent interrompues. Un article flatteur que George Sand écrivit en 1844 sur un recueil de vers de de Latouche les rapprocha de nouveau. La plupart des lettres de de Latouche à George Sand existent encore, et nous avons pu les consulter pour notre ouvrage, ainsi que plusieurs lettres de Mlle Flaugergues à Mme Sand. À partir de cette année et jusqu’à sa mort, Mme Dudevant ne cessa de lui témoigner sa sympathie et l’affection la plus touchante. Pendant sa vie, et après sa mort, elle lui consacra bon nombre de pages chaleureuses. Elle écrivit sur lui la Notice déjà mentionnée auparavant ; en 1844, elle avait publié dans la Revue Indépendante cette étude dont nous venons de parler, relative à son volume poétique « Les Adieux[266] », et enfin elle parle de lui avec une amitié touchante dans l’Histoire de ma Vie[267]. Et si, grâce à la rupture entre les deux amis et à l’aversion soudaine de de Latouche, Les éditions ultérieures de Lélia ne lui sont plus dédiées, n’oublions pourtant pas que ce fut son nom que George Sand avait placé en tête de son roman le plus profondément senti. Lui, de son côté, écrivit sur l’exemplaire qu’il lui offrit de sa Reine d’Espagne (pièce qui tomba à grand bruit), ces simples mots : À mon camarade, Aurore, mais ces paroles en disent plus que de longues phrases. En outre, au dire de George Sand, il parle d’elle avec éloge dans un de ses romans.

Lélia avait été le motif du refroidissement de de Latouche. Planche et Sainte-Beuve, au contraire, accueillirent le roman avec enthousiasme. Dans ses articles et dans une lettre à George Sand, Sainte-Beuve reconnait Lélia comme une œuvre vraiment virile, profondément conçue, une œuvre qui restera toujours et qui fera la gloire de son auteur[268]. Tout en s’émerveillant et en s’inclinant devant la désolante profondeur du scepticisme de Lélia, Sainte-Beuve tâchait en même temps de consoler, de calmer la malheureuse romancière, de la diriger dans la voie salutaire de la compréhension de toutes les lois de la vie, de lui faire prendre la résolution de cultiver la partie la plus artistique de son génie et de cette manière d’amener George Sand à chercher le remède de tous ses chagrins dans l’amour de l’art et du travail. Le furibond Planche attirait George Sand par la force de son pessimisme irréconciliable et logique. Elle retrouvait en lui des traits de sa propre nature et en même temps elle craignait les discussions de Planche comme dangereuses pour son âme en détresse. Cependant elle fut plus liée avec lui qu’avec Sainte-Beuve. Leurs relations étaient des plus cordiales. En 1832, Le jeune Maurice étant entré au Lycée Henri IV, Planche allait parfois l’y chercher pour le promener ou lui faire passer un jour de congé chez lui. Il rendit en outre à George Sand des services plus sérieux. On sait que, comme Sainte-Beuve, il s’était extasié dans ses articles, sur les romans de la jeune femme, surtout sur Lélia, contribuant ainsi à répandre la gloire de son amie[269].

Le roman eut auprès du public, surtout auprès de la jeunesse, le même succès et excita le même intérêt que chez les deux grands critiques de l’époque. L’impression qu’il produisit fut immense et l’influence qu’il exerça sur les esprits se fit remarquer non seulement en France, mais dans toute l’Europe. Lélia enfanta toute une littérature, créa un genre. En France et en Allemagne apparurent bientôt les dizaines de petites Lélias[270]. Des écrivains, absolument en dehors de la littérature d’imagination, citaient Lélia comme une autorité[271] et même des critiques défavorables à George Sand reconnaissent que cette héroïne traduisait vraiment les aspirations des femmes progressistes, de son temps, tout comme Jacqueline Pascal (la sœur du célèbre Pascal) fut l’interprète des idées les plus avancées de son siècle[272]. Et George Sand ne fut plus appelée que l’auteur de Lélia. Néanmoins, nous répétons que c’est peut-être celui de ses romans qui se lit aujourd’hui le plus difficilement, qui a le plus vieilli et dont nous ne pouvons guère recommander la lecture qu’à celles d’entre les adeptes du féminisme qui ne sont pas encore suffisamment lassées des lieux communs sur l’égalité des droits de la femme, sur son indépendance, sur la dépravation des hommes, etc., etc. De nos jours, toutes ces théories sont de lamentables vérités. Mais en 1833, elles étaient la nouveauté du jour et sortaient tellement du cadre habituel, qu’elles soulevèrent aussitôt des tempêtes d’indignation. Les journaux et les écrivains conservateurs jetèrent les hauts cris, et plus que les autres, Capo de Feuillide qui éreinta l’auteur de Lélia dans deux articles consécutifs. Dans le second de ses articles, il dit entre autres que l’auteur ne paraît pas être une femme, que c’est là une mystification inventée comme réclame, qu’une femme ne serait jamais capable de concevoir une telle vilenie et d’oublier à tel point la pudeur. Gustave Planche provoqua Capo de Feuillide en duel et le duel eut lieu. Heureusement aucun des deux adversaires ne fut blessé. De méchantes langues prétendirent que la balle de Planche avait tué une vache que dut payer Buloz, Planche, ce réfractaire, comme l’appela plus tard Vallès, n’ayant jamais le sou.

George Sand fut très mécontente de la tournure que l’affaire avait prise. Le duel, les légendes, qui coururent Paris sur Planche et ses relations avec elle, ces racontars insipides l’irritaient beaucoup. Musset, déjà son ami intime à cette époque, relata l’épisode sous la forme la plus drôlatique. Musset n’aimait pas Planche, c’est pourquoi il nous semble que le refroidissement qui se déclara bientôt après dans les relations entre l’austère critique et la grande romancière, puis leur rupture définitive doivent être en grande partie attribués à l’amour naissant d’Aurore pour Musset. Les commères de l’époque expliquèrent la rupture à leur manière et les traces de ces caquets se retrouvent jusque dans les premiers chapitres de Lui et Elle. Combien George Sand a dû être révoltée des allusions que l’on faisait à sa prétendue liaison avec Planche ! Nous en voyons la preuve dans ses lettres à Sainte-Beuve et à Boucoiran.

Quoi qu’il en soit, Lélia souleva une véritable tempête. Il n’est pas un seul des romans de George Sand qui lui ait valu comme Lélia, la réputation d’écrivain dangereux, de propagateur d’idées perverses, d’impie, de prédicateur de la corruption. À nos yeux, le lecteur le sait, d’une part, Lélia est l’expression de la désolation amère d’Aurore à l’époque où elle écrivit ce roman ; et d’autre part, les idées que George Sand y prêche sont devenues vérités communes, quelque peu en vogue de nos jours et prêchées par Tolstoï, Ibsen et Björnson. Pour nous, Lélia pêche par un défaut bien plus grave pour une œuvre d’art : la thèse à outrance, le manque de goût, La boursouflure du style. Et, sous ce rapport, la version de 1836 dépasse encore son prototype de 1833.

Cependant le succès de Lélia consacra la gloire de son auteur, fit du nom de George Sand le nom le plus populaire de 1833 et l’identifia avec celui de l’héroïne du roman. Même de nos jours Mme Sand est appelée dans les biographies, Les articles et les cours de Littérature, tantôt « Lélia », tout court (dans son livre sur Chopin, Liszt la nomme « brune et olivâtre Lélia », tantôt « l’auteur de Lélia ». Il y a peu de temps encore une certaine dame ou demoiselle, à une conférence qu’elle fit à Saint-Pétersbourg, dans un club féministe, ayant pour thème les femmes de George Sand, proclama, hélas ! Lélia « le meilleur roman de la célèbre romancière ».

Lélia est écrit en un style d’une Beauté étrange ; il y a des pages d’une boursouflure et d’une rhétorique insupportables, mais il y en a aussi de sublimes. Plusieurs passages, tant de la première que de la seconde édition, surtout les tableaux de la nature, sont dignes de trouver place dans des « pages choisies ». Telles sont, par exemple, la description du cimetière du couvent ; celle d’une nuit étoilée, de l’aube et du lever du soleil vu du sommet d’une montagne[273] ; telles la scène du tombeau (décrivant un tombeau que George Sand avait réellement vu au jardin d’Ormesson) et le dialogue nocturne entre Lélia et Sténio ; tels les chapitres Dieu et Lélia au rocher[274] d’une hardiesse et d’une mélancolie, qui ne permettront certes jamais de les insérer dans des « pages choisies » pour la jeunesse. Les souvenirs personnels qu’Aurore Dupin avait gardés du couvent se font encore remarquer surtout par la précision, par la finesse, avec lesquelles George Sand a su évoquer ses impressions d’alors, sa tristesse rêveuse, la poésie de la désolation, de l’humilité, de la renonciation dont son âme était remplie, quand elle passait des heures entières au cimetière des Anglaises ou dans la cour pavée de dalles sépulcrales portant, pour toutes inscriptions, l’image de têtes de mort.

Pour éviter de revenir plusieurs fois sur le même sujet, nous avons cru nécessaire de ne point diviser notre analyse en deux parties en parlant séparément de la seconde édition de Lélia. Nous indiquerons en son lieu sous l’empire de quelles impressions George Sand refit le roman en 1836 et quelles furent alors les idées qui influencèrent la nouvelle version.

Selon nous, le roman de 1833 offre plus d’intérêt, comme œuvre d’art mieux soutenue dans son ensemble et comme peinture psychologique du triste état d’âme dans lequel George Sand se trouvait en 1832 et au commencement de 1833.

Parmi les autres œuvres de cette première moitié de 1833, nous trouvons le même pessimisme dans Lavinia[275], an old tale, la plus charmante des charmantes nouvelles de George Sand. Elle se passe dans les Pyrénées. C’est aussi comme un écho des jours tristes qu’Aurore Dudevant a vécus, non de ces jours écoulés au milieu des merveilleux et sauvages sites des Pyrénées, temps charmant où elle a connu la joie d’un amour vrai et pur, mais des tristes moments qu’elle a passés plus tard, lorsqu’elle se vit déçue et où, après une longue série de désillusions et de luttes douloureuses, à l’instar de Lavinia, se séparant pour toujours de son bien-aimé, sir Lionel, elle dit un éternel adieu à son premier amour. Cette jolie nouvelle est tout imprégnée de la douloureuse conviction intime de la vanité et du néant des amours les plus parfaites, de l’inutilité de se sacrifier au bonheur de l’homme aimé, de l’impossibilité de faire revenir le bonheur une fois envolé. Lavinia reste jusqu’à nos jours tout aussi fraîche et jeune que Lélia a vieilli. C’est là un des joyaux de la couronne de George Sand. C’est un récit qui se relit toujours avec plaisir. Si jamais on fait une édition de ses Œuvres choisies, cette œuvrette d’un art si fin devra certainement en faire partie. Nous sommes portés à croire que Lavinia vit le jour sous l’impression du désenchantement et des déceptions cruelles que George Sand eût à essuyer en 1833. On y retrouve l’écho de ses tristes repentirs à propos de ce qui s’était passé et peut-être même de ses réflexions amères sur sa propre inconstance et, par conséquent, des retours volontaires qu’elle fit sur son premier amour si pur et si platonique « qui avait duré six ans », comme elle le dit à Sainte-Beuve et s’était éteint pour ne plus jamais se rallumer[276].

Nous avons déjà vu que Sainte-Beuve avait été agréablement frappé à la lecture du manuscrit de Lélia, en voyant que l’auteur avait lu et compris Obermann. C’est probablement le raffiné critique qui décida Aurore à faire une analyse de ce roman, peu apprécié depuis son apparition en 1804 et dont lui-même tâchait de faire connaître le mérite au public. George Sand publia à ce sujet un petit article[277] dans la Revue des Deux-Mondes, livraison du 15 mai 1833. L’article témoigne de la profonde sympathie du pessimiste qu’était alors George Sand pour Senancour et son héros si profondément triste, l’un des malheureux descendants de Hamlet, parent par l’esprit de Werther, de René, de Child Harold et… de Lélia. Mais l’article de George Sand est médiocre et trop phraseur[278] ; la pensée de l’auteur est rendue obscurément, en sorte que celui qui n’a pas lu Obermann ne peut pas se rendre facilement compte des traits de famille du héros, qui lui sont communs avec les autres grands malades de la maladie du siècle, ni des particularités individuelles, qui le distinguent par l’esprit de ses frères aînés ou cadets. C’était cependant là le but que George Sand s’était proposé.

Cora et Garnier, écrits aussi tous les deux en 1833, méritent bien de tomber dans l’oubli : ce sont des œuvres dues non à l’inspiration, mais à la nécessité où se trouvait l’auteur de gagner sa vie. Garnier paraît ennuyeux à double titre : d’abord parce que George Sand aspirait à s’y montrer gaie, quand elle avait la tristesse dans le cœur, et parce qu’elle voulait y faire preuve de cet « esprit » dont elle manquait, et si de Latouche a pu dire, en parlant d’une de ses œuvres, que c’était « un pastiche de Balzac », ces paroles ne s’appliquent nulle part aussi bien qu’à ce récit : quant à son style, lourd, parce qu’il veut atteindre à la légèreté, il est ennuyeux et banal à force de vouloir être gai. Cora parut en 1833 et Garnier au commencement de l’année suivante.

Les autres œuvres de George Sand datant de 1833, furent écrites sous des impressions différentes que Lélia, Lavinia et Obermann. La fin de cette année s’éclaira pour l’auteur d’un tel éclat de lumière et de bonheur, que ce fut comme une résurrection de l’âme de George Sand. Ce qu’elle éprouva dans les derniers mois de 1833 ressemblait si peu aux pensées et aux sentiments de Lélia, qui George Sand ne s’y reconnut plus elle-même et dit, en parlant de ce roman : « Je crois que j’ai blasphémé la nature et Dieu peut-être dans Lélia ; Dieu qui n’est pas méchant et qui n’a que faire de se venger de nous, m’a fermé la bouche en me rendant la jeunesse du cœur et en me forçant d’avouer qu’il a mis en nous des joies sublimes[279]… » Le motif et la cause de ce revirement moral et intellectuel est dû à ses relations et à son amour naissant pour Alfred de Musset.


TABLE DES MATIÈRES




Coup d’œil général sur Paris par George Sand. — Traits saillants de la personnalité littéraire de la grande romancière. — Ses admirateurs et ses détracteurs. — Influence sur la société européenne. — Action toute spéciale sur les écrivains et la société russes. — Défauts et erreurs de toutes ses biographies. — Le but et la raison de notre livre. — Les sources 
 1


Ancêtres et parents de George Sand. — Aurore Dupin considérée sous le point de vue de ses traits héréditaires 
 75


Premières années. — Les « contes entre quatre chaises ». — Napoléon. — Madrid et Murat. — Nohant. — L’aïeule et la mère. — Dédoublement moral ; impressions artistiques. — Premiers essais littéraires. — Corambé. — Le Berry et la vie des champs. — La religion et le théâtre 
 93


Le couvent. — Diablerie. — Mysticisme. — Socialisme chrétien. — Les jésuites. — Molière au couvent. — 1820. — Crise morale ; vie indépendante ; premiers romans ; éléments du caractère littéraire et individuel. 
 155


Mort de la grand’mère. — Vie pénible à Paris. — Le Plessis. — M. Dudevant. — Bonheur. — Premiers troubles et premiers chagrins. — Voyages. — Les Pyrénées. — Aurélien de Sèze et Zoé Leroy. — Vie à Nohant et à la Châtre. — Luttes intimes. — Recherches d’un métier. — Départ pour Paris 
 205


Inexactitudes de l’Histoire de ma Vie et erreurs des biographies. — Vie excentrique. — Amis berrichons. — Jules Sandeau. — Le comte de Kératry et de Latouche. — Rose et Blanche — « Jules Sand » et « George Sand » — La Molinara. — Bigarrure. — La Vision. — La Fille d’Albano. — Indiana. — Valentine. — La Marquise. — Melchior. — Le Toast. — La Reine Mab 
 309


Malheurs sociaux et intimes. — Rupture avec Sandeau. — Prosper Mérimée. — Fr. Rollinat. — Lélia. — Gustave Planche et Sainte-Beuve. — Lavinia. — Préface d’Obermann. — Cora. — Garnier
 384


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PARIS. — TYP. PLON-NOURRIT ET Cie, 8, RUE GARANCIÈRE. — 16540.


GEORGE SAND


SA VIE ET SES ŒUVRES


**


1833 — 1838
GEORGE SAND D’après le dessin de L. Calamatta (1837)
GEORGE SAND D’après le dessin de L. Calamatta (1837)



WLADIMIR KARÉNINE




GEORGE SAND
SA VIE ET SES ŒUVRES
* *
1833-1838




Deuxième édition




PARIS
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1899
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réservés pour tous pays.

GEORGE SAND
SA VIE ET SES ŒUVRES



CHAPITRE VIII[280]

(1833-1835)


Alfred de Musset. — Fontainebleau. — Voyage en Italie. — Pietro Pagello. — Jacques. — La légende. — Voyage dans les Alpes et vie à Venise. — Retour en France. — La rupture et l’épilogue du roman.

Chacun de nous voit « par ses yeux », entend à sa manière, possède un tact particulier. Nous sommes à table, où il y a un verre de vin devant nous. Nous le regardons tous les deux, mais nous le voyons très diversement, et le vin lui-même paraît tout autre à chacun de nous. Nous transmettre l’un à l’autre comment nous l’avons vu, quel goût nous avons trouvé au vin, c’est ce que nous ne pourrons jamais faire. Nous nous contentons du mensonge des mots, et quand chacun de nous a affirmé que le verre est diaphane et brille, que le vin est doux ou sec, nous nous imaginons qu’il est pour nous deux identiquement diaphane, qu’il est pour nous deux aussi également doux ou sec, que les mots employés répondent adéquatement à la sensation que chacun de nous a perçue, et que ces sensations se sont réfléchies, les mêmes et à un même degré dans l’intelligence. Et nous croyons que nous nous comprenons les uns les autres ! Cependant ce n’est là que nous décevoir en paroles, — cette pitoyable monnaie étrangère (comme l’a fait remarquer depuis longtemps un homme d’esprit), qui ne peut jamais répondre complètement à la vraie valeur de notre monnaie, l’idée à nous, mais tout au plus la rendre très approximativement. Mais si un phénomène matériel extérieur, aussi insignifiant que l’aspect d’un verre et le goût du vin qu’il renferme, se reflète tout différemment sur deux esprits divers, produit des impressions, des sensations et des nuances d’idées différentes, se diversifie généralement en deux âmes humaines, combien cette diversité se montre-t-elle plus profonde encore, plus tranchante, combien cette faible dissemblance d’impressions entraîne-t-elle une plus grande divergence dans la tournure même de la pensée, lorsque le phénomène, au lieu de se passer dans le monde extérieur, se produit dans notre vie intérieure, psychique. Ce qui m’exaspère, vous laisse parfaitement froid ; ce que j’appelle amour n’est pas du tout pour vous de l’amour, mais simplement de l’amitié ; même ce que nous sommes d’accord à appeler chagrin ou désagrément, joie ou bonheur, tout cela, pour chacun de nous, est tout autre, tout dissemblable ; transmettre à un autre, en pleine exactitude, ses sensations, ses pensées, ses sentiments et leurs nuances, c’est ce que personne ne peut, n’a jamais pu et ne pourra jamais faire. C’est ce que Guy de Maupassant a parfaitement compris quand il dit, dans Solitude : « Notre grand tourment dans l’existence vient de ce que nous sommes éternellement seuls, et tous nos efforts, tous nos actes ne tendent qu’à fuir cette solitude… Je te parle, tu m’écoutes, et nous sommes seuls tous deux, côte à côte, mais seuls… Nous sommes tous dans un désert. Personne ne comprend personne… Et moi, j’ai beau vouloir me donner tout entier, ouvrir toutes les portes de mon âme, je ne parviens point à me livrer. Je garde au fond, tout au fond, ce lieu secret du Moi où personne ne pénètre. Personne ne peut le découvrir, y entrer, parce que personne ne me ressemble, parce que personne ne comprend personne… »

C’est cependant ce que nous ne voulons ni voir, ni croire, nous nous acharnons, avec un désespoir, du reste, compréhensible, à arriver à ce que l’on nous comprenne, nous nous efforçons de sortir de notre moi, nous voulons rompre tous les liens, nous mettre en communication vraie, réelle avec d’autres âmes, et nous parlons, écrivons, prêchons, convainquons, contractons des amitiés, nous aimons, et nous croyons que, grâce à tout cela, nous atteignons une communauté spirituelle, une sorte d’unification avec d’autres âmes. Surtout lorsque nous aimons ! C’est alors plus qu’en toute autre chose que nous nous laissons décevoir en paroles, et que nous n’aspirons même qu’à être déçus. Tu m’as dit : « Je t’aime », je suis heureux, et je m’imagine que ces trois petits mots résonnent dans ton âme comme dans la mienne, que pour toi et pour moi, ils ont la même valeur. Faut-il davantage ? Nous nous jurons et affirmons passionnément qu’il en est ainsi. Combien les amoureux sont prodigues de phrases dans le genre de celles-ci : « Je t’aime avec la même passion que tu m’aimes. Mes sensations sont les mêmes que les tiennes. »

« La même », « les mêmes ! » Pauvres insensés ! Qui donc a pesé, mesuré, qui vous a donc dit que rien que le mot « de même » fait également vibrer vos nerfs auditifs ? L’homme ne peut sortir de son moi, ne peut s’abstraire de ses yeux, de ses oreilles, de ses nerfs, de son cerveau, il est leur éternel esclave, emprisonné en eux comme dans une carapace impénétrable, et autour de lui, enfermées aussi dans leur individualité comme dans une coquille, d’autres âmes humaines ! Et ces âmes s’imaginent qu’elles se comprennent et se connaissent ! Certes, on ne peut nier que, malgré les nuances qui se diversifient presque à l’infini entre les individualités, il n’y ait souvent entre elles similitude de natures, que la même éducation, les mêmes goûts, et surtout la même manière d’exprimer en paroles nos idées et nos goûts nous portent à nous faire sentir que nous sommes plus près des uns et plus éloignés des autres, que nous nous mettons lentement à l’unisson de quelques-uns, tandis que nos sympathies pour d’autres naissent comme un coup de foudre. Mais c’est là justement qu’est le danger. La sympathie, l’amitié, l’ardeur à y arriver sont précisément ce qui nous fait le plus facilement perdre de vue qu’une union parfaite, que l’identité ne peut être qu’une chimère. Et notre amour est-il donc autre chose que le rêve ininterrompu de cette identité, de cette union, la soif de les acquérir, la foi en la réussite ? Plus forte sera cette croyance, plus amer sera le doute, le réveil après l’ivresse, le désenchantement ; plus l’amour aura été profond, plus affreux deviendra le sentiment que l’âme des autres n’est pour nous que ténèbres (proverbe russe). Ce sentiment, nous devons tous l’éprouver, plus tôt ou plus tard. Comment ne pas se réjouir du bonheur de ceux qui ne l’ont pas encore éprouvé, comment ne pas bénir le sort qui donne à chacun, ne fût-ce qu’une année, ne fût-ce qu’une semaine de cette heureuse déception, de ce mirage, de cette foi en l’union de deux âmes, indispensable à tout homme assoiffé de la vie de l’âme ? Comment ne pas s’étonner que, envers et contre tous, les hommes aiment encore et peuvent se sentir heureux ? Et cependant une des choses les plus étranges que l’on observe dans l’humanité, — bizarrerie qui frappe surtout l’observateur sérieux des choses et des passions humaines, — c’est notre habitude de rechercher les raisons et de nous étonner des motifs qui peuvent porter des amis, des amoureux ou des époux à se quitter. Si peu que nous réfléchissions sur notre propre vie ou sur celle des autres, nous devrions bien plus être étonnés de voir les hommes se rapprocher, avoir des moments ou des années d’une union presque parfaite avec d’autres hommes, d’autres âmes, de rencontrer dans la vie de nombreuses amitiés, des amours heureux, en un mot, le bonheur sous une forme quelconque.

Nulle part cette habitude de juger ainsi n’apparaît plus souvent que lorsque dans la conversation ou les livres on traite les amours heureuses ou malheureuses (et quelles amours ne sont pas malheureuses ?) dans la vie des grands hommes. Alors ce n’est que l’adage rebattu : « Comment se fait-il que ces gens-là se soient quittés ? Qu’est-ce donc qui a pu amener leur séparation ou leur divorce ? Quel est le coupable ? « Il faudrait, au contraire, s’écrier : « Comment, diable, deux individualités si différentes ont-elles pu s’accorder ? N’est-il pas étonnant qu’elles aient pu s’aimer ? Par quel heureux hasard ont-elles pu jouir d’un moment de bonheur, ce bonheur fût-il même empoisonné ? » Et cependant les causes de cette séparation, de ce divorce sont faciles à trouver : elles sont en tout, elles sautent aux yeux.

Lorsque, en particulier, nous passons aux romans vécus de George Sand, nous rencontrons avant tout, à leur égard, du côté de ses biographes et du public, cette étonnante habitude et cette curieuse manière de juger dont nous avons déjà parlé au début de ce livre, — manière de juger dans le sens exact du mot et de condamner. Pour peu qu’il soit question de collisions psychologiques, voire de relations humaines basées sur tel ou tel autre sentiment, aussitôt nous nous transformons en procureurs pour accuser et condamner l’une ou l’autre des parties en cause[281]. Les biographes de George Sand l’absolvent, cela va sans dire ; ceux de Musset et de Chopin la condamnent, cela ne pouvait non plus manquer. C’est toujours un procès qu’on fait ! Et pourtant, à tous les romans réels de George Sand vient justement encore s’ajouter cette circonstance aggravante que l’héroïne elle-même et presque tous les héros, ses favoris, furent de grands hommes, de grands talents, des génies, c’est-à-dire des natures deux fois, cent fois plus individuelles que chacun de nous et tout autrement impressionnables, pensant par eux-mêmes, sentant par eux-mêmes, se diversifiant davantage encore des autres, emprisonnés davantage aussi dans la carapace de leur personnalité. Quoi d’étonnant alors que tous les romans personnels de George Sand aient fini malheureusement pour l’un ou l’autre des amants, ou plutôt pour tous les deux. Il va sans dire que dans ces romans, comme partout ailleurs, celui des deux qui aimait le plus était le plus malheureux ; dans les histoires ordinaires d’amour, ce sort est presque toujours réservé à la femme ; mais dans les amours qu’a traversés George Sand, le malheur est souvent échu aux héros eux-mêmes, à ceux d’entre eux qui étaient plus faibles ou dont l’amour était plus fort.

En amour, le code est tout particulier et très étrange. En amour, celui-là a toujours tort qui aime davantage. Disons mieux : La victoire est à celui qui n’aime plus, n’aime pas encore ou n’aime pas du tout. Plus on vous aime, plus on vous est dévoué, plus on est sans défense, et plus celui qui aime est incapable de vous cacher la moindre nuance de ses pensées, ne fût-ce que pour défendre son âme contre vous, plus vous vous montrez négligent, cruel, méprisant. Ce qui vous aurait enchanté, vous eût paru le bonheur suprême, — si vous aviez aimé vous-même, — vous semble maintenant insupportable, vous ennuie, vous met hors de vous. En pareil cas vous seriez capable de haïr, et même de railler. Plus l’un des deux se montre bon, plus l’autre devient mauvais à son égard. Il vous écrit de longues lettres en y mettant tout son cœur, sans vous rien cacher, dans le désir de vous livrer encore et toujours toute son âme, tout son être dans l’éternel besoin de vous parler de soi, afin que vous sachiez tout — ces longues épîtres vous fatiguent, vous sont à charge, vous les lisez ou plutôt vous les parcourez négligemment, à peine daignez-vous y faire attention. Il n’aspire qu’à vous voir, il vous dit que sans vous il s’ennuie nuit et jour, — cela vous semble importun, petitesse d’esprit, manque de tact et d’intérêts sérieux, preuve de faiblesse, attentat contre votre liberté. Il vous aime avec désintéressement, se sacrifiant lui-même sans vous demander rien en retour. Pour vous, c’est là se rabaisser, manquer de fierté et déroger au sentiment de sa propre dignité. Il perd patience, les souffrances lui font jeter le masque et se déclarer, son langage devient fou, passionné ; vous voilà irritée, révoltée, — il manque de délicatesse, il est grossier, brutal et vulgaire, il vous accable de sa personne, et c’est ce que vous ne voulez à aucun prix.

Faut-il le dire en un mot ? Toujours et toujours, c’est sa faute à lui, toujours vous avez raison. Mais si lui ou elle n’aime plus, n’aime pas encore ou n’aime pas du tout, mais que vous aimiez, vous ! Ah alors ! les choses changent de face. C’est vous alors qui écrivez, c’est vous qui êtes importun, c’est vous qui manquez de délicatesse, qui n’avez pas le sentiment de votre propre dignité ; votre figure longue et morose ennuie ; vos lettres, vos visites, vos questions, vos soucis, votre amour infini qui éclate dans chacune de vos paroles, dans chacun de vos gestes, chacun de vos actes, tout cela est insupportable, tout cela devient une véritable obsession. C’est vous alors qui avez tous les torts, c’est lui ou elle qui ont toujours raison ! Væ victis.

Dans la vie de George Sand, on trouve, hélas ! beaucoup d’histoires d’amour, on n’en trouve même que trop, et c’est peut-être ce qui l’a fait regarder comme ayant prêché l’immoralité dans tous ses romans, quoique ses héroïnes soient le plus souvent loin de ressembler à Aurore Dudevant par leur caractère et leur tempérament.

Les ennemis de George Sand se sont évertués à nous représenter son tempérament à elle sous les plus noires couleurs, tandis qu’on dirait que ses amis et ses biographes, se sont imposés le rôle hypocrite de se taire là-dessus ou de recourir à tous les faux-fuyants pour jeter comme un mystère sur l’un ou l’autre trait de la vie de leur héroïne. Nous aimons à répéter encore ici que nous ne voyons aucun besoin de chercher les circonstances atténuantes dont il semble qu’on ne puisse se passer lorsqu’on parle des amours de notre écrivain. George Sand fut une femme tout exceptionnelle, géniale, à laquelle il serait absurde d’appliquer la mesure de la morale courante, tout comme il serait insensé de l’appliquer à Byron ou à Lermontow. Si en chacun de nous les défauts sont étroitement liés à nos qualités, et si chacun des traits de notre caractère est presque inséparable des autres, ce phénomène est bien plus frappant encore dans les natures fortes, complexes et exceptionnelles.

Avant d’arriver à la douce quiétude objective du philosophe qui est sorti vainqueur de toutes les révoltes, et à cette harmonie de l’âme qui nous frappe et nous charme dans Gœthe, — cet homme génial aussi eut une jeunesse orageuse et une vie pleine d’aventures et de rencontres de toutes sortes. On dirait que le sort s’est plu à lui donner les occasions de tout sonder, de jouir de tout, de tout éprouver, de recueillir partout des sons, des couleurs. En lisant l’histoire de sa vie, l’on voit que ce qui lui a peut-être rendu le plus grand service, lui a été le plus utile, c’est sa légèreté devenue célèbre et son égoïsme presque sans exemple dans ses relations avec ses amis et avec les femmes qui l’ont aimé. Il est certain que beaucoup de ceux qui ont servi de documents humains au poète, dont le vaste esprit possédait le monde (ce qui ne l’empêchait pas de faire des expériences in anima vili) ont dû éprouver bien des amertumes ; mais maintenant que tout un siècle s’est écoulé, il serait étrange de se lamenter encore sur le sort de ceux ou de celles qui ont servi de prototypes à Lotte, à Lilly, ou à Werther. On se révolte contre Gœthe-homme et on le condamne aisément, on plaint la vraie Charlotte ; mais quel regret, quelle perte pour nous si Gœthe-poète n’eût pas éprouvé cet amour dans sa jeunesse ! Cet épisode était nécessaire dans l’histoire du développement de cet esprit sublime.

Nous ne serions guère moins ridicules si nous allions nous plaindre à propos des diverses histoires d’amour de Heine ou de Musset, de Pouchkine ou de Byron. D’où pourrions-nous savoir ce que chacun de ces amours a laissé dans l’âme de ces poètes, ce qu’il a ajouté à leur croissance intérieure, par quelles routes inconnues et vers quel point ces amours ont tourné, à un moment donné, leur pensée ou les ont dirigés dans la voie qu’ils ont suivie. Tous ces amours, tous ces épisodes dont la portée est cachée aux acteurs eux-mêmes, à leur entourage, à leurs contemporains, sont les étapes nécessaires et souvent providentielles dans la vie de ces hommes hors ligne.

Ces voies providentielles, nous les ignorons, voilà tout. Personne de nous ne pourra jamais savoir de quelles circonstances, de quelles coïncidences fortuites purement extérieures, de quels heurts, de quelles impressions dépendent les bouleversements, les revirements, les remous qui se passent dans la vie de l’âme et à quoi ils aboutissent. Qui de nous pourrait savoir comment le moindre épisode extérieur de notre vie se répercute — positivement et directement ou négativement et par la loi des contraires — dans notre vie intérieure ?

Il n’y a pas de fait, de rencontre humaine, qui soient inutiles dans le développement et la marche en avant de chacun de nous. À plus forte raison encore, tout cela est-il nécessaire, devient-il un besoin, et, par conséquent, légitime dans la carrière de tout génie, de tout homme éminent.

Mettant donc de côté tous les points de vue et les jugements généralement reçus, nous avons parlé et parlerons des romans personnels de George Sand avec le calme parfait et l’impartialité de l’historien, et pour jeter à l’avance l’épouvante dans les âmes de nos vertueux lecteurs, nous dirons sans détour, que pour une femme ordinaire, la dixième partie de toutes ces amours serait impardonnable, mais qu’à nos yeux, George Sand ne nous paraît pas immorale, que toutes ses amours, si nombreuses soient-elles, ne l’amoindrissent nullement. Les passions, les entraînements et les événements personnels — c’est une chose ; mais l’élévation foncière de l’âme, sa tendance incessante vers la lumière, le perfectionnement ininterrompu — (acheté souvent au prix de chutes et de repentirs) — l’ascension continuelle de l’esprit vers l’idéal du beau, du bien, de la vérité, — cela c’est une autre chose. Une grande âme ne vit pas comme nos petites âmes modestes ; l’histoire de son développement est souvent mélangée de défaites et de victoires, de luttes, de désespoirs et de joies, de doutes cuisants et de foi enthousiaste. L’important, c’est le mouvement progressif de l’âme sans aucun arrêt, et non le mode de son perfectionnement. S’il s’effectue paisiblement et graduellement, ou par bonds et per aspera ad astra, c’est ce qu’il ne nous appartient pas de juger, ce rôle revient à la Cause de tout ce qu’il y a de génial et de divin dans l’homme.

Dans la vie romanesque de George Sand, il y a eu, nous le répétons, du trop, et ce qui a joué en tout cela un grand rôle, c’est le tempérament passionné qu’elle avait hérité de ses ancêtres, c’est sa nature éternellement avide de nouvelles impressions. Mais il est hors de doute aussi que George Sand eût pu se dire ce que sa célèbre amie Mme Dorval disait d’elle-même : « Est-ce que ce sont les sens qui entraînent ? Non, c’est la soif de tout autre chose. C’est la rage de trouver l’amour vrai qui appelle et fui toujours[282]. »

Mais George Sand eût-elle été possible sans tous ses romans vécus ? Serait-elle un de ces esprits éminents dans la série des phénomènes de l’ordre spirituel, si l’on rejetait de l’histoire du développement de son âme tous ses entraînements, toutes ses chutes, ses désespoirs, ses élans et ses repentirs ? Nous ne le croyons pas.

Peut-être George Sand n’a-t-elle aimé personne aussi passionnément, qu’elle a aimé Alfred de Musset ; d’autre part elle n’a été aimée aussi sincèrement par personne que par Alfred de Musset. Cependant ce mutuel amour a-t-il apporté autre chose que chagrin et souffrance dans la vie de l’un et de l’autre ? Cette triste histoire a déjà été racontée mille fois sérieusement et ironiquement, avec calme ou avec rage, le fiel à la bouche, par des amis ou des ennemis, en vers et en prose, simplement ou dans des œuvres d’imagination plus fictives que réelles. Sans parler des comptes rendus de cet épisode, insérés dans tous les cours de littérature, des articles et des biographies où l’on en parle comme en passant, nommons ceux qui en ont fait une étude spéciale et s’y sont arrêtés : MM. Paul de Musset, le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul, Maurice Clouard, Paul Lindau, Arvède Barine, de Pontmartin, Kertbeny, Sainte-Beuve, Maxime du Camp, Mariéton, S. Rocheblave, la vicomtesse de Janzé, le docteur Cabanès, Adolphe Brisson, Niecks (dans sa Biographie de Chopin), Georges Brandès, Mirecourt, miss Bertha Thomas, etc., etc. ; ajoutons que ce roman d’amour a servi de thème à la Confession d’un enfant du siècle de Musset, à Elle et Lui, de George Sand, à Lui et Elle, de Paul de Musset, à Lui, de Louise Colet, et qu’il existe, outre cela, une série innombrable de pamphlets fort peu décents et d’atroces libelles quasi satiriques, dans lesquels cette histoire, et avant tout la personnalité de George Sand, sont représentées sous les traits les plus repoussants. Tels les articles de Babou, de Barbey d’Aurevilly, tels « Eux, drame contemporain par Moi » (Alexis Doinet) — « Eux et Elles, histoire d’un scandale, » par M. de Lescure, « les Amours d’un poète, idylle en quatre colonnes » (attribué à un homonyme de de Latouche, ce qui fut démenti par la rédaction du Gaulois où ce pamphlet avait d’abord paru), « Lélia ou la femme socialiste, poème en quatre nuits, » et enfin, « le Songe de Mme Sand, pour faire suite au songe d’Athalie », tous deux par Alexandre Dufaï, le comble de la mauvaise foi et du mauvais goût chez l’écrivailleur le moins estimable. On trouve en outre à partir de Lélia[283] dans plusieurs romans et nouvelles de George Sand les échos de ses impressions pendant les derniers mois de 1833 et ceux de son célèbre voyage à Venise (Lettres d’un voyageur, Aldo le Rimeur, l’Orco, l’Uscoque, Mattéa, la Dernière Aldini, le Secrétaire intime). Les réminiscences de ce voyage en Italie se retrouvent aussi dans Gabriel, dans la première partie de Consuelo et dans plusieurs autres œuvres postérieures de George Sand. De son côté, c’est après son retour d’Italie que Musset a écrit ses plus belles poésies lyriques (les Nuits, le Souvenir, la Lettre à Lamartine, À mon frère revenant d’Italie, etc.), et ce sont les souvenirs d’Italie et de George Sand qui lui ont inspiré Lorenzaccio, On ne badine pas avec l’amour, et plusieurs autres œuvres dramatiques. Cette liste succincte de productions suffit pour nous faire voir que ce drame du cœur, qui a soulevé tant de bruit en son temps et même en ces dernières années, eut une importance littéraire considérable et qu’à ce titre seul il mérite de fixer l’attention du critique.

Mais grâce à l’abondance des récits apocryphes relatifs à cet épisode et notamment aux faits du voyage en Italie, l’histoire de cet amour est devenue et restée une légende ; les faits y sont altérés et défigurés au point qu’on ne s’y reconnaît plus. Les noms de George Sand et de Musset sont sur toutes les lèvres ; mais la vérité, personne ne la sait. La cause de tout cela, nous l’avons déjà dit, c’est la mauvaise foi et l’intempérance de langage des ennemis de George Sand, et la crainte éprouvée par ses amis de parler simplement et franchement de choses qui ne sont pourtant ignorées de personne. Ses amis se taisent ou parlent dans le vague et par réticences ; les ennemis ne se gênent nullement pour aller, dans leurs attaques, jusqu’à l’absurdité. Et, ce qu’il y a d’étrange, c’est qu’amis et biographes ont toujours essayé de ne pas même nommer le héros adversaire. « Personne, autour d’eux ne faisait cette réflexion qu’en amoindrissant l’autre, on amoindrissait aussi son propre héros, » comme le remarque si judicieusement Arvède Barine dans sa biographie de Musset. Tous les hommes impartiaux, qui ont eu l’occasion de connaître cette histoire, en se basant sur les documents authentiques, sont arrivés à la même conclusion : la vérité sincèrement dévoilée rehausserait l’honneur des deux parties. C’est ce que Édouard Grenier[284] reconnaît sans ambages, et il a raison. C’est ce que reconnaît encore d’une manière plus explicite le célèbre bibliophile, passé maître relativement à l’histoire littéraire de notre siècle, le vicomte de Spoelberch, l’auteur des monographies sur Balzac et Gauthier, qui, parmi ses trésors bibliographiques d’un prix inestimable, possède les papiers de Sainte-Beuve, contenant entre autres la correspondance de celui-ci avec George Sand, quelques lettres de Musset à Sainte-Beuve et un grand nombre de documents et de lettres de George Sand elle-même. Depuis longtemps et plus d’une fois M. de Spoelberch a exprimé dans ses œuvres l’opinion que si la correspondance authentique de Musset et de George Sand et les lettres qu’elle écrivit à Sainte-Beuve à cette époque eussent été publiées, la mémoire de ces deux grands noms[285] n’en aurait nullement souffert, mais que ces lettres, par leur véracité et leur sincérité n’eussent fait qu’augmenter le prestige du grand nom de George Sand, sans nuire nullement à la paix de sa mémoire[286]. Aujourd’hui M. de Spoelberch a exécuté le désir qu’il avait depuis longtemps, « de contribuer autant qu’il était en son pouvoir à la publication de cette correspondance » et il a fait paraître un fragment de sa future Histoire des œuvres de George Sand, dans lequel, sur des documents qu’il possède, il a raconté la Véritable histoire de « Elle et Lui ». Il s’est conformé au désir des deux parties intéressées : on voit en effet par les lettres de Musset qu’ont publiées Arvède Barine, Grenier et Mariéton, que le poète avait eu le ferme désir de raconter à la postérité son amour pour George Sand, et de rehausser et de glorifier par là le nom de son amante[287]. George Sand, de son côté, avait aussi exprimé, plus d’une fois, oralement et par écrit, le désir formel de livrer un jour au public les lettres de Lui et d’Elle, afin de se justifier au moins des trois principaux points d’accusation qu’on avait lancés contre elle[288].

Depuis 1897 le désir des deux écrivains est, en partie, un fait accompli : on a imprimé les lettres de George Sand à Musset et à Sainte-Beuve ; quelques unes de ses lettres à Pagello ; une partie des lettres de Musset à George Sand et une foule d’autres documents, relatifs à cette histoire[289]. Grâce à tous ces documents, à différentes recherches personnelles et à la possibilité de profiter de certaines lettres du docteur Pagello, lettres entièrement inconnues du public et très importantes, méritant toute confiance par leur véracité, sobre et réservée et leur sincérité attachante, nous avons pu nous servir de tous les innombrables documents publiés jusqu’ici, non comme de simples sources, mais en les soumettant à une critique raisonnée.

George Sand fit la connaissance de Musset peu de temps avant l’apparition de Lélia. Tout le monde littéraire de Paris s’intéressait à la nouvelle étoile qui se levait. Au désir de faire connaître l’auteur d’Indiana si passionnée, et de la poétique Valentine, s’ajoutait encore, la curiosité de voir la femme originale, tant soit peu excentrique, sur laquelle couraient déjà des légendes, cette beauté qui avait réussi à asservir le cœur de Sainte-Beuve, si exclusif et si raffiné, à s’attacher le pessimiste de Latouche et même Gustave Planche, l’intransigeant. Non moins célèbre était alors Musset, l’auteur des Contes d’Espagne et d’Italie qui avaient soulevé des tempêtes, de la moqueuse Ballade à la lune, de Namouna, etc., etc. Musset, qui n’avait pas encore vingt-trois ans, était un jeune homme svelte et blond, au teint délicat, aux beaux yeux rêveurs, dont le regard était cependant souvent hardi, pour ne pas dire davantage[290].

Malgré sa grande jeunesse, l’auteur de Namouna et de Portia était loin d’être encore novice dans la littérature et dans la vie. Par les manières et la tenue, c’était un élégant, un dandy, correctement mis, gâté par les femmes du monde, spécimen de la jeunesse dorée dont il partageait les plaisirs et les passe-temps, du matin au soir, en commençant par un déjeuner dans un restaurant à la mode, suivi de promenades sur le boulevard de Gand, et en finissant par les raouts et les bals du faubourg Saint-Germain. Ces passe-temps l’empêchaient non seulement de travailler, mais étaient en disproportion avec sa situation de fortune, car il n’était pas riche ; mais il avait des goûts aristocratiques[291].

Il est vrai d’ajouter que, du soir au matin, il n’était pas rare de voir le favori des dames du faubourg Saint-Germain, passer son temps en des compagnies rien moins qu’aristocratiques et vertueuses, et ceux de ses biographes sont parfaitement dans le vrai, qui font remarquer que, dès ses jeunes années, Alfred de Musset, hélas ! ne connaissait que trop bien tous les mystères de Paris et les bas-fonds de la ville, et les savait mieux qu’on ne les connaît souvent dans un âge plus mûr.

Quel lecteur des Ballades andalouses, des Marrons du feu, de la Coupe et les Lèvres n’a pas été frappé de voir chez leur tout jeune auteur, à côté d’éclatantes images poétiques, d’une rare observation et d’une précoce pénétration, un profond désenchantement et une connaissance si prématurée de la vie, avec tous ses côtés sombres et tous ses vices. Le frère-biographe essaye inutilement de convaincre son lecteur que ce n’est là que « pose », fiction, que tout cela, comme on le dit, a été écrit « de tête », que l’auteur, à cet âge, était un petit jeune homme vertueux, innocent, vivant sous l’aile de sa maman, ne s’éloignant jamais d’elle sans son consentement, et, n’ayant dans la tête, autre chose que « le souvenir de ses leçons » et du banc d’école qu’il venait à peine de quitter. Paul Lindau, malgré son amour pour son héros[292], a cependant senti la nécessité de montrer la faiblesse de pareilles affirmations. Il dit : « Mais ne pourrait-on pas répliquer à cela que les instincts de ce petit jeune homme qu’on nous donne à peu près comme innocent, sont cependant très frappants, et qu’ils conduisent tous (sammt und sonders) à une seule et même chose qui, si l’on employait le terme le plus fort, s’appellerait corruption ? Je me crois bien libre de tout rigorisme exagéré et, certes, je ne reprocherai pas au jeune poète de s’être quelquefois éloigné (auschweifte) du chemin de la vertu et de s’être engagé par caprice ou par quelque autre raison, dans des sentiers que la vertu regarde comme défendus. Mais quand je remarque que le poète erre uniquement dans ces sentiers boueux, que sa fantaisie ne recherche que les endroits évités par la bonne société et qu’il manifeste déjà une telle « connaissance de localités » qui, à son âge, épouvante tout simplement, alors il me devient difficile de me représenter ce blond jouvenceau comme un garçon innocent que garde une tendre mère. Alors il ne me reste plus qu’à regretter amèrement que ce talent étonnant se soit montré si précoce et ait pu si tôt se pervertir… »

Mais Paul de Musset, dans son acharnement à vouloir créer à son frère une réputation de candidat au prix Monthyon, trouve nécessaire d’ajouter que même dans la suite, l’auteur de Rolla, de la Confession et de Lorenzaccio, resta toujours le jeune homme innocent, n’ayant rien vu de la vie que le salon maternel et les salles de bals. Paul de Musset se gendarme contre une remarque très juste de Taine, et s’écrie : « Je ne sais pourquoi M. Taine, dans une étude très belle sur le poète anglais Tennyson, a représenté Alfred de Musset rôdant le soir dans les plus laides rues de Paris. Rien n’est plus inexact : Musset détestait les cloaques et n’y passait jamais qu’en voiture…[293] » Puis, il consacre quelques lignes énergiques au fatras de souvenirs apocryphes et de contes bleus racontés sur Musset comme sur tous les grands hommes. Il n’y a pas de doute que les souvenirs et récits sur Musset pèchent probablement aussi souvent contre la vérité que tous les autres souvenirs. Pourtant, comment accorder cette affirmation absolue que Musset ne connût pas les bas-fonds, les tavernes, les bouges, avec ses propres descriptions, telles que nous en trouvons dans la Confession d’un enfant du siècle ou avec les paroles suivantes tirées d’une de ses œuvres inédites : « Parmi les coureurs de tavernes, il y en a de joyeux et de vermeils ; il y en a de pâles et de silencieux. Peut-on voir un spectacle plus pénible que celui d’un libertin qui souffre ? J’en ai vu dont le rire faisait frissonner[294]… » Tout cela n’est-il pas peint d’après nature ? Dans la vérité et le réalisme de ces descriptions, devons-nous encore ne voir que licence poétique et « pose », comme dans les Contes d’Espagne et d’Italie ? Et n’est-il pas très étrange de voir plusieurs des biographes de Musset s’évertuer à le représenter comme un fat de salon, toujours guindé, uniquement préoccupé d’observer les bienséances mondaines ? Quoique Musset ait eu le travers de tenir au dandysme, et quelque grands qu’aient été ses défauts et ses vices qui ont plus tard amené le naufrage de sa santé et de ses qualités morales, il fut vraiment un poète, et il a suivi instinctivement le conseil de Gœthe :

    « Greift nur hinein ins volle Menschenleben,
    « Ein yeder lebt’s, nicht vielen ist’s bekannt,
    « Und wo Ihr’s packt, da ist’s interessant
[295].

Et ne dit-il pas lui-même, dans le Poète et le Prosateur, en faisant le portrait d’un vrai poète : « Le plus petit être, la moindre créature, par cela seul qu’ils existent, excitent sa curiosité. Le grand Goethe quittait sa plume pour examiner un caillou et le regarder des heures entières ; il savait qu’en toute chose réside un peu du secret des dieux. Ainsi fait le poète, et les êtres inanimés eux-mêmes lui semblent des pensées muettes… Regarder, sentir, exprimer, voilà sa vie ; tout lui parle ; il cause avec un brin d’herbe ; dans tous les contours qui frappent ses yeux, même dans les plus difformes, il puise et nourrit incessamment l’amour de la suprême beauté ; dans tous les sentiments qu’il éprouve, dans toutes les actions dont il est témoin, il cherche la vérité éternelle… » Un homme qui n’aurait rien vu que des salons de duchesses, et qui, n’eût « passé qu’en voiture à côté de tous les cloaques » de la vie, n’eût jamais, à coup sûr, écrit des pages aussi émouvantes, que la scène finale de Rolla, ni des scènes d’un tragique aussi profond que celle de la taverne dans la Confession, ni les mots cités plus haut : « Parmi les coureurs de tavernes… », ni enfin les lignes si profondément tristes que tout le monde connaît, de sa Lettre à Lamartine :

    C’était dans une rue obscure et tortueuse
    De cet immense égout qu’on appelle Paris ;
    Autour de moi criait cette foule railleuse,…


Tous les biographes amis de Musset ne soupçonnent pas combien leurs plaidoyers, pour prouver sa candeur de pensionnaire, ravalent en lui l’homme et le poète !

Or, sous les dehors de ce dandy et de ce coureur d’orgies nocturnes se cachait une ame ardente et passionnée, délicate, impétueuse, impressionnable, frémissante à tout phénomène de la vie, avec une force inconnue aux hommes ordinaires, semblable à un « luth oublié sur une chaise, que le moindre souffle de vent fait résonner[296] », une vraie âme de poète, avec toutes ses faiblesses comme avec toutes ses sublimes qualités. Musset ne pouvait rester indifférent à quoi que ce fût ; un rien, inaperçu pour un simple mortel, la moindre impression de la vie extérieure, de la nature pouvait le faire tomber en extase ou le jeter dans le désespoir. Toute rêverie naissante et flottante en son imagination grandissait démesurément, devenait pour lui réalité, et comme telle le torturait, ou l’enivrait de joie. Encore enfant, il manifestait déjà cette manière de sentir, relativement aux moindres faits de la vie. Dans les premiers chapitres de sa Biographie, Paul de Musset nous raconte quelques épisodes intéressants et nous donne des détails sur l’enfance d’Alfred, détails excessivement caractéristiques qui servent à nous éclairer sur toute la vie ultérieure du poète. À l’âge de trois ans, on lui fit cadeau de souliers rouges, qu’il devait mettre à l’occasion d’une fête de famille. L’enfant brûlait d’impatience de mettre ces charmants souliers et ne pouvait rester en place pendant que sa mère lui peignait ses boucles. Enfin il s’écria presque en larmes : « Dépêchez-vous, maman, mes souliers neufs vont devenir vieux. » Et le frère-biographe fait justement remarquer : « On ne fit que rire de cette vivacité ; mais c’était le premier signe d’une impatience de jouir et d’une disposition à dévorer le temps qui ne se sont jamais calmées ni démenties un seul jour. » Paul de Musset rapporte dans ses premières pages (les plus précieuses à coup sûr de son livre) et dans ses derniers chapitres quelques faits analogues de la jeunesse et des années de maturité de Musset, qui nous montrent combien son âme était passionnée, impatiente, d’une sensibilité intense et presque maladive. Il ne pouvait voir souffrir ; toujours il était prêt à faire tout ce qu’il pouvait pour les hommes et les animaux, afin de se débarrasser lui-même du sentiment, pour lui insupportable, de la compassion dans le sens littéral du mot, c’est-à-dire de sa souffrance avec les autres, sentiment maladif, qui allait jusqu’à lui faire perdre le repos et le sommeil. Et, en même temps, dans les moments d’irritation et d’emportement il était capable d’offenser cruellement une personne aimée ; par colère ou chagrin il perdait aussi facilement la tête que dans la joie ou le bonheur. Il n’avait ni fermeté, ni persévérance ; il n’a jamais pu se maîtriser. Il ne savait pas aimer à moitié, vouloir avec calme, attendre raisonnablement l’accomplissement de ses désirs. Il disait de lui-même : « Je ne suis pas tendre, je suis excessif. » Il était individualiste dans le meilleur et le pire sens du mot. Son frère écrit : « C’était en toutes choses l’homme le plus indépendant, tout entier à ses impressions et gouverné par sa fantaisie. Perpétuellement il lui arrivait de sortir avec l’intention d’aller dans un endroit, et de changer d’idée à moitié du chemin[297]. »

« Indépendant jusqu’à l’opiniâtreté, confiant en son jugement jusqu’à s’opposer même à l’autorité la plus respectable, cette autorité fût-elle le devoir envers soi-même, le respect de son propre talent, — sans aucun guide en dehors de sa propre volonté, de ses propres caprices et passions, il traversait orageusement la vie sans vouloir s’arrêter devant aucune barrière, sans se soucier de développer les forces nécessaires pour vaincre les obstacles que l’on trouve dans la vie ou pour réparer les forces perdues, — il préférait au lieu de se reposer, se traîner plus loin avec peine, aussi longtemps que c’était possible et, lorsque les forces le trahirent, il tomba et resta immobile… » — Voilà par quelles paroles Lindau caractérise la vie et la nature d’Alfred de Musset.

« C’est ainsi qu’il vécut, c’est ainsi qu’il travailla. Tout ce qui lui paraissait régularité et ordre, le rebutait. Quand il y était disposé, il arrivait que pendant des jours et des semaines et quelquefois des mois entiers, il vivait exclusivement par le travail de l’esprit. Mais ensuite venaient des temps d’arrêt qui duraient de longues semaines, des mois et même des années, — intervalles pendant lesquels il ne faisait rien ou n’écrivait que rarement, dans un moment favorable, une poésie de circonstance, lorsque quelque motif le portait à le faire. La preuve qu’il ne pouvait pas se maîtriser apparaissait aussi en cela, et, même au commencement de sa carrière active, il perdait en futilités des jours et des semaines qui eussent dû lui être précieux. Les reproches qu’il aurait dû se faire, il tâchait de les étouffer dans les frivolités auxquelles il s’adonnait[298]. »

Sa haine pour tout système se manifeste aussi dans sa manière de prendre tout ce qui est du domaine des intérêts sociaux. Son esprit vif, railleur, purement gaulois, lui faisait voir les côtés ridicules ou faibles, là où les autres ne remarquaient rien. Il avait le goût raffiné, analogue à celui d’un gastronome, qui empêche ce dernier d’avaler indistinctement tout mets grossier ou mal assaisonné. Il ne pouvait rien supporter de ce qui lui paraissait, lieu commun, rhétorique banale, intolérance de parti, grossièreté, lutte de mesquines ambitions personnelles se cachant sous des phrases pompeuses ou de grands mots creux, tout ce qui est criard, commun, vulgaire. Ce mépris du cliché et la haine de l’esprit de parti, le portaient en matière d’intérêts sociaux à l’indifférence et au quiétisme, mais ils lui prêtaient en même temps l’attrait d’une nature d’élite, d’une âme solitaire, fière, libre et individuelle. Il ne prenait aucune part aux divisions politiques, sociales et religieuses de son époque ; aucun événement de l’histoire de son temps ne le tirait de sa vie ordinaire ni des habitudes d’analyse personnelle où il resta toujours plongé. Autour de lui grouillait la lutte des partis ; des systèmes se créaient ; l’ancien ordre de choses vivait ses derniers jours ; chacun mettait la main à l’érection du nouvel édifice, ou y apportait sa pierre ; les bonnes et les mauvaises passions remuaient la société ; des trônes croulaient ; d’autres s’élevaient, — Musset ne s’inquiétait pas de cela, son esprit était ailleurs. Lindau fait remarquer avec raison, qu’un changement de dynastie laissait Musset indifférent, tandis que la jolie nuque d’une jeune fille aperçue au théâtre, lui inspira sa jolie poésie : Une soirée perdue. Et la chute des d’Orléans, avec qui il était lié depuis son enfance par les liens d’une amitié intime (il avait fait ses études avec le duc de Chartres), passa pour lui tout à fait inaperçue. Il semblerait que 1848 et 1852 eussent dû soulever sa colère ou ses regrets, et se refléter dans ses vers. Il n’en fut rien, tout lui fut égal ; il dit même un jour à son frère, en plaisantant, qu’il s’intéressait plus à la manière dont Napoléon Ier mettait ses bottes, qu’à toute la politique contemporaine de l’Europe.

Ce confinement, cette claustration voulue dans le cercle de ses sentiments et de ses intérêts personnels ont-ils fatigué Musset, ou comme toutes les âmes poétiques a-t-il vu, de bonne heure, la triste contradiction entre nos rêves et la réalité ? Ce qui est positif, c’est que déjà sur les bancs de l’école il s’était senti atteint de ce « mal consacré » qui, à l’aurore de notre siècle se nommait Weltschmerz, s’appela ensuite byronisme, pessimisme, mal qui existe encore de nos jours, et qui vraisemblablement ne mourra jamais chez les hommes. Comme beaucoup d’autres, Musset, sous l’influence de ses désolants raisonnements, tombait parfois dans un profond désespoir et cherchait, hélas ! l’oubli dans le vin, dans tout ce qui peut endormir.

Une des erreurs les plus répandues, une de ces légendes auxquelles on ne devrait pas croire, mais auxquelles les lecteurs se prêtent si volontiers parce que les biographes de Musset se plaisent à l’affirmer avec opiniâtreté, c’est la croyance que Musset ne se serait mis à boire qu’ « après » s’être séparé d’avec George Sand, que celle-ci est, par conséquent, la cause ou le motif du développement de cette funeste habitude, qui, avec les années, devint un vice. Plus rarement, quelquefois cependant, des personnes qui connaissent parfaitement la vie de Musset rejettent cette accusation sur Mme de Groiselliez, cette charmante inconnue dont Paul de Musset parle à mots couverts, disant bien vaguement qu’elle habitait à Saint-Denis, qu’elle avait été le premier amour d’Alfred et la première femme qui ait porté ses regards sur le jeune poète. — De plus, nous savons qu’elle eut la cruauté de se servir de l’amour timide du jouvenceau inexpérimenté comme d’un écran pour détourner l’attention du monde d’un autre amour beaucoup moins innocent, en un mot, qu’elle aurait fait jouer à Musset le rôle de Fortunio dans le Chandelier (c’est ce qui aurait fait naître alors chez Musset l’idée de cette comédie). Indignement offensé, blessé en son âme du rôle ridicule qu’elle lui avait attribué, le jeune homme, dans un accès de désespoir, aurait cherché l’oubli dans la boisson. — C’est ce passage de Paul de Musset qui a porté beaucoup de personnes à rendre Mme de Groiselliez responsable de la funeste habitude qu’aurait dès lors contractée Alfred, comme si un insuccès en amour devait nécessairement porter un homme à chercher l’oubli dans les « fumées du vin ». Ne se met à boire que celui qui a un penchant pour le vin ou qui y est porté par quelque particularité de son organisme ; ce penchant, nous le trouvons déjà chez Musset dès son plus jeune âge. Presque enfant encore, à dix-sept ans, il rêve déjà de chercher l’oubli dans n’importe quelle ivresse. Le 23 septembre 1827, il écrit à son ami Paul Foucher : « Je t’écris pour te faire part de mes dégoûts et de mes ennuis… Je n’ai plus le courage de rien penser. Si je me trouvais dans ce moment-ci à Paris, j’éteindrais ce qui me reste d’un peu noble dans le punch et la bière, et je me sentirais soulagé. On endort bien un malade avec de l’opium, quoiqu’on sache que le sommeil lui doive être mortel. J’en agirais de même avec mon âme[299]. » Le premier travail avec lequel Musset entra dans la carrière littéraire est une traduction des Confessions of an English Opiam-eater, que Musset a intitulé : l’Anglais mangeur d’opium. La traduction est assez libre ; mais le choix du sujet montre encore une fois l’opiniâtre pensée qui dès lors poursuivait étrangement le jeune écrivain, la pensée de chercher un oubli artificiel dans n’importe quels narcotiques. Lindau, en nous assurant, lorsqu’il parle du retour d’Italie de Musset, que c’est notamment à partir de ce moment, c’est-à-dire de l’époque de sa rupture avec George Sand, qu’ont commencé les « écarts périodiques » de Musset, se met évidemment en contradiction avec tout le reste de son livre. Au commencement de son ouvrage (p. 26) il arrête avec raison l’attention du lecteur sur le sujet de la première œuvre de Musset, faisant remarquer que déjà, dès l’âge de dix-sept ans, apparaît chez lui l’idée fixe « de noyer artificiellement son chagrin dans l’alcool et les anesthésiques », pour oublier ne fût-ce que momentanément les déboires de la réalité. L’auteur étudie ensuite (p. 59) la mise à exécution de ce « programme d’anéantissement de soi-même, programme qui, dans la lettre à Foucher, se montre encore incertain », mais qui, dans sa poésie les Vœux stériles, se manifeste déjà avec une précision terrifiante ; plus loin (p. 70), il montre d’une manière frappante que les vers bien connus :

    Aimer est le grand point, qu’importe la maîtresse,
    Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ?

sont comme un adage qui revient constamment dans les

œuvres de Musset, pour qui l’ivresse était un but qui justifiait tous les moyens, et grâce auquel toute boisson était bonne. Mais lorsque Lindau raconte l’histoire des amours de Musset avec George Sand, il finit par s’embrouiller dans toutes sortes de contradictions. Ainsi il commence par reprocher à George Sand de n’avoir aimé Musset ni spontanément, ni avec abandon, mais froidement, en ne lui offrant son amour que « comme un remède, pour le sauver de l’ivresse et de la débauche ». Puis il nous raconte les excès de Musset à Florence et à Venise, ce qui ne l’empêche nullement de nous assurer à la fin que Musset n’a cependant commencé à boire, et notamment à devenir débauché, qu’après son retour d’Italie. Le lecteur voit maintenant la vérité ; il peut se rendre compte par tout ce qui précède, que, toutes les accusations accumulées sur ce point contre la mémoire de George Sand et de Mme de Groiselliez, qui nous est du reste parfaitement inconnue, croulent d’elles-mêmes.

Mais on se demande alors : Où faut-il donc aller chercher la clef, la cause et l’origine du développement de cette funeste habitude chez le poète ? Sur quel terrain a-t-elle pu grandir ? La réponse nous paraît bien simple et bien claire : la cause en est dans son égoïsme, dans son manque de volonté et de convictions, dans l’absence chez lui, de larges intérêts humains et sociaux ; le mal n’est nullement venu du dehors. Byron n’a-t-il pas été éprouvé par le même malheur de la trahison, d’abord dans sa jeunesse, et, plus tard dans son mariage ? Le chagrin que lui fit éprouver Mary Chaworth a rempli aussi son âme de douleur et lui a fait douter de l’amour et de la fidélité, mais ses vues larges, ses tendances humanitaires ont soutenu le vol de son génie bien haut dans les airs et n’ont point permis au malheur de l’abattre et de le perdre. Et Byron est bien pourtant le chantre du doute et du désenchantement personnel. Mais tandis que chez Musset il n’y a eu que des motifs personnels et point d’autres — Byron fut en même temps le poète de la liberté et de l’affranchissement général. C’est pourquoi ses malheurs ne lui firent sentir que plus profondément encore le néant et la petitesse des choses humaines, mais ne l’empêchèrent pas de mourir, non comme Musset, après des années d’inaction, de débilité et de caducité, d’une mort prématurée, mais dans toute l’efflorescence de ses forces et à l’apogée de sa gloire, dans le feu de la lutte pour conquérir la liberté d’un peuple qui n’était pas le sien !

La cause de la déchéance de Musset, c’est son individualisme. Ses riches dons personnels ne se sont pas déployés comme ils l’auraient pu, s’il avait eu dans sa vie une mission, un idéal plus larges et plus élevés et, dans l’art des horizons plus vastes. Mais c’est cet individualisme même qui servait d’aimant caché pour attirer à Musset tous ceux qui l’approchaient, amis et connaissances, hommes et femmes. Il y avait en lui un excès de vitalité, une sincérité, une franchise débordante, un constant besoin de se faire connaître « jusqu’au fin fond », de livrer ses pensées, ses sentiments, son âme. Le biographe-frère lui applique avec bonheur les paroles de Manzo, le biographe du Tasse[300] : « Ces êtres doués d’une sensibilité excessive versent involontairement les trésors de leur âme devant la première personne qui s’offre à eux. Animés du désir de plaire, ils confient leurs pensées et leur sentiments à quiconque les écoute avec attention, et même à des indifférents. » Et ainsi, tous les proches, tous les amis de Musset devaient éternellement prendre la plus vive part à la vie d’Alfred, l’écouter, partager ses joies et ses chagrins ; il se distinguait, par la faculté de suggérer à son entourage ses sentiments et ses pensées, il l’hypnotisait. « C’étaient des agitations, des inquiétudes, des émotions perpétuelles, — dit le frère du poète, — un besoin incessant de confidences, de conversations expansives, soit avec son oncle Desherbiers, soit avec son frère. Il nous retenait au coin du feu, et nous ne pouvions pas plus nous en arracher, qu’il ne pouvait se résoudre à nous laisser partir. Dans ces moments de fièvre, il fallait s’inquiéter avec lui, se désoler, s’attendrir, s’indigner tour à tour ! Cet exercice violent, ces mouvements extrêmes d’une âme singulièrement active et sensible, devenaient parfois une fatigue pour son entourage ; mais à cette fatigue se mêlait un charme inexprimable. La passion et l’exagération sont contagieuses. On était entraîné malgré soi ; on se tourmentait, on s’exaltait ; on y revenait comme à un excès dont on ne peut plus se passer pour s’exalter et se tourmenter encore. Qui me rendra cette vie agitée et ces heures de délicieuses souffrances[301] ?… »

Cette âme étrange et passionnée n’avait rencontré sur sa route que de jolies poupées mondaines, en admiration devant le sel de ses épigrammes, de son vif esprit dans les charades, de ses vers aussi, mais surtout en voyant son adresse à la danse et la coupe de ses fracs et de ses redingotes. Ces élégantissimes et précieuses créatures que Musset admira sincèrement toute sa vie, comme il aurait admiré une poupée de Sèvres ou un vase vénitien, condescendaient même parfois jusqu’à flirter avec le jeune poète. Ou plutôt le jeune favori du sort condescendait avec elles au jeu de l’amour, feignant de s’être laissé prendre dans le filet de partenaires enchanteresses. À peine âgé de dix-huit ans, chez lui les histoires d’amour se succédaient de près l’une à l’autre, c’était comme un chapelet d’aventures plus ou moins intéressantes. « Il y en avait de boccaciennes et de romanesques, quelques-unes approchant du drame. En plusieurs occasions, je fus éveillé au milieu de la nuit pour donner mon avis sur quelque grave question de haute prudence. Toutes ces historiettes m’ayant été confiées sous le sceau du secret, j’ai dû les oublier ; mais je puis affirmer que plus d’une aurait fait envie aux Bassompierre et aux Lauzun…[302]. » De sérieux, il n’y avait évidemment rien dans ces « historiettes ». Musset, il est vrai, avait commencé à s’éprendre sérieusement de la charmante Mme du Groiselliez, mais ce ne fut que très passagèrement, et il n’en resta d’autre souvenir dans l’âme du poète qu’un peu d’amertume et d’humiliation. Depuis lors, il n’avait donné son cœur à personne. Et à qui l’eût-il donné ? Serait-ce parmi les charmantes héroïnes de ses « historiettes » sans nombre, que cette âme poétique et passionnée eût pu se faire comprendre, eût trouvé des sentiments à sa hauteur, un cœur de flammes comme le sien, une âme pareille à la sienne qu’il cherchait instinctivement.

Le sort allait heureusement lui faire rencontrer une autre grande âme, une femme non seulement différente des femmes ordinaires, mais se distinguant encore du cercle exceptionnel, où elle vivait, par son esprit, ses vastes intérêts, le vol de sa pensée, par cette simplicité et cette profondeur d’une grande nature que les Allemands appellent : Eine gross angelegte Natur. Ajoutons à cela qu’Aurore Dudevant était alors en plein éclat de son étrange beauté. En 1833, George Sand était une petite brune svelte, au teint d’une pâleur olivâtre, à la luxuriante chevelure noire flottant sur les épaules, aux yeux noirs et veloutés, étrangement grands et sans éclat, comme ceux d’une indienne[303]. Ce n’était pas encore cette beauté opulente, que Heine, en 1840, comparait à la Vénus de Milo, et encore moins cette muse sévère, que la plupart des lecteurs connaissent d’après le portrait de Couture, gravé par Manceau. Aurore Dudevant, ainsi qu’elle le disait elle-même, était alors « maigre comme un fétu et noire comme une taupe » ; mais à ce portrait, un peu trop original, nous préférons celui que Charpentier a fait un peu plus tard de l’auteur de la Marquise et de Lavinia[304]. Ce portrait représente Aurore Dudevant en robe de soie noire, mantille également noire, une touffe de fleurs rouges derrière l’oreille, on dirait une véritable petite Espagnole. Tout en elle était original, jusqu’à son maintien et à ses mouvements extrêmement aisés ; au début, ses manières choquèrent même le jeune dandy, mais cela ne dura pas longtemps. George Sand comprit aussi, qu’elle avait devant elle un être à part, un homme comme elle n’en avait pas rencontré jusque-là, poète non seulement parce qu’il écrivait des vers, mais poète par toute sa nature. Plus que tout autre, elle était à même de comprendre ce qu’était une telle individualité, isolée dans la vie, incomprise et incompréhensible, et dont le malheur était de ne pas ressembler aux autres, d’avoir une âme de poète. Dans une des œuvres les plus charmantes de George Sand et des moins connues, Aldo le Rimeur, petit poème en prose qu’elle écrivit après avoir connu Musset, en août 1833, le héros s’écrie : « Où est le but de mes insatiables désirs ? dans mon cœur, au ciel, nulle part peut-être ? Qu’est-ce que je veux ? Un cœur semblable au mien, qui me réponde ; ce cœur n’existe pas. On me le promet, on m’en fait voir l’ombre, on me le vante, et quand je le cherche, je ne le trouve pas. On s’amuse de ma passion comme d’une chose singulière, on la regarde comme un spectacle, et quelquefois l’on s’attendrit et l’on bat des mains, mais le plus souvent, on la trouve fausse, monotone et de mauvais goût. On m’admire, on me recherche et on m’écoute, parce que je suis un poète, mais quand j’ai dit mes vers, on me défend d’éprouver ce que j’ai raconté, on me raille d’espérer ce que j’ai conçu et rêvé. Taisez-vous, me dit-on, et gardez vos églogues pour les réciter devant le monde ; soyez homme avec les hommes, laissez donc le poète sur le bord du lac où vous le promenez, au fond du cabinet où vous travaillez. Mais le poète, c’est moi ! Le cœur brûlant qui se répand en vers brûlants je ne puis l’arracher de mes entrailles. Je ne puis étouffer dans mon sein l’ange mélodieux qui chante et qui souffre. Quand vous l’écoutez chanter, vous pleurez : puis, vous essuyez vos larmes et tout est dit. Il faut que le rôle cesse avec votre émotion : aussitôt que vous cessez d’être attentifs, il faut que je cesse d’être inspiré. Qu’est-ce donc que la poésie ? Croyez-vous que ce soit seulement l’art d’assembler des mots ?… »

Pour écrire ces lignes il fallait, sans aucun doute, être un poète soi-même et avoir profondément compris et senti toute la poétique nature d’Alfred de Musset. C’est dans cette compréhension mutuelle de leurs natures poétiques et exclusives que résida l’invincible attraction qui rapprocha subitement George Sand et Musset. Au milieu de tous les orages qui surgirent plus tard entre eux, malgré tous leurs chagrins, cette attraction persista, les attirant irrésistiblement l’un vers l’autre, leur faisant oublier les trahisons, les offenses et les querelles, et après leur séparation définitive, elle leur laissa dans le cœur, bien des années encore, la mémoire d’un brûlant amour poétique, le plus orageux peut-être, mais aussi le plus beau dans la vie de tous deux, le souvenir d’un être rare, cher à jamais.

Au commencement de ce chapitre, nous avons dit qu’il était bien difficile de trouver les raisons qui font que les hommes se conviennent et se rapprochent, et qu’il est inutile, quoique tout le monde le fasse, de rechercher les causes de leur refroidissement, de leurs désenchantements, et de leurs ruptures. George Sand et Musset en sont un exemple clair et bien remarquable. Il y avait entre eux tant de raisons de désaccord, tant de dissemblance, que dans la suite, tous deux, l’un dans la Confession d’un enfant du siècle, l’autre dans Elle et Lui (où il faut chercher non des faits, mais les idées et les sentiments qu’inspira l’histoire réelle), les deux auteurs se sont, sans s’être concertés et comme d’un commun accord, servis d’une personne secondaire et d’un fait extérieur et accidentel comme prétexte de la rupture de leurs héros. Et c’est ce qui s’est passé en réalité. George Sand et Musset, natures également poétiques, étaient gens si différents, que, par exemple, Maxime Ducamp dans ses intéressants Souvenirs[305], a exprimé la pensée que, seules les sensations ont dû les rapprocher, c’est-à-dire, selon lui, que cet amour fut purement un amour sensuel. Il n’en est réellement pas ainsi. Pour nous, il est indubitable que le plus grand attrait qu’aient éprouvé George Sand et Musset à l’égard l’un de l’autre, ce fut, comme nous l’avons déjà dit, que tous deux avaient mutuellement compris et pénétré la poésie de leur âme, ce qui n’empêchait nullement ces deux natures d’être diamétralement opposées, et c’est pour cela qu’il leur arriva ce qui arrive presque toujours : l’amour, à peine triomphant, devint un tourment mutuel, une source de souffrances, et les deux amants tendirent irrésistiblement à s’éloigner l’un de l’autre.

Les deux poètes se connurent de la manière la plus prosaïque. Sainte-Beuve, l’ami et le confident de George Sand, non seulement en littérature, mais aussi en affaires personnelles, lui proposa au printemps de 1833 de faire la connaissance de Musset. George Sand consentit d’abord, puis y renonça, et écrivit à Sainte-Beuve[306] : « À propos, réflexion faite, je ne veux pas que vous m’ameniez Alfred de Musset. Il est très dandy, nous ne nous conviendrions pas, et j’avais plus de curiosité que d’intérêt à le voir. Je pense qu’il est imprudent de satisfaire toutes ses curiosités, et meilleur d’obéir à ses sympathies. À la place de celui-là, je veux donc vous prier de m’amener Dumas en l’art de qui j’ai trouvé de l’âme, abstraction faite du talent. Il m’en a témoigné le désir, vous n’aurez donc qu’un mot à lui dire de ma part… » Les gens disposés à voir en tout quelque chose de surnaturel, trouveront probablement dans ce refus de George Sand un mystérieux avertissement du sort. Ils se diront aussi sans doute que l’on ne peut éviter sa destinée, lorsqu’ils sauront que, malgré ce refus, George Sand et Musset firent toutefois connaissance dans le courant de l’été de la même année. Le directeur de la Revue des Deux-Mondes, nouvellement achetée par lui, donna aux Frères Provençaux un dîner à ses collaborateurs[307]. Paul de Musset, qui, dans la biographie de son frère, a cru sans doute que le mieux était de ne pas citer le nom de George Sand (nous devons croire que c’est là, selon lui, la haute école de la correction littéraire), nous dit qu’à ce diner, il y avait « beaucoup de convives parmi lesquels une seule femme ». Il va sans dire que cette femme était George Sand, accompagnée ce jour-là de son fidèle chevalier Gustave Planche[308]. « Alfred de Musset était son voisin de table. Elle l’engagea simplement et avec bonhomie à venir la voir. Il y alla deux ou trois fois, à huit jours d’intervalle, et puis il en prit habitude et n’en bougea plus, » ajoute P. de Musset[309]. Il paraît qu’une correspondance s’était établie entre eux, mais une correspondance toute cérémonieuse ; Musset commence ses lettres par « Madame » et George Sand lui répond sur le même ton.

Le 24 juin. Musset lui envoie sa pièce de vers : Après la lecture d’Indiana, qui ne fait pas partie du recueil des Œuvres de Musset, mais qui fut mise au jour en 1878, dans la Revue des Deux-Mondes, par Paul de Musset.

Le 10 août parut Lélia. Le nouvel ami de George Sand exprima le désir de recevoir de l’écrivain lui-même un exemplaire du roman. George Sand lui envoya les deux volumes avec deux dédicaces toutes différentes, mais toutes deux dans le même ton badin. Sur le premier volume elle écrivit : « À monsieur mon gamin d’Alfred ! George. » Sur le second : « À monsieur le vicomte Alfred de Musset, hommage respectueux de son dévoué serviteur George Sand[310]. » Musset s’empressa de la remercier par une lettre dans laquelle, pour la première fois, selon le plus véridique des biographes de Musset, Arvède Barine, le « ton cérémonieux fait place à un ton plus amical », et où, en général, on remarque déjà les premiers indices d’un certain rapprochement. « Le mot Madame disparaît dès lors de leur correspondance. Musset s’enhardit, il fait sa déclaration d’amour, d’abord avec gentillesse, la seconde fois déjà avec passion, et leur destin à tous deux s’accomplit[311]… » L’amitié était devenue amour, et « amour triomphant ». Le 25 août, George Sand déclare sans détours à Sainte-Beuve qu’elle est la maîtresse de Musset, et elle ajoute qu’il peut « en publier la nouvelle, car elle est dorénavant obligée de mettre sa vie au grand jour[312] ».

Lindau, autre biographe de Musset, fait à sa manière l’histoire de l’amour des deux poètes, et la traite si singulièrement que nous croyons nécessaire de nous y arrêter un instant.

Quand commence le récit des débuts de l’amour de Musset pour George Sand, Lindau, sans avoir l’air de condamner George Sand, choisit ses tournures, ses verbes, ses adjectifs, ses substantifs, l’on dirait même ses prépositions, de manière à faire paraître les choses les plus simples comme des ruses, les actions dignes de la sympathie la plus entière comme je ne sais quoi d’astucieux, cachant un but mystérieux. Ainsi il dit, entre autres, qu’à la cour ardente que lui faisait Musset, « elle opposa une sage barrière et ce jugement froid et réservé qu’elle sut garder dans toutes les circonstances de la vie ». Si nous nous rappelons qu’au mois de mars, George Sand n’avait pas encore fait la connaissance de Musset, et que le 25 août elle communiquait déjà à Sainte-Beuve la nouvelle importante, mentionnée un peu plus haut, les mots « jugement froid et réservé » nous paraîtront une simple raillerie, car il ne viendra à l’esprit de personne d’accuser précisément, en ce cas, George Sand d’un excès de raisonnement. Dans la même lettre, George Sand, il est vrai, dit à sa manière ordinaire, que si elle a agi comme elle l’a fait, c’était plutôt par amitié que par amour. Amitié bien étrange ! Les mots restent des mots, et les faits des faits ; nous avouons que, dans ce cas, nous aurions préféré voir chez George Sand plus de possession de soi-même et de « raisonnement, » ou plutôt une résistance plus prolongée. Y avait-il donc si longtemps que George Sand s’était désenchantée de Jules Sandeau, et qu’elle s’était affligée de son entraînement pour Mérimée ? Et la voilà qui se jette en aveugle au-devant d’une nouvelle passion ! En tout cela, il y a bien peu de « froideur », de « retenue » et de « jugement » !

D’où provient donc cette confusion d’idées chez Lindau ? — Il adapte une fiction de roman à des dates et à des faits réels ! Les longs raisonnements de Mlle Thérèse Jacques, héroïne de Elle et Lui, il les met dans la bouche de George Sand. Thérèse, les lecteurs de l’ouvrage s’en souviennent peut-être, a employé tous les moyens pour détourner Laurent de sa manière funeste de passer le temps avec des viveurs et des grisettes, et enfin elle se décide à le sauver par son amour. Dans quelle proportion ceci est-il d’accord avec la réalité, ou imaginé comme une thèse ? C’est là une question de critique purement littéraire, qui ne se rapporte qu’au roman de Elle et Lui. Les faits prouvent que le roman vécu de Musset et de George Sand, ou, du moins, le début de ce roman, ne ressemble en rien au roman de Thérèse et de Laurent. Le roman réel nous frappe par sa spontanéité, par sa précipitation : c’est presque un coup de foudre, tandis que le roman écrit se traîne en longueur, est plutôt froid et gradué. Mais Lindau continue, à mesure qu’il raconte la vie de Musset, à puiser ses renseignements dans le roman de Elle et Lui, et voilà pourquoi nous trouvons dans son livre la page que voici :

« Sous ce rapport les rôles n’ont pas été justement distribués ; c’était la femme qui dirigeait. Musset était déraisonnable, passionné ; George Sand agissait en pleine connaissance de cause et avec calme (?!). Musset était amoureux, George Sand ne l’était pas (?!). Elle traitait le poète comme un gamin désobéissant. Elle lui expliquait avec la sagesse d’une gouvernante (?!) — qui exaspérait le jeune homme adoré de tous, l’élégant dandy, habitué aux conquêtes, — que l’amour entraîne avec lui toutes sortes de chagrins et qu’il vaudrait beaucoup mieux que les relations de sa part, à elle, restassent celles d’une mère ou d’une sœur. Ainsi, nous travaillerions mieux, disait-elle. Elle variait de toutes les manières les paroles du chevalier Toggenbourg : « N’exige pas d’autre amour, car cela me chagrine. » Mais le Toggenbourg des temps modernes ne consentit pas à « s’éloigner d’elle avec un chagrin muet » ; elle-même tâcha de le garder auprès d’elle. Musset, profondément attristé de voir son amour refusé, se lança de nouveau dans le tourbillon des plaisirs ; — alors elle eu des remords. Pour sauver le malade, elle résolut de lui offrir, comme médecine, l’amour qu’elle lui avait refusé jusque-là. Sans passion comme sans entraînement, sans oubli d’elle-même, elle crut qu’il lui fallait, au jour qui lui convînt le mieux, changer en amour sa disposition amicale, ou, du moins, en donner la preuve suprême… Avec quel froid jugement George Sand fit à son bien-aîmé l’aveu définitif, nous le savons par ce qu’elle en dit elle-même. Elle se fit à sa nouvelle position, qui ne l’avait aucunement prise au dépourvu, avec un discernement vraiment étonnant… »

Lindau expose ensuite, mais toujours à sa manière, le commencement du cinquième chapitre d’Elle et Lui, en répétant la phrase célèbre : « que des nuits de réflexions douloureuses avaient précédé »… ce nouvel ordre de choses. Nous laissons au lecteur le soin de juger lui-même, jusqu’à quel point on peut dire, en ce cas, de George Sand, qu’elle a « agi en plein calme, » et « en raisonnant » ; qu’elle n’était pas éprise », qu’il y a eu là « sagesse de gouvernante », « manque de passion », « absence d’oubli de soi-même », « amour administré comme médicament » (!!), etc.

Par tout ce qui a été dit plus haut, on voit que Lindau s’est proposé de nous donner un récit captivant d’un thème psychologique très intéressant, mais ce n’est pas là de l’histoire, c’est uniquement de la littérature. Il est évident que Lindau n’est guère plus heureux lorsqu’il essaie de représenter George Sand comme une Mme Putiphar (et Musset comme un autre Joseph !) comme une intrigante menteuse qui entortillait le jeune homme à sa guise, et qui, le pétrissant comme une cire molle, faisant de lui, tantôt une figure douce et humble, tantôt une figure bouillonnante de passion. Il ressemblait bien peu à un jouvenceau innocent, détourné de la bonne voie par une intrigante froide et hypocrite, celui qui racontait à son frère des historiettes « dans le goût de Lauzun et de Bassompierre », lui, l’auteur de Mardoche, de Namouna et de Rolla ! Il en est de même de George Sand, si passionnée, si impressionnable, si facile à entraîner, habituée « à tout risquer à tout propos », si peu constante et si peu ressemblante à Thérèse Jacques, cette femme si calme et si raisonneuse.

Cette confusion entre des êtres si dissemblables, entre des personnages fictifs et des personnages réels, amène le sourire sur les lèvres du lecteur. Un fait nous arrête encore, qui a servi souvent d’arme à ceux des ennemis de George Sand qui cherchent à l’accuser d’hypocrisie comme femme et comme écrivain : c’est que les héroïnes de George Sand sont un peu phraseuses et prolixes dans les moments décisifs de leurs amours à elles, et que leur autour a une tendance marquée à expliquer et à justifier leur « chute » par différents motifs très élevés, comme si l’amour par lui-même n’était pas un motif suffisant. La plupart des biographes de Musset et les critiques d’histoire littéraire tombent dans la même erreur que Lindau en voulant affubler George Sand elle-même de ces belles tirades et de sa manière d’invoquer « les circonstances atténuantes », lorsqu’il s’agit de ses propres romans vécus. Ces deux traits de la physionomie littéraire de George Sand ont une double explication. La première, c’est que très ardente et de nature passionnée, se laissant facilement entraîner et allant sans jugement et presque subitement jusqu’aux plus décisives manifestations de la passion, lorsqu’elle créait ses héroïnes avec l’intention de représenter non pas elle, mais des femmes idéalisées, George Sand s’est ingéniée à chercher toutes les causes logiques possibles, propres à justifier et à excuser leurs chutes. Ce procédé ressort directement de sa nature complexe : d’un côté, tempérament passionné, de l’autre une âme tendant éternellement à l’idéal et au « rationnel ». Et si dans sa propre vie elle a eu à déplorer si amèrement ses entraînements et n’a jamais su se justifier en rien à ses propres yeux, elle s’est d’autant plus évertuée, dans ses romans, à créer des types de femmes comme elle aurait voulu être elle-même. D’autre part ce n’est pas sa faute, si ses phrases et ses héroïnes nous paraissent souvent trop ampoulées ou trop « immaculées » ; nous sommes trop éloignés de 1830, de son style, des goûts et des sentiments qui régnaient alors. George Sand fut fidèle à son époque en faisant parler à ses héroïnes un langage idéal et quelque peu emphatique. Alexandre Herzen, cet esprit libre et sobre, n’employait-il pas le même langage lorsqu’il écrivait à sa fiancée, Nathalie Alexandrovna[313] ?

Les discours et la prolixité des héroïnes de George Sand s’expliquent donc parfaitement par leur époque ; et si elle les fait céder à leurs passions seulement lorsqu’elles peuvent justifier leur chute par des motifs de l’ordre le plus élevé, et qu’elle leur fait expier leur entraînement, cela ressort, comme nous l’avons dit plus haut, de la tendance de George Sand vers le vrai, le beau, le raisonnable dans la vie, tendance souvent en contradiction avec ses propres entraînements et ses propres passions. Voilà pourquoi les critiques qui oublient ou ne voient pas cette dissemblance absolue entre Aurore Dudevant et le type favori des héroïnes de George Sand, seront constamment en contradiction avec eux-mêmes, ou accuseront George Sand d’hypocrisie.

Cette contradiction se manifeste surtout chez Lindau, lorsqu’il raconte le début du roman qui s’est passé entre elle et Musset. Il n’est certes pas plus heureux lorsqu’il essaye de la représenter comme une « lady Tartuffe » ou comme une Mme Putiphar, que Paul de Musset en voulant faire passer son frère pour une rosière.

Les premières semaines — comme tous les « commencements » dont parle Mme de Staël — furent heureuses ; une harmonie parfaite régnait entre les deux amants. Tous deux, semble-t-il, avaient trouvé l’un dans l’autre ce qu’ils rêvaient, ce qu’ils cherchaient. Ils ne se cachaient pas du monde et étaient inséparables.

Dans une lettre inédite du 7 mars 1834 à Boucoiran, George Sand le prie — pour éviter tout malentendu avec M. Dudevant, qui devait se rendre à Paris en l’absence de George Sand — « d’enlever toutes les hardes d’Alfred de Musset qui ont pu rester dans sa chambre ». Dans une autre lettre, du 6 avril, elle le prie de donner la clef de sa chambre à Musset, revenu à Paris et qui voulait y prendre quelques effets à lui, des tableaux, des livres, etc. On voit, par là, qu’ils habitaient ensemble le quai Malaquais dans l’automne de 1833, et le petit logement était un vrai petit nid d’amoureux. Paul de Musset, lui-même, n’a pu trouver autre chose à dire sur cette lune de miel que de proclamer bien haut qu’il régnait dans le jeune ménage, non seulement le bonheur, mais encore une folle gaîté, une joie exubérante. Tantôt, c’étaient des mascarades spontanées ; tantôt, dans ce cercle d’intimes, on mystifiait, d’un commun accord, l’un ou l’autre des amis et des connaissances par des représentations improvisées. Debureau, le Pierrot bien connu d’un petit théâtre, talent primesautier et vraie nature d’artiste, prit, même une fois, part à ces divertissements. George Sand lui a consacré quelques lignes touchantes dans l’Histoire de ma Vie, et, après sa mort, elle publia, sur lui, dans le Constitutionnel (1846), un petit article, réimprimé ensuite dans la collection complète de ses œuvres[314]. Dans cet article, George Sand caractérise surtout Debureau comme une nature artistique et spontanée, une âme droite et franche. Un jour que Musset et George Sand s’étaient imaginé de mystifier M. Lerminier, le critique, Debureau lui fut présenté en qualité de diplomate anglais, et pendant tout le dîner, empesé et plein de morgue, il ne desserra pas les dents. Ce ne fut qu’à la fin d’une conversation sur la politique, qu’à l’ébahissement de tous les non-initiés, il se mit tout à coup — afin, dit-il, de mieux faire comprendre l’équilibre européen, — à jongler avec son assiette. Ce soir-là, Musset était déguisé en gentille soubrette normande, — très maladroite de ses mains, — qui tantôt arrosait d’eau les convives en les servant, tantôt les poussait sans cérémonie, et, pour comble, se mit à table à côté du diplomate. Bref, ce furent des plaisanteries et des rires sans fin… Parfois toute la compagnie se rendait au théâtre, parfois les deux amants se promenaient sur les boulevards, ou bien l’on restait à la maison, et alors on lisait, on dessinait, on faisait de la musique et l’on causait amicalement d’art et de littérature. D’autres fois les deux amants travaillaient ensemble ou jouaient comme des enfants. En un mot, on eût dit l’idéal d’une union d’artistes[315].

Dans le courant de septembre, ennuyés du bruit de Paris et évidemment lassés de l’espèce de tutelle exercée par le très cher frère Paul, qui, on le voit, n’avait pas quitté le jeune couple — lassitude dont ce témoin importun ne se doutait point, ce qui explique pourquoi il ne comprit pas la raison qui les faisait s’envoler si vite de Paris, — Alfred de Musset et George Sand s’établirent d’abord à Fontainebleau, où ils passèrent quelque temps dans une entière solitude, faisant des promenades et des excursions dans la célèbre et admirable forêt.

Ce voyage est devenu historique, depuis que les deux écrivains, dans la Confession d’un enfant du siècle et le Souvenir, ainsi que dans Elle et Lui, l’ont célébré et l’ont fait passer à la postérité. Ni l’un ni l’autre ne purent jamais aller à Fontainebleau sans se rappeler aussitôt ces premiers temps heureux de leur amour, jamais ils ne purent parler indifféremment de la forêt. Aussi George Sand y retourna-t-elle plus d’une fois, en réalité ou en pensée, et en parle-t-elle plusieurs fois dans ses écrits. En 1837, elle y passa plusieurs semaines avec son fils et il en résulta quelques pages lyriques intitulées : Une lettre écrite de Fontainebleau en 1837[316], parues en 1855 dans le volume collectif intitulé : « Fontainebleau. » Dans la préface de la Dernière Aldini, George Sand écrit[317] : « J’ai rêvé, en me promenant à travers la forêt de Fontainebleau, tête à tête avec mon fils, à tout autre chose qu’à ce livre, que j’écrivais le soir dans une auberge, et que j’oubliais le matin, pour ne m’occuper que de fleurs et de papillons. Je pourrais raconter toutes nos courses et tous nos amusements avec exactitude, et il m’est impossible de dire pourquoi mon esprit s’en allait le soir à Venise. Je pourrais bien chercher une bonne raison ; mais il sera plus sincère d’avouer que je ne m’en souviens pas : il y a de cela quinze ou seize ans. »

Nous supposons que le lecteur comprend clairement pourquoi et par quel enchaînement d’idées et de souvenirs les sentiers mystérieux de la forêt de Fontainebleau faisaient revivre dans l’âme de l’écrivain les réminiscences de Venise ; nous supposons aussi que « quinze ans auparavant », c’est-à-dire en 1837, George Sand elle-même s’expliquait parfaitement pourquoi Fontainebleau et Venise vivaient inséparablement en son âme. C’est le souvenir des jours les plus doux et les plus sombres de son amour pour Musset qui en faisait le lien… Bien plus tard encore, en 1872, George Sand consacra de nouveau à la forêt de Fontainebleau quelques pages éloquentes ; c’était une réponse à l’appel adressé aux savants et aux artistes sur la nécessité de conserver intacte cette forêt historique dont le Gouvernement voulait vendre une partie. George Sand éleva aussi la voix contre l’aliénation de cette propriété nationale ; et cela tant au point de vue utilitaire (à cause du dommage qui résulte de la destruction des forêts si peu nombreuses en France) qu’au point de vue esthétique, pour ne pas priver le peuple, et surtout les enfants, d’un de ces coins de « nature » que l’on fait disparaître de plus en plus et que l’on relègue toujours plus loin des endroits habités ; cependant c’est la seule source de poésie, d’observation, de contemplation pour bien des enfants des villes, c’est un élément indispensable à leur éducation[318].

La plupart des biographes et des critiques racontent avec beaucoup de détails le voyage à Fontainebleau, en se basant sur ce que l’on trouve dans Elle et Lui, Lui et Elle et dans la Confession. Nous ne les imiterons pas. Bien plus, nous ne pouvons partager complètement l’opinion de Mme Arvède Barine, qui prend ici pour guide une lettre postérieure de George Sand à Mme d’Agoult, lettre écrite à propos de la publication de la Confession d’un enfant du siècle, et dans laquelle George Sand dit que c’est avec émotion qu’elle a lu « cette peinture vraie et détaillée d’une intimité malheureuse[319] ». Se basant sur cette lettre, Mme Arvède Barine introduit, notamment en cet endroit de sa biographie de Musset, des fragments de la Confession racontant comment le héros, dès le début de son amour, se comportait déjà étrangement et inégalement avec Brigitte (c’est-à-dire avec George Sand). Il ne pouvait se défaire des habitudes de son ancienne vie de débauche, il tourmentait par sa jalousie rétrospective la pauvre femme aimée. Tantôt il l’adorait à genoux comme une sainte, tantôt il l’outrageait, comme une ignoble courtisane et la traitait grossièrement. Quand parut la Confession d’un enfant du siècle, où l’auteur a pu, grâce au but artistique qu’il poursuivait, disposer et grouper les faits, non dans leur ordre historique, mais conformément à son plan artistique (chose à laquelle il avait parfaitement droit), George Sand fut satisfaite de la manière dont il avait traité tout ce qui s’était passé, elle en reconnut l’exactitude. C’est ce qu’elle écrivit en 1836 à Mme d’Agoult. Musset avait donc dit la vérité sur lui et sur elle. Mais il importe de savoir à quel temps s’applique cette vérité, à l’automne de 1833 ou bien à une époque postérieure ? À propos de l’automne de 1833, il serait plus juste de citer d’autres paroles authentiques de George Sand tirées d’une lettre qu’elle écrivit à Sainte-Beuve le 21 septembre 1833, paroles du reste rapportées aussi par Mme Arvède Barine elle-même :

«… Moi, j’ai été malade, mais je suis bien. Et puis, je suis heureuse, très heureuse, mon ami. Chaque jour je m’attache davantage à lui ; chaque jour je vois s’effacer en lui les petites choses qui me faisaient souffrir ; chaque jour je vois luire et briller les belles choses que j’admirais. Et puis encore, par-dessus tout ce qu’il est, il est bon enfant, et son intimité m’est aussi douce que sa préférence m’a été précieuse[320]… »

Une lettre de la fin de septembre, également citée par Arvède Barine, confirme encore davantage cette impression de bonheur et de paix descendue dans l’âme agitée de l’auteur de Lélia. De tristesse et de désaccords, il n’y a pas encore trace.

Mais hélas, ils arrivèrent bientôt, et cela presque dès le commencement du voyage en Italie, que Musset et George Sand entreprirent dans le courant de décembre de la même année. L’un et l’autre tenaient à s’éloigner du bruit de Paris, des amis et des parents, et à vivre seuls en pleine liberté, au milieu d’une nature merveilleuse et des monuments de l’art.

M. Dudevant n’avait, en apparence, opposé aucun empêchement au voyage de sa femme ; la petite Solange restait auprès de son père, à Nohant ; George Sand avait confié temporairement Maurice, pour les fêtes de Noël, à ses deux aïeules : Mme Dupin, et la belle-mère de son mari, la baronne Dudevant, et vers la mi-décembre[321] Musset et George Sand quittèrent Paris. Ils passèrent par Marseille et Gênes, Livourne et Pise, et se rendirent à Florence, d’où ils allèrent à Venise par Ferrare et Bologne. Remarquons bien cet itinéraire, uniquement pour ne pas tomber dans l’erreur de Messieurs les biographes qui aiment à prendre les romans comme documents et ont pu faire ainsi se promener Musset et George Sand, à la suite de Fauvel et d’Olympe, ou de Laurent et de Thérèse, à la Spezzia et à Naples, où il n’ont jamais mis les pieds. Du reste, Lindau, qui reproduit toujours servilement Paul de Musset, s’éloigne tout à coup de son original en parlant du départ, et au lieu de la soirée brumeuse et des mauvais présages de toutes sortes[322] qui accompagnèrent ce départ dans le récit du frère, il nous dit qu’il s’est effectué dans la joie « par une gaie journée ensoleillée du mois d’octobre » (?!)

George Sand écrivit à son fils de Marseille, le 18 décembre, sa première lettre, dans laquelle elle lui dit qu’ils ont jusque-là voyagé sans relâche[323]. À Marseille, ils restèrent jusqu’au 22, d’où il partirent pour Gênes. L’album de voyage de Musset renferme quelques dessins très curieux représentant George Sand dans des attitudes toutes différentes : fumant tranquillement sa cigarette sur le tillac, tandis que Musset a l’air penaud d’un homme qui souffre du mal de mer ; ailleurs Musset représente sa compagne en costume de voyage, achetant un bibelot dans une boutique de bric-à-brac, puis en toilette d’appartement, encore plus loin costumée en Turque et fumant la chibouque ; ou encore souriante, un éventail à la main. Sur le bateau du Rhône, les jeunes gens rencontrèrent Beyle (Stendhal, l’auteur de Rouge et Noir), et, à ce qu’il semble, ils passèrent gaiement le temps avec lui, quoique George Sand ne partageât guère ses goûts ni ses idées. Le voyage commençait très agréablement.

À Gènes, les deux voyageurs se mirent, sans se lasser, à visiter les palais et les musées, admirant en vrais artistes toutes les merveilles d’art disséminées avec tant de profusion dans cette charmante ville. De Gènes ils se rendirent à Florence par Livourne.

À Florence commencèrent à s’élever entre eux les premières discordes, d’abord passagères, mais elles prirent bientôt un caractère menaçant et démontrèrent aux deux amoureux, si heureux naguère, qu’ils étaient deux individualités différentes, ce qui est le symptôme le plus vrai et le plus fatal d’une rupture menaçante et… du commencement de la fin. Ils étaient cependant encore parfaitement heureux, mais il y avait déjà des nuages à l’horizon, et les biographes de Musset (les deux meilleurs, du moins : Arvède Barine et Lindau) sont obligés de reconnaître que la cause de ces premiers malentendus était due à Musset lui-même. C’est ici qu’il faut rapporter la page de la Confession que cite Mme Barine, en parlant de la course à Fontainebleau. Un passé trop orageux avait laissé en Musset des traces ineffaçables ; il avait éprouvé par lui-même ce qu’il avait déjà si souvent pris pour sujet de ses poèmes et de ses drames comme par exemple de : la Coupe et les lèvres. La vie de débauche qu’il avait auparavant menée le rendait incapable d’un amour candide, confiant, plein d’estime et d’amitié ; elle avait empoisonné à jamais dans son âme la source du pur dévouement et de la foi, et l’avait souillée. Vainement essayait-il d’oublier le passé, de croire à une femme fidèle, de l’aimer avec respect, « saintement ». Des souvenirs affreux, hideux, d’amères expériences ne lui faisaient voir en elle que la source de grossières jouissances et de tromperies plus grossières encore. Et la fantaisie sans frein, cette faculté de s’adonner à toute idée à peine née dans l’imagination, faisait de tout soupçon une réalité, et pouvait faire succéder tout à coup aux minutes les plus heureuses des moments où il regardait son amante comme la dernière des femmes, et il était capable de la haïr sur les soupçons les plus honteux et les plus invraisemblables pour la porter ensuite au plus haut des cieux et l’adorer comme une divinité.

George Sand ne comprenait pas ces perpétuels changements. Elle aimait autrement. Douée d’un tempérament passionné, elle avait pourtant l’âme calme et bien pondérée. Elle ne savait point aimer sans croire et sans voir dans le bien-aimé le meilleur des hommes. Elle joignait à cela une bonté toute miséricordieuse, une grande patience, et aussi longtemps qu’elle ne vit dans les emportements de Musset que les défauts et les excès d’une poétique nature passionnée, elle n’y fit aucune attention. Mais le jour où elle vit enfin qu’ils étaient gens différents, qu’ils envisageaient les choses tout différemment, qu’ils les comprenaient autrement, qu’elle eut cessé de croire à Musset, l’éloignement et le refroidissement commencèrent à travailler imperceptiblement et inconsciemment son âme. Les relations entre les deux amants restèrent passionnées comme par le passé, mais leurs âmes ne vibraient plus à l’unisson. De là la tragédie qui s’ensuivit, de là la durée de cette tragédie, qui n’arriva pas de sitôt à son épilogue. Leur amour, de chaîne de roses qu’il était, devint une chaîne de fer, une chaîne meurtrissante, mais elle leur était si chère, que tous deux de longtemps encore ne purent la briser. Ils différaient tellement par leurs convictions, leurs goûts, leurs habitudes ! Au moment de leur liaison, Musset et George Sand n’avaient fait attention qu’aux grandes lignes poétiques de leur caractère et de leur âme, par lesquelles ils se ressemblaient, avec le temps ils commencèrent à se convaincre que leurs habitudes, leur genre de vie étaient tout différents et ne pouvaient point s’accorder. On peut s’étonner qu’ils ne s’en soient pas aperçus plus tôt. Voici ce que nous dit de Musset l’un de ses amis mondains, le comte d’Alton-Shee : « Avec les hommes, il parlait peu et riait volontiers de l’esprit des autres. Aux femmes il réservait toutes les grâces et tous les charmes de sa coquetterie ; près d’elles il était gai, amusant, éloquent, moqueur, dessinant une caricature, composant un sonnet, écoutant la musique avec délices, jouant des charades improvisées, ayant comme elles l’horreur de la politique et des sujets sérieux. » George Sand, tout au contraire, ne pouvait souffrir la causerie pour la causerie même, elle avouait volontiers qu’elle préférait la conversation des hommes à celle des femmes, celles-ci la fatiguant par leur vain bavardage et leurs coq-à-l’âne. Elle aimait à causer et à jouer avec des enfants, elle s’entendait à les faire rire en riant elle-même, mais elle manquait complètement d’esprit dans les conversations de salon. Quand on causait devant elle de choses qui lui étaient peu connues ou qui n’avaient pour elle aucun intérêt, elle se taisait. Mais aussitôt qu’il était question de quelque chose qui lui tenait au cœur, elle prenait une vive part à la conversation, discutait, exigeait qu’on lui prouvât ce qui l’avait frappée ou l’avait touchée au vif. Nous avons déjà cité le passage de la cinquième partie (vol. IV, p. 149) de l’Histoire de ma Vie où elle nous dit quelles questions religieuses, politiques et sociales l’avaient remuée si profondément à la veille d’écrire Lélia : « Mais il est une douleur plus difficile à supporter que toutes celles qui nous frappent à l’état d’individu. Elle a pris tant de place dans mes réflexions, elle a eu tant d’empire sur ma vie, jusqu’à venir empoisonner mes phrases de pur bonheur personnel, que je dois bien la dire aussi…[324] » etc.

Et Musset dit dans sa célèbre dédicace à Alexandre Tatett :

    D’ailleurs, il n’est pas dans mes prétentions
    D’être l’homme du siècle et de ses passions.
    Si mon siècle se trompe, il ne m’importe guère :
    Tant mieux s’il a raison, et tant pis s’il a tort ;
    Pourvu qu’on dorme encore au milieu du tapage,
    C’est tout ce qu’il me faut et je ne crains pas l’âge
    Où les opinions deviennent un remords.

Si les lignes de cette dédicace qui viennent après celles-ci font tant d’honneur à la libre pensée de Musset, à sa tolérance en matière de religions et de nationalités, à son mépris pour ce que l’on est convenu d’appeler « patriotisme », et nous le montrent comme un homme plaçant l’humanité au-dessus de la nationalité — les lignes citées témoignent au moins de son inertie et de son indifférence envers les questions qui ont agité ou agitent encore les plus grands esprits de notre siècle.

Tout en prenant entièrement à cœur les grandes causes générales, George Sand était en même temps un écrivain de vocation par toutes les tendances de sa nature. Son art, elle l’aimait plus que tout au monde ; son travail, elle le regardait comme le premier des devoirs, sinon comme la chose qui, dans sa vie, primait toutes les autres ; elle travaillait comme les vrais artistes : partout et toujours, dans la joie comme dans la tristesse, qu’elle aimât ou qu’elle n’aimât point, au foyer comme en voyage. Écrire était pour elle une nécessité, elle ne pouvait vivre sans cela. Plus tard, elle se plaignit parfois de « son travail de forçat », et souvent elle se sentait vivement fatiguée, car son labeur était au-dessus de ses forces. Mais ceci était indispensable, car son travail était presque sa seule ressource. Nous savons, en effet, par son procès avec Dudevant, qu’il ne lui payait presque jamais exactement les misérables 1.500 francs assignés par leur contrat de mariage. Elle voulait, en outre, vivre de sa plume sans dépendre de son mari et sans faire de dettes. Il lui fallait travailler d’arrache-pied, rien que pour pouvoir, après avoir vécu six mois à Nohant, passer les six autres mois de l’année à Paris avec sa petite fille. Ce n’était qu’à condition d’un labeur sans relâche qu’elle échappait à la pauvreté et qu’elle n’avait pas à se refuser les plus modestes plaisirs. Son voyage en Italie entraîna de nouvelles dépenses assez considérables. Avant son départ, pour avoir quelques centaines de francs de plus en poche, elle emprunta une certaine somme à Buloz et à Sosthène de La Rochefoucauld, en promettant à Buloz de régler son compte en lui envoyant de la copie à mesure qu’elle écrirait en Italie. En effet, tout en passant ses journées, à Gènes ou à Florence en promenades, et en jouissant de la nature et des arts en compagnie de son bien-aimé, George Sand, le soir, se mettait à sa table de travail, écrivait par vocation et par nécessité, et rien ne pouvait la détourner de son œuvre ; écrire était pour elle une seconde nature.

Musset, lui, écrivait à bâtons rompus, passant parfois des semaines et des mois sans prendre une plume : son amour de l’art était celui d’un dilettante. Des désaccords ne tardèrent pas non plus à s’élever sur ce terrain. Musset ne voulait travailler qu’à ses heures, mais était toujours prêt à courir les rues le soir et à s’amuser. George Sand, tout entière à son travail, ne pouvait ni ne voulait l’accompagner[325]. Elle n’admettait pas comme possible qu’il pût s’élever entre eux des désaccords pour la seule raison qu’elle se voyait obligée de travailler et qu’il lui fallait, à lui, des spectacles ou des piqueniques, car elle comprenait ses relations avec Musset comme quelque chose de beaucoup plus sérieux. Les discordes arrivèrent cependant.

Déjà, à Florence, les premières discussions s’étaient manifestées. George Sand s’était aperçue, avec horreur, que son amour n’avait non seulement aucune influence bienfaisante sur les habitudes et le genre de vie de Musset, mais ne le retenait pas même de la trahir de la manière la plus grossière. Deux fois en sa vie elle avait déjà éprouvé le dégoût de semblables trahisons : pendant son mariage avec Dudevant, et, plus tard, lorsque Jules Sandeau ne s’était point gêné pour la tromper avec une blanchisseuse. Musset l’aimait comme auparavant, mais, au point de vue masculin de Musset, cet amour ne l’empêchait pas de courir les aventures. George Sand, qui l’aimait tendrement de son côté, était prête à les lui pardonner. Seulement la sainteté, la pureté du sentiment avait été violée, ce qui l’offensait et la blessait profondément. Le fait même qu’elle eut à pardonner fut, selon nous, et à en juger d’après sa nature, le coup mortel porté à son amour. Il lui fallait adorer l’être aimé, ne trouver en lui aucun défaut, être subjuguée par son charme. C’est alors qu’elle aimait en effet passionnément, de toute son âme, non dans le sens vulgaire de ce mot, mais en ce sens que toutes les forces de son âme, que toutes ses facultés : esprit, volonté, imagination, sentiment, tout appartenait au bien-aimé. Lorsqu’elle commença à pardonner, à « fermer les yeux » sur les défauts et sur le manque d’entente, elle aimait déjà autrement. Peut-être aimait-elle mieux alors, dans le sens chrétien de l’amour, avec cette nuance de pardon général, cette sollicitude infinie et cette bonté maternelle dont elle raffolait toujours ; ce sentiment d’amour était peut-être plus conscient, mais il ne l’envahissait plus comme auparavant, ne la remplissait plus du bonheur de l’amour inconscient, le seul vrai qui puisse exister. D’abord elle avait aimé pour elle, maintenant elle aimait pour lui. Ce n’était plus cela, et tous deux, semble-t-il, avaient déjà commencé à le sentir.

Dès l’arrivée à Venise se déroule pour George Sand toute une série d’épreuves, de chagrins et de soucis. À peine installée à l’hôtel Danieli, étant déjà indisposée à partir de Gênes, et pouvant à peine se tenir sur ses jambes à Pise et à Florence, elle tomba tout à fait malade et dut garder le lit pendant deux semaines entières[326].

Elle n’était pas encore complètement rétablie qu’elle se remettait à bûcher pour rattraper le temps perdu, lorsqu’une circonstance inattendue vint la mettre dans la nécessité absolue de travailler encore davantage. M. Plauchut nous a raconté, d’après ce que lui avait dit Buloz[327], que Musset, pendant son séjour à Venise avait été entraîné dans un brelan où il avait perdu dix mille francs. L’imprudent joueur ne pouvait et n’aurait jamais pu payer cette dette d’honneur, il lui fallait choisir entre le suicide ou le déshonneur. George Sand n’hésita pas un instant. Elle écrivit aussitôt au directeur de la Revue, en le priant de lui avancer cet argent. Buloz, sincèrement bien disposé pour son collaborateur, envoya la somme par retour du courrier, sans autre condition que celle d’être remboursé en manuscrit. George Sand se mit à l’œuvre et expédia l’un après l’autre, de Venise à Paris, plusieurs romans, entre autres deux de ses œuvres les plus charmantes, André et Teverino[328] « Je fus tellement touché de l’énergie de George, m’a dit Buloz, — il ne l’appelait jamais autrement, ajoute M. Plauchut, — émerveillé de la valeur littéraire de ces romans que je ne voulus jamais qu’elle payât sa dette… » Nous laisserons ici à Buloz la responsabilité de son désintéressement, car par les lettres inédites de George Sand à Boucoiran, son ami et factotum, nous voyons qu’elle travaillait, au contraire, presque au delà de ses forces, ne sachant comment se tirer d’affaire pour envoyer à temps le nombre de feuilles d’impression que Buloz réclamait[329], qu’elle demandait constamment à Boucoiran de prier Buloz de ne pas être si pressant, de lui donner du temps. Enfin, dans une de ses lettres elle lui demande de lui envoyer l’argent de son travail, sans quoi elle ne pourrait payer le docteur ni le pharmacien, ni son retour en France. Dans ses lettres du 4 et 5 février[330] George Sand prie Boucoiran de tâcher de s’arranger, en tout cas, avec un autre éditeur, Dupuy, pour une nouvelle édition à faire de ses œuvres publiées jusque-là. Elle ne cesse de faire des démarches pour mettre ses comptes en ordre et payer ses dettes. Elle expédie même d’avance ses conditions pour le cas où Dupuy consentirait à faire un contrat. MM. Plauchut et Ulbach assurent que la famille de Musset n’ignorait pas alors et n’ignore pas aujourd’hui cet épisode — chose d’autant plus honteuse, que plus tard le frère du poète ne se gêna nullement pour propager sur George Sand les plus vilaines calomnies. Quoi qu’il en soit, cette « pédante » qui écrivait sans relâche pendant des nuits entières, et cette « bonne ménagère, qui dressait ses comptes chaque soir », sauva l’insouciant poète[331]. Par là elle avait dû contracter une nouvelle dette envers Buloz et travailler deux ou trois fois plus qu’elle ne l’avait fait auparavant. Un peu plus tard, le 16 mars, elle écrit à son frère Hippolyte Châtiron : « L’amour du travail sauve de tout. Je bénis ma grand’mère qui m’a forcée d’en prendre l’habitude. Cette habitude est devenue une faculté et cette faculté, un besoin. J’en suis arrivée à travailler, sans être malade, treize heures de suite, mais en moyenne, sept ou huit heures par jour, bonne ou mauvaise soit la besogne. Le travail me rapporte beaucoup d’argent et me prend beaucoup de temps, que j’emploierais, si je n’avais rien à faire, à avoir le spleen, auquel me porte mon tempérament bilieux. Si, comme toi, je n’avais pas envie d’écrire, je voudrais du moins lire beaucoup. Je regrette même que mes affaires d’argent me forcent de faire toujours sortir quelque chose de mon cerveau sans me donner le temps d’y faire rien rentrer. J’aspire à avoir une année tout entière de solitude et de liberté complète, afin de m’entasser dans la tête tous les chefs-d’œuvre étrangers que je connais peu ou point. Je m’en promets un grand plaisir et j’envie ceux qui peuvent s’en donner à discrétion. Mais, moi quand j’ai barbouillé du papier à la tâche, je n’ai plus de faculté que pour aller prendre du café et fumer des cigarettes sur la place Saint-Marc, en écorchant l’italien avec mes amis de Venise. C’est encore très agréable, non pas mon italien, mais le tabac, les amis et la place Saint-Marc. Je voudrais t’y transporter d’un coup de baguette et jouir de ton étonnement[332]… »

Mais nous anticipons un peu sur les événements. À la fin de janvier George Sand était de nouveau tombée malade et avait dû rester quelques jours au lit. Elle écrit à Boucoiran, le 4 février, à la suite des questions d’affaires dont il a été parlé plus haut : « Je viens encore d’être malade cinq jours d’une dysenterie affreuse. Mon compagnon de voyage est très malade aussi. Nous ne nous en vantons pas parce que nous avons à Paris une foule d’ennemis qui se réjouiraient en disant : « Ils ont été en Italie pour s’amuser et ils ont le choléra ! quel plaisir pour nous ! ils sont malades ! » Ensuite Mme de Musset serait au désespoir si elle apprenait la maladie de son fils, ainsi n’en soufflez mot. Il n’est pas dans un état inquiétant, mais il est fort triste de voir languir et souffroter une personne qu’on aime et qui est ordinairement si bonne et si gaie. J’ai donc le cœur aussi barbouillé que l’estomac. Par-dessus le marché M. Buloz fait le Cassandre et le gouverneur avec moi ce qui ne m’amuse guère[333]. » George Sand était alors très inquiétée aussi de ne recevoir aucune nouvelle de son fils Maurice et de ne pas savoir s’il était bien portant, elle s’inquiétait également de sa fille, qu’en son absence, son mari voulait mettre en pension. George Sand tâchait de s’y opposer par l’intermédiaire de son frère Hippolyte et de Boucoiran ; elle songea même à abréger son voyage et à retourner au plus vite à Paris. Mais elle ne pouvait quitter Venise : elle n’avait pas la somme nécessaire pour partir ; d’autant plus que l’argent que devait lui envoyer Salmon, le banquier de son mari, ne lui arrivait pas à la suite de quelque imbroglio ou de quelque retard. Il fallait donc travailler coûte que coûte, et le plus possible. Et avec tout cela, il n’y avait plus entre elle et Musset l’harmonie des beaux jours. Jusqu’à sa maladie, il avait passé son temps à Venise comme il l’avait fait à Florence ; les scènes orageuses devenaient plus fréquentes, alternant avec des trêves passionnées. « Il avait fait pleurer ces grands yeux noirs qui le hantèrent jusqu’à la mort, et il n’était pas accouru un quart d’heure après demander son pardon[334]. »

Mais bientôt George Sand eut à oublier tous ses chagrins et soucis pour un autre souci plus important encore ! La maladie de Musset que George Sand mentionnait comme légère dans sa lettre du 4 février prit le caractère le plus sérieux, et le poète fut bientôt à l’article de la mort.

Le 5 février, elle écrit à Boucoiran : « Je viens d’annoncer à Buloz l’état d’Alfred qui est fort alarmant ce soir, et en même temps je lui démontre qu’il me faut absolument de l’argent pour payer les frais d’une maladie qui sera sérieuse et pour retourner en France. Comme au bout du compte, c’est un assez bon diable et qu’il a de l’attachement pour Alfred, je crois qu’il comprendra ce que notre position a de triste et qu’il n’hésitera plus… Voyez-le à cet égard… » Ensuite, après les explications que nous avons déjà données relativement aux pourparlers à engager avec Dupuy, aux comptes à régler avec Buloz et à tous ses intérêts matériels, elle ajoute :

« Adieu, mon ami, je vous écrirai dans quelques jours, je suis rongée d’inquiétudes, accablée de fatigue, malade et au désespoir. Embrassez mon fils pour moi. Mes pauvres enfants, vous reverrai-je jamais ? Gardez un silence absolu sur la maladie d’Alfred à cause de sa mère qui l’apprendrait infailliblement et en mourrait de chagrin. Recommandez à Buloz de n’en pas parler et à Dupuy aussi. »

Le 8 février, elle écrit :

« Mon enfant, je suis toujours bien à plaindre. Il est réellement en danger et les médecins me disent : poco a sperare, poco a disperare, c’est-à-dire que la maladie suit son cours sans trop de mauvais symptômes alarmants. Les nerfs du cerveau sont tellement entrepris, que le délire est affreux et continuel. Aujourd’hui, cependant, il y a un mieux extraordinaire. La raison est pleinement revenue et le calme est parfait. Mais la nuit dernière a été horrible. Six heures d’une frénésie telle que malgré deux hommes robustes, il courait nu dans la chambre. Des cris, des chants, des hurlements, des convulsions, ô mon Dieu, mon Dieu, quel spectacle ! Il a failli m’étrangler en m’embrassant. Les deux hommes ne pouvaient lui faire lâcher le collet de ma robe. Les médecins annoncent un accès du même genre pour la nuit prochaine, et d’autres encore peut-être, car il n’y aura pas à se flatter avant six jours encore. Aura-t-il la force de supporter de si horribles crises ? Suis-je assez malheureuse et vous qui connaissez ma vie, en connaissez-vous beaucoup de pires.

« Heureusement j’ai trouvé enfin un jeune médecin, excellent, qui ne le quitte ni jour ni nuit et qui lui administre des remèdes d’un très bon effet. »

« P.-S. : Gardez toujours un silence absolu sur la maladie d’Alfred[335], et recommandez le même à Buloz. Embrassez mon fils pour moi. Pauvre enfant ! le reverrai-je ? »

Le jeune docteur dont George Sand fait mention dans cette lettre était Pietro Pagello à qui il était réservé de jouer un grand rôle dans la vie de George Sand et de Musset, et qui durant cinquante ans[336], sut garder le silence avec une réserve admirable, sans jamais répondre un seul mot à tout ce qui fut dit ou écrit sur son compte dans la presse italienne ou française (quoiqu’il lût tout). Ce ne fut qu’à la suite d’instances réitérées que, comme malgré lui, il raconta enfin, de son côté, en 1887, avec une modestie qui lui fait honneur, les événements de l’année 1834. Et nous nous empressons de dire qu’entre tous ceux qui ont parlé du drame de Venise, la palme revient, sans contredit, à Pagello pour la simplicité, la sobre véracité, la délicatesse dont il a fait preuve dans ses lettres et dans son récit oral, transmis, d’après ses propres paroles, par le docteur Garibaldi-Locatelli. Nous sommes en possession : 1° d’une copie de la lettre du docteur Pagello au professeur Moreni (écrivain italien, qui se proposait aussi d’écrire une biographie de George Sand), lettre dictée, par suite d’une paralysie du doigt, au fils de son vieil ami, le docteur Garibaldi Locatelli ; 2° d’une lettre de Pagello au rédacteur du journal Provincia di Belluno, publiée également dans le journal Adriatico, à propos d’une poésie de Pagello, Serenata, imprimée dans le même journal et dédiée à George Sand ; 3° d’une autre lettre de lui au Corriere della sera (avec une notice du rédacteur de ce journal[337]), et enfin, 4° d’une lettre du docteur Garibaldi Locatelli à Ercole Moreni, lettre complétant la première par des renseignements puisés dans les récits oraux de Pagello. Ajoutons que ce dernier possédait de George Sand, trois lettres qu’il ne voulait publier qu’après sa mort, gardant saintement la parole qu’il s’était donnée à lui-même[338]. Mais avant de parler, de la maladie de Musset, en nous appuyant sur ces documents, nous nous arrêterons sur ce qui en a été dit dans les biographies ou les quasi-biographies du poète, et particulièrement sur ce qu’en dit Paul Lindau. Cet écrivain qui, comme nous le savons déjà, voit tout par les yeux du frère de Musset, accepte, comme vérité d’évangile, les scènes connues de Lui et Elle, où le malade, Edouard de Falconey, grâce aux ombres projetées sur le paravent et à un seul verre laissé sur la table, apprend la trahison d’Olympe. Se basant là-dessus dans sa biographie de Musset, Lindau nous donne le récit de cette scène révoltante et invraisemblable. Il dit à cette occasion : « La Sand reconnut plus tard que Musset était dans le vrai ; mais, en public, elle persista à affirmer que ce qui était arrivé en réalité n’était qu’une suggestion diabolique de la brûlante fantaisie d’un malade en délire… » Lindau accuse ensuite George Sand d’avoir su, dans les Lettres d’un voyageur, mêler avec un talent remarquable, la vérité à la fiction (Wahrheit und Dichtung) et d’avoir si bien teinté de vague son récit, qu’il n’est plus possible de démêler les vraies couleurs, et que l’on peut, à volonté, conclure qu’au nombre des hallucinations du malade, il faut ranger la scène où figurent le paravent et le verre sur la table. Mais dans Elle et Lui, George Sand, selon Lindau, s’exprime déjà d’une manière « plus décisive encore ; il ne lui suffit plus de laisser au lecteur le choix de croire si son infidélité envers Musset était un mensonge ou non, elle voulait affirmer cela et empêcher le lecteur d’admettre qu’il en fût autrement. Dans Elle et Lui, elle déclare catégoriquement que Musset, dans le délire de la fièvre, s’était mis dans la tête qu’elle le trompait. »

Lindau ajoute, après avoir cité les paroles du délire de Laurent dans Elle et Lui : « Elle seule a le droit de me tuer, disait-il, je lui ai fait tant de mal. Elle me hait, qu’elle se venge. Ne la vois-je pas à toute heure sur le pied de mon lit, dans les bras de son nouvel amant ? Allons, Thérèse, venez donc, j’ai soif, versez-moi le poison… » — C’est là le tableau du moment décisif — dit Lindau, qui a le plus révolté les amis de Musset et qui les a obligés à répondre à George Sand. Si elle eût le moindre soupçon que Paul de Musset fût en possession de la communication de cette scène, dictée par Alfred à son frère, elle se serait certainement tue là-dessus. Elle eût renoncé à se défendre de l’accusation d’avoir au moins contribué, en partie, au triste sort de Musset, et cela d’autant plus que la plupart, toujours enclins à justifier une jolie femme, se seraient déclarés contre le poète ; elle n’eût pas provoqué cette riposte foudroyante (niederschmetternde) qui allait sortir de la plume de Paul de Musset. Celui-ci entra effectivement en scène et mit à nu toute l’horrible vérité. Quelques semaines avant sa mort, Alfred dicta à son frère un compte rendu détaillé de cette scène, communication si pleine et si exacte que toute tentative d’ébranler cette exactitude devait d’avance échouer, elle était si persuasive que ni George Sand, ni ses amis n’osèrent jamais essayer de le faire. Cette communication faite par Alfred de Musset, son frère l’a insérée littéralement dans son ouvrage. Comme il rapporte de la manière la plus exacte (die zuverlæssigste Kunde giebt) cette communication restée secrète jusque-là, en reproduisant les paroles mêmes de celui qui avait été en jeu dans l’affaire, je me fais ici un devoir de reproduire aussi littéralement cette communication. Je me bornerai à faire remarquer que ma traduction est tout à fait exacte, en reconnaissant cependant que j’ai changé les pseudonymes (c’est-à-dire les noms des héros du roman) en leurs vrais noms… »

Après quelques mots sur la beauté physique et la pauvreté d’esprit du docteur Pagello, Lindau met ensuite dans la bouche d’Alfred de Musset lui-même, le fameux récit d’Édouard de Falconey, sur la scène de trahison. Nous ne nous arrêterons pas ici à réfuter les inexactitudes relatives aux faits rapportée par Lindau, et nous ne dirons pas encore comment et quand George Sand a écrit son roman, comment a agi Paul de Musset, comment George Sand lui a répondu dans sa préface de Jean de la Roche, et comment elle et ses amis ont non seulement « osé » faire une tentative de mettre en doute la véracité de la calomnie de Paul de Musset, mais ont pris toutes les mesures pour imprimer la correspondance authentique de Musset et de George Sand, qui suffit à réfuter toutes ces fables[339]. Le lecteur trouvera tout cela un peu plus loin, lorsqu’il sera question de toutes les œuvres littéraires se rapportant à ce sujet. Nous nous contenterons, pour le moment, d’examiner le côté psychologique de cette affirmation de Lindau.

Nous n’oserions jamais prendre sur nous de démentir le fait, ni (comme le font Lindau et d’autres biographes de Musset), d’affirmer qu’il ait eu lieu et qu’il se soit ainsi passé. Il nous semble que trois personnes seules seraient ici en droit d’affirmer ou de nier : Musset, George Sand ou Pagello. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que pareil fait n’a pu avoir lieu, non parce que George Sand n’aurait pu devenir infidèle à Musset dans le sens grossier du mot ; nous savons parfaitement, que Pagello fut, plus tard, l’heureux rival de Musset, mais nous sommes aussi intimement convaincus, qu’une scène si basse, si impudente, si sotte n’a pu avoir lieu dans la chambre d’un moribond. Comme Niecks, biographe de Chopin, le fait judicieusement remarquer, « Paul de Musset ne peut être absous du reproche d’exagération — nous savons de quel nom Arvède Barine appelle cette « exagération » de Paul de Musset — et que, s’il fallait choisir entre les deux versions, celle de George Sand, appelant délire la scène des ombres, est certainement plus digne de foi que celle de Paul de Musset, qui l’appelle vérité ». Mais ce qui nous porte le plus à ne pas croire à cette scène, c’est que Musset, le Musset qui a écrit la Confession d’un enfant du siècle, les Nuits, la Quenouille de Barberine, Il ne faut jurer de rien, n’a jamais pu dire rien de semblable à qui que ce fût, pas même à son frère, pas même à lui-même, en écrivant son journal. Comment ? Ce gentilhomme, ce grand seigneur, cette nature délicate, cette âme si finement sensitive, aurait pu raconter, ne fût-ce qu’en allusion, pareille ignominie, pareille dépravation, pareille chute de la femme naguère aimée ? Et nous persistions, après cela, à l’appeler délicat, distingué et gentleman ? Mais cet ignoble bavardage n’aurait jamais pu sortir de sa bouche. Et l’on voudrait nous faire croire qu’il commît cette indiscrétion de parti pris, afin de se venger, afin de dévoiler quelque chose ? Et à qui voudrait-on attribuer une action aussi basse, aussi mesquine ? À notre poète bien-aimé, à l’un de nos rares élus, à ce raffiné, tant au-dessus de la tourbe grossière ! Non, quoi qu’il ait pu souffrir, quelques aveux que George Sand ait pu faire plus tard, nous ne croyons pas, nous nous refusons à croire que Musset ait pu agir si vilainement. Nous rejetons donc tout le poids de cette communication sur le compte de ses zélés biographes, et disons ce qui a été plus d’une fois dit de Musset : Quoi qu’il ait souffert, jamais pendant sa vie il n’a prononcé un mot pour accuser George Sand ; jusqu’au moment suprême, il a su rester le gentilhomme correct envers la femme naguère aimée, il est resté tel que l’ont connu tous ses amis et tous les objets de son amour. Et c’est pour cela que nous nous permettons de nier l’authenticité de la prétendue communication.

Une fois que George Sand, Musset et Pagello ne disent eux-mêmes rien de semblable, pourquoi croirions-nous à cette ignoble histoire ? Qui nous ferait croire à sa réalité ? Laissons donc ce grossier récit à la responsabilité des officieux amis de Musset et oublions bien vite qu’ils ont voulu le mêler à la propagation de cette légende odieuse et psychologiquement incroyable[340]. Mettant au rancart tous ces potins, passons plutôt au sobre récit et aux lettres si simples de Pagello, qui respirent la véracité.

« … Je ne me rappelle ni le jour, ni l’heure, mais je sais qu’on m’a d’abord engagé à venir, non pour Alfred de Musset, mais pour faire une saignée à George Sand… ce fut dans les premiers jours de mars 1834[341]… » — Ainsi commence son récit sur le docteur Pagello[342]

« George Sand souffrait de violents maux de tête dont elle ne fut sauvée que grâce aux saignées[343], — ajoute, d’après les paroles de Pagello, le docteur Garibaldi-Locatelli. — Dans un de ces accès névralgiques, le docteur Pagello fut appelé pour faire une saignée, ce qu’il fit avec succès avant très bonne vue et le toucher très fin. Mme Sand produisit sur lui une impression qui le charma tout particulièrement par l’expression de sa physionomie intelligente, de ses yeux étonnants (per gli occhi stupendi) ; elle n’avait aucun embonpoint, ses lèvres étaient épaisses et laides, ses dents peu blanches, car elle fumait constamment des cigarettes qu’elle savait faire avec une rapidité étonnante ; à Venise, elle les faisait avec le meilleur tabac turc[344]. »

« Je ne puis me le rappeler positivement, continue le docteur Pagello, mais il me semble qu’avant moi on avait déjà fait venir un autre chirurgien[345] pour George Sand, afin de la saigner, parce qu’elle avait une veine fort difficile (vena difficilissima), et ce fut moi qu’on appela ensuite. Lorsque je saignai George Sand, elle demeurait avec Musset à l’étage supérieur, de l’Hôtel Danieli, où elle occupait une chambre et un petit salon. Quand je fus appelé pour Alfred de Musset, je les trouvai à l’étage au-dessous, avec des fenêtres sur la Riva dei Schiavoni, dans une grande chambre où il y avait un canapé, une cheminée protégée par un paravent, une grande table au milieu, et, à côté, une chambre mi-obscure avec deux lits… »

« Je fis la connaissance de la Sand en février 1834 et voici comment : un domestique de l’hôtel Danieli était accouru m’appeler pour une dame française malade, » — dit le docteur Pagello dans une lettre publiée par le Corriere della sera[346].

« Je m’empressai de me rendre à l’invitation, et je trouvai cette dame avec un foulard rouge sur la tête ; elle était couchée sur un divan, et, à côté du divan, se tenait un jeune homme blond, svelte, grand de taille, qui me dit : « Cette dame souffre d’un violent mal de tête dont une saignée seule peut la guérir. » Après avoir tâté le pouls, qui était agité et intense, j’opérai ma saignée et m’en allai. Je la revis le surlendemain, elle était levée, vint aimablement me recevoir, et me dit qu’elle se sentait bien. Environ une quinzaine de jours plus tard, le même domestique de l’hôtel revint m’appeler en me remettant un billet signé George Sand[347]. Le billet était écrit en mauvais italien, mais assez clairement cependant pour me faire comprendre que le monsieur français (signor francese), que j’avais vu dans la chambre de la dame était très malade, plongé dans un délire continuel, et qu’on me priait, si faire se pouvait, de venir au plus vite en me faisant accompagner d’un autre docteur pour une consultation, car il s’agissait d’un homme doué d’un grand génie poétique et d’un être qu’elle aimait par-dessus tout au monde. J’y courus aussitôt et le docteur Juannini se joignit à moi, jeune homme excellent, mon collègue, adjoint à l’hôpital de Saint-Jean et Paul…

« L’impression que me fit l’extérieur de Musset n’était pas nouvelle pour moi, » — dit Pagello dans sa lettre au professeur Moreni, — « elle resta la même que quinze jours auparavant : figure fine et spirituelle, organisme enclin à la phtisie, ce que l’on voyait à ses mains longues et maigres, au faible développement de sa poitrine, à sa figure tirée et à la rougeur de ses pommettes… »

« D’après notre diagnostic, la maladie consistait en une fièvre nerveuse thyphoïde[348]. La cure fut longue et difficile, par suite surtout de l’état agité du malade, qui fut mourant durant plusieurs jours. Enfin le mal prit une tournure favorable et le malade se rétablit peu à peu[349].

« George Sand durant toute la maladie, le soigna avec l’empressement d’une mère, constamment assise, nuit et jour auprès de son lit, prenant à peine quelques heures de repos, sans se déshabiller et seulement lorsque je la remplaçais[350]… »

Le malade passa ainsi presque dix-sept jours entre la vie et la mort et il fallut encore à peu près autant de temps pour arriver à une guérison complète[351]. Le 7 mars George Sand écrivait à Boucoiran. « Je ne puis pas encore partir, il me faut attendre la guérison entière de mon malade (lettre inédite).

«… Lorsque Musset alla mieux, — écrit Pagello à Moreni, — et qu’il eut quitté le lit, George Sand m’avoua que ses finances étaient tant soit peu embarrassées, et je lui conseillai de quitter cet hôtel trop coûteux. Effectivement, ils allèrent habiter un logement plus modeste de la rue delle Razze, à côté de l’hôtel Danieli.

« C’est de là que partit Musset avec un garçon coiffeur, qui l’accompagna jusqu’à Paris. George Sand ne les suivit que jusqu’à Mestre. C’était environ vingt-quatre jours après le complet rétablissement de Musset…[352]. »

Ce ne fut pas seulement parce que le docteur Pagello avait été subjugué par le charme des « grands yeux noirs », ni parce que George Sand, fatiguée de l’amour orageux et maladif de Musset s’imagina qu’elle avait enfin trouvé cet « amour vrai qui appelle et fuit toujours »[353] qu’elle resta à Venise. Sans aucun doute, la passion simple, entière et sincère du jeune docteur aux cheveux d’or[354], qui avait soigné avec tant de dévouement son ami malade, apparaissait aux yeux de George Sand comme un amour vrai et rare et elle rêvait de trouver enfin le repos et la paix de l’âme. George Sand ne se fût cependant pas séparée de Musset, si la santé du poète n’avait pas rendu cette séparation indispensable et si, enfin, elle avait pu se libérer de ses engagements envers son éditeur et s’acquitter des dettes qu’elle avait contractées à Venise. La santé de Musset exigeait qu’il partît seul, et les affaires de George Sand qu’elle restât loin de Paris. Voici ce qu’elle écrivait à Boucoiran, le 6 avril (cette lettre est insérée, mais toute défigurée dans la Correspondance, t. I, p. 265)[355] :

« … Alfred est parti pour Paris sans moi et je vais rester ici quelques mois encore. Vous savez les motifs de cette séparation. De jour en jour elle devenait plus nécessaire et il lui eût été impossible de faire le voyage avec moi sans s’exposer à une rechute… La poitrine encore délicate lui prescrivait une abstinence complète, mais ses nerfs, toujours irrités, lui rendaient les privations insupportables. Il a fallu mettre ordre à ces dangers et à ces souffrances et nous diviser aussitôt que possible. Il était encore bien délicat pour entreprendre ce long voyage, et je ne suis pas sans inquiétude sur la manière dont il le supportera. Mais il lui était plus nuisible de rester que de partir et chaque jour consacré à attendre le retour de sa santé le retardait au lieu de l’accélérer. Il est parti enfin sous la garde d’un domestique très soigneux et très dévoué. Le médecin m’a répondu de sa poitrine en tant qu’il la ménagerait. Je ne suis pas bien tranquille, j’ai le cœur bien déchiré, mais j’ai fait ce que je devais. Nous nous sommes quittés peut-être pour quelques mois, peut-être pour toujours. Dieu sait maintenant ce que deviendront ma tête et mon cœur. Je me sens de la force pour vivre, pour travailler, pour souffrir. La manière dont je me suis séparée d’Alfred m’en a donné beaucoup. Il m’a été doux de voir cet homme, si athée en amour, si incapable (à ce qu’il m’a semblé d’abord) de s’attacher à moi sérieusement, devenir bon, affectueux et plus loyal de jour en jour. Si j’ai quelquefois souffert de la différence de nos caractères et surtout de nos âges, j’ai eu encore plus souvent lieu de m’applaudir des autres rapports qui nous attachaient l’un à l’autre. Il y a en lui un fonds de tendresse, de bonté et de sincérité qui doivent le rendre adorable à tous ceux qui le connaîtront bien et qui ne le jugeront pas sur des actions légères. S’il conservera de l’amour pour moi, j’en doute, et je n’en doute pas. C’est-à-dire que ses sens et son caractère le porteront à se distraire avec d’autres femmes, mais son cœur me sera fidèle, je le sais, car personne ne le comprendra mieux que moi et ne saura mieux s’en faire entendre. Je doute que nous redevenions amants. Nous ne nous sommes rien promis l’un à l’autre sous ce rapport, mais nous nous aimerons toujours et les plus doux moments de notre vie seront ceux que nous pourrons passer ensemble. Il m’a promis de m’écrire durant son voyage et après son arrivée. Mais cela ne suffit pas à calmer mes craintes. Je vous prie d’aller le voir. Il arrivera à Paris probablement en même temps que cette lettre-ci. Dites-moi sincèrement dans quel état de santé vous l’aurez trouvé. S’il vous demande la clef de mon appartement et de mes papiers, remettez-lui tout ce qu’il désirera sans exception. Je crois qu’il a des lettres et des effets parmi les miens, plusieurs tableaux et petits meubles qui sont chez moi lui appartiennent. S’il a envie de les faire transporter chez lui dites à mon portier de les laisser passer. »

La fin de cette lettre, imprimée aussi en partie seulement, concerne l’histoire du duel entre Gustave Planche et Capo de Feuillide, et le mécontentement de George Sand à ce sujet.

Musset n’avait pas encore quitté Venise qu’il s’était établi entre lui, George Sand et Pagello des relations fort étranges, enthousiastes, idéalement sublimes. Arvède Barine les appelle « vertige du sublime et de l’impossible ». « Ils imaginèrent, dit-elle, les déviations de sentiment les plus bizarres, et leur intérieur fut le théâtre de scènes qui égalaient les fantaisies les plus audacieuses de la littérature contemporaine. Musset, toujours avide d’expiation, s’immolait à Pagello, qui avait subi à son tour la fascination des grands yeux noirs. Pagello s’associait à George Sand pour récompenser par une amitié sainte leur victime volontaire et héroïque, et tous les trois étaient grandis au-dessus des proportions humaines par la beauté et la pureté de ce lien idéal. George Sand rappelle à Musset dans une lettre de l’été suivant combien tout cela leur avait paru simple : « Je l’aimais comme un père et tu étais notre enfant à tous deux. » Elle lui rappelle aussi leurs impressions solennelles, « lorsque tu lui arrachas à Venise l’aveu de son amour pour moi, et qu’il te jura de me rendre heureuse. Oh ! cette nuit d’enthousiasme, où malgré nous tu joignis nos mains, en nous disant : « Vous vous aimez et vous m’aimez pourtant, vous m’avez sauvé âme et corps. » Ils avaient entraîné l’honnête Pagello qui ignorait jusqu’au mot romantisme, dans leur ascension vers la folie. Pagello disait à George Sand : « Il nostro amore per Alfredo. » George Sand le répétait à Musset, qui en pleurait de joie et d’enthousiasme… » Voilà comment Arvède Barine parle de cette époque de leur vie, et, ici, comme partout ailleurs, nous souscrirons à ses paroles. Nous devons toutefois attirer l’attention sur un côté de la question qui a échappé à Arvède Barine. Tous nos lecteurs se rappellent probablement l’histoire de Jacques, roman qui a été écrit justement au printemps de 1834 ; ils n’auront pas oublié comment ce mari généreux, en apprenant l’amour de sa femme pour un autre, se décide d’abord, pour son bonheur à elle, à la laisser vivre comme elle l’entend, et se résout ensuite non seulement à s’éloigner d’elle, mais à disparaître, en se tuant et en laissant croire que son suicide n’était dû qu’à un accident fortuit, pour épargner tout remords à sa femme. Dans le temps on a beaucoup parlé de Jacques, soit pour, soit contre, car dans aucun des romans de George Sand nous ne trouvons, exprimée d’une manière plus incisive, sa croyance en la liberté et l’irresponsabilité de la passion et à l’injustice qu’il y aurait à vouloir la punir. La manière d’agir si généreuse et noble de Jacques envers sa femme, qu’il aime, mais dont il ne se croit pas en droit de gâter la vie pour la seule raison qu’elle a cessé de l’aimer, stupéfiait les contemporains, comme quelque chose d’inouï et d’impossible. Les uns y virent aussitôt — et c’est juste — de la part de l’auteur une conception large et profonde des questions du sentiment, et sa tendance à démontrer la possibilité de résoudre les drames matrimoniaux sans scènes de jalousie, ni querelles, ni meurtre, ni aucun des moyens humiliants et cruels, si souvent en usage en pareil cas. D’autres, raillant ce suicide, — et c’est juste aussi — faisaient remarquer que si tous les maris bernés par leurs femmes, devaient aller se jeter dans un précipice des Alpes, ou dans une crevasse de glacier, et céder galamment la place à l’amant, ce serait certes là un moyen vraiment trop commode pour les femmes et les amants, mais assez peu d’accord avec la justice et l’équité.

Jacques a fait naître une foule d’imitations dans toutes les littératures de l’Europe. À qui la faute[356] ? Pauline Sax[357]. Comment faire[358] ? sont, cela est hors de doute, des enfants légitimes de Jacques. Quoi qu’il en soit, on n’a jamais attiré l’attention sur le fait que Jacques n’est pas un personnage aussi « inventé » que cela le paraît. George Sand n’avait-elle pas elle-même sous les yeux un exemple de la grandeur magnanime et généreuse d’un homme envers une femme qui s’était mise à en aimer un autre ? Musset ne lui donnait-il pas la preuve de cette douceur, de cette tendresse, de cette abnégation ? Ce même Musset qui lorsqu’elle l’aimait, l’avait tant de fois offensée, outragée, martyrisée par ses soupçons et sa jalousie rétrospective, avait su, tout à coup, accepter, avec une générosité profondément humaine, le refroidissement à son égard de la femme aimée. Au lieu d’écrire sur le drame de Venise tous ces vilains contes bleus, les biographes de Musset eussent bien mieux fait s’ils s’étaient bornés à ce seul mot : Musset fut le prototype de Jacques. Et toutes les têtes se seraient inclinées devant celui qui a su, dans la vie réelle, faire preuve de tant d’idéalisme en perdant son amante : ce qui, même dans un roman, nous semble une pure utopie. C’est là vraiment chose sublime, tout extraordinaire, et Mme Arvède Barine a tort de railler ainsi ces nouveaux rapports entre Musset et George Sand, — Musset nous y apparaît comme un homme au-dessus du commun des mortels par sa manière indépendante et profonde de prendre les choses de sentiment.

Musset parti, l’affreuse tension dans laquelle George Sand avait passé les derniers mois cessa aussitôt de se faire sentir. Elle raconte que ce ne fut qu’après avoir quitté Musset, qu’elle avait accompagné jusqu’à Mestre[359], et en revenant chez elle en gondole, qu’elle sentit cesser cette énergie surnaturelle et cette tension nerveuse qui l’avaient soutenue pendant tout un mois, passé sans sommeil, dans l’agitation et les soucis de tous les moments. Elles l’abandonnèrent et firent place à une prostration complète ; sa vue était « si usée par les veilles qu’elle eut une espèce d’hallucination oculaire, elle voyait tous les objets renversés, et particulièrement les enfilades de ponts des petits canaux, qui se présentaient comme des arcs retournés sur leur base »[360]. Travailler en cet état de surmenage, il ne fallait pas y penser. Sur ce, arriva l’admirable printemps italien. George Sand sentait l’absolue nécessité de se reposer et de reprendre de nouvelles forces. Elle endossa sa chère blouse bleue, prit un bâton et fit avec Pagello un petit voyage dans les Alpes vénitiennes qu’il parcoururent en tous sens jusqu’au Tyrol[361]. Ils faisaient jusqu’à sept ou huit lieues par jour, se reposaient dans les rustiques auberges villageoises, sans craindre ni les ardeurs du soleil, ni le mauvais temps, et George Sand semblait humer par tous les pores de son être les adorables effluves du printemps méridional dans ce sauvage pays montagnard. Elle a su les rendre, en un merveilleux langage enthousiaste et poétique, dans les premières Lettres d’un voyageur. Mme Sand et Pagello ne revinrent à Venise que lorsque les vêtements vinrent à leur manquer et qu’ils furent à court d’argent[362]. « Je suis rentrée à Venise avec sept centimes dans ma poche ! » écrit-elle à Boucoiran, ajoutant que dans quelques jours elle repartirait. En effet, peu après, elle alla visiter avec Pagello les îles de l’Archipel Vénitien[363].

« Après le départ de Musset, raconte le docteur Pagello, Mme Sand se transféra à San-Fantino dans un petit logement, séparé par une salle des chambres que j’habitais ; mais au bout d’un mois, elle résolut de déménager pour s’établir près du Ponte di barcaroli dans une ruelle qui conduisait au pont, mais dont je ne me rappelle pas le nom… C’est dans cette maison que George Sand écrivit les Lettres d’un voyageur et le roman de Jacques. »

« Le soir venaient chez nous le peintre Félice Schiavoni, Lazzaro Rebizzo — un mien ami, Génois très cultivé, — le négociant David Weber, et enfin le gentilhomme Fallier. Ces derniers étaient d’ardents chasseurs, avec lesquels je faisais des parties de chasse. Parfois, George Sand se joignait à nous, errant le long des marais de l’Archipel… George Sand était peu connue à Venise comme écrivain et il lui fut très agréable de vivre loin des amateurs de littérature. » Pagello ajoute : « Ni elle ni moi n’avions aucun démêlé avec la police autrichienne », faisant sans doute allusion au fameux incident indécent raconté par George Sand dans l’Histoire de ma Vie. Dans le Corriere della sera, Pagello dit encore : « Lorsque Musset fut parti, George Sand s’établit dans deux petites chambres que j’avais louées pour elle, à sa demande, dans la maison où je demeurais moi-même, car, après payement des comptes de l’hôtel, il lui fallait vivre très économiquement. Elle vécut ainsi à côté de moi, qui avais toujours été économe et pauvre. Après le départ de Musset, Mme Sand se remit à travailler sans relâche. Elle écrivit d’abord les Lettres d’un voyageur, pour lesquelles je lui prêtai mon aide, en riant de m’y voir représenté comme un vieillard portant perruque. Elle écrivit ensuite Jacques. Elle écrivait très vite et sans rature pendant sept ou huit heures et envoyait ainsi à l’imprimerie son travail de premier jet. » Le docteur Pagello raconta oralement la même chose au docteur Garibaldi : « Elle écrivait sans jamais s’arrêter, sans faire aucune rature, et après avoir écrit une page, elle l’envoyait à l’éditeur sans même la relire. » Pagello, lorsqu’elle écrivait les Lettres d’un voyageur, l’aidait en lui fournissant les renseignements locaux. « Il lui convenait de me représenter de manière à ce que je ne fusse pas soupçonné d’être un successeur de Musset : et c’est pour cela qu’elle m’affubla d’une perruque et qu’un lot d’années vint me tomber sur les épaules, » dit Pagello à propos de ces Lettres où effectivement elle le représenta sous la figure d’un vieux médecin, ce que Pagello acceptait de bon cœur et avec indifférence. Mais il n’en était pas de même des proches et des amis du docteur, et surtout de son père, qui ne voyait rien moins que d’un bon œil pareil roman dans la vie de son fils et lui écrivit, à ce propos, une lettre très sévère, pleine des plus vifs reproches.

À l’occasion de cette lettre, racontons un fait curieux, montrant combien s’abusait George Sand, en nous assurant qu’elle était médiocre causeuse, taciturne, peu intéressante en société, qu’elle manquait d’esprit et de ressources, et que ses amis et connaissances, en le confirmant, ne nous disent que la moitié de la vérité. La vérité vraie est que, lorsque George Sand venait à rencontrer une personne qui lui fut sympathique, ou qu’elle voulait charmer ou convaincre sur quoi que ce fût, elle devenait alors entraînante, extraordinairement éloquente, et savait trouver un langage auquel on ne pouvait résister. Et Musset, et Chopin, à qui elle ne plut pas d’abord, tombèrent tous deux sous le charme de leurs entretiens avec elle. Mme de Musset se refusait à laisser partir son fils pour l’Italie, et il s’était déjà presque soumis à la décision de sa mère, quand, un beau soir, on annonça qu’une dame, arrivée en voiture, la priait de vouloir bien descendre pour causer un instant avec elle. Mme de Musset descendit, accompagnée d’un laquais. La dame inconnue — le lecteur a deviné qui c’était — demanda à Mme de Musset de permettre à son fils de partir pour l’Italie, lui promettant de le soigner comme son propre fils. Mme de Musset ne put résister à cette éloquence qui avait trouvé le chemin de son cœur, et Musset partit pour l’Italie[364]. Il en fut de même avec le père de Pagello. Celui-ci, homme d’esprit et très instruit, — (qui demeurait à Castelfranco, dans la province de Treviso) — avait donc écrit à son fils une lettre de vifs reproches. « Alors, dit Pagello, ayant toujours détesté le mensonge, je partis de Venise avec George Sand, pour aller chez mon père. Il me reçut sèchement, mais il accueillit George Sand avec l’hospitalité la plus courtoise (cortese ospitalita) ; et, après avoir causé et discuté littérature française avec elle, il fut tellement subjugué par son éloquence poétique, qu’il pensa évidemment : « Ce déserteur du foyer paternel n’a pas si grand tort ! » Nous passâmes une heure avec lui, et nous nous rendîmes, par Bassano, à la grotte de Parolini… »

Voilà comment George Sand savait, par son éloquence irrésistible, mettre à ses pieds les gens les plus mal disposés à son égard ! Il n’est pas étonnant que Pagello affirme, ce qui se dit rarement de George Sand, savoir que « son plus grand charme était son éloquence magnifique, vraiment brillante, irrésistible ».

Dans le souvenir de Pagello, George Sand, d’ailleurs, est toujours restée comme une femme éminemment douée, propre à tout, aux grandes choses comme aux petites, et jusqu’aux moindres minuties de la vie de tous les jours. Il a raconté au Dr Garibaldi que, « pour George Sand, écrire était une nécessité, mais, qu’en même temps, elle aimait passionnément tous les devoirs d’une ménagère (erra apassionatissima per tutti gli uffici di una massaja) ; elle savait en perfection assaisonner le gibier et le poisson, broder, faire des boîtes en carton, en un mot, c’était une très brave ménagère[365].

Durant sa vie en commun avec Pagello, elle lui broda un canapé et six chaises ; le peintre Lamberto, la trouva, un jour, assise par terre et occupée à clouer la tapisserie de l’une de ces chaises ».

George Sand passa ainsi, après le départ de Musset, une période de calme et de travail, et il semble que dans les premiers temps, elle ait été contente, même heureuse, de son nouveau genre de vie. Venise l’attirait et la retenait par tous ses côtés pittoresques, par ses mœurs, par la vie libre et simple que l’on y menait, par la bonhomie de son aimable peuple, la poésie de ses souvenirs historiques, la douceur de son climat, et la vie à bon marché. Dans l’Histoire de ma Vie et dans ses lettres, elle décrit souvent, en détail, l’existence qu’elle menait à Venise, et dit que, si ses enfants eussent été avec elle, elle n’eût pu se figurer une ville plus agréable ; que, si elle devenait riche, elle achèterait, à l’instant, un de ces vieux palais abandonnés et s’y fixerait avec son fils et sa fille, pour y vivre et y travailler en liberté… George Sand écrivait dans la journée ; elle passait ses soirées à la Piazza San Marco, en y prenant, tasses sur tasses de café noir, persuadée que l’usage du café était absolument nécessaire dans un climat comme celui de Venise ; ou bien elle s’en allait flâner, à pied, par les vieilles rues, ou en gondole, par les canaux et les lagunes.

C’est probablement pendant une de ces promenades que Pagello composa la charmante barcarolle, en dialecte vénitien, reproduite dans le numéro II des Lettres d’un voyageur et servant aussi d’épigraphe — sans indication du nom de l’auteur — au chapitre xviii du Siège de Florence de Guerazzi. La voici :

Coi pensieri malinconici
Non te star a tormentar,
Vien con mi, montemo in gondola,
Andaremo in mezzo al mar… etc., etc.

Dans le même numéro des Lettres d’un voyageur, nous trouvons une autre poésie de Pagello :

Con lei sull’ onda placida
Errai dalla laguna.
Ella gli sguarcli immobili
In te fissara, o luna !
E a che pensava allor ?
Era un morrente palpito ?
Era un nascente amor ?

En général, les amis français de George Sand et de Musset se sont trop évertués à représenter Pagello comme un illettré ; il a écrit quantité de vers et de chansons qui sont chantées jusqu’aujourd’hui par les pêcheurs de sa poétique patrie.

Et cependant Musset, durant le temps que prit son retour à Paris, écrivait à Venise à chaque relais, et ses lettres montrent qu’il connaissait la valeur de celle qu’il abandonnait. Il écrit « qu’il a bien mérité de la perdre, pour ne pas avoir su l’apprécier quand il la possédait, et pour l’avoir fait beaucoup souffrir. Il pleure la nuit dans ses chambres d’auberge, et il est néanmoins presque heureux, presque joyeux, parce qu’il savoure les voluptés du sacrifice. Il l’a laissée aux mains d’un homme de cœur qui saura lui donner le bonheur, et il est reconnaissant à ce brave garçon ; il l’aime, il ne peut retenir ses larmes en pensant à lui. Elle a beau ne plus être pour l’absent qu’un frère chéri, elle restera toujours l’unique amie…[366] ».

De son côté George Sand écrivait déjà à Musset le 3 avril : « Ne t’inquiète pas de moi. Je suis forte comme un cheval, mais ne me dis pas d’être gaie et tranquille. Cela ne m’arrivera pas de sitôt… Ah ! qui te soignera, et qui soignerais-je ? Qui aura besoin de moi, et de qui voudrais-je prendre soin désormais ? Comment me passerais-je du bien et du mal que tu me faisais ?… Je ne te dis rien de la part de Pagello, sinon qu’il te pleure presque autant que moi. » Puis le 15 avril elle lui écrit : « Ne crois pas, ne crois pas, Alfred, que je puis être heureuse avec la pensée d’avoir perdu ton cœur. Que j’aie été ta maîtresse ou ta mère, peu importe ; que je t’aie inspiré de l’amour ou de l’amitié, que j’aie été heureuse ou malheureuse avec toi, tout cela ne change rien à l’état de mon âme à présent. Je sais que je t’aime, et c’est tout… » C’est le cas de dire : « Quand on est ensemble, tout paraît étroit, lorsqu’on est séparé, tout paraît ennuyeux » ; ce proverbe russe tout trivial qu’il soit, est cependant bien juste. À peine se furent-ils séparés que Musset et George Sand comprirent combien leur était cher cet amour plein de tourments, agité, maladif, qui les avait liés l’un à l’autre, et qui éclata bientôt avec une nouvelle force ! George Sand commença à regretter celui qui l’avait martyrisée, outragée et qu’il lui avait fallu soigner et ménager comme un enfant capricieux, celui qui, après l’avoir maudite, se jetait à genoux pour l’adorer. Son nouvel amour lui apparaissait déjà fade, insipide, ennuyeux. Elle n’y trouvait ni « inspiration » ni tourment, ni passion. « Pagello est un ange de vertu — écrit-elle… Il est si sensible et si bon… Il m’entoure de soins et d’attentions… Pour la première fois de ma vie j’aime sans passion… Eh bien, moi, j’ai besoin de souffrir pour quelqu’un ; j’ai besoin d’employer ce trop d’énergie et de sensibilité qui sont en moi. J’ai besoin de nourrir cette maternelle sollicitude, qui s’est habituée à veiller sur un être souffrant et fatigué. Oh ! pourquoi ne pouvais-je vivre entre vous deux et vous rendre heureux sans appartenir ni à l’un ni à l’autre ?… »

Musset cependant, continuait à penser qu’il n’était plus qu’un « ami » et tâcha, aussitôt rétabli, de se distraire et de s’amuser ; mais ce fut en vain qu’il se lança de nouveau dans son ancienne vie de débauche, son cœur était resté à Venise. Les lettres de lui, les lettres d’elle devinrent de plus en plus agitées, plus ardentes, quoique tous deux ne parlassent que d’amitié et que George Sand ne doutât pas de son amour pour Pagello. Aussi quand après avoir terminé le travail qu’elle s’était imposé elle reçut de Buloz l’argent qui avait malencontreusement traîné pendant près de deux mois dans les caisses de la poste, George Sand engagea Pagello à la suivre à Paris. Pour le faire, Pagello (raconte le docteur Garibaldi Locatelli) se vit obligé de vendre tout ce qu’il avait de précieux : argenterie de table, vieilles gravures, peintures consistant en paysages, etc.

Pagello dit que, partis de Venise, lui et George Sand firent leur voyage par les lacs de la Lombardie, et que de Milan ils se dirigèrent sur Chamounix, firent l’ascension du Mont-Blanc[367] jusqu’au Grand Glacier, du Montanvers (Monteverde), et de là, en passant par Genève, se rendirent à Paris où ils arrivèrent le 14 août[368].

Lorsque Pagello et George Sand arrivèrent à Paris, les trois héros du drame (ou de « cette farce-bouffe, où je jouai et récitai un rôle !… », comme s’exprime Pagello), se trouvèrent dans une position étrange et fort peu commode. Ce qui avait été idéal, beau, sublime à Venise, semblait à Paris absurde, insensé et même ridicule. Les amis de George Sand accueillirent Pagello par des railleries cachées, et une malveillance peu déguisée. George Sand se dégoûtait de son amour, et le pauvre Pagello sentait beaucoup mieux la difficulté de la situation où il s’était aveuglément jeté que ne le pensent tous les biographes de Musset et George Sand elle-même, car, comme cela se voit dans ses lettres et dans ses récits, Pagello était un homme délicat, sensible, loin d’avoir la grandeur d’âme de Musset dans les questions de sentiments, mais point du tout le « bellâtre », nul et simplet que nous dépeint entre autres, Lindau. Entre lui et George Sand il y eut dès lors tension et gêne.

Sur ces entrefaites, Musset qui avait appris le retour de George Sand, la suppliait de lui accorder une entrevue, pour dire un éternel adieu à leur amour et se résigner ensuite. Cette entrevue fut hélas fatale ! D’abord, ils crurent éprouver tous deux comme un calme et un soulagement et jurèrent qu’il ne leur restait du passé « qu’une sainte amitié ». Sous l’impression de cette entrevue, Musset écrivit le lendemain à George Sand[369]. Sa lettre, — charmante par sa candeur et la pureté du sentiment, — n’était encore qu’une méprise sur lui-même, un vrai mirage, et comme toute illusion ne peut s’éterniser, cette déception aussi ne fut pas de longue durée. Musset et George Sand virent tous deux qu’ils n’avaient pas cessé de s’aimer ; chacun se reprochait d’avoir perdu le bonheur par sa propre faute. La passion de Musset éclata avec une force invincible, il reconnut clairement, une fois de plus, combien George Sand était supérieure à toutes les femmes qu’il avait rencontrées sur son chemin. Son désespoir n’eut plus de bornes, George Sand éprouvait la même chose. Le regret du bonheur perdu, les remords, une tristesse désespérée commencèrent à la ronger à tel point, qu’elle en vint à des pensées de suicide. Plongés dans l’horreur et le chagrin de ne pouvoir réparer tout ce qui s’était passé entre eux, conscients de l’engrenage survenu dans leurs rapports et dans lequel eux tous s’étaient jetés tête baissée, George Sand et Musset s’enfuirent de Paris, l’une à Nohant, l’autre à Bade. Pagello avait promis d’aller à Nohant, et avait même reçu une invitation ad hoc de la part de Dudevant, mais il eut la délicatesse et le bon sens de ne pas profiter de cette invitation, et il resta seul à Paris.

George Sand, arrivée à Nohant, s’abandonna au plus sombre désespoir. La pensée du suicide la tint opiniâtrement sous son pouvoir, et la vue de ses amis : Fleury, Duvernet, Papet, Rollinat, Néraud, et de leurs femmes, loin de la consoler, ne fit qu’envenimer ses plaies et lui prouver quelle distance la séparait de son cher passé et combien l’amitié la plus dévouée est impuissante à donner le bonheur à l’homme tourmenté par un autre sentiment. Elle sentit surtout — ce que l’on sent toujours dans le malheur — l’éternelle solitude de tout être humain. Toutes les lettres imprimées ou inédites de George Sand, datant de cette époque : à Rollinat, Papet, Boucoiran et Néraud et les Lettres d’un voyageur respirent un si sombre désespoir, un si cuisant chagrin, un tel abattement qu’on ne peut douter de sa sincérité lorsqu’elle dit qu’elle devrait en finir au plus vite avec la vie, comme elle le déclare sans ambages à Boucoiran[370]. « La vie m’est odieuse, impossible et je veux en finir absolument avant peu… » La préoccupation de Pagello, qu’elle avait laissé seul à Paris, la tourmentait aussi. Elle supplie Boucoiran d’avoir soin de lui et de sa santé. « Il a peut-être besoin d’argent, mais il n’en acceptera jamais d’une femme, même comme prêt »… écrit-elle au même Boucoiran, le 10 septembre[371]. Il faut donc qu’il arrange cette affaire, mais sans que Pagello sache que l’argent vient d’elle. Elle demande de lui persuader de venir à Nohant, mais elle ne se résout point, on ne sait pourquoi, à lui écrire, tout inquiète qu’elle soit de pas recevoir de lui les lettres qu’il avait promis de lui adresser. Elle va dans sa sollicitude, jusqu’à prier Boucoiran de faire loger dans la chambre voisine de celle de Pagello, une bonne ou la cuisinière Adèle Lacouture, pour qu’il ne fût pas seul s’il tombait malade. Mais Pagello, malgré sa modestie et sa prétendue médiocrité, n’était pas de ces hommes qui permettent à des étrangers, et surtout à des femmes de s’occuper de leur personne. Il ne parvint pas, il est vrai, à accepter avec la générosité de Musset, le refroidissement de George Sand à son égard. Pendant qu’elle était encore à Paris, il lui faisait de violents reproches et se montrait si jaloux qu’il alla jusqu’à décacheter une de ses lettres. Mais quand il comprit que son rôle était fini, il ne permit plus, dans sa fierté, que George Sand se préoccupât de lui et rompit court et net avec elle. Tout ce que disent sur son départ Lindau et Arvède Barine, n’est pas exact. Non seulement Pagello ne fut pas « immédiatement expédié » à Venise, mais il ne rentra même pas de sitôt dans ses foyers. Abandonné par Aurore Dudevant, il se tourna vers la seule maîtresse qui console toujours ses fidèles adorateurs, — la science, et, en elle, il trouva affectivement la consolation qu’il cherchait. Profitant de son séjour à Paris, il se mit sérieusement à suivre les cours de chirurgie dont les différentes branches l’intéressaient particulièrement, et s’enrichit de connaissances qui firent de lui, dans la suite, un des premiers chirurgiens de l’Italie (il se distingua surtout par des opérations de lithotritie). Après avoir terminé ses études, il partit comme il était venu, presque sans le sou. Toute sa vie il a gardé saintement le secret de son amour ; pas une seule fois il ne répondit aux articles écrits sur son compte, et que ne disait-on pas cependant de lui, dans la presse italienne, française ou étrangère ? Ce ne fut qu’en 1881, lorsque M. Barbiera remit au jour sa Serenata qui donna naissance, dans la presse italienne, à toute une littérature sur le voyage de George Sand à Venise, que, sur les instances pressantes de ses amis, Pagello consentit enfin à écrire et à publier dans le Corriere della Serra et dans la Provincia di Belluno, les lettres dont nous avons reproduit quelques fragments.

Revenons à Musset et à George Sand. Pendant qu’elle se tourmentait et se chagrinait à Nohant, Musset était en train de se reposer à Bade. Mais c’est bien en vain que son frère le biographe essaie de nous faire croire que le cœur du poète s’était déjà définitivement calmé. Ses lettres à George Sand nous disent le contraire ; malheureusement tout ce qui subsiste de leur texte n’a pas encore été publié intégralement jusqu’ici, et Grenier, Arvède Barine, Ducamp, Mariéton ne nous en donnent que des fragments. Elles forment tout un poème d’amour, poème qu’on ne peut lire sans une profonde émotion et une vive sympathie. Ces pages respirent tout à la fois une passion brûlante, douloureuse et une profonde tendresse. Des paroles enflammées, insensées se mêlent à ces gracieux enfantillages qui accompagnent toujours un amour sincère. Musset accable George Sand de lettres, implore son amour, promet de tout oublier, se dit indifférent au fait qu’elle en aime un autre, qu’il se moque bien de tous ces fantômes du devoir, de toutes les phrases, mais qu’il y a cinq cents lieues entre eux ; voilà ce qui importe, car il ne sait qu’une chose, c’est qu’il l’aime, qu’il l’aime, qu’il en dépérit, qu’il meurt de cet amour, qu’il a soif d’elle. George Sand redoutant de croire à ce renouveau de bonheur, avait peur de capituler ; mais sa première lettre à Boucoiran qui suit celle du 10 septembre dont nous avons donné des fragments, lettre datée du 13 septembre, nous montre le changement survenu dans son esprit. Pas trace de chagrin ni de désespoir. Pleine de verve et d’entrain, elle finit par ces mots : « Adieu, nous nous reverrons bientôt. Donnez-moi des nouvelles de notre ami. Trouvez-moi une servante… »

Le mois de septembre se passa encore en tiraillements mutuels et en souvenirs dont l’un et l’autre savouraient le poison. Enfin, au commencement d’octobre, George Sand arriva à Paris, et tout fut oublié, hors l’amour ! Mais ce ne fut pas pour retrouver la joie que se reprirent les malheureux amants. L’ancien bonheur était empoisonné par d’affreux souvenirs, il était souillé et mutilé. Leur nouvelle liaison ramena les extravagances d’autan, les anciennes souffrances, les querelles, les reproches, les réconciliations ; mais la première union des deux âmes était à tout jamais rompue. Leur vie n’était plus supportable. Leur dignité faisait naufrage au milieu de ces humiliations perpétuelles, de ces injures, de ces repentirs poignants et de ces réconciliations bientôt suivies de nouveaux orages. Musset se fatigua et rompit le premier, après quoi, comme ils en avaient l’habitude, ils crurent nécessaire d’instruire leurs confidents respectifs de leur rupture : lui, Tattet ; elle, Sainte-Beuve. Ceci se passait en novembre ; George Sand retourna à Nohant. Il leur sembla à tous deux que c’était définitivement bien fini entre eux ; l’un et l’autre étaient mortellement fatigués. George Sand n’était pas seulement persuadée que c’était la fin, elle voulait encore le persuader à ses amis. Elle écrivait le 14 décembre à Boucoiran : … « Si vous savez quelque chose de désagréable pour moi, ne m’en avertissez pas. Comme je ne retomberai pas dans ce malheureux amour, il est inutile que mes souffrances soient augmentées[372]… »

Un peu avant cela, le 6 décembre, avec plus de détachement encore, elle parlait de son amour comme d’une chose absolument finie. Mais lorsqu’à la fin de décembre elle retourna à Paris, toutes ses belles résolutions s’évanouirent comme une fumée. Cet amour qui, à Nohant, lui paraissait un martyre insupportable, et dont elle semblait heureuse de se voir libérée, lui semblait à présent le paradis perdu, le seul bonheur de sa vie ; — avec lui — tout ; sans lui — rien ! C’est Musset maintenant qui refuse de la voir. Elle ne peut s’en consoler ; son désespoir n’a pas de bornes ; épuisée, malade, jour et nuit sans repos, elle ressemble à un spectre ; à son tour, elle est folle d’amour, elle le supplie de lui accorder une entrevue, de lui rendre son ancien bonheur[373]. Ne sachant comment prouver sa sincérité, elle coupa ses admirables cheveux que Musset avait tant aimés, et les lui envoya. Lorsque Musset, en ouvrant le paquet, vit coupées ces lourdes boucles noires qu’il avait si souvent baisées, il fondit en larmes et… le 14 janvier. George Sand ne se refuse pas le triomphe d’écrire à Tattet : « Alfred est redevenu mon amant. »

Musset, on le voit, s’était abusé sur lui-même, en assurant que tout était fini chez lui : le vieil amour couvait toujours en son cœur.

Mais ce fut là le dernier et le plus affreux accès de leur maladie. Toutes les scènes orageuses qui se passèrent entre eux, les folles caresses et les épouvantables querelles précédentes ne sont rien en comparaison de ce qui se produisit dans le courant de ce mois de janvier 1835. Tous deux, n’en pouvaient plus de ces humiliations perpétuelles, de ces réconciliations, de ces vains efforts pour s’aimer, « saintement », de l’impuissance de croire mutuellement l’un en l’autre et de vivre dans l’union de leurs âmes. De leur amour il ne leur restait que la passion. Les amis d’autrefois avaient complètement cessé de se comprendre, ils avaient fini par se convaincre qu’ils étaient deux êtres absolument dissemblables, que leur vie à deux n’était plus possible. Seulement, ils ne savaient comment rompre.

Cette fois ce fut George Sand qui prit l’initiative de la rupture. Voici la curieuse lettre qu’elle écrivit à Boucoiran le 6 mars 1835 :

Mon ami, aidez-moi à partir aujourd’hui. Allez au courrier à midi et retenez-moi une place. Puis venez me voir. Je vous dirai ce qu’il faut faire.

Cependant si je ne peux pas vous le dire, ce qui est fort possible, car j’aurai bien de la peine à tromper l’inquiétude d’Alfred, je vais vous l’expliquer en quatre mots. Vous arriverez à cinq heures chez moi et, d’un air empressé et affairé, vous me direz que ma mère vient d’arriver, qu’elle est très fatiguée et assez sérieusement malade, que sa servante n’est pas chez elle, qu’elle a besoin de moi tout de suite et qu’il faut que j’y aille sans différer. Je mettrai mon chapeau, je dirai que je vais revenir, et vous me mettrez en voiture. Venez chercher mon sac de nuit dans la journée. Il vous sera facile de l’emporter sans qu’on le voie, et vous le porterez au bureau. Faites-moi arranger le coussin de voyage que je vous envoie. Le fermoir est perdu. Adieu, venez tout de suite si vous pouvez. Mais si Alfred est à la maison, n’ayez pas l’air d’avoir quelque chose à me dire. Je sortirai dans la cuisine pour vous parler[374].

Tout se fit comme George Sand l’avait arrangé : le 9 mars, Musset écrit à Boucoiran :

Monsieur,

Je sors de chez Mme Sand et on m’apprend qu’elle est à Nohant. Ayez la bonté de me dire si cette nouvelle est vraie. Comme vous avez vu Mme Sand ce matin, vous avez pu savoir quelles étaient ses intentions, et, si elle ne devait partir que demain, vous pourriez peut-être me dire si vous croyez quelle ait quelques raisons pour désirer de ne point me voir avant son départ. Je n’ai pas besoin d’ajouter que dans le cas ou cela serait, je respecterais ses volontés.

Alfred de Musset[375]

Le 9 mars, George Sand écrit de Nohant à Boucoiran :

Mon ami,

Je suis arrivée en bonne santé et nullement fatiguée à Châteauroux, à trois heures de l’après-midi. J’ai vu, hier, tous nos amis de la Châtre. Rollinat est venu avec moi, de Châteauroux. J’ai dîné avec lui chez Duteil. Je vais me mettre à travailler pour Buloz. Je suis très calme. J’ai fait ce que je devais faire. La seule chose qui me tourmente, c’est la santé d’Alfred. Donnez-moi de ses nouvelles, et racontez-moi, sans y rien changer et sans en rien atténuer, l’indifférence, la colère ou le chagrin qu’il a pu montrer en recevant la nouvelle de mon départ. Il m’importe de savoir la vérité, quoique rien ne puisse changer ma résolution. Donnez-moi aussi des nouvelles de mes enfants. Maurice tousse-t-il toujours ? Est-il rentré guéri dimanche soir ? Solange toussait aussi un peu[376].


En partant, George Sand charge Boucoiran de remettre « un paquet » à Musset. Il contenait ce journal qu’elle avait écrit dans le courant de l’hiver, pendant qu’elle était séparée d’Alfred, et qui contenait sa confession. Elle la faite avec une sincérité extraordinaire, et parle de son amour pour Musset dans les termes les plus ardents, les plus insensés et tout palpitants de passion. Chaque ligne y pire la douleur du bonheur perdu, est pleine d’une souffrance cuisante et d’une profonde tendresse. Nous avons déjà parlé de ce journal[377]. Paul de Musset en a certainement profité pour son roman, cela ne fait honneur ni à lui, ni à Alfred, qui l’avait si mal gardé.

Il semble que Boucoiran, pour avoir aidé les deux amants à se séparer l’un de l’autre, se soit cru en droit de condamner Musset ou de dire, du moins, tout ce qu’il pensait de lui. Pour répondre à la question de George Sand, il avait parlé en termes peu flatteurs de Musset, car voici ce qu’elle lui écrivit le 15 mars[378] :

Mon ami,

Vous avez tort de me parler d’Alfred. Ce n’est pas le moment de m’en dire du mal, je n’ai que trop de force, et si ce que vous en pensez était juste, il faudrait me le taire. Mépriser est beaucoup plus pénible que regretter. Au reste ni l’un ni l’autre ne m’arrivera. Je ne puis regretter la vie orageuse et misérable que je quitte, je ne puis mépriser un homme que sous le rapport de l’honneur je connais aussi bien. J’ai bien assez de raisons pour le fuir, sans m’en créer d’imaginaires. Je vous avais prié seulement de me parler de sa santé et de l’effet que lui ferait mon départ. Vous me dites qu’il se porte bien et qu’il n’a montré aucun chagrin. C’est tout ce que je désirais savoir, et c’est ce que je puis apprendre de plus heureux. Tout mon désir était de le quitter sans le faire souffrir. S’il en est ainsi, Dieu soit loué. Ne parlez de lui avec personne, mais surtout avec Buloz. Buloz juge fort à côté de toutes choses et de plus il répète immédiatement aux gens le mal qu’on dit d’eux et celui qu’il en dit lui-même. C’est un excellent homme et un dangereux ami. Prenez-y garde, il vous ferait une affaire sérieuse avec Musset, tout en vous encourageant à mal parler de lui. Je me trouverais mêlée à ces cancans et cela me serait odieux. Ayez une réponse prête à toutes les questions : « Je ne sais pas. » C’est bientôt dit et ne compromet personne[379].

Il ressort clairement de tout cela, que George Sand, tout en reconnaissant que sa liaison avec Musset ne devait se prolonger, ne pouvait cependant cesser de l’aimer et de l’estimer comme homme, comme une belle âme, ni entendre mal parler de lui, ni souffrir qu’on le condamnât. Déjà un an auparavant, le 17 juillet 1834, lorsque Musset quitta Venise, Boucoiran s’était permis une phrase irrévérencieuse sur son compte, George Sand lui répondit alors : « Les causes qui pouvaient livrer ma vie au hasard sont à jamais détruites. J’en ai fini avec les passions. La dernière est celle qui m’a fait le plus de mal, mais c’est la seule, dont je ne me repente pas, car il n’y a eu dans mes chagrins ni de ma faute, ni de celle d’autrui. Vous dites que vous ne l’approuvez pas, mon ami. Il y a tant de choses entre deux amants dont eux seuls au monde peuvent être juges !… » Cette dernière phrase devrait toujours être présente à tous ceux qui jugent bon d’accuser tantôt l’une, tantôt l’autre des deux parties de ce triste roman. Musset, de son côté, garda non seulement dans le fond de son âme le souvenir de sa bien-aimée, mais se mit à exécuter le « monument » qu’il avait rêvé « de lui élever », comme il le lui disait dans une lettre de l’année précédente : « Je m’en vais faire un roman… J’ai bien envie d’écrire notre histoire. Il me semble que cela me guérirait et m’élèverait le cœur. Je voudrais te bâtir un autel fut-ce avec mes os » !… Et encore : « … Mais je ne mourrai pas, moi, sans avoir fait un livre sur moi et sur toi (sur toi surtout). Non, ma belle, ma sainte fiancée, tu ne te coucheras pas dans cette froide terre sans qu’elle sache qui elle a porté. Non, non, j’en jure par ma jeunesse et par mon génie, il ne poussera sur ta tombe que des lis sans tache. J’y poserai de ces mains que voilà ton épitaphe en marbre plus pur que les statues de nos gloires d’un jour. La postérité répétera nos noms comme ceux de ces amants immortels, qui n’en ont plus qu’un à eux deux, comme Roméo et Juliette, comme Héloïse et Abélard. On ne parlera jamais de l’un sans parler de l’autre. Ce sera là un mariage plus sacré que ceux que font les prêtres, le mariage impérissable et chaste de l’intelligence… Je terminerai ton histoire par mon hymne d’amour[380]… »

Si avant cela déjà, Musset et George Sand, obéissant à la tendance, bien commune à tous les poètes, avaient exhalé leurs souffrances, l’un dans les Nuits, l’autre dans les Lettres d’un Voyageur, œuvres purement lyriques, à présent Musset mit consciemment à exécution son projet d’écrire un livre sur lui et sur elle. En 1836 parut la Confession d’un enfant du siècle, qui est la « version » donnée par Musset de leur commune histoire. Le lecteur se rappelle sans doute aussi l’Hymne d’amour, qui termine la troisième partie du livre ; jamais, peut-être, l’amour triomphant ne s’est exhalé en plus enthousiastes paroles que par les lignes si célèbres, qui commencent le chapitre xi : « Ange éternel des nuits heureuses, qui racontera ton silence ? Ô baiser ! mystérieux breuvage, que les lèvres se versent comme des coupes altérées… »

Nous parlerons plus loin de la Confession, comme des autres œuvres de Musset et de George Sand, qui sont écloses ou ont été écrites sous l’influence que les deux poètes ont exercée l’un sur l’autre.

Citons maintenant ce que George Sand écrit à Mme d’Agoult, après avoir lu le livre qui lui avait été envoyé par Alfred lui-même avec quelques mots de dédicace. Nous avons déjà fait, plus haut, mention de cette lettre du 25 mai, insérée dans la Correspondance, mais où ces lignes, qui concernent Musset, ont été omises à dessein : « Je vous dirai que cette Confession d’un enfant du siècle m’a beaucoup émue en effet. Les moindres détails d’une intimité malheureuse y sont si fidèlement rapportés depuis la première heure jusqu’à la dernière, depuis la sœur de charité jusqu’à l’orgueilleuse insensée, que je me suis mise à pleurer comme une bête, en fermant le livre. Puis, j’ai écrit quelques lignes à l’auteur pour lui dire je ne sais quoi : que je l’avais beaucoup aimé, que je lui avais tout pardonné, et que je ne voulais jamais le revoir… Je sens toujours pour lui, je vous l’avouerai bien, une profonde tendresse de mère au fond du cœur. Il m’est impossible d’entendre dire du mal de lui sans colère. »

D’un côté, comme de l’autre, il n’y avait, comme on le voit, rien d’hostile. Musset et George Sand continuèrent, après cela, non seulement à s’écrire, ou à se charger mutuellement de quelque affaire pour rendre service à quelque ami respectif, mais ils se virent même quelquefois. Ainsi, par exemple y le chansonnier saint-simonien Vinçard nous raconte dans ses Mémoires[381], que, lorsque George Sand assista, en 1836, à une des réunions saint-simoniennes, elle était accompagnée par Alfred de Musset.

Les bons amis (?!) faisaient néanmoins tous leurs efforts pour semer la discorde entre eux, quoi que fissent George Sand et Musset, pour se défendre l’un l’autre contre les médisances et les calomnies. Le 19 avril 1838, George Sand écrit à Musset :

Mon cher Alfred,

(Un premier paragraphe a trait à une personne qu’il lui avait recommandée.)

Je n’ai pas compris le reste de ta lettre. Je ne sais pas pourquoi tu me demandes si nous sommes amis ou ennemis. Il me semble que tu es venu me voir l’autre hiver[382] — (donc en 1837 ils se sont encore vus), et que nous avons eu six heures d’intimité fraternelle, après lesquelles il ne faudrait jamais se mettre à douter l’un de l’autre, fût-on dix ans sans se voir et sans s’écrire, à moins qu’on ne voulût aussi douter de sa propre Sincérité ; et, en vérité, il m’est impossible d’imaginer comment et pourquoi nous nous tromperions l’un l’autre à présent…


Les années se suivaient, les anciennes blessures ne saignaient plus et se cicatrisaient ; de nouvelles amours faisaient oublier l’amour d’autrefois, la vie désunissait de plus en plus les anciens amants.

Ils se voyaient de moins en moins souvent et tout à fait fortuitement. En 1841, traversant la forêt de Fontainebleau, pour se rendre à la campagne, chez Berryer, Musset repassa avec une joie amère les heureux souvenirs de l’automne de 1833. À peine de retour à Paris, il rencontra George Sand au théâtre. Ses vers charmants : Le Souvenir, sont dus à cette simple coïncidence.

Les deux anciens amis se revirent pour la dernière fois en 1848[383].

C’est en cette année que finirent leurs relations personnelles, mais non l’histoire de leur amour, qui, de la vie réelle, allait passer dans la littérature. À son tour, ce roman vécu a lui-même aujourd’hui toute une histoire, que nous allons raconter, en exposant en même temps l’influence réciproque que les deux écrivains ont exercée l’un sur l’autre, et en analysant les « Nouvelles Vénitiennes » de George Sand.


CHAPITRE IX


La correspondance entre les deux poètes et son histoire. — La Confession d’un Enfant du siècle. — Elle et Lui. — Lui et Elle. — La préface de Jean de la Roche. — Influence réciproque. — Quelques pièces de vers. — Lettres d’un Voyageur. — Aldo le Rimeur. — Gabriel. — Leone Leoni. — L’Uscoque. — Mattéa. — Les Maîtres mosaïstes. — La dernière Aldini. — Le Secrétaire intime. — L’Orco.


À peine les deux amants de Venise s’étaient-ils quittés définitivement, que se présenta la question qui semble de rigueur en ces sortes de ruptures : celle de la restitution des lettres. En 1836 George Sand demanda, par l’intermédiaire de la comtesse d’Agoult, à Musset, de lui rendre les siennes[384]. On ne sait pourquoi cet échange n’eut pas lieu. En 1840 George Sand exprima une fois encore le désir de reprendre ses lettres. Musset s’empressa de remplir son désir, mais sans lui faire savoir qu’il avait dû réclamer ce journal et quelques-unes de ces lettres (celle de Venise du 11 avril entre autres) à Mme Jaubert, bien connue sous le nom de la « marraine » de Musset, mais qui lui fut, en réalité, beaucoup plus proche.

Pourquoi Musset avait-il mis ses lettres et ce journal intime entre les mains de cette dame[385] ? On ne le comprend pas trop ; mais un fait certain, c’est que durant toute la nuit qui suivit la demande que Musset avait faite de lui renvoyer ces documents, Mme Jaubert, et sa fille — la comtesse de Lagrange — et même la femme de chambre de Mme Jaubert, n’eurent rien de plus pressé que de prendre une copie du journal. Dans la matinée on remit le tout à Musset, qui le transmit à Gustave Papet, l’ami désigné par George Sand.

Mme Jaubert cacha à Musset qu’une copie était restée entre ses mains ; Musset, de son côté, trouva inutile de prévenir George Sand que le journal avait été pendant quelque temps en d’autres mains que les siennes. Dans la suite, cette copie ayant servi à en faire d’autres, tomba entre les mains de Paul de Musset, et c’est ainsi que le secret fut violé et que ce qui avait été intime, fut révélé au public. Mais en passant de main en main, de bouche en bouche, l’histoire vraie fut défigurée par des exagérations involontaires ou préméditées, par des altérations où par le mensonge, jusqu’à ce qu’enfin ce récit sincère, ce chant d’amour blessé commençât, pour ainsi dire, aux yeux de ceux qui n’avaient pas vu le journal même, qui ne le connaissaient que par des ouï-dire, à passer pour un acte d’accusation porté par George Sand contre elle-même. Paul de Musset s’en servit plus tard avec un manque de conscience tout à fait exceptionnel. Pour montrer à nos lecteurs à quel point Alfred de Musset connaissait l’absence de bonne foi de son frère, il nous suffira de rappeler les paroles que, d’après une lettre de George Sand à Sainte-Beuve, il adressa à Papet à l’occasion des pourparlers auxquels donna lieu cette correspondance : « Il n’y a qu’une chose que j’exige de vous : donnez-moi votre parole d’honneur que jamais vous ne remettrez rien à mon frère… » Après cela, que les lecteurs, les biographes et les critiques aient foi encore, au dire de Paul de Musset, comme biographe, avocat de son frère et historien (!) Qu’ils relisent trois fois ces paroles remarquables d’Alfred de Musset, et nous leur demanderons s’ils peuvent encore considérer tout ce que raconte ce frère, comme la vérité vraie !

Quoi qu’il en soit, Musset et George Sand remirent leurs lettres à Papet, qui les cacheta dans des enveloppes semblables ; mais, on ne sait pourquoi, il ne les transmit pas tout de suite à leurs auteurs respectifs. Il se passa ainsi sept ou huit ans, et de nouveau surgit la question de l’échange des lettres. Papet ne put dire laquelle des enveloppes contenait les lettres d’elle et laquelle renfermait celles de Musset. L’on souleva la question de savoir si l’on se réunirait à Paris : M. Grévy au nom de Musset, Rollinat pour George Sand — avec Papet — pour ouvrir à trois les enveloppes et remettre les lettres à leurs auteurs. Mais l’un d’eux manqua au rendez-vous, les lettres restèrent encore chez Papet. Cependant Alfred de Musset étant mort en 1857, Papet remit les deux paquets à George Sand[386] Paul de Musset lui réclama les lettres de son frère. Elle répondit (remarquons que les deux lettres, celle de Paul de Musset et la réponse de George Sand sont encore tout amicales) qu’elle ne pouvait le faire (il va sans dire qu’elle agissait ainsi par suite de la recommandation d’Alfred citée plus haut), mais que si Paul voulait venir tel jour à Nohant, ils brûleraient ensemble les deux paquets. Paul de Musset promit, mais ne vint pas. George Sand lui écrivit alors le 18 mars 1859 : « Si je les ai brûlées sans vous, c’est votre faute[387]… » Comme on le verra, elle ne les brûla cependant pas, et l’affaire, pour le moment, en resta là.

Mais la mort de l’homme autrefois aimé, son souvenir constamment rappelé dans les conversations du moment et dans la presse, toute remplie de récits et de notices consacrés au poète, tout cela fit revivre en la mémoire et en l’âme de George Sand les années d’autrefois, l’ancien amour, la vieille douleur. S’en souvenant, analysant en son for intérieur tout le passé et désireuse de s’expliquer ce qui lui avait paru jusque-là inexplicable et incompréhensible ; occupée longtemps à se demander amèrement pourquoi leur amour avait fini si tristement après avoir si joyeusement commencé, George Sand fut aisément portée à écrire, de son côté, un roman basé sur les mêmes données psychologiques qui avaient servi de point de départ à Alfred de Musset dans la Confession d’un enfant du siècle. Elle écrivit Elle et Lui.

Si dans plusieurs des œuvres de George Sand, écrites entre 1833 et 1839, on entend parfois les échos de son amour pour Musset et si l’on y trouve aussi des réminiscences du voyage à Venise — reflet involontaire de son état d’esprit d’alors — en 1858, lorsqu’elle écrivit Elle et Lui, elle était déjà bien loin de ce qui s’était passé vingt-cinq ans auparavant : elle était à même de traiter avec calme cet épisode comme un simple thème pris au hasard pour une étude psychologique. C’est là une chose qui paraîtra bien simple à tout lecteur impartial d’aujourd’hui. Mais en 1859, le public, trop au courant du roman vécu par les deux écrivains, chercha comme toujours, et avant tout, dans Elle et Lui un roman à clef ; il espéra y trouver des révélations et des faits véridiques ; le côté artistique du livre lui importait peu. Le public, — à part de rares exceptions, — s’intéresse partout et toujours à ce qui est écrit, et non à la manière dont un livre est écrit ; il n’admire que difficilement un chef-d’œuvre littéraire ou un tableau représentant un scélérat, un personnage laid ou banal ; avant tout et toujours il cherche ; 1o la clef du roman ou du tableau ; 2o le joli ; et 3o la morale de la fable. Seuls les artistes apprécient comment une chose est faite ; lui, public, ne s’en soucie pas. Lorsque parut Elle et Lui les lecteurs n’eurent qu’une voix pour prétendre que George Sand s’était peinte dans son roman, ainsi que Musset. Les amis de Musset, son frère surtout, virent dans cette œuvre le désir prémédité de George Sand de dénigrer celui qui venait à peine de mourir. Le frère s’empressa d’y répondre par un pamphlet odieux, Lui et Elle, qui fit en son temps, beaucoup de bruit et qui de nos jours encore est souvent considéré comme une « révélation » de la vérité[388]. Si elle l’avait voulu, George Sand eût pu, à l’apparition du livre, poursuivre Paul de Musset pour calomnie devant les tribunaux, mais elle se contenta, en publiant à la fin de la même année Jean de la Roche, de faire précéder le roman d’une préface très remarquable, qui était à la fois sa réponse à l’indigne sortie de Paul de Musset, et l’expression de ses convictions littéraires. Après avoir dit quelques mots sur les habitants d’une certaine ville de France, qui s’étaient reconnus soi-disant comme les habitants d’une ville imaginaire, la Faille-sur-Gouvre, qu’elle avait dépeinte dans le roman de Narcisse, elle dit : « Nous ne parlerions pas de ces incidents comiques, accessoires obligés de toute publication de ce genre, offrant un caractère de réalité quelconque, si, à propos d’un autre roman, publié, il y a un an bientôt, dans la Revue des Deux-Mondes, un incident analogue n’eût pris, sous le stimulant de la haine ou de la spéculation (nous aimons mieux croire à la haine, bien que rien ne nous l’explique), des proportions, je ne dirai pas plus fâcheuses pour l’écrivain dont il s’agit, mais beaucoup plus indécentes par elles-mêmes et véritablement indignes de la Faille-sur-Gouvre, car à la Faille-sur-Gouvre, on n’est qu’ingénu, tandis que, dans de plus grands centres de civilisation, on est hypocrite et on couvre une affaire de rancune ou de boutique des fleurs et des cyprès du sentiment[389] ».

« Sans nous occuper ici d’une tentative déshonorante pour ceux qui l’ont faite, pour ceux qui l’ont conseillée en secret et pour ceux qui l’ont approuvée, publiquement, sans vouloir en appeler à la justice des hommes pour réprimer un délit bien conditionné d’outrage et de calomnie, répression qui nous serait trop facile, et qui aurait l’inconvénient d’atteindre, dans la personne des vivants, le nom porté par un mort illustre, nous essayerons de trancher à notre point de vue une question qui a été soulevée à propos de cet incident, et qui peut être discutée sans amertume… »

Après avoir analysé les opinions opposées, mais également répandues, — l’une exigeant que l’auteur ne dépeigne que ce qu’il a vécu lui-même, et l’autre au contraire n’admettant que des sujets inventés, — George Sand pose la question suivante : « Faut-il être artiste pour soi tout seul dans la vie murée, ou faut-il l’être au profit des autres, en rase campagne, en dépit des amertumes de la célébrité ?… »

Elle répond à cette question affirmativement et tout en signalant les péripéties qui accompagnent toujours la carrière d’un écrivain qui désirerait transmettre aux autres non seulement son art, mais aussi son expérience psychologique, elle continue : « On peut même être femme et ne pas se sentir atteinte par les divagations de l’ivresse ou les hallucinations de la fièvre, encore moins par les accusations de perversité qui viennent à l’esprit de certaines gens habitués à trop vivre avec eux-mêmes… » L’artiste, selon George Sand, peut et doit profiter de ce qu’il a personnellement vécu ; son goût artistique et le respect des autres doivent le guider : le goût et le respect des autres, doivent également guider la critique dans l’analyse qu’elle fait des œuvres d’art. Si la critique s’abaisse jusqu’au métier d’agent de police pour savoir de qui l’on a fait le portrait, elle est brutale, inconvenante ; lorsqu’elle dévoile ce que le public n’aurait jamais appris sans elle, elle est maladroite ; ceux qui livrent au public des révélations qui ne lui étaient pas destinées, lui rendent un mauvais service. « … On peut et on doit dire aux écrivains : Respectez le vrai, c’est-à-dire ne le rabaissez pas au gré de vos ressentiments personnels ou de votre incapacité fantaisiste ; apprenez à bien faire, ou taisez-vous ; » et au public : « Respectez l’art : ne l’avilissez pas au gré de vos préventions inquiètes ou de vos puériles curiosités ; apprenez à lire, ou ne lisez pas. »

« Quant aux malheureux esprits qui viennent d’essayer un genre nouveau dans la littérature et dans la critique en publiant un triste pamphlet, en annonçant à grand renfort de réclames et de déclamations imprimées que l’horrible héroïne de leur élucubration était une personne vivante dont il leur était permis d’écrire le nom en toutes lettres, et qui lui ont prêté leur style en affirmant qu’ils tenaient leurs preuves et leurs détails de la main d’un mourant, le public a déjà prononcé que c’était là une tentative monstrueuse dont l’art rougit et que la vraie critique renie, en même temps que c’était une souillure jetée sur une tombe.

« Et nous disons, nous, que le mort illustre renfermé dans cette tombe se relèvera indigné quand le moment sera venu. Il revendiquera sa véritable pensée, ses propres sentiments, le droit de faire lui-même la fière confession de ses souffrances et de jeter encore une fois vers le ciel les grands cris de justice et de vérité qui résument la meilleure partie de son âme et la plus vivante phase de sa vie. Ceci ne sera ni un roman, ni un pamphlet, ni une délation. Ce sera un monument écrit de ses propres mains[390] et consacré à sa mémoire par des mains toujours amies. Ce monument sera élevé quand les insulteurs se seront assez compromis. Les laisser aller dans leur voie est la seule punition qu’on veuille leur infliger. Laissons-les donc blasphémer, divaguer et passer.

« Quelques amis ont reproché à l’objet des ces outrages de les recevoir avec indifférence ; d’autres lui conseillaient, il est vrai, de ne pas s’en occuper du tout. Réflexion faite, il a jugé devoir s’en occuper en temps et lieu ; mais il n’était guère pressé. Il était en Auvergne, il y suivait les traces imaginaires des personnages de son roman nouveau à travers les sentiers embaumés, au milieu des plus belles scènes du printemps. Il avait bien emporté le pamphlet pour le lire, mais il ne le lut pas. Il avait oublié son herbier, et les pages du livre infâme furent purifiés par le contact des fleurs du Puy-de-Dome et du Sancy. Suaves parfums des choses de Dieu, qui pourrait nous préférer le souvenir des fanges de la civilisation ? »

On ne sait si réellement George Sand n’avait pas lu Lui et Elle, mais il est évident qu’elle songea dès lors à profiter pour sa défense de sa correspondance authentique avec Musset. Un an plus tard, elle s’adressa à Sainte-Beuve, son confident d’autrefois, en lui demandant s’il trouvait possible et nécessaire de publier ces lettres. Elle les avait copiées[391], triées et arrangées pour l’impression et envoyées à Sainte-Beuve par l’intermédiaire de M. Émile Aucante, alors son secrétaire. En même temps, elle écrivit à Sainte-Beuve deux longues lettres où elle raconte en détail toute l’histoire de l’échange non effectué de ces lettres. Ce sont celles du 20 janvier et du 6 février 1861, dont nous avons déjà fait mention. Sainte-Beuve, toujours très occupé, chargea son secrétaire du soin d’examiner la double correspondance. Celui-ci trouva les lettres par trop romantiques et surtout sentant trop leur 1830, et déconseilla momentanément de les imprimer. Mais George Sand ne démordit pas de sa résolution de faire un jour parler la vérité, et, jusqu’à sa mort, manifesta plusieurs fois son vif désir de voir publier cette correspondance. Dans ce but, elle transmit l’original des lettres, et les deux copies qui en furent faites à MM. Alexandre Dumas[392], Noël Parfait et Émile Aucante. Ces Messieurs firent un arrangement en vertu duquel la copie, appartenant à celui d’entre eux qui mourrait le premier, reviendrait aux survivants qui pourraient alors choisir quelqu’un pour troisième exécuteur testamentaire, et en cas de mort des trois fondés de pouvoir, les trois manuscrits seraient déposés à la Bibliothèque Nationale. En 1881, immédiatement après la mort de Paul de Musset et la publication du premier volume de la Correspondance de George Sand, dans laquelle il ne se trouvait aucune de ses lettres à Musset, des voix s’élevèrent, réclamant enfin l’impression de cette correspondance authentique au lieu de quelques copies tronquées qui circulaient dans le public et auxquelles on ne pouvait guère ajouter foi. Mais d’autres voix protestèrent. La polémique éclata sur toute la ligne : les uns criaient pour, les autres contre, les uns et les autres apportant à l’appui de leur opinion des motifs fort sérieux. La question des droits d’auteur et des droits des héritiers vint encore compliquer l’affaire. Récemment, nous avons vu la même chose se répéter encore une fois[393]. Ce n’est qu’il y a deux ans que M. Aucante fit enfin paraître dans la Revue de Paris les lettres de George Sand à Musset et que MM. de Spoelberch, Clouard, Cabanès, Mariéton, Rocheblave et d’autres ont cité une série de fragments et d’extraits des lettres de Musset, parfois des lettres entières, et des passages du Journal de George Sand et de Pagello. Ni les lettres de Musset ni le Journal de George Sand n’ont été jusqu’ici imprimés en entier. Il nous faudra patiemment attendre l’an de grâce 1907, où les lettres de Musset verront peut-être le jour, ou quelque circonstance favorable qui permettra enfin aux deux illustres morts de faire entendre leur voix et de nous dire toute la vérité. Cette vérité, comme nous le voyons dès à présent, par les lettres de George Sand et autres documents, sera de son côté et non de celui de Paul de Musset.

Passons maintenant aux œuvres de George Sand et de Musset se rapportant à cet épisode de leur vie, œuvres écrites à Venise, ou à celles encore portant la trace de l’influence mutuelle qu’ils ont exercée l’un sur l’autre. Ces œuvres peuvent se diviser en :

1° Œuvres purement lyriques (Lettres d’un voyageur de George Sand, les Nuits, le Souvenir, Après la lecture d’Indiana[394], Lettre à Lamartine, À mon frère revenant d’Italie), et cinq pièces de vers dédiées à George Sand par Alfred de Musset et se trouvant dans les lettres de Lui à Elle.

2° Œuvres écrites dans l’automne de 1833, en Italie en 1834, ou conçues lors de ce voyage (Jacques, Léone Léoni, André, le Secrétaire intime, toutes les nouvelles vénitiennes, c’est-à-dire : la Dernière Aldini, l’Orco, l’Uscoque, Mattea, Les Maîtres mosaïstes ;

3° La pièce ébauchée et inédite de George Sand : Une Conspiration à Florence (qui n’est autre chose que le prototype de Lorenzaccio de Musset)[395], Aldo le Rimeur, Gabriel, plusieurs poésies burlesques de George Sand et de Musset, deux sonnets, dédiés par eux à Alfred de Vigny, le sonnet sur la Liberté de la Presse, le premier chapitre de la Confession d’un Enfant du siècle ; ce sont là, soit les œuvres où l’influence de ces deux poètes se fait le plus sentir, soit celles qui furent tout bonnement écrites à la même table ; enfin :

4° Toute la Confession d’un Enfant du siècle et Elle et Lui, — deux ouvrages formant comme la déduction finale et la conclusion des deux écrivains sur l’idée générale de leur commune histoire.

C’est d’après ces quatre groupes que nous examinerons les œuvres de George Sand sans nous en tenir à l’ordre chronologique et en nous bornant exclusivement, quant aux œuvres de Musset, à ce qui touche à notre sujet, sans nous laisser entraîner à l’analyse détaillée de ces œuvres. Cette analyse a déjà été faite avant nous, et certes mieux que nous ne la ferions, par Arvède Barine, Sainte-Beuve, Montégut et Lindau.

Il est à présumer que la plupart des lecteurs ignorent que George Sand a aussi écrit des vers, et cependant il en est ainsi. Quelques-unes de ses poésies ont été publiées de son vivant et font partie de ses œuvres, mais beaucoup d’autres n’ont jamais vu le jour. Le premier petit poème de George Sand fut la Reine Mab, qui n’est qu’une périphrase des lignes si célèbres de Shakespeare ; nous en avons déjà parlé plus haut. Lorsque, après la représentation de Chatterton, Planche eut injurieusement éreinté Alfred de Vigny dans son article, Musset et George Sand écrivirent et envoyèrent à l’auteur de Chatterton deux sonnets[396], les deux poètes protestèrent, chacun à sa manière, contre la critique de Planche. Le sonnet de Musset est plein de verve mordante et d’esprit caustique. George Sand proteste contre le verdict de Planche comme contenant une tentative d’analyser froidement les impressions des spectateurs. Nous avons pleuré, voilà le plus bel éloge de la pièce, dit-elle : analyser les larmes, c’est faire chose qui n’a pas le sens commun. Les ondes de l’Océan sont grandioses, mais si on les sèche et les analyse, il n’en restera plus qu’une poignée de sel.

L’automne de 1834, George Sand le passa, comme nous le savons, à Nohant, toute à son désespoir, cherchant l’oubli au milieu de ses enfants et de ses amis. Mais de temps à autre, il lui survenait comme toujours des périodes de réaction où, des journées durant, elle se livrait à une gaieté fébrile ou était capable des folies les plus puériles, s’amusant de tout, et riant à la moindre billevesée. Dans une de ces journées de gaieté nerveuse elle mit en vers, — en compagnie de plusieurs de ses amis, — l’enquête judiciaire faite, en sa qualité de maire, par Dudevant à propos de la découverte d’un cadavre dans un puits. Ces vers sont intitulés : Complainte sur la mort de François Luneau, dit Michaud. C’est une plaisanterie assez lourde écrite dans une langue burlesque, mi-patois, mi-style judiciaire. Elle fut imprimée à la Châtre et offre l’aspect d’une simple petite brochure. Au-dessus de la première ligne on lit : Air du maréchal de Saxe. Encore en 1833, Musset, lui aussi, avait écrit une complainte sur le même : Air du Maréchal de Saxe. C’étaient des vers satiriques et burlesques, racontant le duel tragi-comique de Planche et de Capo de Feuillide. Nous trouvons que les titres détaillés de ces deux Complaintes, que nous reproduisons en regard, sont assez éloquents pour n’être accompagnés d’aucun commentaire :

COMPLAINTE COMPLAINTE

Historique et véritable
sur le fameux duel qui a eu lieu
entre plusieurs
hommes de plume
très inconnus dans Paris
à l’occasion d’un livre
dont il a été beaucoup parlé
de différentes manières
ainsi qu’il est relaté dans la
présente complainte.

Air : de la complainte du maréchal
de Saxe.

Sur la mort
de François Luneau
dit Michaud
dédiée
à M. Eugène Delacroix
peintre en bâtiments
très connu dans Paris.

COMPLAINTE

Air du maréchal de Saxe.

Sur ce même « air du Maréchal de Saxe » Musset avait déjà écrit deux fois avant cela des couplets comiques, d’abord Le Songe du Reviewer, représentant, comme dans un kaléidoscope une série d’hommes de lettres d’alors et publié pour la première fois complet dans l’Intermédiaire des Chercheurs et Curieux[397]. Puis, une autre pièce de vers drôlatiques représentant tous les habitués de la mansarde du quai Malaquais — reproduits dernièrement par M. Maurice Clouard[398]… Lequel des deux écrivains avait conseillé à l’autre cet air pour mesure de son poème badin, le poète ou l’arrière-petite-fille du maréchal de Saxe, la chose est indifférente. Ce qui est important, c’est que malgré les assertions de Paul de Musset, que George Sand ne « pensait plus » au poète qu’elle « avait perfidement abandonné », que le poète lui-même avait oublié et maudit son amour malheureux, — ils continuaient à se souvenir. Ils s’associaient mutuellement à leur vie de tous les jours et même aux épisodes comiques qu’elle pouvait comporter. Mais il y avait eu un autre temps où, assis à la même table, ils travaillaient de concert, s’entr’aidant l’un l’autre, où George Sand savait intéresser Musset à des sujets à côté desquels il avait passé indifféremment jusqu’alors ; de son côté, il initiait George Sand, par la parole et par l’exemple, à comprendre que dans une œuvre d’art la forme n’est pas moins importante que le fond, et que particulièrement dans les œuvres littéraires il ne suffit pas à l’auteur d’être entraîné par son sujet, mais qu’il faut aussi se rendre maître de la forme et surtout de la langue, qu’il vaut mieux être avare que prodigue, plutôt trop bref que prolixe et, par-dessus tout, sobre et exact dans le choix des expressions et des mots. Paul de Musset essaye d’insinuer que George Sand n’avait jamais pu pardonner à Musset d’avoir effacé, sur l’exemplaire d’Indiana qu’elle lui avait offert, tous les adjectifs superflus, donnant par là à George Sand une leçon de modération, de sobriété de forme et de langue littéraire. Nous sommes convaincu que George Sand était bien loin de cette mesquine susceptibilité d’amour-propre. Nous savons tout au contraire que, sous ce rapport, elle était même trop modeste[399]. Et quant au temps où elle travaillait avec Musset, elle ne s’en souvenait qu’avec une reconnaissance fort émue. Qui ne se rappelle la page des Lettres d’un voyageur, que presque tous les biographes ont rapportée jusqu’ici à Jules Sandeau, mais qui, selon nous, a trait à Musset. C’est le récit du touchant amour du graveur Watelet et de Marguerite Lecomte.[400].

On parle souvent des influences auxquelles a été soumise George Sand pendant tout le cours de sa vie, mais quelle influence pourrait nous intéresser davantage sous le rapport littéraire, que celle qu’un grand poète a exercée sur l’illustre femme ? Si dans son commerce amical avec Liszt, Chopin, Pierre Leroux, Michel de Bourges, George Sand a acquis bien des traits de sa physionomie morale, c’est surtout un poète et un maître de style comme Musset qui a dû avoir influé le plus sur sa physionomie littéraire. Et d’un autre côté, une individualité aussi brillante que celle de George Sand, n’a-t-elle pas dû avoir une grande action sur Musset écrivain ? C’est en effet ce qui est arrivé. L’influence qu’il ont exercée l’un sur l’autre a été considérable, et s’est surtout manifestée dans leurs œuvres. Mais comme les biographes des deux grands écrivains et les critiques d’histoire littéraire appartenaient à l’un ou à l’autre des camps ennemis, il en est résulté nécessairement, pour les uns comme pour les autres, la tendance à atténuer ou même à nier l’influence de l’autre sur l’élu de son choix. De tous les critiques qui ont mentionné cette influence, Brandès est le seul qui en ait dûment et judicieusement parlé en quelques lignes. Il trouve que Musset a influencé davantage sur la forme des œuvres de George Sand, et que celle-ci a contribué à ce que les œuvres de Musset[401] aient changé de sujets et aient acquis plus de sérieux et de profondeur.

Lindau signale aussi cette dernière influence (celle de George Sand sur Musset), il fait même très finement ressortir la différence dans la manière de Musset de traiter ses héros favoris, — les viveurs sceptiques — avant son voyage à Venise et après[402]. Lorsque Musset écrivit Fantasio il admirait encore sincèrement son héros fort libertin, qui n’avait décidément aucun droit de professer un grand mépris à l’égard de tout, car lui-même, outre qu’il ne fait rien de bon, ne fait que commettre, du commencement à la fin, des actions presque toutes prévues par le code pénal. Tels sont, au fond, les héros de Musset. Leur tristesse, leur Weltschmerz, leur scepticisme et leur crânerie ne les garantissent nullement du reproche de se complaire dans les gamineries, dans la fainéantise, les amours faciles et les duels. Le héros de la Confession d’un enfant du siècle appartient encore à ce type favori de Musset, mais il le traite déjà tout autrement : non seulement il ne l’admire plus inconsciemment, il le condamne en toute conscience. Il n’a pour lui d’autre excuse que de trouver des circonstances tant soit peu atténuantes dans les conditions particulières où se sont trouvés, en entrant dans la vie, son héros et toute la génération de son époque.

Nous ne nous lassons pas de répéter que l’on ne peut se permettre de puiser dans les œuvres des écrivains des données biographiques pour décrire leur vie, car tous les faits et sentiments quasi personnels et vécus ont nécessairement passé par le feu et le réactif de la création artistique. Mais les œuvres d’un artiste sont toujours le baromètre exact des tendances morales, de l’élévation de son idéal, de ce qu’il demande à la vie, et de sa manière de prendre les choses intérieures et extérieures. Nous n’irons certes pas chercher dans Fantasio les traits de caractère de Musset, ni appliquer aux événements de sa vie ceux de la vie de son héros. Nous pouvons néanmoins avancer, en toute assurance, — en laissant de côté la verve poétique de Musset, son brillant coloris et l’imprévu de sa forme, — que son horizon moral jusqu’en 1833 est très restreint : il ne peut encore s’élever, à l’égard de ce type de viveur désenchanté, à la hauteur qu’il atteignit en écrivant la Confession d’un enfant du siècle. Nous venons de mentionner les conditions particulières que Musset indique comme la cause qui avait provoqué ce grand désenchantement et l’inertie de sa génération. La plupart des critiques, en analysant la Confession, s’arrêtent généralement sur le second chapitre, où sont si magistralement dépeints les tristes débuts de la génération « qui n’avait que vingt ans en 1830 » ; mais s’ils s’arrêtent là-dessus, ce n’est guère que pour y trouver des données toutes prêtes pour la biographie de Musset. Ce chapitre nous offre un intérêt beaucoup plus sérieux que celui que lui attribuent les biographes, mais à un autre point de vue. Sauf les vers si connus Sur la presse, ce chapitre est l’unique profession de foi politique et sociale de Musset, elle nous frappe par la profondeur de ses idées générales et de ses vues historiques, par la peinture précise de cette époque remarquable, et enfin par l’exposé net et concis de ses convictions. Il est étonnant qu’un homme comme Musset qui sut si bien comprendre combien la Restauration était rétrograde et apprécier si justement les légitimes aspirations de la jeunesse d’alors, héritées du siècle précédent, n’ait pu cependant en tirer aucune autre conclusion que celle de l’inutilité de la génération contemporaine, inerte, incapable d’action, exclusivement pessimiste et rongée de doute. Cela nous étonne, et c’est cependant tout naturel. Si l’esprit pénétrant de Musset lui avait fait comprendre certains jeunes gens de son temps, notamment ceux qui, comme lui, étaient portés au pessimisme, à l’analyse, au doute, à l’inaction et à la réflexion, il n’avait pas, à coup sûr, cet élan de la pensée qui lui permit d’embrasser objectivement et sous toutes ses faces le mouvement complexe qui s’opérait autour de lui, ainsi que le point de départ et le but final de ce mouvement. Et par sa nature il ne pouvait être de ceux en qui les années précédentes avaient fait naître non un désenchantement impuissant, mais le désir passionné de lutte et de victoire sur l’ancien régime. Nous engageons le lecteur à ne pas perdre de vue que les deux seules professions de foi politique de Musset — la poésie mentionnée plus haut et le second chapitre de la Confession, que malheureusement on n’analyse jamais au point de vue de l’esprit de liberté qui y souffle et de ses opinions très prononcées sur les événements de la fin du siècle passé et des trente premières années du nôtre, — que ces deux œuvres ont été écrites par Musset après sa liaison avec George Sand. L’influence directe de notre héroïne, de ses conversations, de ses convictions s’y fait sensiblement sentir, quoique Musset les ait transcrites inconsciemment, et sans la moindre pensée d’y faire entendre l’écho des paroles et des jugements de celle qu’il avait tant aimée.

Lindau prend à tâche de nous montrer que l’influence de George Sand a été infructueuse et pernicieuse, et, dans ce but, il rappelle, dans un endroit de son livre, toutes les œuvres de Musset qui furent écrites après la fameuse année 1834, et qui prouvent, selon lui, que le poète n’était plus alors ce qu’il avait été, et que sa force était brisée. Il est évident pour nous que si Musset, l’auteur des Caprices de Marianne et de Rolla, et celui de la Confession d’un enfant du siècle, n’est plus le même, des deux c’est le premier qui est inférieur au second, et non vice-versa ; que son talent avait mûri, s’était fortifié et s’était épuré de tous les défauts de la jeunesse, et que la Confession est, sans contredit, la meilleure et la plus belle œuvre de Musset. Il est curieux de voir que Lindau, aussitôt après avoir assez étourdiment fait remarquer (p. 166 de son livre) que, pendant le temps de son bonheur, Musset n’a rien fait, excepté la pièce insignifiante : À Saint-Blaise, à la Zuecca… etc., Lindau, disons-nous, doit immédiatement reconnaître que l’époque la plus féconde du talent de Musset fut précisément celle qui suivit la rupture. « Dans la seconde moitié de 1834, Musset, ajoute-t-il, écrivit deux de ses œuvres les plus importantes. » Les années 1834 à 1838, marquent en général le point culminant de la création poétique de Musset.

La première de ces assertions est d’une naïveté à faire sourire ; quant à la seconde, on ne peut qu’être d’accord avec son auteur, et Brandès est aussi tout à fait dans le vrai en nous disant que dans la plus grande perfection des œuvres écrites par George Sand et Musset après la rupture, il est impossible de ne pas voir l’influence de leur communion spirituelle. Si l’amour de ces deux écrivains de génie a été de courte durée, on ne peut méconnaître dans les enfants littéraires nés de cette union, des traits indubitables des grands auteurs de leurs jours et ne pas remarquer que ces enfants dépassent d’une tête tous leurs aînés. À la page 184 de son livre, Lindau tient à répéter encore une fois que, dans la période de 1834 à 1838, Musset, dans toute une série de poésies, se distinguant par la profondeur du sujet et la beauté de l’inspiration poétique, épanche son Weltschmerz ou, comme il l’appelle, la maladie du siècle et, qu’en prose, cette disposition d’esprit du poète, s’est fait voir surtout dans la Confession d’un enfant du siècle. « Cet ouvrage pourrait même s’appeler la Condamnation de soi-même d’un enfant du siècle », dit Lindau, et il ajoute : « Le poète s’accuse si sévèrement lui-même que George Sand, après cela, n’avait plus à s’inquiéter d’avoir à se défendre. » C’est là une remarque fort juste, et s’il fallait appliquer à la Confession le système si cher aux biographes, de tirer de chaque roman les caractères et les causes motrices de la vie de leurs auteurs, nous pourrions voir, dans la Confession, la peinture du vrai roman vécu de Musset et de George Sand (comme ils le voyaient eux-mêmes). Et l’auteur y fait preuve de tant d’objectivité et d’une si profonde compréhension des causes qui avaient amené la rupture, causes gisant dans le caractère de Musset (aussi bien que dans celui d’Octave), que George Sand n’eût certes pu trouver un meilleur plaidoyer pour se défendre et se justifier, que l’explication donnée par Musset, de tout ce qui s’était passé entre eux. C’est un verdict prononcé contre lui-même par un grand poète, par une grande âme. Pourtant, quoique les deux écrivains, dans la Confession et dans Elle et lui, aient profité involontairement des images et des souvenirs qui couvaient au fond de leur âme, ils les ont transformés dans le creuset de leur poésie en créations d’art, et si, dans ces deux romans, tant de choses se ressemblent, cela prouve uniquement qu’il existait une certaine similitude dans la manière de voir et de faire des auteurs, et que certes les mêmes faits réels ont servi de base à leurs fictions[403]. Il est évident que les deux auteurs atteignent à la même vérité artistique dans leurs livres, et que la manière d’analyser les faits de la vie réelle qu’ils avaient sous la main, les conduisit tous deux presque au même résultat. (Nous n’entendons nullement donner, dans ce que nous venons de dire, une valeur égale comme œuvres d’art à ces deux romans, et nous sommes loin de mettre sur le même rang la Confession, une des premières œuvres du siècle, et Elle et Lui, qui n’occupe qu’une place secondaire même parmi les romans de George Sand. Nous ne parlons que des résultats identiques de l’analyse psychologique dans les deux romans.) En conséquence, ni la Confession, ni Elle et Lui, ne représentent la vraie histoire de l’amour des deux écrivains, mais uniquement le développement poétique d’une seule et même thèse psychologique. Les prémisses étaient les mêmes, le sentiment de la vérité artistique et la puissance d’analyse étaient aussi semblables chez les deux écrivains, — on comprend facilement que les conclusions devaient se ressembler, et cette ressemblance est, en certains endroits, vraiment frappante. Il est évident pour nous que lorsque chez les deux héros du roman vécu la douleur des premières souffrances fut calmée, et que les deux écrivains eurent l’esprit assez tranquille pour juger le passé, ils comprirent que le coupable n’était ni lui, ni elle, mais bien ce que l’on appelle vulgairement « incompatibilité de caractères », et ce qu’il conviendrait mieux, en ce cas, divergence de goûts, d’habitudes, d’idées générales. Ils comprirent que si ce n’était un rien, ce serait un autre rien qui suffirait à les désunir et à amener la rupture et que cette séparation si soudaine ne leur épargnerait aucune torture, car certes, ils s’aimaient tous deux passionnément et sincèrement. Et voilà qu’en développant leur thème, les deux écrivains prennent pour motif et pour cause extérieure de la rupture finale : l’un, l’Anglais Smith ; l’autre, l’Anglais Palmer. Il nous importe peu de savoir s’il faut, ou non, voir dans ce dernier le docteur Pagello. Une chose certaine, c’est que Smith et Palmer sont des personnages nuls, pâles, insignifiants, mais ils devaient être tels pour donner au roman une plus grande vérité artistique. On dirait que Musset, ainsi que George Sand, ont voulu souligner, par ce personnage terne, le fait que la cause de la rupture gisait dans les deux acteurs principaux eux-mêmes, aussi bien que dans la nécessité psychologique de cette rupture. Voilà pourquoi elle se produit grâce à l’entrée dans leur vie de cet Anglais incolore, comme elle eût pu éclater cent fois, grâce à tout autre intrus, à une conversation quelconque, au moindre incident. Voilà pourquoi il nous paraît si intéressant de comparer ces deux romans, au point de vue artistique, comme solutions parallèles du même problème psychologique par deux esprits d’élite qui surent l’incarner en des types presque identiques. À tout lecteur qui s’intéresserait au procédé chimique de la synthèse et de l’analyse dans la création des deux écrivains, nous conseillons de lire ou de relire ces deux romans l’un après l’autre. Mais qui voudrait absolument y trouver des révélations piquantes et des faits de la vie réelle des auteurs, celui-là ferait mieux de fermer le livre, car il ferait certainement fausse route.

Avant d’en venir à dépeindre si impartialement les malheurs de sa vie, Musset, tout comme Henri Heine, son pareil, avait « fait de petites poésies avec sa grande douleur » : Aus meinen grossen Schmerzen, mach’ich die kleinen Lieder, — et c’est à juste titre que les critiques appellent les Nuits, la Lettre à Lamartine et le Souvenir, les joyaux des créations de Musset. Lindau et Arvède Barine sont aussi parfaitement dans le vrai en disant que les quatre Nuits se rapportent toutes à George Sand, alors que Paul de Musset essaie de prouver que la Nuit de décembre et la Nuit d’août ont été inspirées par un nouvel amour de Musset. Du vivant de George Sand, Paul de Musset tâchait de la rendre responsable de tous les malheurs de la vie de son frère et même de sa mort prématurée ; après cette mort, il tâcha d’amoindrir le rôle qu’elle avait joué dans la vie du poète. Nous avons déjà dit ailleurs comment, pour atteindre son but, il avait exagéré les rôles de Mme Colet, de la princesse Belgiojoso et d’autres femmes. Lindau, en analysant les Nuits au point de vue de la critique psychologique et en démontrant leur parfaite homogénéité, les commente, selon nous, bien plus justement que Paul de Musset, qui se borne aux preuves purement chronologiques, et veut faire croire que la Nuit de décembre ne peut se rapporter à George Sand, le poète n’ayant pas, à son dire, à demander pardon à celle-ci, tandis que dans la Nuit de décembre, il obtient son pardon de l’inconnue. Pour avancer pareille chose, il fallait être partial comme Paul de Musset, mais le poète qui avait su écrire des pages d’un repentir aussi sincère que celui que nous trouvons dans la Confession, se sentait sans doute coupable au fond de son cœur, et il est fort possible que ce fut précisément un nouvel amour heureux qui réveilla dans son âme le souvenir de ses douleurs et de ses erreurs passées ; de là la Nuit de décembre.

Lindau et Arvède Barine ont donc raison en attribuant cette poésie à la même source que les Nuits de mai et d’octobre ; mais Paul de Musset a, de son côté, également raison lorsqu’il rapporte la Nuit de décembre à une date postérieure. Mais le fait même que Paul de Musset a cru possible d’attribuer ces poésies, sans altérer les faits réels, à des amours différents d’Alfred de Musset, enlève toute valeur à la pensée qui traverse comme un fil rouge tout le livre de Lindau : Eine Lüge hat ihn zu Grunde gerichted (un mensonge l’a terrassé), que « la blessure rapportée d’Italie ne s’est jamais cicatrisée », et que, « le souvenir de George Sand n’a jamais cessé de le poursuivre ». Il est plus qu’étrange de parler de la blessure non cicatrisée d’un homme qui, en ce même temps, était tantôt heureux, tantôt malheureux avec d’autres femmes, avec beaucoup d’autres, qui a eu tant d’autres douleurs et tant d’autres bonheurs ! On comprend qu’une nature d’élite comme celle de Musset, une âme aussi profondément sensible ne pût oublier ses souffrances passées ; car, comme l’a dit un autre poète, Lermontow, dont la nature était si proche de celle de Musset, « les joies s’oublient, les chagrins jamais »…, ou, comme le même Lermontow l’a dit ailleurs : « Il n’y a pas au monde d’homme sur qui le passé ait eu autant de pouvoir que sur moi. Le moindre souvenir d’un chagrin ou d’une joie passés frappe maladivement mon âme et y fait surgir toujours les mêmes sons… je suis bêtement fait : je n’oublie rien… rien !… » Musset, non plus, n’a oublié ni ses chagrins, ni ses erreurs passées.

Lindau a tort de croire que c’est de Musset seulement que l’on peut dire : « Un poète ne peut abdiquer son individualité, surtout un talent lyrique aussi sincère que Musset », conséquemment que ses souffrances se font voir dans sa poésie « spontanément » et « tout naturellement », et que George Sand avait dû avoir « un but », en écrivant les Lettres d’un voyageur. De même que chez Musset la Confession d’un enfant du siècle est comme l’épilogue épique de toutes ses poésies lyriques se rapportant à George Sand, — de même les Lettres d’un voyageur de George Sand sont comme le prologue lyrique de Elle et lui. Nous parlons, cela va sans dire, non de toutes les Lettres d’un voyageur qui forment tout un volume, et au nombre desquelles se trouvent des pages de philosophie, de polémique, de critique musicale et les impressions d’un voyage qu’elle fit plus tard en Suisse (lettres à Éverard, Liszt, Meyerbeer, Herbert, Nisard, etc.). Nous ne parlons ici que de leur première partie, c’est-à-dire des trois lettres à *** (Musset) et de celles à Néraud, et à Rollinat, nos I, II, III, IV, V et IX. Ces lettres sont non seulement des pages charmantes parmi les plus charmantes de George Sand, elles sont aussi une de ces œuvres poétiques qui ne vieillissent jamais et qui impressionnent les lecteurs appartenant aux écoles littéraires les plus diverses, parce qu’elles sont tout imprégnées par la chaleur d’un sentiment vrai et sont écrites dans une admirable langue poétique. Il est impossible de transcrire ces ravissants Poèmes en prose. Les descriptions de la nature, les petites scènes de la vie italienne, de nombreuses improvisations lyriques adressées à l’ami parti, de tristes méditations sur sa vie à elle et sur celle de tous les humains, le rire et les larmes, tout cela alterne dans ces lettres avec la même rapidité, avec la même spontanéité que dans n’importe quel poème de Byron ou dans les poésies juvéniles de Pouchkine ; mais avec la nuance prédominante du désenchantement et d’une tristesse sans issue.

À qui n’a pas lu ces Lettres, aucune critique ne lui dira ce qu’elles renferment ; quiconque les a lues, — ne sera jamais satisfait d’aucune analyse ; elles sont chatoyantes de nuances insaisissables, pleines des traits les plus fins et d’un lyrisme qui nous saisit. Lindau veut à tout prix déduire de ces Lettres la conclusion qu’elles sont l’expression du repentir de George Sand au moment où elle les écrivait, et, chose fort curieuse, il a l’air de se fâcher d’y trouver tant de passion, tant de regrets amers causés par le départ de l’ami, tant d’amour sincère et ardent, tandis que Elle et lui est une œuvre froide, sobre, par trop raisonnable. Il oublie que les Lettres c’est de la poésie, Elle et lui c’est de la prose, une dissertation, une thèse. Les Lettres ce ne sont qu’effusions lyriques, une histoire vécue, à peine voilée par le pseudonyme du voyageur, qui vous empoigne par son lyrisme même et vous fait oublier que des personnalités réelles se cachent sous les noms d’emprunt ; tout comme lorsque nous lisons les Élégies célèbres de Pouchkine : « Pour les rives de ta lointaine patrie tu quittais le pays étranger !… ou : « Il s’est éteint l’astre du jour… Sur la vaste mer, la brume est descendue », nous oublions tout ce que nous apprennent les notes bibliographiques sur la belle inconnue de Pouchkine et nous ne savourons que leur beauté poétique. Les Lettres de George Sand ne sont ni une autobiographie, ni un roman, c’est de la pure poésie qui saisit le lecteur c’est, un poème en prose. Quiconque est doué d’un sens tant soit peu artistique les comprendra comme nous, nous n’en doutons nullement[404].

Cela n’empêche pas sans doute qu’on ne sente dans quelques lignes qu’elle s’accuse à son tour, qu’elle est profondément désenchantée d’elle-même, et cela, chez George Sand, est tout aussi naturel que chez Musset.

Et dans Elle et Lui, l’auteur est comme un président de cour d’assises, un juge tout objectif et impartial, ne prononçant son résumé final que lorsque toutes les circonstances de l’affaire sont éclaircies, après avoir entendu le procureur et les avocats, les accusés et les témoins, en un mot, l’auteur se montre ici tel qu’on l’attend de l’auteur d’un roman[405]. À notre avis, Lindau lui-même, tout en reprochant à George Sand d’avoir pu, après les pages compatissantes, passionnées, pathétiques, profondément senties des Lettres, méditer longuement, traiter à fond ce thème au bout de vingt-trois ans et trouver l’explication philosophique et psychologique d’événements incompréhensibles, — Lindau disons-nous, tout en accusant George Sand, détermine précisément la différence entre les Lettres et Elle et Lui. En même temps nous trouverons dans ces lignes de Lindau la peinture exacte du travail préliminaire qu’accomplit tout auteur avant de se mettre à écrire un roman à base de problème psychologique. « La tendance du roman, dit Lindau (p. 156) est, de cette manière, un essai de suggérer (au lecteur) que George Sand (Lindau eût mieux fait de dire ici « Thérèse Jacques »), relativement à Musset (c’est-à-dire à de Fauvel) ne pouvait agir autrement qu’elle l’a fait…) Mais au fond, tout auteur, dans n’importe quelle œuvre, ne fait pas autre chose et c’est une condition que les manuels de littérature exigent eux-mêmes des écrivains : dépeindre les actes des héros et des héroïnes du livre de telle sorte que leurs actes découlent nécessairement de leurs caractères, qu’ils agissent conformément à leur nature, et qu’ils ne puissent pas agir autrement. C’est précisément du choc de ces caractères que naissent tous les drames, toutes les comédies qui se passent dans la vie et se retrouvent dans la littérature, car bien pitoyables sont les œuvres dont les personnages ne demeurent pas fidèles à eux-mêmes et où leurs actes ne sont pas la conséquence logiquement nécessaire de leur nature, de leurs caractères. Comme exception nous devons naturellement citer les œuvres dans lesquelles l’auteur a spécialement en vue de représenter des personnages qui agissent toujours en contradiction avec leurs pensées ou avec leurs actions précédentes. Mais tout lecteur s’explique facilement qu’ici ce constant illogisme, ce manque de suite, ces actes et ces sentiments purement fortuits prouvent également que l’acteur reste toujours fidèle à lui-même, que c’est là son trait caractéristique que l’auteur ne perd jamais de vue jusqu’à la fin de son œuvre, et que c’est de là que découlent tous les actes, les souffrances, les joies et les luttes du héros. Tout auteur fait donc ce que Lindau reproche si étrangement à l’auteur d’Elle et Lui, tout auteur s’efforce de « suggérer » au lecteur que les personnages de son œuvre ne pouvaient agir, à l’égard les uns des autres, autrement qu’ils ne l’ont fait.

L’influence de Musset sur George Sand s’est surtout manifestée dans la première et la dernière des œuvres empreintes des souvenirs de son voyage en Italie, dans Aldo le Rimeur et dans Gabriel. Il est difficile de préciser en quoi s’est manifestée l’action de Musset par rapport à Aldo, mais elle perce dans la conception générale, le coloris de toute l’œuvre et dans la forme des monologues et des dialogues. Ici, pour la première fois, George Sand essaie du roman dialogué, qui rappelle la forme des pièces de Musset si différente de l’ordinaire. Aldo est aussi peu propre à être joué que On ne badine pas avec l’amour, quoi qu’on donne cette pièce sur la scène[406]. Musset lui-même regardait ses pièces comme bonnes tout au plus pour un « spectacle dans un fauteuil », c’est-à-dire pour être lues. Aldo semble être aussi une petite pièce tirée du « spectacle dans un fauteuil », une vraie œuvre de poésie où l’auteur ne se soucie aucunement de l’effet à produire sur la scène. Tout cela est trop délicat, trop poétique et perd sous le fard, à la lumière de la rampe, c’est une œuvre trop finement écrite pour la foule qui remplit une salle de théâtre.

Il y a toujours eu et il y aura toujours beaucoup de femmes écrivains, mais nous n’avons jusqu’ici qu’une seule femme-poète, c’est George Sand, et, c’est ce trait-là qui la fait ressortir de la pléïade des noms connus et célèbres. Il existe beaucoup de belles œuvres littéraires signées de noms de femmes, mais on peut les placer toutes sur les confins entre l’art vrai et les contes de la littérature courante. Des œuvres comme Aldo, l’Orco, Gabriel sont de la vraie poésie, de l’art vrai ; voilà pourquoi George Sand se trouve être complètement hors ligne, et dépasse de toute la tête les nombreux talents et demi-talents féminins. On peut trouver parfois, il est vrai, que ses œuvres ont vieilli, surtout sous le rapport de la forme ; mais elles n’auront jamais le sort de ces livres des romancières qui n’ont qu’un intérêt d’actualité, et qui au bout de cinquante, parfois de trente ans, ou même de dix ans, semblent démodés, étranges, bons à être mis au rancart. Quoique certaines pages, chez elle, sentent bien leur bon vieux temps, il y a, du moins, dans chacune de ses œuvres, une parcelle de la vérité éternelle, impérissable, on y respire cet air frais des montagnes, qui ne souffle qu’aux sommets de la poésie. La lecture de ses œuvres fait vibrer ce qu’il y a de meilleur en nous, fait surgir du fond de notre âme des forces inconnues, évoque des aspirations endormies, ouvre à nos regards des horizons lumineux ; ce grand esprit rappelle à la vie les parcelles minuscules, souvent vagues et imperceptibles, de l’âme universelle qui réside en chacun de nous. Tout cela prouve que George Sand n’est pas seulement écrivain, elle est poète, quoique écriant en prose. Cette forme empêche beaucoup de ses lecteurs de bien apprécier certaines de ses œuvres si belles. Tel est Aldo. Imaginons-nous Aldo écrit en vers ; immédiatement disparaîtront toutes « les longueurs », toutes les « interminables effusions lyriques » que lui reprochent certains amis du réalisme. Dans ce poème, nous voyons une grande âme souffrante qui parle, une âme tourmentée par le doute et la désillusion. Sans doute l’action n’a ni temps, ni lieu déterminés ; la reine Agandecca règne on ne sait vraiment où, en Angleterre ou à Venise ; Tickle semble s’être échappé d’un drame de Shakespeare ou de Victor Hugo, mais… définissez-moi donc avec exactitude à quelle époque Manfred se trouvait près de la cascade et s’entretenait avec la Fée des Alpes ! Dites-moi, encore, si en apprenant que le spectre du père d’Hamlet lui apparaît précisément sur la terrasse du château d’Elseneur, l’on ajoute ou l’on n’ôte rien à l’histoire toujours la même des souffrances d’une âme minée par le doute. Et n’est-il pas indifférent que le Démon (de Lermontow) plane au-dessus des sommets du Caucase, ou bien au-dessus de l’Espagne, comme l’auteur se proposait de le montrer dans son plan primitif ?

Croyez-le, toutes ces exactitudes chronologiques et géographiques sont nécessaires là où il s’agit d’une œuvre vraiment historique (comme Jules César, Gœtz de Berlichingen ou Boris Godounow), mais dans Manfred, le Démon, Aldo, ce qui nous importe, c’est l’âme humaine, nous ne voyons qu’elle, et si nous sommes profondément émus, si l’idée de l’œuvre est haute et exprimée en un langage puissant et sonore, nous ne faisons plus alors attention si dans l’œuvre il y a des erreurs contre la réalité. Disons plus, — une exactitude minutieuse, obligatoire dans un roman contemporain, ne ferait que nuire à la valeur éternelle et générale d’une œuvre si poétique, l’amoindrir et la ternir. Revenons à Aldo. Qui est-il, cet Aldo ? À quelle époque et à quel peuple appartient-il ? À aucun. Ce n’est qu’un poète, ou, pour mieux dire, une âme poétique en lutte avec la réalité, un poète, qui non seulement cherche des rimes sonores, mais qui, de toute son âme, vit ses œuvres, et qui est poète non seulement dans ses écrits, mais aussi dans sa vie. Il ne peut reléguer derrière les murs de son cabinet sa sensibilité, son impressionnabilité sur tout incident intérieur ou extérieur, et il ne peut être un homme comme nous tous ; non, il ne vit pas comme nous, il ne mène pas cette vie terne et veule, pleine d’intérêts mesquins, il met dans sa vie toute son âme. On pourrait dire de lui ce que Musset disait en parlant de lui-même : « Mon esprit mobile et curieux tremble incessamment comme la boussole ». Son âme résonne à toutes les impressions de l’existence, il cherche dans la vie, ce qu’il cherche dans ses chants : la beauté de la forme et du fond, la constance, l’amour éternel et absolu. Il ne sait pas vivre en ce monde où « les pensées et les sentiments sont si passagers », il donne trop de son âme, il jette constamment des perles… — et ne reçoit en réponse que des railleries, des conseils pratiques, des désillusions ; il est incompris par ses amis les plus proches et qui l’aiment le plus. Nous avons mentionné plus haut le splendide monologue d’Aldo finissant par les mots : « Mais le poète, c’est moi ! Le cœur brûlant qui se répand en vers brûlants, je ne puis l’arracher de mes entrailles… Qu’est-ce donc que la poésie ? Croyez-vous que ce soit seulement l’art d’assembler des mots ? »

Ces lignes ne disent-elles pas la même chose que ce que nous dit Heine[407]:

Und als ich ûber meine Schmerzen geklagt,
Da habt Ihr gegæhnt und nichts gesagt ;
Doch als ich sie zierlich in Verse gebracht,
Da habt Ihr mir grosse Elogen gemacht !!…

Dans notre vie habituelle, ne voyons-nous point, à chaque pas, souffrir des gens qui, semblerait-il, n’auraient qu’à se laisser vivre ; ils possèdent tout ; tout autre, à leur place, serait content et heureux, et eux, ils aspirent toujours à quelque chose d’inconnu. Que veulent-ils ? Ils se passionnent pour des choses ou des personnes qui ne méritent ni leur amour ni leur admiration, se désenchantent, brûlent, usent en vain leur âme, souffrent et se tourmentent. Et pourquoi tout cela ? Ce sont toujours des Aldo-Rimeurs, ils sont tous nés avec une âme poétique, et s’ils n’écrivent pas de vers, ce n’est qu’une dissemblance toute extérieure. Mais dans leur être brûle une flamme éternelle, ils voudraient fuir la vie mesquine, ils courent après l’idéal et ils sont déchirés à belles dents par des gens qui ne savent même pas quel trésor ils foulent aux pieds. Et lorsque ce sont des poètes de vocation, c’est pire encore. Alors on leur adresse « les plus grands éloges » pour leurs sonnets ; mais viennent-ils à se plaindre de leurs souffrances réelles, — on rit, on hoche la tête, et on « ne leur dit rien ». C’est là de l’histoire vieille comme le monde, mais toujours vraie. C’est l’histoire triste et véridique des souffrances d’une nature artiste en lutte avec la réalité ; elle est chère à tous ceux qui ont souffert tant soit peu les mêmes souffrances et qui peuvent les ressentir. Et celui qui peut les dépeindre ainsi est un poète lui-même ; il comprend parfaitement un autre poète, comme George Sand comprenait Musset, lorsque, en 1833, elle écrivait Aldo.

George Sand écrivit Gabriel au commencement de 1839, à son retour de Majorque, pendant qu’elle s’était arrêtée à Marseille avec Chopin, malade, d’où elle fit une course de quelques jours à Gênes. Déjà en 1837, la forêt de Fontainebleau lui avait rappelé son amour pour Musset et son voyage à Venise, et c’est alors, comme nous l’avons dit, qu’elle écrivit un de ses contes vénitiens : La dernière Aldini. Gênes, la première ville italienne, où, en 1833, étaient arrivés les jeunes amants heureux. Gênes réveilla aussi en George Sand ses doux souvenirs de jeunesse, et revenue à Marseille, elle écrivit Gabriel.

Gabrielle est la petite-fille du vieux duc Jules de Bramante. Celui-ci avait deux fils : l’ainé — fils docile, — n’avait point d’héritier ; le cadet — enfant prodigue —, avait un fils nommé Astolphe. Le vieillard n’aurait jamais consenti que l’héritage passât à la branche cadette. Une fille naquit à l’aîné ; la mère mourut. Le vieux despote, d’accord avec son fils, se résout à faire passer sa petite-fille pour un garçon. Dans ce but, il élève la fillette loin du monde, dans une solitude complète, en tête-à-tête avec un vieil abbé, son gouverneur, qui l’élève non seulement en jeune spartiate, mais tâche encore de lui inspirer le dégoût du sexe féminin. Il atteint à de brillants résultats : Gabrielle galope à cheval, fait des armes et tire au pistolet comme un jeune seigneur ; elle méprise le danger, dit franchement la vérité à tout le monde. Elle est hardie, courageuse, sincère, en un mot elle brille par toutes les qualités masculines. Mais quand arrive le jour où son aïeul lui révèle son secret (dont, tout naturellement, Gabrielle se doutait déjà), la jeune fille se révolte, et dans son indignation, elle accable son aïeul de reproches pour son hideux mensonge ; elle quitte le château et se met à la recherche de son cousin, qui, tout comme son père, est joueur et libertin. Gabrielle veut réparer l’injustice de son aïeul. Elle trouve Astolphe dans un repaire de brigands, elle le sauve d’un guet-apens. Les deux jeunes cousins se lient d’amitié, se logent dans la même maison, et il en résulte évidemment la découverte de la vérité et un amour passionné. L’aïeul et le gouverneur avaient rendu virils la volonté et le caractère de Gabrielle, mais n’avaient pas réussi à changer son cœur de femme. Obéissant à ce nouveau sentiment, elle suit son bien-aimé dans la modeste demeure de sa mère. Mais d’une part, malgré tout l’amour qu’il porte à son amie, Astolphe ne peut se dégager de ses préjugés masculins, il est jaloux et méfiant. D’autre part, Gabrielle est trop indépendante, trop fière, elle ne connaît aucun de ces artifices féminins si utiles dans la vie de chaque jour. Elle s’attire par là l’inimitié de toute la famille de son mari. Or, le vieux Jules craignant que son perfide mensonge ne se découvre, se résout, n’importe comment, à se rendre maître de Gabrielle, morte ou vive. La jalousie d’Astolphe vient en aide à son projet criminel ; un bravo tue Gabrielle au moment où celle-ci, échappée à la tutelle de sa belle-mère, pense à en finir volontairement avec la vie, car elle ne croit plus au bonheur et se sent incapable de vivre, en un esclavage éternel, sans liberté et sans posséder la confiance de son mari.

Ce roman dialogué est tout palpitant de vie, l’action se déroule rapidement ; les caractères d’Astolphe et de Gabrielle sont vivement esquissés, et la lutte de cette âme honnête, ouverte et courageuse contre son entourage est tracée de main de maître. Le lecteur se pose avant tout cette question : Pourquoi Gabrielle a-t-elle péri ? Et l’auteur lui répond : C’est que tout ce qui est considéré comme vertu et inculqué à l’homme comme tel, porte malheur à la femme et lui rend la vie impossible. Tant que Gabrielle est en habits d’homme, — tout va bien ; mais dès qu’elle a revêtu la robe propre à son sexe, toutes ses qualités deviennent des défauts, comme si, pour les êtres humains de sexes différents, il dût y avoir deux codes de morale opposés. La question, le lecteur le voit, est très intéressante. Elle apparut, sans doute, à l’esprit de George Sand pendant le séjour qu’elle fit à Majorque avec Chopin, cet artiste si aristocratiquement exigeant, si maladivement susceptible. Arrivée à Gênes et ressaisie par le souvenir de Musset, George Sand fit revêtir à son thème la forme des pièces de ce poète, et il faut lui rendre justice, elle y atteint presque la perfection. Un an après, en 1840, Balzac, après avoir lu cette pièce, disait à George Sand, dans une lettre inédite encore, qu’il trouvait l’œuvre superbe et lui conseillait de l’arranger pour la scène. Nous partageons entièrement l’avis de Balzac et nous trouvons même qu’aucune des pièces de George Sand, représentées avec succès, fût-ce même le Marquis de Villemer si préconisé, n’a, selon nous, ni cette force de vie, ni cette vivacité d’action que l’on trouve dans Gabriel. Et une fois encore, le ton, le coloris, les types, le dialogue, tout porte le cachet de l’influence indéniable de Musset. Et la beauté de la forme fait que cette œuvre n’a aucunement vieilli.

Nous ne dirons rien ici de Jacques dont nous avons déjà parlé plus haut, et dont nous parlerons encore plus loin. Leone Leoni, un des romans qui a eu le plus de succès en son temps auprès des contemporains, a maintenant beaucoup vieilli. George Sand avait, on le sait, l’intention de faire le pendant de Manon Lescaut, mais, dans son roman, le rôle de la pécheresse tentatrice est attribué au viveur byronisant, Leone Leoni, et celui de Desgrieux, périssant par amour pour Manon, à une jeune fille nommée Juliette. En son temps Leone Leoni, exerça une très grande influence sur la jeunesse. Beaucoup de ses lecteurs virent dans ce roman l’expression complète de cet amour sublime et plein d’abnégation, qui, après avoir foulé aux pieds les préjugés reçus et tout respect humain, après avoir tout sacrifié, fermé les yeux de la femme aimante sur toutes les faiblesses, les défauts, voire même sur les vices et les crimes, l’oblige à suivre l’être aimé à l’autre bout du monde et à partager avec lui ses malheurs et son déshonneur.

C’est ainsi que Liszt, par exemple, comprenait Leone, — roman qui joua dans sa vie un rôle funeste, car son apparition au moment même où se décidait le sort des amours de la comtesse d’Agoult pour le jeune pianiste, fit suivre, à ce qu’il paraît, à cette tête exaltée, l’exemple de Juliette, lui fit partager l’exil volontaire du grand musicien et leur fit faire ainsi le premier pas décisif dans la voie malencontreuse où ils s’engagèrent ensemble.

D’autre part, de nos jours, M. Henri Amic trouve que, comme Juliette vaincue par sa passion pour Leone, quitte pour lui un homme dévoué et aimant, et retombe au pouvoir de l’amour martyrisant, — de même George Sand tout en comprenant combien Pagello l’aimait avec dévouement, ne put néanmoins résister à sa passion toute-puissante pour Musset, qui la ressaisit à son retour à Paris. Voilà pourquoi on pourrait, selon M. Amic, parfaitement considérer la lettre d’adieu de Juliette à Bustamente comme la lettre qu’Aurore Dudevant eût pu écrire à Pagello en août 1834. Cette remarque ne manque pas de justesse, et on peut, si l’on veut, considérer encore ce roman comme un « document psychologique ». Dans l’analyse de la passion, George Sand atteint également une grande perfection, mais quant à la mise en scène, aux héros principaux, aux dialogues, tout cela est tellement vieilli et vieillot, si peu naturel, que c’est là un des romans de George Sand qu’on pourrait difficilement recommander aux lecteurs de nos jours.

Nous nous permettrons d’analyser également ici le Secrétaire intime, quoique écrit avant le voyage de Venise et quoique son action ne se passe pas précisément dans cette ville, mais bien dans la patrie fantastique de la reine Agandecca et d’Aldo le Rimeur. Toutefois la belle capitale de la princesse Quintilia Cavalcanti — Monteregale, — quoique érigée « dans le goût oriental » (!), doit, à ce qui paraît, se trouver en Italie, aux environs de Gênes et de Monaco, car c’est par Lyon et Avignon que s’y rend de Paris la belle Quintilia accompagnée par sa gentille soubrette Ginetta, par son page amoureux Galeotto et par son vieux secrétaire. l’abbé Scipione. C’est aussi sur la route d’Avignon qu’ils rencontrent le noble « jeune homme pauvre », Saint-Julien, qui devient par la suite le « secrétaire intime » de la séduisante princesse. Et pour séduisante — elle l’est bien, cette Quintilia aux cheveux noirs comme du jais, — « les plus longs et les plus épais qu’ait jamais vus Saint-Julien » et qui semblent être tout pareils à ceux qui ravissaient tant Musset. Sans compter que cette adorable capricieuse est de tous points une beauté, qu’elle est pétrie d’esprit, savante comme un professeur allemand, qu’elle lit le grec et le latin comme une patricienne de la Renaissance, qu’elle peut à l’occasion panser une blessure et secourir un malade comme si ce fût le vieux Deschartres qui le lui eût enseigné, mais elle est encore, ainsi qu’une élève de Stéphane de Grandsagne, tellement éprise d’histoire naturelle qu’elle donne un bal entomologique[408] dans son féerique palais, bal où toute la petite cour apparaît déguisée en papillons éthérés aux corsages de velours, en scarabées reluisants dans leurs justaucorps de satin, en mouches étincelantes de pierreries et en grillons verts du plus ridicule aspect. Nous nous taisons en outre sur le fait que Quintilia se passionne pour l’art et la littérature, qu’elle prend à cœur toutes les graves questions sociales, que dans la petite principauté gouvernée par sa blanche main règne la justice, et que « la classe la plus nombreuse et la plus pauvre » n’y est point abandonnée à sa misère. Mais, outre tout cela, l’adorable princesse est encore originale à l’excès et excentrique outre mesure (il est trop clair qu’elle fume, comme une petite émancipée qu’elle est !). Elle est orgueilleuse de son indépendance et de sa liberté, elle méprise l’opinion, se rit des racontars et des calomnies, exige que ses amis sachent l’aimer malgré tous les bruits répandus sur son compte, tous les contes insipides forgés sur elle et les très réelles bizarreries de sa conduite. Son calme, sa force et sa fermeté, Quintilia les puise dans son amour pour un certain Max Spark, comte allemand auquel elle est mystérieusement mariée, mais qui, en dérobant comme une relique son bonheur et son amour aux yeux et aux appréciations des hommes, veut empêcher que des considérations quelconques ou des intérêts mesquins viennent se mêler à cet amour. C’est pour cela qu’il ne veut pas apparaître aux humains dans le rôle de « prince-consort », orgueilleux de son titre et de son bonheur. Il va sans dire que ce mariage secret devient la cause de calomnies, de médisances et de turpitudes pour Quintilia, même de la part de Galeotto et de Saint-Julien qui — tout comme les autres — s’éprennent de leur adorable souveraine. Il est clair aussi que tout s’arrange pour le mieux. La fable du conte, avec tous ses déguisements, tous ces pavillons mystérieux, toutes ses apparitions, mystérieuses aussi, des mêmes personnages sous des noms différents, et tout cet enchevêtrement impossible, semble aux yeux du lecteur de 1899 bien extravagante et bien peu naturelle. Du reste, George Sand jugeait elle-même son roman très sévèrement et le fit à plusieurs reprises dans ses lettres à Sainte-Beuve. C’est ainsi qu’elle lui écrit, par exemple, le 14 novembre 1833. « Maintenant je viens vous demander, non plus une marque d’indulgence, mais une preuve d’amitié. C’est de lire le manuscrit de le Secrétaire intime, avant que l’impression en soit commencée. Donnez-moi votre avis tandis qu’il est temps encore de faire des corrections. Je ne promets pas de me rendre aveuglément à toutes vos critiques : nous avons tous une partie de nous-même en jeu dans nos œuvres, et nous tenons souvent autant à nos défauts qu’à nos qualités ; mais un lecteur éclairé voit mieux que nous, quand nous rendons bien ou mal nos idées les plus personnelles, et nous empêche de donner une mauvaise forme à nos sentiments. Je fais du reste fort peu de cas de ce que je vous envoie. Ce n’est ni un roman, ni un conte, c’est, je le crains, un pastiche d’Hoffmann et de moi. J’ai voulu m’égayer l’esprit, mais je ne sais si j’égayerai le public. Je crois que l’ouvrage est beaucoup trop étendu pour la valeur du sujet, qui est frivole. J’en avais d’abord fait une nouvelle ; le besoin d’argent et je ne sais quelles dispositions facétieuses de mon esprit m’ont fait barbouiller beaucoup plus de papier qu’il n’aurait fallu. Prenez toutes ces choses en considération, et, si vous trouvez le livre pitoyable, ne me découragez pas trop ».

Et le 21 novembre elle écrit encore à Sainte-Beuve : « Non, mon ami, vos critiques ne m’ont pas fâchée contre vous, mais bien contre moi qui les mérite… j’ai retranché toute la partie champêtre, et j’ai abordé tout de suite la Cavalcanti (l’héroïne du roman, on s’en souvient) ; — de cette manière, le conte se passe tout entier dans ce monde de fantaisie où je l’avais conduit si maladroitement. Vous avez raison d’aimer mieux les choses complètement réelles, moi, j’aime mieux les fantastiques ; mais je sais que j’ai tort ; aussi n’en ferais-je que peu, de temps en temps et pour m’amuser. J’aurais bien fait, dans mes intérêts, de publier, après Lélia, un roman plus rapproché du genre de Walter Scott, mais cette Quintilia était avancée dans mon portefeuille, et le besoin d’argent ne m’a pas permis de l’y garder plus longtemps. La même raison m’empêche de changer la manière générale du conte ; pour cela il faudrait le recommencer, et il n’en vaut d’ailleurs pas la peine. La seule pensée que j’y aie cherchée, c’est la confiance dans l’amour présentée comme une belle chose, et la butorderie de l’opinion comme une chose injuste et bête. J’avais, comme vous l’avez très bien aperçu, commencé cette histoire de Saint-Julien dans d’autres vues, et les deux corps se joignaient fort mal. Je l’ai donc retiré pour en faire le commencement d’une historiette toute rustique, et j’ai mis dans la bouche de mon secrétaire intime, dans le courant de son séjour à Monteregale, un récit de sa jeunesse où j’ai taché tracer son humeur d’une manière qui s’harmonise mieux avec la suite. Je ne suis pas de votre avis sur deux choses : d’abord l’amour que Quintilia devait avoir, selon vous, pour lui ; ensuite l’indulgence qu’elle devrait avoir à la fin. Je crois que dans l’un et l’autre cas ce serait altérer le caractère étourdi, mais probe et ferme, que je veux donner à ma princesse. Seulement je profiterai encore de vos objections, qui sont bonnes par elles-mêmes ; je me chargerai, moi conteur, ou bien quelqu’un de mes personnages, d’avouer au lecteur que la Cavalcanti n’est pas sans imprudence et sans tort. C’était bien là mon idée, en la montrant et si sage et si folle. »

On le voit, George Sand était mécontente de son œuvre, et voyait tous ses défauts, mais son roman lui tenait à cœur par la partie de son être qu’elle y avait mise, ce qui nous explique aussi pourquoi Balzac trouvait tant de ressemblance entre Quintilia et Aurore Dudevant[409]. Et le trait personnel et intime que l’auteur avait mis dans ce roman, ce fut justement cette confiance dans l’amour, ce bonheur caché aux yeux du monde, qui permet de supporter avec calme les médisances, les haines et les calomnies, comme le faisait George Sand en l’automne de 1833, car son amour pour Musset lui donnait une félicité sans nom. Ce fut aussi ce bonheur confiant qui fit du Secrétaire intime comme la contre-partie de Lélia la méfiante et la sceptique.

Nous nous demandons encore si la partie champêtre, enlevée au roman qui avait pour sujet la jeunesse si triste du héros et peignait ses méditations solitaires, après avoir été modifiée, ne servit pas ensuite pour André, roman que George Sand écrivit à Venise au cours de l’hiver et du printemps de 1834. André, quoique écrit dans cette ville, se passe en Berry, nous nous permettrons donc de l’analyser ailleurs.

Les Nouvelles vénitiennes proprement dites furent écrites entre 1834 et 1838 ; ce sont : Mattea (1835), les Maîtres mosaïstes (1837), la dernière Aldini (1837), l’Uscoque (1838), l’Orco (1838). La plupart commencent par un petit prologue : À Venise, sous la treille (lisez à Nohant, sur la terrasse), par un beau clair de lune et aux chants du rossignol, s’est réunie une petite société d’amis ; le poète Zorzi (c’est-à-dire George, prononcé à la vénitienne), l’abbé Panorio, le docteur Acrocéronius, le Turc Asseim-Zuzuf, la belle Beppa et Lélio, chanteur d’opéra (tous ces personnages avaient déjà paru dans les Lettres d’un voyageur, et, sous ces noms d’emprunt on doit reconnaître Musset, Pagello, sa sœur, la comtesse d’Agoult, Liszt, George Sand, etc.) On soupe gaîment, on chante, on fume, on savoure la sieste, et, tour à tour, on se raconte des histoires intéressantes, présentées par l’auteur à ses lecteurs. Ainsi, par exemple, l’abbé Panorio raconte, soi-disant, l’histoire des Maîtres mosaïstes, écrite par George Sand à la prière de son petit Maurice, qui ayant beaucoup pleuré sur Paul et Virginie, avait demandé à sa mère d’écrire pour lui une histoire où il n’y eût pas d’amour[410]… C’est ce que fit George Sand en écrivant une charmante nouvelle tirée de la vie des artistes de la Renaissance, où aucun des personnages n’a rien à faire avec « ce vilain amour » qui déplaisait tant au petit Maurice Dudevant. Cette nouvelle peut parfaitement être recommandée comme lecture à la jeunesse ; elle est instructive et élégamment écrite, tant soit peu ennuyeuse pour nous autres lecteurs, mais on y respire un souffle vraiment artistique, et l’on sent que le graveur Calamatta, ami de George Sand, à qui elle avait demandé des conseils lorsqu’elle écrivait ce livre, a dû lui communiquer beaucoup de choses sur la vie des artistes, et qu’il a servi lui-même de modèle à George Sand, pour peindre son maître ami de l’idéal[411].

Le chanteur Lélio raconte l’histoire des deux Aldini, la mère et la fille, qui, l’une après l’autre, lui ont donné leur amour. La première s’est éprise de l’humble gondolier, chantant à la poupe de sa gondole de simples chansons, et l’a pris en son palais, pour lui faire cultiver sa voix admirable et son talent musical. Le jeune gondolier sut se garder des séductions du luxe et même de celles de l’amour, et sauva par là, la candide et faible Aldini prête à tout lui sacrifier. Devenu chanteur d’opéra et célèbre, Lélio fait connaissance avec la fille d’Aldini, cette petite Alezia, qu’il avait autrefois bercée, et qui est à présent une beauté altière se jouant de ses adorateurs comme un chat avec les souris. C’est ce qu’elle essaie de faire avec Lélio, mais elle tombe elle-même passionnément amoureuse de lui. Pourtant, lorsqu’elle découvre que Lélio n’est autre que le petit chanteur que sa mère avait jadis aimé, et qui l’avait noblement fuie, soucieux de son bonheur et de sa tranquillité à elle, autant que de son art et de sa liberté à lui, Alezia renonce à son amour, épouse son cousin, et Lélio retourne à sa vie errante et libre et à son art adoré. Ce qu’il y a de mieux réussi dans ce roman, c’est le caractère de la jeune fille. Ce mélange de coquetterie et de fierté, de petites ruses et de grande droiture, de douceur féminine et de hardiesse, font de la jeune Aldini un des types de femme les plus sympathiques et les plus attachants de George Sand.

Mattea est un charmant et gai tableau de genre de la vie vénitienne. George Sand a essayé d’y peindre les types variés de la population cosmopolite de Venise, que l’écrivain observait en fumant sa cigarette sur la place Saint-Marc, en compagnie de Musset ou de Pagello ou en parcourant, avec lui et avec ses amis, les îles de l’archipel vénitien. C’est écrit avec beaucoup d’humour et de finesse, et même, malgré son coloris romantique, c’est tout à fait réaliste, surtout dans la peinture du caractère et de la vie de Mattea elle-même, qui sont dessinés d’après nature, — une nature très connue de l’auteur. Voici par exemple le portrait de Mattea : « Elle était douée d’une imagination vive, facile à exalter, d’un cœur fier et généreux et d’une grande force de caractère. Si ses facultés eussent été bien dirigées dans leur essor, Mattea eût été la plus heureuse enfant du monde, mais Mme Loredana (sa mère), avec son caractère violent, son humeur âcre et querelleuse, son opiniâtreté qui allait jusqu’à la tyrannie, avait sinon gâté, du moins irrité cette belle âme au point de la rendre orgueilleuse obstinée, et même un peu farouche. Il y avait bien en elle un certain reflet de caractère absolu de sa mère, mais adouci par la bonté et l’amour de la justice… Une intelligence élevée qu’elle avait reçue de Dieu seul, et la lecture furtive de quelques romans pendant les heures destinées au sommeil, la rendaient très supérieure à ses parents, quoiqu’elle fût très ignorante et plus simple peut-être qu’une fille élevée dans notre civilisation moderne ne l’est à l’âge de huit ans. Élevée rudement, quoique avec amour et sollicitude, réprimandée et même battue dans son enfance pour les plus légères inadvertances, Mattea avait conçu pour sa mère un sentiment de crainte, qui souvent touchait à l’aversion. Altière et dévorée de rage en recevant ces corrections, elle s’était habituée à les subir dans un sombre silence, refusant héroïquement de supplier son tyran, ou même de paraître sensible à ses outrages. La fureur de la mère était doublée par cette résistance… En grandissant, Mattea avait appelé la prudence au secours de son oppression, et par frayeur, par aversion peut-être, elle s’était habituée à une stricte obéissance et à une muette ponctualité dans sa lutte, mais la conviction qui enchaîne les cœurs s’éloignait du sien chaque jour davantage… Ce qui la révoltait peut-être le plus et à juste titre, c’était que sa mère, au milieu de son despotisme, de ses violences et de ses injustices, se piquât d’une austère dévotion, et la contraignit aux plus étroites pratiques du bigotisme… Tout en aimant la vertu, tout en adorant le Christ et en dévorant à ses pieds chaque jour bien des larmes amères, la pauvre enfant avait osé, chose inouïe dans ce temps et dans ce pays, se séparer intérieurement du dogme à l’égard de plusieurs points arbitraires. Elle s’était fait, sans beaucoup de réflexions et sans aucune controverse, une religion personnelle pure, sincère, instructive… »

Isolée, ne trouvant d’appui en personne, pas même en sa marraine, la duchesse Gica, aussi faible et aussi capricieuse que la vieille aïeule d’Aurore, tombée en enfance dans ses dernières années (à laquelle cependant, elle ne ressemblait nullement), Mattea, peu à peu, s’adonne aux idées les plus sombres, les plus mélancoliques, et rêve au bonheur de s’éloigner dans le désert, au charme d’une vie solitaire au sein de la nature. On croirait lire des pages de l’Histoire de ma Vie, et l’on est tenté de substituer aux noms de Loredana et de Mattea, les noms de Sophie-Antoinette et d’Aurore. Les lignes où l’auteur de Mattea raconte de quelle manière peu délicate et fort indiscrète le curé de l’héroïne l’avait traitée dans une de ses confessions où elle eut le courage de refuser l’absolution et de renoncer à la confession, ne rappellent pas moins l’incident bien connu du lecteur dans la vie d’Aurore. La soudaine résolution même de Mattea de fuir l’atmosphère insupportable de la maison paternelle et sa lettre naïve à Aboul-Amet, qu’elle connaissait à peine, et à qui elle demandait de la recueillir chez lui, — réveille involontairement chez nous le souvenir de la résolution irréfléchie, subite, d’Aurore d’épouser Casimir Dudevant, — qu’elle ne connaissait pas davantage, — pour l’unique raison de se soustraire à la vie commune avec sa mère. C’est ainsi que dans cette charmante bluette, nous voyons George Sand transporter dans un cadre vénitien et donner une vive couleur locale à des sentiments personnellement vécus, à des impressions et des observations puisées dans sa propre vie.

Asseim-Zuzuf, Turc impassible, raconte impassiblement l’Uscoque, une histoire prétendue réelle, ayant servi de thème à Byron pour écrire son Lara et son Corsaire. Zuzuf, à ce qu’il dit, avait connu Byron et lui avait raconté cette histoire, c’est-à-dire, en d’autres termes, que l’Uscoque est un essai de George Sand d’écrire un conte intéressant, où les personnages seraient des héros à la Byron. Elle a parfaitement réussi ; le conte est intéressant au plus haut point, même pour ceux des lecteurs d’aujourd’hui qui cherchent dans la littérature quelque chose de plus qu’une de ces fables attachantes et naïves qui faisaient les délices des lecteurs de 1838. Les héros sont suffisamment byroniens, les héroïnes, comme toutes celles de Byron, ne se distinguent que par leur beauté et leur douceur. On y rencontre aussi le type préféré de Byron en la personne de la Turque Naam, déguisée en page, qui ne quitte point d’un pas son diabolique seigneur. C’est tout ce que nous pouvons dire de l’Uscoque, en y joignant l’adage si rebattu des critiques français, lorsqu’ils n’ont rien de mieux à dire : « C’est merveilleux de style. » Nous n’entreprendrons pas d’analyser la donnée générale, ni de raconter au long le sujet de ce roman[412], sans contredit très bien écrit, mais qui pour nous est empreint d’un cachet par trop romantique. Dostoïewsky, qui avait lu l’Uscoque avant tous les autres romans de George Sand, en fut charmé, comme il le fut, du reste, de tous les contes vénitiens ; il y appréciait surtout les types de jeunes filles, « fortes dans leur pureté et leur candeur ». Mais, malgré toute notre admiration pour le grand écrivain, nous ne pouvons faire le sacrifice de notre opinion et placer l’Uscoque au nombre des « œuvres choisies » de George Sand, qui, il faut l’espérer, paraîtront un jour comme celles de Voltaire, de Rousseau et d’autres grands écrivains.

C’est dans ce recueil que devrait, par contre, entrer l’Orco, histoire mystérieuse que la belle Beppa raconte à ses amis pendant une soirée tiède et orageuse. C’est une histoire triste et étrange où, « comme dans un songe, tout semble invraisemblable, à l’exception du sentiment qui l’a fait naître[413] ». Tout dans ce roman est fantastique et féerique ; mais le sentiment dont il est pénétré, sentiment d’amère indignation contre la domination autrichienne, la douleur de voir la décadence, l’humiliation et la soumission servile des Vénitiens, le regret cuisant de l’ancienne puissance de Venise, — la belle endormie, — voilà ce qui se fait sentir à chaque ligne de ce conte. Tout le récit est maintenu dans ce vague et mystérieux coloris qui ne se dément nulle part et qui ne permet pas au lecteur de définir qui fut cette inconnue mystérieuse périssant dans les flots en voulant faire périr avec elle le jeune officier autrichien Franz Lichtenstein. Était-ce bien cette Vénitienne, « la plus belle de nos amies », comme l’appelle au commencement Beppa, ou est-ce la personnification de Venise, périssant, parce qu’elle avait lié amitié avec son ennemi, ou est-ce enfin tout simplement « l’Orco, le Trilby vénitien, qui n’est dangereux que pour les oppresseurs et les tyrans », comme le déclare Beppa dans la conclusion ? Cela nous laisse l’impression de quelque chose d’indécis, de vaguement charmant, comme baigné du crépuscule transparent des lagunes vénitiennes, et de profondément triste. On y sent déjà le poète qui, vingt ans plus tard, saluera comme publiciste, la guerre pour l’indépendance de l’Italie. Dans son poème fantastique et dans le bien sobre article de journal, le sentiment est le même : douleur et indignation contre l’oppression d’un peuple jadis si grand ; désir de le voir renaître à la liberté ; joie à la vue de sa résurrection après un long sommeil ressemblant à la mort.

Les Lettres d’un Voyageur, Mattea, l’Uscoque, les Maîtres mosaïstes, l’Orco, la première partie de Consuelo, tous ces romans et nouvelles nous transportent non seulement dans l’atmosphère poétique de Venise, — la reine endormie des mers, — et nous dépeignent d’une manière admirable, son calme, son palais, ses églises, ses lagunes, ses verts canaux, son ciel serein, son air doux et pur, la vie grouillante de ses ruelles, sa population composite, la gaîté, la simplicité et le laisser-aller de ses habitants, la soumission bénigne et somnolente d’un peuple insouciant ; mais il brille encore dans toutes ces œuvres comme un reflet de la grandeur et de la gloire passées de cette reine de l’Adriatique, et nous ne connaissons aucun poète, après Byron, qui, comme George Sand, nous fasse ainsi partager ses regrets de la décadence de cette belle cité et savourer la poésie de son ancienne vie. C’est qu’à Venise, comme autrefois dans les Pyrénées, George Sand était toute remuée par les moindres impressions. De là, il résulte qu’à côté des exquises descriptions de son cher Berry, les plus belles peintures que l’on trouve dans son œuvre sont : les tableaux des Pyrénées et les esquisses vénitiennes, fraîches comme des aquarelles. C’est que dans les Pyrénées, connue à Venise, George Sand ne regardait pas les œuvres de Dieu avec les yeux d’une indifférente, mais semblait les saluer avec l’ivresse d’une âme dont toutes les cordes vibraient.

CHAPITRE X
(1835)


Idéal stoïque. — Sainte-Beuve. — Michel de Bourges. — Sixième Lettre d’un Voyageur. — Liszt et Lamennais. — Comtesse Marie d’Agoult. — Septième Lettre d’un Voyageur et Lettres d’un Bachelier es musique.


George Sand, rappelle toujours à notre souvenir la petite poésie allemande, que nous avons tous apprise dans notre enfance :

    Eine kleine Biene flog
    Emsig hin und lier und sog
    Süssiskeit ans allen Blumen
[414]


et qui finit par les mots : Doch das Gift lass ich darin[415].

George Sand comme une abeille infatigable, recueillait en effet sans relâche tout ce qu’il y avait de meilleur, de plus nécessaire, et de plus approprié à sa nature, dans les différentes personnalités éminentes avec lesquelles le sort l’avait mise en relations, sachant rejeter tout ce qui, dans leurs idées ou leurs théories, ne lui convenait pas.

L’un des lieux communs que l’on rencontre presque sans exception chez tous les biographes ou dans tous les articles consacrés à George Sand, est d’affirmer que toutes ses idées et ses théories ne sont rien autre que l’écho d’autres voix, la répétition des idées et des théories des personnages sous l’influence desquels l’écrivain se trouvait à telle époque de sa vie. Ceci a été exposé sur des tons très différents : par les uns, sous forme de reproche et de raillerie ; par d’autres, — tels que Renan et M. d’Haussonville, — sous forme d’éloge. Ces deux derniers font un juste mérite à la grande romancière d’avoir su refléter les plus sublimes idées de notre siècle[416].

Nous sommes complètement de cet avis, et nous avons déjà dit dans le premier chapitre de ce livre que du commencement à la fin de sa production littéraire, George Sand nous apparaît comme une brillante traductrice des plus grandes idées de son temps. Laissant, pour le moment, ce fait de côté, nous nous arrêterons sur la question de savoir jusqu’à quel point ont raison ceux qui accusent George Sand ou la portent aux nues parce qu’elle a préconisé les idées d’autrui ; nous nous proposons donc d’examiner si en réalité aux diverses époques de sa vie elle était seulement l’écho d’autres voix, et si elle ne fut pas le chantre indépendant de la liberté de notre siècle.

D’après l’opinion communément reçue, George Sand traduisit les nouvelles doctrines de Leroux et d’autres, ainsi qu’Aaron répéta les enseignements du bègue Moïse. Elle n’aurait été que le porte-voix renforçant les appels à un idéal nouveau, parce qu’ils manquaient de sonorité ou d’éloquence. Mais pouvons-nous nous représenter un esprit intelligent et délicat ne résonnant pas au contact de la vie spirituelle de la société qui l’entoure, ne répondant pas à l’appel d’autres grandes âmes ? Un esprit qui, sous l’influence du choc des natures originales et bien caractérisées, et sous l’impulsion d’apôtres réformateurs et créateurs de nouvelles théories, d’idées hardies dans les sphères morales, scientifiques et artistiques, — ne soit évoqué à la vie par les forces sommeillant au fond de son âme et encore privées de lumière ?

Nous ne connaissons aucun grand écrivain, compositeur ou peintre qui n’ait été dans sa jeunesse sous l’influence d’un célèbre prédécesseur. Il suffit de se rappeler Le Pérugin et Raphaël, Mozart et Bethoven, Gœthe et Byron, ou bien tous ceux qui, à leur tour, se sont trouvés émules de ce dernier : Pouchkine, Lermontow, Musset, Mickiewicz et autres. Et de nos jours ne voyons-nous pas à chaque instant des peintres et des musiciens se faire les adeptes des penseurs qui parlent à leur âme ou répondent à leur nature, et ne font pour ainsi dire que répercuter leurs pensées ? George Sand elle-même avoue franchement que bon nombre de ses contemporains ont exercé sur elle une semblable action et l’ont aidée à se faire une idée nette de la vie. En effet, dans beaucoup de ses œuvres on peut facilement suivre l’influence indéniable des grands esprits (et quelquefois des esprits médiocres) avec lesquels, elle fut pendant sa vie en contact ou en relations plus ou moins amicales.

Mais il est hors de doute aussi qu’elle ne s’est trouvée sous l’influence de ces esprits-là, et non sous une autre, que parce qu’elle avait, dans son esprit et dans sa nature, des traits qui l’en rapprochaient et lui donnaient comme une sorte de parenté avec eux[417]. Ce qui nous intéresse particulièrement, c’est la suite du développement de ces idées, le passage imperceptible mais graduel des unes aux autres, que nous trouvons dans l’histoire de la vie intellectuelle de George Sand. En écrivant l’Histoire de ma Vie, elle avait l’intention de nous raconter notamment l’histoire de son développement et de sa croissance intellectuelle. Mais, entraînée par des motifs purement personnels et aussi par ses souvenirs et par la peinture des caractères des personnes qui l’entouraient, — ce qui est tout naturel pour un artiste, qui n’est pas un homme de science, — George Sand a consacré trop de place et trop de temps au récit de ses jeunes années et n’a eu le temps de nous raconter en détail que l’histoire de son développement primitif. Elle ne consacre que peu de pages de la dernière partie de l’Histoire de ma Vie à l’action exercée sur elle dans un âge plus mûr, par les idées des penseurs, des artistes et des personnages politiques qui l’entouraient. Elle parle de tout cela brièvement, comme en courant, quoiqu’elle reconnaisse la réalité de ces influences.

Ce qui nous frappe surtout chez George Sand, c’est la gradation certaine qui se fait remarquer dans ces changements. On dirait qu’en se liant spontanément d’amitié ou d’amour avec beaucoup de personnes éminentes de son époque, George Sand parcourait comme sciemment le cycle de son évolution spirituelle, se rapprochait comme avec préméditation des gens qui lui découvraient tour à tour la vérité, faisant résonner les unes après les autres les sept cordes de la lyre, dont l’accord complet produit seul l’harmonie et l’unité de l’esprit humain et le rapproche autant que possible de la vérité absolue.

Après avoir acquis son indépendance personnelle, après avoir trouvé sa vocation et acquis la situation et la gloire d’un véritable écrivain, — nous avons déjà montré dans quelle proportion y ont contribué de Sèze, Sandeau, de Latouche et Planche, — George Sand vécut d’une vie non raisonnée et spontanée pendant un certain temps. Durant quatre ans, de 1831 jusqu’en 1835, ce fut une époque d’entraînements. Mais, même dans la période de ses égarements, George Sand sut, comme la petite abeille, — laissant le poison dans les calices de beaucoup de ces fleurs du mal, — faire une grande provision de choses belles et précieuses.

La liaison avec Musset exerça, comme nous l’avons vu, une influence directe sur ses écrits. Le contact de cette nature finement artistique détermina surtout chez la romancière la tendance à une plus grande pureté de goût littéraire et à une certaine critique de soi-même.

L’action de Sainte-Beuve fut beaucoup plus profonde et ne se borna pas à la seule littérature. Dans une lettre écrite à Sainte-Beuve, le 27 janvier 1845, George Sand dit que malgré la divergence de leurs opinions, et quoiqu’elle n’aimât pas ses amis, à lui, il lui serait toujours cher comme témoin de ses souffrances et de ses chagrins passés (elle fait ici allusion au rôle de confident que celui-ci avait joué durant son intimité avec Musset). Mais dans l’Histoire de ma Vie, elle appelle déjà ce même Sainte-Beuve « un de ses éducateurs et bienfaiteurs intellectuels[418] », et sur

l’exemplaire qu’elle lui offrit de son roman Monsieur Sylvestre, elle écrivit : « À mon ami Sainte-Beuve, chère et précieuse lumière dans ma vie[419]. » Et, en effet, le rôle que joua Sainte-Beuve dans la vie de la grande romancière, ainsi que nous l’avons déjà montré, commença bien avant et finit bien après son roman avec Musset, et ce rôle fut bien plus important que celui d’un confident bienveillant d’aveux et de lamentations amoureuses. Les conseils de Sainte-Beuve, ses reproches, ses encouragements et son approbation rendirent plus d’une fois d’énormes services à George Sand dans la période de ses hésitations, de ses recherches orageuses de la vérité, de ses chutes et de ses entraînements. Sainte-Beuve se distinguait par une connaissance profonde de la nature humaine, même de toutes ses bizarreries et de ses égarements ; aussi George Sand appréciait-elle beaucoup cette connaissance, et mettait-elle à nu devant lui, sans aucune appréhension, ses plaies et ses blessures. Dans une des premières lettres écrite en avril 1833, en réponse à la proposition de lui faire faire la connaissance de Jouffroy, elle refuse, donnant pour raison que Jouffroy était une nature par trop vertueuse et que ce n’était pas un homme avec qui elle pût s’entendre en aucun cas, et là-dessus, elle fait une caractéristique fort pittoresque de Jouffroy, de Sainte-Beuve et d’elle-même :

« Je dis donc que M. Jouffroy doit être bon, candide, inexpérimenté pour un certain ordre d’idées où j’ai vécu et creusé, où vous avez creusé aussi, quoique beaucoup moins avant que moi. Par exemple, je me suis dit : « Est-ce qu’il ne serait pas permis de manger de la chair humaine ? » Vous vous êtes dit : « Il y a peut-être des gens qui se demandent si l’on peut manger de la chair humaine. « Et M. Jouffroy se dit : « L’idée n’est jamais venue à aucun homme de manger de la chair humaine. » Pourtant il y a des peuplades entières qui en mangent et qui n’en sont peut-être pas plus mal avec Dieu pour cela. Moi, je ne m’estime pas, car après m’être adressé de semblables questions, je ne les ai pas résolues et j’en suis restée là ; M. Jouffroy n’ayant pas appris que ces questions existent, n’a pas grand mérite à les nier ; mais vous qui, ayant songé à tout et peut-être goûté à des choses immondes comme font les chimistes, avez déclaré que la chair humaine est mauvaise et malsaine, et vous êtes décidé à vivre d’aliments choisis, apparemment vous avez le discernement, c’est-à-dire, dans le sens moral, la lumière et la force… »

Il en résulte que Sainte-Beuve était pour George Sand le sage conseiller qui pardonnait parce qu’il comprenait tout et qu’il l’attirait par ses vastes connaissances, par la flexibilité de son esprit, par l’absence d’idées préconçues et de parti pris. Dans la période du pessimisme et du plus sombre désespoir de George Sand, au moment où elle écrivait Lélia, Sainte-Beuve, qui admirait dans cette œuvre la profondeur et la force des idées qui ne sont pas celle d’une femme[420], tâchait, comme nous l’avons déjà dit (ch. vii) de calmer l’âme révoltée de George Sand et de la réconcilier avec les lois divines et humaines. Il prenait à cœur de lui apprendre à transférer le centre de la gravitation de tous ses intérêts, à les transporter de la sphère de sa vie personnelle dans celle de l’action artistique, de la placer dans le travail littéraire, et surtout de tendre à développer en elle l’esprit humain harmonieusement idéal, planant sur toutes les passions et progressant toujours dans la voie du perfectionnement moral et intellectuel. Cet idéal et ces tendances étaient déjà bien dans l’âme d’Aurore Dudevant à l’époque de son séjour au couvent et ce n’est pas pour rien qu’elle donna constamment à Sainte-Beuve le titre de « directeur de conscience », et dit plus d’une fois qu’il y avait en lui quelque chose du prêtre[421].

Si son amour pour Alfred de Musset la sauva de la misanthropie et du pessimisme qui l’avaient envahie, il fut en même temps un obstacle dans la voie de son perfectionnement, ne lui permit pas alors de se retrouver elle-même et arrêta un moment son évolution morale qui avait commencé en 1832. Au mois de juin de 1833, quelques mois après l’orage qui l’avait brisée, elle écrivait à Sainte-Beuve dans la lettre dont nous avons reproduit le commencement à propos de Mérimée, et après le passage où nous nous sommes arrêté : « Cette malheureuse et ridicule campagne m’a fait faire un grand pas vers l’avenir de sérénité et de détachement que je me promets en mes bons jours. J’ai senti que l’amour ne me convenait pas plus désormais que des roses sur un front de soixante ans, et depuis trois mois — les trois premiers mois de ma vie assurément — je n’en ai pas senti la plus légère tentation. J’en suis donc là. J’espère, je me repose, j’écris, j’aime mes enfants, et je souffre peu. Je marche vers l’idée Trenmor sans trop divaguer. »

Ensuite elle lui explique la différence qu’il y a entre son influence à lui sur elle et celle de Planche, et le supplie de ne pas l’abandonner au point de bifurcation où elle se trouve : « Aidez-moi à retrouver ma route, car je flotte incertaine encore souvent, et je me demande si je ne me suis pas mise dans une fausse voie… Ô mes amis, un peu d’aide, un peu de pitié, je suis dans un passage dangereux, et quoique j’avance, je me heurte encore souvent. »

Mais quelques semaines à peine après ces lignes, la même plume qui les avait tracées et qui avait écrit qu’elle marchait vers l’idée Trenmor, sous-entendant par là l’idéal de servir l’humanité par le sacrifice de soi-même, cette plume, disons-nous, déclarait à Sainte-Beuve qu’elle aimait Musset et qu’elle avait blasphémé Dieu et la nature en écrivant Lélia. — Aussitôt après, pleine de brillantes espérances, George Sand entreprit d’abord l’excursion à Fontainebleau et ensuite elle partit pour l’Italie. Bientôt se déroulait la tragédie italienne avec son double renouvellement parisien et avec son épilogue émouvant ; Sainte-Beuve, qui avait d’abord conseillé à Musset de revoir sa maîtresse, ne pouvait cependant approuver la répétition des scènes orageuses de l’Italie, il faisait tous ses efforts pour empêcher les entrevues des deux amants ; George Sand en parle d’une manière assez mordante et irritée dans ses lettres et dans son journal envoyé à Musset[422]. On aurait pu croire que son amitié pour Sainte-Beuve en fut ébranlée, et il semblait aussi que George Sand eût oublié à jamais ses recherches passées de la vérité et son intention de se faire une autre vie. Mais à peine eut-elle acheté, et bien chèrement, sa liberté, que cette âme, fière et flexible comme l’acier, retint d’un coup, comme s’il n’y eût eu aucun intervalle ni empêchement, au même point qu’elle avait atteint avant sa liaison avec Musset. Et à peine établie à Nohant, elle envoyait déjà au mois de mars et d’avril à Sainte-Beuve les deux remarquables lettres publiées naguère par M. de Loménie dont nous avons cité un fragment[423]. Se plaignant avant tout que Sainte-Beuve l’avait abandonnée au moment le plus pénible de sa vie, elle le supplie de lui venir en aide, d’être son guide et son directeur et elle ajoute : « Mais mon Dieu, que faire de notre force ? où la mettre ? Quel emploi avez-vous trouvé à la vôtre ? Dites donc, dites donc vite ! Vous n’êtes pas de ceux qui peuvent répondre : « Moi, je n’en ai pas ; je n’ai pas envie de courir, parce que je n’ai pas de pieds. » Vous avez mis quelque part, dans quelque tabernacle sacré, dans quelque astre mystérieux, votre jeunesse, vos douleurs. « Est-ce donc de nouveau dans cette religion chrétienne ? Mais comment faire pour entrer dans ce temple ? Chaque fois que je passe devant la porte, je m’agenouille devant cette divine poésie, vue de loin ; mais si j’approche je n’y vois plus ce que je croyais être là exclusivement. Je voudrais trouver mon Dieu tout entier dans sa majesté et dans sa gloire et me prosterner, et n’avoir pas d’autres êtres de mon espèce autour de moi pour me dire : « C’est lui », car alors j’en douterais.

« Ah ! que vous êtes heureux ! quel crime ai-je commis pour être condamnée au rôle du Juif-Errant ? Vous dites que vous souffrez et que vous savez souffrir. Eh ! je le sais aussi bien que vous ! Je parie même que vos douleurs me sembleraient bien plus légères qu’à vous, si j’avais ce que vous avez pour vous en consoler, si je pouvais me recueillir une fois, un seul instant par jour et dire, en adorant quelque chose : « Voilà ce dont je ne peux pas douter…… » Tenez, il me vient souvent dans l’idée (et c’est une espèce de consolation que je me permets), que la cause pour laquelle les âmes passionnées subissent leur martyre est une noble et sainte cause. Aimer, c’est de tout ce que nous connaissons, ce qu’il y a encore de plus large et de plus ennoblissant. C’est là qu’on trouve encore la volonté et le pouvoir de se sacrifier !… »

Et le 4 avril, dans sa réponse à la réponse de Sainte-Beuve, elle soulève de nouveau la même question et lui répète : « En résumé, j’arrive à une conclusion que moi seule suis en état de tirer sur moi-même, c’est que ces éclairs de mon front, ces flammes du génie, ces forces passionnées de mon âme, toutes ces ardeurs et ces grandeurs que dans votre poésie… il vous plaît d’appeler ainsi, ne sont que l’abus coupable et le développement maladif de certaines facultés que Dieu m’avait données pour un meilleur usage… Ah ! j’y vois clair à présent, soyez-en sûr, et c’est le châtiment de mes erreurs. Mais il ne me découragerait que si j’étais bien sûre d’être incorrigible et inguérissable. Or, voilà ce que je ne sais pas et ce que je suis bien résolue de savoir en mettant toute la force qui peut me rester à réparer le mal que je me suis fait. Si je ne le puis, je verrai à me brûler la cervelle plutôt que de recommencer la vie que j’ai eue depuis deux ou trois ans. Mais j’espère, non que je sente en moi de grands éléments de succès, mais parce que le désir de réussir fait toujours espérer.

« Ne croyez donc pas que le bah ! qui se trouvait dans ma dernière lettre, en tête, s’il m’en souvient, d’une réhabilitation de l’amour dans mes idées, signifiât autre chose que la volonté de respecter ce sentiment comme une belle et sainte chose, dont j’avais mal usé et dont on avait mal usé avec moi. Quant à la volonté de m’y rejeter par ennui ou par dépit, ne craignez pas que je l’aie. Loin de là, l’idée même d’un amour tel que vous le dépeignez m’apparaît comme un rêve qui ne se réalisera pas pour moi, et que j’appliquerai toute mon énergie à ne point essayer de réaliser. Non, non, ni celui-là, ni l’autre. Ni l’amour tendre et durable, ni l’amour aveugle et violent. Croyez-vous que je puisse inspirer le premier et que je sois tentée d’éprouver le second ? Tous deux sont beaux et précieux, mais je suis trop vieille pour tous les deux. C’est à cela que je n’ai plus (pour moi) ni foi, ni espoir, ni désir. Je ne peux affirmer rien de durable dans mes dispositions en général, mais je sens celle-là bien profonde ; ce côté de ma vie est frappé d’une tristesse et d’une terreur qui ressemble à la mort, et qui l’est sans doute. Ce n’est donc pas de ce côté que se tournent mes regards et, s’ils y vont jamais, ce sera avec plus de crainte et de timidité que vous ne pouvez m’en recommander ! »

Ensuite elle maudit les hommes et les livres qui par leurs sophismes l’avaient poussée vers les jouissances et la recherche des sensations, et elle regrette le temps où Franklin était son guide et son idéal[424] ce qui a été déjà dit plus haut[425], et elle écrit :

« Je veux me résigner et attendre que la Providence m’envoie naturellement quelque moyen de faire du bien. Je ne sais encore s’il en est, car celui qu’on est convenu d’appeler ainsi, et que nous pratiquons tous plus ou moins, ne me paraît pas mériter un si beau nom. Mais nous verrons ! Ce à quoi je voudrais apprendre à renoncer volontairement et de bonne grâce, c’est à ma satisfaction personnelle. C’est un grand et rude travail dont je ne sais pas le but, mais qui doit en avoir un, et qui, s’il ne produit pas le bien, ne saurait produire le mal. Je vous dirai, si j’y réussis, quels effets il produit en moi et si je me sens améliorée. Je voudrais donner à mes enfants une vieille mère respectable. Si je n’y réussis pas, mon ami, soyez sûr que je ne laisserai pas ma vie traîner à la leur comme un haillon[426]… »

Cette lettre ne fut pas immédiatement envoyée, et le 14 avril, George Sand ajoute la très significative page suivante : « J’ai assez bien passé cette semaine et l’autre. J’ai relu Franklin, j’ai causé avec un vieux ami, qui est sage et heureux, et qui fait aussi ses délices du bonhomme Richard[427]. Et puis j’ai vu un grand ouragan d’hommes politiques, qui ne m’a pas donné envie de faire une cavalcade dans ces idées-là, quoique ce soient de belles idées et des hommes beaux intellectuellement. Je suis contente du calme de mon esprit et du peu de part que je prends aux choses humaines, en ce qu’elles ont de personnel à moi. Le besoin d’appui qui m’a obstinément tourmentée jusqu’ici, se dissipe en présence des individus qui représentent ou qui prétendent représenter des théories. J’aime mieux attendre qu’une conviction quelconque me vienne, que de me la faire entrer dans le cerveau avec du vin de Champagne.

« Bonsoir, mon ami, je ne suis pas gaie, ni fière. J’espère un peu… Ne me dites pas que votre bonheur et votre vertu me feraient pitié si je voyais le fond de ces grands secrets. Dites-moi tout le contraire, quand même vous devriez exagérer un peu. Ah ! si j’étais sûre que la vertu est ce que je l’ai rêvée autrefois, comme j’y retournerais vite ! Moi qui me sens tant de force dont je ne sais que faire ! Mais où retrouver ce désir, cette foi et cet espoir ? Priez pour moi, si Dieu vous écoute, priez pour tous les hommes infortunés. »

On saisit toute la portée de cette lettre, si l’on observe que la sixième Lettre d’un voyageur, dont les divisions portent les dates des 11, 15, 18, 20, 22, 23, 26, et 29 avril et qui lors de sa publication dans la Revue des Deux-Mondes portait le n° IV et suivait ainsi immédiatement les trois lettres à Musset et la Lettre d’un oncle adressée à Rollinat, pleines d’échos du drame de cœur qui venait de se passer, que cette sixième lettre est dédiée à Everard == Michel de Bourges. En effet, comme si le sort avait voulu mettre devant les yeux de cette femme travaillée par les passions et le doute, qu’il y avait une autre et meilleure manière d’appliquer son indomptable force individuelle qu’aux sentiments et aux péripéties de l’amour, le sort, en 1835, lui fit rencontrer, on ne peut plus à propos, trois personnalités, dont toute la vie et l’activité furent uniquement consacrées au service d’une grande idée, c’étaient Michel, Liszt et Lamennais.

Ce fut précisément en Michel que George Sand trouva ce que Sainte-Beuve n’avait pu lui donner. Celui-ci avait voulu la guérir de ses doutes et de ses entraînements, en lui enseignant à voir la vie avec un calme philosophique et d’une manière objective, à savoir se recueillir en elle-même, à trouver dans la liberté idéale de l’esprit le contentement moral que n’avaient pu lui donner les hommes, le bonheur qu’elle poursuivait en vain. Michel lui indiqua une autre voie qui convenait mieux à sa nature et à son âme ardente, c’était de chercher la satisfaction de toutes les forces de son être dans la compassion envers le prochain et en se mettant au service de l’humanité. Et alors, au lieu de Sainte-Beuve, cet homme d’un calme tout hellénique, nous apercevons pour quelque temps dans le rôle de maître et de directeur de George Sand l’étrange figure de ce démagogue typique de 1830.

Rappelons en quelques mots sa biographie. Michel de Bourges, fils d’un républicain tué en 1799, par les adversaires de la Révolution, naquit à Aix en 1798. Il suça presque avec le lait de sa mère ses convictions républicaines et il grandit dans cette atmosphère d’opinions extrêmes. Il fit d’abord ses études à Aix, ensuite son droit à Paris. Devenu avocat, il se distingua par toute une série de brillantes plaidoiries dans des procès politiques, pendant les années 1825-1839, enfin, il fut aussi l’un des défenseurs des accusés dans le procès monstre de 1835, lorsque le parti républicain profita des discours de ses meneurs, non pas tant pour justifier les inculpés dans les troubles de Lyon, que pour prononcer toute une suite de professions de foi et de philippiques contre l’ordre existant. Nous ne raconterons pas l’histoire de ce procès, car tout lecteur est à même de relire les brillantes pages de Louis Blanc se rapportant à cet épisode[428]. Michel, dans cette affaire, fut un des personnages les plus en vue. Une incroyable force d’âme dans un corps chétif et malingre ; un esprit tranchant et droit ; une vanité qui allait jusqu’à le rendre jaloux de son confrère Trélat, condamné à trois ans de prison pour sa célèbre Lettre aux accusés, tandis que lui, Michel, ne l’était qu’à un mois d’emprisonnement (quoiqu’il attribue cette jalousie à des motifs plus élevés) ; une ambition qui le fit plus tard poursuivre la célébrité et presque renier ses convictions de jeunesse ; enfin un talent oratoire hors ligne, un don de deviner les individualités les plus diverses, de faire vibrer à son gré son auditoire comme un instrument et de subjuguer les plus récalcitrants ; — ces facultés exceptionnelles avaient naturellement placé Michel à la tête du petit parti républicain du Berry, et dans la suite elles firent de lui un des meneurs du mouvement de 1830. À partir de 1831, il dirigea la Revue du Cher, et obtint, grâce à ce petit recueil, une immense influence en province. Après 1837, il parut fatigué, renonça à la propagande des idées républicaines, devint député du Cher et de la Vienne, mais se montra inactif et faible ; enfin, en 1839, il se fit beaucoup de tort par sa plaidoirie dans l’affaire d’un fonctionnaire qui poursuivait en justice un journal, d’après la loi appelée « la loi Bourbeau ». Après 1837, Michel se préoccupa exclusivement de sa clientèle d’avocat, ne pensa plus qu’à s’enrichir, son étoile pâlit, et on l’oublia si bien, qu’en 1848, personne ne le proposa pour être membre du gouvernement provisoire. Il est vrai qu’il fut élu député en 1849, se rangea dans l’opposition et vota pour le suffrage universel, mais il était loin d’exercer la même fascination sur ses auditeurs que par le passé. En demandant que le droit d’employer la force armée pour sa propre défense, fut conféré au président, Michel contribua indirectement au coup d’État. Cet événement de 1851 l’accabla, il devint hypocondre et mourut de chagrin et de maladies en 1853, à Montpellier.

Nous ne raconterons pas ici l’histoire du procès d’avril de 1835, ni la part qu’y avait prise Michel ; nous ne répéterons pas non plus le récit tant soit peu enjolivé de George Sand sur sa conversion opérée par Michel[429], sur le pont des Saints-Pères. Nous avons déjà dit qu’il n’était pas besoin de convertir George Sand, car sa sympathie pour toutes les théories socialo-altruistes et son penchant pour la démocratie avaient toujours en réalité existé dans son âme, et qu’ils s’étaient dévoilés assez clairement déjà lors de sa correspondance avec de Sèze. Si Michel lui avait ouvert les yeux, c’est seulement dans le sens qu’il l’avait intéressée à la lutte des partis politiques qui sévissait alors en France, c’est qu’il l’avait forcée à voir ce qu’il y avait d’acceptable dans cette lutte, c’est qu’il lui avait prouvé que tout homme sympathisant avec les idées chrétiennes et sociales devait s’intéresser au parti républicain. Jusqu’alors George Sand était restée indifférente à la politique. Dans toutes ses lettres, tant publiées qu’inédites, à l’époque de sa vie conjugale comme dans la période de son indépendance, chaque fois qu’il s’agissait de politique, elle prenait un ton quelque peu méprisant, badin et moqueur[430]. Elle ne se réjouissait pas tant de la victoire remportée par le parti républicain aux élections de la Châtre, parti auquel appartenait son mari, Hippolyte, le vieux Duris-Dufresne, et ses autres amis du Berry, mais elle riait surtout des manœuvres avortées du parti opposé, en général de toutes les émotions, de toutes les péripéties des luttes de partis, parodiait les discours politiques, les manifestes, le ton des articles de politique des journaux. Il est vrai qu’elle tenait son mari au courant des débats parlementaires de Paris, lui disait « qu’il ne s’entendrait jamais avec sa belle-mère (la baronne Dudevant), car elle est orléaniste » ; George Sand était aussi inquiète pour ses amis restés à Paris pendant les journées de juillet 1830, et pleurait les victimes, innocentes et coupables, de cette boucherie ; mais lorsqu’elle en vient à parler des meneurs de ce mouvement, de leurs discours, de leurs victoires et de leurs actes, son ton devient toujours légèrement moqueur, et elle semble glisser là-dessus ; on dirait qu’elle ne prend pas tout cela au sérieux. Bien plus, elle fit la connaissance de Michel lui-même, non pas par un sentiment d’admiration à distance, semblable à celui que lui portaient beaucoup de ses amis du Berry, mais plutôt par curiosité moqueuse. Comme cet Athénien qui s’ennuyait d’entendre appeler par tous Aristide « le juste », de même elle aussi était importunée d’entendre répéter sur des tons différents : « C’est ainsi que Michel pense… », « Michel l’a dit… », « Michel dit que… », et ainsi de suite. Et elle se rendit à Bourges pour voir de ses propres yeux ce prophète nouvellement éclos et pour avoir aussi le droit de répéter : « Michel dit que… » Il semble même qu’elle s’imaginait qu’elle sourirait à l’aspect de ce grand enthousiaste, comme on peut le conclure des dernières lignes de la sixième Lettre d’un voyageur : « … soit béni de m’avoir forcé de regarder sans rire la face d’un grand enthousiaste. » Mais l’occasion de rire ne lui fut pas donnée.

Dès 1833, George Sand avait fait la connaissance d’Adolphe Guéroult[431] adepte de Saint-Simon et collaborateur du Globe, lequel, comme les autres saint-simoniens, avaient vu dans les premiers romans de l’écrivain l’incarnation des idées que prêchait leur parti sur l’émancipation de la femme ; il s’était fait pour cette raison, dès le commencement, champion et défenseur actif des œuvres du jeune auteur. Au dire de Maxime Ducamp[432], Guéroult fut aussi celui qui se présenta chez George Sand au nom de toute la « famille » avec la proposition d’accepter le rôle de la Mère. George Sand refusa certes, mais après avoir écrit Lélia, elle s’adressa spontanément à Guéroult, lui demandant aide et soutien pour son nouveau-né. À partir de ce moment ses relations avec lui devinrent de plus en plus amicales, George Sand s’attacha et s’intéressa davantage à la doctrine de Saint-Simon, ne s’en moqua plus (comme en 1831)[433], et en 1836, ou 1837, comme nous l’avons vu, assista même à une de leurs séances. Dans la doctrine de Saint-Simon il y avait beaucoup de points communs avec les croyances d’Aurore Dudevant, et aussi en attendait-elle, dans l’avenir, beaucoup de bien, sans toutefois en espérer quelque chose de décisif et de définitif, devant amener le paradis sur la terre. Elle n’était point non plus convaincue de l’utilité du célèbre voyage des saint-simoniens en Orient, en vue de recevoir de nouvelles révélations, mais elle se réjouissait beaucoup à la pensée que son nouvel ami étendrait son horizon, verrait de nouveaux pays, et pourrait par conséquent travailler, grâce à ses connaissances plus étendues, au profit de l’humanité future. Quand, vers 1835, apparut la discorde radicale entre les saint-simoniens et les républicains, George Sand suivit avec intérêt les explications que Guéroult lui donnait à ce sujet, s’entretenant avec lui de vive voix et par écrit, mais en même temps elle ne permettait pas qu’il s’immisçât trop et d’une manière indiscrète dans sa vie privée. Ainsi, par exemple, elle arrêtait sèchement Guéroult chaque fois qu’il commençait à parler de ses vêtements d’homme ou essayait de lui faire un brin de cour[434]. Et après l’avoir bien sermonné, George Sand lui écrivait au printemps de l’année 1835[435] : « Le seul inconvénient que je voie à cette détermination (le départ pour l’Orient), c’est qu’un séjour nouveau avec des chefs saint-simoniens augmentera en vous le sentiment de fanatisme pour des hommes et des noms propres. Je n’aime pas ce sentiment, je le trouve petit, ravalant et niais. Je l’éprouve souvent, et il n’y a pas vingt-quatre heures que j’ai eu une forte lutte à soutenir contre moi-même pour m’en défendre, en présence d’un homme politique d’un très grand aspect.

« Je ne me suis enrôlée sous le drapeau d’aucun meneur, et, tout en conservant estime, respect et admiration pour tous ceux qui professent noblement une religion, je reste convaincue qu’il n’y a pas sous le ciel d’homme qui mérite qu’on plie le genou devant lui… J’ai causé avec les saint-simoniens, avec les carlistes, avec Lamennais, avec Coëssin, avec le juste-milieu, et hier avec Robespierre en personne. J’ai trouvé chez tous ces hommes de grandes doses de vertu, de probité, d’intelligence et de raison, et celui qui m’a le plus agitée, c’est celui dont je hais le plus les idées et dont j’admire le plus l’individualité. C’est le dernier, ce qui prouve qu’il est facile d’égarer les hommes et d’abuser des dons de Dieu ; mais je fais serment devant lui, que si l’extrême gauche vient à régner, ma tête y passera comme bien d’autres, car je dirai mon mot.

« Ce que je vois au milieu de ces divergences de sectes rénovatrices, c’est un gaspillage de sentiments généreux et de pensées élevées ; c’est une tendance à l’amélioration sociale, une impossibilité de produire pour le moment, faute de tête, à ce grand corps aux cent bras, qui se déchire lui-même, ne sachant à quoi s’attaquer. Ce conflit ne fait encore que bruit et poussière. Nous ne sommes pas dans l’ère où il construira des sociétés et les peuplera d’homme perfectionnés… »

« … Je voudrais voir un homme d’intelligence et de cœur chercher partout la vérité et l’arracher par morceaux à chacun de ceux qui l’ont dépecée et partagée entre eux. Je voudrais le voir passer par toutes les sectes pour les connaître et les juger. Je voudrais, qu’au lieu de le mépriser et de le railler pour sa mobilité, les hommes l’écoutassent comme le plus éclairé et le plus zélé des prêtres de l’avenir… Souvenez-vous de ce que je vous dis : un jour vous ne croirez plus à aucune secte religieuse, à aucun parti politique, à aucun système social. Vous ne verrez pour les hommes qu’une possibilité d’amélioration soumise à mille vicissitudes… J’ai regret à ces trésors de vertu et de courage qui s’isolent les uns des autres, et si je pouvais réussir à fondre ensemble le produit de cinq paires de bras, je croirais avoir assez fait pour ma part, eu égard à la force des miens… »

Comme nous le voyons, la première impression que lui avaient faite les discours de Michel avait été très défavorable et la correspondante de Guéroult est tout à fait hostile à tout esprit de parti. L’influence de Sainte-Beuve se fait encore bien sentir dans son scepticisme sur la possibilité de la soudaine régénération de l’humanité et dans un certain éclectisme.

Dans une lettre inédite à Gustave Papet, George Sand souligne encore le fait de sa complète indifférence pour les opinions arrêtées des partis.

Nohant, le 14 avril 1835.

« J’avais prié Duteil de t’écrire l’autre jour, parce que je partais pour Bourges et j’avais à te prier de me rendre un petit service en toute hâte.

J’ai fait connaissance avec Michel qui m’a promis de me faire guillotiner à la première occasion, lorsque la République serait arrivée. Juge ce qu’il fera de toi ! s’il me guillotine, moi, qui suis en fait d’opinion, de la force d’Odry dans la conversation ! Nous irons ensemble à la place de Grève et nous ferons des calembours en chemin. »


À Hippolyte Châtiron : le 17 avril : « J’ai fait connaissance avec Michel, qui me paraît un gaillard solidement trempé pour faire un tribun du peuple. S’il y a un bouleversement, je pense que cet homme fera beaucoup de bruit. »

Pendant ce temps-là, Michel, qui venait de lire Lélia et qui en était toqué[436], fut très frappé en apprenant que l’auteur était une femme et brûla aussitôt du désir ardent de soumettre cette nature originale et forte et d’en faire son adepte. Immédiatement après le départ de George Sand de Bourges, il lui envoya à Nohant une longue lettre. La correspondance commença. Quand Michel partit pour Paris, George Sand et ses amis l’y suivirent et les nouvelles connaissances se virent tous les jours dans le petit logement du quai Malaquais. Tantôt, ils assistaient aux plaidoiries de Michel au Palais de Justice, tantôt ils l’accompagnaient à travers Paris dans ses promenades. On discutait, ou bien Michel pérorait, attaquait l’ordre existant, tandis que tous les autres l’écoutaient avec vénération. George Sand, pour ne pas trop attirer l’attention au milieu de cette bruyante compagnie, reprit ses habits d’homme, et ce costume lui permit de pénétrer, sans obstacle, le 20 mai, dans la salle d’audience du Luxembourg[437]. Elle fait de la façon suivante, dans l’Histoire de ma Vie[438], le récit de ces journées : « Depuis quelques jours que nous nous étions retrouvés à Paris, lui et moi, toute ma vie avait changé de face. Je ne sais si l’agitation qui régnait dans l’air que nous respirions tous aurait beaucoup pénétré sans lui dans ma mansarde ; mais avec lui, elle y était entrée à flots. Il m’avait présenté son ami intime, Girerd (de Nevers), et les autres défenseurs des accusés d’avril choisis dans les provinces voisines de la nôtre. Un autre de ses amis, Degeorges (d’Arras), qui devint aussi le mien, Planet, Emmanuel Arago et deux ou trois autres amis communs complétaient l’école. Dans la journée, je recevais mes autres amis. Peu d’entre eux connaissaient Everard ; tous ne partageaient pas ses idées ; mais ces heures étaient encore agitées par la discussion des choses du dehors, et il n’y avait guère moyen de ne pas s’oublier soi-même, absolument, dans cet accès de fièvre que les événements donnaient à tout le monde… »

Parmi les membres de cette « école » qui s’était formée en 1835 autour de Michel, il faut surtout nommer Charles Didier[439]. George Sand lui consacre bon nombre de pages dans l’Histoire de ma Vie et lui a adressé la sixième Lettre d’un Voyageur (n° 10 des Lettres d’un voyageur en volume. — Dans toutes les éditions ultérieures de ces Lettres, le nom de Didier est remplacé par le pseudonyme de « Herbert », et seules les éditions parues avant 1842 portent en tête de la lettre n° 10 les mots : À Charles Didier.) Or, le logement de Didier, 6, rue du Regard, servit entre 1835 et 1837 de lieu de réunion à tous les amis de Michel et de George Sand, qui, lors de ses arrivées à Paris, descendait parfois chez Didier et s’y faisait adresser sa correspondance.

Pourtant on remarque encore dans les lettres de George Sand une légère ironie fine, une note méprisante à l’adresse des politiciens. Le 23 mai, elle écrivait à Duteil (lettre inédite dont la première partie se rapporte à Dudevant) : « Tu sais mieux que moi où en est le procès. Mon dévouement pour Michel n’a pas pu encore aller jusqu’à lire les journaux. Mais je le vois tous les jours, ce qui revient au même. Son cœur est aussi affectueux que sa conduite est forte et noble.

« Je regrette pour toi les beaux jours que nous aurions passés avec lui, Bidault, Girerd, Lasnier, etc. J’ai dîné l’autre jour avec Lamennais, Barrot, Ballanche, Nourrit, etc., chez Liszt. Je déjeune lundi chez Michel avec Lamennais. Cette fusion de principes entre des hommes naguère si opposés et si divers de professions et d’intelligence, est un fait curieux et qui ne se représentera sans doute plus. Dans quelques jours nous serons tous divisés. Chacun retournera chez soi, et je m’en vais en Suisse. »

Dans l’Histoire de ma Vie nous trouvons des pages qui nous dépeignent ces mêmes réunions de personnes, en apparence si disparates. George Sand y confirme que c’était précisément Michel qui l’avait intéressée aux différents partis politiques, alors que l’intérêt qu’elle portait aux questions sociales était né depuis longtemps. « J’avais passé le mois précédent (c’est-à-dire avril) à lire Everard et à lui écrire. Je l’avais revu dans cet intervalle, je l’avais pressé de questions et, pour mieux mettre à profit le peu de temps que nous avions, je n’avais plus rien discuté. J’avais tâché de construire en moi l’édifice de sa croyance, afin de voir si je pouvais me l’assimiler avec fruit. Convertie au sentiment républicain et aux idées nouvelles, on sait maintenant du reste que je l’étais d’avance. J’avais gagné à entendre cet homme véritablement inspiré en certains moments, de ressentir de vives émotions, que la politique ne m’avait jamais semblé pouvoir me donner. J’avais toujours pensé froidement aux choses de fait ; j’avais regardé couler autour de moi, comme un fleuve lourd et trouble, les mille accidents de l’histoire générale contemporaine, et j’avais dit : Je ne boirai pas cette eau. Il est probable que j’eusse continué à ne pas vouloir mêler ma vie intérieure à l’agitation de ces flots amers. Sainte-Beuve qui m’influençait encore un peu à cette époque, par ses adroites railleries et ses raisonnables avertissements, regardait les choses positives en amateur et en critique. La critique dans sa bouche avait de grandes séductions pour la partie la plus raisonneuse et la plus tranquille de l’esprit. Il raillait agréablement cette fusion subite qui s’opérait entre les esprits les plus divers venus de tous les points de l’horizon, et qui se mêlaient, disait-il, comme tous les cercles du Dante écrasés subitement en un seul.

« Un dîner où Liszt avait réuni M. Lamennais, M. Ballanche, le chanteur Nourrit et moi, lui paraissait la chose la plus fantastique qui se pût imaginer. Il me demandait ce qui avait pu être dit entre ces cinq personnes. Je lui répondais que je n’en savais rien, que M. Lamennais avait dû causer avec M. Ballanche, Liszt avec Nourrit, et moi avec le chat de la maison. »

Par cette plaisanterie charmante, George Sand évitait de faire une réponse directe à la question de Sainte-Beuve, ne voulant pas avouer, semble-t-il, que, contrairement à ses habitudes, à ce moment elle prenait une part active aux polémiques et aux conversations. Selon toute probabilité, Michel, cette fois comme toujours, voulut profiter de l’occasion pour l’endoctriner ; et quant à elle, non seulement elle l’écoutait, mais elle lui répliquait. Il est de fait que la nouvelle connaissance de Michel était loin d’être aussitôt devenue pour lui une élève docile. Il est vrai qu’elle s’était d’emblée sentie pénétrée d’un profond respect tout filial et d’une admiration de disciple envers la personne de ce démagogue de grand talent. Quand il tomba malade, elle alla le voir tous les jours, insista pour qu’on lui envoyât un docteur, le soigna comme une sœur de charité l’eut fait[440]. Néanmoins la propagande de Michel, ses idées, ses opinions extrêmes étaient loin d’avoir trouvé en elle un auditeur docile. Et si l’histoire de ses rapports personnels avec Michel se présente à nos yeux comme l’heureuse apparition d’un juste et d’un prophète depuis longtemps attendu, d’un inconnu déjà parent par l’esprit, devant lequel les portes doivent s’ouvrir toutes grandes, qu’on voudrait recevoir à bras ouverts et qui devient en un court espace de temps un ami, un frère, un maître, et même plus encore, — alors l’histoire de la prétendue conversion de George Sand apparaît comme la défense opiniâtre d’elle-même contre l’ennemi menaçant sa liberté individuelle, qui lui était si précieuse. C’était un ennemi sans quartier, détruisant sur son passage, en vrai vandale, tout ce qui est cher à l’artiste, tout ce qui est une conquête de l’esprit humain, choses non moins belles et non moins nécessaires que les idées d’égalité, de fraternité et de liberté, pour lesquelles guerroyait seulement le terrible tribun. Alors que toutes les lettres de George Sand des années 1835-1837 adressées à ses parents et amis sont remplies d’expressions enthousiastes, qu’elle y parle de Michel comme d’une grande âme, comme d’un prophète vénéré et réellement aimé et qu’elle le soigne avec une tendresse filiale, — sa célèbre Lettre à Éverard, présente les choses tout autrement, surtout lorsqu’on l’analyse à titre de document psychologique et littéraire. Pour nous, qui sommes éloignés de cette époque par plus d’un demi-siècle, nous éprouvons à la lecture de cette lettre une tout autre impression que celle que ressentaient les contemporains et que continuent de partager la plupart des critiques et des biographes. Selon nous, ce n’est nullement là le credo des idées de Michel, mais au contraire, c’est l’expression d’une lutte opiniâtre et la résistance au nom de l’individualité artistique contre les prédications despotiques et intolérantes de Michel. On dirait que nous assistons à un dialogue dont nous n’entendons que les réponses de George Sand, réponses qui sont pour la plupart une protestation, mais ces réponses suffisent pleinement pour pouvoir juger ce que Michel disait et affirmait de son côté. En comparant les pages consacrées à Michel dans l’Histoire de ma Vie, avec la Lettre à Éverard et les lettres particulières, tant imprimées qu’inédites de George Sand, nous voyons qu’elle était tout simplement charmée par la personnalité de Michel, par cette ardeur perpétuelle, par ce dévouement absolu et désintéressé mis au service d’une idée, par cette force d’âme et par cette existence d’où il avait rejeté tout ce qui était égoïste et personnel.

Mais, au premier abord, les opinions de Michel l’avaient effrayée et lui avaient été profondément antipathiques. Non seulement George Sand était trop artiste de nature, trop individuelle, trop amie de la liberté et trop au-dessus de cette foule médiocre qui suit si facilement les meneurs et les beaux parleurs tels que Michel de Bourges ; elle était en outre effrayée par la prédication de doctrines violentes et révolutionnaires et de bouleversements achetés au prix du sang ; enfin, rebutée par la théorie du nivellement universel et de l’inutilité des arts et des artistes, elle était encore révoltée par les discours ascétiques et fanatiques de ce Savonarole révolutionnaire. Voilà pourquoi, d’un côté nous pouvons lire les épithètes les plus flatteuses, l’expression de son adoration devant le maître, et d’un autre côté des pages d’une protestation humble, il est vrai, et selon l’auteur trop audacieuse, mais néanmoins de protestation contre la doctrine.

La première partie de la Lettre à Éverard commence par l’expression de la reconnaissance éprouvée par le voyageur de ce que le grand homme, quoique occupé par des intérêts très sérieux et appartenant à l’humanité, avait daigné écrire à son nouvel ami immédiatement après leur entrevue. Déjà au commencement de sa lettre, George Sand place Michel sur un piédestal, mais exprime des idées qui sont loin d’être démocratiques : « Quelle mission que la tienne, c’est un métier de gardeur de pourceaux, c’est Apollon chez Admète. Ce qu’il y a de pis pour toi, c’est qu’au milieu de tes troupeaux, au fond de tes étables, tu te souviens de ta divinité, et quand tu vois passer un pauvre oiseau, tu envies son essor et tu regrettes les cieux. Que ne puis-je t’emmener avec moi sur l’aile des vents inconstants, te faire respirer le grand air des solitudes, et t’apprendre le secret des poètes et des Bohémiens !… Te voilà employé à de vils travaux, cloué sur ta croix, enchaîné au misérable bagne des ambitions humaines. Va donc, et que celui qui t’a donné la force et la douleur en partage, entoure longtemps pour toi d’une auréole de gloire cette couronne d’épines que tu conquerras au prix de la liberté, du bonheur et de la vie. Car pour la philanthropie dont vous avez l’humilité de vous vanter, vous autres réformateurs, je vous demande bien pardon, mais je n’y crois pas. La philanthropie fait des sœurs de charité. L’amour de la gloire est autre chose et produit d’autres destinées. Sublime hypocrite, tais-toi là-dessus avec moi, tu te méconnais en prenant pour le sentiment du devoir la pente rigoureuse et fatale où t’entraîne l’instinct de ta force. Pour moi, je sais que tu n’es pas de ceux qui observent les devoirs, mais de ceux qui les imposent : Tu n’aimes pas les hommes, tu n’es pas leur frère, car tu n’es pas leur égal. Tu es une exception parmi eux, tu es né roi.

« Ah ! voici qui te fâche, mais au fond tu le sais bien, il y a une royauté qui est d’institution divine. Dieu eût départi à tous les hommes une égale dose d’intelligence et de vertu, s’il eût voulu fonder le principe d’égalité parmi eux comme tu l’entends ; mais il fait les grands hommes pour commander aux petits hommes, comme il a fait un cèdre pour protéger l’hysope. L’influence enthousiaste et quasi despotique que tu exerces ici, dans ce milieu de la France, où tout ce qui pense et sent s’incline devant ta supériorité (au point que moi-même, le plus indiscipliné voyou qui ait jamais fait de la vie une école buissonnière, je suis forcé, chaque année, d’aller te rendre hommage), dis-moi, est-ce autre chose qu’une royauté ? Votre Majesté ne peut le nier. Sire, le foulard dont vous vous coiffez en guise de toupet est la couronne des Aquitaines, en attendant que ce soit mieux encore. Votre tribune en plein air est un trône ; Fleury le Gaulois est votre capitaine des gardes ; Planet, votre fou, et moi, si vous voulez le permettre, je serai votre historiographe ; mais, morbleu ! sire, conduisez-vous bien, car plus votre humble barde augure de vous, plus il en exigera quand vous aurez touché au but, et vous savez qu’il ne sera pas plus facile à faire taire que le barbier du feu roi Midas… »

« Croyez-vous donc que je conteste vos droits ? Oh ! non pas vraiment : nous ne disputerons jamais là-dessus. Certain roi naquit pour être maquignon ; toi, tu es né prince de la terre. Moi-même, pauvre diseur de métaphores, je me sens mal abrité sous le parapluie de la monarchie ; mais je ne veux pas le tenir moi-même, je m’y prendrais mal, et tous les trônes de la terre ne valent pas pour moi une petite fleur au bord d’un lac des Alpes…

« Allez, vous autres, faites la guerre, faites la loi. Tu dis que je ne conclus jamais ; je me soucie bien de conclure quelque chose ! J’irai écrire ton nom et le mien sur le sable de l’Hellespont dans trois mois ; il en restera autant le lendemain, qu’il restera de mes livres après ma mort, et peut-être, hélas ! de tes actions, ô Marius ! après le coup de vent qui ramènera la fortune des Sylla et des Napoléon sur le champ de bataille.

« Ce n’est pas que je déserte ta cause, au moins ; de toutes les causes dont je ne me soucie pas, imberbe que je suis, c’est la plus belle et la plus noble. Je ne conçois même pas que les poètes puissent en avoir une autre, car si tous les mots sont vides, du moins ceux de patrie et de liberté sont harmonieux, tandis que ceux de légitimité et d’obéissance sont grossiers, malsonnants et faits pour des oreilles de gendarmes. On peut flatter un peuple de braves ; mais flatter une tête couronnée, c’est renoncer à sa dignité d’homme. Moi, je fuis le bruit des clameurs humaines et je vais écouter la voix des torrents… Votre ambition est noble et magnifique, ô hommes du destin ! De tous les hochets dont s’amuse l’humanité, vous avez choisi le moins puéril, la gloire ! Achille prit un glaive au milieu des joyaux de femme qu’on lui présentait ; vous prenez, vous autres, le martyre des nobles ambitions, au lieu de l’argent, des titres et des petites vanités qui charment le vulgaire. Généreux insensés que vous êtes, gouvernez-moi bien tous ces vilains idiots et ne leur épargnez pas les étrivières. Je vais chanter au soleil sur ma branche pendant ce temps-là ! Vous m’écouterez quand vous n’aurez rien de mieux à faire… Bonsoir, mon frère Everard, frère et roi, non en vertu du droit d’aînesse, mais du droit de vertu. Je t’aime de tout mon cœur, et suis de votre majesté, sire, le très humble et très fidèle sujet. »

En tout cela, comme le lecteur le voit, parmi les plaisanteries charmantes, les paroles flatteuses, et une coquetterie toute féminine résonne la même note, la même pensée : je m’incline devant ta personnalité, mais ton œuvre ne me semble être qu’une vanité d’un ordre supérieur ; tu es un ambitieux, tu poursuis un hochet, tandis que moi je suis un poète, libre de tous les futiles attraits humains, loin des bruits du monde, et j’ai atteint le vrai bonheur et le calme au sein de la nature, dans le service de l’art…

Sa seconde lettre du 15 avril confirme tout cela. Michel lui avait posé cinq questions, auxquelles elle répond les unes après les autres. Entre autres elle dit que dans sa lettre de la veille elle avait déjà répondu à la première question d’Everard, à savoir : sur la cause de sa tristesse à lui. S’il est triste, « c’est que travailler pour la gloire est à la fois un rôle d’empereur et un métier de forçat ». Il est vrai qu’elle s’empresse tout de suite de consoler son correspondant en lui disant, à propos de son rôle de Prométhée souffrant : « Tu es plus grand, couché sur ton roc, avec les serres d’un vautour dans le cœur, que les faunes des bois dans leur liberté. Ils sont libres, mais ils ne sont rien, et tu ne pourrais être heureux à leur manière ». Mais, presque immédiatement après, elle dit aussi qu’il ne peut avoir rien de commun avec des hommes tels que, le « Voyageur ».

… « Marius dans les marais de Minturnes, à coup sûr, ne s’entretint pas avec les paisibles naïades. Hommes de bruit, ne venez pas mettre vos pieds sanglants et poudreux dans les ondes pures qui murmurent pour nous ; c’est à nous, rêveurs inoffensifs, que les eaux de la montagne appartiennent ; c’est à nous qu’elles parlent d’oubli et de repos, conditions de notre humble bonheur qui vous feraient rire de pitié ! Laissez-nous cela, nous vous abandonnons tout le reste, les lauriers et les autels, les travaux et le triomphe. Mon pauvre frère, j’aime mieux mon bâton de pèlerin que ton sceptre. »

Elle le plaint et s’incline devant lui, car il ne peut être autre qu’il est. Et le voyageur reprend : « … N’étant bon à rien qu’à causer avec l’écho, à regarder lever la lune et à composer des chants mélancoliques ou moqueurs pour les étudiants poètes et les écoliers amoureux, j’ai pris, comme je te le disais hier, l’habitude de faire de ma vie une véritable école buissonnière où tout consiste à poursuivre des papillons le long des haies, tombant parfois le nez dans les épines pour avoir une fleur qui s’effeuille dans ma main avant que je l’aie respirée, à chanter avec les grives et à dormir sous le premier saule venu, sans souci de l’heure et des pédants. Ce que je puis faire de mieux, c’est de planter à ton intention un laurier dans mon jardin. À chaque belle action que l’on me racontera de toi, je t’en enverrai une feuille, et tu te souviendras un instant de celui qui rit de toutes les idées représentées par des cuistres, mais qui s’incline religieusement devant un grand cœur où réside la justice… »

Et à la question : « … À quand donc la conclusion ? et si tu meurs sans avoir conclu ? » — elle répond hardiment : … « Ma foi ! meure le petit George quand Dieu voudra, le monde n’en ira pas plus mal pour avoir ignoré sa façon de penser… Je n’ai aucun intérêt à formuler une opinion quelconque. Quelques personnes qui lisent mes livres ont le tort de croire que ma conduite est une profession de foi, et le choix des sujets de mes historiettes, une sorte de plaidoyer contre certaines lois… Mes écrits, n’ayant jamais rien conclu, n’ont causé ni bien ni mal. Je ne demande pas mieux que de leur donner une conclusion, si je la trouve ; mais ce n’est pas encore fait, et je suis trop peu avancé sous certains rapports pour oser hasarder mon mot. J’ai horreur du pédantisme de la vertu. Il est peut-être utile dans le monde ; pour moi, je suis de trop bonne foi pour essayer de me réconcilier par un acte d’hypocrisie avec les sévérités que mon irrésolution (courageuse et loyale, j’ose le dire) attire sur moi. J’en supporterai la rigueur, quelque pénible qu’elle me puisse être, tant que je n’aurai pas la conviction intime que j’attends. Me blâmes-tu ? Je suis dans un tout petit cercle de choses, et pourtant tu peux le comparer, à l’aide d’un microscope, à celui où tu existes. Voudrais-tu, pour acquérir plus de popularité ou de renommée, feindre d’avoir les opinions qu’on t’imposerait, et proposer comme article de foi ce qui ne serait encore qu’à l’état d’embryon dans ta conscience ? Je tenais trop à ton estime pour ne pas t’exposer ma situation… »

Dans la troisième lettre, du 18 avril, elle se défend de nouveau du reproche qu’il lui fait de son athéisme social :

« Tu dis que tout ce qui vit en dehors des doctrines de l’utilité ne peut jamais être ni vraiment grand ni vraiment bon. Tu dis que cette indifférence est coupable, d’un funeste exemple et qu’il faut en sortir, ou me suicider moralement, couper ma main droite et ne jamais converser avec les hommes. Tu es bien sévère ; mais je t’aime ainsi, cela est beau et respectable en toi. Tu dis encore que tout système de non-intervention est l’excuse de la lâcheté ou de l’égoïsme, parce qu’il n’y a aucune chose humaine qui ne soit avantageuse ou nuisible à l’humanité. Quelle que soit mon ambition, dis-tu, soit que je désire être admiré, soit que je veuille être aimé, il faut que je sois charitable, et charitable avec discernement, avec réflexion, avec science, c’est-à-dire philanthrope. J’ai l’habitude de répondre par des sophismes et des facéties à ceux qui me tiennent ce langage ; mais ici c’est différent, je te reconnais le droit de prononcer cette grande parole de vertu, que j’ose à peine répéter moi-même après toi… »

En exposant alors de nouveau son admiration sincère pour la personnalité morale du tribun, pour son rigorisme envers lui-même et pour les devoirs ascétiques auxquels il s’est astreint, elle exprime la conviction qu’avant d’essayer de régénérer l’humanité, de dicter des lois et de préconiser des bouleversements sociaux, tout réformateur, comme tout homme, devrait commencer par se régénérer soi-même, par se rendre parfait, par dompter ses passions égoïstes et viles, et qu’alors on aurait déjà beaucoup obtenu. En un mot, par ses convictions elle se range du côté des réformateurs moralo-socialistes et non du côté des politiques. Aussi est-il tout naturel qu’elle dise : « … Je comprends ce que tu es, mais non ce que tu fais. Je vois le mécanisme de cette belle machine d’idées, mais la valeur et l’usage de ses produits me sont inconnus et indifférents. » Et elle affirme de nouveau que d’une manière ou d’une autre, par droit d’aînesse ou de noblesse, de vertu ou de violence, tout le monde a la prétention d’être placé plus haut que les autres, de dominer, de commnder, d’exciter l’admiration. Et alors les uns ont établi des « … lois dictées par les plus habiles ou les plus forts. Ceux qui ont réussi à faire ces lois dans leur intérêt personnel ont commencé la guerre éternelle entre les hommes de résistance et les hommes d’oppression ; à leur tour, les hommes de résistance ont combattu, et sont devenus oppresseurs par le droit de la force. Dans tout cela, où est la justice ? Levez-vous, hommes choisis, hommes divins, qui avez inventé la vertu ! Vous avez imaginé une félicité moins grossière que celle des hommes sensuels, plus orgueilleuse que celle des braves. Vous avez découvert qu’il y avait, dans l’amour et dans la reconnaissance de vos frères, plus de jouissance que dans toutes les possessions qu’ils se disputaient. Alors, retranchant de votre vie tous les plaisirs qui faisaient ces hommes semblables les uns aux autres, vous avez flétri sagement du nom de vice tout ce qui les rendait heureux, par conséquent avides, jaloux, violents et insociables. Vous avez renoncé à votre part de richesse et de plaisir sur la terre, et vous étant ainsi rendus tels que vous ne pouviez plus exciter ni jalousie ni méfiance, vous vous êtes placés au milieu d’eux comme des divinités bienfaisantes pour les éclairer sur leurs intérêts et pour leur donner des lois utiles. Vous leur avez dit que donner était plus beau que posséder, et là où vous avez commandé, la justice a régné ; quels sophismes pourraient combattre votre excellente, ô sublimes vaniteux ? Il n’y a rien au monde de plus grand que vous, rien de plus précieux, rien de plus nécessaire… »

Il est douteux que l’adversaire le plus acharné de Michel eût trouvé un argument plus caustique, plus sceptique, contre les mobiles de son activité, que l’argument donné par George Sand dans les lignes précédentes. Elle continue ensuite :

« Je ne sais s’il arrivera jamais un jour où l’homme décidera infailliblement et définitivement ce qui est utile à l’homme. Je n’en suis pas à examiner dans ses détails le système que tu as embrassé : j’en plaisantais l’autre jour ; mais que tu m’amènes à parler raison (ce qui, je te le déclare, n’est pas une médiocre victoire de ta force sur la mienne), je te dirai bien que la grande loi d’égalité, tout inapplicable qu’elle paraisse maintenant à ceux qui en ont peur, et tout incertain que me semble son règne sur la terre, à moi qui vois ces choses du fond d’une cellule, est la première et la seule invariable loi de morale et d’équité qui se soit présentée à mon esprit dans tous les temps. Tous les détails scientifiques par lesquels on arrive à formuler une pensée me sont absolument étrangers ; et quant aux moyens par lesquels on parvient à la faire dominer dans le monde, malheureusement ils me semblent tous tellement soumis aux doutes, aux contestations, aux scrupules et aux répugnances de ceux qui se chargent de l’exécution, que je me sens pétrifié par mon scepticisme quand j’essaie seulement d’y porter les yeux et de voir en quoi ils consistent. Ce n’est pas mon fait. Je suis de nature poétique et non législative, guerrière au besoin, mais jamais parlementaire. On peut m’employer à tout [sic), en me persuadant d’abord, en me commandant ensuite, mais je ne suis propre à rien découvrir, à rien décider. J’accepterai tout ce qui sera bien. Ainsi, demande mes biens et ma vie, ô Romain ! mais laisse mon pauvre esprit aux sylphes et aux nymphes de la poésie… »

Elle revient alors à l’idée qu’elle avait déjà exprimée, que les hommes qui veulent dicter des lois, doivent être vertueux dans la plus haute acception du mot, tandis que les simples mortels n’ont besoin, pour ainsi dire, que d’une honnêteté civique : … « Je suis loin encore de ce qu’on appelle les vertus républicaines, de ce que j’appellerai, en style moins pompeux, les qualités de l’individu gouvernable ou du citoyen. J’ai mal vécu, j’ai mal usé des biens qui me sont échus, j’ai négligé les œuvres de charité, j’ai passé mes jours dans la mollesse, dans l’ennui, dans les larmes vaines, dans les folles amours, dans les frivoles plaisirs. Je me suis prosterné devant des idoles de chair et de sang, et j’ai laissé leur souffle enivrant effacer les sentences austères que la sagesse des livres avait écrites sur mon front dans ma jeunesse ; j’ai permis à leur innocent despotisme de dévouer mes jours à des amusements puérils, où se sont longtemps éteints le souvenir et l’amour du bien ; car j’avais été honnête autrefois, sais-tu bien cela, Everard ? Ceux d’ici te le diront : c’est de notoriété bourgeoise dans notre pays ; mais il y avait peu de mérite, j’étais jeune, et les funestes amours n’étaient pas encore écloses dans mon sein. Ils y ont étouffé bien des qualités ; mais je sais qu’il en est auxquelles je n’ai pas fait la plus légère tache au milieu des plus grands revers de ma vie, et qu’aucune des autres n’est perdue pour moi sans retour… J’ai été détourné de ma route, emmené prisonnier par une passion dont je ne me méfiais pas et que je croyais noble et sainte. Elle l’est sans doute ; mais je lui ai laissé prendre trop ou trop peu d’empire sur moi. Ma force virile se révoltait en vain contre elle ; une lutte affreuse a dévoré les plus belles années de ma vie ; je suis resté tout ce temps dans une terre étrangère pour mon âme, dans une terre d’exil et de servitude, d’où me voici échappé enfin, tout meurtri, tout abruti par l’esclavage, et traînant encore après moi les débris de la chaîne que j’ai rompue, et qui me coupe encore jusqu’au sang, chaque fois que je fais un mouvement en arrière pour regarder les rives lointaines et abandonnées. Oui, j’ai été esclave ; plains-moi, homme libre, et ne t’étonne pas aujourd’hui de voir que je ne peux plus soupirer qu’après les voyages, le grand air, les grands bois et la solitude… L’esclavage avilit l’homme et le dégrade. Il le jette dans la démence et dans la perversité ; il le rend méchant, menteur, vindicatif, amer, plus détestable vingt fois que le tyran qui l’opprime ; c’est ce qui m’est arrivé, et, dans la haine que j’avais conçue contre moi-même, j’ai désiré la mort avec rage, tous les jours de mon abjection… »

Ces lignes, comme nous le voyons, ne sont qu’une répétition de ce que George Sand avait déjà écrit à Sainte-Beuve. Ensuite elle exprime l’espoir et la conviction que pourtant elle peut encore être « sobre et robuste » apte au travail, à la constance, au désintéressement et à la simplicité.

Elle finit cette lettre par une apostrophe inattendue et enthousiaste : « … République, aurore de la justice et de l’égalité, divine utopie, soleil d’un avenir peut-être chimérique, salut ! » Et malgré les doutes qu’elle vient d’exprimer sur la possibilité d’arriver à l’égalité universelle et sur la prétention des partisans de Michel de savoir ce qui peut faire le bonheur de l’humanité, George Sand s’écrie toutefois à l’adresse de la république : « … Si tu descends sur nous avant l’accomplissement des temps prévus, tu me trouveras prêt à te recevoir, et tout vêtu déjà conformément à tes lois somptuaires. Mes amis, mes maîtres, mes frères, salut ! mon sang et mon pain vous appartiennent désormais, en attendant que la république les réclame. »

Plus loin, elle exprime pourtant l’espoir, qu’en attendant il lui sera permis de faire un voyage dans les montagnes de la Suisse qui l’attirent et ne dit adieu pour toujours qu’à l’amour, « idole de sa jeunesse ». On pourrait croire que Michel avait définitivement dompté l’écolier rebelle et l’avait enrôlé à jamais dans le régiment de ses adeptes ; cependant, dans les lettres suivantes, il se fait encore entendre des protestations et des doutes. Tantôt le « Voyageur », à propos de ses amis que Michel semble traiter du haut de sa grandeur, lui rappelle tout ce qu’ils ont fait pour lui dans ses jours de malheur, et ajoute avec une ironie à peine voilée : « Ils sont plus gais que toi ; ils n’ont pas étendu sur leurs os le silice de la vertu… » Tantôt la promesse enthousiaste de se vouer tout entière au service des idées de Michel est accompagnée de restrictions ; elle exprime alors son doute sur la possibilité du règne de Dieu sur la terre : « … Tu sais ce que je t’ai dit, j’ai trop vécu, je n’ai rien fait de bon. Quelqu’un veut-il de ma vie présente et future ? Pourvu qu’on la mette au service d’une idée et non d’une passion, au service d’une vérité et non à celui d’un homme, je consens à recevoir des lois. Mais hélas ! je vous en avertis, je ne suis propre qu’à exécuter bravement et fidèlement un ordre. Je puis agir et non délibérer, car je ne sais rien et ne suis sûr de rien. Je ne puis obéir qu’en fermant les yeux et en me bouchant les oreilles, afin de ne rien voir et de ne rien entendre qui me dissuade ; je puis marcher avec mes amis, comme le chien qui voit son maître partir avec le navire et qui se jette à la nage pour le suivre, jusqu’à ce qu’il meure de fatigue. La mer est grande, ô mes amis ! et je suis faible. Je ne suis bon qu’à faire un soldat, et je n’a pas cinq pieds de haut. N’importe ! à vous le pygmée. Je suis à vous parce que je vous aime et vous estime. La vérité n’est pas chez les hommes ; le royaume de Dieu n’est pas de ce monde. Mais autant que l’homme peut dérober à la Divinité le rayon lumineux qui, d’en haut, éclaire le monde, vous l’avez dérobé, enfants de Prométhée, amants de la sauvage Vérité et de l’inflexible Justice ! Allons ! quelle que soit la nuance de votre bannière, pourvu que vos phalanges soient toujours sur la route de l’avenir républicain ; au nom de Jésus, qui n’a plus sur la terre qu’un véritable apôtre ; au nom de Washington et de Franklin, qui n’ont pu faire assez et qui nous ont laissé une tâche à accomplir ; au nom de Saint-Simon, dont les fils vont d’emblée au sublime et terrible problème (Dieu les protège !…), pourvu que ce qui est bon se fasse, et que ceux qui croient le prouvent…, je ne suis qu’un pauvre enfant de troupe, emmenez-moi… »

Mais aussitôt après, ce modeste enfant de troupe éclate en une philippique virulente contre son rigoureux directeur, à l’occasion de ses attaques contre l’art et les artistes, et ce chapitre de la « Lettre à Éverard » en est presque la meilleure partie.

« … Veux-tu me dire à qui tu en as, avec tes déclamations contre les artistes ? Crie contre eux tant que tu voudras, mais respecte l’art. Ô vandale ! j’aime beaucoup ce farouche sectaire qui voudrait mettre une robe de bure et des sabots à Taglioni, et employer les mains de Liszt à tourner une meule de pressoir, et qui pourtant se couche par terre en pleurant quand le moindre bengali gazouille, et qui fait une émeute au théâtre pour empêcher Othello de tuer la Malibran ! Le citoyen austère veut supprimer les artistes, comme des superfétations sociales qui concentrent trop de sève ; mais monsieur aime la musique vocale et il fera grâce aux chanteurs. Les peintres trouveront bien, j’espère, une de vos bonnes têtes qui comprendra la peinture et qui ne fera pas murer les fenêtres des ateliers. Et quant aux poètes, ils sont vos cousins, et vous ne dédaignez pas les formes de leur langage et le mécanisme de leurs périodes quand vous voulez faire de l’effet sur les badauds. Vous irez apprendre chez eux la métaphore et la manière de s’en servir… »

(On pourrait voir ici, semble-t-il, une allusion à la part que George Sand a prise à la lettre de Michel aux accusés.)

« … Mais dis-moi pourquoi, continue-t-elle, vous en voulez tant aux artistes. L’autre jour, tu leur imputais tout le mal social, tu les appelais dissolvants, tu les accusais d’attiédir les courages, de corrompre les mœurs, d’affaiblir tous les ressorts de la volonté. Ta déclamation est restée incomplète et ton accusation très vague, parce que je n’ai pu résister à la sotte envie de discuter avec toi. J’aurais mieux fait de t’écouter : tu m’aurais donné sans doute quelque raison plus sérieuse, car c’est la seule chose avancée par toi qui ne m’ait pas fait réfléchir depuis, quelque antipathique qu’elle me pût être… Est-ce à l’art lui-même que tu veux faire le procès ? Il se moque bien de toi, et de vous tous, et de tous les systèmes possibles ! Tâchez d’éteindre un rayon du soleil… Si ce n’est pas l’art que tu veux tuer, ce ne sont pas non plus les artistes. Tant qu’on croira à Jésus sur la terre, il y aura des prêtres… de même, tant qu’il y aura des mains ferventes, on entendra résonner la lyre divine de l’art. Il paraît qu’il y a ici un mécontentement accidentel et particulier des enfants de la jeune Rome contre ceux de la vieille Babylone… L’autre jour, un des vôtres, c’est-à-dire un des nôtres, un républicain, déclara presque sérieusement que je méritais la mort[441]. Le diable m’emporte si je comprends ce que cela veut dire ! Néanmoins, j’en suis tout ravi et tout glorieux, comme je dois l’être ; et je ne manque pas depuis ce jour-là de dire à tous mes amis, en confidence, que je suis un personnage littéraire et politique fort important, donnant ombrage à ceux de mon propre parti, à cause de ma grande supériorité sociale et intellectuelle… »

Et continuant tantôt à persifler, tantôt à faire des digressions lyriques, George Sand repousse les uns après les autres les assauts de Michel contre l’art et les artistes, et nous regrettons de ne pouvoir reproduire ici la lettre toute entière, tant la langue en est admirable, tant ces pages sont ardentes et puissantes.

« … Mais je t’ennuie avec mon incorrigible et plate facétieuseté… me voilà redevenu sérieux… Je suis prêt à te confesser que nous sommes tous de grands sophistes. Le sophisme a tout envahi, il s’est glissé jusque dans les jambes de l’Opéra, et Berlioz l’a mis en symphonie fantastique. Malheureusement pour la cause de l’antique sagesse, quand tu entendras la marche funèbre de Berlioz[442], il y aura un certain ébranlement nerveux dans ton cœur de lion, et tu te mettras peut-être bien à rugir, comme à la mort de Desdemona ; ce qui sera fort désagréable pour moi, ton compagnon, qui me pique de montrer une jolie cravate et un maintien grave et doux au Conservatoire. Le moins qui t’arrivera sera de confesser que cette musique-là est un peu meilleure que celle qu’on nous donnait à Sparte du temps que nous servions sous Lycurgue, et tu penseras qu’Apollon, mécontent de nous voir sacrifier exclusivement à Pallas, nous a joué le mauvais tour de donner quelques leçons à ce Babylonien, afin qu’il égarât nos esprits en exerçant sur nous un pouvoir magnétique et funeste… Tu vas me demander si c’est là parler un langage sérieux… Je parle sérieusement. Berlioz est un grand compositeur, un homme de génie, un véritable artiste ; et puisqu’il me tombe sous la main, je ne suis pas fâché de te dire ce que c’est qu’un véritable artiste, car je vois bien que tu ne t’en doutes pas… »

« … Berlioz est un artiste ; il est très pauvre, très brave et très fier. Peut-être bien a-t-il la scélératesse de penser en secret que tous les peuples de l’univers ne valent pas une gamme chromatique placée à propos, comme moi j’ai l’insolence de préférer une jacinthe blanche à la couronne de France. Mais sois sûr que l’on peut avoir ces folies dans le cerveau et ne pas être l’ennemi du genre humain. Tu es pour les lois somptuaires, Berlioz est pour les triples croches, je suis pour les liliacées ; chacun son goût. Quand il faudra bâtir la cité nouvelle de l’intelligence, sois sûr que chacun y viendra selon ses forces : Berlioz avec une pioche, moi avec un cure-dent, et les autres avec leurs bras et leur volonté. Mais notre jeune Jérusalem aura ses jours de paix et de bonheur, je suppose, et il sera permis aux uns de retourner à leurs pianos, aux autres de bêcher leurs plates-bandes, à chacun de s’amuser innocemment selon son goût et ses facultés. »

Et si, au moment où Everard admirait les étoiles de minuit et parlait avec calme de l’inconnu et de l’infini, que serait-il arrivé, — s’écrie George Sand, — si elle lui eût grossièrement demandé :

« À quoi cela sert-il ? Pourquoi se creuser et s’user le cerveau à des conjectures ? Cela donne-t-il du pain et des souliers aux hommes ? — Tu me répondrais : « Cela donne des émotions saintes et un mystique enthousiasme à ceux qui travaillent à la sueur de leur front pour les hommes ; cela leur apprend à espérer, à rêver à la Divinité, à prendre courage et à s’élever au-dessus des dégoûts et des misères de la condition humaine par la pensée d’un avenir, chimérique peut-être, mais fortifiant et sublime… À genoux, Sicambre, à genoux ! nous t’y mettrons bien… Ils t’y mettront bien, eux, les artistes véritables. Si tu savais ce que c’est que ces gens-là, quand ils observent leur évangile et qu’ils respectent la sainteté de leur apostolat ! Il en est peu de ceux-là, il est vrai, et je n’en suis pas, je l’avoue à ma honte !… »

C’est alors que jaillit de la plume de George Sand la page navrante, tant de fois citée, où elle se plaint avec amertume et douleur de ce que la misère, la préoccupation, le souci de ses enfants, la nécessité de travailler à date fixe la forçaient d’écrire à la hâte, sans lui laisser le temps de retoucher ses œuvres, l’obligeaient à violenter sa muse, qui s’en vengeait par des pages sombres et enfiellées, et glaçait son inspiration par le doute et le désespoir. Elle se souvient aussitôt du drame de Vigny : Chatterton[443], qu’elle avait vu, il n’y avait pas longtemps, et parle des souffrances d’un artiste, sévère pour lui-même, souffrances qu’il éprouve parce qu’il ne peut, pour cause de pauvreté et de privations, servir l’art avec piété. Il voudrait, tout modeste qu’il fût, croire et espérer qu’il ferait quelque chose de bon… « Mais si les heures sont comptées, si un créancier attend à la porte, si un enfant qui s’est endormi sans souper le rappelle au sentiment de sa misère et à la nécessité d’avoir fini avant le jour, je t’assure que, si petit que soit son talent, il a un grand sacrifice à faire et une grande humiliation à subir vis-à-vis de lui-même. Il regarde les autres travailler lentement, avec réflexion, avec amour ; il les voit relire attentivement leurs pages, les corriger, les polir minutieusement, y semer après coup mille pierres précieuses, en ôter le moindre grain de poussière, et les conserver afin de les revoir encore et de surpasser la perfection même. Quant à lui, malheureux, il a fait, à grands coups de bêche et de truelle, un ouvrage grossier, informe, énergique quelquefois, mais toujours incomplet, hâté et fiévreux : l’encre n’a pas séché sur le papier qu’il faut déjà livrer le manuscrit sans le revoir, sans y corriger une faute !

« … Ces misères te font sourire et te semblent puériles… Il y a quelque chose de vraiment noble et saint dans ce dévouement de l’artiste à son art, qui consiste à bien faire au prix de sa fortune, de sa gloire et de sa vie. La conviction, c’est toujours une vertu… L’artisan expédie sa besogne pour augmenter ses produits : l’artiste pâlit dix ans, au fond d’un grenier, sur une œuvre qui aurait fait sa fortune, mais qu’il ne livrera pas, tant qu’elle ne sera pas terminée selon sa conscience. Qu’importe à M. Ingres d’être riche ou célèbre ! il n’y a pour lui qu’un suffrage dans le monde, celui de Raphaël, dont l’ombre est toujours debout derrière lui : Ô saint homme !… »

Tels sont, selon elle, tous les vrais artistes, Paganini, Delacroix, Urhan et Baillot[444], qui ne pensent pas à leur propre gloire, mais à leur art ; chacun d’eux est toujours prêt à s’effacer devant celui qu’il regarde comme son idéal. Les hommes politiques ne sont pas capables de cela ; tous ils sont pleins d’ambition, du désir de primer, d’éclipser les autres. Il y a bien peu d’hommes politiques qui « ont aimé la justice et l’humanité en artistes. C’est le plus bel éloge qu’on puisse leur donner. »

Ainsi Michel n’a pas convaincu (ce qui est fort heureux) son interlocutrice en parlant du danger des arts. Il semblerait même qu’il ne l’a pas non plus convaincue de la justesse de ses théories, et dans la dernière partie de sa lettre du 29 avril, le « Voyageur » en vient à demander à Michel et à ses partisans : « Mais si vous n’étiez que des fanatiques ? » et tâche de trouver la justification de ce qu’elle avance en disant que le fanatisme qui forcerait Michel à envoyer, sans aucun regret, son petit ami George à l’échafaud, « serait beau, et je te donnerais ma tête de bon cœur, pour le plaisir d’avoir vu dans ma vie un seul vrai Romain ». Elle ajoute :

« … Bah ! c’est toujours cela : n’est pas fanatique qui veut, surtout par le temps qui court, et je serais un peu plus fier de moi que je n’ai sujet de l’être, si j’étais seulement un peu fou à votre manière… »

Mais il semble que le « fanatisme » et la « folie » de Michel avaient pourtant fort intimidé George Sand, et pour cause ! Michel employait quelquefois des arguments assez originaux pour faire partager ses idées, et s’il n’a pas condamné George Sand à la guillotine, il la condamna du moins, pour ainsi dire, à la prison cellulaire. Ainsi, un jour, ayant à se rendre au tribunal avant d’avoir fini une de ses exhortations, il enferma tout simplement George Sand sous clef, pour qu’elle ne pût sortir, avant d’avoir mûrement réfléchi sur ce qui lui avait été dit et qu’elle se rendît à discrétion. Il est à croire que de pareils arguments effrayèrent un peu Aurore Dudevant, qui était, comme nous le savons, fort peu encline à supporter le despotisme de n’importe qui. Et elle pensa sérieusement à s’évader. Liszt et Mme d’Agoult, ses nouveaux amis, l’invitaient à aller les voir en Suisse ; de là, elle rêva un voyage à Constantinople et en Égypte. La Lettre à Everard finit donc par un aveu mi-sérieux, mi-badin, que le « Voyageur » voudrait de nouveau recommencer ses voyages. Elle prend alors ses dernières dispositions :

« … Si vous proclamez la république pendant mon absence, prenez tout ce qu’il y a chez moi, ne vous gênez pas ; j’ai des terres, donnez-les à ceux qui n’en ont pas ; j’ai un jardin, faites-y paître vos chevaux ; j’ai une maison, faites-en un hospice pour vos blessés ; j’ai du vin, buvez-le ; j’ai du tabac, fumez-le ; j’ai mes œuvres imprimées, bourrez-en vos fusils. Il n’y a dans tout mon patrimoine, que deux choses dont la perte me serait cruelle : le portrait de ma vieille grand’mère, et six pieds carrés de gazon plantés de cyprès et de rosiers. C’est là qu’elle dort avec mon père. Je mets cette tombe et ce tableau sous la protection de la république, et je demande qu’à mon retour, on m’accorde une indemnité des pertes que j’aurais faites, savoir : une pipe, une plume et de l’encre ; moyennant quoi je gagnerai ma vie joyeusement, et passerai le reste de mes jours à écrire que vous avez bien fait… Si je ne reviens pas, voici mon testament. Je lègue mon fils à mes amis, ma fille à leurs femmes et à leurs sœurs ; le tombeau et le tableau, héritage de mes enfants, à toi, chef de notre république aquitaine, pour en être le gardien temporaire ; mes livres, minéraux, herbiers, papillons, au Malgache ; toutes mes pipes à Rollinat ; mes dettes, s’il s’en trouve, à Fleury, afin de le rendre laborieux ; ma bénédiction et mon dernier-calembour, à ceux qui m’ont rendu malheureux, pour qu’ils s’en consolent et m’oublient. Je te nomme mon exécuteur testamentaire ; adieu donc, et je pars… Adieu, ô mes enfants !… mes amis… et toi, maître, adieu ! sois béni de m’avoir forcé de regarder sans rire la face d’un grand enthousiaste, et de plier le genou devant lui en m’en allant. Ô verte Bohême ! patrie fantastique des âmes sans ambition et sans entraves, je vais donc te revoir ! J’ai erré souvent dans tes montagnes et voltigé sur la cime de tes sapins ; je m’en souviens fort bien, quoique je ne fusse pas encore né parmi les hommes, et mon malheur est venu de n’avoir pu t’oublier en vivant ici… »

Ainsi donc, en l’été de 1835, George Sand se proposait d’aller en Suisse pour voir Liszt et Mme d’Agoult avec qui elle venait d’entrer en relations. Ce projet ne put cependant se réaliser que l’année suivante. Le rôle que Liszt joua dans l’évolution morale de George Sand, et la profonde influence qu’il exerça sur son esprit pendant tant d’années, — influence trop peu appréciée jusqu’ici par les critiques et les biographes de notre écrivain — sont si importants, que le moment est venu de nous arrêter sur ce sujet.

George Sand, qui fut, pendant plusieurs années, liée d’amitié avec Listz, et avec sa compagne, la comtesse Marie d’Agoult, et qui ne rompit avec elle que plus tard, dans l’Histoire de ma Vie, s’est à peu près tue à leur égard et s’est bornée à écrire sur eux quelques lignes insignifiantes et incolores. C’est ce qui explique pourquoi nous ne trouverons dans l’Histoire de ma Vie aucun renseignement sur l’action profonde que l’amitié de Liszt exerça sur elle. Les biographes de George Sand, ou ne s’y arrêtent pas, ou ne parlent que brièvement des relations qui existèrent entre notre grand écrivain et le génial musicien. Plusieurs d’entre eux ont évidemment entendu parler du racontar lancé par Heine, et ont sans doute redouté de toucher à cet épisode. D’autres s’étendent trop au contraire, sur l’amitié de George Sand pour la comtesse d’Agoult, amitié qui ne fut qu’épisodique, toute superficielle et ne put jamais exercer aucune influence sur elle. La plupart, se basant comme nous l’avons déjà répété plusieurs fois, sur l’Histoire de ma Vie, ne soupçonnent même pas le rôle qu’a joué Liszt dans son existence. Si l’on étudiait cependant la vie de Listz, sa correspondance et celle de George Sand, les œuvres de celle-ci et les œuvres tant musicales que littéraires de celui-là, si on lisait attentivement, par exemple, quelques-uns des programmes de Liszt, ou des préfaces de ses « Poèmes symphoniques » conçus en partie pendant la période de cette amitié, et écrits en partie aussi après cette période, l’influence mutuelle de ces deux grandes âmes l’une sur l’autre ne pourrait plus laisser place à aucun doute. Nous essayerons donc de faire l’histoire des événements extérieurs et des évolutions intérieures de cette amitié.

George Sand fit la connaissance de Liszt en l’hiver de 1834-1835[445]. Chose étrange, comme si le sort s’en fût mêlé, il lui fut présenté par Alfred de Musset qui, en dehors de ses relations intimes avec le grand écrivain, fut le précèdent échelon dans le développement artistique de George Sand. Liszt, était, à coup sûr, aussi artiste que Musset et même peut-être plus, et s’il eût été producteur dans le même domaine que George Sand, peut-être n’eût-il exercé à son tour sur l’écrivain, qu’une même influence purement littéraire. Mais Liszt était plus que cela, c’était une nature exceptionnelle, une âme géniale, sachant tout embrasser, un esprit vaste et profond, un cœur ardent. Il paraît être, on le dirait du moins, dans l’histoire du développement des idées de George Sand, comme le point de transition qui l’aida à entrer dans la sphère des questions politiques et des problèmes socio-philosophiques de Michel de Bourges et de Lamennais, et cette transition s’opéra beaucoup plus facilement et d’une manière moins consciente que si la jeune femme se fût, en 1835, trouvée face à face avec le farouche tribun et avec l’ex-abbé, sans avoir auprès d’elle l’appui amical de cet artiste qui lui ressemblait tant, c’est-à-dire Liszt.

Liszt, nous l’avons dit, avait donc fait la connaissance de George Sand par Musset ; il donnait des leçons de musique à la sœur d’Alfred, Herminie, à qui il dédia même sa seconde fantaisie de Rossini (opus 3, n° 2). Liszt ne s’était pas volontiers rendu à l’invitation que lui avait faite Musset d’aller voir George Sand, et la première impression qu’elle fit sur le pianiste de génie fut désagréable, comme celle qu’elle produisit d’abord sur Musset lui-même et sur Chopin. Liszt s’était depuis longtemps passionné pour les œuvres de George Sand, mais son admiration pour le talent de celle-ci grandirent bien plus encore, lorsque parut Leone Leoni, qui était comme la profession de foi des romantiques. Ce roman représente, en effet, l’amour sans frein, triomphant malgré la raison et malgré le sentiment moral offensé, l’amour placé au-dessus des lois divines et humaines, l’amour tout-puissant et despotique, ce même amour qui, en la personne de la comtesse d’Agoult, commençait déjà à s’emparer de toute la vie présente du jeune musicien. Mais pendant une soirée qu’il passa, quai Malaquais, dans le modeste salon de notre écrivain, George Sand ne lui plut pas comme femme. Comme telle, elle ne lui plut pas davantage dans la suite. Leurs natures étaient trop semblables, et cette ressemblance fut précisément la cause de l’amitié sincère et sérieuse qu’ils conçurent bientôt l’un pour l’autre : mais ce fut cette conformité qui préserva aussi Liszt de toute atteinte de passion pour Aurore Dudevant, et enleva à son amitié à elle, toute empreinte de cette adoration névrosée que Liszt rencontra toujours chez toutes les dames et demoiselles qui l’entouraient. Et quoique ce fût le médisant Heine qui eût répandu le bruit que les rapports les plus intimes s’étaient établis entre George Sand et Liszt, il démentit lui-même ce bruit comme une calomnie, mais toujours à sa manière gouailleuse[446]. Quand au commencement de 1835, à la suite d’un mot imprudent de Buloz sur Listz, Musset, dans un de ses jours noirs, avait fait une scène de jalousie à George Sand, alors encore passionnément éprise du poète, elle se contenta de répondre qu’en effet elle eut bien voulu s’éprendre du musicien, ne fut-ce que pour retenir par là son amour à lui, Musset, qu’elle voyait s’éteindre, mais que cela lui était aussi impossible que de se forcer à aimer les épinards. Elle aurait bien voulu en manger, mais c’était plus fort qu’elle, les épinards ne lui plaisaient pas. Durant tout le cours de leurs relations, Liszt et George Sand restèrent l’un pour l’autre des épinards sans goût. Leur amitié, toute masculine, de bons camarades, n’en fut que plus forte et cela n’a rien qui puisse étonner. Il serait difficile de se représenter des natures, des goûts, des tendances, des convictions, des inclinations, un tour d’esprit, une direction de vie plus semblables que les natures, les tendances et même les faits de la vie de Liszt et de George Sand. Nous raconterons brièvement la biographie de Liszt, depuis son enfance jusqu’en 1835, ou plutôt nous raconterons l’histoire de son développement intellectuel et les étapes de sa vie intérieure, à partir du premier moment de l’éveil de sa conscience jusqu’au jour où il fit connaissance de l’auteur de Leone Leoni. Le lecteur pourra juger alors, en connaissance de cause, à quel point tout ce que nous allons dire n’est que la répétition des faits que l’on connaît déjà sur la vie et le développement moral de George Sand.

Franz Liszt naquit à Raiding, près de Eisenstadt, dans la nuit du 22 octobre 1811. Son père, employé dans la gestion des domaines du prince Esterhazy, faisait en outre partie du célèbre orchestre d’Eisenstadt, dont Haydn avait été jadis le chef. La vocation musicale se montra de bonne heure chez le petit Franz, qui, dès son âge le plus tendre, résolut de devenir un musicien « comme celui-là », c’est-à-dire comme Beethoven, dont le portrait était le plus bel ornement du logement modeste de son père. Celui-ci, loin de contrecarrer la tendance de son fils, porta toute son attention sur son talent naissant. Le petit Franz reçut, tant en théorie qu’en pratique, une éducation et un développement musical tout systématique, foncièrement régulier et parfaitement suivi. Par contre, il ne reçut aucune instruction scientifique, son père se contenta de lui faire apprendre à lire, à écrire et à compter, chez un sacristain de village. À vrai dire, le temps manquait à Franz pour apprendre. Dès son enfance, il avait été produit devant le monde comme un enfant prodige, il avait dû paraître en public. Tout jeune encore, ayant perdu son père, puis s’étant établi à Paris, il dut alors subvenir à l’entretien de sa mère en donnant des leçons de musique et des concerts. Ce ne fut que par la pratique qu’il put, dans le cours de ses tournées artistiques, apprendre plusieurs des langues européennes, qu’il posséda ensuite aussi bien que le hongrois, sa langue maternelle. Malgré une instruction élémentaire aussi défectueuse, il sut, grâce à son initiative et à son bon vouloir, se mettre au courant, entre dix-sept et dix-neuf ans, non seulement de toutes les matières faisant partie de ce que l’on nomme d’habitude « cours des sciences » enseigné à la jeunesse, mais encore il continua, sans relâche, à étendre et à s’approprier, avec passion et ténacité, la poésie, la philosophie, l’histoire, les sciences politiques et naturelles, et enfin il réussit à devenir un homme d’une érudition aussi vaste que variée.

Depuis son plus jeune âge, il était d’une piété qui allait jusqu’à la ferveur ; comme la petite Aurore, il eut pendant quelque temps le désir d’entrer en religion et il pensa à se faire prêtre. Il passait des nuits entières à prier ardemment, sans cesser cependant d’aimer passionnément la musique ; pour rien au monde il n’eût voulu renoncer à son art. Il se mit alors à réfléchir aux moyens de concilier sa vocation de futur prêtre et de musicien. Il préparait par là, comme nous le voyons, le terrain sur lequel devaient germer les semences des doctrines ultérieures de Lamennais et des Saint-Simoniens, concernant la vocation sacerdotale de l’artiste et même du « prêtre-artiste », appelé à occuper dans le gouvernement de l’avenir la même place que celle du prêtre.

Tout comme chez Aurore Dupin, la ferveur religieuse de Liszt se transforma d’elle-même et sans secousses en un ardent amour pour l’humanité. Il ressentit, dit son biographe, Lina Ramann, « une compassion ardente pour les inconsolables et envers tous ceux qui souffrent. En même temps que cette compassion s’éveilla dans son cœur, et pour ne plus jamais s’éteindre, la loi sublime et divine, la loi de pitié. »

À ces élans de piété exaltée succédaient cependant parfois des périodes de doute, d’abattement, d’apathie ; il était de ces natures qui se développent par secousses, par sauts brusques, par hésitations et non par progression suivie. Son père ne pouvait comprendre ces changements et, comme l’aïeule d’Aurore, il était au désespoir en voyant ces transitions inexplicables d’une disposition quelconque à une disposition toute différente. Ces brusques changements n’étaient que le germe des divers intérêts sociaux, religieux et philosophiques qui se manifestèrent en lui plus tard.

Grâce à ses tournées artistiques et à la protection des magnats hongrois, « le petit Liszt », comme Chopin, vivait toujours parmi les aristocrates, qui le choyaient. Il était constamment sur les genoux des comtesses et des princesses, ou dans les salons des duchesses et des têtes couronnées. Aussi, dès son jeune âge, prit-il les manières et le langage de la haute société, le goût de l’élégance et des belles manières. Malgré tout cela, il fut cependant par ses convictions, ses sympathies et ses tendances, un vrai démocrate, ennemi de tout ce qui est conventionnel, de tous les privilèges de caste, et s’il sympathisait avec l’aristocratie, ce n’était qu’avec celle de l’esprit. Son vernis extérieur, son amour de la vie élégante ne l’empêchèrent nullement de se dévouer à toutes les larges idées de son époque, de se faire le défenseur de tous les humbles et de tous les opprimés, de venir à leur aide en paroles et en action, et de lutter contre n’importe quels préjugés.

Dans sa jeunesse, il souffrit comme Chopin, de l’injustice et de l’oppression de ces préjugés de caste, lorsqu’on lui défendit d’avoir, même en pensée, des vues sur une jeune fille, Caroline de Saint-Criq, son élève, qu’il aimait et dont il était aimé, et cela, pour l’unique raison qu’il était plébéien, tandis qu’elle était comtesse. Ce coup l’abattit et lui ouvrit les yeux sur bien des choses. La même aventure arriva à Chopin. La comtesse Wodzinska lui refusa sa main et, sur l’ordre de ses parents, épousa un homme qu’elle n’aimait point, mais qui était titré. Chopin se soumit à son sort ; il ne ressentit aucune haine contre les préjugés aristocratiques et les représentants du grand monde, mais il en fut tout autrement de Liszt. Ses amis démocrates excitèrent et attisèrent son indignation et son animosité contre les nobles, contre les présomptions hautaines et le manque de cœur, qui lui avaient fait perdre à jamais la jeune fille qu’il aimait et avaient causé le malheur de cette dernière[447]. Son dépit, son amour blessé portèrent Liszt vers les doctrines sociales et démocratiques qu’on commençait à prêcher dans les années qui précédèrent la révolution de Juillet. Il s’en fit d’autant plus volontiers le partisan chaleureux, qu’elles répondaient à ses croyances religieuses et sociales. Son animosité contre la haute société fit en outre place à la fierté de l’artiste, conscient de sa valeur individuelle, et cette fierté eut pour résultat de le porter à se perfectionner.

Pendant son adolescence, alors qu’il donnait des concerts, il s’était déjà mis à méditer sérieusement sur l’idéal artistique, et le rôle de virtuose, d’amuseur public, de « chien savant », commençait à lui peser. Il voyait que le public n’avait aucun souci de l’art, qu’il ne demandait que des distractions. Se mettant alors à mystifier ce bon public, ses auditeurs ignorants, en leur offrant ses propres compositions sous forme de sonates de Beethoven, ou vice-versa, il apprit à mépriser profondément ses auditeurs, ces dilettanti moitié ignares, pires que les vrais ignorants qui, du moins, sont sincères dans leur ignorance et n’ont aucune prétention.

C’est à ce moment que s’éveilla en lui la soif de s’instruire. Il se mit à lire et à apprendre ce qu’il put, comme il put, et chez qui il put : « Il voulait savoir, tout savoir », dit son biographe. « Mais comme, il lui manquait une instruction première et fondamentale, et que cette soif de connaissances avait éclaté subitement, son développement ne pouvait être ni méthodique, ni régulier. Il changeait constamment de lectures, se jetait sans aucun plan préconçu sur des matières tout à fait opposées, ce qui l’embrouilla plus d’une fois. C’est également à cette époque que se rapporte l’anecdote si souvent répétée d’après laquelle Liszt, se trouvant un jour en société avec l’avocat Crémieux, qui venait de s’établir en France et qui joua un rôle très considérable dans l’histoire de ce pays, se serait adressé à celui-ci en disant : « Monsieur Crémieux, apprenez-moi toute la littérature française. » À quoi ce dernier répondit : « Une grande confusion semble régner dans la cervelle de ce jeune homme. » Son désir d’apprendre, ses doutes, la joie de vivre qui s’éveillait en lui, dirigeaient ses lectures, dans lesquelles se heurtaient des extrêmes diamétralement opposés. Les œuvres profanes et religieuses, les plus sérieuses et les plus futiles, trouvaient en lui un écho. Un beau désordre — tout comme chez Aurore Dupin — régnait dans ses lectures. Les œuvres sceptiques de Montaigne gisaient à côté des apologies du christianisme de Lamennais ; Voltaire côtoyait Lamartine. Ajoutons à cela les écrits de Sainte-Beuve, de Ballanche, de J.-J. Rousseau, de Chateaubriand et d’autres écrivains, dont la plupart eurent une action très grande sur le développement historique, sur la culture religieuse et celle de la littérature poétique de la France. Liszt s’adressait partout où il croyait trouver de la lumière ; il lui semblait toujours que quelque chose de grand et de nouveau allait se révéler à lui, — tout comme pour George Sand. — Son âme était toujours dans l’attente. Souvent il veillait bien avant dans la nuit, lisant, s’efforçant de s’éclairer à tout prix, commençant une chose, puis l’abandonnant, tout cela sous l’influence des impressions les plus opposées, sans jamais trouver aucun repos… »

Et comme Aurore Dudevant disait qu’elle était tourmentée par les « choses divines », Liszt aussi disait ce mot de René : « Un instinct secret me tourmente », instinct qui lui faisait attendre impatiemment la solution des obscurs problèmes de la vie. Comme au temps de ses lectures avec Caroline de Saint-Criq, alors qu’ils lisaient ensemble les écrivains religieux et les grands poètes, Liszt, à présent, malade, désolé d’avoir à jamais perdu la jeune fille qu’il aimait, et fuyant le monde, sans même trouver de consolation dans la religion, se jeta avidement sur les écrivains du milieu et de la fin du xviiie siècle. De Réné et Werther, il passa aux encyclopédistes ; en son cerveau germèrent des doutes qui se transformèrent bientôt en une de ces tempêtes qui brisent tout sur leur passage. C’était là une saine protestation contre son mysticisme antérieur, contre « l’aveugle et instinctive » religiosité catholique, basée sur les dogmes soi-disant inébranlables. « Il dévorait avec une activité insatiable les œuvres de ses illustres contemporains, » — dit Lina Ramann. « Il les avalait en tâchant de s’en assimiler l’essence même. Il puisait, pour ainsi dire, l’âme de l’écrivain. Pendant quatre heures consécutives, il lisait des dictionnaires, d’une manière aussi infatigable et insatiable que les œuvres des poètes ; il étudiait Boiste et Lamartine avec la même ardeur, avec la même tension d’esprit, et lorsqu’il croyait avoir pénétré la pensée d’un auteur, il courait chez lui pour lui demander franchement l’explication de ses idées. »

La révolution de Juillet qui vint à éclater éveilla sa pensée, lui fit rejeter tout ce qui lui restait d’enfantin, oublier sa maladie, ses désillusions. Il se virilisa définitivement, tant physiquement qu’intellectuellement. « C’est le canon qui l’a guéri », disait de lui sa mère. Une soif ardente d’agir se manifesta chez lui ; le sang hongrois bouillonna en ses veines, et l’on eût pu croire qu’il allait se précipiter sur les barricades, « pour combattre en faveur de l’humanité souffrante et opprimée, pour défendrez le peuple, ses droits et la liberté, et mourir pour elle s’il l’avait fallu. » Sa mère put à peine l’empêcher de prendre part aux journées de juillet. Peut-être aussi avait-il lui-même trop bien senti qu’il n’appartenait pas à un artiste de répandre le sang, que son devoir était de combattre autrement pour assurer les droits de l’homme. Et il médita d’écrire La Symphonie révolutionnaire qui fût comme l’incarnation des sentiments qui l’agitaient alors et comme le reflet de son entraînement juvénile vers les héroïques journées que l’on traversait à ce moment. Mais, doué d’une nature profonde et profondément humaine, Liszt ne voulait ni représenter ni incarner, en cette œuvre, le tonnerre du canon, le bruit de la lutte, le tableau d’une horrible guerre civile, mais les idées profondes qui ont toujours été les causes motrices, le fondement de tous les grands mouvements populaires dans l’histoire de l’Europe, de toutes les époques où s’est exprimée « la grande et sublime idée chrétienne de l’humanité et de la liberté ».

Pour son œuvre musicale, Liszt a pris trois thèmes ou motifs fondamentaux : Le chant des Hussites, l’époque de Jean Huss personnifiant l’héroïsme, le courage, l’idée slave ; le choral allemand : « Eine feste Burg ist unser Gott », — « mélodie ressemblant à de l’airain fondu, monument éternel de foi inébranlable et de fidélité, malgré les souffrances et les persécutions endurées pour cette foi et personnifiant la force de la conviction et l’élément germanique[448] ». Le troisième thème était la Marseillaise, personnifiant la tendance vers la liberté et l’élément romain.

Liszt se mit courageusement à l’œuvre ; mais la réaction, survenue bientôt, après les premiers mois pleins d’espérances, refroidit son ardeur, et la symphonie, inachevée, resta dans son portefeuille. Il n’en existe que la transcription symphonique de la Marseillaise, et toute la première partie achevée ou son prologue, qui parut ensuite sous le titre de : Héroïde funèbre. Que le lecteur ne s’étonne pas si nous parlons d’une manière si détaillée de cette œuvre musicale de Liszt, qui, semble-t-il, ne fait pas partie du domaine de notre critique littéraire. Il nous excusera bientôt en voyant que tout ce que nous rapportons ici a eu sur George Sand une influence indiscutable. Ces détails ne sont donc pas étrangers à notre travail.

À peine revenu des émotions violentes et des secousses ressenties en 1831, Liszt se remit avec plus d’ardeur que jamais à l’œuvre de son instruction personnelle. La connaissance de Paganini, qu’il fit la même année, lui prouva définitivement qu’il était de toute impossibilité d’être un grand artiste si l’on n’est pas avant tout un homme supérieur ; que le développement artistique est impossible sans un grand développement des facultés humaines, « car Génie oblige et donc Génie oblige ». Il continua alors, avec plus d’ardeur encore, à lire, à étudier et à suivre tout ce qui paraissait de nouveau dans le monde. Qu’il s’agît d’une nouvelle doctrine, d’une œuvre artistique, d’un prédicateur en renom, d’un auteur, ou d’un acteur célèbre, « il voulait tout voir, tout connaître. Il était également attiré par une salle de concert, par la peinture, la sculpture, par la presse quotidienne, la tribune, la chaire, l’église — (il en était ainsi pour George Sand dans le cours des mêmes années). — Un jour ici, le lendemain ailleurs, cherchant partout à étancher la soif qui le torturait. »

C’est vers cette époque que Liszt fit la connaissance des Saint-Simoniens. D’abord il fut attiré chez eux simplement par curiosité, par désir d’apprendre et de savoir ; mais il fut bientôt tellement entraîné par leurs idées qu’il pensa sérieusement à se faire membre de leur communauté. À cette époque les doctrines extrêmes et monstrueuses du saint-simonisme ne s’étaient pas encore manifestées. Enfantin n’avait pas encore lancé ses célèbres proclamations ; aussi Liszt put-il librement prendre connaissance des doctrines de Saint-Simon, dans leur essence première. Il serait difficile d’inventer quelque chose qui fût plus du goût de Liszt que les deux principes fondamentaux de cette doctrine : 1° l’application dans la vie du principe essentiel du christianisme, l’amour du prochain ; 2° la manière d’envisager l’art, et la position que, d’après le saint-simonisme, l’artiste avait à occuper par rapport à la religion et au perfectionnement de l’humanité[449].

Les vues religieuses et artistiques des Saint-Simoniens faisaient vibrer les croyances et les sentiments les plus profonds de Liszt, aussi comprend-on facilement l’enthousiasme avec lequel il accepta le credo de cette foi nouvelle et la promesse du règne de Dieu sur la terre, sous la forme de « l’État de l’avenir » où la loi serait l’amour du prochain, où les peuples n’auraient qu’un seul dogme, une seule doctrine, un seul Dieu, où tous se dévoueraient à chacun, et chacun pour tous, où le travail et la richesse seraient répartis avec régularité et justice, où personne n’aurait à souffrir de la pauvreté, de l’oppression, de l’ignorance. Quant aux arts, ils devaient être les premiers et les plus importants moyens à employer pour introduire, consolider et maintenir ce nouvel état de choses, car les arts concourent au développement de tous les instincts humains, nobles et aimants. L’art et la religion, selon la définition philosophique qu’en donnait le saint-simonisme, maintiennent en nous le sentiment du beau ; le dogme et les sciences y maintiennent le vrai ; le culte et l’industrie y maintiennent l’utile. Les arts, selon eux, se divisent en trois groupes : 1° la poésie et la musique, se rapportant à la vérité, au dogme ; 2° les belles-lettres à la religion ; 3° les arts plastiques, au culte. La poésie et la musique sont du domaine de la vérité, parce que « leur vol sublime et inspiré fait mystérieusement vibrer le sentiment et la notion de l’Éternité, et fait couler dans l’âme humaine un rayon de l’harmonie universelle ». Pour les Saint-Simoniens, il est évident que l’art n’est pas le but, mais le moyen. Son rôle se borne à servir les suprêmes inspirations et le développement de l’âme, ainsi que les intérêts de la religion. Il n’y a donc pas à s’étonner si dans « l’État de l’avenir » les artistes seront considérés comme des prêtres, législateurs supérieurs, éducateurs, directeurs de conscience, chefs de l’humanité, « L’artiste-prêtre » sera comme ministre plénipotentiaire du gouvernement ; par le vol et la profondeur de ses pensées, par ses mélodies,

ses peintures, ses œuvres de sculpture, il devra créer,
GEORGE SAND, par Charpentier D’après la gravure de Robinson (1838)
GEORGE SAND, par Charpentier D’après la gravure de Robinson (1838)
exciter, entretenir les sympathies pour le l’eau et le sublime.

Tout cela correspondait parfaitement aux sentiments éprouvés par Liszt dans sa jeunesse, lorsqu’il cherchait à exhaler en musique ses aspirations mystiques, ou bien lorsqu’au contraire, c’était la musique qui l’élevait vers le ciel. Il se souvint alors de ce temps lointain et « il fut envahi par le sentiment inextinguible de sa vocation artistique prédestinée. » Il ne lui suffisait plus, comme par le passé, d’être prêtre ; il voulait devenir un pontife des Saint-Simoniens, consacrer son art au service de cette fonction d’intermédiaire qui, par la voie du Beau, devait éveiller dans les hommes la notion du Divin et les unir à l’Éternel.

On ignore ce qui a pu retenir Liszt de prendre une part active au saint-simonisme. Peut-être en fut-il empêché par les discordes qui naissaient alors en cette petite église et par la lutte qui s’engagea entre Bazard et Enfantin. Quoi qu’il en soit, il n’entra pas dans les rangs de la communauté, mais assista à ses réunions et se trouvait même à la soirée où Enfantin attendait la venue de la « femme révélatrice »… qui ne vint pas.

Les égarements du saint-simonisme et ses idées baroques sur la « réhabilitation de la chair » n’eurent aucune influence sur l’esprit de Liszt, mais les principes de la société, en fait de religion et d’art, contribuèrent à établir la base de son point de vue artistique, qu’il suivit constamment dès lors et que vint encore confirmer l’amitié qu’il avait contractée depuis quelque temps avec Lamennais.

Félicité de Lamennais (il écrivait d’abord de la Mennais mais, vers la fin de sa vie, conformément aux habitudes républicaines, il signait : Lamennais), célèbre réformateur religieux, prédicateur, un des plus grands écrivains de notre siècle, naquit en 1782, à Saint-Malo, d’une riche famille d’armateurs, plus tard ruinée par la Révolution. Après des études faites au sein de sa famille, il entra avec son frère au séminaire, se fit prêtre en même temps que lui, avec beaucoup d’hésitations et de doutes, il est vrai, mais ensuite il prit à cœur sa vocation ecclésiastique et consacra toutes ses forces à la prédication chrétienne, dans le sens le plus pur du mot. Il fut d’abord considéré comme un des défenseurs les plus orthodoxes de l’Église, et se distingua par ses attaques contre les philosophes, la Révolution et Napoléon, puis il se fit leur ennemi acharné. Deux fois il fut appelé à Rome pour expliquer sa conduite, et cela, après qu’on avait failli faire de lui un cardinal, parce qu’on le regardait comme un vrai champion de la papauté ; deux fois il fut condamné par cette même Église qu’il avait voulu défendre, et dut renier publiquement ses opinions. Peu à peu, dans le journal l’Avenir qu’il avait fondé avec ses amis, le comte de Montalembert, et les abbés Gerbet et Lacordaire qui partageaient entièrement ses idées, il s’éloigna tellement de ses premiers écrits qu’il s’attira non seulement la condamnation de l’Église romaine, mais qu’il rompit avec son frère et ses amis, et qu’il s’aperçut enfin lui-même, de son désaccord fondamental avec le catholicisme. L’apparition de son livre : les Paroles d’un croyant le fit excommunier. Il ne cessa cependant de se regarder comme le serviteur de Dieu, il continua à dire la messe comme auparavant : il fut enfin anathématisé. Il devint alors un des acteurs les plus ardents du mouvement social et républicain sous le gouvernement de Louis-Philippe, fut membre de l’Assemblée nationale en 1848 et resta jusqu’à la fin de sa vie l’apôtre infatigable du socialisme chrétien et le champion de la liberté de conscience. Il avait un talent poétique extraordinaire, une éloquence sombre et passionnée de prédicateur et de prophète, l’entêtement d’un fanatique et l’inflexibilité d’un sectaire. Un de ses biographes à courte vue, croyant sans doute qu’il dit là quelque chose de dénigrant et de mordant, le caractérise ainsi : « Comme tous les hérétiques, il était doué d’un esprit d’airain, d’une âme inflexible, d’un orgueil insensé. Au xve siècle, il se serait plutôt laissé livrer au bûcher avec Jean Huss, que d’avouer ses erreurs. » Au xixe siècle, on ne l’a pas brûlé, mais en lisant la vie de ce martyr de sa foi, on se dit involontairement que dans tous les temps, la souffrance, l’humiliation, la pauvreté, le reniement et l’incompréhension tragique, de la part des amis et des élèves les plus proches, c’est là le sort des initiateurs de toute nouvelle doctrine, la coupe qu’eux tous doivent vider jusqu’à la lie. Lamennais mourut en 1854, restant fidèle, jusqu’au dernier moment, à sa conscience et à sa foi. Ses funérailles furent accompagnées de nouvelles entraves de la part de la police. Toutefois, conformément à son désir, il fut enterré dans la fosse commune.

Au moment où Liszt et George Sand entrèrent en relations avec Lamennais, celui-ci avait cessé d’être un champion du catholicisme et il était déjà célèbre par la publication des Paroles d’un croyant, qui eurent jusqu’à cent éditions et qui furent traduites dans toutes les langues de l’Europe. Les biographes et les critiques de Lamennais ont tort d’envisager cette évolution comme une rupture avec ses anciennes doctrines et une adhésion à des idées diamétralement opposées, ou même comme une trahison à ses anciennes convictions. Des écrivains peu consciencieux ou acharnés à le poursuivre, vont même jusqu’à assurer que cette volte-face provenait d’un orgueil satanique de ce renégat, par vengeance de n’avoir pas été fait cardinal, etc. Ses Paroles d’un croyant n’étaient qu’une des étapes du développement d’une seule et même idée. Lamennais avait commencé par lutter contre la Révolution, l’Empire et Napoléon, trois régimes, aux yeux de cet apôtre fanatique du christianisme, entièrement contraires à l’esprit de l’enseignement divin. Dans cet ordre d’idées, il a écrit ses Réflexions sur l’état de l’Église en France pendant le xviiie siècle, et sur sa situation actuelle (1808) et son célèbre Essai sur l’indifférence en matière de religion (1817-1823). Il espérait que la Restauration rendrait à l’Église le pouvoir et l’influence qui lui appartiennent comme unique autorité naturelle de la société chrétienne. Son espoir fut déçu. Il voulait exciter l’énergie et ranimer la vitalité de l’Église catholique endormie, il voulait arriver à ce que sa puissance spirituelle dominât tous les pouvoirs terrestres comme au temps glorieux des premiers siècles du christianisme. Il s’opposait à l’autonomie de l’Église gallicane, qu’il trouvait en opposition avec les principes de l’unité de l’église orthodoxe. (De la religion considérée dans ses rapports avec l’ordre politique et civil, 1826.) Il s’efforça de signaler à la curie romaine ses fautes, ses égarements et lui conseilla, en se conformant aux exigences du temps, de ne pas être seulement la religion des puissants de la terre, mais la religion de tous. Ses vœux, ses conseils, furent condamnés. Son voyage à Rome lui ouvrit les yeux et lui montra qu’entre la papauté et le christianisme, il n’y avait rien de commun ; que l’une n’était qu’une institution purement humaine, une institution d’État, l’autre une institution divine. L’une était l’antipode de l’autre. (Affaires de Rome, 1836.) L’apôtre du christianisme se rangea du côté du christianisme ; l’apôtre de l’amour évangélique envers le prochain se leva contre l’Église qui prêche l’oppression, la violence et la vengeance, et l’Église se sépara de lui (1832). Il n’accepta pas son excommunication, car il envisageait, plus sévèrement encore que les princes de l’Église, sa vocation ecclésiastique. Il avait déjà proclamé auparavant que les serviteurs de l’autel ne doivent pas user des biens terrestres ni recevoir aucun subside du gouvernement, mais vivre dans la pauvreté. C’est ce qui lui avait attiré l’inimitié du haut clergé. Il continua donc à se regarder comme prêtre, à prêcher la fraternité au nom de Dieu, la liberté pour tous, l’amour du prochain. Bien plus encore, il exigeait l’entière observation des préceptes évangéliques, voulant que personne ne se crût maître, ne jugeât ses frères, ne levât les armes contre son frère ; en un mot, il rejeta toutes les institutions politiques qui, selon son opinion, empêchaient le triomphe de l’esprit de la doctrine chrétienne. [Paroles d’un croyant, 1832 ; Le Livre du peuple, 1837 ; Une voix de prison.) Il se rapprocha ainsi du saint-simonisme et des doctrines démocratiques et révolutionnaires des années 1830. (De l’esclavage moderne, 1840 ; Le pays et le gouvernement, 1840 ; Amchaspands et Darvands, 1843) ; mais il s’en éloigna complètement, quant à la question du féminisme. Il était l’ennemi de l’émancipation de la femme, exigeant qu’elle fût soumise à l’homme comme le voulait saint Paul (Discussion critique et pensées diverses, 1841). À tout autre égard, il devança son siècle, prêchant, d’une part, des choses qui sont actuellement conformes aux vues de cette même Église qui l’avait condamné et qu’elle pratique aujourd’hui, telles que le christianisme social de Léon XIII, — et d’autre part, apparaissant en même temps comme un des prédécesseurs de Léon Tolstoï[450]. On trouve, dans les Paroles d’un croyant, des pages qui sont presque identiques aux dernières œuvres du grand écrivain russe.

La Traduction de l’Évangile par Lamennais et son étude intitulée : De la société première et de ses lois ou de la religion, n’offrent guère moins de ressemblance avec les œuvres de Tolstoï. Mais dans aucun de ses ouvrages, Lamennais ne s’est montré aussi évidemment un adepte du saint-simonisme que dans son Esquisse d’une philosophie[451] et aucun ne semble avoir aussi puissamment contribué à éclairer l’idéal artistique de Liszt et de George Sand. Quoique ce livre ait paru en 1840, ses thèses ont dû germer peu à peu dans son esprit, et l’on conçoit qu’il ait déjà pu les discuter avec Liszt dans la première moitié des années 1830.

Voici les principales de ces thèses : Le monde est la manifestation finale de l’infiniment Beau. L’infiniment Beau est la forme ou l’incarnation de l’infiniment Vrai. Dans la nature inanimée, on ne remarque qu’une simple affinité entre les objets. Dans le règne animal se fait déjà remarquer un autre degré, l’instinct. L’homme, quoique conduit dans sa vie première par l’instinct, est déjà dirigé principalement par la raison, la conscience, qui lui donne la première notion du vrai, ou du moins la lui fait pressentir. D’abord, l’homme, comme les animaux, ne reçoit que les impressions extérieures que lui donnent les sens ; ensuite, étudiant les phénomènes du monde extérieur, il passe peu à peu de leur compréhension — à la contemplation et à la compréhension du Beau. Par la compréhension du Beau, il arrive peu à peu à s’approcher de la compréhension du Vrai, à s’unir à l’être suprême, à Dieu, comme tout dans la création tend à la perfection suprême, à sa fusion avec lui.

« … S’il perçoit la lumière physique par les sens qui lui sont communs avec les animaux, il perçoit encore intérieurement la pure lumière qui manifeste ce que les sens ne peuvent atteindre, la lumière essentielle, identique avec la parole, le verbe infini et dans cette lumière, il voit Dieu, et en Dieu l’immuable, le nécessaire, le vrai, les idées, les causes éternelles[452]. »

Conformément à ces trois échelons du développement de son esprit, l’activité de l’homme se déploie dans la poursuite de trois buts : 1° l’influence sur le monde extérieur, — la sujétion de la nature avec ses forces à sa volonté et à son esprit, — ce que Lamennais réunit sous le nom de « l’Industrie » ; de là tous les métiers, les découvertes et les inventions innombrables et sans fin, car le but final de l’activité humaine dirigée par l’esprit sans bornes et sans limites, c’est la victoire de l’esprit sur tout ce qui est dans la nature, la délivrance de tout ce qui lui fait obstacle, la soumission toujours plus grande du temps, de l’espace et de la matière, jusqu’à complète union de la nature avec l’homme.

« … Ainsi par l’Industrie, par l’empire qu’il exerce sur la Nature contrainte d’obéir à ses volontés, l’homme s’assimile, pour user de ce mot, corporellement la création, il en fait comme une extension de son propre organisme[453]. »

« … Si l’homme se développait seulement dans l’ordre de l’utile, il ne différerait de l’animal que par la supériorité de ses instincts, et ne serait pas plus perfectible que lui ; car dans cet ordre même, le progrès en tant qu’indéfini, dépend de la raison et resterait sans elle fatalement renfermé, comme chez les êtres inférieurs, en des limites relatives à l’espèce entière, et que l’individu ne franchirait jamais. C’est à l’intelligence que l’homme doit le privilège de se perfectionner sans cesse, ainsi que le pouvoir toujours croissant qu’il exerce sur la Nature[454]. »

« … Totalement absorbé en elle, il ne pourrait réagir sur elle, la dompter, la soumettre à son empire, s’il ne s’élevait au-dessus d’elle par le don de l’intelligence. Et puisque là où elle n’est pas, tout a des bornes nécessaires et fixes, et que là où elle est, ces bornes disparaissent, elle a évidemment une relation naturelle et directe à l’infini… L’intelligence, dans ce qui la constitue radicalement, est la faculté de percevoir le vrai ou le nécessaire, l’invariable, l’absolu, c’est-à-dire de percevoir Dieu et les idées en Dieu. À l’instant où elle naît, elle engendre des besoins nouveaux, et par conséquent ouvre à l’homme une nouvelle sphère d’action. Mais le Vrai peut être perçu, soit immédiatement en lui-même, soit à travers le voile des choses extérieures ou des formes sensibles qui manifestent au sein de l’espace et du temps, les idées, les types, les modèles éternels de tout ce qui est. Le vrai ainsi perçu prend le nom du Beau, et le Beau est le Vrai manifesté dans une forme sensible. Dès que l’homme en a la vision, il s’unit à lui par l’amour et cherche à le reproduire dans ses œuvres, à y incarner l’exemplaire divin que contemple l’œil interne.

Voilà l’art, et l’art humain n’est qu’un rayonnement de l’art, si on peut le dire, de Dieu même[455]. »

La seconde sphère de l’activité de l’homme — activité créatrice répondant au sentiment, et ayant son prototype dans l’activité du Créateur — serait donc l’Art. L’Art comme imitation de l’activité du Créateur doit, nous l’avons vu, réunir dans ce qu’il crée le vrai et le beau ; il ne peut et ne doit donner la vérité pure et abstraite, mais doit se contenter de nous l’exprimer en une forme vive, concrète et belle. Inversement, une forme qui n’est pas l’incarnation d’une idée sublime et vraie, ne peut pas être de l’art ; ce n’en est qu’une imitation sans vie, ce n’est que lettre morte sans l’esprit qui vivifie. « L’art pour l’art est donc une absurdité ! Le perfectionnement de l’être dont il manifeste le progrès en est le but[456]. » L’art pour l’art n’a aucun droit à s’appeler « art », il ne porte en lui ni le sens ni la force de la vie, c’est une fleur stérile qui ne laisse après elle aucune trace. Le véritable art, c’est celui qui se tient au faîte des croyances, des connaissances, des idées et des acquisitions de l’esprit humain de son temps, qui en est pénétré, en un mot, qui est l’incarnation de la vérité en tant qu’elle est connue à l’époque donnée. Par conséquent il doit servir à exprimer les meilleures, les plus hautes tendances de l’époque. Mais l’art ne peut non plus jamais descendre jusqu’à une simple prédication, à un simple exposé de ces idées qui ne seraient pas dans la forme du beau. Ce n’est pas là sa sphère. « Or, les idées et leurs rapports purement intellectuels ne sont point du domaine de l’art. L’art implique l’idée, il est vrai, mais l’idée rendue saisissable aux sens[457]. » De même que l’action de l’homme sur la nature n’a pas de limite, mais progresse proportionnellement au développement de l’esprit humain, l’art n’a non plus aucune limite, mais avance toujours et doit nécessairement progresser en proportion du développement de l’humanité ; il serait absurde, insensé de vouloir l’arrêter et le comprimer dans la forme du passé. La forme sans l’esprit c’est la mort ; c’est pourquoi toutes les tentatives essayées pour faire retourner l’art à ses anciennes formes sont toujours restées sans succès : l’esprit qui les avait créées a vécu son temps, il est mort, et les idées et les croyances qui les avaient inspirées sont aujourd’hui ensevelies dans la poussière des siècles. Le but final de l’art, l’incarnation du Beau absolu, se trouve dans un avenir infiniment lointain. Et ce ne sera qu’alors que l’homme arrivera à la compréhension de l’absolument Vrai, à l’union, à la fusion avec l’Être Suprême. Déjà maintenant, dans la sphère circonscrite du beau relatif où l’homme se trouve, il passe devant lui quelques lueurs du vrai et, à chaque pas qu’il fait, il voit s’étendre le champ de la compréhension.

La troisième sphère de l’activité de l’homme — activité tendant à pénétrer la raison et la nature des choses et de la vérité pure, l’activité de l’esprit, — c’est la Science. Lorsque l’humanité aura parcouru entièrement cette sphère, ce cercle évolutif, vers lequel tend tout ce qui a vie, tout ce qui est créé, se fermera, et s’accomplira l’union complète et absolue avec l’Éternel, union qui n’aura pas de fin.

Ces thèses générales sont suivies chacune de leurs conclusions. En premier lieu, et avant tout, le travail n’est nullement une punition du péché originel, il est la cause, la condition absolue de tout progrès, « car le travail c’est l’action même, c’est dans l’universalité des êtres de tout ordre, l’exertion permanente de l’énergie interne par laquelle ils sont, le travail c’est la vie et le progrès de la vie ; et Dieu lui-même, au fond de son impénétrable unité, se réalise selon tout ce qu’il est par un travail éternel[458]. »

De là découle aussi pour la science la nécessité d’unifier toutes ses conquêtes et de les systématiser ; c’est là la seule voie qui puisse l’élever à la hauteur qui lui est due, en faire non un amas de connaissances inutiles et d’exercices stériles de l’esprit, mais le flambeau de l’humanité. (À ce sujet Lamennais énonce des idées qui ont servi plus tard de base à la classification des sciences d’Auguste Comte, et, d’autre part, il a pour les sciences presque littéralement les mêmes exigences qu’aujourd’hui Tolstoï.) De là aussi les rigoureuses obligations que Lamennais impose aux artistes.

« Les artistes aujourd’hui, les artistes véritables n’ont que deux routes à suivre. Ils peuvent, se renfermant en soi, individualiser l’art, en s’exprimant, pour ainsi dire eux-mêmes. Mais qu’est-ce qu’un homme dans l’humanité ? Qu’est-ce que sa pensée, son sentiment, ses impressions personnelles ? S’isoler de la sorte, c’est renoncer aux grandes inspirations, à éveiller des sympathies générales et profondes, à parler une langue entendue universellement ; c’est, dès lors, tout ensemble et détourner l’art de son but, le rétrécir, le fausser souvent, et se condamner à un oubli certain, car tout ce qui dure a une base plus large. Ils peuvent enfin, descendant au fond des entrailles de la société, recueillir en eux-mêmes la vie qui y palpite, la répandre dans leurs œuvres, qu’elle animera comme l’esprit de Dieu anime et remplit l’univers. Le vieux monde se dissout, les vieilles doctrines s’éteignent ; mais au milieu d’un travail confus, d’un désordre apparent, on voit poindre des doctrines nouvelles, s’organiser un monde nouveau ; la religion de l’avenir projette ses premières lueurs sur le genre humain en attente, et sur ses futures destinées : l’artiste en doit être le prophète[459]. »

Nous avons exposé dans la mesure de nos forces les principales idées de Lamennais dans son Essai de philosophie, et nous avons esquissé les principaux traits de l’évolution de son esprit dès les premiers pas de son activité littéraire jusqu’à sa mort, pour ne plus revenir sur ce sujet et ne plus avoir à en rendre compte lorsque nous les retrouverons plus loin dans les œuvres de George Sand. C’est ce qui nous permettra de nous borner à citer la source chaque fois que George Sand aura puisé aux doctrines du célèbre écrivain. C’est bien avec intention que nous nous sommes étendu sur la personnalité et l’œuvre de Lamennais en même temps que nous avons montré l’évolution de l’idéal artistique et social de Liszt, car c’est par Liszt que Lamennais a fait la connaissance de George Sand, et c’est encore Liszt qui, en 1835 déjà disciple et ami intime de l’illustre abbé, a aidé George Sand à comprendre et à s’assimiler sa doctrine. Voilà pourquoi nous allons nous permettre de revenir sur la part que Lamennais a eue dans la vie de Liszt.

Comme nous l’avons vu, Liszt trouva en Lamennais un homme qui le comprenait, le soutenait et sympathisait avec ses idées, ses tendances et ses convictions les plus intimes. La foi ardente et profonde de cet ancien champion du catholicisme et du régime monarchique, devenu leur ennemi acharné, — religiosité trop vaste et trop profonde pour se laisser enserrer dans le cadre de n’importe quelle religion dogmatique ; la défense hardie de ses convictions allant jusqu’au sacrifice et à l’oubli de soi-même ; la lutte contre les institutions qu’il croyait nuisibles ; son incorruptibilité à toute épreuve ; la chaleur avec laquelle il accueillait les idées démocratiques ; ses tendances vraiment chrétiennes ; ses exigences rigides envers l’art et les artistes au nom de ces mêmes tendances ; sa sombre éloquence enflammée — tout cela charma Liszt et le subjugua. D’un autre côté, la similitude de leurs convictions et de leurs tendances rapprocha bientôt le jeune pianiste du vieil abbé, et leurs rapports prirent rapidement la forme d’une piété filiale et d’une tendresse toute paternelle. Grâce à Lamennais, les idées artistiques, sociales et religieuses de Liszt se fixèrent définitivement et prirent cette direction idéale et chrétienne qui dès lors ne varia plus chez l’artiste. C’est aussi Lamennais qui contribua à affranchir les croyances de Liszt d’une soumission trop absolue aux dogmes de la hiérarchie ecclésiastique. « Il fut le premier, — dit Lina Ramann, — à expliquer à Liszt l’immense différence qu’il y a entre la religion et l’Église. L’artiste comprit alors que les deux institutions sont deux conceptions différentes, pouvant en pratique être diamétralement opposées, quoique se touchant de près, comme le fond et la forme. Cette compréhension devint encore plus claire chez Liszt quand il vit que Lamennais, ce catholique croyant et fervent, venait d’être excommunié. Toutes les sympathies de Liszt furent pour l’ami paternel ; désenchanté connue celui-ci, il se détourna de l’Église. » Dans le second volume de ses œuvres (article : Zur Stellung der Künstler) on trouve des attaques violentes, remplies de colère et de fiel contre l’Église romaine, attaques qui rivalisent avec celles de Dante. En un mot, on peut dire que c’est Lamennais qui « consacra cette liberté que Liszt garda toujours vis-à-vis de tous les pouvoirs ».

La conséquence pratique des idées saint-simoniennes et de son amitié avec Lamennais se fait remarquer dans une série d’articles littéraires sur la question de l’instruction musicale des masses, sur la nécessité de fonder pour le peuple des sociétés chorales, de donner des concerts populaires, etc., etc. Liszt resta également fidèle aux idées qui ne furent exposées par Lamennais que plus tard, dans les quatre volumes de l’Esquisse d’une philosophie, mais qui furent déjà discutées dans leurs conversations de 1832-35. Il ne cessa non plus de regarder sa vocation comme sacrée, envisageant son art, non comme un moyen d’arriver à la célébrité, de briller, d’amuser le public (ce qu’il avait dû faire dans sa jeunesse dans ses tournées artistiques), mais comme le moyen de contribuer à la solution des plus hauts problèmes qui travaillent l’humanité.

Bien plus, il fut le premier des artistes qui commença à secourir les pauvres, les malheureux, en leur abandonnant le produit de la recette de ses concerts. Ainsi, en 1837, il donna à Lyon un concert au profit des ouvriers qui souffraient de la famine, à la suite d’une grève. Avant cela déjà il avait fait preuve de compassion sympathique envers les malheureux Lyonnais, qui avaient beaucoup souffert après leur révolte de 1834. Il avait composé à cette occasion, une pièce pour piano Lyon, qui avait pour épigraphe le mot d’ordre des socialistes de l’époque :

    Vivre en travaillant,
    Mourir en combattant

Cette pièce était dédiée à M. F. de L. c’est-à-dire Monsieur Félicité de Lamennais ; c’était la consécration de leur union amicale sur le terrain des sympathies sociales.

On voit par tout ce que nous venons de dire que ce fut vers 1835 ou à peu près, que finit pour Liszt la période préliminaire, la période de fermentation, de luttes. Il commença dès lors d’une manière toute consciente son sacerdoce artistique et voulut mener une vie répondant aux exigences et aux devoirs que son art lui imposait. Mais, presque au moment où il prenait ses bonnes résolutions, une passion qui devint pour lui une difficulté, une entrave, vint fondre sur sa vie, et l’empêcha de suivre en paix la voie dans laquelle il était entré. Cette passion éclata sous la figure de la svelte comtesse Marie d’Agoult, née de Flavigny, une apparition diaphane, éthérée, une vraie déesse. C’était une femme aux cheveux d’or, aux yeux bleus, idéalement belle, douée d’un grand esprit, instruite, ravissante sous tous les rapports : la Diane des salons de Paris. L’adorable comtesse était moitié Allemande, moitié Française, sa mère étant la fille d’un banquier de Francfort, Bethmann, et son père le fils d’un émigré français. Elle avait reçu une éducation et une instruction excellentes, avait beaucoup de lecture et parlait plusieurs langues. Elle avait épousé sans amour un représentant de l’ancien régime, le comte d’Agoult, homme de bonnes manières, de tous points correct et honorable, dans la société duquel elle s’ennuyait néanmoins. Elle se mit à chercher des distractions ; mais bientôt blasée de ses succès mondains, de ses triomphes, elle voulut trouver quelque chose d’autre qui l’intéressât davantage. Elle se prit de passion pour différentes idées, pour les doctrines alors en vogue, surtout pour les hommes en renom, et ayant rencontré le jeune Liszt, elle tomba passionnément amoureuse de lui ; elle avait trouvé la diversion qu’elle cherchait. Liszt, tout en payant cet amour de retour, n’avait pas la moindre idée de porter le trouble dans le ménage de la comtesse, mais Marie d’Agoult ne pensait pas comme lui. Était-ce chez elle un entraînement sincère ou ce désir, qui pesait constamment sur elle, de jouer dans le monde un rôle extraordinaire, de paraître avant tout ? Toujours est-il qu’un beau jour elle quitta son mari et sa petite fille, et donna le spectacle d’une héroïne sacrifiant tout à son amour sublime.

Malgré toutes les prières de Liszt et les exhortations de Lamennais, elle partit pour la Suisse, et il ne resta d’autre parti à prendre pour son ami le musicien que d’aller l’attendre à Genève ; il ne pouvait répondre au « sacrifice » qu’elle lui faisait qu’en se sacrifiant lui-même.

Nous sommes loin d’ajouter une foi entière à tout ce que l’on trouve sur la comtesse d’Agoult dans la biographie de Liszt. Faisons remarquer avant tout que ce qui concerne cette histoire romanesque a été écrit sur le dire de l’abbé Liszt qui a dû, même sans le vouloir, parler en termes très sévères de ses entraînements et de ses péchés de jeunesse ; tout cela raconté aussi par lui lors de sa liaison avec une autre grande dame, la princesse Wittgenstein, dont il devait éviter d’exciter la jalousie rétrospective en racontant ses anciennes amours et sa bonne fortune d’antan. De plus, Lina Ramann a écrit ces pages d’après les racontars d’un ex-amant ; et ne sait-on pas qu’il n’y a personne d’aussi injuste envers leurs idoles d’autrefois que les ex-amants ou les ex-maîtresses ? Nous devons cependant reconnaître, pour être juste nous-même, qu’il y a une grande part de vrai dans ce que Lina Ramann avance quand elle nous parle de la pose perpétuelle de la comtesse d’Agoult et de la duplicité de sa nature, qui, lorsqu’elle demanda un jour à Liszt quel titre elle devait donner à ses Souvenirs, amenèrent le musicien furieux à lui crier : « Poses et Mensonges ! » Il est également vrai qu’elle avait un amour-propre excessif, qu’elle était ambitieuse, phraseuse. Toujours, elle a voulu jouer un rôle quelconque, tantôt celui d’une « femme passionnée », tantôt celui d’une nymphe Égérie, inspirant le génial compositeur, qui n’avait certes nul besoin de cette inspiration, ou bien encore le rôle de « femme philosophe ». Ce n’est pas non plus sans raison qu’il a été dit que dans cette nature, en apparence froide et au fond passionnée, il y avait deux traits bien caractéristiques : une imagination exaltée et une ambition sans mesure. Malgré tous ces défauts, la comtesse d’Agoult fut, sans contredit, une femme absolument remarquable par son esprit, — un esprit sceptique et varié, embrassant tout, sachant comprendre et approfondir les idées et les doctrines les plus contraires ; ce fut aussi une curieuse, avide de savoir, enfin un écrivain hors ligne. On en a pour preuves toute la série des œuvres variées qu’elle nous a laissées, à commencer par Nélida, roman passionnel (1845), jusqu’aux trois volumes de son Histoire de la Révolution de 1848 (1851), aux Lettres républicaines, et à ses Pensées, réflexions et maximes (1849), si élégantes et si profondes. Toutes ses œuvres ont paru sous le pseudonyme de Daniel Stern.

Lorsque George Sand, au printemps de 1835, arriva à Paris pour rejoindre Michel de Bourges, elle y retrouva Liszt, avec qui elle avait rompu si brusquement au mois de janvier de la même année, pour calmer la jalousie d’Alfred de Musset. George Sand avait alors écrit franchement à Liszt, qu’à son grand regret, ils ne devaient plus se voir, qu’il devait même ignorer où elle allait pour que « quelqu’un » ne s’agitât pas à propos de leur amitié qui venait de naître[460]. Liszt apprit avec beaucoup d’indulgence cette bizarre exigence de Musset. Il fit du reste preuve de beaucoup de bonhomie durant toute cette histoire. Voici par exemple une lettre inédite de Liszt à George Sand, écrite au moment où celle-ci se débattait encore dans les affres de sa passion, et certainement avant la lettre du 19 janvier 1835, mentionnée plus haut[461] :

« Je crains bien, Madame, que ce mieux dont vous tirez presque vanité, ne soit de bien courte durée ; peut-être même n’est-ce qu’une réaction organique contre des souffrances intolérables ; si je n’avais été arrêté en chemin par l’idée de vous déranger ou de vous incommoder mal à propos, vous auriez eu l’ennui de m’entendre préluder plus d’une fois sur votre piano. Me serait-il permis d’espérer qu’à votre retour vous voudrez bien encore me compter au nombre des cinq ou six personnes que vous recevez assez volontiers les jours de pluie ?… Il m’aurait été bien agréable de n’être pas refusé par vous dimanche, mais je n’en garde que le chagrin sans aucune rancune ; d’ailleurs, c’est une occasion qui se reproduira une autre fois et mieux.

« Veuillez bien agréer, Madame, l’assurance de mon respectueux et sincère dévouement.

« F. Liszt. »

Il donna également à cet égard une preuve de sa bonhomie, en retournant avec plaisir en avril 1835 chez George Sand, et en lui amenant même dans son petit logement du cinquième son souffreteux ami Lamennais.

Bientôt après George Sand, certainement initiée au secret de l’amour romanesque de Liszt, fit la connaissance de la comtesse d’Agoult. George Sand, semble-t-il, avait été attirée par le désir de voir de près une femme qui avait agi comme les héroïnes de ses romans, et Marie d’Agoult, de son côté, voulait connaître celle qui les avait écrits.

La « Péri à robe bleue », si elle ne descendit pas du ciel[462], daigna du moins de ses petits pieds aristocratiques, grimper jusqu’au galetas poétique où régnaient bruyamment et sans façon aucune : Michel, Guéroult, Arago et plusieurs autres amis de l’auteur d’André, lequel venait de paraître, amis qui, berrichons ou parisiens, étaient loin d’être des aristocrates. Il semble que les deux femmes ont fait connaissance un peu avant cette première visite de la comtesse d’Agoult chez George Sand, mais on ne peut en préciser ni le temps ni le lieu. M. Rocheblave dans son étude fort intéressante sur cette « amitié romanesque[463] », dit que ces dames se virent pour la première fois au théâtre, et qu’elles dînèrent ensuite chez la vieille mère de Liszt, mais il ne cite aucune preuve pour confirmer son opinion. En général, l’étude qu’il nous a donnée est très curieuse au point de vue psychologique, on y trouve en outre les réponses de la comtesse aux lettres de George Sand ; mais elle est fort inexacte, quant à l’ordre historique et chronologique. On peut même dire que sous ce rapport ce travail est rempli d’erreurs grossières. Ainsi, par exemple, M. Rocheblave, qui fait remarquer non sans raison que les lettres de George Sand imprimées dans la Correspondance sont souvent antidatées et parfois même composées arbitrairement de fragments de lettres se rapportant à différentes époques, ne s’est cependant pas donné la peine de contrôler les manuscrits qu’il avait entre les mains, avec toutes les données et les faits déjà connus, et précis. Et qu’en est-il résulté ? C’est que tout en ayant eu entre ses mains les réponses de la comtesse d’Agoult, il a complètement brouillé les lettres de George Sand, et il a si bien fait qu’on ne peut tirer aucune ressource biographique de son article. Grâce au gâchis qui y règne, nous voyons George Sand aller en Suisse à deux reprises différentes, en 1835 (?) et en 1836. L’épisode de son séjour à Genève, de la course à Chamounix, etc., il le rapporte à l’automne de 1835, alors que George Sand passa, en réalité, cet automne à Nohant et à Paris, après son séjour dans la « maison déserte « de Bourges, et la fin de l’automne et l’hiver à La Châtre. C’est pourquoi elle pouvait dire dans une lettre du commencement de cet hiver à la comtesse Marie que le procès commencé l’empêchait de se rendre maintenant à Genève, etc. C’est pour cette même raison que Liszt pouvait, dans sa première Lettre d’un Bachelier ès musique, datée de Genève, 23 novembre 1835[464], reprocher à George Sand que « dans sa fraternelle épître, qu’il avait trouvée sur sa table au retour d’une longue excursion dans les montagnes, elle semblait rétracter la promesse qu’elle lui avait faite de venir bientôt les rejoindre en Suisse »… Il pouvait aussi lui dire : « Combien j’aimerais pourtant vous attirer, vous, le plus capricieux et le plus fantasque des voyageurs, de ce côté du noir Jura… Mais que puis-je vous dire, pour ébranler votre curiosité à ce point qu’elle triomphe de votre paresse ? Il ne m’a pas été donné, dans mes courses alpestres, de pénétrer les trésors de la neige… La république musicale, déjà créée dans les élans de votre jeune imagination, n’est encore pour moi qu’un vœu… Votre mansarde est meublée et prête à vous recevoir et mon piano en nacre de perles, muet depuis près de trois mois, n’attend que vous pour faire retentir les montagnes d’alentour d’échos discordants »… Et en l’été de 1836, répondant à une phrase d’une lettre de George Sand, où elle disait qu’elle avait beau faire, elle ne serait pas libre avant les vacances, Liszt écrivait encore :

« Cher George,

« Par la même raison que nous avons attendu onze mois nous vous attendrons encore un mois de plus. »

Enfin, nous trouvons sur une feuille volante, dans l’un des calepins de George Sand, les dates suivantes, sûrement données par elle à Michel lors de son procès en séparation : « 1835. À Paris, la fin de juillet ; revenue à Nohant le 6 août ; Michel vient le 8. Je le reconduis à Châteauroux. Reviens à Nohant jusqu’au 1er septembre ; tout septembre à Paris ; revenue ici le 30… » Donc, en 1833, George Sand ne quitta pas la France, et M. Rocheblave a commenté erronément plusieurs lettres. Il serait certainement du plus haut intérêt de voir paraître cette correspondance entre les deux femmes écrivains, mais revue à nouveau, et les lettres remises à leurs dates véritables, dans leur ordre chronologique et accompagnées d’annotations bien vérifiées. Donc, tout en conseillant à tout le monde de lire l’article de M. Rocheblave comme une étude psychologique très intéressante, nous recommandons à tout lecteur de ne pas consulter cet ouvrage comme document, et de se souvenir avant tout et une fois pour toutes que : En 1835 George Sand n’est nullement allée voir Liszt à Genève.

Mais retournons au printemps de 1835. La curiosité avait donc porté Mmes Dudevant et d’Agoult à se voir et à se connaître. On sait que les femmes deviennent souvent amoureuses rien que par curiosité. George Sand et Mme d’Agoult devinrent simplement amies pour cette même raison ; car, au fond, il n’y avait rien de commun entre elles. L’une était une nature tout d’une pièce, ardente, artiste ; l’autre une nature double, plutôt réflexe et ambitieuse. L’une était habituée à vivre en pleine liberté, l’autre à trôner dans les salons. La seconde, selon l’expression de Liszt, ne se sentait à l’aise que dans des robes de mille francs, la première n’était véritablement contente que lorsqu’elle se voyait avec une blouse de toile bleue et des bottes d’homme. Celle-là, quoique s’étant « abaissée » jusqu’à aimer un pianiste, n’oublia cependant jamais la haute position qu’elle avait occupée faubourg Saint-Germain ; celle-ci, quoique « cousine » de Charles X, parla toujours le plus volontiers de l’origine plébéienne de sa mère, et n’oublia jamais de rappeler qu’elle n’appartenait à aucun autre pays que la verte Bohême, la patrie de la liberté et des artistes. Inutile de prolonger davantage la comparaison entre les deux femmes. On trouve dans le livre de Lina Ramann ample matière à faire de ces comparaisons, ad infinitum.

La correspondance, les œuvres et le sort ultérieurs des deux écrivains sont d’ailleurs assez significatifs par eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, en 1835, elles s’imaginaient être devenues amies, et elles passèrent plusieurs années dans cette erreur jusqu’au moment où elles se brouillèrent enfin, à l’occasion de l’amour de Chopin pour George Sand, amour que l’ambitieuse comtesse, habituée à primer et à triompher sur tous, ne pouvait pardonner. À cette occasion il devint de toute évidence que pendant tout le temps de cette prétendue amitié il n’y avait que George Sand qui s’y fût sincèrement livrée, que Mme d’Agoult avait toujours joué jeu double, tant avec George Sand qu’avec elle-même ; elle agissait en catimini, au lieu de s’exprimer franchement, elle avait toujours quelque chose de caché in petto. L’ambition, l’envie, la jalousie par rapport à « la gloire de Miltiade » couvaient dans son cœur, en même temps qu’elle écrivait à son amie de tendres lettres, ou lorsqu’elle vivait côte à côte avec elle à Genève, à Nohant ou à Paris. Nous devons avouer que quant à George Sand nous n’attribuons aucune importance à cette amitié, bien plus belle et plus tendre sur le papier que dans les entrevues que les deux femmes eurent ensemble. Si sa soi-disant amitié envers George Sand fit de la blonde comtesse un bon écrivain (« sans Lélia il n’y aurait pas eu de Nélida », répétait souvent Liszt, voulant dire par là que si la comtesse d’Agoult s’était faite écrivain, ce n’était nullement par goût et par vocation, mais uniquement par amour-propre et jalousie), cette amitié n’eût aucune action sur le talent de George Sand. Il en fut autrement de Liszt. Comme nous aurons encore à parler plus tard de l’influence mutuelle qu’ils exercèrent l’un sur l’autre, revenons au récit chronologique des événements qui se sont passés en 1835.




CHAPITRE XI
(1835-1836)

Michel de Bourges. — Lettres de femme et Journal du docteur Piffoël. — Le Poème de Myrza et le Dieu Inconnu. — Le procès en séparation et les autres procès avec M. Dudevant.


À la fin du mois de mai 1833, Liszt et la comtesse d’Agoult partirent pour la Suisse, Michel retourna à Bourges, et George Sand resta à Paris pour finir à la date obligée son roman : Simon, promis à Buloz. Il commençait à faire chaud, et le séjour dans la mansarde du cinquième étage devenait insupportable. De ses fenêtres, qui donnaient dans la cour intérieure, George Sand vit qu’au rez-de-chaussée de sa maison, alors à moitié démolie pour cause de grandes réparations, il y avait au niveau même du jardin un logement vide. Les portes, il est vrai, y étaient enlevées, tous les coins encombrés de pierres et de décombres, mais l’air était frais dans les grandes chambres, tout était tranquille, et le petit jardin, fermé pour tout le monde, lui offrait un abri où elle pouvait se retirer sans avoir à craindre d’être dérangée. Enchantée d’avoir trouvé au centre même du bruyant Paris la solitude, la liberté dans le calme et, le comble de ses rêves, « une maison déserte », elle s’empara sans hésiter du logement et y installa son cabinet de travail en transformant un établi de menuisier en table à écrire. Seuls, le portier qui lui avait cédé la clef du jardin, et la femme de chambre qui lui apportait les repas et les lettres, savaient où elle passait ses journées et lui en gardaient le secret. Les araignées, les souris et les merles, les chardons et les orties envahissaient son refuge ; mais c’était cet abandon même qui charmait le poète. Souvent aussi elle descendait le soir au jardin pour s’y promener en liberté par les petits sentiers couverts d’herbe, ou s’adonner à la rêverie, assise sur les marches brisées du perron. C’est ce jardin qu’elle a fait décrire plus tard, dans Isidora, par le héros de son œuvre, Jean Laurent. À la fin du mois de juin, elle fit un court séjour à Nohant. Convaincue une fois de plus que la vie sous le même toit que Dudevant était pour elle chose impossible, elle alla au commencement de juillet à Bourges où l’attirait le désir de se rapprocher de Michel et où elle s’installa encore dans une maison déserte, qu’une de ses amies avait mise à sa disposition. Voici les dates que nous trouvons sur la feuille volante déjà citée plus haut :

« Revenue ici (à Nohant) le 21 ou 22 juin. Michel ici le 24. Je le conduis à Bourges. Je pars au commencement de juillet ; je vais à Bourges par Châteauroux. Lamennais[465]. À Paris fin de juillet. À Nohant le 6 août, Michel vient le 8, je le conduis à Châteauroux. Je reviens à Nohant jusqu’au 1er septembre. Tout septembre, à Paris. Revenue ici le 30… »

C’est dans la petite maison déserte, à Bourges, dans une solitude complète, — les repas lui étaient apportés du dehors, — qu’elle passait le temps à étudier la phrénologie d’après Lavater, Gall et Spurzheim. C’est là qu’elle écrivit la septième Lettre d’un voyageur « sur Lavater et une maison déserte », dédiée à Liszt, lettre à laquelle celui-ci répondit par ses trois premières Lettres d’un Bachelier ès musique[466]. La correspondance entre George Sand et ses nouveaux amis en Suisse était en général déjà assez active à cette époque. Notons cependant un fait passablement curieux. Bien que les lettres à la comtesse d’Agoult et à Franz Liszt respirent la même cordialité sincère et simple, et qu’elles soient également pleines d’épanchements de cœur et d’explications, on sent parfois dans celles que George Sand écrivait à Mme d’Agoult l’intention de faire de la « littérature », une animation un peu artificielle, une certaine coquetterie d’esprit, quelque chose qui tient du style des amoureux, non pas précisément un désir conscient de charmer sa correspondante, mais bien celui de lui prouver son attachement et son admiration. Les lettres à Liszt, pleines de verve et d’abandon, sont écrites sur un ton de bonne camaraderie, et en même temps elles touchent constamment aux différents intérêts sérieux de l’art et aux grandes œuvres du jour. Sans le savoir elle-même, George Sand y parle involontairement le langage de son correspondant, jugeant comme lui les choses et les hommes, sentant comme lui, partageant ses idées et ses tendances, surtout dans les questions qui traitent de l’art. Il est à regretter que nous ne sachions rien sur les conversations qu’ils eurent au printemps, outre les quelques lignes que leur consacre Liszt dans sa première Lettre d’un Bachelier ès musique, où il dit qu’il aime à revenir par la pensée au temps où lui et son ami le Voyageur, assis auprès du feu et enveloppés par la fumée de leurs cigares, causaient sur les grands problèmes sociaux, qu’on lui « défend de traiter dans les colonnes de la Gazette musicale ». Mais d’après la Correspondance de George Sand et les lettres inédites de Liszt on voit qu’ils se sont compris dès les premiers temps comme « âmes de même calibre », résonnant à l’unisson. Liszt a dû insensiblement inspirer à George Sand ce qui lui manquait à cette époque, — la conviction de la sainteté de la vocation artistique, de la nécessité de traiter l’art sérieusement et de tout cœur comme une chose divine, du grand rôle de l’art et des artistes dans le présent et l’avenir de l’humanité. Les conversations et les idées de Liszt se reflètent d’une part dans le passage de la Lettre à Everard où George Sand défend l’art et les artistes contre les exigences barbarement utilitaires du démagogue, et d’autre part dans la septième des Lettres d’un voyageur (à Liszt) et dans la onzième à Meyerbeer, qui sont l’une et l’autre l’écho des idées de Liszt ; enfin, on en retrouve la trace dans une série de romans ultérieurs où apparaissent des artistes, ce sont : La dernière Aldini, Consuelo, la Comtesse de Rudolstadt, Carl, Lucrezia Floriani, le Château des Désertes, le Château de Pictordu, etc., etc. Au lieu de continuer à proclamer le droit des artistes à une plus grande liberté que les simples mortels, on voit surgir dans ces romans la notion de la source divine de tout talent, l’obligation pour tout artiste d’être un homme supérieur aussi dans la vie privée, celle du devoir de se rendre utile aux hommes et du rôle sacerdotal des artistes dans l’état de l’avenir : Génie oblige. C’étaient les idées et les convictions de Liszt. On est donc très désagréablement surpris, en lisant l’Histoire de ma Vie, de voir que George Sand, sous l’influence de sa rupture avec Mme d’Agoult, n’ait pas trouvé impossible de passer sous silence ce côté de ses relations avec le grand compositeur qui joua un rôle important dans le développement de ses idées sur l’art, et de voir qu’elle a même tâché d’attribuer tout ce rôle à d’autres célébrités qui l’entouraient durant la période de ses recherches de la vérité. Mais le critique impartial qui compare les œuvres et les lettres de Liszt à celles de George Sand ne laisse pas de remarquer l’action évidente que ces deux grandes natures d’artistes ont exercée l’une sur l’autre. Selon le biographe de Liszt, Mlle Lina Ramann, ce serait George Sand qui, au début de leur amitié, aurait eu une influence fatale et pernicieuse sur le jeune musicien en développant en lui un romantisme excessif et en nourrissant en son âme, au détriment des qualités morales, les éléments de la passion déjà suffisamment puissants en lui à l’âge qu’il avait alors. Mais n’oublions pas, encore une fois, que l’on ne doit pas ajouter foi à tout ce que l’abbé Liszt a raconté dans sa vieillesse, lorsqu’il devait nécessairement blâmer la conduite de ses jeunes années. En outre, l’action littéraire de George Sand sur Liszt écrivain nous offre bien plus d’intérêt et d’importance que l’influence générale de l’esprit romantique sur les sentiments et les idées de la jeunesse d’alors, partagés par l’auteur des Rapsodies et des Années de pèlerinage.

Quoi qu’il en soit, en 1835 George Sand, Liszt, et Mme d’Agoult s’écrivaient constamment et souhaitaient de se revoir. Toutefois, malgré tout son désir de profiter des invitations réitérées de Liszt et d’aller en Suisse, Aurore Dudevant ne s’y rendit pas cette année-là, et ses amis l’y attendirent un bonne dizaine de mois. Voici quelques lettres inédites de Liszt, de la première moitié de 1836, qui nous prouvent combien l’amitié de l’illustre musicien pour son ami le Voyageur était grande et sincère :

« Cher George,

« Je ne sais ni où ni comment ce peu de lignes vous trouveront ; peu importe, pourvu qu’elles vous rappellent quelques minutes un ami, un frère, dont l’affection et le dévouement vous sont acquis pour toujours. Les trois ou quatre lettres que vous avez écrites à M[arie] et qu’elle m’a communiquées (contre son habitude), m’ont fait un véritable plaisir. La promesse que vous lui réitérez de venir nous voir ce printemps m’est aussi bien douce. Toutefois, j’hésite encore un tout petit peu à croire à la réalité de votre apparition fantastique à Genève. Avouez que c’est un scepticisme raisonnable et quasi légitime ; mais Dieu veuille que vous le confondiez à tout jamais, et cela au plus tôt. Ces jours derniers, votre nom a circulé dans tout Genève. Il paraît que votre sot-système[467] est en correspondance avec Mme Clermont-Tonnerre, et qu’il l’a prévenue de votre prochaine arrivée. Sur cela, grande rumeur et alerte dans le pays, comme bien vous pensez. Malheureusement, c’est comme la pièce du sieur Shakespeare : Much to do about nothing[468], et comme je ne suis pas sûr que (vous) sachiez l’anglais, voici la traduction française en regard : « beaucoup de bruit pour rien ».

Si vous venez, vous me trouverez prodigieusement hébété ! Depuis six mois je ne fais qu’écrire, écrivasser et écrivailler des notes de toutes les couleurs et de toutes les façons. Je suis convaincu qu’en les supputant, on en trouverait quelques milliards. Aussi, je le répète, suis-je devenu scandaleusement bête, et, comme dit le proverbe, stupide comme un musicien. Peut-être serais-je plus à votre fantaisie ainsi, car je me rappelle que vous aviez une profonde aversion pour mes connaissances philosophiques et ontologiques, et c’était fort judicieux de votre part. « Ô vous, non pas Lelia, mais », etc., etc.

À l’occasion de votre ci-devant ami Sainte-Beuve, que dites-vous de l’épisode de 8 000 vers de poème humanitaire ? Quant à moi, j’avoue que je ne me rangerai pas très volontiers au nombre des thuriféraires de cette nouvelle incarnation de Dieu, un peu mystérieusement caché cette fois-ci. Tout en admirant certains détails, certaines journées de certaines époques et surtout quelques vers épars qui sont vraiment sublimes, il m’est impossible d’accepter comme une grande œuvre l’ensemble de Jocelyn. Néanmoins je n’ose pas me prononcer davantage avec vous, car je crains terriblement que vous ne trouviez tout cela, depuis la première syllabe jusqu’à la dernière, magnifique et inouï.

En attendant que nous puissions en causer plus au long, laissez-moi vous dire grossièrement que j’aimerais mieux avoir fait trente pages de Lelia que tout cet épisode où la médiocrité de la pensée et du sentiment paraît si souvent à travers les nébuleux nuages d’un sentimentalisme convenu.

Vraiment, Sainte-Beuve a fait un tour de force en assimilant Jocelyn à Robinson Crusoé, et cela sans que Lamartine puisse s’en apercevoir le moins du monde. C’est un trait de jésuite dont il faut le complimenter.

On m’a dit, ces jours derniers, que Didier (de Genève) devait aller passer quelque temps auprès de vous ; dites-moi ce qui en est de cette nouvelle histoire à laquelle je n’ajouterai de foi que ce que vous voudrez. Il y a longtemps que vous n’avez rien donné à la Revue ; votre procès vous a sans doute pris beaucoup de temps. J’espère qu’enfin vous êtes complètement libérée del marito, personnage de comédie par excellence et qui ne devrait jamais avoir d’autre réalité. Ce qu’il y a de ravissant dans cette affaire, c’est la confidence des articles de journaux annonçant votre retour aux devoirs conjugaux (Vide la Chronique de Paris, entre autres) et la diplomatie consommée de Votre Seigneurie. Je suis excessivement curieux (et cela une des premières fois de ma vie) de vous entendre raconter les commencements, le milieu et la fin de cette affaire qui, je n’en doute pas, a dû tourner entièrement à votre avantage.

Si vous étiez homme à me dire à l’avance le jour de votre arrivée (la possibilité hypothétique de la chose une fois admise), j’irais vous attendre à la diligence avec une chaise à porteurs, comme c’est l’usage ici, et une musique ambulante, afin de vous reconduire triomphalement à la rue Tabazan ! la rue du (sic !) Rousseau, à la maison du Rousseau où nous demeurons.

Comme Puzzi s’est permis de me dire que c’était surtout un obstacle matériel fort commun en ce temps-ci, qui vous retenait là-bas, je vous renouvelle en mon nom l’offre que vous a faite l’autre jour M[arie]. Au besoin je ferai sortir un petit capital de mon petit doigt, pour vous… »

(La fin de cette lettre — bien sûr une feuille de deux pages — manque).

Au printemps de 1836, George Sand passa un mois à Paris[469], et Liszt que ses affaires personnelles rappelaient aussi en France, s’empressa d’aller la rejoindre ; mais il ne l’y trouva plus, comme on le voit par la lettre suivante :

« Cher George,

« Je suis venu jusqu’à Paris pour vous relancer ; jugez de mon désappointement en apprenant votre fuite. Ne pouvons-nous donc plus nous revoir ? Dans cinq semaines je quitterai Genève, pour aller à Naples. M[arie] aurait bien désiré vous faire l’hospitalité pendant une dizaine de jours au moins, avant de nous séparer pour si longtemps. Mais, comme je vous l’ai dit, je ne vous presserai plus d’accepter. Vous savez combien nous vous aimons et quel bonheur votre venue serait pour nous…[470] Enfin, espérons encore.

« Vous ne m’écrivez plus. Je ne sais nullement ce que vous devenez. Parlez-moi à cœur ouvert et longuement la prochaine fois que vous me donnerez de vos nouvelles. Il y a entre nous comme une solution de continuité qui m’afflige parfois. Ai-je tort ? Adieu. Je suis horriblement pressé par une multitude d’affaires qu’il me faut terminer avant vendredi (jour fixé pour mon départ).

« Adieu encore ; tout à vous fraternellement.

« F. Liszt. »

Paris, mardi matin.

Au verso : Madame George Sand.

La Châtre.

C’est bien à ces deux lettres que George Sand répond par ses lettres du 5 et du 25 mai — insérées dans sa Correspondance et adressées à Liszt lui-même et à la comtesse d’Agoult, qui avait décacheté la première lettre de George Sand en l’absence de Franz. Nous y trouvons des allusions et des réponses à toutes les questions de Liszt, car George Sand y parle de son procès, de Janin, de Sainte-Beuve, de Lamartine, de Jocelyn, etc., etc., tout en exprimant ses regrets d’avoir manqué « : Franz » lors de son séjour à Paris. Elle y dit aussi, comme nous l’avons vu plus haut, qu’elle ne pourrait venir à Genève que pour les vacances d’automne. Liszt lui écrivit alors ceci :

« Cher George,

« Par la même raison que nous avons attendu onze mois, nous vous attendrons encore un mois de plus. Dieu veuille que vous ne nous ajourniez pas de nouveau à l’an 40, car nous serions de force à accepter. Vous voyez que nous sommes des amis bien incommodes et bien tracassiers, mais c’est ainsi qu’il le faut. Je suis sûr que Marie vous a écrit un tas de belles choses, après quoi ma vile prose semblera plus vile encore que d’habitude. Aussi vais-je m’arrêter tout court et m’en tirer par des points Lamartinico-Jocelyniens

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Tout à vous, de cœur.

« Fr. L. »

Enfin, au mois de juillet, Liszt lui écrit encore :

« Cher George,

« J’aurais voulu ajouter deux mots à la lettre de Marie (qui doit déjà vous être parvenue), mais le temps pressait tellement qu’il ne m’a guère été possible de monter à sa petite maisonnette de Monnetier pour lui dire adieu[471].

« Enfin, mon ami, il vous est venu une bonne et sainte pensée ! Nous vous reverrons, et cela tout à notre aise ; nous vous aurons matin et soir, jour et nuit ! Gare à vous, bon et cher George, nous vous laisserons à peine le temps de dormir, moins encore celui de respirer. Oh ! vous ne pouvez pas vous figurer quelle fête nous nous faisons de passer une quinzaine avec vous, illustrissima ! D’ici à deux jours votre procès sera terminé. Nul doute que vous n’obteniez toute satisfaction, car vous avez cent et cent fois raison, ce qui n’est pas de trop pour vous. Dieu merci, votre vie va être plus franche et meilleure ; certes, vous méritez bien au delà, mais il vous suffit, n’est-ce pas, que ceux qui vous aiment le sentent.

« Je vous écris d’une méchante auberge, en attendant la diligence (car depuis six semaines je suis toujours par voies et par chemins). Si je savais au juste quelle route vous prendriez, je viendrais à votre rencontre. En attendant je vais toujours faire de nouveau emballer mon beau piano pour Genève, et de plus, il faudrait que Puzzi se charge de remettre, à neuf mes deux pipes. Si vous en apportez une troisième, ce sera tant mieux.

« Nous recauserons tout au long de mille choses : peut-être vous conviendrai-je davantage à cette heure, car je me suis horriblement bêtifié, en faisant des notes, des notes et toujours des notes !

« Au reste, vous trouverez ici un ou deux individus extrêmement remarquables et qui se réjouissent beaucoup de vous voir. Si vous avez envie de voir plus de monde, ce sera facile. En toutes choses, vous n’avez qu’à me dire : « Je veux ceci ou cela », et il sera fait selon votre désir.

« Au revoir donc, cher George. Venez au plus tôt et quittez-nous au plus tard possible.

« Tout à vous pour la vie,
« F. L. »


Au verso : Madame George Sand,

Poste restante.
Indre. La Châtre.

Sur le timbre : Dijon, 23 juillet 1836.

Il y avait plusieurs raisons pour lesquelles George Sand se fit attendre à Genève et ne s’y rendit qu’en septembre 1863. Toutes se réduisent à deux principales : d’abord il était devenu urgent de commencer son procès en séparation, puis ses relations avec Michel de Bourges ne la portaient nullement à quitter la France.

On a tant de fois répété dans la presse que les relations entre Michel et Aurore Dudevant, d’amicales qu’elles avaient été, étaient devenues plus intimes, que nous ne croyons pas commettre d’indiscrétion en en parlant. D’ailleurs, une partie des lettres de George Sand à Michel a été publiée en 1890-1891 dans la Revue illustrée sous le titre de : Lettres de femme. L’anonyme qui les a insérées dans la Revue illustrée dit les avoir trouvées en Bretagne, datées de 1832, écrites à Marcel par une mystérieuse inconnue. Ces lettres attirèrent aussitôt l’attention de la presse française. Les uns les prirent pour un habile pastiche venant d’un auteur anonyme imitant le style et la manière des épîtres romantiques de 1830 ; d’autres crurent y voir des lettres authentiques et essayèrent de remplacer les dates, les noms et les initiales que donnait la Revue illustrée par des noms et des dates plus vraisemblables. Malheureusement la publication des Lettres de femme cessa tout à coup, et la fin de la correspondance n’a pas paru. De plus, même ce qui en fut publié, n’est pas complet. Ayant eu l’occasion de prendre connaissance de la correspondance entière et de copier les lettres qui manquent dans la Revue illustrée, nous sommes à même d’affirmer que ce sont là indubitablement les lettres de George Sand à Michel de Bourges. Elles se rapportent toutes au printemps et à l’été de 1837, c’est-à-dire à l’époque où, après deux ans d’intimité, l’amour de Michel avait déjà eu le temps de se refroidir. Ils se voyaient alors rarement. George Sand, qui avait passé la fin de l’hiver et le printemps à Nohant, se sentait presque abandonnée par Michel, qui était resté à Bourges. Profondément malheureuse, elle lui écrivait ces lettres désespérées, pleines de soupçons jaloux, de la nostalgie de l’amour expirant, toutes pénétrées du désir exalté d’éclaircir la vérité, de savoir ce qu’il en était. Ces lettres, écrites dans une langue admirable de force, de poésie, de douleur, doivent être sans contredit rangées parmi les plus belles pages sorties de la plume de George Sand. Elles contiennent, en outre, un si grand nombre de détails autobiographiques qu’elles sont en même temps de très importants documents pour l’histoire de notre écrivain, et l’on ne peut que regretter que les plus intéressantes, ou plutôt les plus curieuses d’entre elles, n’aient pas été livrées à la publicité. Nous n’analyserons ici ni celles qui ont paru dans la Revue illustrée, où chacun peut les lire, ni celles qui sont restées inédites, et le demeureront sans doute toujours. Nous nous bornerons à donner les preuves de l’authenticité de cette correspondance, et, pour faciliter au lecteur la comparaison de ces lettres avec la Correspondance de George Sand et l’Histoire de ma Vie, nous corrigerons les noms fantaisistes et les dates.

Sans parler du style ni de la manière générale de ces lettres qui en dévoilent l’auteur mieux que toute signature ou des noms propres vrais — ex ungue leonem, — on y trouve encore une foule de faits, petits et grands, de phrases, de détails, prouvant à l’évidence qu’elles sortent de cette même plume qui a écrit les Nouvelles Vénitiennes, les Lettres à Marcie, l’Histoire de ma Vie, et la Correspondance.

Voici d’abord quelques passages tirés des différentes lettres et qui témoignent, sans avoir besoin d’aucun commentaire, qu’ils n’ont pu être écrits que par Aurore Dudevant et adressés à personne autre qu’à Michel de Bourges : « … Mon père est mort à trente ans renversé par son cheval… »

« … Depuis ma grand’mère, personne n’avait su changer en pleurs le fiel de mes entrailles !… »

« … J’espère que dans ta république, mon cher vieux, tu supprimeras les éditeurs !… »

« … Ma tête est brisée par le travail d’une nuit aride, le cigare et le café ont pu seuls soutenir ma pauvre verve à deux cents francs la feuille. J’ai deux heures à dormir ; il faut que je fasse tantôt six lieues à cheval, pour renouer une affaire avec des bûcherons, dans des chemins perdus où j’ai failli rester avec mon cheval en revenant. Les rudes travaux de la vie vieillissent et amassent des rides au front. La nuit prochaine, il me faudra encore travailler quatorze heures comme celle-ci, la nuit suivante idem, pendant six nuits de suite, ma parole y est engagée. En mourrai-je ? Déjà je succombe et je ne fais que commencer. Ma paupière appesantie peut à peine supporter l’éclat du soleil levant. J’ai froid à l’heure où tout s’embrase ; j’ai faim et je ne puis manger, car l’appétit est le résultat de la santé, et la faim celui de l’épuisement ; ma vie est surchargée ; j’aime l’indolence et je n’ai pas une heure dont je puisse disposer à mon gré. Je hais mon métier, et lui seul me tire des embarras de la vie[472]… »

« Le 9 mai. — J’ai fait toutes mes corvées, mais je suis malade ce soir. Serai-je guérie demain ? Il le faut ; car il faut reprendre le boulet. Quel ennui ! Écrire depuis neuf heures du soir, jusqu’à sept heures du matin, et n’avoir pas une demi-heure pour l’écrire à mon aise, l’âme et le corps joyeux ! mais qu’importe le corps ? l’âme est contente… Moi je suis heureuse. Quel bien puis-je rêver sur la terre hors de toi ? Je suis tellement livrée à cette pensée, que je n’en saurais avoir d’autre. Je m’éveille, et avant d’avoir les yeux ouverts, j’étends le bras sur ma table pour voir s’il m’est arrivé une lettre de toi. Souvent je suis si accablée du travail de la veille que je n’ai pas encore la force de la lire. Je la serre dans mes mains, j’y colle mes lèvres, et fourrant tête, lettre et mains dans mon oreiller, je me rendors pour quelques instants avec mon trésor, calme, heureuse… »

« … Dès le premier jour, nous nous sommes appartenus par la pensée. Je t’ai ouvert mon âme. Je t’ai raconté ma vie comme si tu avais le droit de la savoir, comme si tu avais le pouvoir de la changer. Et tu l’as changée, en effet. D’où t’est venue cette puissance ? Nul autre homme n’avait exercé sur moi une influence morale ; mon esprit toujours libre et sauvage n’avait accepté aucune direction. J’étais restée moi, doutant de tout, n’admettant que ce qui ne venait de moi-même, haïssant toutes les erreurs. J’étais vierge par l’intelligence ; j’attendais qu’un homme de bien parût et m’enseignât. Tu es venu, et tu m’as enseignée, et cependant tu n’es pas l’homme de bien que j’avais rêvé. — Il me semble même parfois que tu es l’esprit du mal, tant je te vois un fond de cruauté froide et d’insigne tyrannie envers moi ; mais puisque tel que tu es, tu m’as persuadé ce que tu as voulu, puisque tu as entamé le rocher, puisque tu m’as attachée à tes convictions et liée à tes actes par une chaîne invincible, il faut que tu sois mon lot et mon bien depuis l’éternité et pour l’éternité. »

« … Mon plus doux rêve, lorsque je m’abandonne à l’espérance trompeuse de vivre près de toi, consiste à imaginer les soins que je rendrais à ta vieillesse débile… Voilà ce que je caresse comme dédommagement d’une carrière de fatigue sans utilité, de soucis sans enthousiasme, que j’ai subie longtemps, que je subirai longtemps encore, et peut-être toujours. Que Dieu m’exauce ! : Qu’il entende le vœu d’un cœur détaché des faux biens et des chimériques grandeurs ! Qu’il arrache de mon front flétri cette couronne de fleurs et d’épines que la vaine approbation et la haine insensée y ont mise malgré moi. Qu’il en ceigne la tête blonde de quelque jeune Tébaldéo ou le crâne ambitieux de quelque frère de Corinne. Je n’ai point cherché cette couronne et ses parfums m’ont semblé moins doux que ceux de la moindre fleurette ignorée au fond des vallées. Je ne suis pas orgueilleuse non plus du sang que ses épines m’ont fait répandre et dont sa blancheur a été souillée. Les stigmates du triomphe m’ont appris qu’il y avait des envieux et que l’on pouvait être persécuté par ceux à qui on n’avait jamais souhaité de mal… Ce que j’ai toujours demandé au ciel avec instance, ce que j’ai toujours cherché sur la terre, ce que je reprocherai éternellement à mon destin de ne m’avoir pas donné, c’est un cœur semblable au mien, c’est une âme identique à la mienne, où je puisse verser toutes mes affections, concentrer tous mes désirs, résumer toutes mes joies. Qu’on me donne cet être et que ce soit toi ; qu’on fasse que l’éclat passager que nous avons jeté autour de nous n’ait jamais existé… »

« … Toujours, hommes de gloire, vous aimerez l’action ; toujours, hommes de rêverie, nous aimerons le silence !… »

Cette page pourrait être ajoutée à la sixième Lettre d’un Voyageur, et pas un mot, pas une nuance de pensée n’en altérerait l’impression d’ensemble.

Voici encore quelques fragments de phrases : « … Quand je t’attendais à Genève, à Lyon, à Nevers, à Orléans !… » Par la lettre à Girerd du 15 août 1836, nous savons qu’au cours du voyage que George Sand fit à Genève, en l’automne de cette année, elle devait passer par Nevers, et par ses carnets de voyages et les lettres écrites en route à sa mère, à Liszt, à Mme d’Agoult et à d’autres personnes, nous voyons qu’elle traversa réellement ces quatre villes, en allant et en revenant.

Racontant son séjour en Suisse, l’amour mutuel et heureux de ses deux compagnons de voyage, sa solitude, ses souffrances, l’ennui qu’elle en ressentait, l’amie de Marcel dit : « Les autres croient que je suis Lélia », c’est-à-dire que Liszt et Mme d’Agoult, dans leur voyage à trois, à travers la Suisse, la voyant se livrer pendant des mois entiers à une vie ascétique et exclusivement intellectuelle, la croyaient libre de toute passion et par conséquent bien loin d’en être tourmentée.

Il ne faut pas même souligner la coïncidence de certains faits et dates. Ainsi par exemple il n’y a qu’à comparer : 1° la date de l’arrivée des mystérieux F. L. et Mme d’ A. chez la mystérieuse correspondante de Marcel avec les dates de l’arrivée en 1837, à Nohant, de Mme d’Agoult et de Franz Liszt ; 2° le fait qu’au printemps de 1837 Maurice et Solange Dudevant avaient la variole et que dans les Lettres de femme, nous voyons la fille de la bien-aimée de Marcel malade aussi au même moment ; 3° l’étrange et absolue identité de l’épisode raconté dans la lettre du 21 avril de la Correspondance, par George Sand et par Liszt dans la cinquième Lettre d’un Bachelier ès musique (à Louis de Ronchaud) avec ce que la correspondante de Marcel lui relate, presque dans les mêmes termes, dans sa lettre datée aussi d’avril, du 28. (Il s’agit d’une mauvaise farce jouée à un certain M. X, plus curieux que discret, qui voulait à toute force voir la célèbre romancière et aurait été puni de son insistance par l’audience solennelle qu’il reçut de… Sophie Cramer, la femme de chambre de George Sand, tout comme un avocat importun, M. H., avait été reçu par la femme de chambre de l’amie de Marcel, nommée « Amélie » ) ; enfin, 4° la parfaite ressemblance de ce que George Sand dit dans plusieurs de ses lettres de 1837 sur l’arrivée tardive du printemps, — qui, cette année-là, finit cependant par être à Nohant d’une beauté idéale, le jardin embaumé de roses et résonnant du chant des rossignols, — et de ce que l’amie de « Marcel » lui raconte du printemps tardif, des rossignols, des roses et des nuits étoilées. Le doute n’est plus possible, même à qui n’a pas eu l’occasion de voir les lettres originales. Il nous suffit donc de donner ce conseil aux lecteurs des Lettres de femme :


Au lieu de : Marcel, lire : Michel.
Mme d’A. ou Anna, la Ctesse Marie d’Agoult.
L…, F…, ou Francis, Franz Liszt.
le gros L…, l’avocat Girerd
ma fille, Maurice et Solange.
Speranza, Agasta (Mme Duteil).
D., ou Dum. M. Duteil.
P., Eug., Eugène Pelletan.
G., M. Gustave de Gévaudan
Amélie, Sophie Cramer.
l’avocat H, M. Hennequin.
H., Hippolyte Châtiron.
R., Rollinat.
Mme F. Mme Fleury ou Mme Félix Tourangin.
Mme Michel, La femme de Michel.
Vendôme. La Châtre.
Bonnières, Châteauroux.
Blois. Bourges.
Le sujet à longue barbe, etc, Félicien Mallefille

Enfin, au lieu de : 1832, lire partout : 1837.

Maintenant que le lecteur possède la clef qui explique ces documents importants pour la biographie de George Sand, nous dirons que cette correspondance prouve que Aurore Dudevant avait trouvé, peut-être pour la première fois de sa vie, en Michel une nature qui lui était égale pour la force de volonté et de caractère, quoique bien inférieure à la sienne comme individualité. Nous observons donc dans la situation de George Sand relativement à Michel une chose tout opposée à ce qu’elle avait rencontré dans ses autres liaisons. Avant 1835 et plus tard, Georges Sand s’était trouvée en face d’hommes faibles, presque toujours plus jeunes qu’elle, et d’ailleurs sans principes bien arrêtés, sans aucune fermeté de volonté. Le rôle actif, le rôle de guide, de conquérant, en un mot le rôle viril, avait constamment appartenu à George Sand, tandis que celui de l’être faible, souffrant ou protégé, soumis et dépendant, de l’être passif en amour, en un mot le rôle féminin dans l’ordre normal des choses, appartenait aux représentants du sexe fort. Avec Michel, il n’en fut pas ainsi. C’était une vraie nature de paysan, — et il l’était de naissance, — grossier, despote, obstiné, adonné plus tard au vice très répandu parmi les vieux paysans, l’amour du gain, et, à l’époque de sa liaison avec George Sand, surtout hanté par le désir de domination. Ce despotisme, comme nous l’avons vu, se manifesta d’abord sur le terrain purement intellectuel, dans le désir de soumettre l’esprit indépendant de l’auteur de Lélia. Lorsque leurs relations furent devenues plus intimes, Michel voulut y jouer encore le rôle de souverain absolu. George Sand qui, nous l’avons dit, écrivait déjà en 1833 à Sainte-Beuve : « Si j’avais pu me soumettre à un homme, je serais sauvée, car ma liberté me ronge et me tue », s’imaginait à présent que Michel, après l’avoir sauvée de non pessimisme suprême et de son athéisme social, la sauverait d’elle-même et lui apprendrait à maîtriser son âme sans frein. En vraie femme, elle se sentait heureuse d’avoir trouvé son maître, son guide. Au début, les deux amants avaient bien cru, comme c’est toujours le cas, que leur amour serait éternel ; il semble même qu’ils pensèrent au mariage ; pour cela Michel aurait dû divorcer avec sa femme. Cependant l’avocat paraît avoir bientôt renoncé à ce projet, et il n’accompagna même pas George Sand, lorsqu’elle partit pour la Suisse où elle se rendit, son procès terminé, en août de 1836, quoiqu’elle eût bien prié Michel de faire ce voyage avec elle. Elle partit sans lui, comme on le voit par ses lettres écrites en route et de Genève. (Ces lettres, sous le titre de Lettre à Herbert, — c’est-à-dire à Charles Didier, — forment le n° 10 des Lettres d’un voyageur).

L’hiver de 1836-37 n’améliora pas l’état des choses. Au printemps de 1837, George Sand se sentait déjà très malheureuse. Michel avait tous les travers et tous les caprices d’un despote absolu ; il se montrait très jaloux, tout en voulant que ses trahisons et ses infidélités lui fussent pardonnées ; il était négligent, oublieux, froid, et fit preuve de défauts trop connus, d’inconstance et de versatilité.

Nulle part nous ne voyons mieux l’amertume qui remplissait alors l’âme de la malheureuse femme et les réflexions pessimistes et cruellement vraies auxquelles elle était alors arrivée, que dans le journal intime qu’elle avait commencé à écrire durant cet été, qui avait pour titre : Entretiens journaliers avec le très docte et très habile docteur Piffoël, professeur de Botanique et de Psychologie, et dont la toute première page porte les mots : « 1837, 33 ans ».

Déjà la Préface nous peint les idées tristement résignées du pauvre docteur :

« Oui, mon cher et gracieux docteur, faire un journal, c’est renoncer à l’avenir, c’est vivre dans le présent, c’est avouer à l’implacable qu’on n’attend plus rien de lui, qu’on s’accommode de chaque jour, qu’il n’y a plus de relation entre ce jour-là et les autres. C’est boire son océan, goutte à goutte, par crainte de le traverser à la nage, c’est compter les feuilles de l’arbre dont le tronc ne reverdira plus.

« On ne fait un journal que quand les passions sont éteintes, ou qu’elles sont arrivées à l’état de pétrification qui permet de les explorer comme des montagnes d’où l’avalanche ne se détachera plus. Ce travail constate un état de solidité effrayante et que je ne souhaite à personne, sinon à ceux qui étaient en pleine éruption et qui n’auraient pu rien garder de leurs feux, s’ils ne s’étaient arrêtés tout à coup au milieu de leur vomissement. »

Le docteur a l’habitude d’écrire son journal en se levant et en se couchant, ses toutes premières impressions de la journée et ses dernières pensées de la soirée, et dès les premières pages, nous nous trouvons en plein pessimisme : « Réveil lourd… Le temps n’est ni à la gaieté, ni à la tristesse. Il est au mécontentement. Un vent inégal et fantasque secoue les arbres. Le soleil est voilé. Il fait chaud si on met la robe de chambre, il fait froid si on l’ôte. Jour terne où je ne ferai rien de bon. Cerveau fâché et fatigué sans avoir produit. Je viens d’avaler du thé pour en finir plus vite avec cette disposition apathique en la portant à son paroxysme. Je n’ai pas reçu de lettre d’Everard. Il boude ! Heureux homme qui estime quelque chose digne de sa rancune ! »

Et le soir, en se couchant, M. Piffoël écrit à la date de ce même 1er juin : « J’ai fait à Duteil la théorie du mécontentement depuis minuit jusqu’à une heure. Je me suis mis en colère contre lui parce qu’il a voulu me soutenir qu’il était heureux presque à toutes les heures du jour. N’est-ce pas bien révoltant, en effet, de se voir traité de fou par ceux qui ne souffrent pas ? »

Le lendemain, la lettre de Michel est enfin arrivée, et son amie lui écrit :

« Aujourd’hui tout est beau, le ciel et la terre. Mes amis sont bons, mon enfant sans défauts. Le soleil n’avait pas d’ardeur féroce. Le chemin était sans cailloux. J’ai fait cinq lieues à pied. Je suis fatiguée, mais sans souffrir. Tu m’aimes, tout est parfait. Hier soir je me suis disputée avec D… une partie de la nuit, en lui soutenant que tout est mal ; si c’était à recommencer, je lui soutiendrais, cette nuit, tout le contraire ! Tu es l’étoile polaire ; quand tu disparais, j’erre dans la nuit et dans l’orage. À demain, je tombe de sommeil, mais je suis heureuse[473]. »

Mais Piffoël, tout en notant aussi qu’il a reçu une lettre d’Everard, et qu’il a « fait cinq lieues à pied », se hâte d’y ajouter cette réflexion refroidissante : « Du moment que la vie est supportable, il n’y a pas à l’examiner. On gâterait un jour de calme en y regardant de près. Ne sommes-nous jamais gouvernés que par un sentiment qui est comme l’œil à travers lequel toutes nos idées nous apparaissent et qui seul apprécie toutes choses, tandis que la raison rectifie très faiblement les erreurs de la vision ? »

On voit bien que le pauvre Piffoël ne se fait plus d’illusions même dans ses jours de répit, et n’ose pas trop se fier aux mieux qui traversent son agonie. Chaque jour il devient plus résigné. « Tu vis, écrit-il plus loin — (d’abord on lisait : « je vis », puis l’auteur avait partout remplacé le je par le tu, ainsi que dans presque tout le journal, du reste) — « tu vis, — la question n’est pas de savoir si c’est pour ton plaisir ou pour ton malheur, pour ton bien ou pour ta perte. Et qui la résoudrait ? Tu vis, tu respires, le ciel est beau… »

Et encore plus loin, tout en appelant Liszt un ingrat, car il souffre tout en étant aimé de la plus charmante femme du monde, le docteur ajoute : « Ah ! si j’étais aimé, moi !… Si tu étais aimé, Piffoël, tu serais ambitieux, et tu n’es pas ambitieux, parce que tu n’es pas aimé. »

« Tu es très sage, Piffoël, extrêmement sage, tu es très philosophe. Tu jettes un coup d’œil très lucide sur ta vie, tu pèses d’une main très ferme tous ces misérables hochets dont tu ne sais pas être avide. Je t’en fais bien mon compliment, cher Piffoël, je t’en félicite, en vérité !  ! Mélancolique animal… (des mots biffés).

Le 6 juin, Piffoël met au bas d’une magnifique page peignant le contraste entre une journée riante et splendide et la tristesse d’un cœur meurtri : « Lettre d’Everard (biffé). Il faut partir demain pour aller vers lui (biffé). Méchante destinée, où sont tes promesses ? Espoir, où sont tes mensonges. Tu n’oserais plus me tenter, tu n’oserais plus me pousser en me disant : « Va, et tu seras heureux. » Tu es muet, car tu sais que je te méprise. Où que j’aille, j’irai sans toi. J’irai seul, triste et inflexible envers moi-même, à cause de moi-même. »

Par une Lettre de femme, datée du 7 juin, nous savons que cette entrevue avec Michel, qui exigeait que son amie vînt à Bourges et ne consentait pas à venir la voir à Nohant, que cette entrevue, en effet, avait eu lieu, mais elle avait porté peu de joie dans l’âme de la pauvre Aurore, et, de retour dans ses foyers, Piffoël est plus désabusé que jamais.

« … 11 juin, au lever du jour. — Ma chambre. — Mure amiche, recevez-moi bien. Comme ce papier blanc et bleu est plein de gaîté ! que d’oiseaux dans le jardin ! quel suave chèvrefeuille dans ce verre ! Piffoël, Piffoël, quel calme effroyable dans ton âme ! Le flambeau serait-il éteint ? » — écrit-il, et il ajoute cette désolante périphrase du saint cantique : « Je te salue, Piffoël, plein de grâces, la sagesse est avec toi ; tu fus élu entre toutes les dupes, et l’ennui, le fruit de ta souffrance a mûri. Sainte fatigue, mère du repos, descends en nous, pauvres rêveurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il ! »

Ceux qui doutaient de l’authenticité des Lettres de femme et surtout de celles où la correspondante de Marcel se plaignait de l’ingratitude et de la cruauté de son ami et disait combien, pendant tout le temps que dura leur amour, il avait peu tenu compte de son abnégation à elle, mais combien, par contre, il tenait à la flatterie, à l’adulation, n’ont qu’à lire la page qui suit :

« Faut-il se dévouer en tout, à toute heure, sans réserve, gaîment, fortement, saintement ? Faut-il abjurer toute vanité, s’exposer au lazzi du public, à sa haine, à son injuste mépris, à l’abandon de la famille et des amis, à l’indigence, à la fatigue, à la persécution ? Faut-il sacrifier même l’amour de l’art et s’abstenir de vivre par la pensée ? Faut-il accepter des défauts révoltants, des vices même ; les couvrir vis-à-vis de son propre jugement ? Faut-il faire plus, faut-il les aimer et les inoculer à soi, esprit calme et désintéressé ? Faut-il veiller le soir, auprès d’un chevet tourmenté, pour satisfaire un caprice, pour épargner un instant de contrariété ? Faut-il être pour l’objet qu’on aime aussi aveugle, aussi dévoué, aussi infatigable qu’une mère tendre l’est pour son premier-né ? — Non, Piffoël, il n’est pas besoin de tout cela, et tout cela ne sert à rien sans un peu d’adulation. »

« Tu t’imagines, Piffoël, qu’on peut dire à l’objet de son amour : « Tu es un être semblable à moi. Je t’ai choisi entre tous ceux de mon espèce parce que je t’ai cru le plus grand et le meilleur. Aujourd’hui, je ne sais plus ce que tu es. Il me semble que, comme les autres hommes, tu as des taches, car souvent tu me fais souffrir, et la perfection n’est pas dans l’homme. Mais j’aime tes taches, j’aime mes souffrances, j’aime mieux tes défauts que les qualités des autres. Je t’acceptes, je t’ai et tu m’as aussi, car je n’ai rien conservé de moi-même. Et ma vie, et ma pensée, et mes croyances et mes actions, j’ai tout soumis à toi ; j’ai tout subordonné à ton plaisir ; car je t’ai choisi avec la pensée que tu devais être tout pour moi, et je me suis tellement inoculé cette pensée que je n’ai plus de pensée qui me soit propre. Tu peux m’égarer, tu peux me perdre, tu peux me conduire à la mort et à l’infamie. Le monde n’existe plus pour moi, la morale et la philosophie n’ont plus de sens, il n’y a de raison que ton instinct ; il n’y a de vérité que mon amour ; il n’y a d’avenir et de but que dans le tien. Bonheur, malheur, qu’importe ? J’accepte tous les maux, je subirais toutes les tortures, je me glorifierais de toutes les abjections, pourvu que je puisse adoucir pour toi l’amertume de la vie et déposer la mienne dans ton sein ! »

« Non, non, Piffoël, docteur en psychologie, tu n’es qu’un sot. Ce n’est pas là le langage que l’homme veut entendre. Il méprise parfaitement le dévouement, car il croit que le dévouement lui est naturellement acquis par le seul fait d’être sorti du ventre de madame sa mère. Il méprise l’ascendant qu’il exerce sur son semblable, parce qu’il s’attribue une puissance d’intelligence et de volonté qui rend impossible toute indépendance d’esprit et de conscience autour de lui. Il méprise son semblable à proportion de la bonté, du sacrifice, de l’abnégation et de la miséricorde qu’il trouve en lui. — Dominer, posséder, absorber, ne sont que les conditions auxquelles il consent à être… à être adoré comme un Dieu, c’est-à-dire trompé, bafoué, adulé… »

Et immédiatement après, George Sand parle en termes si cruellement méprisants de la manie des hommes de s’entendre flatter d’une manière aussi exagérée qu’imbécile, de leur désir constant de voir la femme prosternée et annihilée à leurs pieds, qu’il est trop aisé de deviner quel despote de la pire espèce se cachait sous les allures libérales du tribun berrichon et combien il avait fait souffrir la noble femme qui s’était dévouée à lui corps et âme. Mais il avait trop compté sur son ascendant, il avait négligé de comprendre quelle âme indomptable et fière était celle qui l’aimait. La corde était trop tendue. Elle allait rompre d’un moment à l’autre.

… « Fat impudent, tu ne veux pas qu’on te pardonne, tu veux qu’on croie ou qu’on prétende n’avoir rien à te pardonner. Tu veux qu’on baise la main qui frappe et la bouche qui ment. Cherche donc l’objet de ton amour dans la fange et empêche tout le sexe d’en sortir, tant que tu seras toi-même une idole de boue ; car si la femme s’ennoblissait et se purifiait, tu serais obligé, pour demeurer son supérieur, de t’ennoblir et de te purifier toi-même, et c’est ce que tu ne sais, ne peux, ni ne veux faire…

« Mon cher Piffoël, apprends donc la science de la vie et quand tu te mêleras de faire des romans, tâche de connaître un peu mieux le cœur humain. Ne prends jamais pour ton idéal de femme une âme forte, désintéressée, courageuse, candide. Le public te sifflera et te saluera du nom odieux de Lélia l’impuissante !

« Impuissante ! oui, mordieu, impuissante à la servilité, impuissante à l’adulation, impuissante à la bassesse, impuissante à la peur de toi. Bête stupide, qui n’aurais pas le courage de tuer sans des lois qui punissent le meurtre par le meurtre, et qui n’a de force et de vengeance que dans la calomnie et la diffamation ! Mais quand tu trouves une femelle qui sait se passer de toi, ta vaine puissance tourne à la fureur et ta fureur est punie par un sourire, par un adieu, par un éternel oubli. »

On voit bien par ces lignes que le défi est déclaré et que le temps n’est pas loin où l’auteur dira à Marcie de plutôt rester vieille fille que de river sa vie à celle d’un homme indigne de son âme et de garder la liberté de cette âme comme un bien suprême.

Il est à croire aussi que le despotique ami du docteur Piffoël fut quelque peu intimidé par la résistance qu’il trouva en lui, et fit des concessions, car peu de temps après, le pessimiste et savant docteur trace dans son journal la sentence dédaigneuse que voici : « J’ai remarqué que la plupart des hommes s’enhardit et s’aigrit lorsque dans une lutte morale avec elle, on emploie la douceur et le dévouement. Elle s’adoucit et se ravise dès qu’on emploie la violence et la dureté. Espèce méprisable ! Cette règle est quasi invariable dans l’amour… »

L’agonie ne durera plus longtemps ; l’amour est expirant, cela se voit bien.

« … Hélas ! mon Dieu ! j’ai pourtant porté des jougs de fer, et tant qu’on me les a imposés au nom de la tendresse et au moyen d’une affectueuse persuasion, j’ai plié aveuglément sous la main amie. Mais quand on s’est lassé de me persuader et qu’on a voulu me commander, quand on a réclamé ma soumission non plus au nom de l’amour et de l’amitié, mais en vertu d’un droit ou d’un pouvoir, j’ai retrouvé cette force que personne ne connaît en moi, que moi, moi qui sais seul combien j’aime, combien je regrette, combien je souffre…

« Everard, tu es un grand maître. Oh ! que je t’ai connu, sublime de tendresse ! paternel, persuasif, inspirant de fanatiques dévouements. Pourquoi, vieillard, ton cœur s’est-il endurci ? Pourquoi de tes enfants as-tu voulu faire des esclaves ? Pourquoi le titre de maître t’a-t-il semblé plus doux que celui de père ? Et à présent te voilà seul… »

C’est fini ! « L’oiseau qui chantait sur la branche » et que « l’amant de la gloire » était parvenu à captiver par ses appels à la liberté, s’envola ; le « voyageur » qui se moquait des « hochets des hommes d’action », en a vu mieux que jamais le néant ; le cœur de femme saigne encore, mais il n’adressera plus à Michel-Marcel ses plaintes passionnées.

George Sand essaya par plusieurs de ses amis de savoir les raisons qui portaient Michel tantôt à garder le silence pendant des semaines entières, tantôt à lui écrire des lettres impossibles. Voyant enfin que son bonheur était perdu sans retour, elle se résigna à son sort, et ils se séparèrent à jamais. Cette rupture se produisit dans le courant de l’été 1837.

Nous avons ainsi anticipé sur les événements en racontant l’épilogue du roman qui, en l’été de 1835, n’était qu’à son apogée. Loin de tout et de tous, retirée dans sa maison déserte, à Bourges, George Sand étudiait la phrénologie, et en même temps, elle se pénétrait de plus en plus des idées républicaines de Michel et finit par se convaincre que le salut était dans l’avénement sans retard de la république, que tous les braves enfants de la France devraient hâter dans la mesure de leur force. Conformément à cette doctrine, il était enjoint à tout écrivain de ne pas dépeindre dans ses romans la vie réelle, ni l’amour idéal, heureux ou malheureux, mais de proclamer sur tous les tons l’idéal démocratique, de prêcher le retour de l’âge d’or, de l’égalité, de la fraternité et de la liberté, ou du moins de peindre des types approchant de cet idéal ou tâchant de le réaliser au milieu de leur existence. Rien d’étonnant donc que dans ses lettres de la fin de 1835 et du commencement de 1836, George Sand parle tout autrement des champions de la république qu’au commencement de 1835. Le 9 novembre elle écrit à Guéroult :

« … Pour toutes choses, il y a un beau moment, c’est le commencement. C’est peut-être à cause de cela que je suis si républicaine, et vous si peu peu saint-simonien. Quoi qu’il en soit, allez votre train, si vous croyez que ce soit la bonne voie. Nous voulons tous le bien et nous allons au même but par des moyens différents. Nous nous disputons toujours, parce que chacun croit avoir plus d’esprit que son voisin, et se console d’aller fort mal en voyant que les autres ne vont pas mieux ; triste consolation, en vérité, qui fait beaucoup de mal à notre époque. Toute cette guerre à coups d’épingle que se fait l’amour-propre des uns et des autres n’avance à rien ; tout au contraire. Si tout ce qui a de bonnes vues et de bons sentiments s’accueillait avec tolérance, on ferait le double d’ouvrage.

« Vous ne pouvez nier, mon cher Marius à Minturnes, que je n’aie plus de bonne foi que vous. Vous abîmez nos républicains de la tête aux pieds, et moi, je ne cesse d’aimer vos saint-simoniens et de les placer au-dessus de tout. »

« Je me défends même d’une chose, c’est d’aimer les républicains avec excès. J’aime ceux qui se trouvent être mes amis, et j’examine les autres par curiosité, ou je les accueille par savoir-vivre et politesse.

« Cela ne fait rien au principe.

« Robespierre était diablement saint-simonien. Il était pour l’exécution prompte et violente du système. Vous êtes pour la marche lente et évangélique. Eh bien, chacun devrait être républicain à la manière de Robespierre, ou saint-simonien à la manière d’Enfantin, selon son tempérament. Les uns saperaient, les autres bâtiraient. Soyez sûr que cela viendra, qu’il y aura entre vous et nous une étroite alliance, et que vous ne ferez rien sans nous.

« Vous savez comment s’est établi le christianisme, c’est-à-dire fort mal, même dans ce qu’on appelle son meilleur temps. Il était dans un si beau désaccord avec les mœurs, qu’en son nom, on commettait les crimes et on nourrissait les sentiments les plus opposés à son institution et à son esprit. Douze corps d’armée, commandés par les douze apôtres, eussent, je crois, mieux valu que Paul répétant cette lâcheté : « Rendez à César, etc. »

« Faites à votre idée, si vous croyez bien faire en louvoyant, et si votre conscience est en paix. Moquez-vous des reproches que je fais à votre tiédeur croissante, comme je me moque des railleries que vous adressez à mon récent enthousiasme. Je crois que vous vous trompez cependant, et que l’amour de l’égalité a été la seule chose qui n’ait pas varié en moi depuis que j’existe. Je n’ai jamais pu accepter de maître… »

Grâce à tout ce qui précède, il est permis de douter de la justesse de la dernière phrase ; mais la lettre entière nous montre que George Sand avait passé dans le camp des républicains militants, jusqu’à prêcher la nécessité d’employer la force pour réaliser leurs idées, jusqu’à proclamer Robespierre comme un des siens, jusqu’à dire nous, les nôtres, chez nous, en parlant de ces mêmes républicains qui, dans sa Lettre à Everard, étaient encore vous pour elle et auxquels elle avait reproché leur ambition, leur vanité, l’aveugle conviction qu’eux seuls possèdent la vérité et qu’ils ont découvert en quoi consiste le bonheur de l’humanité. Cette même prédication de doctrines républicaines fait le fond et le sujet des très curieuses lettres d’Aurore Dudevant à son fils, qui sont comme l’exposé de ses opinions à elle, et en même temps de son système pédagogique. C’est comme qui dirait la suggestion à l’enfant de son esprit de conduite futur, ou comme un petit catéchisme républicain ad usum delphini.

La même lettre à Guéroult nous prouve que George Sand professait en ce moment pour les saint-simoniens un respect et des sympathies qu’elle n’avait pas pour eux auparavant. Elle fit vers cette époque la connaissance de Vinçard aîné, leur chansonnier en titre, et gagna si bien les sympathies de la « famille saint-simonienne », que celle-ci lui envoya on 1836, par l’entremise de Julien Gallé[474], une foule de cadeaux d’étrennes qui encombrèrent tout le logement de George Sand au jour de l’an, à la grande joie de Solange et de Maurice qui, eux aussi, reçurent beaucoup de présents.

En voici la liste complète :


FOI NOUVELLE




FAMILLE DE PARIS




Étrennes à Mme George Sand en janvier 1836


1 Une boîte à robes. Alphonse.
2. Une paire de bottes. Lépagnez, Dufrémont.
3. Un pantalon, une veste. Victor Pommadère, Charron, Palinga.
4. Un chapeau. Menouillard, Hoffman, Rose de Corneille, Meunier, Léontine Poter, M. et Mme Dufrémont, Claude.
5. Un gilet. Delas.
6. Tasse et soucoupe. Bazin.
7. Manchettes. Marie Talon.
8. Manchettes et col. Pauline, Joséphine Battandier.
9. Magnolia. Égérie.
Une brochure. Égérie.
Chêne et Roses. Zénaïde.
Guirlande. Élisabeth.
Bouquet. Atelier d’Égérie.
10. Roses pompon. Jenny Baret.
11. Boucles d’oreilles. Denis.
12. Une claquette. Froliger, Mme Froliger, Mme Delacroix, Max.
13. Brodequins. Caroline.
14. Une bourse. Joséphine Chistel.
15. Un bouquet. Aglaé Ducatel.
16. Rose orientale. Barret Barthélémy.

17. Une boîte. Olympe Boissy.
18. Une pelote. Mme et Mlle Gallois.
19. Une boîte. Flichy.
20. Un thermomètre. Frécot.
21. Cartes. Simillon, Duchesnet.
22. Un gilet. Victoire Tell, Sophie.
23. Souliers de satin. Liévens.
24. Une cravache. Rolet, Catherine Rolet.
25. Une demi-aune. Marchand.
26. Un demi-pied. Bodin.
27. Un mètre. Vinçard, à la maison paroissiale 29, rue Mondétour.
28. Plaqué. Pouget.
29. Embrasses. Henriette.
30. Dessin de lit. Mlle Jacob.
31. Bordure acajou. Bardiau.
32. Coloris. Eugénie Lemaître.
33. Un pied. Charles.
34. Une planche gravée. Adolphe.
35. Cachou. Toussaint.
36. Taffetas d’Angleterre. Adèle Fouet.
37. Une règle. Lefort.
38. Gaine. Froliger.
39. Une lithographie. Pol Justus.
40. Bordure dorée. Mora, Adolphe, Édouard, Valois, Désiré, Bazin, Élisa, Rose Mora.
41. Un dessin. Eudes, Galle.
42. Bordure palissandre. Donnadieu.
43. Une gravure. Eudes.
44. Bordure citronnier. Lenoir.
45. Une bague. Audigier.
46. Produits pharmaceutiques pour toilette. Renard.
47. Porte-mousqueton. Roussel.
48. Un médaillon. Carolus.
49. Un cadre. Griffon.
50. Un corset. Mme Flandin.
51. Aquarelle. Georges Renhard.
52. Un pupitre. Boissy, Berger.
53. Une broche camée. Troté.
54. Une traduction. Fontana.
55 Un chant. Mlle Fanny, Vinçard, Giffard.
56 Une boîte. Ducatel, Chanchoin, Victor.
57 Une boucle. Vinçard neveu.
58 Bracelet. Virginie Daix, Charles Daix.
59 Un tablier. Mme Donnadieu.

George Sand ne pouvait pas venir alors à Paris, à cause de son procès, et en réponse à l’invitation des saint-simoniens d’assister à une de leurs réunions de gala ou même à un bal (sic !), le 11 février 1836, elle écrit de La Châtre à Guéroult, en lui exprimant tous ses regrets de ne pas pouvoir profiter de cette invitation et de ne pas voir les beaux cadeaux, mais en espérant que lorsqu’elle viendra à Paris les saint-simoniens arrangeront encore une soirée, voulant à tout prix se trouver un jour au milieu d’eux. Cela eut lieu, en effet, mais un peu plus tard. George Sand visita une réunion saint-simonienne à Ménilmontant chez le docteur Curie, et fut même accompagnée ce soir-là par Musset, comme nous l’avons déjà dit[475]. Et en réponse à l’envoi des étrennes, George Sand écrivit à la « famille saint-simonienne » la lettre bien connue, datée du 15 février 1836 et insérée dans la Correspondance (vol. I, non indiquée à la table).

C’est ainsi qu’avec l’année 1835 se termina pour George Sand la période personnelle et tout individuelle, et elle entra dans les rangs des champions conscients de la liberté et de l’égalité. Nous refusant d’accepter la prétendue division des œuvres littéraires de George Sand en trois périodes consacrées par tous les manuels de littérature, nous trouvons donc bien plus juste de ne voir dans son œuvre que deux périodes (en notant encore une fois que l’on trouve dans la seconde période les mêmes éléments, les mêmes idées et convictions que dans la première, quoique ici peut-être un peu plus irréfléchis).

Ces éléments sont pour nous : 1° la prédication de la liberté individuelle, voire de la liberté de la passion, et, en particulier, du droit de l’artiste à une liberté plus grande que celle des hommes ordinaires ; 2° la défense de la liberté de conscience en matière de religion ; 3° la prédication de la liberté sociale et de l’égalité, — de là les sympathies démocratiques de George Sand et la glorification des gens du peuple dans ses romans ; 4° l’amour de la nature et de la vie champêtre, — de là une prédilection pour la peinture de la nature et de la vie rurale. Au lieu de diviser les œuvres de George Sand en trois périodes, il serait donc plus juste, d’après les éléments que nous venons d’indiquer, de les distinguer en quatre groupes. Nous nous rangerions volontiers aussi à l’avis de l’auteur anonyme d’un article sur George Sand paru dans le n° 69 du tome III de l’Illustration (samedi, 22 juin 1844), qui voit deux périodes dans son action littéraire : une première période personnelle et inconsciente, et une seconde période sociale et consciente, les Lettres d’un voyageur faisant la liaison entre ces deux périodes.

Les années 1835 à 1837 apparaissent donc comme des années de crise dans la vie privée et littéraire de George Sand.

Remettant pour le moment l’analyse des grands romans écrits et publiés pendant ces deux années, nous nous arrêterons sur deux petites œuvres, selon nous très caractéristiques, l’une parue au printemps de 1835, l’autre en l’automne de 1836. Ces deux ouvrages sont comme des jalons qui marquent le chemin que la célèbre romancière a parcouru dans le cours de cette année. Nous parlons du Poème de Myrza et du Dieu inconnu. Le Poème de Myrza, étrange fantaisie cosmogonique, dépeint les premiers jours de la création du monde, l’apparition de l’homme et les premiers temps de l’existence de la race humaine sur la terre. L’auteur fait réciter son poème par une certaine Myrza, poétesse ayant vécu à Césarée, à l’époque de transition entre le monde païen et le monde chrétien, lorsque se développa l’éclectisme qui conciliait les croyances et les doctrines les plus opposées. Le poème se termine par un hymne exalté à l’amour que Myrza glorifie par-dessus tout ce qui est accordé aux hommes pour leur bonheur. Irrités de ses paroles, les ascètes, les faux prophètes et les Pharisiens, veulent la lapider, tandis que le peuple veut la porter en triomphe. Elle s’éloigne des uns et des autres et, montée sur son dromadaire, elle leur dit : « Laissez-moi partir, et si ces hommes vous disent quelque chose de bon, écoutez-le, et recueillez-le de quelque part qu’il vienne. Pour moi, je vous ai dit ma foi, c’est l’amour. Et voyez pourtant que je suis seule, que j’arrive seule, et que, je pars seule… » Alors Myrza répandit beaucoup de larmes, puis elle ajouta : Comprenez-vous mes pleurs, et savez-vous où je vais ? »

— Et elle s’en alla par la route qui mène au désert de la Thébaïde… »

Ce passage rappelle involontairement à notre souvenir la retraite que George Sand avait faite, au printemps de 1835, dans sa Thébaïde du Berry après deux années d’épreuves orageuses, alors qu’elle était résolue à mener dorénavant une vie ascétique, sévère et solitaire. Faisant ses adieux au passé, et croyant en avoir fini pour toujours avec l’amour, elle s’écriait alors dans une page de sa Lettre à Everard : « Mais toi, idole de ma jeunesse, amour dont je déserte le temple à jamais, adieu ! Malgré moi mes genoux plient et ma bouche tremble en te disant ce mot sans retour. Encore un regard, encore l’offrande d’une couronne de roses nouvelles, les premières du printemps, et adieu ! C’est assez d’offrandes, c’est assez de prosternation ! Dieu insatiable, prends des lévites plus jeunes et plus heureux que moi, ne me compte plus au nombre de ceux qui viennent t’invoquer. — Mais, il m’est impossible, hélas ! en te quittant, de te maudire, ô tourments et délices ! je ne peux même pas te jeter un reproche ; je déposerai à tes pieds une urne funéraire, emblème de mon éternel veuvage. Tes jeunes lévites la jetteront par terre en dansant autour de ta statue ; ils la briseront et continueront d’aimer. Règne, amour, règne, en attendant que la vertu et la république te coupent les ailes… »

La république, à ce qu’il paraît, n’avait point coupé les ailes à l’amour, mais l’un de ses fervents avait appris à l’anachorète de Nohant à sacrifier aussi à d’autres dieux. Et le second des deux récits que nous avons nommé, le Dieu inconnu, l’une des œuvres les plus parfaites de George Sand par son style, sa concision et son fini, nous apprend qu’à l’époque de la persécution des chrétiens, et de la décadence romaine, une belle grande dame de la Rome païenne, ne trouvant plus aucune satisfaction ni dans son ancienne foi, ni dans ses plaisirs, vient un jour aux catacombes trouver Pamphile, — un saint vieillard vénéré de tous les chrétiens, — et le supplie de la sauver, de la guérir de son désespoir, de lui apprendre à croire, ne fût-ce qu’à un « Dieu inconnu ». Pamphile lui enseigne en effet à chercher sa consolation dans le contraire de ce qu’elle avait considéré jusque-là comme le bonheur : dans le renoncement aux jouissances personnelles, à l’égoïsme, à l’amour humain, mais surtout dans la charité envers le prochain, dans l’oubli de soi-même. En écoutant les discours désespérés de la belle Léa, on croit entendre Aurore Dudevant elle-même, désenchantée des hommes et de l’amour humain, cherchant avidement la lumière et la vérité, suppliant tantôt Sainte-Beuve et tantôt Michel de l’aider à trouver cette vérité, de lui donner une foi qui pût calmer son âme meurtrie, dégoûtée de toutes les joies terrestres. Le vieux Pamphile réussit à libérer l’âme de la belle Léa des chaînes de ses croyances païennes et de toute son existence passée ; il la réconcilie avec la fin irrévocable de toutes les jouissances terrestres, en lui montrant une lumière nouvelle, en lui enseignant à prier le « : Dieu inconnu ». Le farouche Everard libéra l’âme d’Aurore Dudevant des liens d’un individualisme excessif, la réconcilia avec la vie, en lui apprenant à trouver le bonheur non dans ses propres plaisirs, mais dans le service de l’humanité, dans la fusion de son individualité avec la vie, les intérêts, les joies et les malheurs de la patrie ainsi que de toute la race humaine.

Les relations amicales entre Michel de Bourges et George Sand, quoiqu’elles n’aient guère duré plus de deux ans, eurent donc une action très sérieuse et très importante sur la vie du grand poète. Cette influence ne fut pourtant pas uniquement intellectuelle, elle eut des suites sur tout l’avenir d’Aurore Dudevant, dans le sens direct et pratique du mot, car c’est Michel de Bourges qui fut son avocat lors de son procès en séparation contre son mari.


Revenons maintenant à l’historique des relations entre les époux Dudevant, dont nous avons fait le récit jusqu’à la fin de 1830, c’est-à-dire jusqu’au départ d’Aurore pour Paris.

Pendant les trois premières années après leur séparation volontaire, tout alla bien d’abord, et les deux époux, de part et d’autre, contents de leur indépendance, continuèrent à se traiter à l’amiable, en camarades bien calmes. Dudevant avait gardé pour lui les choses auxquelles, selon une lettre inédite d’Aurore[476], il tenait le plus : son domaine et ses revenus à elle, en n’envoyant à sa femme qu’une rente très modique, qui lui suffisait à peine pour vivre.

Elle ne s’en plaignait pas cependant, surtout, parce qu’elle commençait à se sentir indépendante, qu’elle avait déjà acquis une certaine notoriété et commençait à gagner sa vie. Elle allait tous les trois mois à Nohant et presque toujours, son mari soit seul, soit avec le petit Maurice, l’accompagnait ou venait à sa rencontre jusqu’à La Châtre ou à Châteauroux. En 1832, Aurore prit avec elle Solange et au mois de mai 1833, Maurice fut aussi amené à Paris et placé au collège Henri IV. Lorsqu’il venait à Paris, Casimir dînait chez sa femme, l’accompagnait au théâtre, mais ne descendait pas chez elle pour n’être gênés ni l’un ni l’autre. C’est ce qu’il lui écrit dans une de ses lettres :


5 décembre 1831.

« J’ai reçu ta lettre il y a dix jours, qui m’a fait plaisir ; vaut mieux tard que jamais, dit-on, j’y aurais répondu plus tôt, mais Mme Hippolyte a reçu une lettre de toi le lendemain de la mienne… Je pars mercredi ou jeudi au plus tard pour Paris, j’y serai samedi matin probablement, je descendrai chez Hippolyte, parce que je ne veux te gêner nullement, ni par conséquent être gêné, ce qui est bien juste.

« Les enfants se portent bien et nous aussi ; adieu, je t’embrasse de tout mon cœur.

« Casimir. »

Aurore, de son côté, écrivait à son mari et, dans ses lettres à Maurice, n’oubliait jamais d’envoyer un salut et un baiser « à son papa », tâchait toujours d’inculquer à son fils l’obéissance à son père et de ne pas laisser soupçonner au jeune garçon qu’il y avait quelque chose de brisé entre ses parents.

Elle exécutait les commissions de Casimir et lui envoyait de petits cadeaux ; Casimir, de son côté, poussait l’amabilité jusqu’à lui louer ou lui acheter, à la fin de 1832, un piano. Ce dont, dans sa lettre à Maurice du 20 décembre 1832[477], George Sand prie celui-ci de remercier son père. Mais ces rapports ne dépassaient pas ces amabilités extérieures ; Casimir ne s’inquiétait nullement de savoir comment sa femme se tirait d’affaire toute seule à Paris avec des ressources si modiques et comment elle vivait. Elle, de son côté, se regardait comme tout à fait indépendante, pouvant entièrement disposer d’elle-même, et c’est pourquoi ses relations avec Sandeau et plus tard avec Musset furent tout autres que son amour céleste pour Aurélien de Sèze. Casimir ne pouvait ignorer ce que tout le monde savait et ce qu’Aurore, de son côté, ne cachait nullement ; mais, à ce qu’il semble, cela ne l’affligeait point et n’apportait aucun changement dans le ton amical de ses lettres. Ainsi, le 17 mai 1833, il lui écrivait :

« Tout le monde me demande beaucoup de tes nouvelles, gens de la ville comme de la campagne, j’ai répondu à chacun selon son mérite et ses capacités. Adieu, porte-toi bien, je t’embrasse de tout mon cœur, ainsi que la grosse Solange. Tout à toi.

« Dudevant. »

Et lorsqu’Aurore fut partie avec Musset pour l’Italie, Casimir lui envoya même là-bas des lettres absolument gentilles et s’éleva jusqu’au lyrisme pour lui conseiller de ne pas regarder d’un œil distrait et tranquille ce pays où son père, Maurice Dupin, s’était autrefois battu, dont les champs avaient été arrosés du sang des soldats français et où tout parlait des gloires d’autrefois[478]. Il n’y a qu’une seule chose que l’on ne trouve jamais dans ses lettres : reproches, quels qu’ils fussent, prières de rentrer au foyer conjugal, en un mot, aucun regret de la séparation. Selon toute apparence, Casimir, tout comme Aurore, était parfaitement content de ce nouvel arrangement.

Mais ces relations amicales finissaient toujours par s’altérer chaque fois qu’Aurore séjournait quelque temps à Nohant ; les premiers jours, les choses se passaient bien et paisiblement, mais bientôt reparaissaient la brutalité, les paroles outrageantes, les menaces, les cris. À cela venait encore s’ajouter le reproche adressé à Aurore de ce qu’elle « dérogeait » par son métier d’écrivain. Fréquemment, Casimir se déchaînait contre ses enfants, qui n’étaient nullement fautifs, surtout contre Solange, qu’il prit en grippe. Ces scènes pénibles se renouvelèrent de plus en plus en l’automne de 1834, quand, après son voyage en Italie, brisée moralement et physiquement malade. Aurore sentit vivement le besoin de passer avec ses enfants quelque temps dans le calme de Nohant. Les sorties brutales de Casimir commencèrent alors à prendre davantage encore un caractère sauvage. Ainsi, un jour, en présence de plusieurs personnes qui dînaient à Nohant, entre autres de Rozanne Bourgoing et de son mari (c’étaient de grands amis d’Aurore), Dudevant se fâcha d’une manière si inconvenante contre Solange, que la fillette, tout effrayée, fondit en larmes et, sans attendre que le dîner fût fini, sortit de la salle à manger, ce qui amena son père à l’accabler, elle et sa mère, de paroles absolument grossières. Une autre fois pour une bouteille qu’on avait laissée tomber, et à la suite de l’ordre donné par Aurore d’en apporter une nouvelle, Dudevant se mit de nouveau à crier contre sa femme en présence de leurs convives, et s’oublia jusqu’à défendre aux domestiques d’exécuter les ordres qu’elle donnait, car à Nohant lui seul prétendait être le maître.

Vers cette même époque Mme Dudevant s’aperçut que les affaires de Casimir étaient tout embrouillées. « M. Dudevant a mangé 80 000 francs à lui sans augmenter d’un dénier ma fortune », disait Aurore, dans une lettre à M. Accolas dont nous avons déjà cité deux fragments dans le Chapitre V. « Il est bon de faire savoir que ses acquisitions de terres n’étaient que le remploi forcé de mes rentes sur l’État qu’il a aliénées. Il m’en a fait vendre pour 48 000 et il a acheté pour 46 000. Ainsi il a bien mangé son fonds et son revenu en tant qu’il a pu le faire. Il a toujours fait de très mauvaises acquisitions et n’a jamais pu voir clair dans leurs produits. Il s’était engagé par traité amiable à me faire retirer 1 400 de la locature du Grand Moulin et il n’a pu l’affermer que 1 200… »

Casimir n’avait plus pour fortune personnelle que 1 200 francs de rente. Ayant remarqué qu’il était devenu très soucieux, Aurore se mit à le questionner, et ayant appris que c’était pour une question de dettes qu’il s’inquiétait, elle lui céda un coupon de ses rentes patrimoniales. Il en fut enchanté. Néanmoins, Aurore commença à s’inquiéter pour la fortune de ses enfants… « S’il ne prend pas un parti décisif, écrit-elle à Hippolyte dans une lettre inédite de janvier 1835, il sera forcé de me ruiner avant dix ans, car il n’a pas de tête et rien de ce qu’il fait ne réussit. Il y a trois ans il avait décrété que je devais demander l’aumône ou faire des dettes. Depuis ce temps j’ai acquis 15 à 20 000 francs de rente par mon travail et je n’ai pas contracté de dettes[479]. Tandis qu’il est arrivé, Dieu sait comment, à se trouver en face d’une dette de 20 000 francs et d’un commencement de ruine… » Hippolyte et leurs autres amis conseillèrent alors aux deux époux d’effectuer une séparation de biens. Casimir accepta avec plaisir, il s’ennuyait à Nohant, se sentait incapable de le gérer et aurait voulu s’installer à Paris en garçon. Aurore, de son côté, avait beaucoup de peine à vivre, quoiqu’elle travaillât énormément. C’est ainsi qu’en 1835, d’un commun accord, un contrat fut passé entre les époux, stipulant formellement une séparation de corps et de biens. Les enfants devaient être partagés entre les parents. Nohant fut attribué à Aurore, et l’Hôtel de Narbonne à Casimir ; Solange devait être confiée à sa mère, et Maurice, jusqu’à la fin de ses études, devait passer un mois de ses vacances auprès de sa mère et l’autre chez son père. Aurore se chargeait de payer à son mari 3 800 francs annuellement, ce qui, avec ses 1200 francs, lui constituait 5000 livres de revenu ; outre cela, elle prenait l’obligation de continuer l’ancienne rente qu’elle faisait à sa propre mère et aux vieux domestiques de Nohant. Dans la même lettre du mois de janvier 1835, elle confiait sous le sceau du secret, à son frère Hippolyte, qu’elle consentait même à payer peu à peu les dettes de son mari « tout peu mignon qu’il était », quoiqu’elle sût qu’il l’eût laissé enfermer même pour 20 francs de dettes et, qu’étant mariés sous le régime dotal, elle n’était pas responsable des dettes qu’il avait pu contracter.

Ce traité devait entrer en vigueur à partir du 11 novembre 1835. Mais à peine fut-il signé, que Dudevant regretta de voir ses revenus diminués. Aurore, et cela se comprend, aurait voulu que cet arrangement fut maintenu, toutefois selon son habitude, reculant devant la nécessité de causer un désagrément à autrui et toujours prête à se restreindre, elle déchira le contrat dont elle envoya les morceaux à Duteil pour qu’il les remît à Casimir, exigeant seulement une petite augmentation de rente pour l’éducation de Solange. Mais Casimir répondit qu’il ne voulait point annuler le traité ni reprendre sa parole, qu’il ne voulait plus vivre en commun avec Aurore, ni avoir aucune affaire avec elle, et qu’il voulait, dès que le contrat entrerait en vigueur, partir pour Paris et s’y établir. Il recopia lui-même le traité, le signa et le renvoya à sa femme. Duteil et Hippolyte, qui s’étaient entremis pour amener un accord entre les deux conjoints, croyant que les intentions du mari étaient pacifiques, qu’il voulait éviter le scandale et le bruit, persuadèrent à Aurore que Casimir ne lui causerait à l’avenir aucun désagrément. Il ne restait qu’à patienter jusqu’au 11 novembre. Aux vacances d’automne de 1835, Aurore revit sa vieille demeure, qui devait bientôt lui revenir, et, ayant remarqué que Casimir était tant soit peu triste à l’idée de devoir quitter Nohant, elle le pria, malgré le traité, d’y revenir chaque fois qu’il le désirerait. À son grand étonnement il lui fut répondu par de nouvelles brutalités, par la défense réitérée aux domestiques d’obéir à « madame », en un mot son mari donna de nouvelles preuves qu’on ne pouvait se fier à sa parole. Enfin, le 19 octobre 1835, survint à Nohant la scène la plus affreuse que l’on puisse imaginer. Cela se passa, comme en 1824, pendant qu’on prenait le café après le dîner. La crème vint à manquer, et le père ordonna à Maurice d’aller en chercher. Le petit garçon ne partit pas aussitôt et s’assit à côté de sa mère. Celle-ci lui dit : « Est-ce que tu n’as pas entendu ce que ton père t’a ordonné de faire ? » Ces paroles exaspérèrent Dudevant, on ne sait trop pourquoi ; il se mit à vociférer à propos de la mauvaise éducation que recevaient ses enfants. Ne voulant pas que Maurice fût témoin de cette querelle, Aurore ordonna à son fils d’aller dans sa chambre. Mais Dudevant encore plus irrité cria : « Sors toi-même, » et il se jeta sur sa femme avec l’intention de la battre. Les convives s’interposèrent et l’un d’eux couvrit Aurore de son corps, tandis qu’un autre saisissait Dudevant par les épaules ; mais celui-ci se dégagea, passant sous le bras de l’ami qui protégeait Aurore et saisit violemment la main de sa femme. On parvint néanmoins à l’entraîner. Alors, exaspéré et furieux, il s’écria qu’il tuerait sa femme et il se précipita dans l’antichambre pour prendre un fusil. Duteil[480], qui au commencement de cette scène, était resté impassiblement assis à table, la tête baissée, se leva en entendant Aurore lui crier : « Que regardez-vous là ? » Voyant Casimir entrer dans la chambre avec un fusil à la main, il se jeta à son tour à sa rencontre et le désarma à l’aide des autres convives[481].

Aurore alla s’enfermer dans sa chambre, ou Maurice la suivit en pleurant. Elle le consola comme elle le put, mais en son âme elle prit la résolution bien arrêtée et définitive de ne plus avoir à subir de telles violences et de ne plus donner à ses enfants le spectacle de scènes aussi révoltantes. Et comme elle ne pouvait dorénavant se fier à son mari, malgré le traité et la parole donnée, elle jugea qu’il fallait mettre fin à cette vie impossible, où elle et Dudevant ressemblaient à deux forçats rivés à la même chaîne et se haïssant l’un l’autre. Duteil essaya encore de persuader à Aurore de faire la paix avec son mari, mais elle n’y consentit pas. Elle se rendit à Châteauroux chez le vieil avocat Rollinat, père de son ami de prédilection, François Rollinat, et à Bourges, chez Michel, prit conseil de ces deux amis et résolut d’adresser au tribunal une demande en séparation.

Ne voulant pas rester seulement une heure sous le même toit que Dudevant, elle alla passer la journée du lendemain dans les bois environnants, en excursion avec ses enfants que Dudevant emmena aussitôt après à Paris pour la rentrée des classes. Aurore resta d’abord seule dans le silence et le calme de Nohant, puis elle alla demeurer chez les Duteil.

Le 30 octobre 1833, Aurore Dupin, dame Dudevant, porta une plainte contre son mari devant le tribunal de La Châtre, en demandant la séparation de corps pour injures graves, sévices et mauvais traitements. C’est par cet acte que s’ouvrit entre les deux conjoints le procès qui dura plus de deux ans et ne prit fin qu’en 1838. Le 2 novembre, les deux parties devaient comparaître devant le tribunal, mais Dudevant prévoyant qu’il lui serait défavorable de se défendre et qu’il valait mieux que tout se passât sans bruit, ne parut pas. Par décision du tribunal du 1er décembre, les faits allégués par la plaignante furent reconnus pertinents et admissibles » et il lui fut enjoint de les prouver devant le juge-commissaire. Ce jugement fut signifié au domicile de M. Dudevant le 2 janvier 1836, les pièces en furent remises à l’un des domestiques de M. Dudevant, et le même jour l’audition des témoins fut fixée au 14 janvier. À cette date on interrogea un grand nombre de témoins, entre autres : Duteil, Papot, les Bourgoing (mari et femme) le docteur Charles Delaveau, Néraud, Planet, le jardinier, les domestiques, les cochers, et M. Jules Boucoiran, venu du Midi à cette seule fin. Le procureur Daiguzon, en déclarant cette enquête excellente, dit plus tard que parmi les témoins on devait remarquer M. Boucoiran, cet « homme calme, prudent et sage et assez connu dans le pays pour répondre à tous les doutes » élevés contre l’impartialité des témoins. « Un homme si impartial, si intègre, si grave, a-t-il dit, est précisément celui de tous les témoins qui accuse le plus sévèrement M. Dudevant. » Une copie du procès-verbal fut déposée au logement de Dudevant avec assignation à comparaître à l’audience du 16 février « pour ouïr adjuger à la dame Dudevant les conclusions par elle prises ». Dudevant persista à se taire et ne donna aucun signe de vie. Le 16 février le tribunal rendit par défaut son jugement, reconnaissant prouvées par l’enquête du 14 janvier les « injures graves, sévices et mauvais traitements » rapportés par Mme Dudevant à l’appui de sa demande ; ordonna la séparation des époux et chargea un notaire de procéder au partage « de la communauté et des reprises de la femme ». Dudevant n’ayant pas non plus paru chez le notaire, qui l’avait convoqué à se présenter devant lui, l’acte de séparation fut passé en due forme, et une copie en fut remise à Dudevant. Telle fut la fin du premier acte de ce drame judiciaire.

Depuis l’instant où elle avait présenté la demande en séparation jusqu’au jour de la prononciation du verdict, Aurore était restée chez Mme Agasta Duteil, femme de Duteil. Il est d’usage en France qu’une femme qui se sépare de son mari, pour n’avoir à encourir soi-disant aucun soupçon pendant l’enquête et la procédure, fasse une retraite ou se mette sous la tutelle d’une personne honorable, indiquée ordinairement par le président du tribunal. La personne désignée par le président du tribunal de La Châtre fut Mme Duteil, et Aurore fut enchantée de s’établir chez une femme qui lui était si sympathique, de passer son temps dans le cercle des parents et des amis de Duteil et surtout de s’occuper des enfants qui étaient réunis dans cette maison quelquefois au nombre de quatorze. Occuper et amuser ces enfants faisait la joie de George Sand, qui avait toujours aimé la société des petits. Si néanmoins, elle s’ennuyait quelquefois, c’est que, par la volonté du sort et de son seigneur et maître, elle était loin de Maurice et de Solange qu’elle adorait. « Ah ! oui, c’était là mon empire et ma vocation, j’aurais du être bonne d’enfants ou maîtresse d’école », ajoute-t-elle après avoir raconté comment elle divertissait ces enfants. Le soir, quand ils étaient tous couchés, elle donnait d’abord ses soins à Agasta Duteil, alors malade, puis elle se mettait à travailler, écrivant souvent jusqu’au lever du soleil. Dans l’Histoire de ma Vie[482], dans ses lettres à Mme d’Agoult[483], dans ses lettres inédites à sa mère du 11 novembre 1835, à Guéroult de janvier 1836, et enfin dans sa lettre à Mme Saint-Agnan du 6 janvier 1836[484], George Sand nous décrit en détail son séjour à La Châtre, la maison qu’elle habitait et la manière dont elle y passait son temps. Elle nous raconte aussi qu’elle devait faire bien attention à chacun de ses pas pour éviter les potins et pour ne pas donner motif aux commères de soulever contre elle par leurs cancans l’opinion publique ni d’indisposer ses juges. Sa lettre à Guéroult est surtout remarquable à cet égard :

« Je vous inviterais volontiers, écrit-elle, chez les Duteil, si je n’étais obligée à mener une vie très régulière aux yeux des imbéciles au milieu desquels je vis. Heureusement cela m’est bien facile maintenant. Mais si l’on vous voyait arriver de Paris à La Châtre, la femme de tel juge, la cousine de tel autre, la fille de la sœur de la servante de la mère de tel autre prononceraient le haro sur ma cause, en décrétant que vous êtes un amant, la source et la cause de ma rupture conjugale. Ainsi me voilà condamnée à vivre dans cette bourgade charmante, dont je me suis amusée si souvent et d’en respecter les us et coutumes. Vous ririez si vous pouviez voir avec quelle grâce je m’en acquitte et de quel air patelin je traverse les rues hérissées de pierres et les places couvertes d’oisifs. Je m’amuse non pas d’eux, mais de moi-même, et comme j’ai une jolie chambre bien propre pour travailler, je me trouve là aussi bien qu’ailleurs… »

Dans l’Histoire de ma Vie, George Sand raconte qu’après le premier verdict du tribunal qui lui rendait Nohant avec ses enfants, elle était allée habiter sa vieille maison, alors à l’état de maison déserte par suite de l’absence de son mari et de ses enfants et du congé donné aux anciens serviteurs, et qu’elle y avait passé quelques semaines, en pleine solitude, en attendant l’arrivée de Dudevant au pays pour procéder à la liquidation des biens. Sa solitude semble avoir été absolue, car, dit-elle, « je ne gardai que le vieux jardinier de ma grand’mère, établi avec sa femme dans un pavillon au fond de la cour. J’étais donc absolument seule dans cette grande maison silencieuse. La femme du jardinier n’entrait dans la maison que pour faire ma chambre et m’apporter mon dîner. Je ne recevais même pas mes amis de La Châtre[485] »… »

Toutefois par une lettre à la comtesse d’Agoult, datée du 1er novembre 1835[486] nous voyons au contraire que c’est en automne, immédiatement après la fuite de Dudevant, qu’elle a vécu d’une vie toute solitaire à Nohant. M. Rocheblave[487] attribue cette lettre à janvier 1836, sa première partie semblant être une réponse à la lettre de Mme d’Agoult du 22 novembre et précédant celle du 15 janvier. Mais si c’est exact pour la première moitié de la lettre — la dernière fut sûrement écrite en automne. Quant à la lettre de la comtesse datée du 15 janvier, elle peut parfaitement être considérée comme une réponse tardive à la lettre de George Sand, écrite bien avant janvier, et c’est même pour cette maison que tout en assurant qu’elle répond subito, et tout en répondant à l’image que George Sand avait faite d’elle-même en s’appelant porc-épic, et s’intitulant, à son tour, tortue renfermée sous ses écailles, la comtesse semble souligner, et cela dès les premières lignes, sa lenteur ; c’est avec intention aussi qu’elle parle du cadeau de Liszt pour ses étrennes — « une magnifique perle montée en forme de tortue, symbole, suivant lui de la rapidité et de la mobilité de ses pensées ». George Sand ne put passer à Nohant quelques semaines (deux ?) qu’entre le 19 octobre et le 3 novembre, car à partir du 3 novembre jusqu’au jugement du 16 février, elle resta tout le temps chez les Duteil ; elle ne put rentrer à Nohant qu’après. Mais après ce jugement, le 17, elle était encore à La Châtre, le 18, idem, le 20, elle y était également le 26, et le 28 elle était à Bourges, le 5 mars de nouveau à La Châtre, vers le 15 mars à Paris. On voit par là que, au cours de cet hiver et « après » le jugement, elle ne put faire à Nohant qu’un séjour de quelques jours[488].

Conséquemment, si nous prenons en considération : 1° la parfaite ressemblance de ce qui est raconté dans la lettre datée du 1er novembre avec ce qui, dans l’Histoire de ma Vie, est rapporté au mois de février ; 2) le contenu de cette lettre, écrite indubitablement avant le verdict et bientôt après le commencement du procès ; 3° l’absence de toute indication et l’invraisemblance du fait que George Sand eut pu s’établir à Nohant, entre le jour de l’enquête (14 janvier) et celui où elle rentra en possession de Nohant (16 février) ; 4° l’impossibilité d’insérer ces « quelques semaines » en n’importe quelle époque « après le jugement », — nous sommes en droit de conclure que le séjour dans la maison déserte doit se rapporter à l’automne, c’est-à-dire du 19 octobre au 3 novembre. Nous avons, pour appuyer notre opinion, la lettre du 1er novembre, dont nous allons citer quelques fragments en soulignant les passages sur lesquels nous voudrions attirer l’attention du lecteur. « Il faut que vous sachiez que je suis toujours à la campagne, chez moi. Je plaide en séparation contre mon époux, qui a déguerpi, me laissant maîtresse du champ de bataille. J’attends la décision du tribunal. Je suis donc toute seule dans cette grande maison ; il n’y a pas un domestique qui couche sous mon toit, pas même un chien… Je ne reçois personne, je mène une vie monacale. J’attends l’issue de mon procès, d’où dépend le pain de mes vieux jours… Voyez ! Il a eu l’heureuse idée de vouloir me tuer un soir qu’il était ivre. En attendant que cette benoîte fantaisie de meurtre conjugal me rende mon pays, ma vieille maison et cinq ou six champs de blé qui me nourriront quand mes longues veilles m’auront jetée dans l’idiotisme, je fais le Sixte-Quint. Mon cheval est rentré sous le hangar et on n’entend pas voler une mouche autour de mon cloître désert. Le jardinier et sa femme, qui sont mes factotums, m’ont suppliée de ne pas les faire demeurer dans la maison. J’ai voulu en savoir le motif. Enfin le mari baissant les yeux d’un air modeste, m’a dit : « C’est que madame a une tête si laide, que ma femme étant enceinte, pourrait être malade de peur. » Or, c’est de la tête de mort qui est sur ma table dont il voulait parler (du moins à ce qu’il m’a juré ensuite) ; car je trouvai la plaisanterie de fort mauvais goût et je me fâchai. Ensuite j’ai songé que cette tête si laide ferait grand effet. J’ai permis à mon jardinier de s’éloigner et de garder la pensée que cette tête était un signe de pénitence et de dévotion… »

George Sand en agissant ainsi préférait trouvait moyen de se passer des services du jardinier et de sa femme, car d’une part elle savait que la nouvelle de son repentir irait bientôt jusqu’aux deux petites villes berrichonnes où demeuraient les juges chargés de la question de lui restituer ses enfants, d’autre part cela la garantissait de la visite des curieux. Or, il est à croire que sa solitude ne fut pas toujours absolue et que son cheval ne restait pas toujours « sous le hangar ». Lorsqu’elle ne pouvait pas aller elle-même à Bourges chez son ami, celui-ci arrivait soit à Nohant, soit à Saint-Amand ou à la Châtre où elle allait à sa rencontre à cheval. Mais personne ne le soupçonnait. Bien au contraire, d’après ce qu’elle dit elle-même : « … À une lieue d’ici, quatre mille bêtes me croient à genoux dans le sac et dans la cendre, pleurant mes péchés comme Madeleine. Le réveil sera terrible. Le lendemain de ma victoire, je jette ma béquille, je passe au galop de mon cheval aux quatre coins de la ville. Si vous entendez dire que je suis convertie à la raison, à la morale publique, à l’amour des lois d’exception, à Louis-Philippe, le père tout-puissant, et à son fils Poulot-Rosolin, et à sa sainte chambre catholique, ne vous étonnez de rien. Je suis capable de faire une ode au roi et un sonnet à M. Jacqueminot[489] ».

Il est donc hors de doute que ce séjour à Nohant en compagnie du jardinier et de la tête de mort, pendant « quelques semaines » (que George Sand fit, selon l’Histoire de ma Vie après le jugement), doit être en réalité rapporté à la fin de l’automne de 1835, époque où elle « était toujours » encore « à la campagne, chez elle… ».

Dudevant était, à ce qu’il semble, tellement convaincu de son tort et se soumettait si bien d’avance au verdict qu’on pouvait prévoir, que dès le commencement de l’instruction du procès, il s’était démis de ses fonctions de maire de Nohant et s’était transplanté à Paris. De leur côté, Duteil et Hippolyte, le procès étant encore pendant, avaient fait des démarches afin d’obtenir à l’amiable une séparation, quelque verdict que prononçât le tribunal ; dans ce but, le 12 novembre c’est-à-dire le lendemain de la mise en vigueur du premier traité, il en fut conclu un second, qui, sur les points essentiels, contenait les mêmes clauses. Le premier article de ce traité commence par ces mots : « Dans la prévision du succès de la demande intentée par Mme Dudevant contre son mari… », etc. Et dans la clause finale de ce même traité, on lit : « Ces conventions seront exécutées de bonne foi par les parties qui s’y engagent sur l’honneur, nonobstant toute disposition de jugement ou arrêt qui y serait contraire. »

Casimir, installé à Paris, était satisfait de la tournure que prenaient les choses. Le 12 décembre, Hippolyte écrivait de Corbeil à sa sœur : « Tu n’as rien à craindre des conseils de ta mère auprès de Casimir, il ne la voit pas, il m’a dit à cet égard sa manière de voir : son plus grand désir est d’éviter tout scandale en obtenant la séparation si faire se peut, mais jamais les avocats, les juges n’interviendront dans ses affaires quant à sa volonté. Tu peux poursuivre et obtenir cette séparation qui te tient tant à cœur, il se tiendra en repos. Il paraît très content de sa position pourvu qu’on ne le tracasse pas. La justice apportera nécessairement une grande longanimité dans cette affaire, serait-il plus avantageux pour toi de t’en référer à elle ou de vous en tenir à vos premières conventions ? Je pencherais pour ce dernier parti. Fais là-dessus ce que les conseils jugeront à propos. Il est hors de sens de prévoir que ton mari ira te tracasser avec un revenu qui le rend tout à fait indépendant et lui donne plus d’aisance qu’il n’en aurait, jouissant de toute ta fortune. Ce qui lui pesait le plus était de tenir à la maison de Nohant, il en est tout à fait débarrassé. Je te donne ma parole d’honneur qu’il laissera faire… »

Il se trouve cependant qu’Hippolyte avait vainement donné sa parole pour Dudevant en répondant de sa bonne foi et que Duteil s’était inutilement porté garant pour son ami, Casimir ne se croyait guère obligé de remplir ce qu’il avait promis « sur l’honneur ». D’un autre côté il trouva des conseillers qui s’efforcèrent d’envenimer sa haine contre sa femme et d’empêcher la séparation des époux, quoique ces deux choses s’excluaient mutuellement. Un de ces principaux conseillers était sa belle-mère, la baronne Dudevant. À en juger par certaines allusions des lettres d’Aurore et d’Hippolyte (entre autres dans les premières lignes de la lettre du 12 décembre dont nous venons de citer un fragment), il semble que la mère d’Aurore, Sophie Dupin, savait aussi en cette affaire jeter de l’huile sur le feu. Quoi qu’il en soit, le 8 avril 1830, Casimir Dudevant présenta au tribunal une opposition aux jugements du 1er décembre et du 16 février, en s’appuyant sur les vices de la procédure, et le 14 avril renouvela cette opposition par requête signifiée d’avoué à avoué, par laquelle il protestait sur le fond contre le jugement du tribunal, attaquait de nullité l’enquête, demandait une contre-enquête ayant pour but de faire déclarer la demande de Mme Dudevant non recevable et non fondée. En conséquence, l’affaire des époux Dudevant fut de nouveau portée devant le tribunal civil de la Châtre, les 10 et 11 mai 1836. Les défenseurs étaient Vergne, du côté du mari, Michel de Bourges du côté d’Aurore.

Vergue commença son plaidoyer en renonçant à répliquer sur le fond ; le document du 14 avril (sorte de déposition de servantes congédiées) lui paraissait « d’une telle atrocité », qu’il n’osa le lire, sentant bien que par là il perdrait son client. Et malgré toutes les sommations de l’avoué de Mme Dudevant, il se borna à indiquer certaines erreurs qui avaient été commises, dans le cours de l’instruction du procès, c’est-à-dire déclara qu’il ne voulait plaider que sur les motifs formels de la nullité de la procédure.

Alors Michel de Bourges prit la parole. Répondant d’abord au plaidoyer de la partie adverse et montrant tout le danger qu’il y aurait pour la justice d’admettre M. Dudevant à faire une contre-enquête six mois après l’enquête, Michel de Bourges aborda ensuite la question du fond de l’affaire. Cette partie de son plaidoyer conquit aussitôt toute la salle. Il fit devant les juges toute la biographie d’Aurore Dudevant et exposa brièvement tout ce que nos lecteurs savent déjà. Il raconta son mariage, l’histoire du contrat de mariage et des affaires d’argent. Il dit comment les discordes surgirent dans le ménage, attira l’attention sur l’isolement intellectuel d’Aurore et sa longue patience, mit sous les yeux des juges des traits de la brutalité de Dudevant, de son ivrognerie, de ses infidélités. Il raconta comment, dès 1831, Aurore, au su et du consentement de son mari, avait mené une vie tout à fait indépendante, tandis que lui, Dudevant, jouissant de ses revenus à elle et vivant dans la maison de sa femme, ne trouvait à cela rien de répréhensible pour lui, comme aussi il ne trouvait rien à redire contre la liberté dont usait sa femme, et n’avait jamais exprimé le désir de la voir réintégrer le domicile conjugal. Michel exposa enfin les faits qui s’étaient passés en 1834 et 1835. En ce qui concernait les traités, il démontra à l’évidence que l’on ne pouvait se fier à Dudevant, ni s’attendre à voir la vie d’Aurore garantie contre de nouvelles violences ; en conséquence il demanda au tribunal de rendre un jugement conforme au verdict du 16 février, c’est-à-dire de prononcer la séparation. À la fin de son plaidoyer, Michel s’était longuement arrêté sur la requête du 14 avril. Il rendit justice à son confrère, l’avocat de Dudevant, d’avoir su s’abstenir de lire l’acte contenant de tels « faits diffamatoires » et où il se trouvait, entre toutes, une accusation « qu’on eût pu se dispenser d’emprunter au célèbre procès de 1793 et que d’un mot une mère outragée repoussa victorieusement[490] ».

« Vous voulez, » continua Michel, « faire disparaître l’enquête, vous y cherchez des nullités de forme, sachant bien que le choix des témoins, leur moralité, l’esprit de conciliation qui les a toujours animés, ne vous permettent pas au fond d’en retrancher un mot ; vous gardez le silence sur ces traités, vous voulez nier les torts que l’enquête a mis au jour. Eh bien, supposons qu’il tombe d’en haut une larme céleste qui les efface tous ; déchirons la procédure, ne conservons que l’acte du 14 avril ! Il n’est pas un juge sur la terre qui, après en avoir pris lecture, puisse condamner votre femme à vivre avec vous, car vous ne concluez pas à la séparation, vous voulez au contraire que sa demande ne soit pas fondée, — cependant vous ne pouvez pas admettre qu’elle soit forcée à rentrer chez vous sous le poids d’une pareille haine ? Est-ce que vous voulez vous donner le plaisir de faire afficher sous ses yeux, dans sa propre maison, votre requête, ce monument de vengeance, que vous avez élevé contre elle ? Si elle rentre sous le toit que vous habitez, pouvez-vous, après ce que vous avez fait, la traiter avec égard ? Non, vous ne le pouvez pas ! L’outrage que vous lui avez fait est d’ailleurs ineffaçable. Cet outrage prouve que vous ne le voulez pas. Vous ne demandez donc pas votre femme. Mais cependant vous vous opposez à la séparation ! Vous voulez donc tous les avantages, tous les bénéfices du mariage sans en supporter les charges, sans en accomplir les devoirs ?… Je touche au terme de ma carrière, carrière pénible, difficile, dont le dévouement à l’amitié et au génie n’a pu aplanir les aspérités… » Alors, après avoir rappelé que depuis 1831 les époux n’avaient plus pu vivre que séparément (« accord parfait, expressions bienveillantes et gracieuses de la part du mari lorsque sa femme réside à Paris, en voyage, au loin ») ; qu’aussitôt qu’ils étaient ensemble, Aurore était en butte à des offenses de tout genre (« reproches, expressions amères, hostilité au moindre essai de rapprochement »), Michel, ne s’adressant plus à Casimir, mais aux juges, leur remit devant les yeux que l’acte du 14 avril soulignait l’aversion de Casimir pour sa femme, aversion qui avait déjà éclaté auparavant et était maintenant devenue publiquement notoire. « Les injures contenues dans la requête du 14 avril, injures atroces, infâmes, que l’avocat de M. Dudevant n’a pu se résoudre de prononcer à l’audience, mais qui sont acquises au procès, viennent donner un caractère excessif, ineffaçable à cette aversion déjà si prononcée, si publiquement exprimée. Et elles seules, en l’absence de tout autre grief, entraînent impérieusement la nécessité de faire ce que vous avez déjà fait, de maintenir le jugement qui prononce la séparation… »

Après les conclusions du procureur, le tribunal a statué : que l’opposition du sieur Dudevant aux jugements du 1er décembre 1835 et du 16 février 1836 devait être admise et que, vu différents vices de la procédure, les deux jugements et l’enquête du 14 janvier devraient être annulés. Mais, prenant en considération que dans l’acte du 14 avril, par lequel Dudevant ne voulait pas attaquer, mais bien se défendre, étaient exposés des faits diffamatoires, attaquant l’honneur et la réputation de Mme Dudevant, et ne laissant aucun espoir de rapprochement entre les époux, le tribunal se voyait d’autant plus obligé de déclarer la séparation des époux, qu’elle était reconnue inévitable par les deux parties. Se fondant là-dessus, le tribunal prononça la séparation de corps et d’habitation de Mme Dudevant d’avec son mari, « défendant à celui-ci de la hanter et fréquenter sous telle peine qu’il appartiendra, » ordonna que les enfants issus de ce mariage resteraient à la garde de la mère qui devrait, selon ses moyens, subvenir à leur entretien et aux frais de leur éducation, et enfin renvoya les parties à se régler sur leurs droits respectifs, etc…

À l’arrivée du printemps, George Sand avait quitté les Duteil pour aller demeurer chez d’autres amis, les Bourgoing, dont la maison, plus fraîche que celle des Duteil, se trouvait tout au bout de la ville à l’emplacement des anciens remparts ; elle dominait un ravin au fond duquel coulait l’Indre ; une large plaine bordée à l’horizon de forêts s’étendait devant elle. Par la fenêtre de sa chambre Aurore pouvait descendre dans le jardinet rempli de roses et « perché en terrasse sur un précipice » et jouir de là d’une vue splendide. C’est cette maison avec son jardinet et son ravin qu’elle décrivit plus tard dans Jeanne. On peut la voir encore aujourd’hui à côté de la grise et antique tour de la prison de La Châtre.

Dans le cours du printemps et de l’été 1836, poussée par le changement qui s’était opéré en elle sous l’influence des idées de Michel, de Lamennais et de Liszt, George Sand voulut refaire Lélia dont le scepticisme et l’individualisme désespérés ne répondaient plus à sa manière actuelle de comprendre les choses. Et effectivement passant les journées en causeries et en jeux avec ses grands et petits amis, elle se remit à travailler la nuit, souvent jusqu’aux premiers rayons du soleil, refaisant et changeant Lélia. Elle y ajouta, nous le savons, tout un volume. Parfois, lorsque tout s’était calmé dans la maison et que seules les étoiles regardaient curieusement par la fenêtre de la chambrette, ornée à la villageoise, cette femme solitaire, courbée sur ses papiers, — alors elle descendait dans le jardin endormi et y passait des heures entières à méditer et à observer le mouvement des constellations. Elle savait au juste où se lèverait telle ou telle autre étoile, comment elle brillerait et changerait de couleur ; elle aimait à voir tous ces feux lactés, rouges ou diamantés s’éteindre peu à peu, vaincus par les lueurs de l’aube, et, dans le vaste et majestueux silence, à saluer le jour naissant. « Cela s’opère de mille manières différentes. Cette révolution, si uniforme en apparence, a tous les jours un caractère particulier[491] », écrit-elle à la comtesse d’Agoult, en lui décrivant ses contemplations nocturnes du firmament, ses promenades aux bords de l’Indre dont les fraîches ondes, où elle se plongeait « avec toutes ses draperies », lui donnaient des forces pour continuer son chemin malgré les chaleurs accablantes de midi[492]. On voit dans toutes ses lettres de 1836 à Liszt et à Mme d’Agoult briller ces étoiles tantôt pâles, tantôt étincelantes, et ces magnifiques levers de soleil ; on assiste à ses rêveries solitaires sur la terrasse, à ses courses à cheval à la brune ou sous les feux dardants de midi. Ces mêmes méditations enthousiastes, ces descriptions de nuits étoilées et d’aubes empourprées, nous les retrouverons dans les chapitres de la nouvelle Lélia. Nous les avons mentionnés déjà[493].

Cependant les relations de Michel avec son amie commençaient à prendre un caractère pénible et despotique. « J’ai des grands hommes plein le dos (passez-moi l’expression). Je voudrais les voir tous dans Plutarque. Là, ils ne me font pas souffrir du côté humain. Qu’on les taille en marbre, qu’on les coule en bronze et qu’on n’en parle plus. Tant qu’ils vivent, ils sont méchants, persécutants, fantasques, despotiques, amers, soupçonneux. Ils confondent dans le même mépris orgueilleux les boucs et les brebis. Ils sont pires à leurs amis qu’à leurs ennemis. Dieu nous en garde ! Restez bonne, bête même, si vous voulez. Franz pourra vous dire que je ne trouve jamais les gens que j’aime assez niais à mon gré. Que de fois je lui ai reproché d’avoir trop d’esprit. Heureusement que ce trop n’est pas grand’chose et que je puis l’aimer beaucoup…[494]. »

Le grand homme faisait donc de plus en plus souvent reconnaître à George Sand son isolement moral, et elle se sentait plus que jamais, bien qu’autrement que jusque-là, une Lélia incomprise et déçue. Et quoique, contrairement à ce qu’elle avait dit en 1833, elle écrivait maintenant : « Lélia n’est pas moi. Je suis meilleure enfant que cela, mais c’est mon idéal. C’est ainsi que je conçois ma muse, si toutefois je puis me permettre d’avoir une muse…[495] », elle avouait cependant quelquefois : « Lélia est le roman où j’ai mis plus de moi que dans tout autre livre[496]. »

Il n’y a donc rien d’étonnant si les idées générales formant la base de la nouvelle Lélia viennent à être formulées sous sa plume comme suit : « Se jeter dans la mère Nature ; la prendre réellement pour mère et pour sœur ; retrancher stoïquement et religieusement de sa vie tout ce qui est vanité satisfaite ; résister opiniâtrement aux orgueilleux et aux méchants ; se faire humble et petit avec les infortunés ; pleurer avec la misère du pauvre et ne pas vouloir d’autre consolation que la chute du riche ; ne pas croire à d’autre Dieu que celui qui ordonne aux hommes la justice, l’égalité ; vénérer ce qui est bon ; juger sévèrement ce qui n’est que fort ; vivre de presque rien, donner presque tout, afin de rétablir l’égalité primitive et de faire revivre l’institution divine : voilà la religion que je proclamerai dans mon petit coin et que j’aspire à prêcher à mes douze apôtres sous le tilleul de mon jardin.

« Quant à l’amour, on en fera un livre et un cours à part. Lélia s’expliquera sous ce rapport d’une manière générale assez concise et se rangera dans les exceptions. Elle est de la famille des Esséniens, compagne des palmiers, gens solitaria dont parle Pline. Ce beau passage sera l’épigraphe de mon troisième volume, c’est celle de l’automne de ma vie. Approuvez-vous mon plan de livre ? Quant au plan de vie, vous n’êtes pas compétente, vous êtes trop heureuse et trop jeune pour aller aux rives salubres de la mer Morte (toujours Pline le Jeune), et pour entrer dans cette famille où personne ne naît, où personne ne meurt, etc. »

Puis, ayant conté ses promenades solitaires et ses efforts pour trouver le bonheur en s’identifiant avec la nature, elle ajoute : « Je vous enseigne tous mes secrets de bonheur ; si quelque jour (ce que je ne vous souhaite pas et ce à quoi je ne crois pas pour vous) vous êtes seule, vous vous souviendrez de mes promenades esséniennes. Peut-être trouverez-vous qu’il vaut mieux s’amuser à cela qu’à se brûler la cervelle, comme j’ai été souvent tentée de le faire en entrant au désert. Avez-vous de la force physique ? C’est un grand point. Malgré cela j’ai des accès de spleen, n’en doutez pas ; mais je résiste et prie. Il y a manière de prier. Prier est une chose difficile, importante. C’est la fin de l’homme moral. Vous ne pouvez pas prier, vous. Je vous en défie et, si vous prétendiez que vous le pouvez, je ne vous croirais pas. Moi, j’en suis au premier degré, au plus faible, au plus imparfait, au plus misérable échelon de l’escalier de Jacob. Aussi je prie rarement et fort mal. Mais si peu et si mal que ce soit, je sens un avant-goût d’extases infinies et de ravissements semblables à ceux de mon enfance quand je croyais voir la Vierge, comme une tache blanche, dans un soleil qui passait au-dessus de moi. Maintenant je n’ai que des visions d’étoiles, mais je commence à faire des rêves singuliers[497]… »

Alors que George Sand était ainsi plongée dans les méditations, le travail et la recherche de l’équilibre moral, M. Dudevant interjeta appel au jugement du tribunal de La Châtre, et les 23 et 26 juillet 1836, l’affaire fut jugée par la Cour royale à Bourges.

George Sand se rendit à Bourges vers le commencement de juillet et s’installa encore chez des amis qui s’empressèrent à lui donner l’hospitalité, les Tourangin, apparentés aux Duteil, et qui d’emblée furent de vrais amis pour Mme Dudevant. Elle y passait le temps de la manière la plus bourgeoisement calme et la plus vertueusement occupée, en aidant Mme Tourangin à soigner ses petits frères et sa jeune sœur. Pourtant ce n’est pas sans appréhension qu’elle vit arriver le jour des débats, comme le témoigne cette Prière, écrite la veille de l’audience et que l’on pouvait lire, il y a quelques années, tracée au crayon sur le panneau de la boiserie d’une alcôve d’une vaste maison de la rue Saint-Ambroise, à Bourges, occupée en 1836 par les Tourangin :

Grand Dieu ! protège ceux
Qui veulent le bien, réprime
Ceux qui veulent le mal.
Marque tes enfants au
Front, afin que les impies
Les respectent.
Détruis le règne obstiné
Des Scribes et des Pharisiens,
Ouvre un chemin au voyageur,
Qui cherche tes sanctuaires.
(Fils de l’homme c’est
En ton nom qu’ils égorgent
L’ouaille au moment
Où tu la prends sur tes épaules).
Prends soin des enfants de
La veuve. Ouvre l’oreille
Du sourd et l’œil de l’aveugle.
Ton calice n’est plus amer
Depuis que tes lèvres y
Ont trempé. Dans nos
Nuits d’agonie nous
Cherchons la trace de tes pas au
Jardin des Olives,
Et nous espérons, parce que
Tu as ennobli nos souffrances,
Parce que tu as fait de
Dieu un refuge contre les hommes.

George.

24 juillet 1836[498].

Il est curieux de noter qu’à ce moment, où se jouait le finale de son drame conjugal, George Sand se souvint d’une amie qui avait été la spectatrice émue des tristes péripéties de ses premiers actes, la sage et vaillante conseillère de la Brède, Zoé Leroy, et elle lui écrivit, après un long silence, une lettre où elle l’invitait à venir la rejoindre à Bourges et lui racontait sa vie pendant ces dernières années. À ce qu’il paraît, Zoé Leroy ne put donner suite à cette invitation et ne vint pas à Bourges. Mais tous les autres amis de Mme Dudevant se réunirent autour d’elle ce jour-là ; les Fleury, Rollinat, Néraud, Planet, Papet, Duteil, tous vinrent à Bourges. D’autres encore accoururent de tous les points de la France. Entre autres Émile Regnault, son « frère » d’autrefois[499]. Il lui fit amende honorable « d’avoir épousé contre elle une mauvaise querelle », c’est-à-dire d’avoir pris parti contre elle, lors de sa rupture avec Sandeau. Le public fut donc très nombreux dans la salle le jour des débats. Le défenseur d’Aurore fut encore Michel. Thiot-Varennes plaida pour Dudevant. George Sand entra dans la salle du tribunal au bras de Michel ; elle portait une robe blanche, une capote de même couleur, une collerette tombante en dentelles et un châle à fleurs[500], — raconte le chroniqueur du Droit. Le lendemain, le même journal nous apprend en outre que sa voilette était à demi baissée. Thiot-Varennes en prenant la parole dit que toute la faute retombait sur Aurore, que les époux avaient vécu d’accord aussi longtemps qu’elle n’avait pas changé et n’avait pas cherché le bonheur ailleurs, etc. Il prétendit qu’ensuite, « entraînée par des penchants qu’elle ne voulut pas dominer, elle conçut une passion et y céda » ; que Dudevant avait appris que sa femme « adorée » l’avait trahi ; que dans sa générosité il avait tout pardonné ; qu’Aurore elle-même reconnaissait cette générosité dans une de ses lettres… Alors Thiot-Varennes lut un fragment de la lettre d’Aurore Dudevant du 8 novembre 1825 (dont nous avons parlé à propos d’Aurélien de Sèze), mais en ayant soin de ne lire que les passages où Aurore avouait qu’elle aimait ailleurs, puis les lignes où elle faisait appel à la bonté, à la générosité et à l’aide de son mari, etc… Il expliquait ensuite les causes de la froideur de Casimir par la divergence de leurs natures et de leurs caractères. Alors il passa à la rupture survenue en 1828, au départ pour Paris en 1831, à la pension de trois cents francs par mois qu’Aurore recevait de son mari, quoiqu’elle gagnât déjà beaucoup elle-même par son travail. Thiot-Varennes remarqua ensuite que quoique le traité du mois de février ne dût entrer en vigueur qu’à partir du 11 novembre, une plainte était déjà présentée le 30 octobre ; que le 12 novembre une nouvelle entente avait eu lieu ; que Dudevant pouvait alléguer pour sa défense tout ce qu’il voulait, même des faits qui seraient au désavantage d’Aurore ; que c’était dans l’intérêt de ses enfants qu’il avait voulu les garder et conserver la fortune ; et, comme preuve de l’immoralité de George Sand, Varennes lut un fragment d’un de ses romans, paru dans la Revue des Deux-Mondes ; enfin, il conclut à ce que le tribunal déboutât George Sand de sa plainte et à ce que le verdict du tribunal de première instance fut annulé.

Michel commença son plaidoyer en exprimant le regret que l’auteur d’Indiana, de Valentine et d’André ne se défendît pas elle-même. Après quoi, ayant reçu des mains de son adversaire la lettre d’Aurore Dudevant à son mari, dont Thiot-Varennes venait de se servir, il lui lut en entier les vingt pages. George Sand y raconte, comme nos lecteurs le savent déjà, le dénouement de son roman de Cauterets terminé d’une manière si touchante au pied des Pyrénées, devant la vaste grotte de Lourdes. Le sténographe de la séance nous dit que ce fragment « écrit à vingt ans avec une magie de style, un coloris brillant, digne des plus belles pages que l’auteur de Jacques a écrites depuis », fit une impression inénarrable, indescriptible.

Michel revint de son côté à la vie conjugale des Dudevant, mais, loin de porter aux nues la générosité de Casimir, il exprima le regret que Dudevant n’eût pas « le talent de la divination » lorsqu’il traitait sa femme d’idiote, de stupide, etc. Il fit également un retour sur les événements de 1828 à 1831, mais ce ne fut pas pour y trouver les beaux sentiments du mari, comme Varennes, mais pour en tirer la conclusion que Casimir aimait Nohant et l’argent bien plus que sa femme, et qu’on n’avait pas à rappeler ici la rente que Casimir lui payait assez mal, mais bien le fait qu’après la plainte portée contre lui le 30 octobre 1835, il consentit à l’arrangement du 12 novembre, en soutirant adroitement la promesse d’une rente de cinq mille francs. Son appel du 14 avril est « un véritable mouvement de démence judiciaire ». C’est Casimir qui est le seul coupable, Aurore seule a le droit de demander la séparation, car les trois motifs exigés par la loi : « excès, sévices et injures » sont bien constatés. S’adressant ensuite à Casimir, Michel continue : « N’est-ce pas vous qui l’avez forcée à désirer la séparation volontaire ? N’est-ce pas vous qui l’avez forcée à quitter le domicile conjugal en l’abreuvant de dégoûts ? Vous n’êtes pas seulement l’auteur des causes de cette absence, vous en êtes l’instigateur et le complice. N’avez-vous pas livré votre femme, jeune et sans expérience, à elle-même ? Ne l’avez-vous pas abandonnée ? Vous ne pouvez plus dire aux magistrats : « Remettez dans mes mains les rênes du coursier », quand vous-même les avez lâchées. Pour gouverner une femme il faut une certaine puissance d’intelligence, et qui êtes-vous, que prétendez-vous être, à côté de celle que vous avez méconnue ? Quand une femme est près de succomber, il faut être capable de la relever ; quand elle est faible, il faut la soutenir, être capable de lui donner un bon exemple ; et quel exemple pouvez-vous lui donner ? Pouvez-vous réclamer une femme que vous avez délaissée pendant huit ans ? Était-elle coupable, celle qui épanchait sa belle âme tout entière dans cette lettre que vous-même venez de livrer à la publicité des débats ? Ils étaient donc bien faibles ses torts, puisque vous êtes réduit à les chercher dans cette lettre qui la justifie ! »… (Michel relit encore un fragment de la lettre que le public écoute avec un murmure approbateur.) « Depuis, vous avez reçu votre femme, vous lui avez écrit, vous avez vécu intimement avec l’ami honnête et pur qui sut la respecter, vous lui avez serré la main. Pourquoi avez-vous délaissé une épouse qui ne méritait aucun reproche ? pourquoi l’avez-vous forcée à s’éloigner de vous ? »

Michel évoqua ensuite l’affaire de Mirabeau, qui aimait tant sa femme qu’ayant intenté un procès contre elle, il s’était réconcilié avec elle au tribunal se désistant de sa plainte. Puis, après avoir encore une fois désapprouvé l’indigne répétition qu’on faisait de l’accusation portée contre Marie-Antoinette, Michel réfuta victorieusement l’accusation d’immoralité basée sur les citations d’un roman. « Eh quoi ! parce que la plume de l’écrivain et du moraliste, parce que ses principes trouveront des esprits rebelles, des contradicteurs, elle sera une femme sans entrailles ? et pensez-vous, qu’aux yeux du philosophe, je serai un être dénaturé ? »… Le renouvellement se produit dans le vieux monde et tout se renouvelle ; de nouvelles idées hardies pénètrent dans les travaux du législateur, dans les œuvres du moraliste et de l’artiste.

« Parce qu’une femme cède aux caprices de sa lyre, aux aspirations d’un esprit créateur, vous la croiriez incapable d’élever ses enfants ? Non, messieurs, elle n’est pas indigne de leur tendresse et de leur prodiguer ses soins. Ces enfants marcheront sous la surveillance de leur mère dans le sentier de l’honneur et du devoir ; c’est moi qui vous en réponds. Et avec le système qu’on nous oppose, on refuserait les qualités d’un père tendre à ce Diderot, l’une des gloires du siècle passé, à Diderot, l’auteur de quelques pages licencieuses et de gravelures, à tant d’hommes de génie qui cependant donnèrent l’exemple de toutes les vertus domestiques ? »…

Comme conclusion de sa plaidoirie, Michel de Bourges lut quelques lettres de Maurice à sa mère et les réponses de celle-ci.

Après une interruption de la séance, Thiot-Varennes reprenant la parole insista sur l’immoralité et la légèreté de Mme Dudevant, tout en renonçant à trouver dans la lettre de 1825 une accusation directe de trahison envers son mari, mais en relevant surtout la générosité de Casimir et sa ligne de conduite digne de tout éloge. Michel le réfuta de nouveau brillamment.

Le procureur Corbin dit que jusqu’en avril, les torts peuvent en partie être rejetés sur Mme Dudevant. Il ne peut approuver la lettre qu’elle a écrite à son mari en 1825 ; si elle n’a pas trahi son mari, elle peut du moins s’accuser d’adultère moral. Son mari ne l’a point délaissée, elle a joui d’une pleine indépendance. La société peut reprocher au mari de ne pas s’être servi de ses droits et de n’avoir pas conseillé sa femme. Mais les « imputations infâmes et impies » du mari autorisent Mme Dudevant à demander la séparation. Le mari, pour se défendre, n’avait pas besoin de recourir à accuser sa femme. En conséquence, le procureur rejette la contre-enquête exigée par le mari pour les faits produits par lui contre sa femme et demande la séparation des conjoints. Mais il faut que Maurice reste sous la garde du père et Solange sous celle de sa mère.

La cour s’éloigna, et au bout de trois quarts d’heure d’attente, déclara que les voix des juges étant également partagées, une nouvelle plaidoirie des parties était fixée à lundi en huit. George Sand, dans l’Histoire de ma Vie et dans ses lettres, dit que presque tout le public assistant au procès de Bourges était d’abord contre elle, mais qu’à la fin du procès tout le monde — « le monde de Bourges qui est tout ce qu’il y a de plus cagot » — avait pris partie pour elle ; Michel avait gagné tous les cœurs, avait fait pleurer tout le monde : « Vous n’avez pas l’idée du succès moral que j’ai eu dans cette affaire », écrit-elle à Boucoiran le 1er août[501]. Aussi, lorsqu’il fut annoncé que les voix des juges s’étaient partagées, « des huées et des sifflets[502] » éclatèrent dans la salle.

Dudevant, qui avait dû se laisser dire par la bouche du procureur des vérités assez dures retira son appel, pour ne pas avoir à en entendre peut-être de plus amères encore, et le 29 juillet 1836, les époux signèrent un nouveau traité, reproduisant celui qui avait été conclu, en n’y ajoutant qu’un seul article : Casimir payerait l’éducation de Maurice jusqu’à l’âge de vingt ans, et plus tard annuellement cent louis d’or pour son entretien. La femme payerait au mari cinq mille francs par an, ainsi que la rente due à sa propre mère et aux domestiques.

Là ne devaient pas finir les procès d’Aurore Dudevant avec son mari. Comme Maurice avait été confié à la garde de son père qui voulait l’élever militairement, mais qui, en réalité, s’occupait fort peu de son fils, et que la mère, voyant le dépérissement de l’enfant et son aversion pour la vie claustrée du collège, voulait le retirer de là, il surgit de nouveau des démêlés entre les époux divorcés. À cette époque, Maurice était malade, souffrait d’hallucinations, de palpitations de cœur ; le père n’y attachait aucune importance, ne croyait pas aux médecins, tandis que la mère y croyait trop, voulait y croire à tout prix et dorlotait son enfant. Mais il advint un jour, que le jeune garçon tomba si sérieusement malade chez son père, que Dudevant, effrayé, l’emmena immédiatement chez sa mère et le remit entièrement à ses soins. Il en fut pourtant tellement irrité que lorsque Aurore partit en 1837 afin d’aller soigner sa mère mourante, il enleva, pour se venger, Solange de Nohant, ce qui ne se fit pas sans de nouvelles brutalités et violences, et l’emmena à Guillery. Aurore s’empressa naturellement d’aller reprendre sa fille, mais ce qui la désespérait, c’est qu’elle ne pouvait jamais être sûre d’être à l’abri de semblables violences ; elle porta immédiatement plainte au tribunal.

Outre cela, Dudevant ayant hérité après la mort de sa belle-mère et se trouvant par là en possession d’une fortune considérable, George Sand, qui était seule chargée de l’éducation des enfants, trouvait juste de n’avoir plus à céder la moitié de ses revenus à son mari. Elle refusait donc non seulement de payer les frais d’entretien de Maurice, mais aussi la rente qu’elle faisait jusqu’alors à Dudevant, elle demandait aussi qu’on lui rendît l’hôtel de Narbonne qui avait été donné à Dudevant par le traité de 1836[503]. Cette fois, c’est Chaix d’Est-Ange qui fut son avocat. Paillet fut celui de Casimir. Le tribunal rejeta d’abord la demande de George Sand, car on ne pouvait i)as encore exactement savoir à quoi s’élevait l’héritage de Dudevant et si sa fortune s’était améliorée. L’affaire n’en vint pourtant pas à un procès définitif, et voilà ce qu’Aurore en écrivait à sa sœur, Caroline Cazamajou, le 15 mai 1838 : « Mon procès à la veille du jugement s’est terminé par une transaction entre M. Dudevant et moi. Je lui cède mes inscriptions de rentes sur l’État, montant à 40.000 francs, et il me rend l’hôtel de Narbonne. En même temps, il renonce à Maurice et à Solange et s’engage à ne plus me persécuter. Seulement, admire son amour paternel et son désintéressement : il demande à les voir tous les ans pendant quelques jours et à ce que je supporte la moitié des frais de leur déplacement pour aller le trouver. Tendre et généreux père ! Dans notre liquidation il n’a pas rougi de faire inscrire, par son avoué, au nombre de ses réclamations 15 pots de confiture et un poêle en fer de la valeur de 1 franc 50 centimes ![504] »…

Il semblerait difficile de pousser plus loin l’avidité, mais Dudevant ne s’en tint pas là, et trois ans après, en février 1841, il exigeait de nouveau quelque chose de sa femme. Elle écrit à ce propos à Hippolyte[505] : « Je ne comprends rien à la demande de 125 francs, de M. Dudevant. Apporte-moi une rédaction claire de sa prétention, afin que je consulte, et si cela est dû je le paierai. Mais cela ne finira donc jamais ? Faut-il être cuistre pour faire de pareilles réclamations ! Est-ce que Martin (avoué à La Châtre), qui ne l’est pas, ne devrait pas mettre cette bêtise aux oubliettes ? Je ne comprends pas pourquoi je dois payer cela. Mais enfin, avec lui, j’ai appris à ne m’étonner de rien… »

Dans sa lettre à Hippolyte, imprimée dans le second volume de sa Correspondance (p. 162) et servant de suite à la lettre que nous venons de citer, George Sand donne un autre exemple non moins incroyable de l’avarice outrée de Dudevant.

On voit par les lettres de George Sand que lorsque Maurice était devenu grand, il allait tous les ans passer quelque temps chez son père à Guillery, et qu’en 1846 les époux avaient déjà tellement oublié leurs anciens griefs, qu’ils vinrent à s’inviter l’un l’autre par la bouche de leur fils. Mais quand, à l’occasion du mariage de Solange, Dudevant vint lui-même à Nohant, George Sand, à propos de l’arrivée à Nohant du « baron et de sa suite », écrivit ce qui suit : « Jamais mariage ne fut moins gai, en apparence du moins, grâce à la présence de cet aimable personnage, dont les rancunes et les aversions sont aussi vives que le premier jour. Heureusement, il est parti à quatre heures du matin, le lendemain du mariage[506]. »

Plus tard cependant, lorsque le petit garçon de M. et Mme Maurice Sand mourut à Guillery, George Sand alla elle-même chez son mari et dit qu’il montra à cette occasion toute la compassion dont il était capable. Ils ne se revirent plus après ce triste événement. Dudevant mourut en 1871. Mais, dans les dernières années de sa vie, il avait intenté encore un procès à ses enfants à propos de questions d’argent (Voir la lettre de George Sand datée du 28 mars 1871. Correspondance VI). Le chroniqueur qui a essayé de conter la douloureuse histoire de George Sand et de Dudevant, sans s’éloigner un instant de la vérité historique ne veut pas prononcer son verdict. Les faits condamnent Casimir Dudevant, cela suffit. « On ne frappe pas celui qui est à terre », dit le proverbe russe.


CHAPITRE XII


Voyage en Suisse. — « Le Contrebandier ». — Vie à « l’Hôtel de France ». — Nohant en 1837. — « Journal de Piffoël. » — Quelques lettres inédites de Liszt. — Influence mutuelle de Liszt et de George Sand l’un sur l’autre. — « Les Sept Cordes de la Lyre. »


Le procès à peine terminé, George Sand revint à Nohant et y passa un mois avec ses enfants. À la fin d’août, elle put enfin partir pour la Suisse, où elle était attendue depuis plus d’un an par Liszt et Mme d’Agoult. Dans sa Lettre à Herbert (Charles Didier), — la dixième des Lettres d’un voyageur, — elle raconte comment elle a traversé Autun, Châlons, Lyon, Nantua, et décrit la surprise de ses amis de Genève en la voyant tomber au milieu d’eux avec sa blouse bleue et ses bottes crottées.

— Messieurs, où descendez-vous ?

C’est le postillon qui parle. — Réponse :

— Chez M. Liszt.

— Où loge-t-il, ce monsieur-là ?

J’allais précisément vous adresser la même question.

— Qu’est-ce qu’il fait ? Quel est son état ?

— Artiste.

— Vétérinaire ?

— Est-ce que tu es malade, animal ?

— C’est un marchand de violons, dit un passant, je vais vous conduire chez lui.

On nous fait gravir une rue à pic, et l’hôtesse de la maison indiquée nous déclare que Liszt est en Angleterre.

— Voilà une femme qui radote, dit un autre passant. M. Liszt est un musicien du théâtre ; il faut aller le demander au régisseur.

— Pourquoi non ? dit le légitimiste[507]. Et il va trouver le régisseur. Celui-ci déclare que Liszt est à Paris. — Sans doute, lui fais-je avec colère, il est allé s’engager comme flageolet dans l’orchestre Musard, n’est-ce pas ?

— Pourquoi non ? — dit le régisseur.

— Voici la porte du Casino, dit je ne sais qui. Toutes les demoiselles qui prennent des leçons de musique, connaissent M. Liszt.

— J’ai envie d’aller parler à celle qui sort maintenant avec un cahier sous le bras, dit mon compagnon.

— Et pourquoi non ? d’autant plus qu’elle est jolie.

Le légitimiste fait trois saluts à la française, et demande l’adresse de Liszt dans les termes les plus convenables. La jeune personne rougit, baisse les yeux, et avec un soupir étouffé répond que M. Liszt est en Italie.

— Qu’il soit au diable ! Je vais dormir dans la première auberge venue ; qu’il me cherche à son tour.

À l’auberge on m’apporte bientôt une lettre de sa sœur[508].

« Nous t’avons attendu, tu n’es pas exact, tu nous ennuies. Cherche-nous ! nous sommes partis.

« Arabella. »

P.-S. — « Vois le major, et viens avec lui nous trouver. »

— Qu’est-ce que le major ?

— Que vous importe ? dit mon ami le légitimiste.

— Au fait ! Garçon, allez chercher le major.

Le major arrive[509]. Il a la figure de Méphistophélès et la capote d’un douanier. Il me regarde des pieds à la tête et me demande qui je suis.

— Un voyageur mal mis, comme vous voyez, qui se recommande d’Arabella.

— Ah ! ah ! je cours chercher un passeport.

— Cet homme est-il fou ?

— Non pas ; demain nous partons pour le Mont-Blanc.

Nous voici à Chamounix ; la pluie tombe, et la nuit, s’épaissit. Je descends au hasard à l’Union… et cette fois je me garde bien de demander l’artiste européen par son nom. Je me conforme aux notions du peuple éclairé que j’ai l’honneur de visiter, et je fais une description sommaire du personnage : Blouse étriquée, chevelure longue et désordonnée, chapeau d’écorce défoncé, cravate roulée en corde, momentanément boiteux, et fredonnant habituellement le Dies iræ d’un air agréable.

— Certainement, Monsieur, répond l’aubergiste, ils viennent d’arriver ; la dame est bien fatiguée, et la jeune fille est de bonne humeur. Montez l’escalier, ils sont au n° 13.

— Ce n’est pas cela, pensais-je, mais n’importe. Je me précipite dans le n° 13, déterminé à me jeter au cou du premier Anglais spleenétique qui me tombera sous la main. J’étais crotté de manière à ce que ce fût là une charmante plaisanterie de commis voyageur.

Le premier objet qui s’embarrasse dans mes jambes, c’est ce que l’aubergiste appelle la Jeune fille. C’est Puzzi[510] à califourchon sur le sac de nuit, et si changé, et grandi, la tête chargée de si longs cheveux bruns, la taille prise dans une blouse si féminine, que, ma foi ! je m’y perds ; et, ne reconnaissant plus le petit Hermann, je lui ôte mon chapeau en lui disant : Beau page, enseigne-moi où est Lara ?

Du fond d’une capote anglaise sort, à ce mot, la tête blonde d’Arabella ; tandis que je m’élance vers elle, Franz me saute au cou, Puzzi fait un cri de surprise ; nous formons un groupe inextricable d’embrassements, tandis que la fille d’auberge, stupéfaite de voir un garçon si crotté, et que jusque-là elle avait pris pour un jockey, embrasser une aussi belle dame qu’Arabella, laisse tomber sa chandelle, et va répandre dans la maison que le n° 13 est envahi par une troupe de gens mystérieux, indéfinissables, chevelus comme des sauvages, et où il n’est pas possible de reconnaître les hommes d’avec les femmes, les valets d’avec les maîtres. — Histrions ! dit gravement le chef de cuisine d’un air de mépris, et nous voilà stigmatisés, montrés au doigt, pris en horreur. Les dames anglaises que nous rencontrons dans les corridors, rabattent leurs voiles sur leurs visages pudibonds, et leurs majestueux époux se concertent pour nous demander pendant le souper une petite représentation de notre savoir-faire, moyennant une collecte raisonnable… »

Voilà bien un récit de voyage qui ne manque ni de gaîté ni de verve ! Le voyage commençait vraiment sous des auspices heureux, et tant qu’il dura ce fut un temps d’allégresse et de joie. Il n’en pouvait être autrement dans une société si bien assortie : George Sand et Liszt, deux vrais artistes, avides d’impressions, brillants et brûlants d’un feu intérieur ; la comtesse d’Agoult, jeune femme amoureuse et nullement ordinaire ; Puzzi, Maurice et Solange, trois enfants gais et dispos ; le spirituel major Pictet ; l’aimable légitimiste, la berrichonne Ursule, nature naïve et spontanée, tantôt s’extasiant sur toutes choses, tantôt pleurant d’effroi au nom de Martigny qu’elle confondait avec la « Martinique », ce qui lui faisait craindre une traversée pour revenir dans le Berry.

La joie de vivre régnait au milieu de ces jeunes gens ; on se divertissait comme des écoliers en vacance, c’étaient des plaisanteries, des drôleries, des espiégleries sans fin. Les hôtes et les servantes des hôtels, ainsi que les indigènes, avaient vraiment grand’peine à préciser qui ils hébergeaient, car voici par exemple ce que Liszt écrivit sur le « livre des voyageurs » à Chamounix :

Musicien-philosophe
 : au Parnasse.
venant : du Doute.
allant : à la Vérité.

À son tour, George Sand se qualifiant avec ses enfants, de « famille Piffoëls » (surnom qui lui resta depuis ce jour à cause du long nez de Maurice et de celui de George Sand elle-même), inscrivit ce qui suit :

Noms des Voyageurs : Famille Piffoëls.
Domicile : La nature.
D’où ils viennent : de Dieu.
Où ils vont : au Ciel.
Lieu de naissance : Europe.
Qualités : Flâneurs.
Date de leurs titres : Toujours.
Délivrés par qui : Par l’opinion publique.

Liszt, George Sand et Pictet consacrèrent tous des pages vives et brillantes à leur voyage à Chamounix, au Grand Glacier et au Montanvert, à leur visite à la cathédrale de Fribourg et à leur séjour à Genève. Ils nous initient également aux causeries, pleines d’intérêt, soit philosophiques, soit artistiques, qu’ils ont eues dans le cours du voyage. Sous ce rapport, le petit livre de Pictet qui nous donne à la fois un portrait de George Sand, comme femme et écrivain (il la place entre Rousseau et Byron), et la description du voyage à Chamounix et à Fribourg, est particulièrement intéressant. Dans cette Course à Chamounix, ayant pour sous-titre Conte fantastique, l’auteur expose toutes ses causeries et ses réflexions à lui, major, dans une forme vraiment fantastique, parfois trop allégorique, parfois en ayant l’air de nous raconter ses rêves et ses visions, ce qui à la fin, devient fatigant pour le lecteur. Cependant, malgré tous ces défauts, le livre du major ne manque pas de coloris et de brillant lorsqu’il nous expose les conversations des jeunes gens, et qu’il analyse le caractère de chacun des quatre principaux personnages (Liszt, George Sand, la comtesse d’Agoult, Pictet). C’est surtout de George Sand qu’il parle le plus en détail. Après une appréciation pleine d’esprit des banalités débitées sur son compte et des opinions courantes sur elle, Pictet note les « facettes multiples » de cette nature : elle est « gamin », elle est poète, elle est femme révoltée et romancière distinguée, poète de l’amour et auteur de livres épouvantant les hypocrites, elle est même un carbonaro. La clef de sa nature énigmatique est à chercher dans son génie. Son inconstance, sa mobilité, ses brusques transitions, ses contradictions, ses singularités, ses défauts et qualités, ce qu’il y a d’élevé et de bas dans son caractère, tout cela provient de ce qu’elle n’est pas une créature ordinaire, mais un génie. C’est pour cette raison que George Sand lui apparaît avant tout comme une force poétique, créatrice ; Liszt, comme une personnification de la musique, tandis que le major lui-même et la comtesse d’Agoult sont les représentants de la pensée, de l’analyse.

Dans une vision de rêve ils apparaissent d’abord tous, comme les incarnations des trois mystiques éléments sanscrits : George Sand sous l’aspect de Kamôroupi, « celle qui change à son gré », Liszt sous celui de Madhousvâra « le mélodique », Pictet lui-même ou Arabella, sous celui de Manas, « la pensée ». On y trouve, expliqué de la manière la plus pittoresque, ce que chacun d’eux voit et fait, quel rôle il joue dans l’univers. Le major philosophe est encore préoccupé de savoir quels sont les hommes les plus utiles à l’humanité : ceux qui embrassent tout ou les spécialistes ? Longtemps il est impuissant à résoudre ce problème ; enfin, après de longues réflexions, il arrive à la conclusion que ces deux éléments se marient dans le génie, qu’il compare à une source qui jaillit avec force des entrailles de la terre, mais se répand ensuite sur une large surface. Cela explique l’admiration du major devant le génie de George Sand. Tout le « conte » n’est au fond qu’une glorification allégorique de son pouvoir sur la nature, de son esprit universel, de l’équilibre harmonieux de son âme, de ses élans perpétuels vers les mondes super-astrals, de sa soif insatiable de savoir, de son désir de pénétrer le mystère de toute la création, et de surprendre celui qui doit mettre en harmonie la vie humaine et la nature (cette harmonie a toujours été pour George Sand le sublime idéal du bonheur terrestre). C’est pour cela que tout en lisant, avec Liszt et son amie, les œuvres du philosophe à la mode, Barchou de Penhoën, et en se laissant entraîner par la philosophie de Hegel, elle trouve ensuite encore plus d’intérêt aux questions et aux problèmes sociaux. Il est à supposer que Liszt, Arabella et le major d’une part, George Sand de l’autre, ont eu entre eux de vives disputes politico-sociales, car un des chapitres représente, — sous la forme de l’apparition fantastique et comique d’une boîte à marionnettes, — l’arrivée de la « liberté et de l’égalité démocratique générales », le règne de la classe moyenne, des intérêts et des idées mesquines, où il n’y aura plus ni génie, ni art, ni vraie science. « George cependant est quelque peu surpris du résultat final et logique de son œuvre et, après avoir attendu vainement les merveilleux effets de l’égalité sur le développement intellectuel et moral de l’homme, il finit par trouver le genre humain… ennuyeux… »

Conformément à ces récits fantastiques et allégoriques, les illustrations du livre ne sont pas moins curieuses. Nous voyons déjà sur la couverture, George Sand, un cigare à la bouche ; puis vient une caricature : le major couché dans son lit, est oppressé par un cauchemar sous forme de livres que George Sand, à cheval sur un chat, prend sur les rayons d’une bibliothèque, où ils sont bien rangés — symbole des idées bien rangées du major — et qu’elle jette sur lui. Le troisième dessin, fac-similé d’une caricature que George Sand avait faite elle-même, à propos des occupations philosophiques du major, de Liszt et de la comtesse, porte en tête l’inscription : « L’absolu est identique à lui-même » ; et au bas de la page nous voyons le portrait de Liszt aux cheveux ébouriffés, qui, selon son habitude de chercher explication à tout, demande : « Qu’est-ce que cela veut dire » ? À droite, le major dit : « C’est un peu vague » ; au milieu, Arabella, dont on ne voit que la coiffure émergeant des coussins du divan, s’écrie : « Je m’y perds depuis longtemps. » Enfin le quatrième dessin représente George Sand et le major assis à cheval sur la même chaise.

Mais en dehors des conversations métaphysiques (résumées dans le chapitre X intitulé : Le carnet du major et pensées détachées[511]) et des analyses critiques sur George Sand, en dehors de la représentation sous forme fantasque de l’influence vivifiante de George Sand et de sa poésie sur la nature diamétralement opposée du major-métaphysicien, nous rencontrons, dans le livre de Pictet, des détails exacts et très réels, sur le voyage et les voyageurs eux-mêmes. Pictet fait entre autres le portrait des deux femmes, chacune extraordinaire à sa manière, toutes deux éminentes et sublimes : Arabella, la comtesse d’Agoult, grande, blonde, élégante, gracieuse, bien coiffée de longues boucles à l’anglaise, un flacon à la main, sérieuse, retenue ; George Sand, gamin pétillant d’un feu intérieur à peine maîtrisé, artiste aux allures simples et libres, peu soucieuse de son costume ; elle est vêtue d’une blouse d’homme, un cigare à la bouche, ses épais cheveux noirs, séparés par une simple raie lui tombent sur ses épaules. Sous la blouse, George Sand portait « un gilet rouge garni de boutons d’or en filigrane, au cou une cravate noire, la tête couverte d’un grand chapeau de paille ». Liszt également en blouse, portait un béret à la Raphaël. La fluette Arabella, coiffée d’une « capote anglaise », abaissait sur sa figure un voile vert.

Pictet décrit aussi l’étonnement des indigènes à la vue de cette « troupe errante de bohémiens » et dépeint en vives couleurs l’excursion à Fribourg, la visite à la cathédrale, le jeu de Liszt sur le célèbre orgue de l’église et les impressions si différentes que sa musique produisit sur les auditeurs. Déjà au commencement du livre, en parlant de Madhousvâra, le major racontait que celui-ci jouait sur « un instrument musical de nature et de formes inconnues » (il est à présumer que les sanscrits ne connaissaient pas le piano), « dont il tirait des sons admirables. On ne savait à vrai dire si c’étaient des sons ou des paroles, car l’oreille charmée croyait entendre tantôt de ravissantes mélodies et tantôt des récits pleins d’intérêt et de poésie… »

À Fribourg ce n’est plus le mystérieux Madhousvâra, mais Liszt en chair et en os qui joue sur un orgue réel. L’impression de son jeu n’en est pas moins si fantastiquement ensorcelante qu’il est difficile à ceux qui l’écoutent de dire s’il joue ou s’il sait par des sons raconter ses rêves et exprimer ses pensées.

Si nous nous sommes arrêté si longtemps sur l’opuscule de Pictet, c’est que ce petit livre ne se rencontre plus chez les libraires et qu’il est en général si peu connu que, lorsque nous l’avons demandé en 1894 à la salle de travail de la Bibliothèque Nationale de Paris, on nous a apporté un exemplaire non encore coupé et sans reliure, tel qu’il avait été reçu à la Bibliothèque en 1838. Quant à la relation de ce voyage que George Sand a faite dans ses Lettre d’un Voyageur, les détails en sont trop connus pour que nous les transcrivions, mais nous ne pouvons nous priver du plaisir de donner ici la page de la dixième Lettre, où George Sand parle à son tour de l’improvisation de Liszt sur l’orgue de Fribourg.

« Nous entrâmes dans l’église de Saint-Nicolas pour entendre le plus bel orgue qui ait été fait jusqu’ici. Arabella, habituée aux sublimes réalisations, âme immense, insatiable, impérieuse envers Dieu et les hommes, s’assit fièrement sur le bord de la balustrade, et, promenant sur la nef inférieure son regard mélancoliquement contemplateur, attendit, et attendit en vain, ces voix célestes qui vibrent dans son sein, mais que nulle voix humaine, nul instrument sorti de nos mains mortelles ne peut faire résonner à son oreille. Ses grands cheveux blonds, déroulés par la pluie, tombaient sur sa main blanche ; et son œil, où l’azur des cieux réfléchit sa plus belle nuance, interrogeait la puissance de la créature dans chaque son émané du vaste instrument. « Ce n’est pas ce que j’attendais », me dit-elle d’un air simple et sans songer à l’ambition de sa parole… »

Et pendant ce temps-là le jeune organiste robuste, en voulant faire valoir toutes les qualités du célèbre orgue et se conformant aux désirs de son maître, le vieux Mooser, qui avait la manie de vouloir créer dans ses instruments des registres imitant le bruit de l’orage, — ce gaillard solide et vermeil, disons-nous, se déchaînait sur le clavier en reproduisant une tempête avec éclairs et tonnerre, pluie et vent, « clochettes de vaches perdues, fracas de la foudre, craquement des sapins, — finale, dévastation des pommes de terre »… Tout cela ne produisit sur l’auditoire que l’effet le plus baroque et ne leur fit nullement apprécier le merveilleux instrument du vieux Mooser, qui écoutait impassiblement la tempête musicale.

« Ce fut seulement lorsque Franz posa librement ses mains sur le clavier, et nous fit entendre un fragment du Dies iræ de Mozart, — dit George Sand, — que nous comprîmes la supériorité de l’orgue de Fribourg sur tout ce que nous connaissions en ce genre. La veille, déjà, nous avions entendu celui de la petite Aille de Bulle, qui est aussi un ouvrage de Mooser, et nous avions été charmés de la qualité des sons ; mais le perfectionnement est remarquable dans celui de Fribourg, surtout les jeux de la voix humaine, qui, perçant à travers la basse, produisirent sur nos enfants une illusion complète. Il y aurait eu de beaux contes à leur faire sur ce chœur de vierges invisibles ; mais nous étions tous absorbés par les notes austères du Dies iræ. Jamais le profil florentin de Franz ne s’était dessiné plus pâle et plus pur, dans une nuée plus sombre de terreurs mystiques et de religieuses tristesses. Il y avait une combinaison harmonique qui revenait sans cesse sous sa main, et dont chaque note se traduisait à mon imagination par les rudes paroles de l’hymne funèbre.

Quantus tremor est futurus
Quando judex est venturus, etc.

« Je ne sais si ces paroles correspondaient, dans le génie du maître, aux notes que je leur attribuais, mais nulle puissance humaine n’eut ôté de mon oreille ces syllabes terribles, Quantus tremor… Tout à coup, au lieu de m’abattre, cette menace de jugement m’apparut comme une promesse, et accéléra d’une joie inconnue les battements de mon cœur. Une confiance, une sérénité infinie me disait que la justice éternelle ne me briserait pas ; qu’avec le flot des opprimés je passerais oublié, pardonné peut-être, sous la grande herse du jugement dernier ; que les puissants du siècle et les grands de la terre y seraient seuls broyés aux yeux des victimes innombrables de leur prétendu droit. La loi du talion, réservée à Dieu seul par les apôtres de la miséricorde chrétienne ? et célébrée par un chant si grave et si large, ne me sembla pas un trop frivole exercice de la puissance céleste, quand je me souvins qu’il s’agissait de châtier des crimes tels que l’avilissement et la servitude de la race humaine. Oh ! oui, me disais-je, tandis que l’ire divine grondait sur ma tête en notes foudroyantes, il y aura de la crainte pour ceux qui n’auront pas craint Dieu et qui l’auront outragé dans le plus noble ouvrage de ses mains ! pour ceux qui auront violé le sanctuaire des consciences, pour ceux qui auront chargé de fers les mains de leurs frères, pour ceux qui auront épaissi sur leurs yeux les ténèbres de l’ignorance ! pour ceux qui auront proclamé que l’esclavage des peuples est d’institution divine, et qu’un ange apporta du ciel le poison qui frappe de démence ou d’ineptie le front des monarques ; pour ceux qui trafiquent du peuple et qui vendent sa chair au dragon de l’Apocalypse ; pour tous ceux-là il y aura de la crainte, il y aura de l’épouvante !

« J’étais dans un de ces accès de vie que nous communique une belle musique ou un vin généreux, dans une de ces excitations intérieures où l’âme longtemps engourdie semble gronder comme un torrent qui va rompre les glaces de l’hiver, lorsqu’en me retournant vers Arabella, je vis sur sa figure une expression céleste d’attendrissement et de piété ; sans doute elle avait été remuée par des notes plus sympathiques à sa nature. Chaque combinaison des sons, des lignes, de la couleur, dans les ouvrages de l’art, fait vibrer en nous des cordes secrètes et révèle les mystérieux rapports de chaque individu avec le monde extérieur. Là où j’avais rêvé la vengeance du Dieu des armées, elle avait baissé doucement la tête, sentant bien que l’ange de la colère passerait sur elle sans la frapper et elle s’était passionnée pour une phrase plus suave et plus touchante, peut-être pour quelque chose comme le

Recordare, Jesu pie…

Pendant ce temps, des nuées passaient et la pluie fouettait les vitraux ; puis le soleil reparaissait pâle et oblique pour être éteint peu de minutes après par une nouvelle averse. Grâce à ces effets inattendus de la lumière, la blanche et proprette cathédrale de Fribourg paraissait encore plus riante que de coutume, et la figure du roi David, peinte en costume de théâtre du temps de Pradon, avec une perruque noire et des brodequins de maroquin rouge, semblait sourire et s’apprêter à danser encore une fois devant l’Arche. Et cependant l’instrument tonnait comme la voix du Dieu fort, et l’inspiration du musicien faisait planer tout l’enfer et tout le purgatoire de Dante sous ses voûtes étroites à nervures peintes en rose et en gris perle.

Les enfants couchés à terre comme de jeunes chiens s’endormaient dans des rêves de fées sur les marches de la tribune ; Mooser faisait la moue, et le syndic s’informait de nos noms et qualités auprès du major fédéral. À chaque réponse ambiguë du malicieux cicérone, le bon et curieux magistrat nous regardait alternativement avec doute et surprise… »

Et la dixième Lettre d’un Voyageur se terminait primitivement par des « terribles poignées de main à nos amis de Paris, à David Richard, Calamatta, Charles d’Arragon, Emmanuel, Mercier et notre Benjamin[512] »…, par la promesse d’écrire la prochaine fois à Meyerbeer (la Lettre suivante lui est bien adressée) et par l’annonce du prochain départ de l’auteur pour Genève[513].

En effet, après avoir fait leurs adieux à Pictet, George Sand, la comtesse d’Agoult et Liszt se rendirent à Genève où ils s’installèrent dans un hôtel situé au bord du Léman et où George Sand occupa avec ses enfants la mansarde, qui l’attendait depuis l’année dernière déjà.

« C’est alors, dit encore Mme Lina Ramann, que s’écoulèrent quelques jours de délices artistiques et de plaisirs intellectuels, ce fut le moment où bien souvent les mains de Liszt, dociles aux suggestions de son génie, erraient sur le clavier aux touches de nacre. Et George Sand pendant ce temps s’asseyait près du feu, en écoutant attentivement, ou bien le regard de ses yeux calmes se tournaient vers le magnifique paysage qu’on voyait par la fenêtre, tandis que, sous l’impression de la musique elle rêvait et transformait toutes ces harmonies en visions poétiques[514]. »

À cette époque à peu près, Liszt composa son Rondo fantastique, sur une chanson espagnole de Manuel Garcia, El Contrabandista, qui dut en grande partie son succès à la brillante exécution de ce morceau par Mme Malibran, la célèbre fille de Garcia. D’après George Sand, cette « grande artiste y puisait, avec tant de force, les souvenirs de l’enfance et les émotions de la patrie, que son attendrissement l’empêcha plus d’une fois d’aller jusqu’au bout ; un jour même elle s’évanouit après l’avoir achevé »…

Liszt dédia le Rondo à George Sand : « à Monsieur George Sand » (édition de Leipzig, 1837), « à Madame George Sand » (édition de Vienne, 1839). Aussitôt après avoir terminé sa pièce, Liszt la joua un soir d’automne à George Sand assise dans l’obscurité à la fenêtre et fumant sa cigarette.

… « L’auditeur, ému par la musique, mi peu enivrée par la fumée du canaster, par le murmure du Léman expirant sur ses grèves, se laissa emporter au gré de sa propre fantaisie jusqu’à revêtir les sons de formes humaines, jusqu’à dramatiser dans son cerveau toute une scène de roman. Il en parla le soir à souper et tâcha de raconter la vision qu’il avait eue ; on le mit au défi de formuler la musique en parole et en action. Il se récusa d’abord, parce que la musique instrumentale ne peut jamais avoir un sens arbitraire : mais le compositeur lui ayant permis de s’abandonner à son imagination, il prit la plume en riant et traduisit son rêve dans une forme qu’il appela lyrico-fantastique, faute d’un autre nom, et qui après tout n’est pas plus neuve que tout ce qu’on invente aujourd’hui[515] ».

Selon son habitude George Sand passa toute la nuit à écrire, et le lendemain elle lut à ses amis Le Contrebandier, conte lyrique, dans lequel elle s’était plu à reproduire les tableaux fantastiques que l’œuvre de Liszt avait inspirés à son imagination…

« La traduction poétique d’une œuvre musicale, — c’était quelque chose de nouveau, dit Lina Ramann, — les musiciens ont bien puisé de tous les temps aux sources poétiques, mais le contraire n’était jamais arrivé… » Et Jules Janin (dans le n° 9 de la Gazette Musicale de Paris de 1837) avait raison de s’écrier avec étonnement, en s’adressant aux Parisiens : « George Sand nous arrive ! Prêtez l’oreille ! il revient des montagnes avec Liszt, son compagnon ! Ils reviennent bras dessus, bras dessous, le musicien et le poète, et cette fois, par une révolution inattendue, ce n’est plus le musicien qui fait la musique sur les paroles du poète, c’est le poète qui fait les paroles de la musique. Quoi de plus magnifique que cet hymne entonné par George Sand sur la chanson du Contrebandier. Aussi, musiciens et poètes ont-ils également battu des mains à cette interprétation toute poétique dont nous n’avions pas d’exemple parmi nous… »

« Le Contrebandier, paraphrase fantastique sur un Rondo fantastique de Franz Liszt, » est loin de pouvoir être rangé parmi les meilleurs ouvrages de George Sand, de même que El Contrabandista n’appartient pas aux productions les plus parfaites de Liszt. Ce Rondo, — série de variations sur un thème espagnol, — ne se distingue ni par la perfection technique ni par le brillant pianisme de Liszt, ni par l’inspiration qui caractérise les pièces ultérieures qu’il a écrites en ce genre. Il est possible que le jeu merveilleux du compositeur donnait une teinte, une couleur précise à chacune des variations de la pièce, mais dans toute autre exécution et par elles-mêmes, ces variations sont positivement incapables de faire surgir dans l’âme de l’auditeur des tableaux que nous rêvons involontairement quand nous entendons, par exemple, la merveilleuse fantaisie sur le thème du Dies iræ (La Danse Macabre). Pour nous, nous avons de la peine à comprendre que George Sand ait pu s’imaginer, en entendant ces variations, tout ce qu’elle a représenté dans le Contrebandier. C’était, il est vrai, une George Sand et elle savait voir, entendre et imaginer ce que personne de nous ne saurait voir, entendre et imaginer aux sons du Rondo de Liszt. Quoi qu’il en soit, dans ce « Conte lyrique » le vol de l’imagination surpasse de beaucoup le mérite littéraire. La partie la mieux réussie et la plus poétique de l’œuvre est l’avant-propos, tandis que le conte lui-même n’est en réalité qu’une olla podrida véritable de moines, de brigands, de chansons à boire, de poignards, de nobles contrebandiers, d’ « orgies » d’opéra, de scélérats et de jeunes-premiers idem. Peut-être des âmes plus poétiques que la nôtre trouvent-elles du plaisir à la lecture de ce gâchis fantastique ; quant à nous, esprit prosaïque que nous sommes, nous avouons franchement et en toute sincérité que parmi les œuvres de George Sand nous n’en connaissons aucune qui soit plus ennuyeuse, de plus mauvais goût et d’une invention plus lourde, et nous serions heureux si l’auteur s’était contenté de réciter de vive voix à ses amis toutes les fantaisies poétiques que le Rondo de Liszt lui avait inspirées, et si elle se fût bornée à n’imprimer que la préface réellement poétique et élégante qu’elle a su leur adjoindre.

« L’air se termine, dit-elle, par cette sorte de cadence qui se trouve à la fin de toutes les tiranas, et qui, ordinairement mélancolique et lente, s’exhale comme un soupir ou comme un gémissement. La cadence finale du Contrebandier est un véritable sonsonete ; il se perd, sous un mouvement rapide, dans les tons élevés, comme une fuite railleuse, comme le vol à tire-d’aile de l’oiseau qui s’échappe, comme le galop du cheval qui fuit à travers la plaine ; mais, malgré cette expression de gaîté insouciante, quand, d’une cime des Pyrénées, dans les muettes solitudes ou sous la basse continue des cataractes, vous entendez ce trille lointain voltiger sur les sentiers inaccessibles dont le ravin vous sépare, vous trouvez dans l’adieu moqueur du bandit quelque chose d’étrangement triste, car un douanier va peut-être sortir des buissons et braquer son fusil sur votre épaule ; et peut-être en même temps le hardi chanteur va-t-il rouler et achever sa coplita dans l’abîme… »

Ce que Liszt admirait surtout dans cette chanson, c’était évidemment ce cachet, tout espagnol, de farouche mépris de la vie, d’audacieuse bravoure qui l’attiraient toujours, fût-ce dans les chants des bohémiens de sa patrie ou dans les œuvres des poètes. Qu’on se souvienne seulement de sa romance si connue : Les trois bohémiens, sur les vers de Lenau. C’est cette même bravoure qui charma aussi George Sand, et elle assure que « Garcia conserva toujours une prédilection paternelle pour sa chanson du Contrebandier. Il prétendait, dans ses jours de verve poétique, que le mouvement, le caractère et le sens de cette perle musicale étaient le résumé de la vie d’artiste, de laquelle, à son dire, la vie de contrebandier est l’idéal. Le aye, jaleo, ce aye intraduisible qui embrase les narines des chevaux et fait hurler les chiens à la chasse, semblait à Garcia plus énergique, plus profond et plus propre à enterrer le chagrin, que toutes les maximes de la philosophie. Il disait sans cesse qu’il voulait pour toute épitaphe sur sa tombe : Jo que soy el Contrabandista, tant Othello et don Juan s’étaient identifiés avec le personnage imaginaire du Contrebandier… »

Mme Lina Ramann, qui raconte brièvement l’histoire de la création du Contrabandista musical et du Contrebandier littéraire, dit : « Il est étonnant que George Sand, pour sa part, n’ait jamais inspiré Liszt » (c’est-à-dire qu’il n’a jamais rien composé sur aucune de ses œuvres), « malgré le profond sens musical de George Sand ».

Le lecteur verra plus loin que la première de ces assertions est inexacte. Bien que Liszt n’ait jamais écrit de romance ni de chanson sur les paroles de George Sand, il a cependant nourri plus tard le projet de faire un opéra de Consuélo et, comme nous l’avons dit ailleurs, plusieurs programmes de ses Poèmes symphoniques sont des pages périphrasées de George Sand.

Quant à la seconde moitié de la phrase de Lina Ramann, elle est à nos yeux importante et significative comme témoignage venant d’un grand musicien, de la nature musicale de George Sand. Ce témoignage est d’autant plus précieux pour nous que le biographe de Chopin, Frédéric Niecks, n’émettant du reste que ses propres opinions et non celles de Chopin, nie chez George Sand le don musical et celui de la critique musicale, se basant sur deux preuves qui, selon nous, attestent précisément le contraire de ce qu’il avance. Comme nous reviendrons plus loin sur cette question, nous nous permettons de nous fier à l’opinion de Liszt qui, nous semble-t-il, est assez bon juge en cette matière, et de répéter avec lui que George Sand était éminemment musicienne et s’entendait parfaitement en cet art. Sa compréhension profonde de la musique procurait à Liszt des moments de cette satisfaction intime éprouvée par tout artiste quand il a devant lui un auditeur qui vibre à l’unisson avec lui. Ce talent de George Sand à comprendre le langage divin des sons devait exercer une grande attraction sur Liszt, outre la conformité de leurs autres idées, leurs goûts et leurs convictions.

Au mois d’octobre, George Sand quitta Genève ; Liszt et la comtesse d’Agoult y restèrent jusqu’à la fin de l’automne, mais il fut convenu qu’on se retrouverait à Paris et qu’on y demeurerait ensemble.

En traversant Lyon, George Sand rendit visite à quelques personnes de sa connaissance, amis de Liszt pour la plupart. Rentrée à Nohant, elle y resta jusqu’à la fin du mois d’octobre et partit ensuite pour Paris, où elle s’installa dans un logement meublé, que la comtesse d’Agoult lui avait préparé d’avance à l’Hôtel de France, rue Laffitte. Elle occupait à l’entresol le n° 21, Liszt et la comtesse d’Agoult le n° 23, à l’étage supérieur. Le salon étant commun, George Sand et Mme d’Agoult se voyaient continuellement. La comtesse, qui ne pouvait se passer de société, aimait à se voir entourée. C’est alors qu’elle conçut l’idée de créer le salon littéraire et politique qu’elle eut en effet dans la suite. En 1836, son premier souci fut de ne pas se trouver solitaire et abandonnée, à cause de sa position équivoque dans le monde. Elle, qui avait été longtemps la reine des salons du faubourg Saint-Germain, n’aurait pu se consoler de cet abandon. L’Hôtel de France devint donc temporairement le centre d’un cercle choisi et nombreux où l’on rencontrait les célébrités de tous les genres, de toutes les sphères : Lamennais, Ballanche[516] et Auguste Barchou de Penhoën[517] ; Heine et Mickiewicz ; Michel, Charles Didier et Louis de Ronchaud ; Chopin et Nourrit ; Victor Schoelcher et Grzymala ; Mesdames Marliani et Allart, etc., etc. Voici comment George Sand décrit cet essai de phalanstère artistique, rue Laffitte : « À l’Hôtel de France, où Mme d’Agoult m’avait décidé à demeurer près d’elle, les conditions d’existence étaient charmantes pour quelques jours. Elle recevait beaucoup de littérateurs, d’artistes et quelques hommes du monde intelligents. C’est chez elle ou par elle que je fis connaissance avec Eugène Sue, le baron d’Eckstein, Chopin, Mickiewicz, Nourrit, Victor Schœlcher, etc. Mes amis devinrent aussi les siens. Elle connaissait de son côté M. Lamennais, Pierre Leroux, Henri Heine, etc. Son salon improvisé dans une auberge était donc une réunion d’élite, qu’elle présidait avec une grâce exquise et où elle se trouvait à la hauteur de toutes les spécialités éminentes par l’étendue de son esprit et la variété de ses facultés à la fois poétiques et sérieuses.

« On faisait là d’admirable musique, et, dans l’intervalle, on pouvait s’instruire en écoutant causer. Elle voyait aussi Mme Marliani, notre amie commune, tête passionnée, cœur maternel, destinée malheureuse, parce qu’elle voulut trop faire plier la vie réelle devant l’idéal de son imagination et les exigences de sa sensibilité… »

Dans une lettre inédite du 20 décembre 1836 à Scipion du Roure, jeune avocat qu’elle ne connaissait pas encore personnellement, mais qu’elle avait pris en affection pour l’amitié qu’il lui avait témoignée, — qui faillirent devenir de l’adoration, ce dont George Sand s’était tant soit peu moquée, quoique de son côté elle lui eût proposé pour lier connaissance, de se voir au jardin du Luxembourg et de « se deviner » (!) — dans une lettre à ce M. du Roure, George Sand écrit donc :

« Jeudi nous avons notre soirée avec Liszt au piano. Nourrit, etc. Vous entendrez de la belle musique et vous verrez de nobles figures. Vous viendrez vers dix heures et vous monterez à l’entresol où je demeure. Vous me ferez avertir par ma femme de chambre. Je descendrai du salon qui est au premier et je viendrai vous chercher, pour que vous ne tombiez pas là comme mars en carême. »

Non moins curieuse est sa lettre inédite du 31 octobre 1836 à un autre ami, M. Martineau-Deschenez :

« Cher Benjamin, envoie demain une redingote et un gilet à Mme d’A… Je ne sais pas trop ce qu’elle veut. Va la voir, elle demeure à l’étage au-dessus de moi. Elle te trouve l’air bon, je lui dis que tu en as l’air et la chanson. Elle est charmante à tous égards. Tu me remercieras de te l’avoir fait connaître… »

Déjà au printemps de cette même année de 1836, George Sand avait fait la connaissance de Lamartine et de Berryer chez Mme de Rochemure, mariée en premières noces au duc de Caylus, et qui habitait alors, au quai Malaquais, le même logement dont George Sand s’était fait un cabinet de travail au printemps de 1835, pendant que la maison était en réparation. À propos de Lamartine, elle écrivait à Liszt et à Mme d’Agoult : « J’ai fait connaissance avec lui. Il a été très bon pour moi. Nous avons fumé ensemble dans un salon qui est extrêmement bonne compagnie, mais où on me passe tous mes caprices ; il m’a donné de bon tabac et de mauvais vers. Je l’ai trouvé excellent homme, un peu maniéré et très vaniteux. J’ai fait aussi connaissance avec Berryer, qui m’a semblé beaucoup meilleur garçon, plus simple et plus franc, mais pas assez sérieux pour moi ; car je suis très sérieuse, malgré moi et sans qu’il y paraisse… » Mme de Rochemure, dame très aimable et très cultivée, avait en plus deux charmantes petites filles, ce qui fit que George Sand, qui se sentait toujours attirée par les enfants, se lia d’une étroite amitié avec la famille.

Dans l’hiver de 1836, George Sand fit aussi la connaissance de Chopin. C’est là un fait incontestable qui renverse complètement la légende très accréditée chez les biographes de Chopin et très répandue dans le public, d’après laquelle la première rencontre de George Sand et de Chopin n’aurait eu lieu qu’en 1837, à une soirée musicale chez la comtesse C***, ou à une matinée musicale chez le marquis C*** (dans les deux cas, il faut sous-entendre le marquis de Custine). Comme toute légende, celle-là aussi a des prétentions à la poésie. Nous y voyons apparaître un pressentiment mystérieux de Chopin, l’empêchant d’abord de se rendre à cette soirée, un temps gris et sombre, puis, comme contraste, un escalier brillamment éclairé et orné de magnifiques tapis, et une « ombre » passant tout à coup auprès de Chopin dans l’escalier ; on nous apprend même que cette ombre passait avec le frou-frou d’une robe de soie et laissait après elle un parfum de violette. Ensuite on nous montre une splendide salle de bal pleine de danseurs les plus élégants ; Chopin jouant dans l’un des entr’actes (on précise presque après quel quadrille) sa ballade les Adieux du Chevalier ; et l’apparition soudaine, dans l’embrasure d’une porte en face du piano, de Lélia — une grande (?) femme au teint olivâtre[518] ; puis le cœur du jeune musicien épris en coup de foudre ; la première longue conversation entre Chopin et Lélia sous les camélias d’une serre ; le mystérieux nombre 7 ne fait pas même défaut, ce nombre qui aurait toujours joué un grand rôle si fatal dans la vie de Chopin et surtout dans l’histoire de ses relations avec George Sand. « Celui qui termine le chiffre de 1837 quand ils se sont connus, et 1847 quand ils se sont quittés. »

Hélas, dans son livre, Niecks réfute, avec une froideur blessant les cœurs sensibles, les inventions poétiques de MM. L. Enault, Karasowski, Adolphe Gutmann, Franc-homme, von Flotow, Wodzinski, Mme Audley et tutti quanti qui ont, après eux, répété la fable. Niecks dit d’une manière absolument précise et catégorique qu’un jour, à Weimar, il avait prié Liszt de lui dire comment George Sand avait fait la connaissance de Chopin ; et que Liszt lui avait répondu que personne mieux que lui ne saurait là-dessus donner des renseignements exacts, puisque c’était lui qui les avait mis en présence l’un de l’autre ; que George Sand lui avait demandé d’amener Chopin chez elle, mais que celui-ci, qui n’aimait pas les « bas bleus », avait refusé, en prétextant qu’il ne savait pas leur parler ; que cependant, un beau matin, trouvant Chopin de bonne humeur et celui-ci l’ayant invité à venir faire de la musique chez lui, Liszt profita de l’occasion, et amena le soir George Sand avec Mme d’Agoult chez Chopin. La petite soirée intime réussit si bien qu’elle fut bientôt suivie d’autres. Chopin était devenu un habitué du petit salon de l’Hôtel de France et rendit aussi visite à George Sand. Liszt a raconté la même chose, et presque dans les mêmes termes dans son livre sur Chopin (p. 82-94[519]).

Tout cela confirme ce que George Sand nous dit dans l’Histoire de ma Vie, qu’elle avait fait la connaissance de Chopin par la comtesse d’Agoult et Liszt, et nous explique pourquoi celui-ci commence dans sa Vie de Chopin le chapitre sur George Sand par les mots : « En 1836, George Sand avait déjà écrit », etc. Il est fort probable que Chopin assista avec George Sand en 1837 à une soirée ou à une matinée musicale chez le marquis de Custine, mais il est incontestable aussi que ce n’était pas là leur première entrevue et qu’ils se connaissaient déjà depuis 1836, grâce à Liszt. Les pages poétiques souvent citées de son livre sur Chopin, dans lesquelles Liszt décrit les soirées musicales chez Chopin pour un petit cercle d’intimes et d’élus : George Sand, Meyerbeer, Heine, Mickiewicz, Niemcewiez, Lamennais, la comtesse d’Agoult, Liszt lui-même, et quelques autres amis, de même que les éloquentes pages de Heine écrites sous l’impression du jeu de Chopin[520] au printemps de 1837, se rapportent évidemment à ces soirées de l’hiver de 1836-1837.

Au commencement de janvier 1837, George Sand se rendit à Nohant avec sa fille et son fils, qu’il avait fallu, malgré la résistance qu’y opposait M. Dudevant, retirer du collège pour cause de maladie. La famille Fellows devait suivre à Nohant les Piffoëls.

Et comme Mme d’Agoult, à Genève et à Paris, avait tenu à bien recevoir et à bien loger George Sand, celle-ci de son côté se donnait toutes les peines pour installer dignement son élégante amie. Elle lui préparait d’avance sa chambre, la tendait de papier neuf, arrangeait et recollait un devant de cheminée, y suspendait même le portrait de la comtesse, symbolisant pour ainsi dire par là, qu’elle y était toujours présente, toujours souveraine. Mais une maladie de la comtesse avait beaucoup retardé l’arrivée des Fellows à Nohant. Liszt écrit à la châtelaine le 22 janvier :

« Marie est dans son lit depuis six jours, mon bon Piffoël ; — j’ai été deux fois à la diligence pour faire changer les places retenues. Elle se meurt d’envie de décamper de chez moi, où l’on est fort mal, comme vous savez. De plus, on est venu nous dire que vous étiez morte, ce qui serait grave, et depuis cette fatale nouvelle elle n’a ni trêve ni repos et veut à tout force partir pour s’assurer définitivement de votre décès. Probablement elle compte sur un brillant héritage.

« Plaisanteries à part, Marie ne pourra partir que d’ici à trois jours (mardi peut-être), ce qui donnera le temps à votre gibier de se faisander tout à l’aise[521]. Elle me charge de vous dire un million de belles choses, ce dont je suis fort embarrassé. Nous jasons constamment de l’ami Piffoël, et tous ceux qui n’admettent pas en principe que Piffoël est un être surhumain, indéfectible, quasi fabuleux, sont fort mal venus chez nous.

« Didier et Bignat[522] viennent de temps à autre. Je leur ai gagné 50 francs l’autre jour ; c’est presque la collection des œuvres de George Sand. Au revoir, à bientôt, mon bon Piffoël, aimez-moi toujours comme par le passé, je le vaux bien.

« F. L. »

Mme d’Agoult avait eu d’abord l’intention de passer tout le printemps à Nohant, mais Liszt qui, dès le commencement du séjour des Fellows à Nohant, n’avait pu y faire que de courtes apparitions, dut partir, pour n’y pas revenir de sitôt, dans les premiers jours de mars, afin de prendre part à différents concerts, entre autres à celui de Berlioz, à qui il avait antérieurement promis son concours.

Les nouvelles de ses éclatants triomphes à Paris, peut-être aussi le peu de goût de son amie pour la campagne, surtout dans la mauvaise saison, décidèrent alors la jeune mondaine, toujours trop avide de faste et de succès, et au fond toujours peu équilibrée, à quitter Nohant. Elle aspirait constamment aux grandes choses et ne savait jamais où elle était le mieux. Vers la fin de mars, elle partit pour Paris, en promettant de revenir chez son hôtesse dès que l’été apparaîtrait.

Nous savons déjà comment Georges Sand passa à la campagne cette fin d’hiver et le commencement du printemps de 1837. Le temps, relativement à la saison déjà avancée, était très froid et très morne. Maurice et Solange tombèrent malades de la variole, et cette maladie, généralement bénigne, fut si grave que l’on crut que c’était la véritable petite vérole noire. Cependant, il fallait que George Sand travaillât sans trêve. Elle avait promis depuis longtemps à Buloz un nouvel ouvrage de longue haleine pour remplacer Engelwald, roman en trois volumes in-8o, qu’elle avait écrit dans le courant de l’été 1836, et dont l’action se passait au Tyrol, quoique son héros, « Engelwald au front chauve » et aux idées républicaines les mieux conditionnées, ne fût rien autre, selon toute probabilité, que le portrait du vieux tribun berrichon. Tout le roman était, semble-t-il, tellement imprégné d’idées subversives que George Sand, pour ne pas indisposer ses juges contre elle, retarda pendant la durée de son procès, de livrer à l’impression ce roman, ce qui irrita beaucoup Buloz[523], — puis elle se décida à ne pas du tout publier cet ouvrage et à le brûler, soit à cause du changement qui commençait à s’opérer dans son amitié pour Michel, ou peut-être pour d’autres motifs d’un caractère plus intime. Par sa lettre inédite à Duteil du 11 novembre 1836, on voit que le manuscrit de ce roman existait encore à cette époque et se trouvait à Nohant, dans une des armoires à côté du « volume de Lélia » barbouillé de corrections et de ratures. Duteil était chargé d’envoyer les deux romans à Paris. Cette lettre prouve qu’Engelwvald ne fut brûlé que plus tard[524]. Quoi qu’il en soit, Buloz, qui avait payé d’avance, voulait qu’on s’acquittât envers lui, et George Sand se crut obligée de se livrer à un travail au-dessus de ses forces[525].

Et c’est ainsi que toute seule dans sa vaste et vieille maison, prêtant une oreille anxieuse, tantôt aux divagations de deux pauvres enfants en délire, tantôt aux hurlements du vent dans les cheminées, et au bruissement sec de la neige dans les branches des arbres dénués de leurs feuilles[526], cruellement torturée par la jalousie et par les doutes sur l’amour de Michel, George Sand mettait la dernière main à Mauprat. Ce roman commencé l’été précédent, immédiatement après la fin de son procès, devait proclamer le principe du vrai mariage chrétien indissoluble, reposant sur la constance de l’homme et la fidélité de la femme à leur amour unique, et la chasteté obligatoire pour l’un comme pour l’autre avant le mariage. Mais les nombreuses scènes tragiques et sombres de ce roman témoignent plutôt de l’humeur triste et morne de l’auteur au moment où elle écrivait son livre. Dans la Dédicace des Maîtres Mosaïstes, George Sand dit à Maurice D. : « Crois-tu donc, petit, que ton vieux père puisse avoir des idées riantes après un hiver si rude, après un printemps si pâle, si froid, si rhumatismal ? Quand le triste vent du nord gémit autour de nos vieux sapins, quand la grue jette son cri de détresse au son de l’Angelus qui salue l’aube terne et glacée, je ne puis rêver que de sang et de deuil. Les grands spectres verts dansent autour de ma lampe pâlissante et je me lève, inquiet, pour les écarter de ton lit… »

Mais tout prit bientôt une couleur plus riante. Le 1er} avril commença la publication de Mauprat, les enfants allaient mieux, les relations entre Mme Dudevant et Michel semblaient prendre une meilleure tournure, et bientôt sous le toit hospitalier de Nohant, pour la première fois depuis que George Sand y était la maîtresse absolue, on vit se réunir, les uns après les autres, de nombreux amis et connaissances, et le joyeux mois de mai trouva cette maison, peu auparavant si calme et si sombre — retentissante, de bruit, de musique, de conversations animées. L’un des premiers arrivés fut Eugène Pelletan[527], plus tard un écrivain célèbre, mais venu alors à Nohant pour y remplir le modeste emploi de précepteur du jeune Maurice. Arriva ensuite la famille des Fellows, Gustave de Gévaudan[528], Mallefille[529].

Michel venait aussi de temps à autre de Bourges, Alexandre Rey et l’acteur Bocage arrivèrent de Paris ; les frères Rollinat, dont la sœur Marie-Louise, dite Mlle Tempête, était alors l’institutrice de Solange, venaient de Châteauroux et séjournaient longuement, ainsi que les amis de La Châtre. George Sand invita également Chopin à venir la voir avec Grzymala, mais malgré tout le désir de Chopin de se rendre à son invitation, il paraît qu’en l’été de 1837 cette visite n’eut pas encore lieu[530].

La quatrième Lettre d’un Bachelier ès Musique à Pictet et la cinquième à L. de Ronchaud nous décrivent la vie que menait à Nohant, en cet été de 1837, le petit clan des élus, arrivés des quatre coins du monde. Dans la journée on faisait de grandes excursions à pied ou à cheval, on parlait philosophie et on discutait avec animation, on lisait les œuvres mystiques de Ballanche, les philosophes allemands, les pièces de Shakespeare, de Victor Hugo et de Schiller, mais surtout Hoffmann, et pendant les tièdes soirées estivales, lorsque la lune se mirait dans les grandes fenêtres du salon, que le parfum des roses et des tilleuls y pénétrait avec les chants des rossignols dont les plaintes amoureuses remplissaient tout le jardin, Liszt se mettait au piano dans la pénombre, sans autre lumière que celle de la lune et des étoiles, et tenait souvent ses auditeurs pendant de longues heures sous le charme de ses improvisations inspirées. Quand le piano se refermait, la petite société passait sur la terrasse sablée, et les causeries paisibles se prolongeaient souvent bien avant dans la nuit, causeries que George Sand reproduit dans les Avant-propos de ses Nouvelles vénitiennes, dont nous avons déjà parlé au chapitre IX. Parfois aussi, en ces douces soirées, les amis se taisaient soudain, jouissant en silence de la beauté des nuits étoilées.

Voici quelques extraits du Journal de Piffoël, dont nous avons déjà cité plusieurs fragments et qui nous peignent la vie à Nohant en 1837 :

« La chambre d’Arabella est au rez-de-chaussée sous la mienne. Là, est le beau piano de Franz. Au-dessous de la fenêtre d’où le rideau de verdure des tilleuls m’apparaît est la fenêtre d’où partent ces sons que l’univers voudrait entendre et qui ne font ici de jaloux que les rossignols. Artiste puissant, sublime dans les grandes choses, toujours supérieur dans les petites, triste pourtant, et rongé d’une plaie secrète. Homme heureux, aimé d’une femme belle, généreuse, intelligente et chaste, — que te faut-il misérable ingrat ! Ah ! si j’étais aimée, moi ! »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Quand Franz joue du piano, je suis soulagé. Toutes mes peines se poétisent, tous mes instincts s’exaltent. Il fait surtout vibrer la corde généreuse. Il attaque aussi la note colère, presque à l’unisson de mon énergie. Mais il n’attaque pas la note haineuse. Moi, la haine me dévore, la haine de quoi ? Mon Dieu ne trouverais-je jamais personne qui vaille la peine d’être haï ! faites-moi cette grâce, je ne vous demanderai plus de me faire trouver celui qui mériterait d’être aimé.

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« … J’aime ces phrases entrecoupées qu’il jette sur le piano et qui restent un pied en l’air, dansant dans l’espace comme des follets boiteux. Les feuilles des tilleuls se chargent d’achever la mélodie, tout bas, avec un chuchotement mystérieux, comme si elles contaient l’une à l’autre le secret de la nature. C’est peut-être un travail de composition qu’il essaye par fragments sur le piano ; à côté de lui est sa pipe, son papier réglé et ses plumes. Chaque fois qu’il a tracé sa pensée sur le papier, il la confie à la voix de son instrument, et cette voix la révèle à la nature attentive et recueillie. J’aimerais mieux croire qu’il se promène dans la chambre sans composer, livré à des pensées de tumulte et d’incertitude. Il me semble qu’en passant devant son piano, il doit jeter ces phrases capricieuses à son insu en obéissant à son instinct de sentiment plutôt qu’à un travail d’intelligence.. Mais ces mélodies rapides et impétueuses me font l’effet du craquement d’un navire battu par la tempête, et je sens mes entrailles se déchirer au souvenir de ce que j’ai souffert quand je vivais dans l’orage.

Blanche Arabella, je parlais de toi hier avec Alphonse, dans l’allée aromatique sous la clarté des brillantes étoiles, au vent frais de minuit. Qu’y a-t-il de plus beau sur la terre, lui disais-je, qu’une femme très forte, un peu brisée ? Le lys blanc dont la tige flexible s’incline au souffle de la brise est plus beau que le lys jeune dont la corolle orgueilleuse boit sans pâlir les ardents rayons du jour.

« Piffoël, pourquoi diable ne veux-tu pas baisser ta tête quand l’orage passe ? Pourquoi tes larmes sont-elles si âcres, et pourquoi faut-il que tu te brises sans avoir plié ? Tu veux, comme l’héliotrope, te tourner vers ton maître et le saluer volontairement dans sa gloire, mais si ton maître se voile et t’envoie la foudre, tu te dessèches et te romps, car tu ne veux pas fléchir… »

« 5 juin.

« Temps magnifique, beaucoup d’air, bruit mystérieux et mouvement plein de grâce sur les feuilles des tilleuls. On dirait les allures fières et gracieuses d’Arabella. Réveil stupide… Et ce maudit piano qui ne se réveille pas ! Que faire de moi-même ce matin ?… Dieu soit loué ! mon ami m’a entendu. Voici les premières mélodies de l’andante de la symphonie pastorale de Beethoven. Vraie musique d’été, Hoffmann a laissé, dans ses paperasses inédites, ses titres des chapitres de la fin de Kreyssler. Il y en a deux qui m’ont toujours singulièrement frappé : Son du Nord, Son du Midi. Je m’attache à pénétrer le sens de cette distinction de poésie musicale. Je la cherche dans la nature, dans les mélodies primitives que je combine ensuite avec des effets connus en musique et je suis sur la voie de trouver une définition claire et satisfaisante de ces dénominations mystérieuses. La pensée générale de Kreyssler à cet égard est intelligible au premier venu, mais il s’agit d’en faire une application sûre, de ne pas se perdre dans des aperçus purement poétiques et dans une interprétation vague comme l’est souvent le style d’Hoffmann lui-même, mais comme à coup sûr ne l’était pas sa pensée. Jamais esprit d’homme n’a pénétré plus franchement et plus nettement dans le monde des rêves, nul n’a marché avec plus de logique, de sens et de raison à travers les fantaisies de l’induction poétique, nul n’a moins cédé à son imagination. L’imagination était pourtant son élément vital, son monde réel, le champ de sa pensée. Si la phrénologie ne se trompe pas, il devait avoir pour faculté dominante la merveillosité. Mais quoi qu’on en ait dit… son esprit était parfaitement sain… et c’est au sang-froid qu’il conserve au milieu de ces visions qu’il faut attribuer le grand charme de ses compositions fantastiques. On y sent toujours (pour continuer à parler la langue ingénieuse de la métaphysique de Spurzheim) l’homme de causalité et d’éventualité gouvernant et dirigeant l’homme de merveillosité et d’idéalité…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Il n’a rien conçu au hasard, il n’a créé des êtres surnaturels qu’en outrant la réalité d’êtres très bien observés, il n’a fait intervenir le diable dans ses extases que comme un principe philosophique. En y songeant avec plus d’attention que le vulgaire ne croit devoir en accorder à des compositions de cette nature, on retrouve dans la réalité la plus naïve, dans l’observation la plus purement physique le principe de tous ses développements poétiques.

« Il en serait de même, sans aucun doute, pour les compositions musicales des grands maîtres. Toutes ont un sens traduisible à la pensée, car toutes ont été inspirées par des sentiments. C’est en vain que certains connaisseurs, se feignant ou se croyant au point de vue de la spécialité, affectent de railler l’interprétation morale et intellectuelle des combinaisons harmoniques et d’attribuer les puissants effets de ces combinaisons à des rapports purement imaginaires entre les sons et les images. Il y en a de si réels, de si palpables, pour ainsi dire, qu’il n’est pas impossible de les saisir, de les noter pour l’oreille de l’artiste, et même de les expliquer, de les traduire en langue vulgaire, de les faire comprendre au public. Mais ceci demanderait toute une vie de musicien et de poète. Un peu plus explicite, un peu plus riche en paroles, Hoffmann faisait ce grand progrès et popularisait l’exquisité des impressions poétiques dans la peinture et dans la musique… »

Comme ces pages résument bien la vie intellectuelle si intense, si complète, si bien remplie, coulant à larges flots qu’on menait alors à Nohant ! Tout s’y reflète : exquises impressions musicales, compréhension réciproque de deux natures artistiques, causeries philosophiques, lectures de Hoffmann et de Spurzheim et même les idées si chères de tout temps à Liszt, ou plutôt la grande idée à laquelle il n’avait pas hésité à donner « toute » sa vie de musicien » : l’explication « en langue vulgaire » des œuvres musicales, autrement dit : la musique à programme, dont ses Poèmes symphoniques présentent de si beaux spécimens.

Et voici encore une page du journal de Piffoël, mystérieusement fantastique comme une scène de Hoffmann, divinement belle, comme… comme George Sand seule en écrivait.

« Ce soir-là, pendant que Franz jouait les mélodies les plus fantastiques de Schubert, la princesse se promenait dans l’ombre autour de la terrasse : elle était vêtue d’une robe pâle, un grand voile blanc enveloppait sa tête et presque toute sa taille élancée. Elle marchait d’un pas mesuré qui semblait ne pas toucher le sable et décrivait un grand cercle coupé en deux par le rayon d’une lampe, autour de laquelle toutes les phalènes du jardin venaient danser des sarabandes délirantes. La lune se couchait derrière les grands tilleuls et dessinait dans l’air bleuâtre le spectre noir des sapins immobiles. Un calme profond régnait parmi les plantes, la brise était tombée, mourante, épuisée, sur les longues herbes au premiers accords de l’instrument sublime. Le rossignol luttait encore, mais d’une voix timide et pâmée. Il s’était approché dans les ténèbres du feuillage et plaçait son point d’orgue extatique, comme un excellent musicien qu’il est, dans le ton et dans la mesure.

Nous étions tous assis sur le perron, l’oreille attentive aux phrases tantôt charmantes, tantôt lugubres d’ « Erlkönig ». Engourdis comme toute la nature dans une morne béatitude, nous ne pouvions détourner nos regards du cercle magnétique tracé devant nous par la muette sybille au voile blanc. Elle se ralentit peu à peu, lorsque l’artiste passa par une suite de modulations étrangement tristes, à la tendre mélodie « Sey mir gegrüsst ». Alors sa démarche prit le milieu entre l’andante et le maestoso, et tous ses mouvements avaient tant de grâce et d’harmonie qu’on eût dit que les sons sortaient d’elle comme d’une lyre vivante. Lorsqu’elle traversait lentement le rayon de la lampe, son voile blanc dessinait sur le fond noir du tableau des contours fins et déliés, tandis que le reste flottait vague et vaporeux dans le mystère de la nuit ; puis elle approchait de nous comme si elle eût voulu se poser sur le lilas blanc, mais insaisissable comme les ombres, elle s’effaçait lentement. Elle ne semblait pas s’enfoncer sous les voûtes obscures du feuillage. L’obscurité semblait la prendre et l’entraîner dans ses profondeurs en épaississant autour d’elle des rideaux de ténèbres. Au bout de la terrasse, elle était à peine visible ; puis elle se perdait tout à fait dans le rayon de la lampe comme une création spontanée de la flamme. Puis, elle s’effaçait encore et flottait indécise et bleuâtre sur la clairière. Enfin, elle vint s’asseoir sur une branche flexible qui ne plia pas plus que si elle eût porté un fantôme. Alors, la musique cessa, comme si un lien mystérieux eût attaché la vie des sons à la vie de cette belle femme pâle, qui semblait prête à s’envoler vers les régions de l’intarissable harmonie. Elle se leva, glissa par un inexplicable mouvement d’ascension vers le haut du perron et disparut dans la salle ténébreuse. Un instant après, nous vîmes une vraie châtelaine du moyen âge traverser la salle voisine à la clarté des flambeaux. Sa chevelure blonde rayonnait comme une auréole d’or, et son voile blanc jeté sur ses épaules voltigeait comme un nuage dans ce mouvement rapide et léger de sa démarche impérieuse. Les doigts errants sur le piano firent silence. Les flambeaux s’éteignirent et la vision rentra dans la nuit… »

« C’étaient là — dit à son tour Liszt — trois mois d’une vie intellectuelle dont j’ai gardé religieusement les moments dans mon cœur. »

Mais alors que le poète et le musicien rêvaient en goûtant leur farniente, la blanche vision pensait souvent à des choses plus réelles. « C’est alors, dit encore Liszt, qu’apparaissait celle qui, comme le dit Obermann, « est digne de ne pas être nommée », et nous disait : « Il est temps de se mettre au travail, paresseux ! »… Le lecteur y reconnaît la comtesse, toujours préoccupée de son rôle de guide et d’inspiratrice de Liszt, toujours prête à l’encourager ou à le pousser au travail. Beaucoup de femmes considèrent ceci comme une preuve de leur influence « bienfaitrice et ennoblissante ». La comtesse arrachait donc assez prosaïquement le compositeur à ses rêves poétiques et le ramenait dans le monde de la réalité.

Et alors, plus tard, dans la nuit, lorsque tout le monde s’était retiré, Liszt et George Sand s’asseyaient à une même table pour travailler à la lumière de la même petite lampe : elle, mettant la dernière main à Mauprat et commençant immédiatement après la nouvelle qui devait compléter le volume — ce furent les Maîtres mosaïstes ; lui, assis vis-à-vis d’elle, travaillant à ses admirables « arrangements » pour le piano des symphonies de Beethoven, transcriptions qui n’étaient nullement des transpositions banales, mais de véritables « partitions pour piano » conservant la couleur et l’ampleur des partitions d’orchestre. C’est ainsi que, dans le courant de cet été, Liszt transcrivit la première symphonie, la seconde, la cinquième et la sixième, ou Pastorale :

« Je ne sais pourquoi, dit George Sand, dans sa préface des Mosaïstes, j’ai écrit peu de livres avec autant de plaisir que celui-là. C’était à la campagne, par un été aussi chaud que le climat de l’Italie que je venais de quitter. Jamais je n’ai vu autant de fleurs et d’oiseaux dans mon jardin. Liszt jouait du piano au rez-de-chaussée, et les rossignols, enivrés de musique et de soleil, s’égosillaient avec rage sur les lilas environnants. »

Et dans sa dédicace à Maurice D……, elle ajoute : « Je vais essayer de me rappeler une histoire de celles que l’abbé Panorio racontait à Beppa, du temps que j’étais à Venise… Un jour, à propos du Tintoret et du Titien, il nous raconta l’anecdote que je vais essayer de me rappeler, si la brise chaude qui fait onduler nos tilleuls, et l’alouette qui poursuit dans la nue son chant d’extase, ne sont pas interrompues par le vent d’orage, si la bouffée printanière qui entr’ouvre le calice de nos roses paresseuses, et qui me prend au cœur, daigne souffler sur nous jusqu’à demain matin. »

Et pour se convaincre que les mots jusqu’à demain matin ne sont pas de vaines paroles, mais la pure vérité, il n’y a qu’à voir les petits billets que l’auteur, en finissant son rude labeur d’écrivain au lever du soleil, laissait sur sa table de travail pour le petit Maurice avant d’aller se coucher, redevenant ainsi une tendre mère et une maîtresse de maison soucieuse du bien-être de son petit monde. Voici un de ces billets :

« Bon monsieur Piffoël, éveille-moi en même temps que Solange, et ensuite tu me réveilleras à midi et demi, à moins que le docteur ne vienne plus tôt ou quelque visite dans le genre de celle de ce matin, où tu as montré un si bon nez.

« Fais manger à Solange la viande qui est sur l’assiette et fais ton petit déjeuner maigre et bois de la tisane. Dormez bien, toi et ton chat. »

« 5 heures du matin. »

Mais, comme le fait remarquer Ramann, « on ne se contentait pas à Nohant de lire, de se promener, de faire de la musique, de rêver et de travailler, on y savait aussi badiner et rire ». Tantôt on y arrangeait des représentations et des charades improvisées, tantôt on se travestissait, ou bien, comme dans le bon vieux temps, George Sand s’amusait avec tous ses amis à mystifier quelqu’un. Nous avons déjà raconté comment, à l’aide de sa femme de chambre, on avait mystifié un avocat importun qui voulait interviewer l’illustre écrivain. Souvent la victime de ces mystifications était Gévaudan, et plus souvent encore Eugène Pelletan, Ces plaisanteries avaient même parfois une tournure assez baroque. En général, Pelletan, à ce qu’il paraît, n’eut pas de chance à Nohant. On ne sait pas au juste s’il avait parfois manqué de tact ou si une influence étrangère avait prévenu George Sand contre lui, toujours est-il qu’après les premières lettres fort gracieuses qu’elle lui écrivit au commencement de leurs relations[531] et qui témoignent combien elle fut portée à encourager les premiers essais de ce jeune talent en herbe, on est très étonné de trouver dans ses autres lettres adressées à des tiers, des expressions assez peu bienveillantes, allant même jusqu’au mépris, chaque fois, qu’il est question de Pelletan. Bien plus étrange encore est le fait suivant que nous ne nous croyons pas en droit de commenter ni de rattacher à quoi que ce soit. Un jour Pelletan écrivit à un ami, un certain Alfred Michiels[532], une lettre dans laquelle il semble qu’il se plaignait de George Sand. Comment et pour quel motif George Sand devina-t-elle ce que contenait la lettre, c’est ce que l’on ne peut savoir ; toujours est-il qu’elle décacheta la missive et ajouta quelques mots adressés à M. Michiels, et dont le sens est : je fais une chose absolument extravagante ; je décachette cette lettre ; mais j’étais sûre d’y trouver ce que j’y trouve et je tiens à vous en donner l’explication ; Pelletan a tort complètement, car voici ce qu’il a fait, jugez-en vous-même.

Il nous est impossible de faire connaître à nos lecteurs comment se terminèrent les relations de George Sand avec Pelletan. Une caricature du jeune Maurice Sand indique que plus tard Pelletan, lors d’une rencontre dans la rue avec son ex-élève, prétendit même ne pas le reconnaître. Tout ce que nous savons, c’est que Pelletan ne resta pas longtemps à Nohant ; avant la fin de l’été il se démit de ses fonctions de précepteur auprès du jeune Maurice. L’écho de ses relations avec le grand écrivain furent deux petits articles, dont l’un parut dans l’Artiste et est intitulé : George Sand (à propos de son roman « Simon » ). Dans l’autre intitulé « les Salons des écrivains célèbres », Pelletan consacre quelques lignes à l’intérieur de la grande romancière, comparé aux descriptions qu’il donne des logements d’autres célébrités de l’époque.

C’est ainsi que s’écoula l’été de 1837 ; gaîté et promenades dans la journée, travail, rêveries et musique dans la soirée. Tout semblait beau, joyeux, poétique. Et cependant ce n’était là qu’une apparence, la surface brillante d’un abîme qui cachait bien des choses fort loin d’être joyeuses ou même claires. L’amitié de George Sand pour Mme d’Agoult était pour elle à cette époque une source d’amers désenchantements, et le sentiment exalté qui avait dicté les confidences et les effusions poétiques de 1835 s’était déjà très modifié.

Laissons la parole à Lina Ramann dont nous avons, plus d’une fois déjà, cité les pages documentées, et qui analyse très finement la rupture qui commençait à se préparer et le refroidissement qui déjà se faisait sentir entre les deux femmes… « Tout ce qui pénétrait au dehors durant ce séjour à Nohant semblait beau, gai, poétique, mais tout ce qui s’y passait en réalité était loin d’être ensoleillé. Insensiblement, il s’éleva des dissonances entre la grande romancière française déjà célèbre et la comtesse avide de conquérir des lauriers, mais qui jusque-là n’avait d’autre titre de gloire, que celui d’être la maîtresse d’un grand virtuose. Bien des fois, il a été dit que la gloire de George Sand troublait le sommeil paisible de la comtesse, et il est évident que sans George Sand, il n’y eût pas eu de Nélida. En tout cas, ce fut à Nohant que les premières agitations se firent remarquer et que les relations amicales commencèrent à se troubler.

« Mais indépendamment de la jalousie, ces deux natures offraient de si grands contrastes qu’une harmonie de cœur ne put jamais exister entre elles. D’une part, George Sand, esprit profond et créateur, de l’autre, la comtesse d’Agoult, esprit éminent aussi, mais seulement résonnant au contact d’idées d’autrui (anempfindende). L’une, enfant de la nature, ne trouvait toutes ses aises que lorsqu’elle était en bottes et en blouse, ou montée sur un andalous fougueux et sans selle[533] ; l’autre, des pieds à la tête une grande dame de la vieille école française, ne se sentait bien que dans des robes de mille francs ; l’une, nature toute prime-sautière, l’autre, toujours réfléchie, pesant tous ses actes, ne faisant rien à la légère. Chez George Sand, la droiture personnifiée, tout se faisant à visage découvert, le mal et le bien ; la comtesse toujours voilée. Comment ces deux natures féminines eussent-elles pu sympathiser longtemps entre elles ? Les voiles de la comtesse mettaient George Sand hors d’elle-même et la menaient au cynisme ; le cynisme de George Sand portait la comtesse à l’hypocrisie, et comme la vue de cette enfant de la nature agaçait la grande dame, le cothurne de celle-ci ne pouvait qu’irriter l’enfant de la nature. Il y eut entre elles beaucoup de froissements, et quoique la seule cause en fût le contraste entre la nature toute nue de l’une et le fard de l’autre, Liszt eut bien des choses à aplanir et des réconciliations à amener. Lorsque arriva le moment de se séparer, les adieux se firent cependant en assez bonne entente. Ces relations moins bonnes qui finirent par amener une rupture définitive entre les deux femmes, ne restèrent point sans influence sur l’amitié de Liszt avec George Sand. À partir de ce moment leurs rapports cessèrent pour ainsi dire. Quoique Liszt dût, au fond de son âme, attribuer tous les torts à la comtesse, cependant lorsqu’il revenait à Paris, il se tenait, par délicatesse, éloigné de la romancière et lorsque, dans la suite, il ne se sentit plus astreint à tant de prudence, il ne put cependant se résoudre à aller la voir : « Je ne voulais pas « m’exposer à ses sottises, » disait-il dans la suite, et en effet Liszt ne retourna jamais à Nohant… » Nous verrons bientôt que les dernières assertions de Mme Ramann sont inexactes, mais, pour le moment, nous poursuivrons notre récit.

Liszt quitta Nohant avec la comtesse vers la fin de juillet et partit avec elle pour l’Italie. Les deux femmes se quittèrent avec la promesse de s’écrire comme par le passé, et celle de se retrouver un jour de nouveau ensemble, n’importe où, mais, en réalité, on était bien changé des deux côtés. Ni la comtesse d’Agoult, ni George Sand ne croyaient pas trop en leurs propres promesses ; elles avaient l’une pour l’autre

des yeux de critique, et les illusions d’autrefois avaient
fac-simile d’une page du journal de piffoel 12 Ce soir-là pendant que Franz jouait les mélodies les plus fantastiques de Schubert la princesse se promenait dans l’ombre autour de la terrasse ; elle était vêtue d’une robe pâle un grand voile blanc enveloppait sa tête et presque toute sa taille élancée. Elle marchait d’un pas mesuré qui semblait ne pas toucher le sable et décrivait un grand cercle coupé en deux par le rayon d’une lampe, autour de laquelle toutes les phalènes du jardin venaient danser des sarabandes délirantes. La lune se couchait derrière les grands tilleuls et dessinait dans l’air bleuâtre le spectre noir des sapins immobiles. Un calme profond régnait parmi les plantes, la brise était tombée, mourante, épuisée, sur les longues herbes au premiers accords de l’instrument sublime. Le rossignol luttait encore, mais d’une voix timide et pâmée. Il s’était approché dans les ténèbres du feuillage et plaçait son point d’orgue extatique comme un excellent musicien qu’il est dans le ton et dans la mesure. Nous étions tous assis sur le perron, l’oreille attentive aux phrases tantôt charmantes, tantôt lugubres d’Erlkönig. Engourdis comme toute la nature dans une morne béatitude, nous ne pouvions détourner nos regards du cercle magnétique tracé devant nous par la muette sybille au voile blanc. Elle se ralentit peu à peu, lorsque l’artiste passa »
fac-simile d’une page du journal de piffoel
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Ce soir-là pendant que Franz jouait les mélodies les plus fantastiques de Schubert la princesse se promenait dans l’ombre autour de la terrasse ; elle était vêtue d’une robe pâle un grand voile blanc enveloppait sa tête et presque toute sa taille élancée. Elle marchait d’un pas mesuré qui semblait ne pas toucher le sable et décrivait un grand cercle coupé en deux par le rayon d’une lampe, autour de laquelle toutes les phalènes du jardin venaient danser des sarabandes délirantes. La lune se couchait derrière les grands tilleuls et dessinait dans l’air bleuâtre le spectre noir des sapins immobiles. Un calme profond régnait parmi les plantes, la brise était tombée, mourante, épuisée, sur les longues herbes au premiers accords de l’instrument sublime. Le rossignol luttait encore, mais d’une voix timide et pâmée. Il s’était approché dans les ténèbres du feuillage et plaçait son point d’orgue extatique comme un excellent musicien qu’il est dans le ton et dans la mesure. Nous étions tous assis sur le perron, l’oreille attentive aux phrases tantôt charmantes, tantôt lugubres d’Erlkönig. Engourdis comme toute la nature dans une morne béatitude, nous ne pouvions détourner nos regards du cercle magnétique tracé devant nous par la muette sybille au voile blanc. Elle se ralentit peu à peu, lorsque l’artiste passa »
disparu. La correspondance recommença cependant, mais le

ton romanesque et enthousiaste d’autrefois n’y était plus ; la comtesse surtout se permettait de petits coups d’épingle et parfois des allusions à des sujets aussi délicats que la présence à Nohant de Mallefille, ou Chopin, qu’elle traitait toujours un peu ironiquement, tout en sachant que George Sand avait déjà pour lui une vive sympathie. George Sand, de son côté, disséquait, avec le sang-froid d’un critique, cette même comtesse aux cheveux d’or, à qui elle avait chanté des litanies dont le souvenir se retrouve dans la dédicace de Simon. Elle sentait et voyait clairement combien le joug amoureux pesait à Liszt, combien cette ambitieuse, avec ses lubies et ses prétentions, avec sa duplicité et son amour-propre excessif, était peu faite pour être la compagne du grand artiste ; et lorsque, au commencement de 1838, Balzac passa quelque temps à Nohant, George Sand lui communiqua avec la franchise d’un confrère, la précision et la couleur artistique d’un homme du métier, ses observations sur ce couple disparate, et conseilla au célèbre romancier de faire sur ce sujet un roman qu’il lui était peu commode de faire, à elle-même, et de l’intituler les Amours forcées ou les Galériens, car, Liszt et la comtesse lui apparaissaient bien comme deux forçats rivés à la même chaîne, et traînant le même boulet dont ils ne pouvaient se défaire.

Balzac ne donna pas ce titre à son roman, mais il donna bien, comme on le sait, dans sa Béatrix, les portraits de Liszt, de Mme d’Agoult, de Gustave Planche et de George Sand elle-même, ainsi que la peinture de sa vie quelque peu excentrique. Dans la correspondance inédite de Balzac avec George Sand, il y a une foule de détails fort curieux sur cet épisode, et dans les lettres de Balzac à l’« Étrangère », Mme Hanska, qui devint plus tard Mme de Balzac, publiées récemment, se trouve le récit fort intéressant du séjour de Balzac à Nohant en 1838 et des détails curieux sur George Sand. Notons en passant que le costume dans lequel, en arrivant, il trouva George Sand, est en tous points semblable à la toilette singulièrement curieuse, qui fit pousser des cris d’incrédulité à tant de lecteurs, dans laquelle apparaît Camille Maupin (c’est-à-dire Mlle des Touches) dans Béatrix. Ce n’est pas non plus sans malice que la comtesse d’Agoult est baptisée par Balzac du nom de « Béatrix », allusion mordante à son désir d’être, pour Liszt, ce que la Béatrice fut pour le Dante, rôle qui la préoccupait sans cesse et qui fit qu’une fois le grand pianiste répondit à une de ses sentences doctorales : « Bah Dante ! Bah Béatrix ! Ce sont les Dantes qui créent les Béatrices ; les vrais Béatrices meurent à dix-huit ans. »

Ainsi donc, au commencement de 1838, les relations entre George Sand et la comtesse d’Agoult s’étaient déjà sensiblement refroidies et à l’époque du voyage de George Sand à Majorque elles tournèrent au zéro, ce qu’il faut attribuer surtout à la circonstance que la vaniteuse comtesse, habituée aux triomphes et à l’admiration générale, ne pouvait pardonner à George Sand la victoire remportée sur Chopin. La jalousie rentrée de la comtesse (et cependant qui pouvait-elle envier, elle, la compagne d’un autre homme de génie ?) l’amenèrent à des piqûres et même à de mesquines cruautés. Puis, les potins de commères et d’amis indiscrets vinrent se mêler à l’affaire. Lamennais dit des mots blessants, qui furent rapportés. Mme Marliani voulut réparer les torts et les augmenta. Voici une lettre assez énigmatique de Liszt qui s’y rapporte :

« Cher George, mon prince vous est antipathique et l’exprincesse Mirabella vous paraît avoir manqué de goût. Était-ce en me choisissant ? Peut-être, mais n’importe. Crétin[534] a toujours été fort accommodant sur certains points. C’est lundi en huit que nous sommes convenus. J’irai chez Mme Marliani demain, il ne sera jamais question de mon illustre et épileptique ami entre elle et moi, je vous le promets. Mardi au plus tard, je viendrai frapper à votre porte. Bien à vous. — F. Liszt.

« Au risque de vous paraître insupportable, je ne puis pourtant pas vous faire grâce de deux cents mots en réponse à vos deux. À mardi donc. »

Enfin, la rupture définitive eut lieu en 1839. Il est vrai qu’en 1840, encore, les deux ex-amies se rencontrèrent et assistèrent même ensemble à la première représentation du drame de George Sand Cosima, nommé ainsi en l’honneur de la seconde fille de Liszt et de la comtesse, Cosima, qui fut d’abord mariée à Hans von Bulow et qui est maintenant Mme Richard Wagner. Plusieurs années plus tard, les deux romancières échangèrent encore des lettres. George Sand en écrivit une de condoléance à Mme d’Agoult qui venait de perdre sa fille, Mme Blandine Ollivier, et Mme d’Agoult envoya une lettre de félicitations à George Sand à l’occasion du mariage de Maurice Sand. Quelque temps avant cela la comtesse avait dédié son roman de Julien à George Sand, sans toutefois la nommer dans la dédicace. Elle parle encore longuement de son amie, comme on le sait, dans son Histoire de la Révolution de 1848. Leurs relations personnelles ne se renouvelèrent toutefois plus ; elles se rencontrèrent souvent plus tard chez M. et Mme de Girardin, mais continuèrent à se tenir à distance.

Nous regardons comme dépourvue de tout fondement l’assertion du marquis de Custine, désignant George Sand comme auteur de l’article paru dans la Revue des Deux Mondes, le 15 novembre 1840, sous le titre : Réplique à M. Liszt, servant de réponse à la Lettre de ce dernier parue dans le même journal et dans laquelle il réfutait les railleries de mauvais goût qu’un journaliste fit sur le sabre d’honneur, offert à Liszt, en janvier 1840, au nom de la nation hongroise. Nous ne croyons pas, disons-nous, que cette Réplique à Liszt soit due à la plume de George Sand ; nous ne pouvons l’admettre à aucun titre. La réponse de Liszt au persiflage du journaliste inconnu — qui demandait ironiquement à quoi pouvait servir le baudrier dont on l’avait si pompeusement ceint, à un musicien qui allait certainement se vanter de cet hommage, vraiment grandiose, et trop au-dessus des services qu’il avait pu rendre à sa patrie, « vu qu’il passait sa vie loin de la Hongrie », et que l’on ne pouvait pas mettre Liszt sur le même pied que les fils vraiment glorieux de ce pays, — cette réponse de Liszt, disons-nous, est vraiment sublime, pleine de calme, de dignité, et de la modestie d’un grand artiste conscient de son talent et de ses devoirs. Liszt y disait que ce n’était pas une récompense ni un cadeau, mais comme le memento de sa grande patrie, disant à l’un de ses enfants : « Sois digne de moi. » La Réplique à cette réponse, réplique attribuée à George Sand, est au contraire écrite par quelqu’un qui ne comprend rien aux grandes choses, qui s’en moque, fait de l’esprit, et s’efforce d’avilir et de rabaisser les sentiments et les convictions du grand artiste, qui ne prêtaient pourtant nullement à la moquerie. Nous nous refusons donc à croire que George Sand, eût-elle plus tard haï Liszt — ce qui ne fut jamais le cas — eût été capables d’écrire cet article complètement en désaccord avec son caractère, son style, son grand cœur, ses larges idées, et ses sympathies pour les nationalités opprimées.

Tout au contraire, après la rupture de Liszt avec la comtesse, George Sand et lui se revirent plusieurs fois et échangèrent des lettres amicales, ce qui réfute pleinement l’assertion de Ramann « qu’il ne se revirent plus ».

Voici quelques lettres peu connues de George Sand[535] et quelques lettres inédites de Liszt, écrites entre 1838 et 1844, qu’il est très curieux de lire les unes après les autres.

Voici d’abord une lettre de Liszt qui, à en juger par le papier et l’encre, doit avoir été envoyée à George Sand avec elle de la comtesse d’Agoult, datée du 4 mai 1838, peu après leur installation en Italie :

« Je ne sais pourquoi, mon bon George, nous sommes restés si longtemps sans nous écrire. Il n’y a pourtant guère (et il ne peut y avoir) de solution de continuité dans notre amitié. J’imagine même que les années s’amassant la rendront de plus en plus ferme et plus douce. Peut-être aussi le temps viendra-t-il enfin où je pourrai quelque chose pour vous, ainsi que je vous le disais dans ma naïve exaltation de vingt ans. En attendant, laissez-moi toujours vous aimer à ma manière, et penser et rêver silencieusement à vous, ma pauvre amie !

« La princesse vous a parlé sans doute de nos projets pour l’automne et l’hiver prochain. C’est chose tout à fait décidée que notre voyage à Constantinople ; je le désire beaucoup pour ma part, et la princesse ne demande pas mieux comme vous savez. Nous vous retrouverons donc probablement à Naples, à moins que vous ne soyez tentée d’être des nôtres et de faire la révérence au Grand Turc.

« À propos de Grand Turc, j’ai écrit deux mots à ma mère relativement à Bonnaire et Buloz. C’est une naïveté fort pardonnable de sa part, sans doute, mais enfin c’est une naïveté, et de plus une démarche parfaitement inutile de toutes façons, comme vous le dites fort bien. Je vous remercie de m’en avoir averti et je regrette seulement que vous n’ayez pas dit de suite franchement, et brutalement au besoin, toute la vérité à ma bonne mère, fort peu au courant de ces sortes d’affaires. Après votre lettre de Chamounix tout autre brevet d’immortalité ne serait qu’un pléonasme fastidieux dans la Revue des Deux Mondes.

« Quand vous viendrez en Italie, c’est moi qui vous ferai l’hospitalité de pipes, attendu que j’en ai rapporté une quinzaine de vieilles déjà et que je compte bien doubler à Constantinople. Je fume modérément depuis quelque temps : cela contribue peut-être à me faire trouver vos vieux livres (qui sont les seuls que je puis me procurer ici) encore plus beaux.

« Si Leroux et Quinet se souviennent encore de mon nom, rappelez-moi affectueusement à eux. Je les ai peu vus l’un et l’autre à mon grand regret. Je serai très heureux de les retrouver à Paris.

« Bonsoir, mon cher George. — Voici une lettre toute gribouillée selon ma louable habitude, mais il est très tard et je souffre beaucoup de la tête.

« Aimez-moi toujours un peu, et ne doutez point de moi.

« À vous,
« F. L. »

Voici un autre billet, probablement écrit au printemps de 1840, lorsque Liszt fit un court séjour à Paris, de passage pour Londres, et que George Sand s’y trouvait aussi pour assister aux répétitions de Cosima :

« Partirez-vous bientôt ? Vous savez que je viens de passer neuf jours dans mon lit et probablement, il ne me sera pas permis de sortir avant la fin de la semaine.

« Faites-moi savoir si vous êtes ici samedi, car je voudrais vous demander plusieurs choses, et surtout ne point quitter de nouveau Paris, pour deux ans peut-être, sans vous avoir revu.

« Bien à vous.
« F. Liszt.
« Mercredi. »

Et en 1841, George Sand lui écrit à son tour l’amicale épître que voici, parue dans le livre de La Mara, et que cette dernière rapporte à mars ou avril.


« Monsieur Liszt, rue et Hôtel d’Antin.
« Cher vieux,

« Je vous remercie de la pipe que vous m’annoncez et que je n’ai pas reçue. Je sais d’avance qu’elle sera charmante et, ne le fût-elle pas, elle ne me sera pas moins chère, venant de vous.

« Pourvu que vous ne veniez pas avant trois heures je vous recevrai toujours, sauf à vous faire attendre trois minutes pour sortir des limbes du sommeil où je suis encore quelquefois à cette heure-là. Chopin est malade aujourd’hui, et moi aussi, mais nous n’en sommes pas moins vivants pour vous aimer de cœur.

« G. Sand. »

Enfin voici trois lettres se rapportant à 1844, dont l’une est datée du 30 mai, et les deux autres furent bien sûr écrites un peu auparavant.

« Il m’a semblé que votre corbeille se fanait. Permettez-moi de la rafraîchir. Le langage des fleurs m’étant inconnu (en vertu de mon crétinisme qui va crescendo), je suis justifié à l’avance de tout logogriphe qui pourrait s’y trouver.

« À bientôt.

« Liszt. »

Elle répondit à ceci :

« Monsieur Liszt, Hôtel Byron, rue Laffitte.

« Mon cher ami, est-ce que vous auriez donc, à mon insu, quelque tort envers moi, que vous me faites tous ces logogriphes et cérémonies ? Je n’y comprends goutte et je compte bien que vous viendrez m’expliquer tout cela le plus tôt possible.

« Souvenez-vous seulement de mes habitudes de veille prolongée, de sommeil prolongé par conséquent, et ne venez pas me voir avant quatre heures. Le soir, tant que vous voudrez.

« À bientôt, j’espère.
« George. »


« Lundi. »

« Je n’étais rentré à Paris que pour quelques heures afin de ne pas faire manquer ce malheureux concert des aliénés à la suite duquel mon mal a redoublé. Le lendemain, je me suis traîné clopin-clopant, à la place d’Orléans[536] ; vous veniez de partir, mais en revenant, j’ai trouvé votre billet dont je vous remercie de tout cœur.

« Il me faudra une dizaine de jours de repos absolu pour me remettre, après je commencerai mon métier de commis voyageur en concert et tirerai à vue et à oreilles sur Lyon, Marseille et Bordeaux. Si, au mois d’août, vous étiez encore à Nohant, nous pourrions réaliser notre ancien projet de Festival à Châteauroux.

« En tout cas, à moins que Jeanny[537] ne lâche les chiens et les bêtes fauves des environs contre moi, je viendrai prendre congé de vous à Nohant, car je vous avouerai tout naïvement que j’ai grand désir de vous revoir encore avant de quitter la France pour plusieurs années probablement.

« Bien à vous de cœur.
« Liszt.

« Port Marty, 30 mai 44.

« P.-S. — Dites à Chopin la vive part que je prends à son chagrin[538]. »

Enfin nous trouvons dans le volume des lettres imprimées de Liszt une missive datée de Lisbonne. 1845, dans laquelle le grand pianiste raconte à George Sand sa rencontre avec leur ami d’autrefois, Blavoyer[539], et lui recommande une personne qu’il lui avait adressée, tout cela sur le ton le plus amical.

Ces lettres mettent à néant l’opinion soutenue par Mme Ramann, que Chopin nourrissait des sentiments hostiles envers Liszt par suite des mauvais rapports de ce dernier avec George Sand. Il est de toute évidence que dès le moment où Mme d’Agoult ne fut plus entre eux, les relations de George Sand avec Liszt s’améliorèrent aussitôt. Il n’y eut plus entre eux, il est vrai, la même intimité, mais l’ancienne admiration de Liszt pour George Sand, comme écrivain, ne subit jamais la moindre éclipse.

En 1842, il entreprit de composer un opéra sur Consuelo, et il suivait en général avec intérêt tout ce qui sortait de la plume de George Sand. Dans sa correspondance publiée, nous trouvons plus d’une fois des passages sur les œuvres de George Sand (entre autres sur l’Histoire de ma Vie) ou sur sa Correspondance. Il analyse d’une manière très détaillée toutes les lettres qui l’ont frappé ou qui lui ont le mieux plu[540]. Bien plus intéressante encore est l’influence immédiate qu’exerça sur Liszt notre grand écrivain, ce qui est par exemple très visible dans l’avant-propos littéraire du poème symphonique de Liszt : « Héroïde funèbre. » Cet avant-propos est la répétition presque textuelle d’une page bizarre et fantastique des Sept cordes de la lyre, et c’est ce qui nous porte à analyser ici ce livre, quoiqu’il n’ait paru qu’en 1839.

Il est fort douteux qu’un lecteur de nos jours lise jamais cette œuvre, et l’on peut dire que presque aucun des admirateurs de George Sand ne la connaît ou ne s’en souvient. Quant aux critiques, ils la passent tout à fait sous silence, ou se bornent, en en parlant, à quelques lignes dans le genre des courtes phrases suivantes qu’en dit, par exemple, M. d’Haussonville : « : Parmi les ouvrages de George Sand, il y a une œuvre qui ressemble à un drame fantastique, intitulée : les Sept cordes de la lyre. Son talent à elle n’était-il pas aussi une lyre à sept cordes dont chacune rendait un son différent, mais qui résonnaient toutes à l’unisson ? » Et après avoir appelé George Sand l’arrière-petite-fille de cette Diotime de Mantinée, que Platon avait admise à son banquet, et qui s’écriait : « Ô mon cher Socrate, la vie n’a de prix et n’est belle qu’autant que nous contemplons la beauté éternelle », cet auteur ajoute que « dans toutes les œuvres de George Sand on sent le vol de son imagination et une tendance vers la beauté éternelle ». Et voilà tout. C’est pourquoi nous nous permettons de raconter d’une manière plus détaillée le sujet de cette fantaisie ou de cette allégorie, dont il serait difficile de préciser l’idée générale, à moins de la comprendre de la manière suivante : L’esprit humain, pour être complet, pour s’approcher du Créateur et pour pénétrer l’harmonie de la création, doit vibrer de toutes ses cordes qui sont : la foi, l’amour, l’art, la contemplation, etc., etc. Privé de l’une de ces cordes, l’esprit est incomplet et ne peut saisir ni l’Harmonie sublime, ni la Beauté suprême. Cette idée fut donnée à George Sand par Michel, car on trouve parmi ses papiers intimes une petite feuille sur laquelle sont dessinées deux lyres, l’une, assez correctement faite, ne porte aucune inscription, l’autre, très mal dessinée à la plume, porte au bas : La lyre de George Sand d’après le plan de son ami Evrard (sic). Nohant, le 11 août 1835. Et sur ses cordes on lit les inscriptions suivantes :


    La Paix, les sciences, l’agriculture,
    La Guerre ou la Liberté et la Tyrannie.
    Les Douleurs ou la Mort, le crime.
    Les Joies, ou la croyance, les martyrs, la Vertu.
    Évocations Les Tombeaux.

L’Amour ou les éléments : le soleil, le ciel, la terre,

l’eau, le feu.

Dieu, ou la prière, et l’Adoration.

Ce canevas a servi à George Sand pour écrire son livre curieux, où la thèse est développée en sens inverse. Un philosophe, maître Albertus, qui, selon l’auteur, paraît vivre dans notre siècle, mais qui, en réalité, vit hors du temps et de l’espace, élève une jeune fille, confiée à ses soins, Hélène, enfant de son vieil ami, fabricant d’instruments de musique, Meinbacker, qui ne lui avait laissé en héritage que des dettes et une mystérieuse lyre à sept cordes. Hélène s’occupe de philosophie chez Albertus, comme les autres disciples de ce maître : Hans, Karl, Wilhelm, etc., dont chacun personnifie une certaine tendance de l’esprit humain. Pourtant Hélène fait de médiocres progrès en philosophie. Elle est attirée vers la poésie et vers la musique, arts qui lui sont défendus, dans la crainte qu’ils ne troublent sa raison, car on avait précédemment remarqué que la musique provoquait chez Hélène des extases qui ressemblaient à de la folie ou au somnambulisme. Ce n’était toutefois rien moins que les manifestations chez elle du génie musical, incomprises par son entourage. Or, la lyre à sept cordes n’est pas un instrument ordinaire. Elle a été faite de temps immémorial, par un certain Adelsfreit, ancêtre du vieux Meinbacker, et elle porte, gravés, ces mots mystérieux :

    À qui vierge me gardera
        La richesse,
    À qui bien parler me fera
        La sagesse.
    À quiconque me violera
        La folie
    Et, sil me brise, il le paira
        De sa vie.

Notre vieil ami Méphistophélès se mêle de l’affaire. Il veut se rendre maître de la lyre, afin de perdre l’esprit de la lyre, qui ne doit être délivré que par l’amour sublime d’une vierge. Pour atteindre son but, Méphistophélès essaie d’abord de briser la lyre. Sous la figure du juif Jonathas Taer, l’un des créanciers de feu Meinbacker, il amène chez Albertus toute une foule d’acheteurs : un poète, un compositeur, un peintre et un critique. La force mystérieuse de la lyre leur fait à l’un après l’autre, perdre la tête, leur inspire la manie des grandeurs, leur fait dévoiler toute la bassesse de leurs âmes jalouses et mesquines ; et c’est alors que soit en raisonnements calmes, soit en divagations absurdes, ils dévoilent et montrent à nu leurs véritables caractères. Ils n’entendent rien à ce qui sort de la sphère de leurs étroites spécialités et comprennent même fort peu cette seule spécialité. Chacun de ces gens du métier se figure être un génie, et ne reconnaît dans les autres que de médiocres artistes.

Les projets de Méphistophélès échouent ; la lyre reste intacte. Alors il met en jeu Albertus lui-même. Il lui suscite d’un côté la soif de tout connaître, de tout comprendre, comme celle qui torturait Faust, et de l’autre, il éveille dans son cœur un violent amour pour Hélène. Poursuivant toujours son but, Méphistophélès suggère à Albertus l’idée de briser l’une après l’autre les cordes de la lyre, car, entre temps, voici ce qui était arrivé : Hélène ayant réussi à s’emparer de la lyre, était tombée en extase ; même par son extérieur, elle ressemblait à une prophétesse, on eût dit un être surhumain. C’est avec sa chevelure surtout que se passaient des choses absolument surnaturelles.

Hanz. — « Voyez, maître, ceci tient du prodige, les rubans de sa coiffure se brisent et tombent à ses pieds. » (Pour prodige, cela en est sûrement un !) — « Sa chevelure semble s’animer comme si un souffle magique la dégageait de ses liens brillants, pour la séparer sur son front et la répandre en flots d’or sur ses épaules de neige. Oui, voilà ses cheveux qui se roulent en anneaux libres et puissants comme ceux d’une jeune enfant qui court aux vents du matin. » — (C’est à faire enrager tous les coiffeurs !). — « Ils rayonnent, ils flamboient, ils ruissellent sur son beau corps comme une cascade embrasée des feux du soleil. Ô Hélène, que vous êtes belle ainsi ! Mais vous ne m’entendez pas !

Albertus. — Hanz, mon fils, ne la regarde pas trop. Il y a dans la vie humaine des mystères que nous n’avons pas encore abordés et que je ne soupçonnais pas, il y a un instant.

Hélène. — (Elle soutient la lyre d’une main et élève l’autre vers le ciel.) Voici ! le mystère s’accomplit. La vie est courte, mais elle est pleine ! L’homme n’a qu’un jour, mais ce jour est l’aurore de l’éternité ! (La lyre résonne magnifiquement.)

Hanz. — Ô muse, ô belle inspirée… »

Entrée en relation directe avec l’esprit de la lyre, Hélène passe des heures entières en improvisations exaltées ; elle comprend tout ce que l’esprit de la lyre lui dit, et la lyre résonne alors d’elle-même sans que la jeune fille y touche, mais les hommes n’entendent que les réponses d’Hélène aux paroles de l’esprit, ils entendent sa musique. (Quelle allégorie !) Albertus ne comprend ni ce qui se passe en Hélène, ni son langage, et, poussé par Méphistophélès, il brise d’abord les deux premières cordes de la lyre, les cordes d’or : celles de la foi et de la contemplation de l’infini. Il brise ensuite les deux cordes suivantes, les cordes d’argent : celles de l’espérance et de la contemplation du beau ! Peu à peu il commence à mieux comprendre Hélène, mais craignant de nouveaux accès de sa folie, il lui cache la lyre. La jeune fille tombe alors dans une folie plus grande encore, et, cherchant partout sa lyre, elle parvient au faîte de la flèche de la cathédrale où Albertus la suit. Il tient la lyre sous son manteau, mais au lieu de la rendre simplement à Hélène, il engage avec elle le dialogue suivant :

Albertus. — « Arrêtons-nous sur cette terrasse, mon enfant, cette rapide montée a dû épuiser tes forces.

Hélène. — Non, je peux monter plus haut, toujours plus haut.

Albertus. — Tu ne peux monter sur la flèche de la cathédrale… L’escalier est dangereux, et l’air vif qui souffle ici est déjà assez excitant pour toi.

Hélène. — Je veux monter, monter[541], toujours, monter jusqu’à ce que je retrouve la lyre. Un méchant esprit l’a enlevée et l’a portée sur la pointe de la flèche. Il l’a déposée dans les bras de l’archange d’or qui brille au soleil. J’irai la chercher, je ne crains rien. La lyre m’appelle. (Elle veut s’élancer sur l’escalier de la flèche.)

Albertus, la retenant. — Arrête, ma chère Hélène ! Ton délire t’abuse. La lyre n’a point été enlevée. C’est moi qui, pour t’empêcher d’en jouer, l’ai ôtée de dessous ton chevet. Mais reviens à la maison, et je te la rendrai.

Hélène. — Non, non, vous me trompez. Vous vous entendez avec le Juif Jonathas pour tourmenter la lyre et me donner la mort. Le Juif l’a portée là-haut. J’irai la reprendre ; suivez-moi si vous l’osez. (Elle commence à gravir l’escalier.)

Albertus (lui montrant la lyre qu’il tenait sous son manteau). — Hélène, Hélène, la voici, regarde-la ! Reviens, au nom du ciel ! Je t’en laisserai jouer tant ce que tu voudras. Mais redescends ces marches, ou tu vas périr !

Hélène, s’arrêtant. — Donnez-moi la lyre et ne craignez-rien.

Albertus. — Non, je te la donnerai ici. Reviens. Ô ciel ! Je n’ose m’élancer après elle. Je crains qu’en se hâtant, ou en cherchant à se débattre, elle ne se précipite au bas de la tour.

Hélène. — Maître, étendez le bras et donnez-moi la lyre, ou je ne redescendrai jamais cet escalier.

Albertus, lui tendant la lyre. — Tiens, tiens, Hélène, prends-la. Et maintenant, appuie-toi sur mon bras, descends avec précaution. (Hélène saisit la lyre et monte rapidement l’escalier jusqu’au sommet de la flèche.)… »

Elle s’assied auprès de l’archange de bronze, et voyant devant elle l’immense ville pleine de vie et fourmillant d’hommes, elle se met à improviser sur les souffrances et les malheurs de l’humanité. Cependant Hans, qui veut la suivre, grimpe de l’autre côté de l’archange pour soutenir Hélène si la tête venait à lui tourner — ce qui ne serait nullement étonnant sur une estrade de concert aussi élevée. Hélène termine cependant sans accident son entretien avec l’esprit de la lyre ; elle cause maintenant avec lui sur les cordes d’acier et comme ces cordes ne parlent plus de choses inaccessibles aux hommes, mais leur dépeignent bien les gloires et les malheurs du genre humain, alors Hanz et Albertus peuvent comprendre Hélène.

Hélène. — Ô esprit, où m’as-tu conduite ? Pourquoi m’as-tu enchaînée à cette place pour me forcer à voir et à entendre ce qui remplit mes yeux de pleurs et mon cœur d’amertume ? Je ne vois au-dessous de moi que les abîmes incommensurables du désespoir ; je n’entends que les hurlements d’une douleur sans ressource et sans fin ! Ce monde est-ce une mare de sang, un océan de larmes ! Ce n’est pas une ville que je vois ! J’en vois dix, j’en vois cent, j’en vois mille, je vois toutes les cités de la terre. Ce n’est pas une seule province, c’est une contrée, c’est un continent, c’est un monde, c’est la terre tout entière que je vois souffrir et que j’entends sangloter ! Partout des cadavres et autour d’eux des sanglots. Mon Dieu ! que de cadavres ! mon Dieu ! que de sanglots ! Oh ! que de moribonds livides couchés sur une paille infecte ! oh ! que de criminels et d’innocents agonisant pêle-mêle sur la pierre humide des cachots ! oh ! que d’infortunés brisés sous des fardeaux pesants ou courbés sur un travail ingrat ! Je vois des enfants qui naissent dans la fange, des hommes en manteaux de pourpre et d’hermine tout souillés de fange, des peuples entiers couchés dans la fange ! La terre n’est qu’une masse de fange labourée par des fleuves de sang. Je vois des champs de bataille tout couverts de cadavres fumants et de membres épars qui palpitent encore ; j’en vois d’autres où s’élancent des bataillons poudreux, au son des fanfares guerrières. Je vois les armes reluire au soleil ; j’entends bien les chants de l’espoir et du triomphe ; mais j’entends aussi les gémissements des blessés, les derniers soupirs des mourants que brisent les pieds des chevaux. J’entends aussi le cri des vautours et des corbeaux qui marchent derrière les armées, et l’air est obscurci de leur vol sinistre ; eux seuls seront les vainqueurs ! Eux seuls entonneront ce soir l’hymne de triomphe en enfonçant leurs ongles ensanglantés dans la chair des victimes… »

Les épreuves de l’esprit de la lyre touchent à leur fin. Hélène, en proie au désespoir, en voyant les misères humaines, les souffrances des pauvres martyrs et la cruauté des persécuteurs qui s’intitulent la fleur et le couronnement de la création, jette la lyre du haut de la tour. Il semblerait que le conte est fini. Mais non, Méphistophélès se saisit de la lyre et la remet à la servante d’Albertus, qui passe justement à ce moment, et la lyre est restituée dans le cabinet du savant docteur. La lyre ne garde plus qu’une corde, celle d’airain, qui parle aux hommes par l’amour. C’est alors seulement qu’Albertus comprend le langage de l’esprit de la lyre, et cet esprit devient enfin libre, mais Hélène, qui s’était éprise de lui, meurt en brisant la dernière corde et son âme unie à celle de l’esprit de la lyre, saluée par la foule des frères célestes, est emportée par eux dans l’espace éthéré ou plutôt sur la blanche étoile de Véga, dans la constellation de la Lyre !!

Albertus, qui a enfin compris le sens suprême et l’harmonie des choses créées, se réconcilie avec la vie, et, s’adressant à ses disciples, leur dit : « Mes enfants, l’orage a éclaté, mais le temps est serein ; mes pleurs ont coulé, mais mon front est calme : la lyre est brisée, mais l’harmonie a passé dans mon âme. Allons travailler. »

Nous devons avouer qu’il nous a fallu du courage pour lire cette œuvre nébuleuse et emphatique, quoiqu’on y trouve des pages sublimes de poésie, et d’autres pleines d’humour et d’observations fines et profondes, mais on peut dire que la forme en est aujourd’hui quasi insupportable ; le tout est tellement monté sur des échasses mystiques et allégoriques, que cela amène souvent le sourire sur les lèvres. Telle, par exemple, la scène sur la flèche de la cathédrale, que nous venons de citer, et qui est tout simplement burlesque par son romantisme exagéré — paraissant presque une charge. Elle ne peut provoquer chez le lecteur qu’un rire irrésistible à l’instar de la si célèbre et si comiquement emphatique scène sur la tour du « Constructeur de Solness » de Ibsen (que l’on nous pardonne cette hérésie.)

Les lignes suivantes tirées d’un prétendu chant slave Les cœurs Résignés (?) de Gryzmala, servent d’épigraphe à cette œuvre fantastique :

« Eugène, souvenez-vous de ce jour de soleil où nous écoutions le fils de la Lyre, et où nous avions surpris les sept Esprits de la Lumière s’élançant dans une danse sacrée au chant des sept Esprits de l’Harmonie. Comme ils semblaient heureux ! »

Cette poésie prétendue nationale ressemble si peu à un chant national quelconque, que nous ne pouvons comprendre d’où Grzymala l’a tirée. Et si George Sand a cru y voir vraiment un chant slave, elle s’est fourvoyée elle-même ou a été mystifiée par l’écrivain qui ne se rendait pas assez compte de ce qu’est la poésie populaire ; ou peut-être encore a-t-il voulu mystifier ses bénévoles lecteurs à l’instar de Mérimée avec sa Guzla ; mais malheureusement il ne sut pas imiter le ton des chansons nationales. C’est aussi faux de ton que toute cette œuvre de George Sand est ennuyeuse. Il n’en est pourtant pas de même de toutes ses parties. Quelle belle scène, par exemple que celle de la rencontre des critiques ! Rien n’y est faux ni imité, et il suffirait de lire quelque article de critique, contemporain de George Sand, par exemple ce qui a été dit en 1838, dans la France musicale, par un certain cuistre musical, sur l’impromptu en la bémol majeur de Chopin, pour comprendre que cette scène est sortie d’un seul jet de la plume de George Sand. Elle se trouvait d’une part, sous l’impression de ce qu’un grand artiste, comme Chopin, se tenant à l’écart de toute polémique et de toute lutte, avait à souffrir de pareils éreintements, et, d’autre part, elle subissait l’ascendant de Liszt, toujours avide de combattre, s’élançant, indigné, au-devant des ennemis, à la vue des banalités du public et des idées rétrogrades de messieurs les critiques. Chacun des représentants des quatre spécialités est un type si parfaitement accompli que chacun de nous peut remplacer par des noms propres ces quatre indications : le poëte, le compositeur, le critique, le peintre, et nommer bon nombre de médiocrités contemporaines qui s’acharnent, dans leur étroitesse bornée, à injurier tous ceux qui ne sont pas de leur coterie, sans voir pour cela, même dans leur spécialité, plus loin que leur nez.

Tout aussi charmantes sont les autres scènes secondaires où apparaissent les simples bons citoyens, qui servent de repoussoirs à la sublime Hélène et au non moins sublime Albertus. Leur banalité, leur mesquinerie, leur inertie d’esprit, leurs bavardages insipides sur des choses auxquelles ils n’entendent rien, tout cela est rendu d’une manière inimitable.

Reconnaissons aussi, quoi que nous en ayons dit, que l’improvisation d’Hélène et son entretien, au sommet de la flèche, avec l’esprit de la lyre sur la grandeur et les souffrances de l’humanité, sont empreints d’une vraie poésie et pénétrés, comme toutes les pages de ce genre de George Sand, d’une pitié profonde et ardente.

C’est justement ici le lieu de citer le fragment que nous avons déjà mentionné, c’est-à-dire la Préface de Liszt pour son poème symphonique : L’Héroïde funèbre, le seul épisode conservé de la Symphonie révolutionnaire et qui a paru après 1850. Tout comme George Sand par la bouche d’Hélène, Liszt y dit que tout progrès de l’humanité est acheté au prix du sang, des douleurs sans nombre, des pleurs et des gémissements, et que souvent, au milieu de cette mer de larmes et de sang, on ne voit pas même les résultats grandioses auxquels tendent les efforts des hommes.

« … Dans cette perpétuelle transformation d’objets et d’impressions, il en est qui survivent à tous les changements, à toutes les mutations, et dont la nature est invariable. Telle entre autres et surtout la Douleur, dont nous contemplons la morne présence, toujours avec le même pâle recueillement, la même terreur secrète, le même respect sympathique et la même frémissante abstraction, soit qu’elle visite les bons ou les méchants, les vaincus ou les vainqueurs, les sages ou les insensés, les forts ou les faibles. Quel que soit le cœur et le sol sur lesquels elle étend sa végétation funeste et vénéneuse, quelle que soit son extraction et son origine, sitôt qu’elle grandit de toute sa hauteur, elle nous paraît auguste, elle impose la révérence. Sorties de deux camps ennemis, et fumantes encore d’un sang fraîchement versé, les douleurs se reconnaissent pour sœurs, car elles sont les fatidiques faucheuses de tous les orgueils, les grandes niveleuses de toutes les destinées. Tout peut changer dans les sociétés humaines, mœurs et cultes, lois et idées ; la Douleur reste une même chose ; elle reste ce qu’elle a été depuis le commencement des temps. Les empires croulent, les civilisations s’effacent, la science conquiert des mondes, l’intelligence humaine luit d’une lumière toujours plus intense ; rien ne fait pâlir son intensité, rien ne la déplace du siège où elle règne en notre âme, rien ne l’expulse de ses privilèges de primogéniture, rien ne modifie sa solennelle et inexorable suprématie. Ses larmes sont toujours de la même eau amère et brûlante ; ses sanglots sont toujours modulés sur les mêmes notes stridentes et lamentables ; ses défaillances se perpétuent avec une intolérable monotonie ; sa veine noire court à travers chaque cœur et son dard brûlant contagie chaque âme de quelque incurable blessure, son étendard funéraire flotte sur tous les temps et tous les lieux… Sur ce seuil tranchant que tout événement sanglant bâtit entre le passé et l’avenir, les souffrances, les angoisses, les regrets, les funérailles se ressemblent partout et toujours. Partout et toujours on entend sous les fanfares de la victoire, un sourd accompagnement de râles et de gémissements, d’oraisons et de blasphèmes, de soupirs et d’adieux, et l’on pourrait croire que l’homme ne revêt de manteau de triomphe, et des habits de fête, que pour cacher un deuil qu’il ne saurait dépouiller, comme s’il était un invisible épidémie… »

Il est de toute évidence que cet hymne grandiose de la Douleur est une paraphrase de l’entretien d’Hélène avec l’esprit de la lyre[542].

D’un autre côté, la onzième Lettre d’un voyageur (à Meyerbeer) pourrait être facilement prise pour un article de Liszt lui-même, tant ce sont ses idées à lui, sa manière de voir, son ton, son style. Dans ce compte rendu enthousiaste des opéras de Meyerbeer, George Sand salue chaleureusement les voies nouvelles dans lesquelles est entré le jeune compositeur et les buts nouveaux vers lesquels l’artiste semblait vouloir marcher. — (Ainsi, par exemple, dans les Huguenots, il a tenté de peindre les sentiments collectifs des masses, la lutte de deux principes religieux et la personnification de la fermeté démocratique et du courage protestant en la personne de Marcel.) La onzième Lettre d’un voyageur, dans son ensemble comme dans ses détails, porte plus que l’empreinte des idées du grand artiste qui, en l’été de 1837, avait soufflé à George Sand les pages citées plus haut sur l’explication de la musique par la parole, sur Hoffmann, les Sons du Midi et les Sons du Nord, etc. Ainsi, l’auteur y parle des insupportables cadences italiennes, des finale surannés et d’autres procédés passés de temps, auxquels Liszt faisait alors la guerre en pratique comme en théorie. Cette épître est comme une exposition, comme une paraphrase de l’article de Liszt lui-même sur les Huguenots[543].

N’est-il pas curieux aussi de noter que sur la première feuille du carnet donné par Liszt à George Sand à Genève, en 1836, et portant l’inscription « Fellow à Piffoël », on lit : « Le 2e volume de l’exposition de la doctrine de Saint-Simon. Il n’a été donné qu’en feuilles à une cinquantaine de membres de la famille. Au besoin, le faire copier… » On devine très aisément quel était celui qui tenait alors George Sand au courant des choses saint-simoniennes et qui la renseignaient sur la doctrine.

N’est-il pas intéressant à constater encore qu’en 1841, lorsque George Sand écrivait sa Consuelo — qui est comme la personnification en un seul type de Pauline Viardot, de Nourrit si plein de piété pour son art, de Liszt lui-même, et des idées des Saint-Simoniens sur la vocation de l’artiste, — et que cette héroïne de roman se faisait membre d’une loge de francs-maçons et y jouait un grand rôle, poussée par sa pitié ardente pour l’humanité et le désir de la servir de quelque manière que ce fût, que Liszt était à ce même moment devenu membre de la loge maçonnique de l’Union ?

Plus tard, en 1861, Liszt entrait chez les frères Tertiaires de l’ordre religieux de Saint-François d’Assises, c’est-à-dire qu’il faisait partie des frères laïques, qui, tout en suivant leur vocation séculière et vivant dans le monde, acceptent néanmoins tous les devoirs et jouissent de tous les droits de l’ordre. Le biographe de Liszt voit avec raison une seule et même évolution ininterrompue, une progression toute logique dans l’enthousiasme de Liszt, en 1831, pour le Saint-Simonisme, dans son entrée chez les francs-maçons en 1841, et dans son adhésion en 1861 à l’œuvre de Saint-François. Tout cela est l’expression symbolique et tout à la fois la confirmation extérieure de ses idées et de ses sentiments chrétiens, qui dès son enfance se manifestèrent chez lui.

Cette pitié chrétienne se mariait en lui avec la même conviction profonde de la vocation divine de l’artiste, qui remplissait l’âme de Consuelo, et avec la croyance de la nécessité pour un véritable artiste d’élever constamment son moi humain, afin d’être un digne gardien du génie émané de Dieu et de ne pas le rabaisser. Quelles belles, quelles sublimes idées, et quel bonheur pour George Sand d’avoir rencontré sur son chemin, après les orageuses épreuves de sa vie personnelle, après les prédications négatives et désordonnées de Michel, un artiste qui adorait son art avec tant de conscience !

On dit ordinairement que les Sept Cordes de la Lyre ont été écrites sous l’influence des idées philosophiques de Pierre Leroux ; nous venons de donner une preuve irrécusable que cette œuvre fantastique est née d’une pensée de Michel jetée au hasard. Mais elle est, en même temps, éclose sous l’influence des idées philosophiques et artistiques de Liszt, de Pictet, de Nourrit, de Grzymala, de Chopin, c’est-à-dire qu’elle fut l’écho des tendances philosophico-musicales, qui flottaient dans l’air, à Genève, à Fribourg, à l’hôtel de France et à Nohant, entre 1835-1837, tendances dont Liszt surtout était le propagateur et l’âme.

Aussi, si la ressemblance presque absolue de la Préface de l’Héroïde funèbre avec les paroles d’Hélène Meinbaker ne prouvait pas à quel point l’illustre musicien et le grand poète étaient d’accord dans leur manière de voir, de penser et de sentir, et si ces pages ne témoignaient pas suffisamment de l’affinité d’esprit qui régnait entre les deux génies à cette époque, il suffirait de comparer les lettres de George Sand à Liszt et celles de Liszt à George Sand ; les Lettres d’un Bachelier ès musique et les Lettres d’un voyageur ; les articles de Liszt et les œuvres ultérieures de George Sand dans lesquelles apparaissent des musiciens et des artistes, et où elle expose des idées à la Liszt sur le rôle et les devoirs d’un artiste (par exemple : Carl, Consuelo, la dernière Aldini, la comtesse de Rudolstadt, le Château des Désertes, le beau Laurence, le Château de Pictordu), pour sentir vivement et profondément quelle action eurent ces deux grands esprits l’un sur l’autre.

Après tout ce que nous venons de dire, le lecteur ne s’étonnera plus que nous ayons consacré tant de temps et de place à cette illustre amitié dans la vie de George Sand.

CHAPITRE XIII
(1837-1838)


Le Monde. — Lettres à Marcie, Visite aux Catacombes. Luigi Calamatta. André, Simon, Jacques, Mauprat. — La fin de 1837. — Nouveaux malheurs. — Fontainebleau. — Félicien Mallefille. — Nérac. — L’hiver de 1837-1838. — Balzac. — l’abbé Georges Rochet. — Départ pour Majorque.


Nous avons parlé d’une manière fort détaillées des idées et des doctrines de Lamennais qui eurent une action indubitable sur George Sand, mais nous n’avons rien dit encore de ses relations personnelles avec l’abbé, le troisième personnage de ce triumvirat qui contribua à la transformation morale de George Sand entre 1830 et 1837.

Comme nous l’avons déjà dit, George Sand fit la connaissance de Lamennais, lors du procès d’avril. Il lui fut présenté par Liszt qui vint un jour chez elle, accompagné de Lamennais, et du petit Puzzi-Gohen. Dans le courant du printemps de 1835, l’abbé et George Sand se virent souvent, tantôt chez elle, tantôt chez Liszt[544]. Ensuite Lamennais partit pour la Bretagne, dans sa solitude de la Chenaie. Il invita George Sand à venir l’y voir en automne ; mais celle-ci, comme elle le dit dans l’Histoire de ma Vie [545] n’osa pas se rendre à son invitation : à cette époque elle n’était pas encore assez intimement liée avec lui et, par modestie, elle se croyait trop insignifiante pour venir troubler, soit ses occupations, soit son repos. Elle considérait son invitation comme un honneur non mérité, comme un sacrifice que se serait imposé Lamennais, sacrifice qu’elle n’était pas en droit d’accepter.

Dans le courant de la seconde moitié de 1835 et en 1836, préoccupée par son procès avec son mari, par sa lutte intellectuelle et ses relations avec Michel, partageant son temps entre son voyage en Suisse et ses travaux, George Sand continua à voir de temps en temps Lamennais, mais elle le craignait encore un peu, redoutant de trouver en lui un esprit par trop orthodoxe, des idées sentant trop l’ancien curé, un homme ne pouvant pas partager ses opinions extrêmes et sa liberté de pensée à elle.

Mais lorsque George Sand vécut en compagnie de Liszt et de la comtesse d’Agoult en Suisse et à l’Hotel de France, c’est-à-dire pendant l’automne et l’hiver de 1836, elle se lia plus intimement avec Lamennais ; il gagna complètement sa confiance, et elle lui voua dès lors cette admiration exaltée et illimitée dont sont empreintes les pages de l’Histoire de ma Vie consacrées à la mémoire du grand enthousiaste, de même que ses deux Lettres à M. Lerminier parues dans la Revue des Deux-Mondes et ayant pour but de détendre Lamennais contre Lerminier qui avait éreinté le Livre du Peuple, et enfin son article ultérieur sur les Amshaspands et les Darvands de Lamennais.

Ainsi, par exemple, encore au mois de mai de 1836[546] elle écrivait à la comtesse d’Agoult : « L’abbé de Lamennais se fixe, dit-on, à Paris. Pour moi, ce n’est pas certain. Il y va, je crois, avec l’intention de fonder un journal. Le pourra-t-il ? Voilà la question. Il lui faut une école, des disciples. En morale et en politique, il n’en aura pas s’il ne fait pas d’énormes concessions à notre époque et à nos lumières. Il y a encore en lui, d’après ce qui m’est rapporté par ses intimes amis, beaucoup plus du prêtre que je ne croyais. On espérait l’amener plus avant dans le cercle qu’on n’a pu encore le faire. Il résiste. On se querelle et on s’embrasse. On ne conclut rien encore. Je voudrais bien que l’on s’entendît. Tout l’espoir de l’intelligence vertueuse est là. Lamennais ne peut marcher seul.

« Si, abdiquant le rôle de prophète et de poète apocalyptique, il se jette dans l’action progressive, il faut qu’il ait une armée. Le plus grand général du monde ne fait rien sans soldats. Mais il faut des soldats éprouvés et croyants. Il trouvera facilement à diriger une populace d’écrivassiers sans conviction qui se serviront de lui comme d’un chapeau et qui le renieront ou le trahiront à la première occasion. S’il veut être secondé véritablement, qu’il se méfie des gens qui ne disputeront pas avec lui avant d’accepter sa direction. En réfléchissant aux conséquences d’un tel engagement, je vous avoue que je suis moi-même très indécise. Je m’entendrais avec lui sur tout ce qui n’est pas le dogme. Mais là, je réclamerais une certaine liberté de conscience, et il ne l’accorderait pas. S’il quitte Paris sans s’être entendu avec deux ou trois personnes qui sont dans les mêmes conditions de dévouement et de résistance que moi, j’éprouverai une grande consternation de cœur et d’esprit. Les éléments de lumière et d’éducation des peuples s’en iront, encore épars, flottant sur une mer capricieuse, échouant sur tous les rivages, s’y brisant avec douleur sans avoir pu rien produire. Le seul pilote qui eût pu les rassembler leur aura retiré son appui et les laissera plus tristes, plus désunis et plus découragés que jamais.

« Si Franz a sur lui de l’influence, qu’il le conjure de bien connaître et de bien apprécier l’étendue du mandat que Dieu lui a confié. Les hommes comme lui font les religions et ne les acceptent pas. C’est là leur devoir. Ils n’appartiennent point au passé. Ils ont un pas à faire faire à l’humanité. L’humilité d’esprit, le scrupule, l’orthodoxie sont des vertus de moine que Dieu défend aux réformateurs. Si l’œuvre que je rêve pour lui peut s’accomplir, c’est vous qui serez obligée de vous joindre à son bataillon sacré. Vous avez l’intelligence plus mâle que bien des hommes, vous pouvez être un flambeau pur et brillant !!… »

Mais, dès que Lamennais eut l’idée de fonder un journal, le Monde, George Sand y participa immédiatement et, quoiqu’on y travaillât quelque peu pour le roi de Prusse, elle ne fut pas tentée par les propositions avantageuses qui lui furent faites par le Journal des Débats, et aussi longtemps qu’elle se sentit utile au journal de Lamennais, elle resta sa collaboratrice. Elle écrivit, en réponse à Jules Janin qui s’était adressé à elle au nom du Journal des Débats :

« Je ne travaille pas dans le Monde, je ne suis l’associée de personne. Associée de l’abbé de Lamennais est un titre et un honneur qui ne peuvent m’aller. Je suis son dévoué serviteur. Il est si bon et je l’aime tant, que je lui donnerai autant de mon sang et de mon encre qu’il m’en demandera. Mais il ne m’en demandera guère, car il n’a pas besoin de moi. Dieu merci. Je n’ai pas l’outrecuidance de croire que je le sers autrement que pour donner, par mon babil frivole, quelques abonnés à son journal, lequel journal durera ce qu’il voudra et me payera ce qu’il pourra. Je ne m’en soucie pas beaucoup. L’abbé de Lamennais sera toujours l’abbé de Lamennais, et il n’y a ni conseil ni association possible pour faire de George Sand autre chose qu’un très pauvre garçon[547]… »

George Sand publia dans le journal de Lamennais, en 1837, trois articles de grandeur et d’importance différentes, mais tous trois attirant l’attention du biographe et du critique. C’est d’abord son article : Ingres et Calamatta, puis un petit fragment poétique : Une visite aux Catacombes et enfin les célèbres Lettres à Marcie.

George Sand fit la connaissance du jeune graveur Luigi Calamatta vers 1835, à l’occasion de son portrait, à elle, commandé par la rédaction de la Revue des Deux-Mondes[548], et spontanément elle eut de l’amitié pour cet artiste consciencieux et pour cet homme supérieur. Calamatta grava trois portraits de George Sand : l’un d’après celui peint par Delacroix et représentant George Sand avec sa jaquette d’homme, en velours, une cravate au cou et les cheveux tombant sur les épaules ; l’autre est ce même portrait, mais corrigé et plus idéalisé ; enfin, le troisième fut dessiné au crayon par Calamatta lui-même, puis gravé, et représente George Sand en robe à larges manches à la mode de 1837 et coiffée de rubans comme on les portait alors, tombant des deux côtés de son visage. Ce dernier portrait, selon toute apparence, a été fait par Calamatta, lors du séjour de George Sand à l’Hôtel de France, et immédiatement après, au commencement de 1837, Calamatta fit les portraits de Liszt et de la comtesse d’Agoult. S’étant intimement liée avec le jeune graveur, ayant apprécié son amour passionné de l’art, son désintéressement, sa bonne foi, George Sand a, d’une part, comme nous l’avons dit à propos des Mosaïstes, peint Calamatta et son ami Mercuri sous les traits des deux frères Zucatti, de tempéraments et de caractères si différents, menant une existence si dissemblable, mais également épris de leur art, prêts à supporter à cause de lui, toutes les infortunes, tous les déboires et toutes les privations. Nous avons dit aussi que George Sand a profité, en écrivant ses Nouvelles Vénitiennes, des conseils, des indications et même des dessins de Calamatta et de Mercuri pour les descriptions des costumes vénitiens et pour des détails historiques et artistiques. D’autre part, voyant la gêne dans laquelle se trouvait Calamatta, elle mit toute sa généreuse ardeur à lui venir en aide. Elle écrivit non seulement elle-même un article sur lui dans le journal de Lamennais, mais elle en fit encore écrire par ses amis dans plusieurs autres journaux, ce qui fut une véritable réclame pour ce jeune talent. C’est ainsi que Janin publia le sien dans le Journal des Débats et Pelletan dans l’Artiste. L’article de George Sand intitulé : Ingres et Calamatta, comme ceux qu’elle écrivit plus tard sur la Joconde de Leonardo de Vinci, et la Vierge à la Chaise de Raphaël[549] gravées par Calamatta, ne présentent rien d’exceptionnel et ne frappent le lecteur, ni par la nouveauté ou l’originalité des idées, ni par des paradoxes intéressants sur l’art. Mais c’est encore une preuve de cette générosité active, de ce désir toujours éveillé de secourir tous ceux de ses amis, de ses connaissances ou même des étrangers qui avaient besoin d’aide et de protection, que George Sand manifesta toute sa vie. Par ce morceau, si l’on ne compte pas celui sur Obermann, s’ouvre la série sans fin d’articles, de notes, de notices et de préfaces sortis de la plume de George Sand. Pendant toute sa carrière, elle ne refusa jamais ses services lorsqu’il fallait faire connaître une œuvre peu connue — comme Obermann, un talent mal apprécié, — comme le poète George Maurice de Guérin[550], mort prématurément, ou pour recommander simplement au public un nouvel auteur ou un nouvel artiste, un livre ou un tableau nouvellement parus.

Le second fragment, publié dans le Monde sous le titre : Une visite aux Catacombes, nous arrête par sa profonde tristesse et la résignation désolée qui y règne. L’auteur y raconte sa visite aux Catacombes et ses mélancoliques impressions au bord d’une source souterraine encaissée dans son cadre de granit et dont le sombre miroir, privé de tout rayon de lumière, ne reflète rien. Ce triste spectacle fait naître dans l’âme du voyageur des réflexions philosophiques et de sublimes pensées sur la vie et la mort.

« Vie et mort, indissoluble fraternité, union sublime, pourquoi représenteriez-vous pour l’homme le désir et l’effroi, la jouissance et l’horreur ? Loi divine, mystère ineffable, quand même tu ne te révélerais que par l’auguste et merveilleux spectacle de la matière assoupie et de la matière renaissante, tu serais encore Dieu, esprit, lumière et bienfait ! »…

Les Lettres à Marcie, la troisième œuvre de George Sand parue dans le Monde, est certes bien plus importante que les deux articles dont nous venons de parler. Malheureusement, cet ouvrage, on le sait, n’a jamais été terminé et a été interrompu au chapitre VI. Lamennais ne l’a-t-il pas suffisamment lu avant d’en commencer l’impression, en fut-il mécontent plus tard, ou bien encore, des amis lui firent-ils remarquer que les idées prêchées par George Sand différaient trop de ses propres opinions et des tendances du Monde[551] ? C’est ce que nous ne saurions dire. Quoi qu’il en soit, déjà le 28 février, c’est-à-dire après l’apparition du n° 3 avec la suite des Lettres à Marcie, George Sand adressa une lettre à Lamennais pour lui demander ce qu’elle avait à faire. Elle avait évidemment touché à des questions trop hardies qui avaient pu horripiler Lamennais : le mariage, le divorce, l’importance de la passion dans la vie des femmes. Elle n’avait pas su prévoir que son récit la mènerait si loin. Elle aurait voulu obtenir l’approbation du maître, mais elle n’ose pas le consulter sur tous les détails.

« Pourtant, me voilà lancée et j’éprouve le désir d’étendre ce cadre des Lettres à Marcie, tant que je pourrai y faire entrer des questions relatives aux femmes. Je voudrais parler de tous les devoirs, du mariage, de la maternité, etc. En plusieurs endroits, je crains d’être emportée par ma pétulance naturelle, plus loin que vous ne me permettriez d’aller, si je pouvais vous consulter d’avance. Mais, ai-je le temps de vous demander à chaque page de me tracer le chemin ?… »

« … Que faire, donc ? Me livrerai-je à mon impulsion ? ou bien vous prierai-je de jeter les yeux sur les mauvaises pages que j’envoie au journal ? Ce dernier moyen a bien des inconvénients ; jamais une œuvre corrigée n’a d’unité. Elle perd son ensemble, sa logique générale. Souvent, en réparant un coin de mur, on fait tomber toute une maison qui serait sur pied si on n’y avait pas touché.

« Je crois qu’il faudrait, pour obvier à tous ces inconvénients, convenir de deux choses : c’est que je cous confesserai ici les principales hardiesses qui me passent par l’esprit et que vous m’autoriserez à écrire dans ma liberté, sans trop vous soucier, que je fasse quelque sottise de détail. Je ne sais pas bien jusqu’à quel point les gens du monde vous en rendraient responsable et je crois d’ailleurs, que vous vous souciez fort peu des gens du monde. Mais j’ai pour vous tant d’affection profonde, je me sens commandée par une telle confiance, que lors même que je serais certaine de n’avoir pas tort, je me soumettrais encore pour mériter de vous une poignée de main… »

Ensuite, George Sand parle à Lamennais d’une série de questions concernant la femme, soulevées dans ces Lettres, et finit par dire :

« Répondez-moi un mot. Si vous me défendez d’aller plus avant, je terminerai les Lettres à Marcie où elles en sont, et je ferai toute autre chose que vous me commanderez, je puis me taire sur bien des points et ne me crois pas appelée à rénover le monde. Adieu, père et ami, personne ne vous aime et ne vous respecte plus que moi. »

Lamennais ne daigna pas lui permettre « d’aller plus avant », et les Lettres à Marcie ne furent jamais terminées.

Dans la préface de l’édition de librairie des Lettres, George Sand assure qu’elle n’a pas eu l’intention de propager ses propres idées philosophiques et que ces six premières Lettres n’étaient qu’une espèce de prologue où elle voulait « peindre pour commencer, l’ennui de l’isolement ». Il devait seulement faire voir au lecteur l’état d’âme de l’héroïne qui ne devait être vue qu’à travers les lettres de son ami, sans que le lecteur ait devant lui aucune de ses lettres à elle. George Sand affirme encore que :

« … Le roman a été interrompu par des circonstances qui n’avaient rien de commun avec le sujet… Je n’avais accepté l’honneur de concourir à la collaboration du journal le Monde que pour faire acte de dévouement envers M. Lamennais, qui l’avait créé et qui en avait la direction. Dès qu’il l’abandonna, je me retirai sans même m’enquérir des causes de cet abandon ; je n’avais pas de goût et je manquais de facilité pour ce genre de travail interrompu, et pour ainsi dire haché. N’ayant pas eu l’occasion de continuer en temps et lieu les Lettres à Marcie, j’ai eu bientôt oublié l’espèce de plan que j’avais conçu… »

Ayant dit plus loin que certains journaux libéraux lui ont reproché d’avoir cédé devant les difficultés, George Sand émet à ce propos une opinion très judicieuse et très juste en disant que toute œuvre naît complète, entière, dans l’esprit de l’artiste et que pour cette raison, il est très difficile, presque impossible, de la corriger ou de la changer dans la suite, opinion caractérisant parfaitement la manière de travailler de George Sand, mais qui est en contradiction avec le fait qu’un an à peine auparavant, elle avait corrigé et refait Lélia.

Bien que George Sand ne considère elle-même les Lettres à Marcie que comme le prologue d’un vrai roman, nous nous croyons en droit de les analyser comme une œuvre purement théorique, comme l’expression de ses idées sur le mariage, sur l’affranchissement de la femme, sur son égalité avec l’homme, etc., etc.

Nous pouvons nous convaincre par ces Lettres, que depuis Lélia, les idées et les vues générales de George Sand se sont précisées, affirmées, et ont beaucoup mûri. Jadis, c’était une protestation passionnée et poétique. À présent, c’est l’exposition d’une théorie claire et bien définie sur l’égalité des droits de l’homme et de la femme. Aussi, n’y a-t-il rien d’étonnant qu’après les Lettres à Marcie, ainsi qu’après Indiana, Valentine et Jacques, les rétrogrades et les bigots crièrent au renversement de l’institution sacrée du mariage, etc., etc. Lamennais lui-même fut intimidé.

Marcie a vingt-cinq ans ; elle est désabusée de la vie, elle aspire à quelque chose de mieux, ne peut se résigner à une existence mesquine, s’ennuie dans le monde, s’ennuie quand elle n’y est pas, pense même pour quelque temps à s’enfermer dans un cloître (comme Lélia ou comme George Sand elle-même). Marcie rêve au mariage, tout en se révoltant contre ses abus ; elle ne trouve pas de vraie consolation dans la religion, et pourtant, elle a peur d’analyser ses croyances en critique et en philosophe ; elle ne sait même pas si une femme peut oser s’occuper de philosophie. Marcie ne trouve pas dans son entourage un homme qui lui semble digne d’elle ; ses exigences de la vie sont trop grandes ; elles ne ressemblent nullement à celles de son monde, et pourtant elle a une peur pusillanime de rester vieille fille…

Son ami et correspondant, par la bouche duquel l’auteur émet ses idées et dans lequel beaucoup de personnes ont voulu voir la personnification des théories et des conseils donnés à George Sand par Lamennais, cet ami commence par conseiller à Marcie de ne pas donner tant d’importance à toutes les douleurs humaines, à toutes les désillusions personnelles.

« Ne sommes-nous pas insensés dans nos mécontentements, et n’est-ce pas une chose digne de pitié que de voir de si chétifs atomes avoir besoin de tant d’espace et de bruit pour y promener une misère si obscure et si commune ?… Nous ne sommes qu’enflure et vanité ; nos plaintes ne sont qu’emphase ou blasphème !… »

Le pessimisme et même les déceptions bien fondées, selon l’ami de Marcie, n’engendrent que l’orgueil, font naître le sentiment d’une supériorité imaginaire, la sécheresse et la froideur.

Ensuite, cet ami tâche de vaincre chez Marcie la crainte de rester vieille fille. Il lui prouve ab adverso l’inanité de cette crainte, en lui racontant deux histoires qu’il eut l’occasion de connaître. D’abord il lui raconte celle d’une malheureuse jeune fille de seize ans, héritière riche, mais malingre et contrefaite, qui, de peur de rester vieille fille, s’était laissé marier à un homme qui ne cherchait et ne pouvait chercher en elle que la richesse. Cette jeune fille paya cette malheureuse pusillanimité par une vie d’humiliation ; méprisée et abreuvée de dégoûts par son mari, meurtrie dans ses aspirations vers le bonheur terrestre, minée par un désespoir caché au milieu d’une opulence extérieure, elle mourut dans la plus atroce misère morale, dans la solitude et l’abandon absolus.

Ensuite l’auteur évoque une autre histoire, celle des trois sœurs vivant chez leur oncle, curé italien (cette partie des Lettres à Marcie a été reproduite par différents journaux sous le titre de Les trois sœurs). La cadette, Arpalice, s’éprend d’un jeune lord anglais, qui l’aime à son tour. Elle pourrait devenir heureuse, se marier (car l’amour de ce jeune couple finit par vaincre les préjugés de caste et par désarmer les préventions de la mère du jeune lord), mais Arpalice ne veut pas abandonner ses sœurs ; elle renonce volontairement à sa passion et revient à son ancienne vie, soucieuse du bonheur des autres et se vouant tout entière, avec ses deux sœurs, aux œuvres de pitié, afin de servir l’humanité.

Déjà, avant d’avoir commencé l’histoire des trois sœurs, l’auteur ayant devancé ainsi de bien des années les idées émises dans la Sonate à Kreutzer de Tolstoï, disait à Marcie… « Vous êtes instruite, vous êtes pure, voilà de vrais éléments de bonheur, » et lui conseillait d’aspirer à l’indépendance, d’étudier, de se développer intellectuellement, de ne point se marier ou de n’épouser qu’un homme dont elle serait sûre, de n’accepter de croyances, qu’après les avoir soumises à une critique et à une analyse sérieuse et libre.

Mais tout en disant cela, Fauteur se voit obligé de refroidir un peu les élans de Marcie vers une vaste activité, car, dit-il, à présent, il n’y a pas encore pour la femme de champ d’activité, outre l’art et la famille ; les autres professions sont insupportables même pour les hommes, du moins pour ceux qui ont des vues un peu larges et qui ont certaines exigences. (Ici, nous voyons encore des points de ressemblance avec les idées de Tolstoï, exprimées dans son article « Aux femmes » ; on y trouve même l’antithèse identique entre le travail de l’homme hors de la maison et celui de la femme dans la maison, la femme ayant pour charge l’organisation de l’intérieur et l’éducation des enfants ; elle est le vrai chef de la maison et de la famille, c’est son devoir sacré, etc., etc.)

Puis, l’ami de Marcie, après avoir tâché de lui prêcher le calme, et après l’avoir éclairée sur ses doutes, veut lui prouver son droit à la liberté des croyances, à la liberté de l’analyse, à la liberté personnelle, et vient à lui exposer ses théories quant à la vie qu’elle doit mener, et sur ce qu’elle doit faire. Ses conseils, alors nouveaux, sont aujourd’hui tant soit peu vieillis, légèrement rebattus, mais peut-être ne le sont-ils que parce que George Sand a existé et que des générations entières ont été élevées dans ces idées. Il est donc bien inutile aussi de tant crier au « vieux jeu », parce que, Dieu merci, tout cela a vieilli et n’est plus nécessaire à prêcher ! Il fut un temps où cela fut bien utile.

« Je sais que certains préjugés refusent aux femmes le don d’une volonté susceptible d’être éclairée, l’exercice d’une persévérance raisonnée. Beaucoup d’hommes aujourd’hui font profession d’affirmer physiologiquement et philosophiquement que la créature mâle est d’une essence supérieure à celle de la créature femelle. Cette préoccupation me semble assez triste, et si j’étais femme, je me résignerais difficilement à devenir la compagne ou seulement l’amie d’un homme qui s’intitulerait mon dieu ; car au-dessus de la nature humaine, je ne conçois que la nature divine ; et, comme cette divinité terrestre serait difficile à justifier dans ses écarts et dans ses erreurs, je craindrais fort de voir bientôt la douce obéissance, naturellement inspirée par l’être qu’on aime le mieux, se changer en haine instinctive qu’inspire celui qu’on redoute le plus. C’est un étrange abus de la liberté philosophique de s’aventurer dans des discussions qui ne vont à rien de moins qu’à détruire le lien social dans le fond des cœurs, et ce qu’il y a de plus étrange encore, c’est que ce sont les partisans fanatiques du mariage qui se servent de l’argument le plus propre à rendre le mariage odieux et impossible. Réciproquement l’erreur affreuse de la promiscuité est soutenue par les hommes qui défendent l’égalité de nature chez la femme. De sorte que deux vérités incontestables, l’égalité des sexes et la sainteté de leur union légale, sont compromises de part et d’autre par leurs propres champions[552]

« … Dieu serait injuste s’il eût forcé la moitié du genre humain à rester associée éternellement à une moitié indigne d’elle ; autant vaudrait l’avoir accouplée à quelque race d’animaux imparfaits. À ce point de vue, il ne manquerait plus aux conceptions systématiques de l’homme que de rêver, pour suprême degré de perfectionnement, l’anéantissement complet de la race femelle et de retourner à l’état d’androgyne.

« Eh quoi, la femme aurait les mêmes passions, les mêmes besoins que l’homme, elle serait soumise aux mêmes lois physiques, et elle n’aurait pas l’intelligence nécessaire à la répression et à la direction de ses instincts ? On lui assignerait des devoirs aussi difficiles qu’à l’homme, on la soumettrait à des lois morales et sociales aussi sévères, et elle n’aurait pas un libre arbitre aussi entier, une raison aussi lucide pour s’y former ! Dieu et les hommes seraient ici en cause. Ils auraient commis un crime, car ils auraient placé et toléré sur la terre une race dont l’existence réelle et complète serait impossible. Si la femmes est inférieure à l’homme, qu’on tranche donc tous ses liens, qu’on ne lui impose plus ni amour fidèle ni maternité légitime, qu’on détruise même pour elle les lois relatives à la sûreté de la vie et de la propriété ; qu’on lui fasse la guerre sans autre forme de procès. Des lois dont elle n’aurait pas la faculté d’apprécier le but et l’esprit aussi bien que ceux qui les créent seraient des lois absurdes et il n’y aurait pas de raison pour ne pas soumettre les animaux domestiques à la législation humaine[553] !…

« Les femmes reçoivent une déplorable éducation ; et c’est là le grand crime des hommes envers elles. Ils ont porté l’abus partout, accaparant les avantages des institutions les plus sacrées[554] ! Ils ont spéculé à consommer cet esclavage et cet abrutissement de la femme qu’ils disent être aujourd’hui d’institution divine et de législation éternelle[555] » !…

« … Pour empêcher la femme d’accaparer par sa vertu l’ascendant moral sur la famille et sur la maison, l’homme a dû trouver un moyen de détruire en elle le sentiment de la force morale, afin de régner sur elle par le seul fait de la force brutale ; il fallait étouffer son intelligence ou la laisser inculte, c’est le parti qui a été pris. Le seul secours moral laissé à la femme fut la religion, et l’homme, s’affranchissant de ses devoirs civils et religieux, trouva bien que la femme gardât le précepte chrétien de souffrir et se taire.

« Le préjugé qui interdit aux femmes les occupations sérieuses de l’esprit est d’assez fraîche date. L’antiquité et le moyen âge ne nous offrent guère, que je sache, d’exemples d’aversion et de systèmes d’invectives contre celles qui s’adonnent aux sciences et aux arts. Au moyen âge et à la renaissance, plusieurs femmes d’un rang distingué marquent dans les lettres. La poésie en compte plusieurs. Les princesses sont souvent versées dans les langues anciennes, et il y a un remarquable contraste entre les ténèbres épaisses où demeure le sexe et les vives lumières dont les femmes de haute condition cherchent à s’éclairer. Ces honorables exceptions n’excitent aucune haine chez les contemporains, et sont, au contraire, mentionnées par les écrivains de leur siècle sur un pied d’égalité qui serait à tort ou à raison fort contesté dans les mœurs littéraires d’aujourd’hui[556]… »

L’ami de Marcie fait à ce propos la remarque assez mordante qu’à présent on oublie tous les apôtres et qu’on viole toutes les autres prescriptions religieuses ; mais que les maris se souviennent de saint Paul et de son impérieux principe, avec une ardeur extraordinaire et exigent que les lois basées sur ce principe soient toujours observées.

Les Lettres à Marcie se terminent par un aperçu historique où l’auteur expose comment, à l’époque où les guerres et la vie sociale moins bien organisée attiraient les hommes hors de chez eux, et où les femmes devaient diriger toutes les affaires domestiques, le ménage, l’éducation des enfants, et en avaient la responsabilité, tout allait à merveille. Mais lorsque les grandes guerres de religion et les autres prirent fin, les hommes livrés à une sorte d’inaction s’occupèrent plus des petites choses de la vie ; le siècle de Louis XIV amena « l’amoindrissement et l’énervement du caractère masculin » ; le xviiie siècle, comme une époque de vice brillant, porta aussi un coup mortel à la dignité du lien conjugal. Et voilà qu’à présent, même dans les relations jadis si nettes et si précises, tout est sens dessus dessous. Somme toute, nous vivons aujourd’hui dans une époque de transition, saturée de puissance cachée, d’aspirations réprimées, de fermentation générale, de décomposition universelle, alors que le vieux monde meurt et que le nouveau n’est pas encore né. C’est sur cette peinture d’une époque troublée que les Lettres à Marcie s’arrêtent : leur dernier mot est : Espérons ! Et Marcie elle-même est comme la personnification de cette époque de transition dans l’histoire de la femme. C’est une âme en fermentation ; la recherche du vrai dans les ténèbres, c’est le crépuscule précurseur de l’aurore, comme celui dont l’auteur nous parle à la fin de la quatrième Lettre à Marcie, l’une des plus belles pages de George Sand :

« Marcie, il est une heure dans la nuit, que vous devez connaître, vous qui avez veillé au chevet de malades, ou sur votre prie-Dieu, à gémir, à invoquer l’espérance : c’est l’heure qui précède le lever du jour ; alors, tout est froid, tout est triste ; les songes sont sinistres et les mourants ferment leurs paupières. Alors, j’ai perdu les plus chers d’entre les miens, et la mort est venue dans mon sein comme un désir. Cette heure, Marcie, vient de sonner pour nous ; nous avons veillé, nous avons pleuré, nous avons souffert, nous avons douté ; mais vous, Marcie, vous êtes plus jeune : levez-vous donc et regardez : le matin descend déjà sur vous à travers les pampres et les giroflées de votre fenêtre. Votre lampe solitaire lutte et pâlit ; le soleil va se lever, son rayon court et tremble sur les cimes mouvantes des forêts, la terre, sentant ses entrailles se féconder, s’étonne et s’émeut comme une jeune mère, quand, pour la première fois, dans son sein, l’enfanta tressailli[557]. »

Marcie et Lélia sont comme les jalons de la voie que George Sand a parcourue depuis 1833. Lélia est la question, Marcie est la réponse. Entre ces deux romans, ces deux types de femmes, entre Lélia la pessimiste qui nie tout et ne croit à rien, ni à l’amour, ni à Dieu, ni aux hommes, type tout négatif, et Marcie, cherchant la consolation chez son sage conseiller, qui tâche de lui tracer l’idéal positif, doivent être placés trois romans, trois héroïnes de George Sand, écrits entre 1834 et 1837, et dont nous n’avons rien ou presque rien dit jusqu’ici : la Sylvia de Jacques, la Fiamma de Simon, l’Edmée de Mauprat.

En parlant de Jacques dans le chapitre ix, nous n’avons effleuré que sa donnée générale, et dit quelques mots par rapport à la solution toute nouvelle de l’éternelle question de la trahison en amour, solution donnée par Jacques, qui, tout en adorant sa jeune femme, cette tendre et faible Fernande, s’éloigne d’elle et lui permet de jouir du bonheur coupable avec Octave, le plus banal des jeunes-premiers, admirateur éconduit de la mystérieuse Sylvia. Cette dernière se trouve être, dans la suite, la sœur de Fernande et de Jacques, car elle est le fruit de l’amour adultère du père de ce dernier et de la mère de Fernande. Sylvia est en tout supérieure à Octave ; c’est une sœur de Lélia, l’égale de Jacques ; c’est une amante de la solitude, une âme fière et hardie, un esprit scrutateur, ne reculant devant aucune déduction, une pessimiste qui ne se permet pas de regarder la vie à travers un voile rose, qui ne veut pas errer dans les ténèbres et qui juge des gens et de leurs actions avec une sévérité extrême et une droiture inflexible. Évidemment, Octave n’est pas à sa hauteur ; elle l’éclipse de sa supériorité, comme Lélia écrase Sténio. Octave s’éprend de Fernande à sa première rencontre avec elle. Sylvia le cède sans aucun regret. Elle préfère l’amitié de Jacques et la met au-dessus de l’amour. Dans cette amitié calme et fraternelle, elle trouve l’égal de son esprit, un soutien précieux, une pleine entente ; elle trouve ce que ni elle ni Jacques ne trouveront jamais dans l’amour, ce que George Sand elle-même n’avait jamais trouvé chez ses amants, ce qu’elle n’a rencontré que chez François Rollinat et chez deux ou trois de ses amis qui, depuis leur jeunesse et jusqu’à leurs derniers jours, sans être comme Rollinat, ses alter ego, savaient pourtant la comprendre, l’apprécier, partager ses idées et lui être fidèles dans la joie comme dans le malheur.

Nous avons vu quelques écrivains russes, ainsi que des auteurs étrangers, blâmer George Sand d’avoir créé des types comme Lélia et Jacques. Qu’est-ce donc que ces héros imaginaires, que personne n’a jamais rencontrés sur la terre, impossibles dans la vie réelle, disent-ils ! Ce sont des êtres divins, des inutilités, rien qu’à cause de leur irréalité. Cependant, à nos yeux, l’exceptionnel n’est pas l’impossible, et nous nous demandons pourquoi il nous faudrait croire qu’il n’y a pas, qu’il ne peut y avoir des hommes « meilleurs », aristocrates du cœur et de l’esprit ? Faudrait-il vraiment désirer qu’il n’y eût point d’hommes extraordinaires ? Nous sommes, au contraire, persuadés que si cela arrivait, l’humanité entière s’arrêterait dans son développement, dans son progrès qui n’avance que grâce à des Jacques, des Sylvia, des George Sand, tous exceptionnels, tous extraordinaires. S’il n’existait que des hommes « ordinaires », si tous étaient des Octaves, aimant simplement de bonnes âmes comme Fernande, ne tourmentant personne, ne connaissant pas l’ennui, contents de tout, ne se sentant point isolés au-dessus des autres, comme se sentait Jacques, ne méprisant point le monde avec ses intérêts mesquins, ses sentiments passagers, s’il n’existait pas des George Sand et des Lélia, — oh ! combien alors la vie en ce monde serait ennuyeuse, étouffante, mesquine ! Quant à nous, nous vivons dans l’espoir qu’il y a çà et là de par le monde — deux ou trois êtres par peuple, cinq ou six par siècle, — comme Lélia et Jacques, qui sont « de la race des Esséniens, gens solitaria ». Ils s’élancent au-devant de l’idéal ; mais il ne leur échoit que rarement en partage le bonheur de pouvoir se dire, comme Lélia disait à Trenmor, Sylvia à Jacques, George Sand à Rollinat : « Je t’entends, parle ; je suis comme toi, moi aussi, je suis solitaire, moi aussi je suis un rêveur, je ne ressemble pas aux autres ; je tourmente les autres, car je me tourmente moi-même ; mais je vaux mieux que les autres, je le sais, comme toi tu le sais aussi… » Oh oui ! s’il fallait ne plus croire qu’ils existent, ces rêveurs inutiles, ces prétendus fainéants qui ne sont bons à rien — la vie serait alors insupportable, à nous comme à vous, chers lecteurs.

Malgré tout l’invraisemblable que l’on peut trouver dans ce roman, si l’on se met au point de vue de la vie bourgeoise de tous les jours, il nous transporte par la profondeur de la pensée, par son ardeur passionnée et par ses grandes qualités poétiques. Combien charmantes ces premières pages, racontant l’amour heureux de Jacques et de Fernande ! Quelle fraîcheur dans la peinture des sentiments et des premières sensations de la jeune femme ! Et l’on est d’autant plus saisi par le tragique de la vie, lorsqu’on les voit, eux qui semblaient si heureux, s’éloigner peu à peu l’un de l’autre, et se sentir si différents. Puis arrive la rencontre d’Octave, l’amour que Fernande éprouve pour lui, l’abnégation et enfin le suicide de Jacques. Peut-on lire sans émotion les lettres de Jacques à Silvia dans la seconde moitié du roman ? Ces lettres respirent une telle profondeur du sentiment conscient de lui-même ; on y voit un homme si parfaitement humain, si fidèle à ses idées généreuses jusqu’à la fin, même lorsqu’elles lui coûtent la vie et qu’elles exigent sa mort : Fort comme la mort. D’après le plan de l’auteur, Sylvia devait jouer le rôle de soprano secondo dans le roman, ne servir qu’à expliquer la donnée générale, montrer que ni la tendresse du mari, ni la douceur, l’innocence et l’amour de la femme ne suffisent à donner le vrai bonheur ; que la plus charmante jeune fille sera mauvaise épouse, s’il n’y a pas de vraie amitié entre elle et son mari ; que le mari le plus instruit, le plus spirituel, adorant sa femme, fût-elle la plus gentille et la plus pure, se sentira isolé. Mais il n’est que trop certain que ce puissant et dramatique soprano secondo nous intéresse infiniment plus que la prima donna — un petit soprano legiere insignifiant, — et que toutes nos sympathies sont pour Sylvia et non pour Fernande, probablement parce que Sylvia était aussi plus proche du cœur de l’auteur.

Fiamma Falier, l’héroïne de Simon, est tout aussi chère à George Sand. Ce roman est dédié à la comtesse d’Agoult et la dédicace est ainsi conçue :

« À Madame la comtesse ***

« Mystérieuse amie, soyez la patronne de ce pauvre conte.

« Patricienne, excusez les antipathies du conteur rustique.

« Madame, ne dites à personne que vous êtes sa sœur.

« Cœur trois fois noble, descendez jusqu’à lui et rendez-le fier…

« Comtesse, soyez pardonnée.

« Étoile cachée, reconnaissez-vous à ces litanies. »

Et dans l’une de ses premières lettres à la comtesse, si coquettes et si enthousiastes, écrites en 1835 au plus fort de la prédication de Michel et au commencement des relations de George Sand avec Lamennais, celle-ci disait à cette même amie :

« … Vous me semblez la seule chose belle, estimable et vraiment noble que j’aie vue briller dans la sphère patricienne. Il faut que vous soyez en effet bien puissante pour que j’aie oublié que vous êtes comtesse. Mais à présent vous êtes pour moi le véritable type de la princesse fantastique, artiste, aimante et noble de manières, de langage et d’ajustements, comme les filles des rois aux temps poétiques. Je vous vois comme cela, et je veux vous aimer comme vous êtes et pour ce que vous êtes. »


Supposons que ceci ne soit pas dit par George Sand, mais par un jeune plébéien, épris d’une adorable patricienne, lequel ne pardonne et n’oublie que la jeune fille qu’il aime est comtesse, qu’à force de l’adorer, et nous aurons Simon Féline, fils unique de cette vénérable vieille Jeanne Féline, paysanne illettrée, mais toute confite dans ses vertus républicaines, vraie matrone romaine en coiffe berrichonne, filant sa quenouille au seuil de sa cabane et lançant des regards implacables au château seigneurial que s’élève au sommet de la colline. Simon fut élevé par cette vieille républicaine et dirigé par son oncle l’abbé Féline, qui « comprenait la formule chrétienne de l’amour et de l’égalité comme la comprenaient les premiers chrétiens ». Le jeune paysan reçoit une bonne instruction et, sans doute grâce à l’influence de maître Michel, ami de l’auteur, il se dispose à entrer au barreau, à l’aide du vieil ami de la famille, vrai représentant du tiers état, maître Parquet. Sur ces entrefaites, l’ancien seigneur revient dans son domaine qu’il rachète à ses propriétaires actuels, paysans cupides qui s’en étaient emparés au moment où les terres seigneuriales étaient devenues propriétés nationales. C’est un certain comte de Fougères, un émigré revenu dans sa patrie après un séjour en Autriche, où, pour gagner son pain quotidien (lisez : par suite de son esprit de lucre et la bassesse de ses sentiments), il s’occupait, comme un parfait épicier, à vendre des chandelles, de la cannelle, du poivre et du suif, et où il s’était appelé de l’humble nom « de signor Spazetta », qui lui allait certes mieux que le grand nom de ses ancêtres. Il ramène avec lui dans son château sa fille Fiamma.

Nous ne nous intéressons pas à la fable du roman, et il n’y en a presque pas d’ailleurs, car tout le roman peut se résumer en quelques mots. Simon, l’ennemi implacable des aristocrates, malgré le mépris et l’indignation du comte de Fougères, et surtout malgré la protestation de sa propre conscience républicaine et de son orgueil plébéien, ne tombe pas seulement sous le charme de la noble Fiamma, mais finalement il l’épouse. Il va sans dire que l’auteur fait couver dans l’âme de sa fière et intrépide amazone les sympathies et les sentiments les plus républicains, et que pour la parfaite glorification du peuple et le plus grand abaissement des vils aristocrates (du moins des aristocrates français qui n’avaient pas été élevés dans les traditionnelles vertus républicaines, comme les nobles vénitiens), il dévoile finalement aux lecteurs le crime du comte de Fougères qui doit assurer à Fiamma toutes leurs sympathies, aussi bien que l’adoration de Simon, et révèle en même temps la source et la raison du caractère aristocratiquement indépendant de Fiamma et de ses idées démocratiquement républicaines. Lorsque le comte de Fougères était dans une fâcheuse situation et ne s’était pas encore enrichi en vendant de la cannelle et du suif, il avait épousé la noble héritière de la grande maison des Falier ou Faliero, de ces mêmes Falier dont l’un des ancêtres, le célèbre Marino, a payé de sa vie son ambition et sa trahison à la cause de la République. On comprend que la descendante des Falier souffre de son union avec un homme aussi prosaïque que Spazetta-Fougères. Et ce dernier n’invente rien de mieux, au bout d’un certain temps, que de faire de sa femme un objet d’opération commerciale avantageuse, c’est-à-dire de la vendre à un seigneur autrichien, le comte de Strabenbach (ou Stagenbracht, — dans la première édition). La comtesse est sauvée de cette ignominie par un généreux homme du peuple qu’elle suit dans les montagnes, qu’elle aime et de qui elle a plus tard une fille, Fiamma. Après la mort de la comtesse, Spazetta-Fougères consent à reconnaître Fiamma pour sa fille, mais — cela va sans dire — à la condition de la déshériter. On comprend dès lors que Fiamma — née, comme George Sand, de la fusion du sang plébéien et du sang noble — ne peut être qu’une Vénitienne rêvant au moyen de secouer le joug des Autrichiens, qu’une âme désirant la liberté pour tout le monde et surtout le triomphe des sublimes prolétaires sur les misérables aristocrates. Il est clair aussi qu’ayant les oreilles rebattues par les débats du procès d’avril et par les récits de Michel sur ses premiers pas au barreau, sur les roueries du métier, George Sand nous donne un compte rendu détaillé du début oratoire de Simon ; elle suit pas à pas sa première plaidoirie et raconte avec complaisance son triomphe. Elle n’oublie pas non plus de signaler que le père de Simon — cet avocat paysan (sic) — le vieux républicain Féline, a été tué en 1793 par les chouans (comme le père de Michel, en 1799).

Ce roman présente par conséquent le reflet intense des sentiments et des idées de George Sand en 1835, et l’œuvre, quoique dédiée à la comtesse d’Agoult, est, par son fond et ses détails, semblable à une offrande sur l’autel de Michel, son idole d’alors. En même temps, Simon est comme le pendant du roman précédent de George Sand, André, ou plutôt, c’est la contre-partie d’André. Là, c’est le fils d’un marquis qui s’éprend d’une jeune prolétaire, ici, la fille d’une comtesse qui tombe amoureuse d’un paysan.

Quoique André ait été écrit à Venise, il ne doit à cette ville que la raison de sa naissance. George Sand raconte dans la préface du roman qu’en entendant un jour le babillage de deux couturières vénitiennes, travaillant dans la chambre voisine, et aiguisant leur langue sur les grandes familles de Venise, elle s’était tout à coup crue transportée à La Châtre, tellement les mœurs, les habitudes, les gens et les types, vus à travers le bavardage des grisettes vénitiennes, ressemblaient aux mœurs, aux gens et aux types que Mme Dudevant avait connus en Berry. Sous l’impression de ce qu’elle venait d’entendre, atteinte du mal du pays, que ces souvenirs avaient éveillé, elle écrivit André.

Ici encore la fable du roman n’est pas compliquée. Un jeune homme noble, André, fils du marquis de Morand, fait la connaissance d’une jolie fleuriste, nommée Geneviève, et la séduit : ou plutôt il ne la séduit pas du tout, mais il l’aime pour tout de bon et ne songe pas à trouver une femme plus parfaite que cette gentille petite grisette, si aimante et si dévouée. Mais André est faible et indécis ; il ne sait pas lui-même ce qu’il veut ni ce qu’il ne veut pas. N’ayant apparemment aucune ressource pour vivre, il est entièrement sous la dépendance de son père, qu’il craint. Le père s’oppose naturellement au mariage de son fils avec la fleuriste. Geneviève, qui finalement va devenir mère, et dont les forces sont épuisées par une lutte trop inégale avec les préjugés du marquis et le faible caractère de son fils, tombe malade de chagrin et de honte. Au dernier moment, André l’épouse, mais il est trop tard : Geneviève meurt dans les bras de celui qui n’a pas su l’apprécier plus tôt. Le sujet du roman, on le voit, est des plus simples, mais c’est peint avec une fraîcheur et une délicatesse de couleur tout à fait extraordinaires, surtout la première partie. La scène de la rencontre des jeunes gens dans le pré fleuri au bord de l’Indre ; les impressions que la nature fait naître dans le cœur simple de Geneviève, ignorante, mais sensible à toutes les beautés ; la vie modeste de la jeune fleuriste dans sa chambrette ; la naissance de son amour pour André, tout cela sont autant de tableaux charmants. D’un autre côté, le père Morand, la scène de l’invasion inattendue de son château par un essaim de gaies grisettes, sous la conduite du joyeux ami d’André, nommé Joseph Marteau, et le portrait de ce Joseph lui-même, sont enlevés avec beaucoup de verve et dénotent chez l’auteur une observation et une parfaite connaissance de la vie provinciale et de ses types.

Ce que George Sand nous dit des motifs qui l’ont amené à écrire André, est très curieux à noter. Car cela montre combien elle était impressionnable, et à quel degré la direction de son esprit et de ses écrits dépendait du monde ambiant. Le temps serein ou morne, le ciel clair ou couvert, une lumière plus ou moins vive, les barcarolles mélodiques des gondoliers ou les simples chansons et le babil de quelques modistes, le bruit du vent dans les vieilles cheminées de Nohant ou le chant du rossignol au jardin, tout avait sur elle une influence tantôt directe, tantôt par contraste. L’entretien des deux couturières vénitiennes qu’elle entend par hasard, lui suffit pour transporter son esprit dans les rues de La Châtre, au milieu des pauvres modistes qu’elle a connues autrefois — et elle écrit André. Le chant des rossignols dans les lilas de Nohant réveille en elle le souvenir des rossignols qu’elle a entendus chanter à San-Fantino ou au Ponte di Barcaroli, à Venise — et elle écrit les Maîtres mosaïstes. Prêtant l’oreille au gémissement du vent autour du château de Nohant, ses pensées s’envolent dans les pays méridionaux, son imagination lui dessine les plages ensoleillées de la belle Adriatique et des îles Ioniennes, théâtre des exploits du terrible Uscoque, ou bien, au contraire, les lugubres impressions d’une nuit orageuse font naître les sombres scènes du château des Mauprat.

Mauprat est avec raison considéré comme un des meilleurs romans de George Sand, on le lit encore avec le même intérêt qu’à l’époque de son apparition[558]. Et la première raison en est que la donnée générale du roman, très caractéristique pour George Sand, n’est nullement vieillie, mais a plutôt un intérêt d’actualité palpitant de nos jours, où, d’une part, le Gant de Björsnson et la Sonate à Kreutzer nous prêchent la nécessité d’une parfaite moralité avant le mariage tant pour l’homme que pour la femme, et où, d’autre part, le déterminisme réaliste proclame le pouvoir tout-puissant et absolu des lois d’hérédité et de l’ambiance sur tout individu, l’impossibilité de se soustraire à leur joug. Or, les écrivains amis de cette dernière théorie, condamnent les héros de leurs romans à rester inertement confinés dans les vices héréditaires et toujours au même niveau moral, et cela depuis leur première apparition devant le lecteur jusqu’à la dernière page du livre, sans nulle possibilité de changer, sans aucune lutte avec les circonstances, sans moyen de se corriger, de devenir meilleur, de s’élever, comme s’il n’y avait dans la vie qu’immobilité et inertie.

George Sand avait d’autres croyances. Elle voyait la vie autrement. Malgré sa condescendance sans bornes, sa générosité envers les faibles, les criminels, les hommes vicieux, malgré sa compréhension des circonstances fatales qui peuvent entraîner au crime des personnes que la nature a faites bonnes, elle croyait à la libre volonté, au libre arbitre ; comme Rousseau, elle était persuadée que l’homme est bon en sortant des mains de Dieu et que c’est la société qui le corrompt[559]. Elle croyait donc à la possibilité pour chacun, fût-il le plus dépravé des hommes, le plus ignorant, le plus obscur, le plus malheureux, le plus sauvage ou le plus criminel, de se corriger, de se sauver, de s’amender, de s’élever et de s’éclairer. C’est même là un de ses thèmes favoris. Trenmor, grâce à un esprit hors ligne, à une ferme volonté et plus encore à la vive pitié qu’il porte aux malheureux, de joueur, d’assassin, et de forçat banni de la société, redevient un ami et un membre utile de l’humanité. Bernard Mauprat, de [560] petite bête sauvage, haïe de tout le monde, et haïssant chacun, de rejeton brutal, digne élève de ces derniers chevaliers coupe-gorge qui ne connaissaient que la rapine et la violence, ce Bernard Mauprat, par la force de son amour pour la fière, pure et généreuse Edmée, se transforme en homme cultivé et instruit, devient non seulement un brave et honnête citoyen, mais encore une individualité rare, capable de sacrifice, d’abnégation. Ce qui plus est, la force de cet amour modifie si complètement sa nature sans frein, qu’en finissant le récit de son existence, il peut s’écrier :

« Elle fut la seule personne que j’aimai dans toute ma vie : jamais aucune autre n’attira mon regard et ne connut l’étreinte de ma main. »

George Sand revient souvent, dans ses romans ultérieurs, à cette donnée de la rédemption, de l’éducation et de la purification de l’être humain par l’amour. Nous la retrouvons encore dans Nanon, Cadio, Valvèdre et les Maîtres sonneurs.

Dans Mauprat, la transformation morale et la renaissance de l’homme sous l’effet de l’amour et sous l’influence d’un être supérieur, sont peintes avec un talent extraordinaire. De jeune animal qui ne voulait rien connaître que la chasse et la table, Bernard devient d’abord une brute dangereuse, qui veut violemment se rendre maître de sa jeune cousine tombée entre ses mains, puis un homme sauvage et follement passionné, mais noble, mettant déjà l’amour au-dessus de la possession, et tâchant d’obtenir cet amour, assez gauchement, il est vrai, mais y travaillant quand même. Puis s’étant rendu compte de son ignorance complète et de ses défauts, il se met à étudier avec toute l’opiniâtreté de sa nature fougueuse ; il en arrive même à être pédant, orgueilleux de ses connaissances, et tombe dans un amour-propre maladif. Mais, de plus en plus éclairé par la lumière de l’esprit et soutenu par le véritable amour, il devient enfin un homme distingué, capable d’abnégation et, plutôt que d’être un objet de terreur et de haine pour Edmée, en profitant de sa parole arrachée dans un moment de danger, il préfère renoncer à la jeune fille adorée, et mourir loin de sa patrie, et dans la guerre pour l’indépendance de l’Amérique, afin de mériter son estime. Revenu pourtant dans son pays, il trouve le bonheur ; mais au moment de l’atteindre, le dernier des Mauprat, le hideux Jean le Tors attente à la vie d’Edmée. Le soupçon retombe sur Bernard. Il est arrêté et jugé. À la fin tout s’explique et Bernard épouse sa bien-aimée. Les étapes successives que traverse cette nature exceptionnelle et puissante sont tracées de main de maître. L’apparition d’Edmée sous les voûtes sombres du castel des Mauprat ; le siège du château par la maréchaussée royale ; la scène passionnée de la chapelle, dont il n’existe de pendant que dans le dialogue nocturne d’Esmeralda et de Claude Frollo ; la veillée à la tour Gazeau ; la scène de jalousie de Bernard à propos de M. de la Marche, un autre prétendant à la main d’Edmée, et l’explication en sa présence, entre Bernard et Edmée ; enfin, l’épisode final, un peu mélodramatique il est vrai, mais grandement puissant et hardiment beau, et l’apparition inattendue de Jean de Mauprat, la tentative de meurtre d’Edmée et la scène du tribunal, — voilà des pages que le lecteur n’oubliera jamais. Le souffle des siècles passés, de farouche mémoire, semble traverser le roman, l’air de ces temps où les hommes et les passions étaient désordonnés, violents, excessifs. Et avec cela, quel charme dans cette adorable figure d’Edmée qui semble mieux que toute autre mériter l’épithète de « forte et terme dans sa pureté » que Dostoïevsky a donnée aux héroïnes de George Sand. Edmée, cette brave, fière et intrépide jeune fille, qui aime Bernard dès le premier moment, mais ne le lui montre pas, qui le guide et le transforme, faisant de lui un homme digne d’elle et de sa propre estime ; ce grand esprit et ce grand caractère nous rappelle toujours la Portia du Marchand de Venise, notre héroïne préférée de toutes les femmes de Shakespeare. Oui, il nous semble qu’Edmée est la sœur cadette de cette vaillante et spirituelle jeune fille qui, travestie en docteur ès lois, se nomme Baltazar, marche à grands pas, contrefait sa voix en parlant gravement au doge et aux juges, et sauve le pauvre Antonio des griffes de Shylock. Il nous semble que ce charmant justicier donne en souriant la main à la blonde Edmée, vêtue en amazone de drap gris, soutachée d’argent, chapeau à plumes et à larges bords, cravache à la main, qui entre fièrement dans la sombre salle du château des Mauprat, tâchant vainement de masquer la terreur qui l’envahit, soutenant sans sourciller le terrible tête-à-tête avec Bernard, dangereux comme un loup en liberté, et parvenant à le dompter par l’ascendant de son âme indomptable, par celui de son esprit, et par le charme de sa pureté virginale. On trouve dans le roman des longueurs, des déclamations, des réminiscences des théories de Michel et de Rousseau dans la bouche de Patience. Mais, on peut assurer que cette œuvre artistique occupe une place à part parmi les romans de George Sand, par l’ensemble de toutes ses parties comme par ses détails, par son coloris, par son style, par la puissance de la peinture des personnages principaux aussi bien que des figures secondaires, sans en excepter même le bon petit chien Blaireau. Jamais ni Bernard, ni Edmée, ni Patience, ni Marcasse ne se confondront dans notre mémoire avec les autres héros de George Sand ; jamais nous ne les oublierons !

Mauprat fut fini et publié en 1837, sous des impressions plus riantes que celles qui présidèrent à sa naissance, et c’est pour cela que George Sand put dire, plus tard, dans la préface du roman, que ce ne fut qu’après avoir plaidé en séparation que le mariage, dont jusque-là elle avait combattu les abus, lui « apparut dans toute la beauté morale de son principe comme une institution sacrée ». Mauprat est comme la solution posée à la question soulevée dans Jacques, et une solution bien positive : le bonheur est possible dans un mariage indissoluble et vraiment saint, lorsque ce mariage est basé sur l’estime mutuelle, l’amour constant et la fidélité des époux ; mais il faut savoir conquérir et mériter ce bonheur.

On voit par là que vers 1837, une période plus paisible commençait pour George Sand. Sa vie de famille prit un caractère de stabilité et de calme, ses idées se fixèrent et s’éclaircirent dans son esprit.

À partir de ce moment, les heures orageuses de doute et de désespoir font place chez elle à une compréhension plus philosophique de l’existence ; ses entraînements et ses passions, sans disparaître de sa vie, n’accaparent plus toute son âme, comme dans le passé. Hâtons-nous d’ajouter cependant que cette évolution ne se fit pas sans lutte et sans souffrance. Peut-être même que la fin de l’année 1837 fut une des périodes les plus tristes de sa carrière.

Ce fut pour George Sand une époque de chagrins, d’inquiétudes et de larmes. Un jour, au moment du dîner, probablement vers la fin de juillet, un des derniers jours que Liszt et Mme d’Agoult passèrent à Nohant, George Sand reçut une lettre de Pierret, une lettre lui annonçant que sa mère était gravement malade. Elle partit le jour même pour Paris, par Châteauroux, et arriva à temps : elle trouva sa mère encore en vie et put l’entourer de soins et de consolations pendant ses derniers jours. Quoique George Sand nous dise dans l’Histoire de ma Vie que ses rapports avec sa mère, durant les dernières années, avaient été meilleurs, les pages qu’elle consacre à sa maladie et à sa mort sont tièdes, on y sent une certaine contrainte, et dans les lettres de George Sand à des tiers, on voit souvent des phrases comme celles qui suivent :

« La pauvre chère femme a été si bonne et si tendre pour moi au moment de mourir, que sa perte m’a causé une douleur tout à fait excédant mes prévisions[561]… »

« … Le lendemain matin, je l’ai trouvée raide dans son lit et j’ai senti en embrassant son cadavre que ce qu’on dit de la force du sang et de la voix de la nature n’est pas un rêve, comme je l’avais souvent cru dans mes jours de mécontentements.

« Me voilà revenue à Fontainebleau, écrasée de fatigue et brisée d’un chagrin auquel je ne croyais pas, il y a deux mois. Vraiment le cœur est une mine inépuisable de souffrances[562]. »

On dirait, à en juger par ces phrases, que George Sand était elle-même comme étonnée du chagrin qu’elle éprouvait à l’occasion de cette mort, et cela ne fait qu’augmenter l’impression de froid et de gêne que nous causent les pages de l’Histoire de ma Vie, consacrées à cet événement. Évidemment, il n’était plus question de l’adoration romanesque que, dans son enfance, elle avait portée à sa mère, et ses relations envers elle avaient pris cette nuance de pitié dédaigneusement condescendante, que l’on a pour les déséquilibrés. Et toutes les phrases, officiellement chagrines, dans le genre de « pauvre excellente femme », « j’ai perdu ma pauvre mère », ne peuvent détruire l’impression produite par l’ensemble de tout ce que George Sand dit des derniers jours et des dernières années de la vie de sa mère. Ces phrases ne sont que l’expression de ce sentiment de culpabilité que chacun de nous éprouve envers les défunts, alors qu’il est déjà trop tard pour réparer nos torts. George Sand était loin d’être coupable envers sa mère, bien au contraire, mais elle était peut-être tourmentée par la pensée de n’avoir eu dans les derniers temps que de la calme impartialité envers sa mère, et de ne l’avoir plus aimée passionnément et aveuglement.

Notons pourtant ici ce que dit George Sand de l’intérêt que Mme Dupin prenait à sa carrière littéraire :

« Ma renommée littéraire produisait sur elle les plus étranges alternatives de joie et de colère. Elle commençait par lire les critiques malveillantes de certains journaux et leurs insinuations perfides sur mes principes et sur mes mœurs. Persuadée aussitôt que tout cela était mérité, elle m’écrivait ou accourait chez moi pour m’accabler de reproches ; en m’envoyant ou m’apportant un ramassis d’injures qui, sans elle, ne fussent jamais arrivées jusqu’à moi. Je lui demandais alors si elle avait lu l’ouvrage incriminé de la sorte. Elle ne l’avait jamais lu avant de le condamner. Elle se mettait à le lire après avoir protesté qu’elle ne l’ouvrirait pas. Alors, tout aussitôt, elle s’engouait de mon œuvre avec l’aveuglement qu’une mère peut y mettre ; elle déclarait la chose sublime et les critiques infâmes ; et cela recommençait à chaque nouvel ouvrage. Il en était ainsi de toutes choses à tous les moments de ma vie. »

Il est très intéressant de comparer ces lignes de George Sand avec une lettre inédite de Sophie-Antoinette à Casimir, écrite en 1834, dans laquelle Mme Dupin tâche d’apaiser et de calmer le mécontentement de Dudevant envers sa femme. S’adressant d’abord à ses sentiments paternels, et lui rappelant que c’est à lui et à Aurore qu’il incombe de penser à une vie de famille régulière pour Maurice et Solange, elle continue en lui remémorant qu’Aurore n’est pas une femme ordinaire, qu’elle mérite d’être appréciée, car « son nom doit être placé à côté de celui de Mme de Staël », — preuve que malgré le peu d’éducation qu’elle avait reçue, Sophie-Antoinette était douée de sens critique et artistique, et qu’elle savait apprécier le talent de sa fille.

Les dernières paroles que prononça Sophie-Antoinette Dupin avant de mourir furent : « Arrangez-moi mes cheveux. » Elle ne démentit donc pas, même à sa dernière heure, son caractère et les habitudes de sa vie[563]. Après l’enterrement, George Sand ne revint pas à Nohant, mais s’en retourna à Fontainebleau où elle s’était installée dès avant la mort de sa mère. Dans l’Histoire de ma Vie, il est dit qu’elle s’y installa avec Maurice, donnant à penser qu’elle ne l’avait fait que pour lui ; mais il n’en est pas ainsi. Il est vrai que, dans la Correspondance, on ne trouve en fait de lettres de Fontainebleau, que celles qui furent écrites après le 24 août, c’est-à-dire à l’époque où Maurice y était déjà. Mais parmi les lettres inédites il y en a une de La Châtre, du 22 juillet, deux de Fontainebleau, du 24 et du 26 juillet, une autre ne portant que « juillet », sans autre date, et enfin une datée du 1er août ; ces lettres portent donc les mêmes dates que celles des lettres imprimées, mais antérieures d’un mois, et ce n’est pas là une erreur : les lettres imprimées dans la Correspondance ont réellement été écrites un mois plus tard, mois passé en majeure partie à Fontainebleau, toutefois d’abord sans Maurice. La preuve en est que plusieurs des lettres inédites, datées de juillet, sont justement adressées à Maurice, au château d’Ars, près de la Châtre, où, en l’absence de sa mère, il demeurait chez Gustave Papet, et elle lui dit entre autres qu’elle l’ « attendra à Fontainebleau ». Dans d’autres lettres inédites, adressées à Girerd, elle dit que « Michel a l’intention de se faire élire député du Cher», et que, d’après les nouvelles qu’elle a reçues, il se propose de venir à La Châtre, tandis que les lettres imprimées datées de la fin d’août nous apprennent que Girerd et Michel sont déjà élus. George Sand s’était donc établie à Fontainebleau à la fin du mois de juillet. Il paraît que Mallefille s’y trouvait également à cette époque, car pendant que George Sand soignait sa mère mourante, il se passa ce qui suit : on annonça à Mme Sand que Dudevant est à La Châtre et qu’il a l’air de vouloir enlever Maurice. « Alors — dit George Sand, dans sa lettre à Duteil — je fais atteler en poste mon cabriolet, que j’avais amené à Fontainebleau et j’envoie Mallefille chercher mon fils. Dudevant ne paraît pas en Berry. C’était une fausse alerte, une menace en l’air. Je me rassure[564]. »

En effet, Mallefille ramena heureusement et sans obstacle, Maurice près de sa mère, à Fontainebleau, où ils demeurèrent quelque temps dans une petite auberge perdue à la lisière de la forêt. On passait les jours en promenades à cheval, à âne ; on faisait des chasses aux papillons. Et pendant la nuit, George Sand continuait son excessif labeur littéraire. C’est là qu’elle écrivit cette Lettre de Fontainebleau, dont un fragment est seul publié, et dont nous avons parlé au chapitre viii, et la Dernière Aldini. Nous avons dit dans le même chapitre quels souvenirs, unissant dans l’esprit de George Sand Venise à Fontainebleau, firent naître ce roman. Contentons-nous d’ajouter ici que d’après une rumeur qui a couru, et que nous ne pouvons ni rejeter ni affirmer, Mallefille aurait collaboré à cette œuvre.

Pendant que George Sand et son fils jouissaient du calme de la forêt et des beautés de la nature, travaillaient et herborisaient, M. Dudevant accomplit réellement un enlèvement ; il emmena de Nohant la petite Solange. Ayant en toute hâte confié Maurice aux soins de Mme Marliani[565], sans perdre une minute, George Sand se mit à faire des démarches, fit jouer le télégraphe[566], se procura des lettres de recommandation de la part des ministres, se munit des autorisations nécessaires, mit sur pied toutes ses connaissances et vola à Nérac. Grâce à l’aide du sous-préfet, le baron Hausmann, — plus tard préfet de la Seine, — et de l’administration locale, grâce surtout aux papiers dont elle s’était fort perspicacement munie, elle se présenta à Guillery flanquée des fonctionnaires de la justice et de la gendarmerie, et exigea que sa fille lui fût rendue[567].

Dudevant voyant qu’il ne lui restait qu’à se soumettre à la loi, remit la fillette à sa femme sur le seuil de la propriété, car George Sand avait refusé d’y entrer, ce qui lui était, du reste, défendu en vertu du jugement prononçant la séparation de corps et d’habitation. Cet épisode amena, comme nous l’avons dit, le second procès entre les deux époux, par lequel il fut décidé que les deux enfants seraient définitivement confiés aux soins de leur mère.

Après avoir délivré Solange, George Sand, se trouvant à quelques pas de ses chères Pyrénées, ne put résister à la tentation de les visiter encore une fois. Elle revit, en compagnie de sa belle enfant, tous les sites enchanteurs de jadis : Cauterets, Bagnères, Saint-Sauveur, et poussa jusqu’au Marboré. Toute l’excursion ne dura que quatre jours et de là, sans s’arrêter nulle part, elle revint à Nohant où elle passa avec ses enfants l’automne et presque tout l’hiver.

En dehors de la mort de sa mère, du refroidissement de son amitié avec Mme d’Agoult, et des inquiétudes que lui avaient données l’enlèvement de sa fille, George Sand eut encore à cette époque à traverser une autre épreuve : sa rupture définitive avec Michel. Toutes les lettres inédites à Girerd, leur ami commun, de même que les Lettres de femme inédites, nous donnent les détails de la douloureuse fin de ce grand amour, plein d’abnégation de la part de George Sand, et qui lui avait donné aussi peu de bonheur que son premier amour mystique pour de Sèze et sa brûlante passion pour Musset.

C’est aussi à cette époque que se rapporte la Fauvette du docteur, charmant petit poème en prose, daté de juillet 1837, mais qui n’a été imprimé qu’en 1844. Nous trouvons en note sur la dernière page que, d’après les renseignements pris par l’éditeur, George Sand n’avait alors parmi ses amis aucun docteur de quatre-vingts ans, et que ce docteur ne peut être autre que l’auteur lui-même. Mais, pour nous, avant même que nous ayons vu ce petit fragment écrit dans les feuillets du journal de Piffoël, il n’était que trop clair que c’est le docteur Piffoël qui l’a écrit. Au moment où il écrivait ces quelques pages racontant comment un petit oiseau qu’il avait sauvé, en récompense des tendres soins qu’il lui avait prodigués, s’était attaché à lui dans l’espace de dix jours, l’ami Piffoël n’était certes plus le brave et gai docteur-voyageur, qui avait su calmer doucement l’âme malade et rongée par le doute de la « princesse Mirabella ». Il était lui-même profondément triste et désenchanté, et tout ce qu’il dit des attachements humains et de l’ingratitude des hommes, trahit d’autant plus l’amertume et le mépris qui remplissaient son cœur, qu’il vient de peindre en quelques traits pleins de tendresse l’histoire touchante de la petite fauvette qu’il avait sauvée.

C’est à ce moment aussi que se rapportent les lettres inédites à Girerd[568], dont la première est datée de juillet, sans autre indication de jour, et qui sont comme l’épilogue des Lettres de Femme :


« Bon frère,

« Je suis à Paris ; on m’y renvoie ta lettre. Je suis venue soigner ma pauvre mère qui est mourante, et j’y resterai jusqu’à ce que sa triste position se décide. Certainement dès que je pourrai retourner à Nohant, tu viendras m’y voir et j’y compte.

« Tu me crois heureuse, mon ami. Je suis loin de là ; outre la maladie douloureuse à laquelle j’assiste, j’ai souffert de la part de Michel tout ce que tu avais prévu. Ce que tu m’avais prédit dans ta dernière lettre est arrivé aussi. Lasse de dévouement, ayant combattu ma fierté avec toutes les forces de l’amour, et ne trouvant qu’ingratitude et dureté pour récompense, j’ai senti mon âme se briser et mon amour s’éteindre. Je suis guérie ; ne me félicite pas trop de ce triste bonheur, et ne me plains pas non plus, car, relativement, j’ai à remercier ma destinée. Ces affreuses angoisses ont cédé à leur propre excès. À force de saigner, la plaie s’est fermée, et cette fois je suis sûre de mon fait : je n’aime plus. Je sens que le voile est tombé et que j’ai recouvré mes forces. J’en ai besoin, car je suis arrivée au dernier degré de désenchantement. Mais qu’importe ? Sommes-nous ici bas pour être heureux ? Et de quel droit le serions-nous ? Nous sommes en mer, la volonté des vents et des flots soit faite !

« Je ne suis point ingrate ! Je sens le bonheur d’avoir des enfants, et quoique profondément triste que je sois, l’amitié me trouvera toujours digne de ses bienfaisantes sollicitudes. Combien la tienne a été grande, intelligente, attentive et délicate !

« Ne crains pas que je t’oublie jamais et quand tu seras malheureux, songe qu’il y a une âme qui t’appartient et qui a droit à la moitié du fardeau.

« Écris-moi à Nohant. Je te tiendrai au courant de ce que je fais. »


Et à Duteil elle écrit de Fontainebleau le 1er août.

« Michel est venu en mon absence. Il a passé une heure à Nohant et la journée à Ars. Est-il venu pour moi ou pour tâter la députation à La Châtre[569] ? Il ne faut pas flairer les choses de trop près. De ce côté-là, du moins, mon esprit est bien portant. Michel n’a pas de chances à La Châtre, on dit qu’on le porte à Niort. Est-ce vrai ? Je crains que cela ne lui passe devant le nez encore une fois. Le vent ne souffle pas de ce côté.

« Adieu ! Adieu ! »


Mais un peu plus tard, elle dit de nouveau à Girerd :

« Je reçois en même temps une lettre de Duplan qui m’apprend que Michel est près de toi ! Vous avez causé, vous vous êtes dit tout ce que vous aviez à dire. Tu n’as pas pu mal dire et mal faire. Tout ce qui part d’un cœur comme le tien, doit être vrai, généreux et juste. Je suis donc bien tranquille. Tu n’as pas abandonné ma cause, j’en suis sûre, et tu connais trop le fond de mon âme pour ne pas m’avoir défendue éloquemment. D’ailleurs, qu’importe à présent ! Je ne puis plus désirer que ce lien terrible soit renoué ! Je ne le désire plus, je ne le peux plus, je ne le veux plus.

« Peut-être un jour viendra, où Michel sentira qu’il a brisé durement le cœur le plus dévoué qui ait jamais battu pour lui. Si ce jour vient et que mon amitié lui soit désirable, il retrouvera en moi un sentiment que l’âge aura rendu plus calme et que le temps n’aura pas rendu moins sincère et moins tendre. Mais ce temps est loin ; il faudra des années pour fermer la blessure profonde que j’ai au travers de la poitrine.

« Dans la lettre que Duplan m’écrit, Michel semble désirer une entrevue avec moi. Moi, je l’éviterai. Fais-le comprendre à Michel, s’il est encore près de toi. Je vois à la manière détournée dont il m’exprime sa fantaisie, qu’il met beaucoup d’orgueil à toutes ces choses. Il ne peut plus y en avoir dans mon âme. Ménage le sien, et dis-lui que je vais voyager, que je ne sais moi-même où j’irai. Le fait est que je retourne à Nohant au mois d’octobre, pendant que Michel sera à Paris (car il paraît devoir y aller, d’après la lettre de Duplan).

« Il faudra que tu viennes me voir, n’est-ce-pas, mon bon frère ! oh ! que tu as été bon pour moi ! Comme tu as compris et senti ma souffrance !

« Adieu, cher frère, je ne te dis rien du présent, afin que si l’on t’interroge là-dessus, tu n’aies pas d’embarras pour répondre. Tout se résume dans ce mot qui est notre devise à tous, à lui, l’orgueilleux, comme à moi, le bohémien :

« Malheur ! Malheur ! Malheur ! »


Il est vrai que le 18 septembre encore, elle annonce à Girerd qu’elle a reçu une lettre de Michel « avec sommation, sans autre forme de procès, de me rendre à Châteauroux pour le voir. Tu penses que je n’y suis pas allée ? Tu te trompes. J’ai fait huit lieues au galop par une nuit glacée pour le voir un instant. Il est resté alors deux jours avec moi. Il allait à Niort ; et à son retour, bien qu’il m’eût juré qu’il ne remettrait jamais les pieds à Nohant, il est arrivé au milieu de la nuit. Il est avec moi d’une tendresse et d’une bonté inconcevables, après tout ce qui s’est passé de cruel entre nous. Au reste, notre position respective est changée, et il y a de si étranges complications que je ne puis te les dire que verbalement ; ce serait trop long. Viens me voir. »

Mais quelques jours plus tard, elle répète ce qu’elle avait dit précédemment.


« Je crois que j’ai enfin terrassé le dragon et que cette passion tenace et ruineuse de toutes mes facultés a enfin été guérie par une autre affection plus douce, moins enthousiaste, moins âpre aussi, et j’espère, plus durable. Michel est maintenant à l’abri de tout chagrin venant de moi. Il est dans l’élément qu’il lui fallait pour vivre, il voit de temps en temps des personnes de mes amis auxquelles il dit que je suis le seul amour de sa vie. Quel amour ! mais je n’en suis plus blessée. Le calme et la justice sont rentrés dans mon cœur, et je l’aime aujourd’hui comme tu l’aimes toi-même. Du moins, je me flatte qu’il en est ainsi, je l’espère, j’y travaille, je fuis Paris. J’irai en Italie au printemps, je passerai par Nevers, pour te voir, pour rester deux ou trois jours près de toi.

« Adieu, cher bon, je t’embrasse de toute mon âme ; mes enfants aussi t’embrassent. »


Il est à croire que les mots sur « l’affection plus douce, moins enthousiaste » se rapportent à Félicien Mallefille qui, d’après une lettre inédite de George Sand à Mme Marliani, — arriva à Nohant aussitôt après son retour de Nérac : « deux heures après mon retour dans mes foyers respectives (toujours) », écrit-elle à Mme Marliani — et qui, ayant remplacé Pelletan dans ses fonctions de précepteur du jeune Maurice, passa tout l’hiver de 1837-1838 à Nohant.

Ainsi, c’était déjà pour la seconde fois qu’après la passion malfaisante et torturante d’un grand homme, George Sand espérait trouver le bonheur et le repos dans l’amour calme d’un simple mortel. Après Musset, Pagello, après Michel de Bourges, Mallefille. Certes, elle s’abusait encore une fois là-dessus ! Et peut-être est-ce à ce propos que nous revient bien souvent à l’esprit une charmante analogie que nous trouvons dans le Roudine de Tourguéniew :

« Roudine se mit à arpenter la chambre, puis tournant brusquement sur ses talons, il dit :

— « Avez-vous jamais remarqué que sur le chêne, cet arbre robuste, les vieilles feuilles ne tombent que lorsque les nouvelles commencent à pousser.

— « Oui, répliqua Nathalie lentement, je l’ai remarqué.

— « Il en est de même d’un vieil amour dans un cœur puissant. Cet amour est déjà mort, mais il tient encore et ce n’est qu’un autre, un nouvel amour qui peut l’extirper… »

Pendant l’hiver de 1837-1838, George Sand consacra presque tout son temps à ses enfants, s’occupant avec ardeur de leur instruction et espérant qu’il lui serait possible de remplir seule, ou bien avec le secours d’amis comme Mallefille, les fonctions de tous les professeurs et de faire faire à ses enfants toutes les études exigées par les programmes reçus.

Encore au printemps de 1837, le 16 avril, George Sand écrivait à Auguste Martineau-Deschenez :


« Eh bien, que devenez-vous, mademoiselle Benjamin ? M’aimez-vous ? Pensez-vous à moi ? Il me semble que vous êtes bien paresseuse. Pour moi, il y a longtemps que je t’aurais écrit, sans la corvée de Mauprat, et mes enfants malades, chacun à son tour. Solange m’a beaucoup inquiétée. Elle a eu la petite vérole volante, qui est une assez laide et une assez rude maladie. J’ai même craint pour ses belles joues, tant l’éruption était forte. Mais heureusement, il n’y paraît pas ; les roses et les lys ont refleuri sur son visage. Elle est gaie, folle, fantasque, aimable et détestable au suprême degré.

« Maurice, après avoir été très bien pendant six semaines, est redevenu chétif depuis quelques jours. C’est un bon enfant. Ma vie se partage entre eux deux, et le vieux époux, que je vois de temps en temps, et près de qui je vais passer quelques heures à des intervalles assez éloignés. Le cours ordinaire du temps s’écoule dans ma chambre depuis que j’ai quitté Paris, et maintenant elle est bruyante comme une classe. On y braille des leçons de latin et d’anglais toute la journée, tandis que je dors, car, selon ma coutume, je me couche au grand jour, et quelquefois je m’éveille en sursaut, au régime direct, ou bien j’entends dans les nuages du sommeil, des voix fantastiques, qui conjuguent en chœur des verbes réfléchis. »

Il semble qu’outre Maurice et Solange, ce sont les enfants de Pierre Leroux, que George Sand voulait encore adopter, vu la position pécuniaire très pénible où se trouvait alors Leroux[570], qui faisaient les voix de ce chœur. Ce projet n’eut pourtant pas de suite. George Sand avait d’ailleurs bien assez à faire avec ses propres enfants. Il paraît qu’il n’était pas facile de venir à bout de Solange, et Maurice, que sa mère gâtait beaucoup, ne manifestait de goût que pour la peinture. Aussi George Sand dut-elle se décider bientôt à faire entrer Solange dans un pensionnat, chez Mme Bascans, et Maurice s’adonna entièrement à la peinture, d’abord sous la direction de Mercier, frère du célèbre sculpteur, puis il entra dans l’atelier d’Eugène Delacroix. Mais durant les années 1837-1838, George Sand fut elle-même l’institutrice et la gouvernante de ses enfants, et si l’on se rappelle d’une part les paroles de Heine :

« J’ai assisté pendant de longues heures aux leçons de français qu’elle donnait à ses enfants, et c’est bien dommage que l’Académie française, in corpore, n’assistât pas à ces leçons, car elle en aurait pu tirer beaucoup de choses utiles[571]. »

Et si d’autre part, l’on relit attentivement les réflexions sur l’enseignement, et les déductions que George Sand avait tirées de sa longue pratique pédagogique et qu’elle publia plus tard dans les chapitres xi, xii et xiii de ses Impressions et souvenirs sous le titre de : « Les idées d’un maître d’école »[572], il faut reconnaître que Maurice et Solange n’auraient pu désirer une meilleure institutrice.

Mais ces occupations pédagogiques extra ne pouvaient aller de front avec le constant travail auquel George Sand consacrait ses nuits, et qui, à ce moment, était d’autant plus urgent qu’il devait servir à régler la somme de 50.000 francs qu’elle devait payer immédiatement à Dudevant en échange des revenus de l’hôtel de Narbonne auxquels il avait renoncé. Mais George Sand avait d’ailleurs subi d’autres pertes encore, par suite du procès qu’elle avait eu dans le courant de cette même année 1838 contre son éditeur, procès qu’elle gagna, il est vrai, mais dont la conséquence immédiate fut la rupture du contrat, ce qui fit que pendant qu’elle était à la recherche d’un autre éditeur, l’argent s’était fait assez rare chez elle, ce qui l’amena à écrire peu après au major Pictet :

« J’ai gagné deux procès et me voilà ruinée[573]. »

Elle pouvait donc, moins que jamais, diminuer ses heures de travail.

Durant l’hiver de 1837-1838, Mallefille lui vint en aide, quant à ses occupations avec ses enfants. Nous trouvons d’ailleurs quelque chose d’étrange et d’inexplicable dans les relations de George Sand et de Mallefille.

D’une part, dans ses lettres à la comtesse d’Agoult et à Pierre Leroux, elle dit que Mallefille est « une nature sublime », un excellent cœur, et elle assuré même qu’elle est prête à donner pour lui « la moitié de son sang », qu’elle « l’aime de toute son âme »… et d’autre part, dans ses rapports personnels avec lui on sent un peu de dédain ou même de mépris. Ainsi, par exemple, il arriva que Mallefille écrivit, au cours de cet hiver, une lettre soit mal tournée, soit trop peu respectueuse, soit enfin pas assez correcte, orthographiquement parlant, à la charmante comtesse à qui il avait déjà, pendant l’été, fait un brin de cour. George Sand avait envoyé la lettre avec la sienne, sans y jeter les yeux. La comtesse d’Agoult en fut fort irritée et ne tarda pas à le faire voir dans une lettre à George Sand, tout en ayant aussi l’air de s’étonner que celle-ci eût osé lui envoyer pareille missive. Mallefille, de son côté, crut pouvoir reprocher à George Sand de ne lui avoir pas appris à écrire. Alors, malgré la place que Mallefille occupait déjà dans sa vie, George Sand le livra, pieds et poings liés, en écrivant à la comtesse la lettre la plus drôle et la plus charmante du monde, mais mortellement dédaigneuse pour le pauvre jeune homme, lettre dont voici le sens : « Je ne suis pas responsable des actes de Mallefille, je ne me sens nullement obligée de lui apprendre à écrire des lettres, et s’il commet des bêtises, tant pis pour lui. »

Cela se passait au mois de janvier, et au mois de septembre de la même année 1838, lorsque Mallefille se permit « des bêtises » à l’égard de George Sand elle-même, en ne pouvant se décider à prendre au sérieux la résolution qu’elle avait prise de ne plus avoir pour lui que de l’amitié (après six mois d’intimité plus complète) et qu’il se permit de la tourmenter par des scènes de jalousie, elle s’en plaignit, cette fois sans plaisanteries, à leur maître et ami commun Pierre Leroux, et lui demanda de sermonner Mallefille à la première occasion. (Mallefille devait, en effet, se rendre avec Rollinat chez Leroux, pour parler philosophie.) Elle demanda donc à Leroux, dans une lettre datée du 26 septembre 1838, de calmer la passion tragique de Mallefille, qui « est allé, ces jours-ci, faire un esclandre tout à fait coupable envers moi, et se battre en duel avec un de mes amis. Il semble guéri aujourd’hui, et je m’attends à ce qu’avant huit jours, il viendra me demander pardon. Mais tout ce vacarme pourrait recommencer au premier jour avec quelque autre. Il a abdiqué provisoirement sa jalousie. » Il faut donc que Leroux use de toute son influence pour l’apaiser ; « … il a beaucoup travaillé, mais mal, et ses études ont plus développé son orgueil que sa sagesse ».

Elle définit plus loin ce qu’elle demande précisément.

« Quand viendra entre vous la question des femmes, dites-lui bien qu’elles n’appartiennent pas à l’homme par droit de force brutale, et qu’on ne raccommode rien en se coupant la gorge… »

Elle peut assurer qu’elle fut toujours sincère avec Mallefille ; elle l’avait aimé de tout son cœur pendant six mois, mais voilà trois mois qu’il n’y a plus d’intimité entre eux et deux mois qu’elle lui a franchement déclaré que tout est fini.

Quant à celui qui viendra chez Leroux avec Mallefille, c’est un homme tout différent. « Je ne vous dirai de Rollinat que ce que je vous ai déjà dit plusieurs fois. C’est un saint et un martyr. Depuis l’âge de vingt ans, il plaide pour le mur mitoyen afin de nourrir et d’élever honorablement père, mère et onze frères et sœurs dont il est l’aîné. Il les a tous menés à bien… Il porte leurs vieilles bottes et leurs vieux habits, afin qu’ils aient bonne façon, tandis que lui peine et va comme un pleutre ! et il n’a pas d’amours, le vertueux garçon. »

George Sand avait mis sous le même pli une petite image coloriée, comme celles qu’on trouve sur des cartonnages, et représentant saint Pierre secouru par le Seigneur, au moment où les vagues vont l’engloutir. C’est à l’occasion de cette petite image que, jouant sur les mots, et faisant allusion au nom de Pierre que porte Leroux, George Sand ajoute :

« Soyez le sauveur de celui qui se noie et le consolateur de l’autre, du martyr inconnu, adonné à une profession qu’il déteste, mais qu’il n’abandonne pas, tant qu’il y a une responsabilité qui pèse sur lui[574]. »

Pourtant, malgré ce caractère complexe et double de ses relations avec Mallefille[575], tantôt tout amicales, tantôt côtoyant le dédain, elle lui prêta secours et aide à ses débuts littéraires. Mallefille se trouvait alors dans une position pécuniaire fort embarrassée et ne parvenait pas à faire publier une œuvre qu’il avait écrite. Alors George Sand, pour l’aider et pour lui donner le moyen de gagner le plus possible, signa de son nom, à elle, son œuvre, à lui : Le dernier Sauvage[576], qui fut imprimé comme étant de George Sand, tout comme, quelques années plus tard, elle signa de son nom le récit de Balzac : Voyage d’un moineau de Paris. Balzac avait, à cette époque, besoin d’argent et Stahl (Hetzel) refusa d’insérer dans son livre : Scènes de la vie privée des animaux (2 volumes 1842) cette fantaisie de Balzac, qui avait déjà donné dans ce recueil plusieurs autres articles. Alors George Sand signa de son nom le Voyage d’un moineau de Paris, et de cette manière, Balzac toucha la somme dont il avait besoin à ce moment[577].

Comme nous n’avons pas parlé jusqu’à présent des relations personnelles des deux grands romanciers, saisissons cette occasion pour en dire quelques mots ; cette occasion nous semble d’autant plus propice que ce fut précisément au commencement de 1838 que Balzac vint voir George Sand à Nohant. Ils avaient fait connaissance tout au début de sa carrière littéraire, presque immédiatement après son installation à Paris. Ce fut Jules Sandeau qui les présenta l’un à l’autre, bien qu’il fût lui-même peu en relations avec Balzac à cette époque. Les rapports entre le célèbre écrivain et la romancière en herbe furent d’emblée de nature cordiale : ils devinrent vite camarades. L’Histoire de ma Vie, nous peint des soirées et des dîners absolument curieux chez Balzac, et l’impression que fit alors sur la jeune femme ce rêveur incorrigible, cet éternel créateur des projets fantastiques, naïf comme un enfant, simple comme un génie, esprit sincère et loyal, infatigable travailleur, véritable artiste adorant son art et lui ayant voué un véritable culte. George Sand nous raconte encore comment, un jour, le grand original les accompagna (elle et Sandeau) jusque chez elle en robe de chambre écarlate et en pantoufles, avec un chandelier en vermeil à la main, leur éclairant la route à travers les rues désertes et sombres. Elle raconte aussi ses discussions avec Balzac, sur l’art et la littérature, discussions qui finissaient ordinairement par la fuite de Balzac, détalant et jurant de la manière la plus comique du monde, de ne plus mettre les pieds chez elle, mais se terminant d’autres fois aussi par la constatation bien calme qu’ils avaient deux manières diverses de voir les choses, qu’ils suivaient dans leurs œuvres des voies tout opposées et des systèmes tout différents.

Il y avait, au fond, peu de points communs entre eux, peu d’attraction ; mais c’étaient de vrais frères d’armes, pleins d’estime réciproque et d’admiration mutuelle pour leur talent, chacun saluant les œuvres de l’autre avec le plus vif et le plus bienveillant intérêt. Ils se traitaient d’égal à égal ; jamais il n’y eut entre eux la moindre jalousie de métier, jamais non plus la moindre velléité d’aucun autre sentiment, que celui de bons et francs camarades[578]. Ils se voyaient pourtant assez rarement et finirent même par ne plus se voir du tout, lorsque George Sand rompit avec Sandeau. Mais bientôt ce dernier se montra tout aussi perfide et traître en amitié pour Balzac qu’il l’avait été en amour pour Aurore Dudevant. C’est ainsi que Balzac qui, en 1838, se trouvait non loin de Nohant se souvint de sa promesse d’autan, et vint voir George Sand ; il s’y rendit de Frapesles[579]. Ce qui l’attirait surtout à Nohant, c’était, semble-t-il, son désir de s’entretenir de celui qui fut la cause de leurs relations et qui les avait tous les deux abusés si cruellement et si complètement. La lettre de Balzac à Mme Hanska, décrivant sa visite chez George Sand, lettre dans laquelle nous trouvons de plus un portrait admirable et fort curieux de George Sand, fut publiée et il y a quelques mois dans la Revue de Paris. Balzac y raconte aussi en quelques lignes l’histoire de ses relations antérieures avec la grande femme et de leur amitié présente. Nous nous permettons de citer ici la lettre presque in extenso, sans aucun commentaire :


« Frapesles[580], 2 mars 1838.


« Cara Contessina,

« J’ai appris que George Sand était à sa terre de Nohant, à quelques pas de Frapesles, et je suis allé lui faire une visite : aussi aurez-vous vos deux autographes souhaités, et, aujourd’hui, je vous envoie du George Sand ; à ma première lettre, vous en aurez un autre, signé Aurore Dudevant. Ainsi, vous aurez l’animal curieux sous ses deux faces. Mais il en est un troisième, c’est son surnom d’amitié, le docteur Piffoël. Quand il m’adviendra, je vous l’enverrai. Comme vous êtes une éminentissime curieuse, ou une curieuse éminentissime, je vais vous raconter ma visite.

« J’ai abordé le château de Nohant le samedi gras, vers sept heures et demie du soir, et j’ai trouvé le camarade George Sand dans sa robe de chambre, fumant un cigare après le dîner, au coin de son feu, dans une immense chambre solitaire. Elle avait de jolies pantoufles jaunes, ornées d’effilés, des bas coquets et un pantalon rouge. Voilà pour le moral. Au physique, elle avait doublé son menton comme un chanoine. Elle n’a pas un seul cheveu blanc malgré ses effroyables malheurs ; son teint bistré n’a pas varié ; ses beaux yeux sont tout aussi éclatants ; elle a l’air tout aussi bête quand elle pense, car, comme je lui ai dit après l’avoir étudiée, toute sa physionomie est dans l’œil. Elle est à Nohant depuis un an, fort triste, et travaillant énormément. Elle mène à peu près ma vie. Elle se couche à six heures du matin et se lève à midi ; moi, je me couche à six heures du soir et me lève à minuit ; mais, naturellement, je me suis conformé à ses habitudes, et nous avons, pendant trois jours, bavardé depuis cinq heures du soir, après le dîner, jusqu’à cinq heures du matin ; en sorte que je l’ai plus connue, et réciproquement, dans ces trois causeries, que, pendant les quatre années, précédentes, où elle venait chez moi quand elle aimait Jules Sandeau, et que quand elle a été liée avec Musset. Elle me rencontrait seulement, vu que j’allais chez elle de loin en loin.

« Il était assez utile que je la visse, car nous nous sommes fait nos mutuelles confidences sur Jules Sandeau. Moi, le dernier de ceux qui la blâmaient sur cet abandon, aujourd’hui, je n’ai que la plus profonde compassion pour elle, comme vous en aurez une profonde pour moi, quand vous saurez à qui nous avons eu affaire : elle en amour, moi en amitié.

« Elle a cependant été encore plus malheureuse avec Musset, et la voilà dans une profonde retraite, condamnant à la fois le mariage et l’amour, parce que, dans l’un et l’autre état, elle n’a eu que déceptions.

« Son mâle était rare, voilà tout. Il le sera d’autant plus qu’elle n’est pas aimable, et, par conséquent, elle ne sera que très difficilement aimée. Elle est garçon, elle est artiste, elle est grande, généreuse, dévouée, chaste ; elle a les traits de l’homme : ergo, elle n’est pas femme. Je ne me suis pas plus senti qu’autrefois près d’elle, en causant pendant trois jours à cœur ouvert, atteint de cette galanterie d’épiderme que l’on doit déployer en France et en Pologne pour toute espèce de femme.

« Je causais avec un camarade. Elle a de hautes vertus, de ces vertus que la société prend au rebours. Nous avons discuté avec un sérieux, une bonne foi, une candeur, une conscience, dignes des grands bergers qui mènent les troupeaux d’hommes, les grandes questions du mariage et de la liberté.

« Car, comme elle le disait avec une immense fierté (je n’aurais pas osé le penser de moi-même) : « Puisque par nos écrits, nous préparons une révolution pour les mœurs futures, je suis non moins frappée des inconvénients de l’un que de ceux de l’autre. »

« Et nous avons causé toute une nuit sur ce grand problème. Je suis tout à fait pour la liberté de la jeune fille et l’esclavage de la femme, c’est-à-dire que je veux qu’avant le mariage, elle sache à quoi elle s’engage, qu’elle ait étudié tout ; puisque, quand elle a signé le contrat, après en avoir expérimenté les chances, elle y soit fidèle. J’ai beaucoup gagné en faisant reconnaître à Mme Dudevant la nécessité du mariage ; mais elle y croira, j’en suis sûr, et je crois avoir fait du bien en le lui prouvant.

« Elle est excellente mère, adorée de ses enfants ; mais elle met sa fille Solange en petit garçon et ce n’est pas bien.

« Elle est comme un homme de vingt ans, moralement, car elle est chaste, prude, et n’est artiste qu’à l’extérieur. Elle fume démesurément elle joue peut-être un peu trop à la princesse, et je suis convaincue qu’elle s’est peinte fidèlement dans la princesse du Secrétaire intime. Elle sait et dit d’elle-même ce que j’en pense, sans que je le lui aie dit : qu’elle n’a ni la force de conception, ni le don de construire des plans, ni la faculté d’arriver au vrai, ni l’art du pathétique ; mais que sans savoir la langue française, elle a le style ; c’est vrai. Elle prend assez, comme moi, sa gloire en raillerie, a un profond mépris pour le public, qu’elle appelle Jumento.

« Je vous raconterai les immenses et secrets dévouements de cette femme pour ces deux hommes, et vous vous direz qu’il n’y a rien de commun entre les anges et les démons. Toutes les sottises qu’elle a faites sont des titres de gloire aux yeux des âmes belles et grandes. Elle a été dupe de la Dorval, de Bocage, de Lamennais, etc., etc. ; par le même sentiment, elle est dupe de Liszt et de Mme d’Agoult ; mais elle vient de le voir pour ce couple comme pour la Dorval, car elle est de ces esprits qui sont puissants dans le cabinet, dans l’intelligence, et fort attrapables sur le terrain des réalités.

« C’est à propos de Liszt et de Mme d’Agoult qu’elle m’a donné le sujet des Galériens ou des Amours forcés, que je vais faire, car dans sa position elle ne le peut pas. Gardez bien ce secret-là. Enfin, c’est un homme et d’autant plus un homme qu’elle veut l’être, qu’elle est sortie du rôle de femme, et qu’elle n’est pas femme. La femme attire, et elle repousse, et, comme je suis très homme, si elle me fait cet effet-là, elle doit le produire sur les hommes qui me sont similaires ; elle sera toujours malheureuse. Ainsi, elle aime maintenant un homme qui lui est inférieur, et, dans ce contrat-là, il n’y a que désenchantement et déception pour une femme qui a une belle âme ; il faut qu’une femme aime toujours un homme qui lui soit supérieur, ou qu’elle y soit si bien trompée que ce soit comme si ça était.

« Je n’ai pas été impunément à Nohant, j’en ai rapporté un énorme vice : elle m’a fait fumer un houka et du Latakieh ; c’est devenu tout à coup un besoin pour moi… »

Après ce séjour de Balzac à Nohant, ses relations avec George Sand devinrent encore plus amicales ; une correspondance très active s’ensuivit, correspondance encore inédite, mais heureusement conservée et qui présente non seulement le plus palpitant intérêt pour l’historien et pour le psychologue, mais qui offre encore un grand charme pour tout lecteur, car on y voit deux grands écrivains montrant leur âme à nu, causant de toutes choses avec abandon et franchise, intimement, simplement, tout en admirant et en reconnaissant mutuellement le talent, le mérite de chacun d’eux. Ils s’intéressent aux œuvres l’un de l’autre, donnent et demandent des conseils[581], se communiquent leurs projets, leurs espérances. La lecture de ces lettres n’est pas moins attrayante que celle de la correspondance de Gœthe avec Schiller, de Pouchkine avec Joukovsky.

On retrouve l’écho et le reflet de cette illustre amitié dans les belles pages et les paroles émues que nous ont laissées ces deux grands écrivains en parlant l’un de l’autre.

Outre les passages de l’Histoire de ma Vie consacrés à son ami, après sa mort George Sand écrivit une notice spéciale qui a été publiée en guise de préface à l’édition des Œuvres complètes de Balzac éditée par Houssiaux en 1855. Quant à Balzac, comme nous l’avons déjà dit, il a d’abord représenté George Sand sous le nom de Camille Maupin ou de Félicité des Touches dans son roman de Béatrix. Nous trouvons ensuite dans ses lettres plusieurs passages fort sympathiques sur George Sand, dont le plus intéressant, si on ne compte pas la lettre à Mme Hauska que nous venons de citer, se trouve dans une lettre datée de 1839, adressée à sa sœur Mme Surville et insérée dans la Correspondance de Balzac, lettre que Mme Surville reproduit encore une fois dans la notice biographique qu’elle a consacrée à son frère.

« Elle n’a aucune petitesse en l’âme ni aucune de ces basses jalousies qui obscurcissent tant de talents contemporains. Dumas lui ressemble en ce point. George Sand est une très noble amie, et je la consulterais en toute confiance dans mes moments de doute sur le parti logique à prendre en telle ou telle occurrence ; mais je crois que le sens critique lui manque, au moins de prime saut ; elle se laisse trop facilement persuader, ne tient pas assez à ses opinions et ne sait pas combattre les motifs que lui oppose son adversaire pour se donner raison. »

Il semble impossible de mieux préciser en quelques mots, les grandes lignes, les puissances et les faiblesses de l’être moral de George Sand.

Il nous semble impossible aussi de clore le chapitre de cette amitié par un épilogue autre que par cette dédicace des Mémoires de deux jeunes mariées, que nous citerons encore in extenso, roman pour lequel Balzac, comme nous le supposons et comme nous l’avons déjà dit, s’est bien certainement servi des récits oraux que George Sand lui avait faits sur sa vie de jeune fille ou des lettres de ses amies de couvent qu’elle avait pu lui prêter.


« À George Sand,

« Ceci, cher George, ne saurait rien ajouter à l’éclat de votre nom, qui jettera son magnifique reflet sur ce livre ; mais il n’y a là de ma part ni calcul ni modestie. Je désire attester ainsi l’amitié vraie qui s’est continuée entre nous à travers nos voyages et nos absences, malgré nos travaux et les méchancetés du monde. Ce sentiment ne s’altérera sans doute jamais. Le cortège de noms amis, qui accompagnera mes compositions, mêle un plaisir aux peines que me cause leur nombre, car elles ne vont point sans douleur, à ne parler que des reproches encourus par ma menaçante fécondité, comme si le monde qui pose devant moi n’était pas plus fécond encore. Ne sera-ce pas beau, George, si quelque jour l’antiquaire des littératures détruites ne retrouve dans ce cortège que de grands noms, de nobles cœurs, de saintes et pures amitiés, et les gloires de ce siècle ? Ne puis-je me montrer plus fier de ce bonheur certain que de succès toujours contestables ? Pour qui vous connaît bien, n’est-ce pas un bonheur que de pouvoir se dire comme je le fais ici :

« Votre ami,
« De Balzac. »

« Paris, juin 1840. »

Ce fut en 1838 aussi que l’abbé Rochet vint encore une fois à Nohant[582]. Les relations entre George Sand et ce curé berrichon ne servirent jamais de pâture aux journaux et l’on n’en a presque pas parlé. Seul Charles de Mazade leur a consacré quelques lignes mystérieuses et malveillantes dans ses Souvenirs. Mais à présent, après la publication d’abord des fragments de cette correspondance des plus curieuses, et puis des lettres mêmes de George Sand à l’abbé Rochet dans la Gironde littéraire, dans les Nouvelles de l’Intermédiaire, et enfin dans la Nouvelle revue de 1895, on peut parler d’une manière plus détaillée, plus précise, de cette amitié intéressante et singulière. L’abbé Georges Rochet, modeste curé de village, eut le malheur de douter un jour de sa vocation, et de se sentir attiré vers la littérature. Le souffle de liberté qui traversait l’époque et l’exemple de Lamennais y furent certes pour beaucoup. Voilà donc notre abbé tout à ses poésies et à ses livres, et se demandant s’il n’était pas temps de jeter le froc aux orties. Il ne se décida pas pourtant à entrer ouvertement dans la carrière littéraire, craignant de s’attirer prématurément la condamnation du haut clergé, peut-être même l’excommunication. Il doutait aussi de son talent. Il n’était pas non plus convaincu de son droit d’abandonner sa vocation. Qu’entreprend-il alors ? Il s’adresse à sa célèbre compatriote dont la gloire était alors à l’apogée et lui demande conseil. C’était, comme nous l’avons vu, en l’hiver de 1835-1836. Bientôt il fit personnellement la connaissance de George Sand à Nohant, puis il la rencontra par hasard, dans un hôtel à Châteauroux. Il faut admirer et s’incliner devant le tact, la bonté, la prudence et la sagesse dont George Sand fit preuve en cette occurrence. Profondément touchée de la candeur, de la confiance et de la sincérité avec lesquelles l’abbé lui parlait et lui écrivait, elle le prit dès lors en amitié et lui rendit la même sincérité, la même confiance. Mais au lieu d’attiser, d’encourager les rêves de liberté du malheureux homme, d’approuver son intention d’abandonner la soutane, de rompre avec son passé et de se faire écrivassier, elle fit tous ses efforts pour le calmer, pour diriger ses rêves, ses tendances dans la bonne voie, et le réconcilier avec la vie. George Sand voyait d’une part trop clairement que ce n’était pas là un talent hors ligne, qui exigeait et valait qu’on lui sacrifiât toute une vie d’homme ; puis, elle avait dû voir aussi que l’abbé ne ressemblait en rien à Lamennais, cette volonté inébranlable, ce champion inflexible, ce caractère de fer, et que le rôle d’apostat dépassait les forces de l’abbé Georges. Aussi, avec quelle délicatesse admirable, quelle constance ne tâche-t-elle pas dans toutes ses lettres de détourner l’abbé d’une résolution irréparable et de lui faire croire en même temps que la vie peut être supportable, heureuse. Elle lui conseille de ne point abandonner ses occupations littéraires, d’écrire, ne fut-ce que pour lui-même, car « le travail nous sauve de bien des choses » (elle en parle en connaissance de cause !).

Elle lit toujours volontiers les œuvres de l’abbé, lui donne des conseils, fait même, à ce qu’il semblerait du moins, des démarches pour que l’une de ses productions soit imprimée, mais elle ne se permet jamais de mentir, même pour être charitable, de donner trop d’espérance à l’auteur, de l’encenser outre mesure. Elle lui conseille même franchement de renoncer à faire des vers, car il ne s’en produit déjà que trop ; elle lui dit carrément que les siens n’ont pas assez d’originalité et de spontanéité, qu’ils n’ajouteraient rien à « l’œuvre de sa vie ». Cette correspondance nous montre George Sand sous un point de vue tout nouveau et extraordinairement sympathique.

Nous y voyons cette révoltée, cette amante insatiable de la liberté, qui était « toujours prête à tout risquer, à tout propos », comme elle le dit dans ce fragment curieux de la première version de Elle et lui qui n’eut pas de suite, nous la voyons sauver et préserver un autre d’un risque trop grand, d’un pas imprudent. L’abbé Rochet resta prêtre, il poursuivit jusqu’à la fin de ses jours sa correspondance avec George Sand, et il lui fut certainement toujours reconnaissant de la sympathie et du secours amical qu’il avait trouvé chez elle.

En 1838, comme nous venons de le dire, il vint, selon toute apparence à Nohant et devint l’ami intime de toute la maison. En tout cas, nous voyons que, depuis l’été de 1838, George Sand lui parle en détail dans ses lettres de sa vie et de tous les membres de sa famille. Elle lui annonce le départ de Maurice et de Mallefille pour le Havre, lui parle de ses visites chez Mme Marliani, de son amitié pour Lamennais, etc., etc.

Au printemps de cette même année séjourna aussi à Nohant le peintre Charpentier qui, comme nous le voyons par les lettres inédites, exécuta le portrait de George Sand et de ses enfants. Ainsi par exemple, nous lisons dans une lettre à Mme Marliani datée du 20 mai 1838 :

« Chère et bonne !

« Je suis malade à mourir d’un rhume mal guéri à Paris qui m’a repris ici avec une fureur remarquable. J’ai la fièvre et je suis sur les dents… Ce que j’aime est malade aussi en masse dans ce moment, Maurice n’est pas bien, le temps humide ramène tous ses maux, Solange souffre toujours de la tête ; Mallefille a aussi la migraine obstinément. Le pauvre Charpentier par-dessus le marché est très souffrant. Il travaille néanmoins comme un cheval… »


Il semble qu’au printemps et en l’été de cette année George Sand alla fréquemment à Paris et qu’en automne elle y passa quelque temps dans un isolement complet, cachant son séjour à tout le monde. Elle était logée dans une mansarde de la rue Laffitte, au numéro 38, sous le nom de Madame Dupin et ne recevait ses amis que le soir dans le logement de Mme Marliani, 7, rue Grange-Batelière, « travaillant comme un forçat à un nouveau roman[583] » (qui fut Spiridion). Elle ne le termina pourtant qu’à l’île Majorque où elle se rendit, au mois d’octobre, avec ses enfants et Chopin, et où elle passa tout l’hiver de 1838-1839.

Ce nouveau voyage fut le début d’une nouvelle phase dans l’existence de la grande romancière ; d’autre part il peut être considéré comme l’épilogue de sa jeunesse tourmentée et orageuse. Ses doutes se dissipent complètement, surtout grâce à Pierre Leroux, — comme elle le disait souvent plus tard ; — ses vues générales et son idéal se prononcent et se dégagent définitivement ; la période de la création sereine commence. Nous nous permettons donc aussi de clore par cet épisode la première partie de notre travail.


TABLE DES MATIERES




(1833-1835)
Alfred de Musset. — Fontainebleau. — Voyage en Italie. — Pietro Pagello. — Jacques. — La légende — Voyage dans les Alpes et vie à Venise. — Retour en France. — La rupture et l’épilogue du roman 
 1


La Correspondance des deux poètes. — Confession d’un enfant du siècle. — Elle et Lui. — Lui et Elle. — Préface de Jean de la Roche. — « Marguerite Lecomte. » — Les vers de George Sand. — Lettres d’un Voyageur. — Aldo le Rimeur. — Gabriel. — Léone Léoni. — L’Uscoque. — La dernière Aldini. — Les Maîtres mosaïstes. — Le Secrétaire intime. — Mattea. — L’Orco 
 108


(1835)
Idéal stoïque. — Sainte-Beuve. — Michel de Bourges. — Sixième Lettre d’un Voyageur. — Liszt et Lamennais. — Comtesse Marie d’Agoult. — Septième Lettre d’un Voyageur et Lettres d’un bachelier ès musique 
 161


(1835-1836)
Michel de Bourges. — Lettres de femme et Journal du docteur Piffoël. — Les Saint-Simoniens. — Le poème de Myrza et le Dieu inconnu. — Le procès en séparation et les autres procès avec M. Dudevant 
 249


(1836-1837)
Voyage en Suisse. — « Une course à Chamonix. » — Dixième Lettre d’un Voyageur. — Le Contrebandier. — Vie à l’Hôtel de France. — Chopin. — Nohant en 1837. — Eug. Pelletan. — Journal de Piffoël. — Influence mutuelle de Liszt et de George Sand l’un sur l’autre. — Les Sept Cordes de la Lyre. — L’Héroïne funèbre. — Quelques lettres inédites de Liszt 
 325


(1837-1838)
Le Monde. — Lettres à Marcie. — Visite aux catacombes. — Luigi Calamatta. — André. — Simon. — Jacques. — Mauprat. — La fin de 1837. — Nouveaux malheurs. — Fontainebleau. — Félicien Mallefille. — Nérac. — L’hiver de 1837-1838. — Balzac. — L’abbé Georges Rochet. — Départ pour Majorque 
 394



ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CHARLES HÉRISSEY


GEORGE SAND


SA VIE ET SES ŒUVRES


* * *


1838-1848
portrait dans des tons sombres de George Sand jeune fille
portrait dans des tons sombres de George Sand jeune fille
GEORGE SAND, PAR ISABEY
(ancienne collection edmond picard)


WLADIMIR KARÉNINE




GEORGE SAND
SA VIE ET SES ŒUVRES
* * *
1838-1848




Deuxième édition




PARIS
LIBRAIRIE PLON
PLON-NOURRIT et Cie, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
8, rue garancière — 6e

1912
Tous droits réservés
Droits de reproduction et de traduction
réservés pour tous pays.


AVANT-PROPOS


Cette seconde partie de notre travail a été terminée depuis quelques années déjà[584], mais des circonstances douloureuses, des deuils de famille nous empêchèrent de la publier immédiatement. Au moment où nous prenons la plume pour remercier tous ceux qui nous avaient été secourables au cours de notre travail, qui nous aidèrent de leur savoir, de leurs souvenirs personnels, qui nous ouvrirent leurs archives ou nous donnèrent des documents importants, nous voyons avec douleur que les meilleurs amis de notre livre, ceux qui se faisaient le plus de joie de voir achevée la biographie de George Sand, n’y sont plus. Notre gracieuse amie, Mme Aurore Lauth, sera la seule de la famille Sand qui lira ce livre sur sa grande aïeule. Elles n’y sont plus, nos chères amies : Lina Sand et Gabrielle Sand ! Ils sont tous partis aussi pour un monde meilleur, nos plus fidèles amis en George Sand : le vicomte de Spoelberch, MM. Aucante, Plauchut, Albert Lacroix ! Nous ne pouvons, non plus, remercier Mme Pauline Viardot et M. Gustave Karpélès qui nous communiquèrent des documents et des souvenirs personnels et nous permirent de publier des lettres précieuses pour notre travail. Et combien d’autres amis de George Sand encore qui ne verront pas sa biographie achevée.

C’est avec d’autant plus de reconnaissance que nous traçons ici le nom de M. Henri Amie qui nous prêta aide pour cette seconde partie de notre travail, tout comme pour la première, qui nous sacrifia son temps, qui oublia ses propres œuvres, son travail et ses loisirs pour revoir notre ouvrage, manuscrit et épreuves. Nous n’avons pas la présomption d’attribuer une aide aussi généreuse aux mérites de notre livre, nous savons que la piété seule pour la mémoire de George Sand et de Mme Maurice Sand inspira M. Amie lorsqu’il nous prêta ce secours confraternel, mais nous lui en sommes quand même profondément reconnaissant et nous l’en remercions du meilleur de notre cœur. Nous remercions également et bien chaudement M. Ladislas Mickiewicz qui nous permit de publier les lettres inédites de son illustre père, M. Maurice Tourneux qui nous sacrifia des heures et des jours de son temps si précieux, et Mme Marie Ozenne pour tout ce qu’elle a fait pour notre livre. Nous renouvelons enfin nos remerciements à toutes les personnes que nous avions déjà nommées dans notre premier volume.




Nous reprenons le fil de notre récit juste au point où nous l’avons laissé à la fin de notre deuxième volume, et nous abordons dans la vie de George Sand une période éminemment intéressante.

Les dix années, 1838-1848, passées en un commerce ininterrompu avec une individualité aussi exceptionnelle, aussi géniale que Chopin et dans l’intimité de Pierre Leroux, dix années de plus en plus remplies de rencontres et de relations avec les hommes les plus divers et les plus éminents dans le domaine de la politique, de la pensée sociale, dans les sciences et les arts sont en même temps l’époque où le talent de la grande femme était à son épanouissement et sa gloire à son apogée.

Cette période est si abondante en faits que nous serons obligé de faire continuellement alterner les pages décrivant l’existence intime de George Sand, de sa famille et de Chopin avec celles où nous noterons les impressions, les événements, les états d’âme, les œuvres, les actes de George Sand qui se rattachent à l’influence de Pierre Leroux, à différentes autres personnalités, à différentes questions de la vie politique et sociale de la France.

Pourtant cette période de la vie de George Sand n’avait presque pas été explorée par la critique et l’histoire. Jamais encore on n’a tenté de faire un récit détaillé et suivi de ces années.

Nous pouvons même, avec un sentiment de vanité bien excusable, constater que dans tous les travaux sur George Sand, soit dans des revues, soit en volumes, soit même dans des encyclopédies, parus depuis la publication de nos deux premiers volumes, la plupart des auteurs font montre d’une connaissance extrêmement exacte et approfondie de la biographie de l’auteur de Consuelo, jusqu’en… 1838, mais après cette date, ils en parlent avec le même à peu près et passent avec la même rapidité sur des séries d’années de la vie de George Sand, comme, avant 1899, date de la publication de ces deux premiers volumes. Disons plus, il a paru, depuis cette année-là, plusieurs livres, tant en français qu’en anglais, consacrés à George Sand dans lesquels les auteurs nous firent l’extrême honneur de suivre notre récit de point en point et pas à pas, sans nous faire cependant celui de nous citer, ne fût-ce qu’une seule fois, au bas de leurs pages documentées… jusqu’en 1838. Ou plutôt tous ces auteurs se sont, comme d’un commun accord, donné le plaisir de nous citer une seule et unique fois… pour nous accuser de quelque chose que nous n’avions pas dit personnellement, parce que nous avions simplement rapporté les paroles de quelque autre écrivain ; ou encore pour nous taxer de légèreté. C’est ainsi qu’un critique très connu nous accuse de mauvais goût pour avoir, selon lui, prétendu que l’Uscoque était un des meilleurs romans de Mme Sand, tandis que nous n’avions que cité à ce propos les propres paroles de Dostoïewski dont c’était le roman préféré, parce qu’il lui fit connaître George Sand. Or, l’opinion de Dostoïewski a quelque valeur, nous semble-t-il, et si le critique en question la trouve dénotant « un mauvais goût parfait », c’est affaire de goût aussi, mais ce n’est pas une raison pour nous rendre responsable de l’opinion du très grand écrivain que fut Dostoïewski.

Un autre critique, non moins connu, fort obligeamment nous rendit responsable d’une « légende » quasiment inventée par nous sur une prétendue somme de dix mille francs payée par George Sand pour Musset, tandis qu’une lettre de George Sand à Buloz prouvait qu’elle n’avait payé que trois cents francs. Or, la « légende » qu’on nous prête est une citation des propres paroles de Buloz dites un jour à M. Plauchut, paroles que notre regretté ami avait citées à la page 36 de son livre Autour de Nohant, et que nous avions copiées avec indication de ce livre et du nom de l’auteur du récit, M. Buloz, à la page 61 de notre volume II.

Un troisième auteur, dont le livre peut être et fut réellement appelé un plagiat en forme par tous ceux qui se donnèrent la peine de comparer son petit volume à nos deux volumes, nous imputa comme un crime et nous accusa d’un mensonge gratuit : d’avoir dit que la maladie de Musset fut le delirium tremens, « tandis que les docteurs italiens ne parlaient que de fièvre typhoïde. » Or, nous ne nous sommes permis de prononcer franchement le nom de cette maladie qu’après avoir soumis à un très grand médecin son histoire, l’énumération de tous ses symptômes, et des remèdes prescrits par le docteur Pagello et ses collègues italiens ; il nous dit — ce qui du reste est connu même des non-spécialistes, mais d’un très grand nombre de personnes qui se donnent la peine de lire un peu — qu’à une personne ayant précédemment absorbé beaucoup d’alcool, il suffisait parfois d’une bronchite avec une température de quelque trente-huit degrés, — sans parler déjà d’une maladie telle que le typhus ou quelque congestion plus ou moins sérieuse, — pour avoir immédiatement un violent accès de delirium tremens. Il nous semble qu’après s’être aussi complètement servi de notre travail, l’auteur en question aurait au moins pu en tirer la conclusion que nous n’aimions pas avancer des faits sans les avoir préalablement vérifiés.

Un auteur anglais a suivi l’exemple de son confrère français, tant pour le soin avec lequel il nous a suivi dans notre étude que pour nous imputer comme un crime de lèse-délicatesse ce même fait.

Tous ces amis de notre travail, ainsi que quelques autres, plus aimables et plus corrects, ne semblent nous considérer que comme un bon manœuvre leur apportant des briques, afin qu’ils puissent — architectes émérites — construire leur bel édifice : une biographie digne de George Sand. Eh bien, nous acceptons avec modestie et reconnaissance ce rôle, car les briques que nous apportons sont bonnes ; on peut en toute confiance les employer à élever un monument solide et qui ne croulera pas. Ce fut là notre but et notre espérance.


Feci quod potui, faciant meliora potentes.

GEORGE SAND
SA VIE ET SES ŒUVRES




CHAPITRE PREMIER

(1838)


Date importante dans la vie spirituelle de George Sand. — Pierre Leroux et ses doctrines. — Frédéric Chopin ; l’homme et l’artiste. — Les débuts du roman. — Le printemps de 1838. — Voyage à Majorque. — Les Préludes et la Sonate en si bémol mineur. — Un Hiver à Majorque. — Marseille. — 19 juin 1839.


Les amis de George Sand, dans les vingt-cinq dernières années de sa vie, ceux de la dernière heure surtout, auxquels la « bonne Dame de Nohant » n’apparut que sous les traits de cette aïeule si philosophiquement sereine, si maternellement bienveillante, si impersonnellement bonne envers tout ce qui l’entourait, on dirait même si bourgeoisement vertueuse, ont de la peine à croire que cette même aïeule écrivit jadis à Musset des lettres follement brûlantes, qu’elle avait traversé des périodes de doutes cuisants, de désespoir, de révolte passionnée dont Lélia et le Journal de Piffoël gardent la trace. Il leur semble que ce George et cette Mme Sand (comme on la nommait dans sa vieillesse) sont deux êtres différents.

Les contemporains de la « gloire militante » de la grande romancière, les admirateurs de ses premières œuvres fougueuses sont par contre tout ébahis en lisant ses romans ultérieurs tout imprégnés de douceur et de clémence.

On aurait grand tort pourtant de chercher la cause de ce changement dans l’âge seul de l’auteur, voire, dans ce quiétisme inévitable et naturel qui s’y rattache. Non, eût-on même quelque raison de répéter ici le dicton si peu respectueux : « Il n’y a pas de cheval ombrageux dont le temps ne se rende maître », on aurait tort jusqu’à un certain point. En effet, nous pouvons observer déjà des indices graduels d’équilibre sentimental et intellectuel, d’un tour d’esprit plus calme et plus harmonieux à une époque où la vie spirituelle de George Sand était dans tout son éclat, alors qu’elle prenait la part la plus active à la vie sociale, où, la plume à la main, elle combattait contre les préjugés, les injustices, les jougs sociaux et les imperfections de l’ordre politique, en un mot à une époque où non seulement l’on ne peut remarquer en elle l’ombre d’une diminution de l’énergie, d’un affaiblissement de la volonté ou de la pensée, mais où ces qualités se manifestaient, au contraire, avec le plus d’éclat. Donc ses doutes d’antan, ses désenchantements, ses protestations passionnées s’étaient calmés non sous l’influence des années, mais grâce à une nouvelle doctrine qu’elle s’était formulée et qui vint tout apaiser, tout éclairer d’une nouvelle lumière.

« Mon enfant, lis les œuvres de Pierre Leroux, tu y trouveras le calme et la solution de tous tes doutes », disait-elle dans sa vieillesse à une jeune femme qui la suppliait de l’aider à trouver la solution des problèmes de notre existence, « c’est Pierre Leroux qui me sauva. » Et vraiment, si les théories de Michel, de Liszt et de Lamennais furent les premières étapes de cette évolution qui se fit graduellement dans l’esprit de la grande romancière entre 1835 et 1838, c’est Pierre Leroux qui contribua à l’achèvement final de cette évolution, et il fut facile à George Sand de passer de la doctrine de Pierre Leroux à celles de Reynaud et de Leibniz qui, à son propre dire, fermèrent le cercle de son évolution spirituelle.

C’est à cause de cela que nous considérons 1838 comme un point de démarcation entre deux périodes de la vie de George Sand : le moment de son passage définitif du pessimisme à l’optimisme.

En dehors de ceux qui prennent un intérêt spécial à la philosophie ou de ceux qui étudient l’histoire du mouvement social du dix-neuvième siècle il est fort douteux que quelqu’un lise de nos jours les écrits de Pierre Leroux. Il est néanmoins certain que ses doctrines donnèrent naissance à force romans de George Sand et furent pour une grande part la source première de ce qui enchante et attire le plus dans ses idées même fort ultérieures.

Pierre Leroux peut donc être considéré comme un de ces arbustes sur lequel on aurait greffé une branche d’un rosier rare ou d’un noble pommier. La plante nouvelle, nourrie des sucs de l’églantier, ou du pommier sauvage, devint un arbre magnifique et porta des fleurs splendides ou des fruits succulents, et personne ne se souvient plus de l’arbuste inconnu.

Mais « à chacun selon ses œuvres », et c’est à nous qui étudions la genèse des idées de George Sand qu’incombe aussi le devoir de signaler tout ce qu’avait en elle de précieux, de durable et de vivifiant cette doctrine de Pierre Leroux, quelque peu vague et pas toujours originale, trop prônée par ses contemporains, en Russie tout comme en France, trop oubliée par la postérité.

C’est ainsi, par exemple, que Julien Schmidt refuse de reconnaître à Leroux toute valeur intrinsèque comme penseur primordial, il assure que ses contemporains l’ont bien gratuitement porté aux nues, que non seulement ses écrits ne se distinguent ni par leur profondeur, ni par l’originalité de la pensée philosophique, mais qu’ils sont nébuleux, diffus, pleins de mysticisme, enfin empreints de tous les défauts qui caractérisent les penseurs de second ordre, toujours enclins à « redécouvrir les Amériques ».

Admettons que Leroux fut réellement un penseur de second ordre, qu’en mainte occasion cette discipline scolaire qui distingue les philosophes de profession lui fit défaut, et qu’il ne put se vouer à de vraies spéculations philosophiques qu’après avoir essayé toutes sortes de professions et traversé toutes sortes d’épreuves. Mais nous allons tenter de donner un abrégé des doctrines de Leroux, et le lecteur jugera s’ils ont raison ou tort ceux qui refusent toute valeur à ces idées (qui semblent, disons-le entre parenthèses, en ces tout derniers temps, éveiller de nouveau un intérêt assez vif en France). Et d’abord racontons en peu de mots la vie de Leroux aussi peu connue de nos jours que ses théories.

Né à Paris en 1798 de parents pauvres, Pierre Leroux fit ses études d’abord au lycée Charlemagne, puis au lycée de Rennes ; enfin il entra à l’École polytechnique, il paraît n’y pas avoir terminé ses études, sa pauvreté l’ayant forcé à trouver quelque gagne-pain. Il essaya tour à tour plusieurs métiers, il fut même tailleur de pierres, puis ouvrier typographe, plus tard prote, enfin gérant d’une typographie. Il ne devint, et ceci encore dans un but spécial, propriétaire d’une typographie que sur le tard de sa vie. Il se maria très jeune, perdit sa femme, se remaria, et devint ainsi père d’une double famille (il eut neuf enfants), se chargea en outre de ses frères, — qui eux aussi étaient toujours menacés par la misère et nombreux ; — (il fut un temps où Leroux dut subvenir à nourrir trente personnes)[585]. Et en même temps il s’adonnait constamment à différentes inventions compliquées. C’est ainsi par exemple qu’il travailla vers 1843-1844 à fabriquer un clavier à caractères d’imprimerie, surnommé le pianotype, qui devait faciliter le travail de prote. Il n’est que trop clair qu’il gaspillait son argent et son temps à ces inventions, car, à défaut de fortune, n’étant pas en état de louer un forgeron ou un serrurier, très souvent, au lieu d’écrire ses livres ou d’imprimer ceux d’autrui, il se faisait serrurier lui-même et maniait et martelait les parties métalliques de sa « machine ». Bien souvent aussi il devait avoir recours à l’aide pécuniaire de ses amis. Il y eut, dans sa vie, mainte invention pareille, mainte entreprise fantastique dont il s’engouait pour des mois et des mois ; toutes se terminaient par l’insuccès, par la faillite et la misère. Pourtant à cette époque il n’était déjà plus un obscur ouvrier, mais bien un écrivain conscient de sa valeur et de sa vocation. Dès 1824 un de ses condisciples du lycée l’invita à participer à la rédaction du Globe ; ce journal, fondé depuis peu, devint plus tard le porte-voix officiel des saint-simoniens. Les chefs de ces derniers étant, comme on le sait, presque tous des polytechniciens, Leroux fut bientôt très lié avec Jean Reynaud et Armand Bazard, qu’il n’abandonna point, alors même que la secte se divisa et que Bazard se retira avec ses prosélytes dans une réclusion volontaire. Après le procès des saint-simoniens (1832) et la dispersion de la société, Leroux et Reynaud rédigèrent pendant quelque temps la Revue encyclopédique, qui expira prématurément… faute d’abonnés ; puis ils éditèrent, toujours ensemble, l’Encyclopédie nouvelle, dictionnaire philosophique et encyclopédique[586], dans lequel, comme dans celui de Diderot, tous les articles étaient subordonnés à une seule et même idée foncière et à l’exposition suivie d’une doctrine précise.

L’Encyclopédie rendit Leroux célèbre et cette célébrité ne fit que s’accroître à mesure qu’il publia toute une série de traités philosophiques et sociaux. Sans nous attarder aux détails de la biographie de Leroux[587], signalons seulement qu’après l’Encyclopédie nouvelle, il fonda ou dirigea la Revue indépendante (1841), la Revue sociale (1845), l’Éclaireur de l’Indre, l’Espérance, et en 1844, à Boussac, une imprimerie, autour de laquelle se groupa une espèce de communauté socialisto-chrétienne où l’on acceptait comme membres hommes et femmes indifféremment. Leroux ne se contentait pas d’adopter les idées saint-simoniennes sur l’égalité des sexes, il prédisait aux femmes un grand rôle dans l’avenir.

En 1848, Leroux fut député à la Constituante et à la Législative, il y prononça plusieurs discours qui n’éveillèrent point l’intérêt qu’ils méritaient. Les plus connus furent celui contre l’adultère des députés et celui en faveur de l’affranchissement des femmes, que Leroux prêchait ardemment, ce qui lui attira la sympathie de J.-S. Mill. Après le coup d’État, Leroux dut émigrer en Angleterre, avec toute sa famille et ses frères, il y passa plusieurs années, d’abord à Londres, puis à l’île de Jersey, souffrant de la misère la plus cruelle, mais ne perdant jamais courage, gardant toujours le même optimisme, malgré une série nouvelle de désillusions. (C’est ainsi, par exemple, que ce même J.-S. Mill, qui lui écrivait de loin des lettres louangeuses, fit, de près, montre de grande insensibilité et de la plus parfaite sécheresse britannique.) Leroux envisageait toutes ces misères avec un mépris tout philosophique ; il menait toujours de front ses travaux philosophiques et littéraires et ses inventions ; il faisait des conférences, il édita même pendant quelque temps le journal l’Espérance, grâce à l’aide généreuse de l’émigré russe Engelson qui fit sa connaissance à Jersey, se lia d’amitié avec lui et lui légua, en 1858, une certaine somme d’argent[588]. Enfin il y écrivit une brochure politico-économique, le Circulus, sur l’avantage à retirer des excréments humains, — théorie fort connue en Chine, que Leroux crut mettre en pratique en fondant à Jersey une fabrique de guano humain, d’encre et de cirage !!! Vers 1859, Leroux, au cours d’un petit voyage en France et en Suisse, fit à Genève une série de conférences et, en 1860, grâce à l’aide matérielle de ses ex-amis les saint-simoniens qui devinrent pour la plupart d’influents financiers ou de grands politiques, il put liquider ses affaires à Jersey et revenir en France. Il séjourna pendant quelque temps dans le Midi, à Grasse, puis revint à Paris, qu’il quitta de nouveau pendant le siège de 1870, et y étant définitivement revenu pendant la Commune, il y mourut en avril 1871.

Ayant fait connaissance, grâce à Sainte-Beuve et à Liszt, d’abord avec les écrits de Leroux, puis avec Leroux lui-même, George Sand s’enthousiasma pour lesdits écrits et se sentit pénétrée d’une entière et absolue confiance pour la personne du philosophe. Elle crut voir dans son œuvre la prédication d’un nouvel Évangile : elle y trouva, quoique formulées d’une manière confuse, mystique et quelque peu sentimentale, mais pourtant réduites en un système plus ou moins bien réglé, les doctrines qui lui étaient apparues jusqu’alors comme des idées et des dogmes épars, point reliés entre eux et empruntés soit au christianisme, soit à la doctrine de Platon, soit au saint-simonisme, soit aux œuvres de Lamennais, aux prédications de Michel et de son parti, comme à Rousseau et au Bonhomme Richard de Franklin.

1) « Qu’est-ce que l’homme, quelle est sa destination et par conséquent quel est son droit, quel est son devoir, quelle est sa loi ?… » demande Leroux[589], et il répond : « L’état permanent de notre être est l’aspiration, c’est cet état d’aspiration qui constitue proprement l’homme…, qui constitue le moi, la personnalité des êtres… » — L’homme n’est heureux, ni lorsqu’il court après les sensations et s’abandonne à ses passions, ni lorsqu’il s’abstient des joies de la vie, mais seulement lorsqu’il vit conformément à sa nature d’homme. Le spiritualisme et le matérialisme sont également « deux erreurs et deux sources de maux pour l’humanité[590] ». — « L’homme n’est ni une âme, ni un animal. L’homme est un animal transformé par la raison et uni à l’humanité[591]. » « L’homme n’est pas seulement sensation, ou sentiment, ou connaissance, mais il est une trinité indivisible de ces trois choses[592]. L’homme n’est pas seulement un animal sociable, comme disaient les anciens, l’homme est encore un animal perfectible. L’homme vit en société, ne vit qu’en société, et de plus cette société est perfectible, et l’homme se perfectionne dans cette société perfectionnée[593]. L’homme est perfectible, la société humaine est perfectible, le genre humain est perfectible… »

Platon dit vrai : Nous gravitons vers Dieu, attirés à lui, qui est la souveraine beauté, par l’instinct de notre nature aimante et raisonnable. Mais de même que les corps placés à la surface de la terre ne gravitent vers le soleil que tous ensemble, et que l’attraction de la terre n’est pour ainsi dire que le centre de leur mutuelle attraction, de même nous gravitons spirituellement vers Dieu par l’intermédiaire de l’humanité[594]. L’homme est indissolublement uni à l’humanité. Il est en soi-même l’humanité. On ne peut concevoir un homme hors de l’humanité. Quoique nous soyons plusieurs, nous ne sommes tous néanmoins qu’un seul corps… comme dit saint Paul, et nous sommes tous réciproquement membres les uns des autres[595].

2) Nous sommes immortels. Lorsque nous mourons, nous ne faisons que nous plonger temporairement dans l’oubli ; nous rentrons en Dieu, qui contient notre être latent, la personnalité comme virtuelle et substantielle et non comme phénoménale, c’est-à-dire qui ne se manifeste ni dans l’espace, ni dans le temps. La mort n’est que le seuil qui nous sépare d’une nouvelle manifestation phénoménale, d’une nouvelle renaissance de l’homme dans l’humanité. Leroux rejette la conception spiritualiste de l’immortalité de l’âme, ainsi que la métempsycose des anciens, voire la renaissance de l’âme en des organismes inférieurs. Il croit donc (et il croit prouver que telle était aussi la doctrine de Socrate, de Platon, de Pythagore, d’Ovide, de Virgile, d’Apollonius de Thyane) que l’âme ne fait que se retremper en Dieu, se plonge dans l’oubli, avant chaque nouvelle renaissance dans l’Humanité. « L’immortalité des âmes humaines est indissolublement attachée au développement de notre espèce ; nous qui vivons, sommes non seulement les fils et la postérité de ceux qui ont déjà vécu, mais au fond et réellement ces générations elles-mêmes, et c’est ainsi et uniquement ainsi que nous vivrons toujours et que nous sommes immortels[596]. »

Dans le deuxième volume de son Humanité, Leroux analyse minutieusement la Bible, non en qualité d’œuvre historique, exposant la vie du peuple israélite, mais en qualité d’œuvre symbolique qui renferme la plus profonde conception religieuse et philosophique de la substance même de la vie humaine, et l’expression la plus sublime du développement progressif de l’humanité ; il prouve que Moïse n’avait rien dit sur l’immortalité personnelle telle qu’on la comprenait et qu’on la comprend encore, seulement parce qu’il croyait et enseignait la vraie immortalité, c’est-à-dire la renaissance périodique et éternelle d’un seul et même individu sur la terre. En passant, Leroux affirme que telle était aussi la conception que Lessing se faisait de la doctrine de Moïse, ainsi qu’il l’expose dans son Éducation du genre humain.

Chaque nouvelle existence de l’homme est d’autant supérieure que l’homme était supérieur durant son premier séjour sur la terre. Et avec chaque nouvelle incarnation l’homme se perfectionne, il gravite vers la lumière, mais ce n’est ni pour disparaître dans le néant, le Nirwhana, ni pour se dissoudre en Dieu, car au dire de Leroux, « le panthéisme est aussi une erreur ». Les âmes humaines passent par une série de changements et de métamorphoses, tout comme les corps sidéraux dans l’espace doivent traverser une série semblable de transformations, et il est à présumer que tous ces changements sont assujettis à des lois psychiques aussi immuables que les lois astronomiques.

3) Durant son incarnation sur la terre chaque être humain doit progresser indéfiniment. Chaque homme doit, pour cela, être en communion complète et illimitée avec la nature et avec ses semblables. Le mythe du « péché originel » et toute l’histoire symbolique de l’humanité telle qu’on la trouve dans la Bible n’est au fond que l’histoire de la séparation égoïste de l’homme d’avec ses semblables, de la rupture criminelle de son unité.

Tout ce qui empêche notre pleine et entière communion avec la nature ou avec nos semblables est le mal. L’homme doit être en rapport illimité et continu avec l’univers. Tout ce qui tend à l’assujettir, à l’asservir à des limites bornées est le mal. L’homme ne peut pas vivre sans société, sans famille, sans propriété ; mais la société — lorsqu’elle l’enchaîne par des préjugés de caste, la famille, — lorsqu’elle usurpe toute son activité à son seul profit, la propriété, — lorsqu’elle l’empêche de remplir librement sa vraie destination qui est de progresser infiniment, engendrent le mal, et c’est ce qu’il faut combattre. Tout le mal sur la terre ne provient que des obligations mal comprises que nous imposent ces trois institutions qui doivent par leur nature ne servir qu’au bonheur de l’humanité. Il faut donc combattre les abus de ces institutions et non les institutions mêmes, et il ne faut combattre que ces abus, alors seulement l’humanité progressera.

4) Le progrès de l’humanité est infini et continu. Le progrès de l’humanité est le résultat des efforts, des victoires et des labeurs réunis de tous les éléments qui la composent, donc chaque homme doit travailler dans la mesure de ses forces et de ses capacités et développer chacune de ses capacités jusqu’au terme du possible. C’est ainsi qu’il sera non seulement un membre digne et utile de la société, non seulement ses enfants de par la loi des affinités seront aussi des hommes excellents, développés, d’une grande élévation morale, mais encore lorsque cet homme renaîtra dans l’humanité pour recommencer une nouvelle existence, il sera meilleur, supérieur d’un degré à sa première existence, donc il sera un membre encore plus utile d’une nouvelle société, meilleure aussi que la première. C’est ainsi qu’en s’élevant lui-même, il élève en lui l’humanité. C’est pour cela que chaque homme, en progressant, en tendant vers la perfection, remplit son devoir envers lui-même et envers l’humanité entière.

Il faut convenir que Leroux sut, avec une déduction admirable, avec une profondeur et une ampleur de jugement historique souvent géniales, poursuivre dans ses articles et dans ses essais cette doctrine du progrès continu, dont le vrai auteur fut au fond Leibniz. Il sut, par une argumentation probante et remarquable, suivre et exposer le développement des grandes idées, il montra comment, tout en changeant parfois d’aspect, elles se maintenaient et traversaient les époques qui nous apparaissent à présent comme des temps de barbarie, de ténèbres absolues ; il sut prouver que ces idées vivaient alors, qu’elles se faisaient jour à l’aide des hommes et des institutions qui, par leur nature même, semblaient vouées à la mort et au calme stagnant, mais qui, aux jours des cataclysmes universels ou du règne aveugle et inepte de la force brutale, devenaient de vrais sanctuaires, de vrais foyers de vie spirituelle de l’humanité. Très intéressants et très captivants, sous ce rapport, les articles de Leroux tels que : Saint Athanase, Saint Augustin, Saint Benoît, les Beggards, sans parler déjà des articles : Christianisme, Contemplation, Baptême, Aristote, Arianisme, Arminianisme, et la brochure sur l’Égalité.

Toutes les doctrines religieuses d’autrefois ont été incomplètes, elles séparaient le corps et l’âme, l’esprit et la matière ; elles voyaient le mal dans le monde matériel. Mais Dieu est partout et en tout, dans le spirituel comme dans le matériel. C’est pour cela que chaque homme et l’humanité entière trouveront leur salut lorsqu’ils comprendront qu’il ne faut pas combattre la vie corporelle, ni attendre le royaume de Dieu en dehors de ce monde, ni le voir dans la négation de la vie, mais lorsqu’on tâchera d’élever et de sanctifier toute vie charnelle, comme tout labeur terrestre. Si l’on ne considère la matière que comme l’objet du mal, qu’il faut incessamment combattre et si l’on croit que le bien ne consiste que dans la victoire de l’esprit sur cette matière, alors il faut ou admettre l’existence de deux principes, d’Ormuzde et d’Arimane, ou bien admettre que le Tout-Puissant peut être la source du mal. Si nous ne pouvons admettre la coexistence de ces deux principes, si tout provient de Dieu, donc tout doit être bien et bon, ce que nous appelons le mal naît seulement de notre ignorance ou du mauvais usage que nous faisons du bien[597].

Il n’y a donc rien d’étonnant que Leroux place dans le Panthéon de l’avenir, à côté des statues de Socrate, de Platon, de Pythagore et de Jésus, celle de Saint-Simon qui décréta en notre ère la sainteté de la matière et son égalité avec l’esprit devant Dieu. On ne doit pas s’étonner, non plus, qu’ayant emprunté cette partie de sa doctrine à Saint-Simon, Leroux se tourna avec un intérêt tout particulier vers les sectes antiques et médiévales qui professaient plus ou moins clairement la divinité du monde physique, la divinité des choses reconnues de par l’ascétisme chrétien comme assujetties au mal, au diable, ce qui amenait ces sectes, en guise de protestation symbolique contre les doctrines dualistes, à professer le « culte du diable » sous telle ou telle autre forme. C’est surtout les wiclefistes, les lollards et les anabaptistes qui attirèrent l’attention de Leroux, et plus que tous les autres, les taborites, — ces socialistes du moyen âge : parfaits chrétiens qui, d’une part, aspiraient à faire revivre le christianisme sous sa forme la plus pure, et qui, d’autre part, n’acquiescèrent point à la damnation spiritualiste contre toute la matière, mais voyaient au contraire la présence de Dieu partout, dans le matériel comme dans le spirituel. Ils refusaient de rendre le « pauvre Satan », injustement calomnié, responsable des péchés de la nature humaine. C’est ce qui fit que dans plusieurs groupes des taborites on se saluait non par le « Grüss Gott » habituel, mais bien par la formule devenue célèbre grâce au Consuelo de George Sand : « Que celui à qui on a fait tort te salue. » « Celui à qui on a fait tort » ou Satan sera salué et pardonné le jour où tout le mal de l’univers sera détruit, le règne de Dieu inauguré sur la terre et où tous les hommes, devenus frères, ne seront plus capables de se faire réciproquement du mal, — autrement dit, cette salutation équivaudrait à « que le règne de Dieu advienne ». Les taborites n’hésitaient pas à accélérer l’avènement prochain de ce règne par le feu et le glaive.

Le roman de George Sand que nous venons de nommer est aussi celui qui est le plus empreint des idées de Pierre Leroux. Nous tâcherons de le prouver lorsque nous en aborderons l’analyse, et celle de Spiridion, roman dont une partie fut même écrite par Leroux lui-même, — fait resté inconnu jusqu’à nos jours.

La grande romancière fit la connaissance du philosophe socialiste en 1835, sur le conseil de Sainte-Beuve qui lui désigna Pierre Leroux et Jean Reynaud comme les deux hommes les plus aptes à l’éclairer dans sa fiévreuse recherche de la vérité[598].

De son propre aveu, George Sand et ses amis, mais surtout Planet, ne pouvaient se rencontrer lors du fameux procès d’avril, sans se mettre immédiatement à « résoudre le problème social ». Une fois que ce même Planet pressait plus que jamais son amie de l’aider à « résoudre » ce problème, elle se souvint du conseil de Sainte-Beuve et écrivit à Leroux, le priant de venir dîner avec elle et de lui exposer « en deux-trois heures de conversation le catéchisme républicain » à l’usage d’un prétendu meunier ou paysan de ses amis. Leroux ne fut point dupe de cette petite ruse, mais il accepta l’invitation. Mais il fut lui-même si gêné et si confus durant cette première entrevue, qu’il ne put s’emparer de « l’impression » de ses auditeurs attentifs[599]. Du reste George Sand ne se soumit pas d’emblée à l’influence de ses idées. Quelques années plus tard elle en parla en ces termes à son ami Charles Duvernet[600] :

J’ai la certitude qu’un jour on lira Leroux comme on lit le Contrat social. C’est le mot de Lamartine. Ainsi, si cela t’ennuie aujourd’hui, sois sûr que les plus grandes œuvres de l’esprit humain en ont bien ennuyé d’autres qui n’étaient pas disposés à recevoir ces vérités dans le moment où elles ont retenti. Quelques années plus tard, les uns rougissaient de n’avoir pas compris et goûté la chose les premiers. D’autres, plus sincères, disaient : « Ma foi, je n’y comprenais goutte d’abord, et puis j’ai été saisi, entraîné et pénétré. » Moi, je pourrais dire cela de Leroux précisément. Au temps de mon scepticisme, quand j’écrivais Lélia, la tête perdue de douleurs et de doutes sur toute chose, j’adorais la bonté, la simplicité, la science, la profondeur de Leroux, mais je n’étais pas convaincue. Je le regardais comme un homme dupe de sa vertu. J’en ai bien rappelé ; car si j’ai une goutte de vertu dans les veines, c’est à lui que je la dois, depuis cinq ans que je l’étudie, lui et ses œuvres…

Nous apprenons donc de la bouche même de George Sand que ce n’est qu’en l’espace de cinq années que s’accomplit sa pleine et entière adhésion aux idées philosophiques de Leroux, mais aussi que dès leur première entrevue elle se sentit pénétrée par un respect illimité pour la personnalité morale du maître. Il arriva donc pour Leroux presque la même chose que pour Michel : l’individualité du nouvel apôtre la fit s’incliner d’abord devant l’apôtre lui-même, et plus tard devant sa doctrine. Nous croyons même que George Sand lui octroyait dans son imagination des qualités qu’il ne possédait peut-être point et qu’elle ne s’apercevait pas de beaucoup de choses assez peu attrayantes qu’il y avait en lui : il manquait de délicatesse dans les questions matérielles, avait une certaine tendance assez mesquine à rattacher toutes ses malchances personnelles aux « grandes questions sociales », à quémander assez prétentieusement et toujours « de par ses principes », au lieu de simplement confesser ses misères et de demander aide, enfin il avait un certain faible pour les potins. Nous croyons pouvoir affirmer que c’est Leroux qui fut la cause finale de la rupture entre George Sand et Mme d’Agoult et du refroidissement survenu entre elle et Lamennais. Il paraît avoir tant soit peu jalousé l’influence de Lamennais sur George Sand et ne perdait aucune occasion de médire de lui, soit directement, soit indirectement. Il colportait sur son compte des racontars propres à envenimer les relations entre le grand réfractaire religieux, leur ami commun et leur co-éditeur, et son admiratrice, George Sand. Et malheureusement il y réussit assez ! Nous donnons plus bas deux lettres à ce sujet. Plus tard Leroux se plaignit, à George Sand encore, de Louis Viardot, un peu plus tard encore il se plaignit d’elle-même à quelqu’un de leurs amis communs et dut s’en excuser auprès d’elle !… Mais George Sand semble réellement ne s’être point aperçue de ces défauts de Leroux, ou elle les lui pardonnait au nom de ses qualités, rares et grandes. Elle admirait surtout, comme il paraît, sa foi ardente au progrès, qui allait parfois jusqu’à une exaltation prophétique, la pureté de cette âme touchante et quasi enfantine, sa naïveté tout enfantine aussi, qu’il poussait jusqu’à un égoïsme ingénu, son ignorance de la vie pratique à côté d’aspirations grandioses de réformer le monde. Hâtons nous de dire que Leroux ne joua jamais dans la vie personnelle de George Sand le rôle de Michel. Mais il ne put se défendre d’encourir le sort de tous ceux qui approchaient cette femme supérieure, il succomba si bien à son charme qu’une explication décisive eut lieu entre eux. George Sand conseilla à Leroux de ne pas oublier son rôle d’ami. Celui-ci s’y soumit sagement : il s’empressa même d’exalter sa grande amie en des termes les plus mystiquement ampoulés, alors qu’il reçut d’elle une bonne leçon, une semonce des mieux conditionnées. Voici la réponse inédite de Leroux :

J’ai reçu deux lettres et j’attends la troisième. C’est vous qui êtes l’oracle. Vous n’êtes pas seulement mon étoile polaire. De nous deux, vous êtes l’oracle. Moi, je ne fais que consulter Dieu, c’est vous qui répondez.

Votre inspiration a été ce qu’elle devait être. Je le reconnais aujourd’hui, après avoir bien lutté le jour et la nuit, pour comprendre. Je m’égarais dès le début, et je vous égarais : vous ne vous êtes pas laissé égarer, et vous ne m’avez pas laissé m’égarer.

L’amour n’est bon, vrai, saint, qu’autant qu’il donne et laisse à chacun l’unité de son être. Si vous m’eussiez écouté, l’être en nous restait divisé, morcelé. De vous, cela est évident, et de moi aussi. Car j’ai réfléchi depuis sur ma vie, et je comprends maintenant votre vie par la mienne, et ma vie par la vôtre.

Vous m’avez fait faire en moi-même une confession qui m’a donné une grande lumière et m’explique bien des choses. Je ne suis pas un saint, comme vous dites. Mais j’ai foi que je reviendrai par vous à la sainteté, et que je reprendrai l’unité de mon être. Soyez-en sûre, vous me sauverez, parce que nous nous sauverons.

Je ne puis pas vous dire ce que j’ai senti et pensé et souffert depuis ces trois ou quatre jours. Mais je veux vous dire encore que non seulement vous êtes pour moi la vie, mais que vos oracles sont pour moi des oracles ; car mon cœur y consent.

C’est un supplice que de vivre loin de vous, mais je me répète ces vers du Dante, quand il quitte l’enfer pour le purgatoire :

        Per correr miglior acqua alza le vele
        Omai la navicella del mio ingegno,
        Che lascia dietro a se mar si crudele ;

ayez, je vous en supplie, ayez toujours pitié de moi ; car cette mer

de ma vie passée était bien cruelle.

J’écrivais cela, attendant la troisième lettre, ma manne céleste. Le facteur vient de m’apporter mes journaux, et je n’ai pas de lettre. Oh ! ne craignez pas que je me plaigne. Que de bénédictions je vous dois pour les deux premières ! Ô bonne, bonne, bonne ! Que vous êtes bonne, et que votre amitié est bienfaisante ! Il n’y a pas un mot qui ne m’ait pénétré au fond de l’âme, pas une phrase que je n’aie repassée cent fois dans ma mémoire et méditée le jour et la nuit. Que je vous remercie de votre confiance ! Oh ! non, il ne faut pas que les chiens vous suivent à la piste de votre sang. Vos douleurs sont sacrées. Il faut vivre et triompher. Reine, Reine, Reine !

Quant à moi, misérable, il n’y a que l’adieu de vos lettres que je déteste, quoique je l’embrasse et en sois ravi ; car je l’aime mieux que rien, et ainsi je l’adore. À vous de cœur et d’esprit, dites-vous ; j’aurais mieux aimé à vous de la façon la plus vague. Ces faces, je vous l’ai dit, sont fausses, ces faces : sentiment, intelligence, acte. Il n’y a de réel que l’être, et l’être a ces trois aspects, et toujours il les a, dans l’amitié comme dans l’amour. Seulement, ces trois aspects de l’être sont autres dans l’amitié et dans l’amour. Que veut donc dire votre adieu ? Hélas ! je le sais. Il aurait mieux valu pour moi l’indéfini à vous, à vous peut-être, à vous faiblement, à vous dans cette vie ou dans l’autre… Moi, je vous dis de toute la force de mon âme : À vous.

Ce petit incident n’obscurcit aucunement l’amitié naissante, et peu à peu Leroux devint le confident de George Sand dans toutes les questions graves ou embrouillées de sa vie[601], un intime de sa maison et de celles de ses amies d’alors, Mmes Marliani et d’Agoult, l’ami de Maurice et de Chopin[602], le collaborateur et le compagnon de travail de George Sand, pendant de longues années et de toutes ses entreprises littéraires. De plus, comme nous l’avons déjà dit dans le volume précédent, lorsque George Sand s’aperçut de l’indigence matérielle dans laquelle la famille de Leroux se trouva vers 1838, elle eut même l’idée de se charger de ses enfants et de les adopter[603].

Mais voici ce qui est curieux. Tous les critiques et biographes s’évertuent habituellement à dire que George Sand ne fut qu’une émule docile dans les mains du philosophe mystique[604]. Elle-même, pendant de longues années et à différentes reprises, ne se nomme pas autrement que « disciple docile » ou « l’écho » de Pierre Leroux, et nous voyons réellement que, d’une part, elle a pour lui une admiration sans bornes, elle l’admire comme penseur, elle accepte ses leçons, orales ou écrites, comme de vraies « révélations ». Ses idées deviennent les siennes, ne font qu’un avec ses propres croyances, ses propres sentiments et aspirations, et se manifestent dans une série de romans et d’écrits : Spiridion (sous certains rapports aussi les Sept Cordes de la Lyre), Consuelo, la Comtesse de Rudolstadt, Ziska, Procope le Grand, le Coup d’œil général sur Paris, le Meunier d’Angibault, le Péché de M. Antoine, Horace, le Compagnon du Tour de France et même Jeanne. Tous ces romans apparaissent comme la mise en œuvre du programme de Leroux : lutte contre les triples abus : abus de caste, de famille et de propriété ; prédication de la doctrine du progrès continu et de « la vie de l’homme dans l’humanité ».

Il faut pourtant noter, une fois de plus, que si George Sand se pénétra si bien de cette doctrine et se fit un « écho » aussi docile de Leroux, c’est que ces idées répondaient parfaitement à ses propres goûts, à ses aspirations, à ses croyances. Aucun critique, par exemple, n’avait jamais douté que Spiridion ne fût écrit par une seule main, et pourtant il fut écrit par George Sand et Leroux ; mais une collaboration pareille aurait tout gâté, elle aurait détruit l’homogénéité de l’œuvre, si le ton, la manière, le diapason général des deux auteurs ne fussent absolument pareils, si la romancière n’avait pas traversé auparavant des sentiments de cette catégorie, si elle-même n’avait pas vécu, en son âme, le développement progressif de l’idée religieuse, passé par cette série d’évolutions progressives de la conscience humaine (ou, d’après Leroux, de la conscience de toute l’humanité) qui constituent la donnée principale de Spiridion.

Malgré cela, Leroux apparaît quant à la doctrine sous l’aspect du maître, du guide, du sage.

Mais si nous envisageons le côté moral et pratique, alors la correspondance entre Leroux et George Sand (nous avons eu la chance de lire et de copier plus de soixante lettres de Pierre Leroux, plusieurs lettres de ses frères et gendres, et des lettres à eux adressées par George Sand), cette correspondance, disons-nous, témoigne que, dans leurs rapports personnels et privés, le premier rôle, le rôle du fort, de l’aîné, du conseiller, du consolateur et du protecteur, le rôle du bienfaiteur dans le sens vrai et exact du mot, revient à George Sand. Leroux, dans ses lettres se plaint : du sort, des hommes, des circonstances, du travail au-dessus de ses forces, du manque d’argent et du guignon en toutes choses (ce qui est très compréhensible, vu sa misère éternelle et ses dettes presque inextricables). Il demande perpétuellement tantôt un conseil, tantôt une consolation ou l’éclaircissement de ses doutes, tantôt il s’excuse, et il demande, et il prie, il prie et il demande… Et ce qu’il faut noter dans les lettres de Leroux, écrites pour la plupart en un langage extra-nébuleux, ampoulé, fourmillant de comparaisons embrouillées et d’explications vagues, c’est qu’à côté de ce ton général de faiblesse, de plaintes, de gémissements perpétuels, on y trouve, à la parfaite consternation des admirateurs et disciples de Leroux, une constante reconnaissance de la supériorité morale et intellectuelle de sa correspondante. George Sand tantôt le console et le calme, tantôt elle le conseille, lui arrange quelque affaire. C’est ainsi par exemple que, lors de la fondation de la Revue indépendante, elle ne se fit l’un des éditeurs actionnaires et des co-rédacteurs que dans le but de donner à Leroux la possibilité de propager ses idées, ainsi que celle de gagner sa vie, et elle n’y publiait ses romans que pour « attirer les badauds ». Tantôt elle le charge de s’entendre avec quelque éditeur pour la réimpression de l’un de ses romans parus, afin de lui donner la possibilité de gagner un modeste courtage à cette opération[605] ; et tantôt elle lui expédie simplement une certaine somme d’argent ; ou lui permet de toucher pour elle les honoraires qui lui reviennent ; ou bien elle met sa signature sur une lettre de change de Leroux ; ou elle aide ses frères à affermer un petit terrain ; ou elle lui avance une somme d’argent pour fonder sa typographie à Boussac. Elle lui donne gratis un de ses nouveaux romans pour une nouvelle revue qu’il fonde, après l’insuccès de la première, ou encore elle achète et répand ses petites brochures et s’évertue à lui trouver des abonnés, et elle l’aide, elle l’aide…

Du commencement jusqu’à la fin, George Sand reste pour Leroux et pour sa famille vraiment maternelle, pleine de bienveillance, de cette bonté infinie et intarissable dont parlent tant tous ses biographes, une bonté allant jusqu’à la faiblesse, de sorte que non seulement Leroux avait vraiment droit de l’appeler Consuelo de mi’alma, mais encore les amis de George Sand avaient quelquefois des raisons parfaitement légitimes de protester contre l’abus de cette bonté, dans certaines occasions de la vie pratique. Le lecteur trouvera plus bas toute une série de documents prouvant ce que nous venons d’avancer, et maintenant nous nous permettrons de citer quelques lettres imprimées et inédites de Pierre Leroux, de George Sand et divers autres, lettres qui se rapportent aux premières années des relations entre George Sand et Pierre Leroux.


Madame Dudevant, rue Laffitte
Hôtel de France, au coin de la rue de Provence.
1836. Décembre.

J’ai lu ce matin la lettre que vous m’aviez écrite et que je n’avais pas reçue hier. En vérité je suis heureux de ne l’avoir lue qu’aujourd’hui : je n’aurais pas osé vous regarder ni vous parler. Vous êtes trop bonne et trop élogieuse. Je suis toujours embarrassé et gêné pour dire une parole devant vous (ce qui, par parenthèse, me fait souvent bavarder beaucoup trop). J’ai senti cela le premier jour que je vous ai vue ; je ne pus pas vous dire un mot. Si hier j’avais eu votre lettre, j’aurais été plus troublé que le premier jour de notre connaissance ! Voilà ce que c’est que de vous avoir lue dans vos livres. J’ai l’âme pleine d’admiration, et je n’ai pas de parole pour la dire ; puis c’est de mauvais goût que de vous louer en face ; puis encore, ce n’est pas vous louer que je veux, c’est plutôt vous faire sentir combien je vous estime et combien je vous suis reconnaissant. Il arrive alors que vous aimez l’humilité et à louer les autres tout faibles qu’ils sont. Il en résulte, pour ceux envers qui vous vous montrez si bonne, un trouble intérieur inexprimable.

Vous me demandez mon amitié. Ne savez-vous pas que je vous suis tout dévoué ? J’étais votre ami avant de vous connaître ; je le fus le jour où je vous vis pour la première fois ; je le suis aujourd’hui, je le serai demain, je le serai toute ma vie.

C’est le propre de l’amitié que d’être utile ou du moins de chercher à l’être à ceux que nous aimons. Je demande donc qu’il y ait en moi quelque force qui puisse vous aider quelquefois dans vos souffrances. Mais vous vous trompez bien sur vous-même quand vous dites que je servirais à vous rendre bonne. Vous êtes née pour le beau et le bon, et vous avez toujours été au fond ce que vous voudriez devenir. Seulement la vie est une épreuve et une expérience que nous faisons tous deux dans la mesure de nos forces pour nous et pour l’humanité. Aspirons donc à devenir meilleurs et à nous éclairer de plus en plus dans nos ténèbres.

Je pense avec chagrin que vous allez bientôt partir, et que je ne vous verrai plus. Mais si à Noan (sic) vous prenez quelque instant de vos nuits aux étoiles[606] pour m’écrire, vous me fortifierez à votre tour dans mes abattements et dans mes tristesses.

P. Leroux.

Le libraire de l’Encyclopédie doit vous envoyer aujourd’hui ou demain, de ma part, tout ce qui en a paru. Si vous n’en voulez pas, donnez-la à Maurice. C’est en effet pour nos enfants que nous travaillons. Vous qui avez Maurice et Solange, vous ferez pour eux l’article Espérance, et non pas l’article Spleen, comme nous disions l’autre jour.

Tours. (Sans date.)

Ce n’est pas le moment, madame et chère amie, de vous dire ce que j’ai pu souffrir et ce que je souffre encore. Quand nous nous reverrons comme deux amis je vous le dirai peut-être. Je vous écris un mot seulement, pour que vous n’ayez pas d’inquiétude sur mon état de santé. Je me rappelle qu’en partant je vous ai promis de vous donner de mes nouvelles quand je serais à Tours. Je lutte avec courage contre la tristesse et l’abattement. Je compte rester encore trois ou quatre jours ici, puis m’acheminer vers Paris. J’ai besoin de mes enfants. J’aurais tant à vous écrire, qu’il me faille des efforts inouïs pour me décider à vous écrire seulement ces quelques mots. Un jour je vous demanderai peut-être à vous écrire une longue lettre, afin que mon amitié vous soit utile et bonne à quelque chose. Adieu. J’espère que votre santé est meilleure. Embrassez pour moi, je vous prie, Maurice et Solange. Je voudrais écrire à Mme Marliani ; mais j’ai laissé passer trois jours, et elle doit être partie. C’est un grand regret pour moi de ne pas lui avoir donné de mes nouvelles à temps. Si vous lui écrivez, parlez-lui de moi.

Votre ami,
P. Leroux.


À Madame d’Agoult, à Bellagio, Milan.
Nohant, 16 octobre 1837.
Chère Princesse,

… Je tombe dans le Pierre Leroux, et pour cause. Il était ici ces jours derniers. Charlotte et moi nous faisions le projet romanesque de lui élever ses enfants et de le tirer de la misère à son insu. C’est plus difficile que nous ne pensions. Il a une fierté d’autant plus invincible qu’il ne l’avoue pas et donne à ses résistances toutes sortes de prétextes. Je ne sais pas si nous viendrons à bout de lui. Il est toujours le meilleur des hommes, et l’un des plus grands. Il a été voir Béranger à Tours et va revenir ensuite je ne sais pour combien de temps.

Il est très drôle, quand il raconte son apparition dans votre salon de la rue Laffitte. Il dit :

— J’étais tout crotté, tout honteux. Je me cachais dans un coin. Cette dame est venue à moi et m’a parlé avec une bonté incroyable. Elle était bien belle !

Alors je lui demande comment vous étiez vêtue, si vous êtes blonde ou brune, grande ou petite, etc. Il répond :

— Je ne sais rien. Je suis très timide ; je ne l’ai pas vue.

— Mais comment savez-vous si elle est belle ?

— Je ne sais pas ; elle avait un beau bouquet, et j’en ai conclu qu’elle devait être belle et aimable.

Voilà bien une raison philosophique ! qu’en dites-vous ?…

George.


À Madame d’Agoult, à Gênes.
Nohant. Mars 1838.

… Il est bien possible que j’aille vous rejoindre quelque jour en Italie. Cependant ce voyage, que j’avais arrangé pour le printemps prochain, me paraît moins certain maintenant quant à la date. Mon procès avec mes éditeurs, que je voudrais terminer auparavant, est porté au rôle pour le mois de juillet ou d’août. Si je suis forcée de m’en occuper, je ne pourrai passer les monts qu’en automne. Une fois en Italie, j’y veux rester au moins deux ans pour les études de Maurice, qui s’adonne définitivement à la peinture et qui aura besoin de séjourner à Rome…


Madame George Sand, chez Madame Marliani, au Consulat d’Espagne, rue Grange-Batelière.

Votre lettre m’a été bien douce, chère amie (puisque vous proscrivez le nom de madame, et vous avez raison). Je l’ai reçue au milieu d’une grande affliction. Reynaud vient de perdre sa femme. J’écris à Mme Marliani et je lui donne quelques détails sur le malheur de mon pauvre ami. Il a été vraiment beau et fort dans cette rude atteinte. Sa croyance, fondée sur la raison qui nous éclaire, est bonne à quelque chose. J’étais sûr de lui d’avance, et je n’ai pas été trompé. J’ai déjà pas mal souffert, j’ai fait aussi des pertes cruelles, sans compter d’autres afflictions bien profondes : mais avec lui j’apprenais à souffrir et à savoir mourir. Jean est un fameux homme, un brave et grand esprit. Je veux qu’il vous connaisse un jour et qu’il vous aime comme je vous admire.

J’ai été forcé de rester auprès de lui jusqu’au moment où je l’ai conduit à Chantilly chez sa mère. Voilà pourquoi je n’ai pas été vous voir déjà. Je suis encore retenu aujourd’hui et peut-être demain. Mais j’espère que vous ne serez pas partie d’ici à deux jours. Maurice va donc bien ; il est avec vous et Solange aussi. Alors, puisque nul cœur ne vous manque, pourquoi ne resterez-vous pas quelques jours de plus, pour le bonheur de la Madona. J’ai vu sur votre cachet Italiam. Vous irez donc ! J’ai renoncé à mon voyage d’Allemagne à cause de Reynaud. Il a besoin des montagnes pour se retremper, et nous irons faire un petit voyage dans les Alpes.

À vous pour toujours.
P. Leroux.


Au Major Adolphe Piclet, à Genève.
Paris. Printemps 1838.
Cher Major,

… Vous seriez bien aimable de me donner de vos nouvelles ici, rue Grange-Batelière, 7. J’y serai encore une quinzaine, et il est possible, probable même, que nous allions passer l’été en Suisse. La santé de mon fils est meilleure ; mais les médecins lui ordonnent un climat frais en été et chaud en hiver. Nous serons donc bientôt à Genève et ensuite à Naples. Dites-moi dans quelle partie bien sauvage et bien pittoresque de vos montagnes je pourrais aller travailler ; je voudrais un climat modéré pour Maurice, et pour moi des paysans parlant français. Les environs de Genève ne me paraissent pas assez énergiques comme paysage, et je voudrais fuir les Anglais, les buveurs d’eaux, les touristes, etc. Je voudrais encore vivre à bon marché, car j’ai gagné deux procès et je suis ruinée…

Le lecteur sait déjà que ce n’est ni en Italie, ni en Suisse que se rendit George Sand en l’automne de 1838, mais bien à Majorque, et on sait aussi qu’outre ses deux enfants, son troisième compagnon de voyage fut Chopin.

C’est avec une profonde émotion, avec un frisson de vénération et de crainte, que nous commençons le récit des relations entre Chopin et George Sand. Notre sympathie se divise entièrement ; nous sommes incapable de déclarer lequel des deux grands amis nous est plus cher, plus proche de notre cœur, auquel des deux nous sommes plus intimement, plus fidèlement attaché. Puis, comment raconter une âme, une âme sensitive jusqu’à la morbidesse, âme incomprise, se dérobant à tous, ne se révélant point et point révélée, âme profonde, exclusive et ne se manifestant que par les sons, ne vivant et ne parlant qu’en musique et par la musique ! Comment rendre les états de cette âme capricieuse, toute en teintes et en nuances fugitives, de cette âme mimose, si personnelle, si intolérante envers tout ce qui est collectif et troupeau, envers tout ce qui est cher à la foule et aimé d’elle ; âme instinctivement ennemie du banal, de l’universel, du vulgaire, du criard ; âme également fuyant la prose de la vie, le bruit de la vie et les combats de la vie, à dix coudées au-dessus de tous les partis, de tous les meneurs, tous les crieurs, tous les orateurs, de tous les héros, de toutes les divinités du jour, de tous ceux qui disparaissent des tréteaux, après avoir mené grand bruit pendant des années, comme les marionnettes, et qu’on oublie aussi comme les marionnettes ?… Comment faire comprendre au lecteur, surtout à celui qui n’est pas musicien, une âme qui ne parlait que par la musique, qui même en musique parlait une langue extraordinaire et inusitée, une langue à elle, toute nouvelle, sans l’ombre même de l’universellement populaire, sans trace de trivialité, de vulgarité, de lieux communs, de phrases faites, d’expressions reçues ? Comment expliquer un compositeur qui ne craint pas toutes ces modulations, ces positions d’accords prétendues « impossibles » ou inconnues avant lui ? Celui qui commence sa première Ballade en Sol mineur par ce récitatif interrogatif parlant sans paroles et s’arrêtant sur cette dissonance audacieuse ; celui dont le courroux et le désespoir se révèlent par des œuvres telles que l’Étude en Ut mineur, le Prélude en Si bémol mineur (n° 16), la Polonaise en Fa dièze mineur ; celui dont la douleur s’exhale dans les larmes de cet incomparable Nocturne en Ut mineur (op. 48), ou dans ce Prélude de deux lignes d’une simplicité, d’une beauté inénarrables, comment faire comprendre que parmi les grandes âmes, celle-ci est l’une des plus grandes, des plus profondes, la plus raffinée entre toutes les plus délicates ?

Dans sa vie ce fut l’homme le plus retenu, ne permettant à personne de pénétrer dans le sanctuaire de son cœur. Il existe bon nombre de lettres de Chopin, mais elles ne le révèlent pas, surtout dans la seconde partie de sa vie. Il ne se révélait pas plus dans ses paroles. Il tâchait toujours de passer pour un homme du monde, très correct, et rien de plus.

Mais on s’y méprendrait pourtant. La volonté du musicien n’était pour rien dans la douceur recherchée de son abord, l’élégance de ses manières, tous ses soucis du fashionable, ses engouements pour les « tailleurs chic », pour les salons de grand monde, pour des « papiers tourterelle » ou « gris perle » des murs, pour les jardinières garnies de fleurs et un ameublement élégant. Il ne recherchait pas ces belles formes de l’existence, ce n’était que l’empreinte extérieure, involontaire de cette âme d’élite qui régnait en souveraine sur son enveloppe frêle, délicate et élégante. Tout cela était presque inconscient, il lui était impossible de faire, d’agir, de parler autrement, d’être moins exclusif, moins recherché, moins délicat. Et si, comme tout auteur, nous devons souhaiter à notre livre le plus grand nombre de lecteurs, nous désirerions que ces pages-là n’en aient que le plus petit, nous voudrions presque qu’elles ne fussent lues que par les musiciens seuls, ou par les exclusifs, les sensitifs, par les personnes qui trouvent que « l’universellement populaire » est tout aussi fade et dégoûtant que les enluminures des boîtes à bonbons, les « primes artistiques » d’un journal de cinq sous, le « patriotisme » ou le « libéralisme » des faiseurs d’articles, les pardessus d’un magasin de confections seyant à des milliers de personnes, ou comme le livre d’une célébrité populaire fraîchement éclose, seyant aussi à une foule innombrable de lecteurs, à la « sainte majorité », à tout le monde.

Nous nous permettrons de donner ici une esquisse abrégée de la vie de Chopin, parce que ses biographies françaises, même les plus récentes, fourmillent d’erreurs. Frédéric Chopin naquit Le 22 février 1810 (et non pas 1809) à Zelazowa-Wola, domaine des comtes Skarbek, situé dans le diocèse de Suchaczew. Son père était un émigré français naturalisé en Pologne, Nicolas Chopin ou Szopén, selon l’orthographe polonaise. Sa mère, — une Polonaise, — Justine Krzyzanowska. Frédéric Chopin se considéra toujours comme Polonais et tint le polonais pour sa langue maternelle. Ses parents étaient tous les deux attachés à la maison de Skarbek, Nicolas Chopin en qualité de précepteur, sa femme comme intendante de la maison de campagne. Le jeune comte Skarbek, devenu plus tard un savant fort distingué, fut le parrain de Frédéric[607] et l’ami de la famille, mais jamais Chopin ne fut élevé à ses frais, ni aux frais de sa mère, ou du prince de Radziwill. Frédéric reçut une éducation fort soignée dans la maison paternelle, parce que ses parents étaient des gens d’une grande culture intellectuelle, et lorsque Nicolas Chopin s’installa à Varsovie et y ouvrit un pensionnat pour les jeunes gens faisant leurs études au lycée, sa maison fut un lieu de réunion pour les hommes s’intéressant aux choses de l’esprit ou adonnés à la culture des sciences et des arts. Frédéric était le second des enfants de Nicolas Chopin, venant après Louise et précédant ses deux sœurs Isabelle et Émilie. Celle-ci devait à l’âge de quatorze ans mourir phtisique, comme mourut plus tard Frédéric. Tous ces enfants se distinguaient par des capacités littéraires et artistiques : les deux aînées s’occupèrent plus tard de traductions, Émilie composa des vers. Frédéric avait une grande facilité pour le dessin et s’amusait, encore élève du lycée, pendant une villégiature chez des amis, à écrire un prétendu « Courrier » où il notait toutes ses impressions de campagne sous la forme la plus drôle et la plus humoristique, témoignant d’un esprit railleur et éveillé. Son talent musical se manifesta de très bonne heure et d’une manière toute spontanée. Il étudia le piano avec Ziwny et débuta comme pianiste à l’âge de dix ans. Il fut dès lors remarqué de la célèbre Catalani qui lui fit cadeau d’une montre avec une inscription gravée pour la circonstance. Tout adolescent, il prit part à des concerts de bienfaisance ou joua avec un grand succès dans les salons de l’aristocratie varsovienne, à commencer par celui de la comtesse Lowicz, épouse du grand-duc Constantin. Cela ne l’empêcha pas de faire des études très sérieuses au lycée de Varsovie, où il remporta plusieurs mentions honorables, prix et couronnes. Ses études une fois terminées, en 1826, il entra au Conservatoire ou École supérieure de musique de Varsovie où il étudia son art sous la direction de Joseph Elsner. Durant cette période et plus tard il fit quelques séjours à Berlin, en Silésie, en Poznan chez le mécène prince de Radziwill, à la campagne chez ses amis les comtes Wodzinski, se créant partout des admirateurs enthousiastes et dénotant dès ses toutes premières œuvres un talent original, sûr de lui-même, hors ligne.

Il eut pour camarades, au lycée, et plus tard pour amis l’élite intellectuelle de Varsovie, et fréquentait l’élite artistique ou aristocratique de cette ville.

Il était en train de se créer un public européen en commençant une tournée artistique par des concerts à Munich et à Vienne, lorsque éclata la révolution polonaise de 1831. Il s’arrêta à Paris « pour se rendre à Londres », comme il était dit sur son passeport : ce fut pour ne plus jamais revenir dans sa patrie et pour mourir place Vendôme en 1849. Les dix-huit années qu’il passa à Paris, à l’exception de quelques séjours aux eaux de Bohême, à Majorque, à Nohant et en Angleterre, furent consacrées à la musique : c’est là qu’il créa la plupart de ses chefs-d’œuvre et gagna sa vie en enseignant son art à une foule d’élèves des deux sexes.

Nous avons déjà raconté dans notre deuxième volume la première entrevue de Chopin et de George Sand et prouvé qu’elle n’eut pas lieu en 1837, comme on le prétend toujours, et dans des circonstances tout à fait autres et nullement aussi poétiques que ne la content MM. de Custine, Karasowski, Wodzinski et tutti quanti. Nous avons, en faisant analyse de ces légendes, dit que cette rencontre eut lieu dans les derniers mois de 1836, à l’époque où Mme d’Agoult et George Sand habitaient l’Hôtel de France, rue Laffitte, et que pendant les mois d’hiver de 1836 passés par George Sand à Paris, entre son voyage en Suisse et sa réclusion à Nohant (en janvier-avril 1837), elle et Chopin se virent non pas « une fois », mais bien plusieurs fois, soit dans le salon de la comtesse, soit chez Chopin lui-même, à ses soirées musicales intimes que Henri Heine nous décrit incomparablement dans ses lettres à Lewald[608] dont Liszt nous parle dans son livre sur Chopin[609] et auxquelles George Sand elle-même fait allusion dans son Histoire de ma vie[610].

Nous avons dit à cet endroit même de notre travail comment Chopin avait d’abord été récalcitrant à l’idée de faire la connaissance de George Sand, par haine des bas bleus en général. La première impression que lui fit la grande romancière fut aussi assez défavorable. C’est ainsi que ce même Karasowski qui raconte d’une manière aussi… poétique leur première rencontre et qui assure que d’emblée Chopin se sentit « compris comme il ne l’avait jamais été auparavant et par personne », ce même Karasowski déclare avoir lu dans une des lettres de Chopin à sa famille, détruites lors des événements de 1863[611] : « Hier j’ai rencontré George Sand, elle me produisit une impression fort désagréable… » Dans la lettre ouverte de Hiller à Franz Liszt, que Niecks cite dans sa biographie de Chopin, on peut lire ce qui suit : « Un soir tu rassemblas chez toi l’élite de la littérature française. Certes George Sand ne pouvait y manquer. En revenant à la maison, Chopin me dit : « Quelle femme antipathique que cette Sand. Est-ce vraiment bien une femme ? Je suis prêt « à en douter… » Au dire de ce même Niecks, lorsqu’il questionna là-dessus Liszt, ce dernier ne souligna qu’une certaine retenue que Chopin laissa remarquer au commencement de ses relations avec George Sand, et il ne dit rien par rapport à son « aversion ». Bien au contraire, Liszt dit qu’au bout de très peu de temps la romancière remporta victoire sur cette retenue, grâce à ses merveilleux dons intellectuels et au charme de sa parole. Il en avait été de même avec Musset. Niecks remarque avec raison qu’il y eut beaucoup de points de ressemblance dans ces deux liaisons, en général. C’est ainsi que Chopin et Musset étaient tous les deux de quelques années plus jeunes que George Sand, tous les deux ils jouèrent le rôle du plus faible, etc., etc. Mais la différence fut grande entre le poète et le musicien sous le rapport moral, et quoique Musset appartînt par sa naissance à une famille presque aristocratique, et que Chopin naquit et se développa dans l’humble famille d’un directeur de pensionnat auprès du lycée de Varsovie, c’est bien lui, plutôt que Musset, qu’il faut appeler aristocrate dans le vrai et le grand sens du mot. C’était un homme d’une culture morale exceptionnelle et par sa nature, par toutes ses habitudes de famille et d’éducation, absolument incapable de passer son temps dans quelque société grossière ou dans les bas plaisirs où s’abaissa si souvent Musset.

Une taille moyenne et élancée, des mains longues et effilées, de très petits pieds, des cheveux très fins d’un blond cendré tirant sur le châtain, des yeux bruns plutôt vifs que mélancoliques, un nez busqué, un sourire très doux, une voix un peu sourde, et dans toute sa personne quelque chose de si noble, de si indéfinissablement aristocratique, que tous ceux qui ne le connaissaient pas le prenaient pour quelque magnat. Voici le portrait de Chopin. La recherche, le raffinement même, dans les manières, dans les paroles, dans l’habillement, comme dans l’ameublement de ses chambres, l’aversion innée pour toute discussion bruyante, pour les politiciens et les clubs, pour tout laisser aller des bohèmes, pour tout train de vie désordonné, pour les sans-façons des abords, pour tout manque de goût, le débraillé, le bariolé dans la mise ; l’engouement pour tout ce qui dénote la haute société, allant jusqu’au snobisme, amour de tout ce qui est élégant, poussé jusqu’à des extases devant quelque toilette bien faite et « bien portée » et jusqu’à la connaissance approfondie du cachet de chaque grand faiseur ; la passion des fleurs, des parfums, des porcelaines de Chine ou de Sèvres, des meubles de Boulle, des tentures claires, des soirées intimes et pimpantes dans quelque petit salon de grand monde, doucement éclairé, plutôt noyé dans la pénombre, où, en « petit comité », une élite de femmes adorables et d’hommes grandement titrés ou portant un grand nom historique écoute, religieusement attentive, le poète-musicien qui lui révèle, au piano, le secret de ses pensées ! Voilà les dehors, l’atmosphère où se plaisait Chopin.

Une délicatesse raffinée d’esprit et de sentiments, une douceur d’âme, la hauteur générale de tout l’être moral ; une certaine tendance à l’idéalisme, à la rêverie, et une fine moquerie pleine d’humour ; une tendre fidélité à ses amis, à sa famille, liée à un amour ardent et douloureux pour sa pauvre patrie perdue, aux amers regrets de son brillant passé ; le culte chevaleresque pour toute femme, et une passion illimitée de son art, de cette langue de son cœur, la musique, qui réunissait en elle et servait seule d’expression à tous ces divers éléments spirituels ; l’originalité et la personnalité incisive et exclusive d’un génie — dans ses œuvres à lui, et le goût marqué de tout ce qui est bien pondéré, adouci, jamais brutal, toujours noble et retenu, et même de tout ce qui est conventionnellement formel — dans les œuvres d’autrui, en peinture, en littérature et en musique. Voilà enfin Chopin moral, le Chopin intime et caché.

Si nous nous rappelons maintenant qu’au moment de la première rencontre de George Sand et de Chopin les idées socialisto-démocratiques avaient pris possession de l’esprit de la grande femme ; que dans ses paroles comme dans ses actions elle faisait constamment montre de ses sympathies pour les masses incultes, souffrantes et malheureuses, et de son adhésion à tout ce qui devait accélérer l’affranchissement du peuple, la proclamation du pouvoir suprême de la majorité ; qu’elle avait rompu avec presque tous les amis de sa jeunesse, avec ses amies de couvent, aussi bien qu’avec la société à laquelle elle appartenait par sa naissance et les relations de son aïeule et de son père, et qu’elle vivait alors presque exclusivement au milieu de tribuns, de meneurs de partis, de philosophes, d’artistes, d’acteurs, de journalistes, d’utopistes, de bohèmes et de prolétaires ; qu’elle était portée à un sans-façon absolu dans son train de vie, ne faisant aucune attention ni à ses costumes, ni à ceux de son entourage[612] ; que bien peu de semaines auparavant elle portait une blouse d’homme, un gilet et des bottes ; qu’elle fumait à outrance, tutoyait ses nouveaux amis, presque de prime abord, s’ils étaient à son gré ; qu’elle souffrait qu’on s’exprimât en sa présence en des termes familiers, et qu’elle se permettait elle-même dans ses lettres et ses causeries intimes des locutions d’atelier ou de tréteaux ; si nous nous rappelons tout cela, nous ne trouverons pas étonnant que la première impression qu’elle produisit sur Chopin lui fut défavorable.

Mais il est moins étonnant encore qu’il suffît du commerce le plus court entre la femme de génie et le grand musicien, pour qu’il fût charmé. Sous son extérieur raffiné, comme sous les manières presque bohèmes de l’amie des humbles palpitait une grande, une géniale âme d’artiste. Chopin était plus capable de le sentir qu’aucun de ceux qui entouraient alors George Sand. Il venait d’éprouver, de plus, que les dehors les plus recherchés, les plus élégants, les relations les plus amicales, la douceur des manières la plus parfaite se marient parfois avec des préjugés aristocratiques, avec une sécheresse ou une lâche soumission à sa destinée et à la volonté d’une caste. Wodzinski un ami (!) à lui, ne s’en efforça pas moins de faire étouffer l’amour commençant de sa sœur Marie pour le jeune musicien modeste, pas riche et point titré, et cette même Marie Wodzinska (après laquelle soupirait aussi le poète Slowacki), malgré tous ses serments et ses sentiments, se plia à la volonté paternelle et, tout en aimant Chopin (!), épousa un homme titré. Quoique Chopin n’eût ni les courroux de Liszt ni ses révoltes contre les préjugés aristocratiques qui lui volèrent aussi la jeune fille de son choix[613], quoique Chopin fût porté à s’incliner devant ces préjugés de caste consacrés par les siècles, pourtant la blessure que ces gens à cœurs secs lui portèrent saignait et brûlait douloureusement au fond de ses entrailles. La sympathie d’une grande âme, libre, ardente, prête à l’aimer, venant à lui, dut d’emblée inonder de lumière, de chaleur et de passion inextinguible ce cœur qui n’avait encore rencontré ni un vrai amour, ni un cœur égal au sien[614].

George Sand possédait un véritable et profond sens musical, nous l’avons déjà noté, en passant, dans le chapitre sur Liszt. Revenons sur ce point, d’autant plus que nous sommes là-dessus en parfait désaccord avec Mecks, dont les arguments et les assertions nous paraissent très peu probants.

En parlant du conte fantastique le Contrebandier que George Sand écrivit « sur la fantaisie musicale de Liszt », nous avons cité le biographe de Liszt, Mme Lina Ramann, qui trouvait extrêmement « étonnant que, malgré son sens musical profond, George Sand n’ait pas inspiré Liszt », c’est-à-dire qu’il n’ait rien composé sur l’un de ses textes[615]. Nous avons dit alors même que cette assertion nous était très précieuse, venant de la part de Liszt et redite seulement par Mme Ramann, elle renferme une constatation irrévocable de ce que George Sand était vraiment très musicienne (musikalisch). Or, Niecks met en doute la présence de ce don chez George Sand. Il dit : « J’ai appris par Liszt que George Sand n’était pas musicienne (nicht musikalisch), mais qu’elle avait du goût et du jugement. Par le mot nicht musikalisch il faut, je crois, entendre qu’elle n’avait pas l’habitude de faire usage de ses capacités musicales, ou bien qu’elle ne les avait pas développées à un degré digne d’attention. À mon propre avis elle donne trop d’importance à ses capacités, à ses occupations et à ses connaissances musicales, du moins ses écrits prouvent que quel que fût son don musical, son goût était néanmoins très incertain et ses connaissances très minimes… »

Il nous semble que Niecks réfute par ses propres paroles ce qu’il avance, en disant que l’expression unmusikalisch veut dire surtout que George Sand n’était point une exécutante, une musicienne active. Mais ceci encore n’est point exact, car, sans être une virtuose, George Sand se distingua toujours par une ouïe musicale parfaite, une mémoire excellente et même une certaine vélocité au piano, qui lui permirent, jusque dans sa vieillesse, d’exécuter de mémoire quantité d’airs berrichons, espagnols et majorquins, des danses, des morceaux d’opéras, de Don Juan surtout, son opéra favori (ainsi que celui de Chopin et de Mme Pauline Viardot). Nous savons aussi que dans sa jeunesse elle jouait assez souvent à quatre mains, qu’elle chantait agréablement et qu’elle fut une des premières à apprécier le génie de Berlioz, peu connu encore à ce moment, mais dont elle chantait déjà ou accompagnait les romances[616]. Elle chantait aussi des airs d’opéras italiens[617].

D’ailleurs tout ce que Niecks avance par rapport à son « goût incertain », etc., nous paraît très problématique, d’autant qu’il entre là-dessus en dispute ouverte avec Liszt, meilleur juge que lui, semble-t-il, en matières musicales ! C’est ainsi par exemple que Mecks ajoute en note à la page où il parle du « goût incertain » de Mme Sand : « Il y a dans les œuvres de George Sand bon nombre de passages poétiques à propos de musique, comme aussi par-ci, par-là des jugements très incisifs sur des matières d’esthétique générale, mais il n’y manque pas non plus de morceaux où son manque de savoir et son incapacité critique se voient manifestement. Témoin ce passage de l’Histoire de ma vie :

« Le génie de Chopin est le plus profond et le plus plein de sentiments et d’émotions qui ait existé. Il a fait parler à un seul instrument la langue de l’infini ; il a pu souvent résumer, en dix lignes qu’un enfant pourrait jouer, des poèmes d’une élévation immense, des drames d’une énergie sans égale. Il n’a jamais eu besoin de grands moyens matériels pour donner le mot de son génie. Il ne lui a fallu ni saxophones, ni ophicléides pour remplir l’âme de terreur ; ni orgues d’église, ni voix humaine pour la remplir de foi et d’enthousiasme. Il n’a pas été connu et il ne l’est pas encore de la foule. Il faut de grands progrès dans le goût et l’intelligence de l’art pour que ses œuvres deviennent populaires. Un jour viendra où l’on orchestrera sa musique sans rien changer à sa partition de piano, et où tout le monde saura que ce génie aussi vaste, aussi complet, aussi savant que celui des plus grands maîtres qu’il s’était assimilés, a gardé une individualité encore plus exquise que celle de Sébastien Bach, encore plus puissante que celle de Beethoven, encore plus dramatique que celle de Weber. Il est tous les trois ensemble, et il est encore lui-même, c’est-à-dire plus délié dans le goût, plus austère dans le grand, plus déchirant dans la douleur. Mozart seul lui est supérieur, parce que Mozart a en plus le calme de la santé, par conséquent la plénitude de la vie…[618]. »

Mecks prétend que ce passage suffit à faire reconnaître le manque d’entendement musical chez George Sand. Certes, chacun a son goût, et de nos jours on trouvera quantité de musiciens et de dilettanti qui jetteront de hauts cris devant cette suprématie de Mozart au-dessus de Beethoven et de Chopin. Et pourtant, de nos jours aussi, Tchaïkowski mettait tout pareillement Mozart au-dessus de tous les compositeurs ; M. Saint-Saëns, et les critiques MM. Hanslick et Laroche[619] professaient le même culte, et nous doutons fort que ces quatre hommes puissent être soupçonnés de « manque d’entendement musical ». Mais ce qu’il faut surtout noter, c’est que Chopin lui-même plaçait l’auteur de Don Juan à cette même hauteur inaccessible, que la partition de cette œuvre était son Évangile musical et qu’il ne s’en séparait jamais, même dans ses voyages.

Faut-il en conclure que Chopin, aussi, « manquait de sens et de goût musical », qu’il était unmusikalish ? Il est trop évident que l’assertion de Niecks n’est que l’expression de son goût personnel et non un jugement bien fondé. Ajoutons que la prophétie de George Sand relative à l’instrumentation des œuvres de Chopin s’est accomplie de nos jours. En dehors de la Marche funèbre ou la Polonaise en la majeur, tant de fois instrumentées et exécutées à grand orchestre un peu partout, notre jeune et déjà si célèbre compositeur M. Al. Glasounow, il y a peu d’années, instrumenta et fit paraître sous le titre de Chopeniana une suite de morceaux de Chopin, « sans rien changer à la partition de piano ». Au moment où nous corrigeons ces pages, nous croyons encore entendre une autre suite, également intitulée la Chopeniana, que notre vénéré et si regretté maître Mili Balakirew avait instrumentée peu de mois avant sa mort. On peut donc affirmer que George Sand devait se connaître tant soit peu en fait de musique et que « l’exemple » cité par Mecks est au moins… mal choisi. Ne serait-il pas plus raisonnable de nous fier au jugement de Franz Liszt qui, semble-t-il, a voix au chapitre, et de redire, d’après ses mots cités par son biographe, que George Sand était très musicienne, qu’elle entendait profondément la musique et que c’est pour cela que Liszt, tout comme Chopin, aimait à jouer devant elle ses compositions fraîchement écloses ou celles des génies d’antan.

Nous donnerons plus bas des preuves de ce profond entendement musical et du fin sens artistique que George Sand manifesta souvent à la première audition de telle ou telle autre œuvre nouvelle de Chopin. Nous signalerons aussi bon nombre de ses pages écrites durant les années passées dans l’atmosphère spirituelle de Chopin et qui reflètent les idées, les goûts et les théories esthétiques du grand musicien. Cela se rapporte surtout à Consuelo, ainsi qu’au Château des Désertes, où nous trouvons mainte page consacrée au Don Juan de Mozart.

Revenons maintenant à la rencontre des deux grands artistes, mais avant tout rétablissons la chronologie des événements pour ne pas suivre les biographes de Chopin dans les sables mouvants des légendes. Donc, ayant fait la connaissance de Chopin dans les tout derniers mois de 1836[620], George Sand se retira en janvier 1837 à Nohant, où elle resta jusqu’au 21-22 juillet[621], moment où elle fut précipitamment appelée à Paris auprès de sa mère mourante. Elle passa les mois d’août et de septembre à Paris et à Fontainebleau, courut à bride abattue à Nérac, où M. Dudevant avait conduit Solange après l’avoir enlevée à Nohant, fit une alerte promenade de quelques jours dans les Pyrénées, puis revint à Nohant, où elle resta de nouveau sans bouger jusqu’au mois d’avril 1838[622]. Au commencement de l’hiver 1837, au printemps et en été de cette année Mme d’Agoult et Liszt firent deux ou même trois séjours à Nohant qu’ils quittèrent après le départ précipité de leur hôtesse, le 22 juillet, et ils n’y revinrent plus jamais. Pendant le séjour de Mme d’Agoult à Nohant, George Sand avait plusieurs fois réitéré des invitations à Chopin, et Chopin faillit les accepter encore en l’été de 1837, lorsqu’il écrivit à son ami Wodzinski : « J’irai, peut-être, pour quelques jours chez George Sand[623]. » Mais cette bonne intention eut le sort de celles qui pavent l’enfer, et Chopin ne vint à Nohant qu’en 1838. En 1837 il partit le 11 juillet avec Pleyel et Cozmian à Londres, y fit la connaissance de Broadwood, joua chez lui, charma tout un cercle de belles dames et de connaisseurs et y resta juste jusqu’à ce même 22 juillet, c’est-à-dire qu’il revint en France au moment où George Sand et Liszt n’étaient plus à Nohant. Vers la fin de cet été, s’il faut en croire la Neue Zeitschrift fur Musik de septembre 1837, Chopin fit une cure d’eau en Bohême. Cette assertion, pour n’être point irréfutable, est pourtant fort probable, car dans cette même lettre à Wodzinski, Chopin lui annonçait qu’il « se sentait mal depuis l’influenza de l’hiver passé » et que les médecins l’envoyaient à Ems[624]. Moscheles et Mendelssohn, à leur tour, parlent dans leurs lettres de Londres (datées de l’automne de cette année) du séjour estival de Chopin à Londres et de sa maladie de poitrine. En tout cas Chopin n’aurait pu être à Nohant que si George Sand (donc Liszt aussi) y était restée : or nous savons que Liszt n’a jamais été à Nohant en même temps que Chopin. Ce prétendu séjour de Chopin, en l’été de 1837 « en même temps que Liszt et Mme Viardot (!!!) », est un conte bleu. Tout ce qui se débite sur le séjour simultané à Nohant des trois génies musicaux doit être une fois pour toutes rapporté au domaine des légendes. 1° Après 1837 Liszt ne revint plus jamais à Nohant et il déclara catégoriquement n’y avoir jamais été en même temps que Chopin. 2° Chopin n’avait pas encore visité Nohant en 1837. 3° Mme Viardot n’avait jamais été à Nohant avant son mariage (1840), elle y vint pour la première fois en 1841, quand elle y séjourna simultanément avec Chopin, mais point avec Liszt. Elle déclara à Niecks, tout aussi catégoriquement que Liszt, qu’elle n’avait jamais séjourné à Nohant en même temps que Liszt, ce qui est absolument conforme à la vérité. C’est pour toutes ces raisons que nous n’hésiterons pas à appeler les Souvenirs de Charles Rollinat[625] un conte très intéressant, mais rien de plus. Au lecteur qui aime « les contes poétiques » nous conseillons bien de lire dans cette chronique, d’une fantaisie exubérante et ne manquant pas de talent, comment en l’été de 1837 ou de 1841 (on ne sait pas trop) toute une pléiade de célébrités et d’amis de George Sand séjourna simultanément à Nohant, goûtant les plaisirs de l’esprit et les divertissements les plus raffinés. Il y est conté comment on y travaillait, comment on y lisait et comment le soir tout le monde se réunissait soit au salon, soit sur la terrasse ; c’est alors que se passaient les choses les plus incroyables et les événements les plus fabuleux. Malheureusement pour la plupart ils sont déjà réfutés par Niecks, mais il nous sera encore possible d’en nier toute véracité, grâce à un seul argument, que nous gardons en réserve, d’une telle portée que tous les autres deviennent presque inutiles. Le lecteur des Souvenirs de Charles Rollinat apprendra donc par exemple que Liszt et Chopin rivalisaient au piano, qu’une fois, on transporta ce piano sur la terrasse, et le jardin de Nohant inondé de clair de lune et parfumé de fleurs retentit, tour à tour, des trilles du rossignol, du chant de Pauline Viardot et du jeu puissant de Liszt, auquel répondait l’écho. Le lecteur de Rollinat apprendra encore qu’une autre fois Liszt se serait vengé du conseil de Chopin, donné la veille, de ne point changer à sa guise, en les jouant, les œuvres chopiniennes, et de n’exécuter plutôt que ses propres compositions ; Liszt s’en serait vengé en ayant, entre chien et loup, si parfaitement imité le jeu de Chopin, que ce n’est que lorsqu’on alluma les bougies qu’on vit que ce n’était pas Chopin, comme l’avaient cru les auditeurs ensorcelés, mais bien Liszt en personne, assis au piano ; il aurait narquoisement dit alors : « Vous voyez, Liszt peut imiter Chopin, mais Chopin peut-il jouer à la Liszt ? » Mais, encore et toujours, lorsque plus tard on questionna là-dessus le grand pianiste hongrois, il déclara catégoriquement ne s’être jamais permis rien de pareil et que cette histoire était inventée. Le lecteur apprendra encore par ces Souvenirs comme dès lors — on ne sait pas trop si c’était en 1837 ou en 1841 — Pauline Viardot aurait étudié le rôle de Fidès[626], c’est-à-dire tantôt huit et tantôt douze ans avant la première représentation du Prophète, qui n’eut lieu que le 12 avril 1849, et il y lira enfin comment ces soirées musicales finissaient par de gais soupers, pendant lesquels on faisait le punch dans une grande coupe d’argent, etc., etc.

Eh bien, c’est justement cette « grande coupe d’argent » qui nous rendit le grand service d’apprendre la vérité et de dissiper définitivement tous les points des Souvenirs de Rollinat. Donc, voici ce que nous savons pertinemment. Lorsque Mme Maurice Sand, qui gouvernait en 1874 tout le ménage de Nohant, voire toute l’argenterie de la maison, demanda après la lecture de ces Souvenirs à Mme Sand : « Et où donc est-elle à présent, cette coupe d’argent ? » Mme Sand lui répondit en souriant : « Ma mignonne, elle n’a existé que dans l’imagination de Charles, il n’y en a pas, comme du reste il n’y a presque rien de vrai dans tout ce qu’il a écrit là. — Mais, bonne mère, pourquoi avez-vous donc permis de publier tout cela, puisque c’est un tas de bêtises ? — Ah ! ma chérie, peu m’importe. Et lui, il avait tant besoin d’argent, il était si au dépourvu, lorsqu’il écrivit tout cela[627]… »

Nous conseillons à tous ceux qui lisent les petits livres et les articles sur Chopin — exception faite du livre de Niecks, et surtout de l’excellent travail de Ferdinand Hœsick — de se rappeler très ferme que dans toutes les biographies de Chopin on trouve des dizaines de ces « coupes d’argent ». Il en foisonne, il en pullule à chaque page, à commencer par la description de la première rencontre de Chopin et de George Sand, avec tous ces « pressentiments de Chopin » ces « escaliers éclairés a giorno et recouverts de tapis », ce « léger parfum de violettes », ce « frou-frou d’une robe de soie », cette « grande Lélia » s’appuyant au piano et « dévorant de ses yeux noirs le virtuose », ce « mystérieux chiffre 7 », qui termine… l’année 1836 ! (car la première rencontre eut bien lieu en 1836 et non en 1837), et à finir par la description des derniers moments de Chopin, le piano roulé presque au pied du lit et Delphine Potocka chantant, non seulement au dernier jour, mais à la dernière heure, au moment même où Chopin expirait, et chaque chroniqueur nomme catégoriquement un air différent : l’un du Mozart, l’autre du Stradella, un autre encore du Bellini, un quatrième une prière d’église !

La déclaration formelle de la nièce de Chopin qui assista avec sa mère au dernier moment du grand musicien nous apprend la vérité sur tout cela[628]. Le sceptique Niecks eut bien raison de critiquer à outrance toutes ces légendes si aimées du public et des biographes. Hâtons-nous seulement de répéter que Niecks met souvent en doute ou conteste ironiquement telle expression ou telle ligne des lettres de George Sand, qui ne méritent aucunement d’être traitées de la sorte[629]. Pour répondre à un autre reproche si souvent prodigué à George Sand par Niecks comme par tant d’autres — voire : que le fait qu’entre 1837 et 1847 le nom de Chopin se trouve trop rarement sous sa plume servait peu à son avantage et qu’il prouverait à lui seul quelle place minime occupait Chopin dans sa vie morale, — pour répondre à ce reproche, nous devons, dès à présent, dire et redire[630], que presque toutes les lettres du volume II de la Correspondance sont tronquées et changées, et avant tout sont tronquées et omises des lignes et des pages entières consacrées à Chopin, des lignes et des pages témoignant du profond attachement de George Sand pour son ami, de sa tendre sollicitude pour lui, pour son train de vie, pour son confort, témoignant aussi de son admiration exaltée pour son âme, sa bonté, et de l’intimité morale toute familiale de leur vie durant ces dix années. Maurice Sand, en biffant ainsi tous ces passages de la Correspondance de George Sand, — par antipathie personnelle pour Chopin, — rendit mauvais service à la mémoire de sa mère : il permit à beaucoup de ses ennemis de profiter de cette absence presque complète du nom même de Chopin dans la Correspondance de George Sand comme d’une preuve du manque de toute tendresse, de tout attachement sérieux de sa part pour le grand musicien. Nous noterons, au cours de notre récit, tous ces passages tronqués, et le lecteur verra combien ils sont importants pour prononcer un jugement équitable sur les relations qui unissaient George Sand et Chopin.

Et maintenant nous pouvons tranquillement et définitivement aborder la période la plus heureuse des relations de George Sand et de Chopin, — leurs « commencements » en l’année 1838.

Au printemps de cette année, George Sand fit d’assez fréquents séjours à Paris, causés par son dernier procès avec M. Dudevant[631]. C’est précisément à cette époque que se rapportent les premiers chapitres de son roman avec Chopin, ces chapitres toujours si captivants pour les lecteurs et les acteurs, où tout est encore incertain, inconnu, im werden, comme disent les Allemands, où tout marche en avant, tout promet, tout effraye, tout agite, mais où rien encore ne chagrine ni ne désillusionne et, surtout où rien… n’ennuie par sa monotonie assommante.

C’est à cette époque que se rapporte aussi l’énigmatique épître inédite de George Sand à Mme Marliani, que voici :

Nohant, 23 mai 1838.

Chère belle, j’ai reçu vos bonnes lettres et je tarde à vous répondre à fond, parce que vous savez que le temps est variable dans la saison des amours.

On dit beaucoup de oui, de non, de si, de mais dans une semaine, et souvent on dit le matin : décidément ceci est intolérable, pour dire le soir : en vérité, c’est le bonheur suprême.

J’attends donc pour vous écrire tout de bon que mon baromètre marque quelque chose sinon de stable, du moins de certain pour un temps quelconque. Je n’ai pas le plus petit reproche à faire, mais ce n’est pas une raison pour être contente. Aujourd’hui, je ne vous écris qu’un billet pour vous dire que je vous aime et que j’ai besoin que vous m’écriviez, que vous pensiez à moi, que vous vous occupiez de moi. Cette idée me donne de la force et m’empêche de retomber dans mes exagérations de désespoir sombre, bête et spleenétique…

Mais il est à croire que cette incertitude ne dura pas longtemps. George Sand était trop experte en matière de sentiment pour ne pas savoir que sur un minime prétexte les cordes trop tendues se cassent. Elle pénétrait trop bien aussi la personnalité du jeune musicien qui avait six ans de moins qu’elle pour ne pas comprendre quelle importance pouvait avoir pour lui son amour. Elle connaissait la douloureuse épreuve qu’il venait de traverser grâce à la rupture de ses fiançailles avec Marie Wodzinska, mais elle ne savait pas si sa blessure était parfaitement guérie ou si Chopin ne cherchait qu’un oubli momentané à sa douleur ; elle ne savait pas même si ç’avait été une blessure sérieuse, s’il fallait aider à sa guérison. Elle était toute prête à lui donner l’oubli et le bonheur, mais elle craignait de n’être aimée que « par dépit ». Bref, elle semble s’être effrayée à l’idée de prendre une responsabilité vis-à-vis de celui qu’elle s’était déjà mise à aimer. C’est alors qu’elle écrivit la très intéressante, disons plus, la curieusissime lettre que voici, à l’ami de Chopin, Albert Grzymala, lettre dans laquelle elle raconte brièvement à cet ami, avec une sincérité et une honnêteté indicibles et nullement féminines, toutes ses amours précédentes, ainsi que son roman point encore clos avec Mallefille. Elle semble dire : « Voilà ce que je suis, je ne suis plus une ingénue, je sais et je vois quelle tournure prennent les choses ; nous sommes avec Chopin au milieu d’un carrefour, je l’aime, mais, si vous croyez que je lui ferai par là du bien, j’ai encore la force de le quitter, c’est à moi de prendre cette décision sur moi ; vous êtes son ami, vous connaissez sa vie précédente et vous pouvez juger ce qui lui serait meilleur. Si vous dites oui, je viendrai à Paris. Si non, je l’éviterai et tout sera fini. »

Cette lettre écrite avec une puissance étonnante et respirant la franchise, c’est de la vraie George Sand, cette seule lettre suffirait à lui octroyer ce nom de parfait honnête homme, que lui donna un jour un écrivain d’esprit. Les femmes ne sont pas capables d’une pareille franchise sans merci pour elles-mêmes.

Cette seule lettre suffirait aussi pour réfuter à tout jamais l’assertion de tous ses ennemis : qu’elle fut « hypocrite ».

Au comte Albert Grzymala, à Paris.

Jamais il ne peut m’arriver de douter de la loyauté de vos conseils, cher ami ; qu’une pareille crainte ne vous vienne jamais. Je crois à votre évangile sans le bien connaître et sans l’examiner, parce que du moment qu’il a un adepte comme vous, il doit être le plus sublime de tous les évangiles. Soyez béni pour vos avis et soyez en paix sur mes pensées. Posons nettement la question une dernière fois, parce que de votre dernière réponse sur ce sujet dépendra toute ma conduite à venir, et puisqu’il fallait en arriver là, je suis fâchée de ne pas avoir surmonté la répugnance que j’éprouvais à vous interroger à Paris. Il me semblait que ce que j’allais apprendre gâterait mon poème. Et, en effet, le voilà qui a rembruni, ou plutôt qui pâlit beaucoup. Mais qu’importe ! Votre évangile est le mien quand il prescrit de songer à soi en dernier lieu, et de n’y pas songer du tout quand le bonheur de ceux que nous aimons réclame toutes nos puissances. Écoutez-moi bien et répondez clairement, catégoriquement, nettement. Cette personne qu’il veut, ou doit, ou croit devoir aimer, est-elle propre à faire son bonheur, ou bien doit-elle augmenter ses souffrances et ses tristesses ? Je ne demande pas s’il l’aime, s’il en est aimé, si c’est plus ou moins que moi. Je sais à peu près, par ce qui se passe en moi, ce qui doit se passer en lui. Je demande à savoir laquelle de nous deux il faut qu’il oublie ou abandonne pour son repos, pour son bonheur, pour sa vie enfin, qui me paraît trop chancelante et trop frêle pour résister à de grandes douleurs. Je ne veux point faire le rôle de mauvais ange. Je ne suis pas le Bertram de Meyerbeer et je ne lutterai point contre l’amie d’enfance, si c’est une belle et pure Alice ; si j’avais su qu’il y eût un lien dans la vie de notre enfant, un sentiment dans son âme, je ne me serais jamais penchée pour respirer un parfum réservé à un autre autel. De même, lui sans doute se fût éloigné de mon premier baiser s’il eût su que j’étais comme mariée. Nous ne nous sommes point trompés l’un l’autre, nous nous sommes livrés au vent qui passait et qui nous a emportés tous deux dans une autre région pour quelques instants. Mais il n’en faut pas moins que nous redescendions ici-bas, après cet embrasement céleste et ce voyage à travers l’empyrée. Pauvres oiseaux, nous avons des ailes, mais notre nid est sur la terre et quand le chant des anges nous appelle en haut, le cri de notre famille nous ramène en bas. Moi, je ne veux point m’abandonner à la passion, bien qu’il y ait au fond de mon cœur un foyer encore bien menaçant parfois. Mes enfants me donneront la force de briser tout ce qui m’éloignerait d’eux ou de la manière d’être qui est la meilleure pour leur éducation, leur santé, leur bien-être, etc. Ainsi, je ne puis pas me fixer à Paris à cause de la maladie de Maurice, etc., etc… Puis il y a un être excellent, parfait, sous le rapport du cœur et de l’honneur, que je ne quitterai jamais, parce que c’est le seul homme qui, étant avec moi depuis près d’un an, ne m’ait pas une seule fois, une seule minute, fait souffrir par sa faute. C’est aussi le seul homme qui se soit donné entièrement et absolument à moi, sans regret pour le passé, sans réserve pour l’avenir. Puis, c’est une si bonne et si sage nature, que je ne puisse avec le temps l’amener à tout comprendre, à tout savoir ; c’est une cire malléable sur laquelle j’ai posé mon sceau et quand je voudrai en changer l’empreinte, avec quelque précaution et quelque patience j’y réussirai. Mais aujourd’hui cela ne se pourrait pas, et son bonheur m’est sacré.

Voilà donc pour moi ; engagée comme je le suis, enchaînée d’assez près pour des années, je ne puis désirer que notre petit rompe de son côté les chaînes qui le lient. S’il venait mettre son existence entre mes mains, je serais bien effrayée, car en ayant accepté une autre, je ne pourrais lui tenir lieu de ce qu’il aurait quitté pour moi. Je crois que notre amour ne peut durer que dans les conditions où il est né, c’est-à-dire que de temps en temps, quand un bon vent nous ramènera l’un vers l’autre, nous irons encore faire une course dans les étoiles et puis nous nous quitterons pour marcher à terre, car nous sommes les enfants de la terre et Dieu n’a pas permis que nous y accomplissions notre pèlerinage côte à côte. C’est dans le ciel que nous devons nous rencontrer, et les instants rapides que nous y passerons seront si beaux, qu’ils vaudront toute une vie passée ici-bas.

Mon devoir est donc tout tracé. Mais je puis, sans jamais l’abjurer, l’accomplir de deux manières différentes ; l’une serait de me tenir le plus éloignée que possible de C[hopin], de ne point chercher à occuper sa pensée, de ne jamais me retrouver seule avec lui ; l’autre serait au contraire de m’en rapprocher autant que possible, sans compromettre la sécurité de M[allefille], de me rappeler doucement à lui dans ses heures de repos et de béatitude, de le serrer chastement dans mes bras quelquefois, quand le vent céleste voudra bien nous enlever et nous promener dans les airs. La première manière sera celle que j’adopterai si vous me dites que la personne est faite pour lui donner un bonheur pur et vrai, pour l’entourer de soins, pour arranger, régulariser et calmer sa vie, si enfin il s’agit pour lui d’être heureux par elle et que j’y sois un empêchement ; si son âme excessivement, peut-être follement, peut-être sagement scrupuleuse, se refuse à aimer deux êtres différents, de deux manières différentes, si les huit jours que je passerais avec lui dans une saison doivent l’empêcher d’être heureux dans son intérieur, le reste de l’année ; alors, oui, alors, je vous jure que je travaillerai à me faire oublier de lui. La seconde manière, je la prendrai si vous me dites de deux choses l’une : ou que son bonheur domestique peut et doit s’arranger avec quelques heures de passion chaste et de douce poésie, ou que le bonheur domestique lui est impossible, et que le mariage ou quelque union qui y ressemblât serait le tombeau de cette âme d’artiste : qu’il faut donc l’en éloigner à tout prix et l’aider même à vaincre ses scrupules religieux. C’est un peu là — je dirai où — que mes conjectures aboutissent. Vous me direz si je me trompe ; je crois la personne charmante, digne de tout amour, et de tout respect, parce qu’un être comme lui ne peut aimer que le pur et le beau. Mais je crois que vous redoutez pour lui le mariage, le lien de tous les jours, la vie réelle, les affaires, les soins domestiques, tout ce qui, en un mot, semble éloigné de sa nature et contraire aux inspirations de sa muse. Je le craindrais aussi pour lui ; mais à cet égard, je ne puis rien affirmer et rien prononcer, parce qu’il y a bien des rapports sous lesquels il m’est absolument inconnu. Je n’ai vu que la face de son être qui est éclairée par le soleil. Vous fixerez donc mes idées sur ce point. Il est de la plus haute importance que je sache bien sa position, afin d’établir la mienne. Pour mon goût, j’avais arrangé notre poème dans ce sens, que je ne saurais rien, absolument rien de sa vie positive, ni lui de la mienne, qu’il suivrait toutes ses idées religieuses, mondaines, poétiques, artistiques, sans que j’eusse jamais à lui en demander compte, et réciproquement, mais que partout, en quelque lieu et à quelque moment de notre vie que nous vinssions à nous rencontrer, notre âme serait à son apogée de bonheur et d’excellence. Car, je n’en doute pas, on est meilleur quand on aime d’un amour sublime, et loin de commettre un crime, on s’approche de Dieu, source et foyer de cet amour. C’est peut-être là, en dernier ressort, ce que vous devriez tâcher de lui faire bien comprendre, mon ami, et en ne contrariant pas ses idées de devoir, de dévouement et de sacrifice religieux vous mettriez peut-être son cœur plus à l’aise. Ce que je craindrais le plus au monde, ce qui me ferait le plus de peine, ce qui me déciderait même à me faire morte pour lui, ce serait de me voir devenir une épouvante et un remords dans son âme ; non, je ne puis (à moins qu’elle ne soit funeste pour lui en dehors de moi), me mettre à combattre l’image et le souvenir d’une autre. Je respecte trop la propriété pour cela, ou plutôt, c’est la seule propriété que je respecte. Je ne veux voler personne à personne, excepté les captifs aux geôliers et les victimes aux bourreaux, et la Pologne à la Russie, par conséquent. Dites-moi si c’est une Russie dont l’image poursuit notre enfant ; alors, je demanderai au ciel de me prêter toutes les séductions d’Armide pour l’empêcher de s’y jeter ; mais si c’est une Pologne, laissez-le faire. Il n’y a rien de tel qu’une patrie, et quand on en a une, il ne faut pas s’en faire une autre. Dans ce cas, je serai pour lui comme une Italie, qu’on va voir, où l’on se plaît aux jours du printemps, mais où l’on ne reste pas, parce qu’il y a plus de soleil que de lits et de tables, et que le confortable de la vie est ailleurs. Pauvre Italie ! Tout le monde y songe, la désire ou la regrette ; personne n’y peut demeurer, parce qu’elle est malheureuse et ne saurait donner le bonheur qu’elle n’a pas. Il y a une dernière supposition qu’il est bon que je vous dise. Il serait possible qu’il n’aimât plus du tout l’amie d’enfance et qu’il eût une répugnance réelle pour un lien à contracter, mais que le sentiment du devoir, l’honneur d’une famille, que sais-je ? lui commandassent un rigoureux sacrifice de lui-même. Dans ce cas-là, mon ami, soyez son bon ange ; moi, je ne puis guère m’en mêler ; mais vous le devez ; sauvez-le des arrêts trop sévères de sa conscience, sauvez-le de sa propre vertu, empêchez-le à tout prix de s’immoler, car dans ces sortes de choses (s’il s’agit d’un mariage ou de ces unions qui, sans avoir la même publicité, ont la même force d’engagement et la même durée), dans ces sortes de choses, dis-je, le sacrifice de celui qui donne son avenir n’est pas en raison de ce qu’il a reçu dans le passé. Le passé est une chose appréciable et limitée ; l’avenir, c’est l’infini, parce que c’est l’inconnu. L’être qui, en retour d’une certaine somme connue de dévouement, exige le dévouement de toute une vie future, demande une chose inique, et si celui à qui on le demande est bien embarrassé pour défendre ses droits en satisfaisant à la générosité et à l’équité, c’est à l’amitié qu’il appartient de le sauver et d’être juge absolu de ses droits et de ses devoirs. Soyez ferme à cet égard, et soyez sûr que moi qui déteste les séducteurs, moi qui prends toujours parti pour les femmes outragées ou trompées, moi qu’on croit l’avocat de mon sexe et qui me pique de l’être, quand il faut, j’ai cependant rompu de mon autorité de sœur et de mère et d’amie plus d’un engagement de ce genre. J’ai toujours condamné la femme quand elle voulait être heureuse au prix du bonheur de l’homme ; j’ai toujours absous l’homme quand on lui demandait plus qu’il n’est donné à la liberté et à la dignité humaine d’engager. Un serment d’amour et de fidélité est un crime ou une lâcheté, quand la bouche prononce ce que le cœur désavoue, et on peut tout exiger d’un homme, excepté une lâcheté et un crime. Hors ce cas-là, mon ami, c’est-à-dire hors le cas où il voudrait accomplir un sacrifice trop rude, je pense qu’il faut ne pas combattre ses idées, et ne pas violenter ses instincts. Si son cœur peut, comme le mien, contenir deux amours bien différents, l’un qui est pour ainsi dire le corps de la vie, l’autre qui en sera l’âme, ce sera le mieux, parce que notre situation sera à l’avenant de nos sentiments et de nos pensées. De même qu’on n’est pas tous les jours sublime, on n’est pas tous les jours heureux. Nous ne nous verrons pas tous les jours, nous ne posséderons pas tous les jours le feu sacré, mais il y aura de beaux jours et de saintes flammes.

Il faudrait peut-être aussi songer à lui dire ma position à l’égard de M[allefille]. Il est à craindre que, ne la connaissant pas, il ne se crée à mon égard une sorte de devoir qui le gêne et vienne à combattre l’autre douloureusement. Je vous laisse absolument le maître et l’arbitre de cette confidence ; vous la ferez si vous jugez le moment opportun, vous la retarderez si vous croyez qu’elle ajouterait à des souffrances trop fraîches. Peut-être l’avez-vous déjà faite. Tout ce que vous avez fait ou ferez, je l’approuve et le confirme.

Quant à la question de possession ou de non-possession, cela me paraît une question secondaire à celle qui nous occupe maintenant. C’est pourtant une question importante par elle-même, c’est toute la vie d’une femme, c’est son secret le plus cher, sa théorie la plus étudiée, sa coquetterie la plus mystérieuse. Moi, je vous dirai tout simplement, à vous mon frère et mon ami, ce grand mystère, sur lequel tous ceux qui prononcent mon nom font de si étranges commentaires. C’est que je n’ai là-dessus ni secret, ni théorie, ni doctrines, ni opinion arrêtée, ni parti pris, ni prétention de puissance, ni singerie de spiritualisme, rien enfin d’arrangé d’avance et pas d’habitude prise, et je crois, pas de faux principes, soit de licence, soit de retenue. Je me suis beaucoup fiée à mes instincts qui ont toujours été nobles ; je me suis quelquefois trompée sur les personnes, mais jamais sur moi-même. J’ai beaucoup de bêtises à me reprocher, pas de platitudes ni de méchancetés. J’entends dire beaucoup de choses sur les questions de morale humaine, de pudeur et de vertu sociale. Tout cela n’est pas encore clair pour moi. Aussi n’ai-je jamais conclu à rien. Je ne suis pourtant pas insouciante là-dessus ; je vous confesse que le désir d’accorder une théorie quelconque avec mes sentiments a été la grande affaire et la grande douleur de ma vie. Les sentiments ont toujours été plus forts que les raisonnements, et les bornes que j’ai voulu me poser ne m’ont jamais servi à rien. J’ai changé vingt fois d’idée. J’ai cru par-dessus tout à la fidélité. Je l’ai prêchée, je l’ai pratiquée, je l’ai exigée. On y a manqué et moi aussi. Et pourtant je n’ai pas senti le remords, parce que j’avais toujours subi dans mes infidélités une sorte de fatalité, un instinct de l’idéal, qui me poussait à quitter l’imparfait pour ce qui me semblait se rapprocher du parfait. J’ai connu plusieurs sortes d’amour. Amour d’artiste, amour de femme, amour de sœur, amour de mère, amour de religieuse, amour de poète, que sais-je ? Il y en a qui sont nés et morts en moi le même jour, sans s’être révélés à l’objet qui les inspirait. Il y en a qui ont martyrisé ma vie et qui m’ont poussée au désespoir, presque à la folie. Il y en a qui m’ont tenue cloîtrée durant des années dans un spiritualisme excessif. Tout cela a été parfaitement sincère. Mon être entrait dans ces phases diverses, comme le soleil, disait Sainte-Beuve, entre dans les signes du Zodiaque. À qui m’aurait suivie en voyant la superficie, j’aurais semblé folle ou hypocrite ; à qui m’a suivie, en lisant au fond de moi, j’ai semblé ce que je suis en effet, enthousiaste du beau, affamée du vrai, très sensible de cœur, très faible de jugement, souvent absurde, toujours de bonne foi, jamais petite ni vindicative, assez colère et, grâce à Dieu, parfaitement oublieuse des mauvaises choses et des mauvaises gens.

Voilà ma vie, cher ami, vous voyez qu’elle n’est pas fameuse. Il n’y a rien à admirer, beaucoup à plaindre, rien à condamner par les bons cœurs. J’en suis sûre, ceux qui m’accusent d’avoir été mauvaise en ont menti, et il me serait bien facile de le prouver, si je voulais me donner la peine de me souvenir et de raconter ; mais cela m’ennuie et je n’ai [pas] plus de mémoire que de rancune.

Jusqu’ici, j’ai été fidèle à ce que j’ai aimé, parfaitement fidèle, en ce sens que je n’ai jamais trompé personne, et que je n’ai jamais cessé d’être fidèle sans de très fortes raisons, qui avaient tué l’amour en moi par la faute d’autrui. Je ne suis pas d’une nature inconstante. Je suis au contraire si habituée à aimer exclusivement qui m’aime bien, si peu facile à m’enflammer, si habituée à vivre avec des hommes sans songer que je suis femme, que vraiment j’ai été un peu confuse et un peu consternée de l’effet que m’a produit ce petit être. Je ne suis pas encore revenue de mon étonnement et si j’avais beaucoup d’orgueil, je serais très humiliée d’être tombée en plein dans l’infidélité de cœur, au moment de ma vie où je me croyais à tout jamais calme et fixée. Je crois que ce serait mal, si j’avais pu prévoir, raisonner et combattre cette irruption ; mais j’ai été envahie tout à coup, et il n’est pas dans ma nature de gouverner mon être par la raison quand l’amour s’en empare. Je ne me fais donc pas de reproche, mais je constate que je suis encore très impressionnable et plus faible que je ne croyais. Peu m’importe, je n’ai guère de vanité ; ceci me prouve que je dois n’en avoir pas du tout et ne jamais me vanter de rien, en fait de vaillance et de force. Cela ne m’attriste que parce que voilà ma belle sincérité, que j’avais pratiquée si longtemps et dont j’étais un peu fière, entamée et compromise. Je vais être forcée de mentir comme les autres. Je vous assure que ceci est plus mortifiant pour mon amour-propre qu’un mauvais roman ou une pièce sifflée ; j’en souffre un peu ; cette souffrance est un reste d’orgueil peut-être ; peut-être est-ce une voix d’en haut qui me crie qu’il fallait veiller davantage à la garde de mes yeux et de mes oreilles, et de mon cœur surtout. Mais si le ciel nous veut fidèles aux affections terrestres, pourquoi laisse-t-il quelquefois les anges s’égarer parmi nous et se présenter sur notre chemin ?

La grande question sur l’amour est donc encore soulevée en moi ! Pas d’amour sans fidélité, disais-je, il y a deux mois, et il est bien certain, hélas ! que je n’ai plus senti la même tendresse pour ce pauvre M[allefille] en le retrouvant. Il est certain que depuis qu’il est retourné à Paris (vous devez l’avoir vu), au lieu d’attendre son retour avec impatience et d’être triste loin de lui, je souffre moins et respire plus à l’aise. Si je croyais que la vue fréquente de C[hopin] dût augmenter ce refroidissement, je sens qu’il y aurait pour moi devoir à m’en abstenir.

Voilà où je voulais [en] venir, c’est à vous de parler de cette question de possession, qui constitue dans certains esprits toute la question de fidélité. Ceci est, je crois, une idée fausse ; on peut-être plus ou moins infidèle, mais quand on a laissé envahir son âme et accordé la plus simple caresse, avec le sentiment de l’amour, l’infidélité est déjà consommée, et le reste est moins grave ; car qui a perdu le cœur a tout perdu. Il vaudrait mieux perdre le corps et garder l’âme tout entière. Ainsi, en principe, je crois qu’une consécration complète du nouveau lien n’aggrave pas beaucoup la faute ; mais, en fait, il est possible que l’attachement devienne plus humain, plus violent, plus dominant, après la possession. C’est même probable, c’est même certain. Voilà pourquoi, quand on veut vivre ensemble, il ne faut pas faire outrage à la nature et à la vérité, en reculant devant une union complète ; mais quand on est forcé de vivre séparés, sans doute il est de la prudence, par conséquent il est du devoir et de la vraie vertu (qui est le sacrifice) de s’abstenir. Je n’avais pas encore réfléchi à cela sérieusement et, s’il l’eût demandé à Paris, j’aurais cédé, par suite de cette droiture naturelle qui me fait haïr les précautions, les restrictions, les distinctions fausses et les subtilités, de quelque genre qu’elles soient. Mais votre lettre me fait penser à couler à fond cette résolution-là. Puis, ce que j’ai éprouvé de trouble et de tristesse en retrouvant les caresses de M[allefille], ce qu’il m’a fallu de courage pour le cacher, m’est aussi un avertissement. Je suivrai donc votre conseil, cher ami. Puisse ce sacrifice être une sorte d’expiation de l’espèce de parjure que j’ai commis.

Je dis sacrifice, parce qu’il me sera peut-être pénible de voir souffrir cet ange. Il a eu jusqu’ici beaucoup de force ; mais je ne suis pas un enfant. Je voyais bien que la passion humaine faisait en lui des progrès rapides et qu’il était temps de nous séparer. Voilà pourquoi, la nuit qui a précédé mon départ, je n’ai pas voulu rester avec lui et je vous ai presque renvoyés.

Et puisque je vous dis tout, je veux vous dire qu’une seule chose en lui m’a déplu ; c’est qu’il avait eu lui-même de mauvaises raisons pour s’abstenir. Jusque-là, je trouvais beau qu’il s’abstînt par respect pour moi, par timidité, même par fidélité pour une autre. Tout cela était du sacrifice, et par conséquent de la force et de la chasteté bien entendues. C’était là ce qui me charmait et me séduisait le plus en lui. Mais chez vous, au moment de nous quitter, et comme il voulait surmonter une dernière tentation, il m’a dit deux ou trois paroles qui n’ont pas répondu à mes idées. Il semblait faire fi, à la manière des dévots, des grossièretés humaines, et rougir des tentations qu’il avait eues et craindre de souiller notre amour par un transport de plus. Cette manière d’envisager le dernier embrassement de l’amour m’a toujours répugné. Si ce dernier embrassement n’est pas une chose aussi sainte, aussi pure, aussi dévouée que le reste, il n’y a pas de vertu à s’en abstenir. Ce mot d’amour physique dont on se sert pour exprimer ce qui n’a de nom que dans le ciel, me déplaît et me choque, comme une impiété et comme une idée fausse en même temps. Est-ce qu’il peut y avoir, pour les natures élevées, un amour purement physique et pour les natures sincères un amour purement intellectuel ? Est-ce qu’il y a jamais d’amour sans un seul baiser et un baiser d’amour sans volupté ? Mépriser la chair ne peut être sage et utile qu’avec les êtres qui ne sont que chair ; mais avec ce qu’on aime, ce n’est pas du mot mépriser, mais du mot respecter, qu’il faut se servir quand on s’abstient. Au reste, ce ne sont pas là les mots dont il s’est servi. Je ne me les rappelle pas bien. Il a dit, je crois, que certains faits pouvaient gâter le souvenir. N’est-ce pas, c’est une bêtise qu’il a dite, et il ne le pense pas ? Quelle est donc la malheureuse femme qui lui a laissé de l’amour physique de pareilles impressions ? Il a donc eu une maîtresse indigne de lui ? Pauvre ange ! Il faudrait pendre toutes les femmes qui avilissent aux yeux des hommes la chose la plus respectable et la plus sainte de la création, le mystère divin, l’acte de la vie le plus sérieux et le plus sublime dans la vie universelle. L’aimant embrasse le fer, les animaux s’attachent les uns aux autres par la différence des sexes. Les végétaux obéissent à l’amour, et l’homme qui seul sur ce monde terrestre a reçu de Dieu le don de sentir divinement ce que les animaux, les plantes et les métaux sentent matériellement, l’homme chez qui l’attraction électrique se transforme en une attraction sentie, comprise, intelligente, l’homme seul regarde ce miracle qui s’accomplit simultanément dans son âme et dans son corps, comme une misérable nécessité, et il en parle avec mépris, avec ironie ou avec honte ! Cela est bien étrange. Il est résulté de cette manière de séparer l’esprit de la chair qu’il a fallu des couvents et des mauvais lieux.

Voici une lettre effrayante. Il vous faudra six semaines pour la déchiffrer. C’est mon ultimatum. S’il est heureux ou doit être heureux par elle, laissez-le faire. S’il doit être malheureux, empêchez-le. S’il peut être heureux par moi, sans cesser de l’être par elle, moi, je puis faire de même de mon côté. S’il ne peut être heureux par moi sans être malheureux avec elle, il faut que nous nous évitions et qu’il m’oublie. Il n’y a pas à sortir de ces quatre points. Je serai forte pour cela, je vous le promets, car il s’agit de lui, et si je n’ai pas grande vertu pour moi-même, j’ai grand dévouement pour ce que j’aime. Vous me direz nettement la vérité ; j’y compte et je l’attends.

Il est absolument inutile que vous m’écriviez une lettre ostensible. Nous n’en sommes pas là, M[allefille] et moi. Nous nous respectons trop pour nous demander compte, même par la pensée, des détails de notre vie.

Il est impossible que Mme Dorval ait les raisons que vous lui supposez. Elle est plutôt légitimiste (si elle a une opinion) que républicaine. Son mari est carliste. Vous aurez été chez elle aux heures de ses répétitions ou de son travail. Une actrice est difficile à joindre. Laissez faire ; je lui écrirai et elle vous écrira. Il a été question pour moi d’aller à Paris, et il n’est pas encore impossible que mes affaires, dont Mallefille s’occupe, maintenant, venant à se prolonger, j’aille le rejoindre. N’en dites rien au petit. Si j’y vais, je vous avertirai et nous lui ferons une surprise. Dans tous les cas, comme il vous faut du temps pour obtenir la liberté de vous déplacer, commencez vos démarches, car je vous veux à Nohant cet été, le plus tôt et le plus longtemps possible. Vous verrez que vous vous y plairez ; il n’y a pas un mot de ce que vous craignez. Il n’y a pas d’espionnage, pas de propos, il n’y a pas de province ; c’est une oasis dans le désert. Il n’y a pas une âme dans le département qui sache ce que c’est qu’un Chopin ou un Grzymala. Nul ne sait ce qui se passe chez moi. Je ne vois que des amis intimes, des anges comme vous, qui n’ont jamais eu une mauvaise pensée sur ce qu’ils aiment. Vous viendrez, mon cher bon, nous causerons à l’aise et votre âme abattue se régénérera à la campagne. Quant au petit, il viendra s’il veut ; mais, dans ce cas-là, je voudrais être avertie d’avance, parce que j’enverrai M[allefille] soit à Paris, soit à Genève. Les prétextes ne manqueront pas et les soupçons ne lui viendront jamais. Si le petit ne veut pas venir, laissez-le à ses idées ; il craint le monde, il craint je ne sais quoi. Je respecte chez les êtres que je chéris tout ce que je ne comprends pas. Moi, j’irai à Paris en septembre avant le grand départ. Je me conduirai avec lui suivant ce que vous allez me répondre. Si vous n’avez pas la solution des problèmes que je vous pose, tâchez de la tirer de lui, fouillez dans son âme, il faut que je sache ce qui s’y passe.

Mais maintenant vous me connaissez à fond. Voici une lettre comme je n’en écris pas deux en dix ans. Je suis si paresseuse et je déteste tant à parler de moi. Mais ceci m’évitera d’en parler davantage. Vous me savez par cœur maintenant et vous pouvez tirer à vue sur moi quand vous réglerez les comptes de la Trinité.

À vous, cher bon, à vous de toute mon âme, je ne vous ai pas parlé de vous en apparence dans toute cette longue causerie, c’est qu’il m’a semblé que je parlais de moi à un autre moi, le meilleur et le plus cher des deux, à coup sûr.

George Sand.

Nous ne connaissons pas la réponse de Grzymala, mais nous pouvons imaginer ce qu’elle fut par le billet laconique que voici, à lui adressé.

Mes affaires me rappellent. Je serai à Paris jeudi. Venez me voir et tâchez que le petit[632] ne le sache pas. Nous lui ferons une surprise. À vous, cher.

G. S.
Toujours chez Mme Marliani

On peut dire de l’été de 1838 ce qui se dit des peuples heureux : « il n’eut pas d’histoire ». Il semble avoir passé doucement, béatement. Nous savons seulement qu’au mois d’août, George Sand fit encore un séjour… solitaire à Paris, — ayant expédié au Havre Maurice accompagné de Mallefille, — comme elle le dit dans l’une de ses lettres à l’abbé Rochet. Mais, en somme, nous ne possédons que fort peu de documents intéressants se rapportant à cette période. Et cela se comprend. Chopin, qui fut, toute sa vie durant, d’une correction méticuleuse et d’une retenue extrême, qui ne se permit jamais de divulguer non seulement par quelque aveu cynique, mais même par quelque mot indiscret ou imprudent son intimité avec une femme, et qui poussait cette correction à l’extrême, ne laissa pas même soupçonner son bonheur. Sa correspondance avec ses amis n’avait jamais été trop fréquente, ses lettres en ces années avaient généralement trait à quelque affaire urgente ou quelque Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/72 Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/73 Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/74 Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/75 Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/76 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/77 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/78 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/79 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/80 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/81 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Karenin - 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    qui effraie ? Et ce mot d’ailleurs est-il, sera-t-il le mot de l’avenir ? Il n’embrasse qu’un côté du problème, l’unité, mais il laisse entièrement dans l’oubli l’autre l’individualité, la liberté. Se dire communiste, c’est bien grave. Je regrette beaucoup que vous ayez pris cette détermination ! Quelle arme aux adversaires !… »

    le prenant pour un « portrait d’après nature » ; que Liszt le recopia à ce titre dans sa Biographie de Chopin, et que tout récemment encore ces lignes réapparurent, toujours en qualité de « portrait de Chopin », dans la nouvelle biographie écrite par M. Ferdinand Hœsick, où elles sont attribuées à la plume d’une « dame du grand monde ». Mais il suffit de confronter les pages 248-250 du premier volume de M. Hœsick pour voir que cette « dame », qui croit avoir décrit Chopin, ne fit que copier dans le roman de George Sand le portrait de… Karol.

    coup d’État, il renonça à la carrière politique, reprit son ancienne profession, tout en restant fidèle à ses opinions républicaines, dans lesquelles il éleva aussi son fils, M. Cyprien Girerd, qui, à son tour, joua un rôle politique très connu.

  1. Le tome Modèle:Ier, portant la date de 1845, a paru d’abord en livraisons en 1844, le tome II, portant la date de 1846, a été publié dans les mêmes conditions en 1845.
  2. L’ouvrage est plus connu sous le nom de : Les petites misères de la vie conjugale. Il ne faut pas le confondre avec la Physiologie du mariage.
  3. Modèle:Lang, p. 300, vol. XI. H. Heine’s Modèle:Lang. Hamburg, 1874. Hoffmann und Campe.
  4. En lisant ces lignes, on se rappelle involontairement Rolla à l’épisode réel qui a amené la création de cette œuvre. Voir à ce sujet : la Biographie d’Alfred de Musset, par Paul de Musset, et Alfred de Musset par Paul Lindau.
  5. Julian Schmidt : « Modèle:Lang. » Leipzig 1858. 2 volumes ; vol. II, p. 505.
  6. Les grands écrivains français. George Sand, par E. Caro. Paris, 1887, Hachette et Modèle:Cie.
  7. George Sand, articles de Modèle:Mme Tsébrikow (Annales de la Patrie, 1877, juin-juillet).
  8. Lutetia, p. 298.
  9. George Sand, par le comte Théobald Walsh. Paris, 1837.
  10. Histoire de la littérature française sous le gouvernement de juillet, par Alfred Nettement. Paris, 1854.
  11. Vicomte d’Haussonville. Études biographiques et littéraires : George Sand. Paris, 1879.
  12. Dostoïevsky. Journal d’un homme de lettres, juin 1876 : I. La mort de George Sand ; — II. Quelques mots sur George Sand.
  13. On voit que cette fois encore Boulgarine répétait, sans indiquer la source de ses renseignements, les mêmes racontars des feuilletonistes français auxquels George Sand fait allusion dans la préface du Compagnon du tour de France.
  14. L’article de George Sand sur ce livre fut réimprimé dans ses Œuvres complètes édit. Lévy, dans le volume des Souvenirs de 1848.
  15. Dans le Tour du monde en 120 jours, cet album figure sous le nom d’une « cassette ». Mais nous l’avons vu nous-même, nous avons vu les traces de l’eau de la mer sur ses feuillets ; c’est un gros registre in-8°, relié en cuir.
  16. De retour en France, M. Plauchut écrivit immédiatement à George Sand pour lui raconter le grand service que lui avaient rendu ses lettres et son nom. Elle lui répondit par une lettre cordiale, et, à partir de ce moment, leur correspondance devint encore plus amicale. Cependant, M. Plauchut ne fit sa connaissance que 10 ans plus tard, en 1861. Nous en parlerons ailleurs. On trouvera des extraits de la lettre de George Sand mentionnée ci-dessus, dans l’ouvrage de M. Plauchut ; la lettre elle-même se trouve en entier dans la Correspondance de George Sand, t. III. lettre CCCXXIX.
  17. Les années dites « quarante » (entre 1840 et jusqu’à la mort de Nicolas Modèle:Ier) peuvent, sous plusieurs points de vue, être comparées à la Restauration en France : la même réaction et le même obscurantisme dans les sphères gouvernementales, la même effervescence des idées chez les penseurs et les écrivains.
  18. Modèle:Mme Tsébrikow, « George Sand » (Annales de la Patrie, juin-juillet 1877).
  19. Vissarion Bélinsky, célèbre critique russe des années 30 à 40. Les historiens de la littérature distinguent généralement trois périodes dans son activité littéraire. Au début, on le trouve sous l’influence des idées de Schelling et sa critique est exclusivement esthétique. Vint ensuite la période de son entraînement vers les théories de Hegel ; à cette époque, le critique s’élevait avec force contre toute œuvre française et contre Schiller qu’il déclarait poète à tendance, et non objectif. (Voir là-dessus l’ouvrage d’A. Pypine : Bélinsky, sa vie et sa correspondance et les Mémoires de Panaïef). Enfin, Bélinsky passa dans les rangs de la critique publiciste qui analyse les œuvres littéraires au point de vue des intérêts sociaux.
  20. T. VIII de ses Œuvres complètes, 1892, p. 442.
  21. Entre autres, Skabitchewsky, dans ses articles sur George Sand dans les Annales de la Patrie, 1881, et dans ces derniers temps, bien après l’apparition de ce chapitre dans le Messager d’Europe en 1894, le professeur Soumtsow, dans le supplément littéraire de la Semaine, en développant cette idée et en citant notre article, analyse en détail le reflet du type de Patience de Mauprat sur celui de Cassien de Tourguéniew.
  22. Premier recueil des lettres de Tourguéniew. N° 232. (Éd. de la Société de secours aux gens de lettres et aux savants). St. Pétersbourg, 1884.
  23. N° 15. Ibidem. Drouginine, critique et écrivain russe du milieu de notre siècle, ami de Tourguéniew, auteur de Pauline Sax, de Julie, etc.
  24. Annenkow, biographe connu de Pouchkine, critique, et ami de Tourguéniew. B. Botkine, écrivain et esthéticien, frère du célèbre médecin. A. Herzen, romancier connu, écrivain politique, plus tard émigré. Ils appartenaient tous au cénacle amical et littéraire des années 40.
  25. Voir Annenkow et ses amis (St.-P. éd. Souvorine 1892, pp. 186, 265, 530, etc.). — Œuvres de B. Botkine (St.-P. 1890. 2Modèle:E volume). — Œuvres de Herzen, surtout le Journal de Herzen (par exemple la page où il parle du refus de Botkine de se marier ; le récit s’en trouve à la date du 30 juin 1843.)
  26. Celle du règne de l’empereur Nicolas IModèle:Er.
  27. Allusion à une poésie de Davydow, citée plus haut par Dostoïéwsky, où Davydow se moque de nos « quasi libéraux lisant Reybaud ».
  28. Les romans de George Sand jouaient donc exactement chez nous le même rôle qu’en Allemagne. Voir ce que dit là-dessus Julian Schmidt, p. 546 du tome II de son Histoire de la littérature française depuis 1789.
  29. Eminent Women series, édit. by John H. Ingram. George Sand, by Miss Bertha Thomas.
  30. Émile Faguet. Dix-neuvième siècle. Études littéraires : George Sand Paris, 1893.
  31. Louis de Loménie. Galerie des contemporains illustres par un homme de rien. 1840-1847. 10 vol.
  32. Eugène de Mirecourt, dont le vrai nom était Eugène Jacquot (de Mirecourt, département des Vosges), auteur de les Contemporains. Il n’y en a que trois qui nous intéressent pour notre ouvrage. C’est Lamennais, A. de Musset et George Sand.
  33. « Plutôt mal famée que fameuse. »
  34. Les grands écrivains français « Alfred de Musset », par Arvède Barine, Paris, 1893.
  35. Paul de Musset : a) Notice abrégée sur la vie d’Alfred de Musset, grande édition Modèle:In-4° et Modèle:In-8° des Œuvres complètes d’Alfred de Musset. — b) Biographie d’A. de Musset. Paris, 1877. Charpentier et Lemerre.
  36. Paul Lindau. Alfred de Musset. III Ausgabe. Berlin, 1879. Hoffmann und Modèle:Cie.
  37. Vicomtesse de Janzé. Études et récits sur A. de Musset. Paris, 1891. Plon, Nourrit et Modèle:Cie.
  38. Lui et Elle.
  39. Ce sont les propres termes de Paul de Musset, à la fin de Lui et Elle, passage où il explique le but auquel il vise dans ce roman pamphlétaire.
  40. Voir le chapitre Modèle:Sc de notre livre.
  41. En affirmant que Paul de Musset « travestit les faits à dessein dans sa Biographie », qu’il s’efforce non seulement d’égarer le lecteur au sujet de la personne dont il parle dans chacune des quatre Nuits (Lindau fait la même observation), qu’il est poussé, « pour altérer ainsi la vérité, par deux raisons : sa haine contre George Sand qui l’animait à diminuer sa part, selon l’expression de quelqu’un qui l’a bien connu, et le désir légitime d’égarer le lecteur dans la mêlée de femmes du monde compromises par son frère, » (il est bizarre qu’Arvède Barine trouve ce désir légitime). « La Nuit de décembre, dit plus loin Arvède Barine, faisait la part trop belle à l’héroïne pour qu’un justicier de cette âpreté pût se résoudre à la laisser à George Sand » (A. Barine, p. 100). Mais ce n’est pas encore assez ! Il fallait de plus que Paul de Musset altérât, en les publiant, les lettres authentiques de son frère. Arvède Barine fait observer malicieusement à ce sujet (p. 157, 158) que « probablement, en ce temps-là, on comprenait autrement que de nos jours les devoirs d’éditeur. Paul de Musset ne s’est pas borné aux coupures. Au besoin, il arrangeait aussi un peu le sens (sic !)… Il y a des pages entièrement récrites. » La fameuse correspondance de Musset avec Modèle:Mme Jaubert (Souvenirs de Modèle:Mme Caroline Jaubert, Lettres et correspondances. Paris, Hetzel), que le poète appelle sa marraine, correspondance qui a servi souvent de document pour les ouvrages biographiques que l’on a écrits sur Musset, est aussi très peu authentique. « Les lettres citées dans ce volume ont été non seulement tronquées, mais parfois remaniées ; des fragments empruntés à des lettres de dates différentes ont été réunis pour en faire une seule » (A. Barine, p. 95). À la page 154, Arvède Barine indique que « c’est précisément à cause de l’exactitude du fond du récit de la « Confession d’un Enfant du siècle », que Paul de Musset s’est attaché à lui enlever sa valeur autobiographique. Il ne pouvait lui convenir que son frère prit chevaleresquement tous les torts sur lui. » À la page 10, le même écrivain affirme, et cela en toute justice, que la Biographie écrite par le frère, est fort précieuse par les renseignements qu’elle donne sur les premières années de Musset, mais qu’on ne doit toutefois la consulter qu’avec une certaine défiance. « Il s’y trouve partout une inexactitude et des inadvertances, et, à partir d’un moment que nous indiquerons, ces inexactitudes sont volontaires et calculées en vue de dérouter le lecteur (sic !) »…
  42. Lors de la publication de ce chapitre dans le Messager de l’Europe (mai 1894) et dans le chapitre sur Musset paru sous le titre de : Histoire et non légende (Messager du Nord, novembre-décembre 1895)
  43. Dans la Revue de Paris, le Cosmopolis, la Revue hebdomadaire et la Nouvelle Revue. Nous signalons ici à l’attention du lecteur que nous avons publié en entier ou par fragments, bien avant leur publication en France, une partie de ces lettres dans l’article cité ci-dessus, Histoire et non Légende, ainsi que dans le chapitre George Sand et M. Dudevant (Richesse russe, janvier et lévrier 1895).
  44. Un vers de Lermontow.
  45. Le lecteur verra que nous n’avançons rien sans preuves s’il prend la peine de lire ce que cite Lindau aux pages 123-157 et surtout 132-134.
  46. Frédéric Niecks. Fr. Chopin als Mensch und Musiker, übers, von Modèle:Dr W. Langhans, Leipzig, Leuckart, 1890.
  47. Messager de l’Europe, octobre-novembre 1887. Quatre Conférences de Georges Brandès.
  48. Parut en français dans le volume : Léon Tolstoï, Dernières Nouvelles, traduites par Modèle:Mme Eléonore Tsakny. Paris, 1887, — et dernièrement dans la Revue des Revues, traduite par MM. Léon Golschman et Ernest Jaubert.
  49. Histoire de ma Vie, t. I, ch. 1Modèle:Er.
  50. Michel Glinka, le plus grand des compositeurs russes, né le 2 juin 1804, mort en 1857, auteur de la Vie pour le Tsar et de Rousslan.
  51. Collection complète des œuvres de Tourgueniew, Saint-Pétersbourg, 1883. F I. « Préface aux nouvelles lettres de Pouchkine à sa femme. »
  52. Deux poètes russes, qui ayant attiré sur eux la désapprobation de Nicolas Modèle:Ier, furent condamnés à servir dans l’armée comme simples troupiers.
  53. Chaque fois que nous citerons cet ouvrage, nous nous reporterons à l’édition de Calmann Lévy, parue en 4 volumes en 1879.
  54. Ce document avait déjà été publié antérieurement dans le Livre 1881, t. III, p. 643 et dans le volume de M. Henri Amic (George Sand, Mes Souvenirs. Paris, 1893). Mais M. Amic, en le citant, se trompe en traduisant le 12 messidor par « le 2 juillet ». Le 12 messidor 1804 fut le Modèle:1er juillet.
  55. Entre autres Cuvillier Fleury, dans ses Dernières études (2 vol., Michel Lévy).
  56. Blackwood’s Edinburgh. Magazine, vol. CXXI (January-June 1877).
  57. Comme le prouvent à l’évidence les deux tableaux généalogiques ci-dessous, George Sand est une parente éloignée des familles Modèle:Corr de France et d’Allemagne.
  58. Voir à ce sujet le volume très curieux de Henry Blase de Bury : Épisode de l’Histoire de Hanovre, Les Kœnigsmark. (Paris, Michel Levy, 1833)
  59. Lors de la publication de l’Histoire de ma Vie, George Sand reçut une lettre d’un certain M. La Rivière, qui la priait, au nom de la famille de Horne, dont il se disait parent, et en son propre nom, de vouloir lui « faire connaître les renseignements qui faisaient croire à George Sand qu’Ant. de Horn était bâtard de Louis XV ». M. La Rivière prétendait : 1° que le nom du comte de Horn devait s’écrire de Horne, et 2° qu’il n’était pas le bâtard de Louis XV. Toutefois à l’appui de cette assertion M. La Rivière ne donnait aucune autre preuve que le fait qu’ « aucune tradition de famille n’avait jusqu’ici donné l’idée » de cette illustre descendance, et celui que la mère d’Antoine de Horn avait trente ans au moment où Louis XV en avait dix-sept, — ce qui ne prouve rien non plus. D’ailleurs M. La Rivière déclarait lui-même ne pas connaître l’acte de naissance du comte de Horne et n’avoir entre les mains que « son acte mortuaire qui ne fait pas connaître son âge ». George Sand avait copié cette lettre, dont elle avait, de plus, gardé soigneusement l’original ; mais, à ce qu’il paraît, ne donna pas suite à ces interrogations.
  60. On trouve sur les deux jolies actrices des détails très curieux et très intéressants dans le charmant volume de M. Gaston Maugras, les Demoiselles de Verrières. Paris, Lévy, 1890, Modèle:In-8°.
  61. Voir, entre autres, dans le Curieux (2Modèle:E volume, octobre 1877, n°44), dans l’article de Charles Nauroy la date de mariage des parents de George Sand : Du seizième jour de prairial, an douze, neuf heures de relevée »… etc.
  62. Voir l’Histoire de ma Vie, vol. I, p. 169-170.
  63. À la page 13, t. III de l’Histoire de ma Vie, George Sand relate ce fait significatif que le fils naturel de son père, Hippolyte Châtiron, aspirait instinctivement à écrire des romans, et un jour qu’elle le surprit dans ses essais, et qu’ils se mirent à converser de la difficulté de rendre ses idées sur le papier, il s’était écrié : « Ah ça, c’est donc une maladie que nous avons dans le sang ? Tu pioches donc aussi dans le vide ? Tu rêvasses donc aussi comme moi ? Tu ne me l’avais jamais dit ! » Châtiron avait raison. George Sand avait dans le sang le talent d’écrivain, et elle l’avait hérité de son père, voire même de ses ancêtres paternels.
  64. Dans l’été de 1805, Sophie alla passer quelques mois chez son mari an camp de Montreuil. Aurore resta pendant ce temps chez sa tante à Chaillot. Dans son ouvrage peu connu, Voyage en Auvergne (fragment autobiographique écrit en 1827, où nous trouvons le premier canevas de l’Histoire de ma Vie), George Sand dit qu’on l’avait « mise en sevrage à Chaillot », lorsque sa mère partit pour l’Italie, et qu’elle y resta jusqu’à trois ans », mais il n’en est pas ainsi. Cependant les lignes où elle nous raconte comme quoi la bonne femme à la garde de laquelle Aurore et sa cousine Clotilde avaient été confiées, mettait les deux fillettes sur l’âne portant à la ville les légumes et le lait, ces lignes sont identiques à ce qu’elle en dit dans l’Histoire. Il est évident que ce passage fut écrit d’après ses propres souvenirs et non d’après ce qu’elle avait entendu raconter.
  65. Histoire de ma Vie, t. II. p. 167.
  66. Histoire, t. II, p. 166-168.
  67. Voir : Victor Hugo par un témoin de sa vie.
  68. Inutile de dire qu’elle avait raison de s’opposer à l’habitude plébéienne de Sophie de faire coucher la petite avec elle. George Sand fait ici preuve de partialité envers sa mère et de son désir d’étaler ses sentiments pour les classes inférieures (dont sa mère est toujours la représentante dans ses Souvenirs), et d’une absence complète de toute notion de l’hygiène, lorsqu’elle affirme à ce propos que « rien ne saurait être plus chaste et plus sain pour une petite fille de neuf ans que de partager le lit de sa mère ». Nous doutons fort que nos médecins ou nos pédagogues modernes, soient de son avis, lors même qu’ils craindraient de passer pour « aristocrates » en prenant en pareil cas le parti de l’aïeule contre celui de la femme du peuple. Nous dirons même que tout ce que George Sand écrit au sujet des dissentiments qui existaient sur cette question entre sa grand’mère et sa mère, produit sur le lecteur une impression étrange et fort déplaisante. V. Histoire de ma Vie, t. II, p. 407-409.
  69. Nous avons eu entre les mains des Lettres de Sophie à sa fille et à son gendre Dudevant. Dans une de ces lettres elle demande, après s’être brouillée un jour avec eux et les avoir brusquement quittés, qu’on lui adresse son courrier à tel endroit au nom de : « Madame de Nohan-Dupin » (sic). Elle prétend que ce titre n’appartient qu’à elle seule et que tout le monde sait qui elle est. Ces prétentions se rencontrent à chaque pas dans ses lettres. Mais dans l’Histoire de ma Vie, commencée en 1847, George Sand fait tous ses efforts pour représenter Sophie-Antoinette comme une femme du peuple n’ayant que des opinions démocratiques — ce qui n’est pas tout à fait conforme à la vérité. Cette petite grisette frivole, comme beaucoup de ses semblables, tenait souvent à passer pour une vraie dame de qualité, mais cela ne lui réussissait guère.
  70. Histoire, t. II, p. 426-429. — 2° Correspondance, t. I. p. 1. Voici en quels termes colorés (trop colorés même), George Sand fait connaître le contenu de cette lettre, p. 427… « Qu’y avait-il dans cette lettre ? Je ne m’en souviens plus. Je sais que je l’écrivis dans la fièvre de l’enthousiasme, que mon cœur y coulait à flots pour ainsi dire, et que ma mère l’a gardée longtemps comme une relique, mais je ne l’ai pas retrouvée dans les papiers qu’elle m’a laissés. Mon impression est que jamais passion plus profonde et plus pure ne fut plus naïvement exprimée, car mes larmes l’arrosèrent littéralement, et à chaque instant j’étais forcée de retracer les lettres effacées par mes pleurs »… etc., etc. Et voici la lettre elle-même :
    À Modèle:Mme Maurice Dupin qui allait quitter Nohant, 1812.
    « Que j’ai de regret de ne pouvoir te dire adieu ! Tu Vois combien j’ai de chagrin de te quitter. Adieu, pense à moi et sois sûre que je ne t’oublierai point. Modèle:Droite « Tu mettras la réponse derrière le portrait du vieux Dupin. » Bien que George Sand déclare ne pas avoir retrouvé cette lettre, et que le départ de sa mère dont elle parle soit celui de 1814, tandis que dans la Correspondance la lettre porte la date de 1812, il est hors de doute que c’est la lettre en question, retrouvée probablement par Maurice Sand après la mort de sa mère, car à la page 428, George Sand écrit qu’elle avait ajouté en tête de la lettre : « Place la réponse derrière ce même portrait du vieux Dupin, je la trouverai demain quand tu seras partie », et qu’elle avait glissé dans le bonnet de sa mère un billet avec ces mots : « secoue le portrait ». Tout cela est une espèce d’amplification et d’exagération, introduite dans le récit d’événements bien plus simples et nullement compliqués, mais il est certain que la lettre dont il est question dans l’Histoire et la lettre n° 1 ne sont qu’un seule et même épitre.
  71. Ce n’était pas si grave que ça.
  72. Histoire, t. II. p. 295-308
  73. Histoire, t. II. p. 419.
  74. Entre 1814 et 1817 Modèle:Mme Dupin quitta cet appartement pour occuper un petit logement tout aussi confortable, rue Fhiroux.
  75. Histoire, t. III, p. 12.
  76. Dans la suite, George Sand profita de ces récits pour écrire ses Légendes rustiques et les Visions de la Nuit ; elle les utilisa aussi dans la Petite Fadette, dans Jeanne, Monsieur Rousset, Mouny Robin, etc.
  77. Nous signalons à l’attention du lecteur la lettre d’un médecin de campagne, ayant passé vingt ans au milieu des paysans. Anatole France la cite dans son article sur la Terre de Zola (Anatole France. La vie littéraire. Paris, 1892. Calmann-Lévy) ! Ce docteur Fournier affirme, à deux ou trois reprises dans sa lettre extrêmement probante et sérieuse, que : « Ce que j’ai déjà lu de la Terre me prouve, a moi qui ai vécu vingt ans avec les paysans, que M. Zola n’a jamais fréquenté les gens de la campagne… » Et plus loin : « Tel est le fait. Et il prouve combien peu M. Zola connaît les gens qu’il s’est proposé de peindre… » etc., etc.
  78. Maurice Cristal (Maurice Germa) dans son admirable article sur George Sand, dans le Musée des deux Mondes du 15 sept. 1876, signale avec beaucoup de finesse et de justesse cet élément de santé, de fraîcheur et de force que nous trouvons dans tous les écrits de George Sand, tout comme il pénètre sa vie personnelle, et il prétend que c’est la saveur du terroir, le « pouvoir de la terre » qui se manifestent ainsi chez George Sand. C’est une remarque aussi juste que profonde. L’article tout entier est des plus intéressants et des plus sympathiques. Nous y reviendrons encore.
  79. Les Lundis d’un Chercheur, par le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul. (Paris, 1814. Calmann-Lévy), p. 157-158.
  80. Histoire de ma Vie, t. III. p. 196-197.
  81. Lors de l’impression dans les Revues russes du Modèle:ScModèle:E et des Modèle:ScModèle:E et Modèle:ScModèle:E chapitres de ce livre.
  82. Histoire de ma Vie, vol, III, p. 236.
  83. La Guerre et la Paix, 3Modèle:E partie, ch. Modèle:Sc.
  84. « Cet exercice physique, dit-elle, devait influer beaucoup sur mon caractère et mes habitudes d’esprit. » (Histoire de ma Vie, vol. III, p. 264.)
  85. Histoire de ma Vie, t. III. p. 267-268
  86. Modèle:Mme Dupin l’avait, entre autres, priée de ne pas lire Voltaire avant l’âge de trente ans. George Sand lui tint parole. Les jeunes filles de nos jours qui regardent comme absurde toute contrainte de la part des parents concernant leurs lectures, lors même qu’elles n’ont que dix-sept ans, rirent certainement de cette soumission d’Aurore qu’elles ne comprendront pas. (Voir Histoire de ma Vie, vol. III. p. 313-314.) M. Kirpitchnikow, dans l’article consacré à George Sand dans son Histoire générale de littérature prétend que c’est Sophie Dupin, qui a défendu à Aurore de lire Voltaire avant l’âge de trente ans. Il est fort probable que Sophie Dupin ne connaissait même pas les ouvrages de Voltaire.
  87. Voir sa lettre à Sainte-Beuve du 4 avril 1835, avec une suite du 14 avril. Ces lettres ont été publiées par Charles de Loménie dans la Nouvelle Revue de 1895, reproduites par le vicomte de Spoelberch, dans sa Véritable histoire et réimprimées dans le volume des Lettres à Musset et Sainte-Beuve, édité par Levy. Plus loin nous aurons l’occasion d’y revenir, en citant les paroles de George Sand à propos de sa lecture de Franklin. Voir les chapitres Modèle:Sc et Modèle:Sc.
  88. Histoire de ma Vie, vol. III, p. 314.
  89. Dupin de Francueil, second mari de Marie-Aurore de Saxe, qui avait épousé, comme nous le savons, en premières noces, le comte de Horn, fut aussi deux fois marié. De son premier mariage avec Modèle:Mlle de Bouillaud où Bouilloud, il avait une fille qui épousa M. Vallet de Villeneuve. Elle eut deux fils, René et Auguste, grands amis du père de George Sand, leur oncle. Quoiqu’ils fussent du même âge que lui, ils s’amusaient à faire les respectueux et l’appelaient toujours « mon oncle », et plus tard, ils donnèrent à Aurore, leur petite cousine, le nom « ma tante ». C’est par eux que George Sand se trouva être en parenté avec les plus grandes maisons de France et quelques grandes familles de Russie : les La Roche Aymon, les Balbo, les Galitzin, les Ségur, les Guibert, etc., etc.
  90. Voir à son sujet l’Histoire de ma Vie, vol. III. p. 330-334, et vol. IV, p. 64. Dans la Correspondance, George Sand parle de lui dans sa lettre à Hippolyte, de mais 1827 (tronquée), t. I, p. 31, N° XIII. Dans ses lettres inédites à son mari et à son frère, il est encore souvent question de lui.
  91. Ses livres préférés étaient alors René, le Misanthrope, les œuvres de Rousseau, le Comme il vous plaira de Shakespeare, dans lequel l’attirait surtout le pessimiste Jacques. Notons ici que lorsque George Sand, entre 1847 et 1854, écrivit l’Histoire de ma Vie, se rappelant probablement ses lectures de jeunesse, elle fit, l’une après l’autre, deux pièces, ayant pour personnage principal le triste auteur d’Alceste, et qu’à cette même époque elle adapta pour la scène française le Comme il vous plaira de Shakespeare. D’un autre côté, il est certain qu’entre le Jacques de Shakespeare et Rousseau lui-même il y a une certaine parenté spirituelle. Ce Jacques est un Rousseau du commencement du Modèle:S ou de la fin du Modèle:S, un vrai Rousseau avec son mépris des hommes, son amour de la nature, sa pitié pour les animaux, etc. Ce trait de parenté spirituelle est signalé, entre autres, par Brandès dans son livre sur Shakespeare. Il est donc tout naturel qu’Aurore ait inconsciemment et simultanément éprouvé une vive sympathie pour les œuvres de J.-J. Rousseau et pour le triste prince-ermite, qui n’a existé que dans l’imagination du grand poète anglais.
  92. Ce chapitre a paru dans les livraisons de janvier et février 1895 de « Rousskoïé Bogatstvo » (la Richesse russe) sous le titre de « George Sand et M. Dudevant.
  93. C’est le motif qui le fit venir à Nohant en été 1821. (Voir plus haut. p. 195-196.)
  94. C’est à dire M. Maréchal et sa femme, la tante d’Aurore.
  95. Altération plaisante et amicale du nom de Deschartres.
  96. Dans le passage de l’Histoire de ma Vie ayant trait à cet épisode, George Sand dit, on ne sait trop pourquoi, que c’était très peu avant cela que sa mère avait fait la connaissance des du Plessis à un dîner chez l’oncle de Beaumont (De Beaumont, ancien prélat, demi-frère de l’aïeule d’Aurore, étant né de la bisaïeule, l’actrice de Verrières, et du duc de Bouillon). Cela n’est pas exact.
  97. François-Casimir Dudevant naquit le 6 juillet 1795, au château de Guillery, commune de Pompiey (Lot-et-Garonne). En 1822, il était « licencié en droit et sous-lieutenant en non-activité ». La plupart des biographes de George Sand prétendent qu’Aurore Dupin avait épousé le « baron » Dudevant. C’est une erreur, car Casimir Dudevant n’avait pas droit à ce titre, étant fils naturel, et ne le prit qu’après la mort de son père, après avoir été, quelque temps auparavant, reconnu par le baron Dudevant.
  98. Histoire de ma Vie, t. III, p. 420-421.
  99. Histoire, vol. III. p. 423.
  100. Il résulte d’une lettre de George Sand, écrite à sa mère, lors de son procès en séparation, qu’en 1822 la fortune de Casimir était évaluée à 60.000 francs, et qu’après la mort de son père en 1826, il avait hérité d’une somme approximative de 40.000 francs. (La lettre remonte à la fin de janvier 1836.)
  101. On lit dans le registre des actes de mariage de l’an 1822 : Du dix septembre mil huit cent vingt-deux. Onze heures du matin. Acte de mariage du sieur François Dudevant, licencié en droit, sous-lieutenant en non-activité, né a Pompiey le dix-huit messidor an trois (six juillet mil sept cent quatre-vingt-quinze) demeurant avec son père, rue du Hazard n°1, deuxième arrondissement, fils majeur de sieur Jean-François, baron Dudevant, propriétaire, colonel de cavalerie retraité, présent et consentant, et de dame Augustine Souls son épouse, dame exilée Espagne, dont l’existence est ignorée.
    Et de demoiselle Amandine Aurore Lucile Dupin, née à Paris le douze messidor an douze (premier juillet mil huit cent quatre) demeurant chez sa mère, rue Saint Lazare, n° 80 de cet arrondissement, fille mineure de feu sieur Maurice François Elisabeth Dupin, chevalier de la Légion d’honneur, chef d’escadron, et de dame Antoinette Sophie Victoire Delaborde son épouse, présente et consentante…
    En présence de messieurs Jean Jacques Ambert, lieutenant général, commandeur de l’ordre royal de la Légion d’honneur, chevalier de Modèle:Tiret2, âgé de 56 ans, demeurant… Arnaud Germain Barbeguière, négociant, âgé de 49 ans… témoins de l’époux.
    Armand Jean Louis Maréchal, chef de bureau au ministère de la maison du roi, chevalier de la Lésion d’honneur, âgé de 48 ans… oncle de l’épouse ; Louis Mammes Pierret, âgé de 39 ans… témoins de l’épouse. Modèle:Droite Signé : Dudevant, Dupin, le baron Dudevant, Delaborde, Maréchal, Pierre Ambert, Barbeguière et Lecordier. M. Rocheblave donne donc dans son article « George Sand avant George Sand » une date erronée en disant que George Sand s’était mariée le « 22 septembre ».
  102. Histoire de ma Vie, t. I, p. 13.
  103. Dans une lettre inédite du 7 mars 1823 à Caroline Cazamajou, sœur aînée d’Aurore, celle-ci lui fait un récit détaillé de sa maladie. Dana l’Histoire de ma Vie, elle dit qu’elle avait dû passer six semaines au lit et que sa seule distraction pendant ce temps avait été de réchauffer, dans une espèce de volière qu’elle avait établie dans sa chambre, des oiseaux à demi gelés. L’hiver avait été très rigoureux.
  104. Inédite.
  105. Correspondance de George Sand, t. 1, lettre datée du 21 novembre 1823.
  106. Dans une lettre inédite à Caron du 15 juin 1824, elle lui en communique la nouvelle et lui demande de bien vouloir l’accompagner lors de son retour au Plessis ; il semble qu’à cette époque elle ne pouvait encore se résoudre à faire seule le plus petit voyage. Cette lettre est signée « la mère Ragot ».
  107. Inédite.
  108. Inédite.
  109. Histoire de ma Vie, t. III, p. 177.
  110. Voir la lettre à Modèle:Mme Saint-Agnan du 6 janvier 1830. (Revue Modèle:Tiret2, Modèle:1er septembre 1893. aurore dit que « jadis elle tirait l’aiguille avec des façons de savetier, mais que depuis elle avait acquis dans la partie des boutonnières et des dessous de pied de guêtres ».
  111. Histoire de ma Vie, t. III, p. 441.
  112. Voir la lettre à Félicie (on a tout lieu de croire, en la confrontant avec d’autres lettres et faits connus, qu’elle a été écrite après le Modèle:1er décembre 1835), dans la Revue Encyclopédique du 15 septembre 1893. Le même fait est raconté dans une lettre d’Aurore Dudevant à son avoué.
  113. Histoire de ma Vie, t. II, p. 442.
  114. Vers de Pouchkine.
  115. Louis de Loménie : « Galerie des contemporains illustres par un homme de rien. »
  116. « Lutetia ». Franz. Zustände. S. 296. Heinrich Heine’s Werke. XI Band. Hambourg, Hoffmann und Campe, 1874.
  117. « … Dudevant, l’époux légitime de George Sand, qui n’est pas un mythe, comme on aurait pu le croire, mais un gentilhomme en chair et en os de la province du Berry, que j’avais une fois eu le plaisir de voir de mes propres yeux. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que je l’ai rencontré chez sa femme déjà séparée de lui de facto, dans son petit logement, quai Voltaire. Et le fait que c’est chez elle que je l’ai vu est une de ces raretés qui auraient pu, comme le dirait Chamisso, me faire mettre en spectacle pour de l’argent. Il avait une de ces physionomies de philistin qui ne disent rien et il ne semblait être ni méchant, ni grossier, mais je compris facilement que cette quotidienneté humidement froide, ces yeux de porcelaine, ces mouvements monotones de pagode chinoise auraient pu, peut-être, amuser une commère banale, mais devaient, à la longue, donner le frisson à une femme d’âme plus profonde, et lui inspirer, avec l’horreur, l’envie de s’enfuir… »
  118. Histoire de ma Vie, t. III, p. 448.
  119. Louis de Loménie rapporte cet événement, on ne sait pourquoi, à l’année 1828, en lui donnant en plus une couleur très romanesque. Il confond évidemment aussi le séjour au couvent avec une époque bien ultérieure, 1831, quand Aurore avait déjà quitté son mari.
  120. Plaidoyer de Michel de Bourges devant le tribunal de La Châtre, le 10 et 11 mai 1836. Le Droit, journal des tribunaux, n° 168, du 18 mai 1836.
  121. Jean-Pierre-Aurélien de Sèze (ou Desèze), petit-fils du célèbre Romain-Raymond de Sèze, défenseur de Louis XVI, naquit à Bordeaux en 1799. C’était un avocat de talent qui, plus tard en 1848, fut élu député à l’Assemblée Nationale, où il siégeait à l’extrême droite. Il fut aussi membre de l’Assemblée Législative et prit part à la rédaction de la loi contre le suffrage universel. En 1851 il abandonna le parti triomphant et protesta contre le 2 décembre. Après cela il se retira de la vie publique et rentra dans la vie privée. Il mourut à Bordeaux le 23 janvier 1870.
  122. Un autre vers de Pouchkine.
  123. Histoire de ma Vie, t. IV. p. 20.
  124. Ibidem, p. 11.
  125. Correspondance, t. I.
  126. On voit aisément en comparant ce passage avec la lettre d’Aurore à sa mère citée plus haut que ce Monsieur *** n’était autre que Dudevant lui-même : « Casimir se repose dans ces courses dont je vous parle, de celles qu’il a faites sans moi à Cauterets ; il a été à la chasse sur les plus hautes montagnes, il a tué des aigles, des perdrix blanches et des isards, ou chamois, dont il vous fera voir la dépouille… »
  127. Histoire, t. IV. p. 16.
  128. Histoire, t. IV. p. 10 14.
  129. Dans son article George Sand avant George Sand.
  130. Voir entre autres Viel-Castel : « Mémoires », ou Le Curieux, et un tas d’autres encore.
  131. Correspondance de George Sand, t. I, Modèle:Pg76.
  132. Voir la Revue Encyclopédique, du Modèle:1er septembre 1893. « Lettres de George Sand. »
  133. George Sand, dans son livre déjà cité : Contemporains illustres par un homme de rien.
  134. Vicomte d’Haussonville, Études biographiques et littéraires, George Sand. Paris, Calmann-Lévy, 1879.
  135. Dans l’Histoire, George Sand dit : « Nous fîmes une excursion très intéressante, mon mari et moi, avec un de ceux de nos amis de Bordeaux que nous avions retrouvés à Bagnères. Cet ami avait ouï parler des espèluques ou spélonques de Lourdes… » etc.
  136. Nous devons attirer l’attention des lecteurs sur le fait que dans les six volumes de la Correspondance de George Sand on trouve à côté de beaucoup de lacunes, le remplacement d’expressions familières par d’autres plus littéraires, des changements d’adjectifs, de pronoms, de débuts et de conclusions de lettres, qu’enfin toutes les lettres sont plus ou moins changées, tronquées, arrangées, ce que nous avons pu constater en comparant les lettres imprimées avec le manuscrit. Dans la lettre mentionnée ici, il faut certainement lire en cet endroit : nous, c’est-à-dire Aurore et Aurélien. Page suivante, il est imprimé : nos compagnons nous ont rejoints, etc. Il faut en conclure que là nous devons lire aussi : nous étions en avant… etc.
  137. Plaidoyer de Michel de Bourges. Le Droit, 1836, Modèle:Nos 240 et 242. Comptes rendus des séances de la Cour royale à Bourges, des 25 et 26 juillet 1836.
  138. Histoire, t. IV. p. 26.
  139. L’autographe de cette lettre appartient à M. le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul.
  140. Vers de Griboïedow.
  141. Inédite.
  142. Voir à ce sujet, entre autres, la brochure de M. Auguste Nicolas « M. Aurélien de Sèze » Notice biographique. (56 pages, Modèle:In-8°. Paris, Charles Douniol et Vaton, 1870.)
  143. Inédite.
  144. Inédite.
  145. Pour expliquer la contradiction apparente qui existe entre l’Histoire de ma Vie, où George Sand parle du « carnaval à Bordeaux » et la Correspondance, où nous trouvons une lettre à Modèle:Mme Dupin, datée de « Nohant, 25 février 1826 », nous devons remarquer que cette dernière date est une erreur. Cette lettre se rapporte non à 1826, mais à 1827. Dans cette lettre, Aurore raconte, entre autres, l’arrivée à Nohant des Duplessis et le mariage de Fanchon. Or, les deux faits se rapportent à l’hiver de 1826-1827. Le mariage de Fanchon eut lieu le 20 décembre 1826. La lettre à Modèle:Mme Dupin doit donc être du 25 février 1827. Les Dudevant passèrent réellement le carnaval de 1826 dans le midi et le vieux baron Dudevant mourut lorsque Casimir était à Bordeaux avec sa femme, le 20 février 1826.
  146. Il y a encore une erreur dans la note qui se trouve au bas de la lettre du 30 avril 1826, adressée à la baronne Dudevant. Cette lettre ne concerne pas la mort du vieux baron, qui mourut, comme il a été dit, à la fin du carnaval, mais celle d’une autre personne, dont elle avait fait part à son beau-fils et à sa belle-fille qui étaient alors à Nohant. À la suite de cette lettre, Casimir dut faire un second voyage à Guillery.
  147. Voir la lettre déjà citée du 25 février 1827 à Sophie Dupin. Dans une lettre inédite du 30 janvier de la même année, Aurore écrit à Caron : « Nous sommes arrivés heureusement, malgré le froid et les chemins détestables, et j’ai trouvé Maurice et maman Angèle en bonne santé… »
  148. Ce premier essai, des plus intéressants, parut après la mort de la célèbre romancière dans le Figaro des 4 et 11 novembre 1888.
  149. Le 4 septembre elle écrit à sa mère : « Tous en parfaite santé : beau-fils, fille et petit-fils. J’ai un appétit dévorant et, chose très agréable, j’ai acquis l’habitude de dormir… »
  150. À en juger par une lettre inédite de Casimir Dudevant à Caron, cela a bien dû se passer en 1829.
  151. Lettre inédite à Charles Poncy du Modèle:1er août 1844.
  152. Lettre inédite, écrite en caractères d’imprimerie, pour que son fils qui venait d’apprendre à lire pût la déchiffrer.
  153. Voir plus haut ce qui a été dit de lui.
  154. Il en est question dans la lettre citée plus haut, adressée à M. Accolas. Le passage n’est pas de nature à pouvoir être cité décemment.
  155. L’enquête judiciaire établit ces faits sur les dépositions de nombreux témoins.
  156. Dans une lettre inédite, très intime, adressée à Caron le 4 décembre 1828, Aurore annonce à son vieil ami que toute intimité entre elle et Casimir a cessé.
  157. Louis de Loménie : « Galerie des Contemporains illustres. »
  158. Histoire de ma Vie, t. IV. p. 61.
  159. Histoire de ma Vie, t. IV. p. 62.
  160. Annales de la Patrie. (Otétchestvénya Zapjski), 1881
  161. Histoire de ma vie, t. IV, p. 63.
  162. Ce passage de l’Histoire de ma Vie se trouve être en certain désaccord avec ce que Aurore Dudevant dit dans la lettre à Accolas déjà citée : « Il n’avait pas l’habitude de me consulter, lorsqu’il voulait faire ses opérations. Il m’apportait une procuration à signer et trouvait très mauvais que je voulusse la lire. »
  163. George Sand fit plus tard au crayon les portraits de quelques-uns de ses amis, entre autres, ceux de Sandeau, de Chopin. La sœur de Chopin assure que le portrait de ce dernier, fait par George Sand et dont nous avons la copie devant les yeux, est celui qui ressemble le plus au grand musicien polonais. Nous en parlons ailleurs.
  164. Voir plus loin, p. 302.
  165. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 60-61.
  166. Ainsi, par exemple, il était à Nohant le jour de la naissance de Solange. En parlant de ce jour-là, George Sand dit : « Je me souviens de l’étonnement d’un de nos amis de Bordeaux, qui était venu nous voir, quand il me trouva, de grand matin, seule au salon, dépliant et arrangeant la layette qui était encore en partie dans ma boîte à ouvrage. — Que faites-vous donc là ? me dit-il. — Ma foi, vous le voyez, lui répondis-je, je me dépêche pour quelqu’un qui arrive plus tôt que je ne pensais… » (Histoire, t. IV. p. 48.) À en juger d’après une lettre à Caron du Modèle:1er octobre 1829, dans laquelle elle lui demande d’envoyer plusieurs objets par « M. de Sèze, qui ira les chercher et me les apportera. Cela lui procurera l’occasion de vous voir, ce qu’il désire beaucoup. Il a pris chez nous votre adresse », — de Sèze devait aussi avoir été à Nohant en 1829. (Corresp., t. I. p. 76.)
  167. Histoire de ma Vie, t. IV. p. 52.
  168. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 58.
  169. Des lettres inédites à son mari, datées d’avril et de mai 1830, nous apprennent que l’année suivante encore, Aurore vit Aurélien à Bordeaux où elle était allée en grand secret, de Paris, avec Zoé. Elle lui raconte qu’elle l’a trouvé « vieilli et enlaidi ». Le 12 août 1830, elle reçut encore de son ami une lettre à Nohant. Leur correspondance semble avoir pris fin après qu’Aurore eut quitté le toit conjugal, ce dont le correct magistrat fut sans doute choqué et qu’il dut désapprouver.
  170. Voir l’Histoire de ma Vie, t. IV, p. 59-60.
  171. Ce fragment se rapporte à la page 146 du 1Modèle:Er volume de la Correspondance ; il vient après les mots : « Ensuite prenez garde à vos lettres et aux miennes. Mettez-y votre prudence naturelle… »
  172. Voir le chapitre IModèle:Er de notre livre.
  173. Félix Pyat, écrivain et homme politique, plus tard devenu communard, naquit à Vierzon en 1810 et mourut en 1889 à Paris.
  174. Grande Revue de Paris et de Pétersbourg, rédigée par Ars. Houssaye. 1881, n° 1. « Comment j’ai connu George Sand, Mes Souvenirs », par Félix Pyat.
  175. Tout aussi apocryphes sont les chapitres des Souvenirs d’Ars. Houssaye lui-même, consacrés à G. Sand, Jules Sandeau, Marie Dorval et la mansarde du quai Malaquais en 1832. On ne peut y puiser que fort peu de faits certains. (Les passades sur G. Sand se trouvent dans Les Confessions, souvenirs d’un demi-siècle, par Ars. Houssaye, t. V et VI, (Paris. Dentu, 1891) et dans les Souvenirs de jeunesse (1840-1859). Paris, Ernest Flammarion.
  176. Histoire de ma Vie, vol. IV, 4Modèle:E partie, p. 77.
  177. Dans le tome I de la Correspondance, la lettre à Charles Duvernet du 19 janvier 1831 est imprimée sans adresse, mais lors de sa première impression dans la Nouvelle Revue 1881, cette lettre était datée, comme dans l’original : Paris, (rue de Seine, 31) 19 janvier 1831. C’était l’appartement d’Hippolyte Châtiron et c’est bien là qu’elle était descendue en arrivant à Paris. Modèle:M. prétend, au contraire, que Jules Sandeau demeurant alors rue Racine, c’est chez lui qu’elle alla directement s’établir à Paris. Nous trouvons encore, dans le tome II du Curieux, l’indication que George Sand et Jules Sandeau demeuraient dans ce même hôtel Jean-Jacques Rousseau, Modèle:N°, rue des Cordiers, où avaient demeuré avant eux Jean-Jacques Rousseau lui-même, Condillac, Mably et Gresset, et plus tard Gustave Planche. Balzac fait descendre son héros Lucien de Rubempré, après son arrivée à Paris, à ce même hôtel, qui a cessé d’exister depuis 1887.
  178. Correspondance, vol. I. et les lettres inédites de janvier 1831 à janvier 1833
  179. Remarquons pour les musiciens et les dilettanti, que déjà en 1830, George Sand mentionne souvent dans ses lettres le nom de Berlioz, alors si peu apprécié en France, mais dont les Mélodies et les autres œuvres étaient déjà connues et estimées dans le petit cercle d’amis d’Aurore.
  180. M. Rocheblave, en citant ce passage dans son article George Sand avant George Sand (Revue de Paris, 1896), se trompe complètement en l’appelant « inédit ». Chacun peut le lire dans le n° du 15 janvier 1881 de la Revue des Deux Mondes.
  181. À cette époque, chose Modèle:Corr, Aurore Dudevant écrivait encore « Sandot » au lieu de « Sandeau ». Dans la Correspondance de George Sand toutes ses fautes sont corrigées, on a corrigé celle-là aussi. Dans la préface de Pauline elle avoue pourtant qu’elle faisait encore à ce moment beaucoup de fautes d’orthographe.
  182. Dans une lettre à Émile Regnault elle dit sans détour : « Pendant trois mois… je lui ai résisté… » (Défense de George Sand par Henri Amic, « Lettres à Émile Régnault », le Figaro, 9 novembre 1896.)
  183. Un Anglais à Paris. Notes et souvenirs. Modèle:Ier vol. (1835-1848), IIModèle:E Modèle:Corr (1848-1871). Paris, Plon. 1894.
  184. Alexandre Hyacinthe Thabaud de Latouche, né en 1785 à La Châtre, mort à Aulnay en 1857 ; journaliste, poète lyrique et dramatique et romancier, il fut le fondateur du Figaro et s’est surtout rendu célèbre pour avoir mis en lumière le nom et la gloire d’André Chénier, en réunissant et en publiant ses œuvres. Parmi ses ouvrages à lui, citons la Reine d’Espagne, Fragoletta et un recueil de poésies Les Adieux dont nous parlerons plus loin.
  185. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 80.
  186. À la fin de janvier 1831, elle écrit à son mari : « J’ai été assez malade d’un rhume, mon ami. Mais je vais bien et je commence à aller au spectacle. J’ai vu le Napoléon de Dumas à l’Odéon. La pièce est pitoyable, et Frédéric Lemaître est bien inférieur à Gobert dans ce rôle… J’ai été hier aux Italiens… J’ai vu Modèle:Mme Malibran dans Otello. Elle m’a fait pleurer, frémir, souffrir enfin, comme si j’eusse assisté à une scène réelle de la vie. Cette femme est le premier génie de l’Europe. Belle comme une vierge de Raphaël, simple, énergique, naïve, c’est la première cantatrice et la première tragédienne. J’en suis enthousiaste. J’ai été avec les Périgny voir l’exposition du Luxembourg… Je vais ce soir entendre Moïse à l’Opéra. Demain j’irai au Gymnase, et puis je me reposerai des spectacles et je travaillerai pendant une quinzaine de jours… »
  187. Au mois de février 1831, elle écrit encore à son mari : « Croirais-tu que je n’ai pas eu le temps d’aller entendre les Saint-Simoniens ? Modèle:Mme de Périgny y est assidue, quoiqu’elle voie dans leur doctrine le renversement de tout ordre social et des flots de sang à faire couler. Moi, je n’y vois qu’une erreur impraticable, et l’opinion générale en fait déjà justice, il y a une Papesse, qui n’est là que pour montrer sa robe de velours bleu de ciel et son boa de cygne. Toujours des farces !… » Les deux lettres inédites dont nous venons de citer ces passages furent depuis publiées par le vicomte de Spoelberch, auquel elles appartiennent, au nombre des dix lettres d’Aurore Dudevant à son mari, insérées dans le Cosmopolis (février 1897), et réimprimées par lui dans son excellent ouvrage, tout plein de documents et palpitant d’intérêt : Véritable Histoire de « Elle et Lui ». Paris, Calmann Lévy, 1897.
  188. Histoire de ma Vie, vol. IV, p. 122.
  189. Plusieurs, comme nous venons de le dire, parurent dans le Cosmopolis de 1897 où elles furent publiées par le vicomte de Spoelberch qui possède en outre toute la correspondance entre les deux époux.
  190. Figaro, 28 septembre 1888. Comte Em. de Kératry : « Lettres inédites de George Sand ». Aussi dans ses Petits Mémoires. 1 vol. Ollendorff. 1898.
  191. Voir la lettre sans date à son mari, ne portant que le mot « Vendredi », la troisième qu’elle lui écrivit après son départ de Nohant, (pouvant être de février 1831 d’après l’annotation du vicomte de Spoelberch, faite par lui lors de la publication de cette lettre dans son ouvrage : la Véritable histoire de « Elle et Lui ». surtout les plu « Kératry m’a reçue d’une manière paternelle, et j’ai bonne espérance maintenant, car, entre nous soit dit, je ne m’entendrai jamais avec un homme comme Latouche. Il continue pourtant à mettre beaucoup d’obligeance dans ses démarches… Quant au roman, les corrections qu’il exige vont mal avec mes principes. J’aime mieux adopter celles que Kératry m’imposera, car lui, du moins, est un honnête homme et un bon homme ».
  192. Histoire de ma Vie, t. IV, Modèle:Pg122.
  193. Lettre à son mari écrite à la fin de janvier 1831.
  194. Correspondance, vol. I, p. 165-167.
  195. Correspondance, vol. I. p. 168-173.
  196. On ne sait pas trop pourquoi, dans la Correspondance, vol. I, p. 188, il est dit dans une note au bas de la lettre à Charles Duvernet que la Prima-Donna est l’héroïne d’un des « fragments littéraires inédits de George Sand ». Comme nous le voyons, ce récit a paru en entier au mois d’avril 1831 et il est dû indubitablement à la plume de George Sand.
  197. Dans la lettre du 19 juillet 1831 à Charles Duvernet elle donne son adresse « Quai Saint-Michel, 25 ». Dans une lettre inédite à son mari se trouve : « Quai Saint-Michel, 29. » Balzac donne, dans sa lettre à sa mère du 1Modèle:Er septembre 1832, l’adresse de Jules Sandeau. « quai Saint-Michel. 26 », en recommandant de lui envoyer de sa part un exemplaire des Contes Philosophiques « pour l’offrir à qui de droit ». (George Sand.)
  198. Quoiqu’elle dise, dès ce moment, qu’il lui fut difficile de porter Solange sur ses bras au cinquième étage, nous savons qu’elle n’amena sa fille à Paris qu’au mois d’avril de l’année suivante (1832).
  199. Histoire de ma Vie, vol. IV, p. 77-78.
  200. Dans une lettre inédite à son mari, datée de juillet 1831, elle parle de ses « meubles en acajou et en merisier ».
  201. Il a déjà été dit dans le chapitre précédent qu’Aurore Dudevant cachait à sa mère ses chagrins de famille et comment elle tâchait de sauver les apparences envers elle. Il est certain qu’à cette époque elle se sentait déjà loin de sa mère et trop supérieure à elle pour lui dévoiler les plaies de son âme.
  202. Correspondance, vol. I, p. 182-183.
  203. Cette page est omise dans la lettre du 19 juillet 1831 imprimée dans la Correspondance, elle doit sans doute être placée page 194, après la phrase suivante : « Tout cela vous fera travailler sans ennui et vous forcera à des recherches historiques, qui vous arriveront pleines d’intérêt et de vie ». Il manque ensuite probablement les mots « je voudrais vous donner », puis suit la page que nous donnons dans le texte.
  204. Voir l’excellent travail de M. de Lovenjoul : Histoire des Œuvres de Honoré de Balzac, par Charles de Lovenjoul, Paris, Calmann-Lévy, 1879.
  205. Correspondance, vol. I, p, 212.
  206. George Sand, jusqu’à la fin de 1833 à peu près, écrivait Georges et non George.
  207. Vers de Pouchkine déjà cité.
  208. Pour tout ce qui concerne les dates de publication des œuvres de George Sand nous avons consulté la rarissime brochure : « Étude Modèle:Tiret2 sur les œuvres de George Sand » par le Bibliophile Isaac (vicomte de Spoelberch). Bruxelles, 1868. Et l’auteur a eu l’extrême bonté de nous en communiquer la suite manuscrite (1867-1896). Nous profitons de l’occasion pour lui exprimer ici, encore une fois, toute notre gratitude.
  209. Histoire de ma Vie, vol. II. p. 318-320
  210. Heine, Gutzkow, Lenz, Maxime Du Camp, Goncourt et plusieurs autres contemporains de George Sand, qui sont encore en vie, parlent à peu près en même termes du « regard immobile de ses grands yeux noirs, veloutés, sans éclat ni expression, et qui ont l’air de ne rien voir ».
  211. On voit, par les lettres inédites d’Aurore Dudevant à son mari, datées de Paris des 10, 13 et 15 décembre 1827, qu’elle ne s’abusait nullement sur les véritables motifs qui avaient amené le départ de Néraud, et avec autant d’humour que de bonhomie, elle raconte les scènes de jalousie que lui faisait sa femme. On trouve encore des allusions à cet épisode dans une lettre inédite à Néraud lui-même, du 10 décembre 1834, et enfin, George Sand raconte le même fait « à mots couverts » à Everard (Michel) dans le n° VI des Lettres d’un Voyageur. Les lettres inédites de Jules Néraud à G. Sand, que nous avons en la chance de parcourir, confirment de tous points le récit que George Sand fait à Michel, et dans l’Histoire de ma Vie, à propos de la malheureuse passion, vite apaisée du reste, que son professeur de botanique ressentit pour elle.
  212. L’amitié de George Sand pour Néraud dura toute sa vie. Chacun de ses chagrins ajouta un nouvel élan, s’exprimant dans des lettres sincères et confiantes, et dans leurs conversations. Cette amitié resta inébranlable à travers toutes les catastrophes de leur vie. Les numéros IV (adressé en partie à Rollinat) et IX des Lettres d’un Voyageur, sont consacrées à Néraud ; il est également parlé de lui dans le n° VI et dans l’Histoire de ma Vie. C’est à lui que son adressés : La relation d’un voyage chez les sauvages de Paris et les Réflexions sur J.-J. Rousseau. C’est encore de lui qu’elle se souvient dans un autre article sur Rousseau, intitulé Les Charmettes, et enfin dans l’Éclaireur de l’Inde, 1845, elle donne un compte rendu du livre Botanique de l’enfance publié en Suisse par Jules Néraud. Tous ces articles sont entrés dans l’édition complète des œuvres de G. Sand publiée par Lévy, dans les tomes : l’Uscoque, Laura, Simon et Souvenirs de 1848.
  213. Nous citons d’après la Modèle:1re édition d’Indiana qui diffère beaucoup des suivantes.
  214. Remarquons que l’aigreur entre les Delmare se produisit pendant leur séjour près de Melun, et rappelons-nous les scènes qui se passèrent entre les Dudevant (voir p. 240-242), lorsqu’en 1824, ils étaient les hôtes de Roettiers Duplessis, dans le voisinage de Melun.
  215. Le lecteur se rappelle que Dudevant s’était permis une indiscrétion semblable, c’est pour cela qu’Aurore avait à maintes reprises, pendant ses absences de Nohant, entre 1831 et 1834, prié ses amis d’être très prudents dans l’envoi des lettres qu’ils lui adressaient, et qu’elle avait demandé à Boucoiran, le 7 mars 1834, de prendre chez lui les papiers et les cahiers qu’elle avait laissés dans sa chambre, car, à son avis, ils n’y étaient pas en sûreté. Voir plus haut, p. 305, la lettre inédite à Boucoiran datée de 1831, et surtout le passage : « Vous ne serez pas le premier dont les papiers aient été fouillés et examinés… »
  216. Cette introduction, qui manque dans les éditions Modèle:Corr d’Indiana, a été réimprimée dans l’édition des œuvres de George Sand, faite à Bruxelles par la Société belge de librairie, Méline, Cans et Modèle:Cie, qui était très répandue en Russie vers 1850. Nous en possédons l’édition complète. Les tomes I, II, III, sont datés de 1842 ; le tome IV de 1843 ; le tome V de 1844 ; et le tome VI de 1847.
  217. M. Skabitchevsky, qui dans ses études sur G. Sand fait une analyse à tendance, et très étroite, de ses romans, tombe souvent dans des erreurs fort curieuses (surtout à propos de Lélia, de Jacques et de Spiridion). En expliquant d’une manière absolument étrange le dénouement de Valentine, il dit que « la malédiction de Louise, à la fin de l’ouvrage, jette une lumière toute spéciale sur toute la marche du roman » et que « la lutte ascétique de Valentine est comme un reste de morgue nobiliaire, qui l’empêche de sacrifier au bonheur de son amant les préjugés traditions de son monde »… Selon lui, la fin tragique du roman est le « pitoyable résultat de la faiblesse (??) de Valentine, de sa dualité qui ne lui a pas permis de s’abandonner librement et ouvertement à son amour, comme elle aurait pu le faire, si elle n’avait voulu attendre des circonstances favorables pour contenter les chèvres et les loups »… Ils sont bien à plaindre, ceux qui se mettent à expliquer de cette manière le dénouement de Valentine et à juger l’héroïne sous ce point de vue !
  218. Notons en passant que le sujet de cette nouvelle semble avoir été donné à George Sand par Néraud, car nous trouvons dans une de ses lettres la description d’une journée à bord d’un navire, et de la disparition, au milieu d’une tourmente, d’un couple d’amoureux, appelés Jenny et Melchior.
  219. Dans les Œuvres complètes de G. Sand, édition Lévy, il fait partie du volume La Coupe, etc.
  220. Inédite.
  221. George Sand parle de lui dans le vol. IV, p. 400, de l’Histoire de ma Vie, à propos de son procès : « Je vis arriver aussi, le jour des débats, Émile Régnault, un Sancerrois que j’avais aimé comme un frère et qui avait épousé contre moi je ne sais plus quelle mauvaise querelle. Il vint me faire amende honorable de torts que j’avais oubliés ». Le motif de cette « querelle » avait été sa rupture avec Jules Sandeau. La correspondance de George Sand avec Régnault est conservée par des proches de celui-ci. Nous en donnerons plus bas quelques fragments.
  222. Histoire de ma vie, vol. IV, p. 78-79.
  223. Datée du 14 avril 1832. Inédite.
  224. Inédit.
  225. Lettre à Boucoiran du 20 décembre 1832. Correspondance, I vol. p. 235.
  226. M. Henri Amic confirme le même fait sur la foi d’Edouard Grenier. Voir la Défense de G. Sand. Le « Figaro », 2 novembre 1896.
  227. Histoire de ma Vie, vol. IV. p. 212-213.
  228. Une partie de leur correspondance fut trouvée parmi des papiers provenant de Jules Sandeau, avec des autographes d’Alfred de Vigny ; elle est conservée, mais ne semble pas devoir être publiée.
  229. Le chapitre qui lui est consacré porte même le titre de Marie Dorval, p. 205-237.
  230. C’est ainsi que, de nos jours, nous voyons Modèle:Mme Duse après la « scène avec le messager », merveilleuse de talent et de force dramatique, et la scène non moins admirable dans la tente d’Antoine, s’effacer, tomber dans la plus absolue médiocrité dans le dernier acte de la Cléopâtre de Shakespeare.
  231. Alexandre Dumas père, nous a laissé sur les derniers jours de Marie Dorval des pages d’un dramatique poignant, où il a donné une foule de détails touchants dans leur simplicité. (Voir : Les Morts vont vite. Œuvres complètes d’Al. Dumas père. Paris, Michel Lévy. Nouvelle édition, 1889, 2 vol. t. II, p. 241).
  232. Cette lettre, datée « de juillet 1833 », parut dans la Revue de Paris du 15 novembre 1896 et n’a pas été réimprimée dans le volume des Lettres de George Sand à Sainte-Beuve et à Musset, publiées chez Calmann Lévy. Remarquons en passant que les lettres de George Sand à Sainte-Beuve tant dans la Revue de Paris, qu’en volume, paraissent être imprimées non d’après les originaux, mais d’après des copies fourmillant d’erreurs, sont mal rangées et mal datées, sans aucun ordre chronologique, arbitrairement, et ne contiennent pas en entier la Correspondance des deux illustres écrivains. Nous avons eu l’occasion de nous en convaincre grâce à la bonté de la personne à laquelle cette Correspondance appartient désormais. C’est à la lettre citée, ainsi qu’à celle du 25 août 1833, que se rapporte la note de la main de Sainte-Beuve que M. de Spoelberch reproduit dans ses Lundis d’un Chercheur, p. 173.
  233. Cette lettre, écrite un mois avant la publication de Lélia, date de juillet 1833, mais, comme nous le disons plus bas et comme on le sait par la Préface d’Obermann de Sainte-Beuve et par les pages des Portraits contemporains, se rapportant à G. Sand, elle avait déjà lu au mois de mars des fragments de son roman à Sainte-Beuve, il en avait été charmé et c’est après une de ces lectures qu’il lui écrivit sa remarquable lettre enthousiaste que M. de Spoelberch a publiée dans sa Véritable histoire, p. 96-99, et que George Sand elle-même avait copiée sur son album des Modèle:Lang.
  234. Marie Dorval.
  235. M. Augustin Filon, le biographe de Mérimée, dit, en racontant cet épisode de sa vie : « Le court passage de Mérimée dans les bonnes grâces de Modèle:Mme Sand est un fait d’histoire littéraire sur lequel s’est greffée une légende assez amusante. D’après cette légende, Sainte-Beuve, voyant que Modèle:Mme Sand était seule et souffrait de cette solitude, lui aurait « donné » Mérimée, et dès le lendemain, George Sand lui aurait écrit pour lui rendre et pour lui reprocher ce cadeau. Il n’est pas vrai que Sainte-Beuve ait joué ce rôle trop bienveillant et qu’il ait béni l’union civile de Mérimée et de Modèle:Mme Sand. Mais il est exact qu’il reçut des confidences et des plaintes. La lettre — (c’est celle dont nous reproduisons ici une partie) — parait-il, existe encore… Cette lettre circula et fit du tort à Mérimée. D’ordinaire très discret, mais impatienté de ces cancans, il se serait vengé en racontant sur sa bonne ou sur sa mauvaise fortune des détails plus gais que bienséants. Eût-il réellement ce tort ?… Traita-t-il comme une simple aventure d’étudiant cette femme qui était au moins son égale par le talent ? Ce qui est certain, c’est qu’il ne se laissa pas mener où alla Musset et il fit bien. On verra dans quelle circonstance il retrouva celle qu’il avait dédaignée et irritée »… Laissant de côté l’opinion d’Augustin Filon que George Sand » était au moins l’égale par le talent de Mérimée », nous ferons remarquer que les mots : « il l’avait dédaignée et irritée » cadrent exactement avec « il m’a repoussée » (passage supprimé dans l’édition de Lévy, 1897), que nous trouvons dans la lettre de George Sand à Sainte-Beuve du 25 août 1833. Nous nous bornerons à recommander à l’attention du lecteur le livre intéressant de M. Filon qui prouve à l’évidence combien peu se convenaient ces deux natures. Quant à la rencontre des deux écrivains qui eut lieu plus tard et à laquelle se rapporte la dernière phrase de M. Filon, comme lui, nous n’en dirons, en temps et lieu, que quelques mots. (Voir Mérimée et ses amis, par Augustin Filon, avec une Bibliographie des œuvres complètes de Mérimée par le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul. Paris, Hachette et Modèle:Cie, 1894.)
  236. Beaucoup de personnes ont cru voir dans l’œuvre de Mérimée La double méprise (parue en 1833) l’écho de cet épisode tragi-comique. L’histoire de la malheureuse Julie de Chaverny et du sceptique Darcy ne rappelle l’amour éphémère de Modèle:Mme Sand et de Mérimée qu’en ce que tous deux « se méprirent » sur le compte l’un de l’autre et que l’un croyait l’autre inférieur à ce qu’il était en réalité. En tout cas, Mérimée dépeint son héroïne sous un aspect très sympathique.
  237. Dans les souvenirs de Tocqueville, nous trouvons quelques pages très curieuses sur sa première rencontre avec G. Sand. Nous reproduirons plus loin les lignes qu’il a consacrées à ce dîner. (Souvenirs de Alexis de Tocqueville, p. 204.)
  238. Lettre à la comtesse de Montijo (Mérimée et ses amis, p. 194-195). D’après cette lettre, le dîner aurait eu lieu avant le 6 mai 1848, tandis que Tocqueville dit qu’il était entre le 12 mai et les journées de Juin.
  239. Voir là-dessus les intéressants détails et documents dans la Véritable Histoire de « Elle et Lui », par le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul, p. 190-122, et surtout la lettre de Mérimée à Sandeau à ce sujet (p. 199), ainsi que l’article de Texier et le volume de Nisard : Souvenirs et notes biographiques, 1888, Modèle:In-8°.
  240. Voir son étude sur Goëthe et Charlotte von Stein où il parle également de G. Sand et de Musset, de Daniel Stern et de Liszt, ainsi que d’autres amants aussi célèbres que lettrés.
  241. Voir Marianna (Nouvelle édition. Charpentier. Paris 1885), p. 38-39-41.
  242. Marianna, p. 35-36.
  243. Marianna. p. 45.
  244. Marianna, p. 51.
  245. Voir p. 273, 294-297.
  246. Marianna, p. 115-124.
  247. E. Grenier : « Souvenirs Littéraires. George Sand. » Revue bleue, 15 octobre 1892.
  248. Jules Levallois : « Sainte Beuve, Gustave Planche, George Sand. » Souvenirs littéraires. Revue bleue, 19 janvier 1895.
  249. Cette lettre à Sainte-Beuve ainsi que sa lettre précédente, au même, de Mars 1835 furent livrées à la publicité par Charles de Loménie dans la Nouvelle Revue (Modèle:1er mai 1895) et réimprimées par le vicomte de Spoelberch dans sa Véritable Histoire. Les deux autographes de ces lettres et toute la correspondance de George Sand avec Sainte-Beuve appartiennent actuellement à M. de Spoelberch. (La même lettre est reproduite dans Les Lettres de George Sand à Alfred de Musset et à Sainte-Beuve, Lévy 1897. Elle y est mal datée : fin de mars, tandis qu’en réalité elle date du 4 avril). Nous avons déjà parlé de cette lettre. Voir p. 189.
  250. Histoire de ma Vie, 5Modèle:E partie, vol. IV, chap. Modèle:Sc, p. 173-174.
  251. Histoire de ma Vie, 4Modèle:E partie, vol. IV, chap. Modèle:Sc, p. 111-112.
  252. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 175. George Sand a dit la même chose plus tard dans le chap. viii des Impressions et Souvenirs en faisant le récit de l’évolution graduelle de ses croyances religieuses depuis sa jeunesse jusqu’à sa vieillesse : « Ce qui surnagea sur cette houle, ce qui plus tard et à tous les âges de la vie a surnagé et nagé vraiment sans lassitude, c’est le besoin de croire à l’amour divin… J’aime mieux croire que Dieu n’existe pas que de le croire indifférent ». Et lorsque cette pensée la domine, elle devient, à son dire, athée « quelquefois pendant vingt-quatre heures ». C’est ce qui lui arriva en 1833.
  253. Nous avons déjà dit plus haut, combien cette division des romans de George Sand en trois périodes était arbitraire par rapport à la peinture de la vie campagnarde.
  254. Fragments de lettres inédites.
  255. Histoire de ma Vie, vol. IV, 5Modèle:E partie, p. 175-176.
  256. La lettre datée de Juillet 1833, que nous avons déjà citée, omise dans le volume édité chez Lévy : Lettres à Sainte-Beuve, et qui n’a été imprimée que dans la Revue de Paris du 15 novembre 1896. (N° IV) se termine par les mots : « J’ai fini Lélia. »
  257. M. Skabitchevsky prétend que Lélia avait d’abord aimé Valmarina-Trenmor et avait été déçue par lui. C’est absolument erroné. Lélia avait dans le temps aimé un certain Ermolao, qu’elle avait même épousé, mais qui ne ressemble en rien à Modèle:Corr. Modèle:Corr reste pour Lélia comme pour George Sand un idéal Modèle:Corr. « Je marche vers l’idée Trenmor, » écrit-elle à Sainte-Beuve dans la lettre de juillet dont nous avons déjà parlé plusieurs fois. Sous « l’idée Trenmor » nous devons évidemment comprendre l’abnégation complète de sa propre individualité au profit de l’humanité. Or, Ermolao ne ressemble en rien à cela. D’un autre côté, Trenmor n’est rien moins qu’un amant, mais bien un ami idéal qui partage toutes les pensées, les goûts, les Modèle:Tiret2 de son alter ego. C’est une incarnation en la personne d’un autre de tous les éléments fonciers de l’âme, une compréhension personnifiée, que George Sand et Lélia avaient vainement cherchées dans le bien-aimé et que Lélia avait trouvé en Trenmor et George Sand en Rollinat.
  258. L’une pour la seconde version du roman, refait en 1836 et publié en 2° édition en 1839 ; l’autre pour l’édition des Œuvres complètes parue entre 1851-1856 et illustrée par Tony Johannot et Maurice Sand.
  259. De nos jours, Maupassant a exprimé la même chose avec une force extraordinaire dans les pages de Sur L’Eau.
  260. Depuis que nous avons écrit ce chapitre, cette poésie a été réimprimée par M. de Spoelberch dans sa Véritable Histoire, p. 247-249. Avant la publication de ce volume, les connaisseurs et chercheurs qui ne possédaient pas la première édition de Lélia ne pouvaient relire ces vers que grâce à l’Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, t. XVI, p. 257.
  261. 2 vol. Modèle:In-8°, 1833, H. Dupuy, édit. et Tenré, libraire.
  262. Voir plus haut, p. 318-319.
  263. Imprimée dans le Siècle des 18, 19 et 20 jillet 1851. Reproduite dans les Œuvres complètes de George Sand, dans le volume « Autour de la table ».
  264. Histoire de ma Vie, 4Modèle:E vol. p. 275-285.
  265. Il est parlé de lui entre autres dans Les Réfractaires, scènes de mœurs parisiennes, par Jules Vallès. Paris, 1866. Les pages que Vallès lui consacre ne sont pourtant pas tout à fait justes ni historiquement exactes. Voir aussi : Le critique maudit, par Ad. Racot, dans Le Livre, t. VII, 1885.
  266. L’article fait partie des Souvenirs de 1848. (Œuvres Modèle:Corr, édit. Lévy).
  267. Histoire de ma Vie, vol. IV, 4Modèle:E partie, chap. Modèle:Sc et 5Modèle:E partie, chap. Modèle:Sc
  268. Sans entrer dans Les détails, nous dirons seulement que par les lettres de George Sand à Sainte-Beuve, publiées dans : Modèle:1o Les Portraits contemporains, Modèle:2o dans le volume de Lévy ; et Modèle:3o dans le livre de Modèle:M. Spoelberch, et par une lettre de Sainte-Beuve à George Sand, publiée ibidem, on voit que Lélia faisait le sujet continuel de leurs conversations. Toutes les lettres inédites témoignent du même fait.
  269. Voici ce que Sainte-Beuve écrivait le 18 mai 1833 dans ses Portraits contemporains (t. I. Modèle:Pg128), avant même que Lélia fût livrée à la publicité. Après avoir dit qu’Obermann et son malheureux auteur n’avaient joui d’aucune gloire, n’eurent à essuyer aucune injustice trop grande, mais avaient longtemps souffert d’une indifférence opiniâtre, tacite et pénible, tout en ayant exercé sur les élus et les raffinés, une influence secrète, lente, maladive, et après avoir cité comme exemples les noms de Rabbe, de Nodier, de de Latoucbe, de Ballanche, il ajoute : « Tout récemment, dans les feuilles d’un roman non encore publié qu’une bienveillance précieuse m’antorisait à parcourir, dans les feuilles de Lélia, nom idéal qui sera bientôt un type célèbre (sic) il m’est arrivé de lire cette phrase qui m’a fait tressaillir de joie : « Sténio, Sténio, prends ta harpe et chante-moi les vers de Faust, ou bien ouvre tes lèvres et rends-moi les souffrances d’Obermann, les transports de Saint-Preux. Voyons, poète, si tu comprends encore la douleur, voyons, jeune homme, si tu crois à l’amour !… » Eh quoi ! me suis-je dit, Obermann a passé familièrement ici : il y a passé aussi familièrement que Saint-Preux, il a touché la main de Lélia !… » (L’article de Sainte-Beuve sur Lélia a paru le 29 sept 1833.)
    Planche, qui écrivit des articles presque enthousiastes sur Indiana et Valentine, aussitôt après leur publication, disait, qu’au point de vue de la poésie, il préfère Indiana et Valentine, à Corinne et Delphine, « car les deux romans de Modèle:Mme de Staël ressemblent trop souvent à l’enseignement universitaire ou à l’improvisation d’un salon de beaux esprits. » — À propos de Lélia il dit : « Lélia n’est pas le récit ingénieux d’une aventure ou le développement dramatique d’une passion, c’est la pensée du siècle sur lui-même, c’est la plainte d’une société en agonie, qui après avoir nié Dieu et la vérité, après avoir déserté les églises et les écoles, s’en prend à son cœur et lui dit que ses rêves sont des folies »… Pour cette raison, Planche trouve qu’il ne convient pas d’examiner les personnages de ce roman sous le point de vue généralement reçu, ni de les analyser comme des individualités réelles, mais qu’il faut examiner si les idées philosophiques qu’ils symbolisent sont soutenues dans chacun d’eux et s’ils forment un ensemble harmonieux.
  270. Telles sont les héroïnes des romane de la Comtesse Hahn-Hahn, telle Marie, l’héroïne du premier roman de Max Waldau : « Modèle:Lang » et surtout « Modèle:Lang » (l’Incrédule) de Gutzkow qui paraît avoir, par ce titre même, voulu définir la parenté de Wally avec Lélia. Nous ne faisons pas ici de cours de littérature générale, donc nous ne faisons qu’indiquer ces ressemblances.
  271. C’est ainsi qu’un certain abbé de la Treyche, « un romantique d’Église, c’est-à-dire l’un des écrivains qui ont combattu la philosophie matérialiste du siècle dernier, cet abbé de la Treyche, auteur des Études sur les idées et leur conciliation dans le giron du catholicisme, où il parlait du spiritualisme, du magnétisme, des apparitions surnaturelles de la sainte Vierge, etc., cet homme pieux n’hésita pas à citer Lélia comme autorité et à annoncer aux femmes l’affranchissement du joug de leurs devoirs quotidiens… » (Julian Schmidt.)
  272. « Jacqueline Pascal, dit Julian Schmidt en analysant l’étude de Cousin sur elle, fut certes une femme très intéressante et liée au développement du jansénisme dans lequel les dames pieuses jouèrent un grand rôle. Les temps sont changés, on cherche l’émancipation dans une autre voie, mais le fond des choses est resté le même. Alors les belles âmes se distinguaient du monde ordinaire par l’ardeur de leur foi. De nos jours, Jacqueline se ferait Lélia… »
  273. Elles parurent d’abord dans la Revue des Deux-Mondes, dans les Modèle:Nos des 15 juillet et 1Modèle:Er décembre 1836, sous le titre de Contemplation, les Morts, etc.
  274. Les réflexions que Lélia fait, pendant les heures qu’elle passe « au rocher », sur le mariage — trop souvent l’institution légale de la dépravation morale et physique des jeunes filles pures — rappellent beaucoup la Sonate à Kreutzer.
  275. A paru au mois de mars 1833, dans le recueil : le Salmigondis.
  276. Il est curieux à noter qu’en cette même année 1833 M. Aurélien de Sèze se maria. Ce fut sans doute la cause de ce qu’au commencement de Lavinia, l’auteur nous raconte que sir Lionel va se marier, ce qui amène Lavinia à lui redemander ses lettres.
  277. Il fut réimprimé comme Préface à la 3Modèle:E édit. d’Obermann et fait partie du volume Questions d’art et de littérature, des œuvres complètes de George Sand. Voir à ce sujet aussi les notes dans les Portraits contemporains de Sainte-Beuve éd. de 1855).
  278. Nous sommes d’accord en ceci avec Eug. Delacroix (voir son Journal intime, t. I, p. 207).
  279. Lettre à Sainte-Beuve du 8 octobre 1833.
  280. Ce chapitre, ainsi que le suivant, a déjà paru dans le Messager du Nord (1895, novembre-décembre) sous le titre « Histoire et non légende ». Quoi qu’il ait été publié depuis dans des revues et journaux étrangers un grand nombre de documents et de lettres et une foule de recherches, sans parler d’articles de polémique sortis de la plume des partisans de George Sand et de Musset, nous nous croyons en droit de reproduire ici ce chapitre sans y apporter de changements, car, en l’écrivant, nous avons profité de la plupart des sources publiées depuis et avons exprimé notre opinion sur l’histoire Sand-Musset bien avant nos confrères Modèle:Tiret2, — MM. de Spoelberch, Maurice Clouard, Cabanès, Rocheblave, Mariéton et autres. Mais les lecteurs russes ne nous firent pas l’honneur de remarquer la primeur de certains faits et de ce que nous avions fait notre possible pour détruire la légende, bien avant que M. Rocheblave aussi se soit servi de ce mot. En reproduisant ici ces deux chapitres, nous omettons seulement ce qui a déjà été dit dans les chapitres précédents et nous signalons dans les notes au bas des pages les sources, alors inédites, maintenant publiées. Le lecteur verra que l’opinion que nous avions déjà exprimée, en 1895, au sujet de cet épisode, est devenue vérité admise par tout le monde.
  281. Un des biographes de Musset, Lindau, dans les conclusions qu’il tire aux dernières pages de son récit sur le roman entre son héros et George Sand, se prononce très catégoriquement en ce sens : « Deux esprits d’élite se trouvaient en face l’un de l’autre comme deux ennemis en présence. Le verdict, quel qu’il fût, devait douloureusement frapper l’un ou l’autre… »
  282. Histoire de ma Vie, IV, p. 224.
  283. Nous parlons ici de la seconde version de Lélia, c’est-à-dire du roman tel qu’il a été réimprimé en 1839 et imprimé dans les œuvres complètes de George Sand, version qui est restée définitive. Voir plus loin, ch. XI.
  284. Souvenirs littéraires d’Édouard Grenier. Revue bleue, du 15 octobre 1892.
  285. Lettre du vicomte de Spoelberch dans l’Intermédiaire des chercheurs et curieux, du 20 novembre 1892, dans l’article du docteur Cabanès, réimprimé ensuite dans un supplément de l’Indépendance Belge, du 8 décembre 1892.
  286. Les Lundis d’un Chercheur, par le vicomte de Spoelberch de Lovenjoul. Lettres inédites de George Sand, Paris, 1894. Calmann Lévy.
  287. Voir plus loin, p. 104.
  288. Note de 1895. Dans ses lettres inédites à Sainte-Beuve, du 20 janvier et 6 février 1861. Note de 1898. Maintenant ces deux lettres sont publiées dans le livre du vicomte de Spoelberch, dont nous avons parlé et dans les Lettres de George Sand à Musset et à Sainte-Beuve.
  289. Nous disions encore à cet endroit de notre chapitre, lors de sa publication dans une revue en 1895 : « J’ai eu la possibilité de prendre connaissance de la correspondance complète de G. Sand avec Sainte-Beuve et d’y lire ce désir écrit de sa propre main de publier ses lettres à Alfred de Musset pour mettre au moins fin aux trois principales Modèle:Tiret2 portées contre elle. Je dois ajouter ici que l’enquête que j’ai faite chez ses amis et ses parents et la vérification des documents conservés dans plusieurs archives ont entièrement confirmé ce vœu de George Sand… » Depuis lors les personnes qui s’intéressent à la question, ont pu s’en convaincre par une lettre de George Sand à Émile Aucante, publiée par celui-ci, et qui sert, pour ainsi dire, d’introduction à ses lettres à Musset, mises en ordre par elle-même et imprimées d’abord par M. Émile Aucante en 1896 dans la Revue de Paris.
  290. Pauline Viardot a dit une fois, en parlant à un de nos amis, que le regard de Musset était « très arrogant, repoussant même, surtout quand il regardait les femmes, parce qu’il avait les paupières rouges, sans cils, et qu’il n’avait pas de sourcils. Souvent il vous regardait si fixement que cela frisait l’insolence et le cynisme… » C’est ce que confirme d’une manière très intéressante cette description de l’extérieur du poète Sténio dans Lélia : « Ses yeux dépourvus de cils n’avaient plus cette lenteur voilée qui sied si bien à la jeunesse. Son regard vous arrivait droit au visage, brusque, fixe et presque arrogant… » (Lélia, 3Modèle:E partie, ch. Modèle:Sc.) Nous avons déjà mentionné plus haut cette ressemblance du portrait de Musset, fait par Modèle:Mme Viardot avec celui de Sténio, fait par l’auteur de Lélia.
  291. Le frère biographe dit : « Tour à tour, laborieux et dissipé, il travaillait avec une ardeur incroyable, pourvu que rien ne vînt le distraire, car une fois le travail achevé ou interrompu, le poète redevenait dandy. Ses amis, plus riches que lui, l’enlevaient trop souvent à ses livres. D’ailleurs, il ne se cachait pas de ses goûts aristocratiques. Tous les endroits consacrés à la fashion exerçaient sur lui un attrait irrésistible. C’était l’Opéra, où il avait ses entrées, le Théâtre-Italien, le boulevard de Gand, le Café de Paris, où se réunissaient des hommes fort distingués, mais sans aucun lien entre eux que celui de l’habitude. On jouait gros jeu : on faisait des parties de plaisir d’une durée illimitée, des gageures insensées dont il fallait remplir les conditions à la rigueur, dût-on s’y casser le cou. La devise de l’endroit était : Pas de quartier ! Un soir, on apprit qu’un des habitués de la réunion ne viendrait plus. Le bruit courut qu’il avait pris avec lui même l’engagement de se brûler la cervelle le jour où il aurait perdu où dépensé son dernier louis et que, ce moment venu, il s’était tenu parole avec un sang-froid et un courage dignes d’une action meilleure. Ce lugubre épisode ne fut pas étranger à la conception de Rolla. Pour se mouvoir à l’aise sur un terrain si dangereux, il ne suffisait pas d’un habit à la mode, il fallait encore que la poche fut bien garnie, et quand ce lest indispensable lui manquait, le jeune dandy avait par bonheur, assez de raison pour retourner au travail ». (Notice biographique sur A. de Musset par Paul de Musset.) Aux pages 216, 217, 218, 219, 221, 239 de la Biographie, nous trouvons pourtant des indications un peu différentes, montrant qu’Alfred de Musset ne s’inquiétait pas beaucoup de ses dettes, ni de leur payement et que même l’argent qu’il prenait en avance chez son éditeur ne pouvait pas le faire travailler. D’un autre côté Modèle:Mme de Janzé raconte dans son petit ouvrage Études et récits sur Alfred de Musset, que quand Alfred était à court d’argent, il déjeunait ou dînait dans quelque méchant petit restaurant et qu’ensuite, son cure-dents à la bouche, il allait sur le boulevard de Gand, avec la figure d’un homme sortant d’un dîner fastueux. Ce trait curieux caractérise parfaitement le cercle que fréquentait Musset, ainsi que ses prétentions à lui.
  292. Paul Lindau. Alfred de Musset.
  293. Note à la page 18 de la Notice biographique sur Alfred de Musset.
  294. Ces paroles se trouvent dans un fragment des œuvres posthumes donné par P. de Musset à la page 241 de la Biographie.

  295. « Puisez en pleine vie humaine ; chacun la vit ; peu la connaissent,
    et là où vous l’empoignez, — c’est là que c’est intéressant »…
  296. C’est l’expression d’Alfred de Musset sur lui-même.
  297. Paul de Musset, Biographie d’Alfred de Musset, p. 360.
  298. Paul Lindau. Alfred de Musset, p. 63.
  299. « Œuvres posthumes, avec lettres inédites et Notice biographique par son frère. » T. X des Œuvres complètes de Musset, Modèle:In-8°, 1866, Charpentier, p. 271.
  300. Paul de Musset. Biographie d’Alf. de Musset, p. 340-341.
  301. Paul de Musset. Biographie d’Alf. de Musset, p. 366.
  302. Paul de Musset. Biographie d’Alfred de Musset, p. 93.
  303. Expression de Musset.
  304. Il en existe une excellente reproduction gravée sur acier par Robinson et une très mauvaise lithographie par Lassalle. L’original appartient à la fille de George Sand, Modèle:Mme Solange Clésinger.
  305. Maxime Ducamp. Souvenirs littéraires. Revue des Deux-Mondes, 1881.
  306. Note de 1895. La lettre a paru pour la première fois dans les Portraits contemporains de Sainte-Beuve. Modèle:Mme Arvède Barine en a reproduit une partie. L’original, daté du 11 mars 1833, est entre les mains de M. de Spoelberch. Note de 1898. La lettre fait aujourd’hui partie de la collection des lettres de George Sand à Sainte-Beuve, éditées par Lévy.
  307. Le récit souvent répété (entre autres par Brandès et bon nombre d’écrivains crédules russes), d’après lequel Buloz aurait fait faire à Musset la connaissance de George Sand dans un but purement pratique, espérant que des amours des deux poètes naîtraient des ouvrages précieux pour sa revue, ce récit est à ranger parmi les légendes, qui ne méritent pas la peine d’être réfutées.
  308. Jules Levallois, Souvenirs littéraires. Revue Bleue. 19 janvier 1895, Sainte-Beuve, assure par contre, que le dîner avait eu lieu chez Lointier et que Musset n’y avait pas assisté. V. Portraits contemporains, t. I, p. 508.
  309. Biographie d’Alfred de Musset, p. 119.
  310. Nous empruntons ces détails à l’article plein d’intéressants documents, publié par Maurice Clouard : « Alfred de Musset et George Sand Notes et documents inédits. » (Revue de Paris, 15 août 1896.)
  311. Arvède Barine. Alfred de Musset, p. 58. Ces deux lettres sont maintenant imprimées dans le volume de M. Mariéton.
  312. À présent cette lettre est imprimée en entier dans la Revue de Paris et dans le volume des Lettres à Sainte-Beuve, publié chez Lévy.
  313. La Correspondance récemment publiée du célèbre écrivain russe avec sa fiancée (plus tard sa femme) a excité un intérêt général en Russie.
  314. Voir : Questions d’art et de littérature.
  315. Nous n’ajoutons foi qu’à ce que Paul de Musset dit de cette époque dans la Biographie, en laissant de côté le tableau qui en est fait dans Lui et Elle, où certains biographes et critiques ont pourtant puisé des détails pittoresques sur la vie que menaient alors Musset et George Sand. Dans le roman dont nous parlons, ces détails sont certes pleins de verve et de coloris et peignent bien la vie de bohème des deux poètes. Néanmoins, on ne doit pas oublier que c’est là une œuvre d’imagination et non d’histoire.
  316. Plus tard cette « Lettre » fut réimprimée dans les Œuvres complètes de George Sand, au cours du volume les Sept Cordes de la Lyre. La lettre fait aussi partie du n° III de ses Impressions et Souvenirs.
  317. Le roman a été écrit et imprimé en 1837. La préface fut écrite en 1853 pour l’édition des Œuvres de George Sand, publiées chez Hetzel avec illustrations de Tony Johannot et de Maurice Sand.
  318. Cette lettre imprimée d’abord dans le Temps, fait partie du volume Impressions et Souvenirs des Œuvres complètes, où elle porte le n° XX.
  319. Cette lettre, datée du 25 mai 1836, est imprimée dans la Correspondance de George Sand, mais sans ces lignes sincères et importantes au point de vue biographique. Nous en donnons un fragment plus loin.
  320. On ne trouve que quelques fragments de cette lettre dans l’ouvrage de Modèle:Mme Barine. L’original appartient à M. de Spoelberch. Le paragraphe que nous venons de citer fut imprimé d’abord dans les Portraits contemporains ; la lettre tout entière a paru maintenant dans la Collection des Lettres à Sainte-Beuve.
  321. Dans sa lettre à Modèle:Mme Dupin, datée de : « Jeudi, décembre, 1833 ». (Correspondance, t. I), elle écrit : « Je pars ce soir », et dans une lettre inédite à son mari, du « mardi, 11 décembre », elle écrit, qu’elle partira « jeudi », ce qui indique qu’elle est partie de Paris le jeudi, 13 décembre.
  322. Biographie d’Alfred de Musset, par Paul de Musset.
  323. Correspondance, t. I, p. 256.
  324. Voir le chapitre Modèle:Sc.
  325. Dans l’exposition de ce fait la partialité de Lindau éclate de nouveau aux yeux. Il dit : « Deux natures toutes différentes s’étaient heurtées : d’un côté, un jeune homme passionné, effréné, qui disposait sans ménagement de sa santé, de sa cassette et de son génie, sans se soucier de savoir comment ça finirait, et qui, dans la fumée de l’entraînement et des plaisirs, allait au hasard sans savoir où (ziellos dahintaumelte) ; de l’autre, une femme modérée, calme, un peu pédantesque, qui, chaque soir, vérifiait sa caisse et pensait au moyen de la remplir dès qu’elle la voyait diminuer, et qui se possédait assez elle-même pour se mettre en tout temps à sa table de travail et écrire le nombre de pages voulu, une femme que rien ne pouvait arracher à ce travail et qui pouvait résister à toutes les tentations… » Lindau confond ainsi dans une même phrase deux choses complètement différentes, mais toutes deux faisant honneur à George Sand : son amour du travail, — vrai travail d’artiste entièrement voué à son œuvre, — et la nécessité de vivre de ce travail en tenant ses comptes, vérifiant sa caisse et s’inquiétant de savoir comment elle payerait ses divertissements, alors que Musset, lui, s’en souciait fort peu. Confondre ces deux choses et en parler d’un ton railleur ne fait nullement honneur ni à la pénétration ni à la probité littéraire de Lindau. Mais le désir de rejeter sur George Sand la responsabilité de toutes les peccadilles de Musset ; porte Lindau à un véritable jeu de mots, en sorte qu’il devient difficile de saisir ce qu’il veut dire à la page suivante, que nous reproduisons en entier : « A. de Musset voulait user de la vie et en jouir au moment donné, George Sand qui, à beaucoup d’autres qualités, joignait encore celle d’être une bonne et soigneuse ménagère, bien économe, voulait faire quelque chose qui fût bien (rechtschaffenes), gagner de l’argent et réunir des matériaux pour ses travaux futurs. Il voulait courir le monde sans aucun but, elle voulait travailler selon le plan qu’elle s’était formé. À la fin des fins, il alla son chemin, elle resta à la maison. Seul, il devint triste, il se mit à chercher la société que l’on trouve toujours facilement, celle des chanteuses et des danseuses, pour la plupart d’une réputation douteuse, avec lesquelles il fit connaissance par l’entremise du consul de France à Venise, société joyeuse, amusante, dans laquelle il s’oubliait, et, en tout cas, plus agréable que celle qu’il trouvait auprès de son amante, taciturne, glaciale (?) appliquée au travail, et qui, lorsqu’il lui fallait travailler, fermait momentanément sa porte même à l’amour. Il passait ainsi gaîment son temps. Gaîment ? Nous n’en savons rien. Au fond de son âme, il était tout à fait démonté. Il était mécontent de sa bien-aimée. Il trouvait injuste que grâce à ses calculs pédantesques — c’est ainsi que lui paraissaient les motifs qui l’enchaînaient à sa table de travail — elle l’abandonnât à son sort. Il lui pesait de n’avoir pas la consolation d’avoir à côté de lui une complice de sa faute. Il s’irritait contre lui-même, car il voyait qu’il agissait mal. Au milieu de sa vie de débauche et de ses soupers joyeux, il devait se souvenir de l’amie consciencieuse qui, dans sa petite chambre et à la clarté de sa lampe, était assise à son travail, tandis que lui passait dans les plaisirs une nuit après l’autre. Rien ne nous rend si injuste à l’égard des autres que la conscience de n’avoir pas rempli notre devoir. Aussi, quand, moralement abattu, il retournait au logis fort tard dans la nuit et qu’il retrouvait son amie encore en train de travailler, ou qu’il entendait de la chambre voisine la respiration égale de son sommeil, sentait-il l’impérieuse nécessité non seulement de s’accuser lui-même, mais encore le besoin d’en vouloir à celle qui lui donnait l’occasion de s’accuser ainsi. Pour mettre sa conscience en paix, il s’asseyait parfois à table au milieu de la nuit et écrivait quelques heures sans s’arrêter. Mais le travail ne lui donnait aucune joie et il accusait amèrement celle qui lui paraissait coupable de ce travail sans plaisir… » Positivement, il est difficile de s’expliquer à quoi tend ici Lindau, Tantôt il a l’air d’approuver George Sand, tantôt il trouve que c’eût été mieux si elle s’était amusée à souper gaîment et à s’étourdir avec Musset. Ce dernier, selon lui, ne se serait pas alors chagriné et n’eût pas recherché la société des danseuses, n’aurait senti aucun remords de conscience et aurait eu « une complice », etc. Il ressort de ce que Lindau dit ensuite — en ajoutant foi aux paroles de Louise Colet prises dans Lui — qu’il rejette déjà uniquement sur George Sand tous les désaccords et les querelles qui survinrent postérieurement, et dont il attribue principalement la cause à sa manière de traiter maternellement Musset, ce qui donnait au poète des rages blanches et fut le coup de grâce qui le jeta dans les bras des courtisanes. Il est généralement reçu de s’attacher à ce côté maternel de George Sand. Les uns en font l’éloge, d’autres le blâment. Si George Sand, dans sa vieillesse, fût vraiment une mère à l’égard de plusieurs de ses jeunes amis comme Flaubert, Plauchut, Amic, si elle devint maternelle à quarante ans passés, lors des dernières années de sa vie commune avec Chopin, alors malade, il est à présumer que, dans les premières années de sa jeunesse, elle était bien loin d’être maternelle avec ses amants, et en cela il n’y a rien d’étonnant, rien qui mérite la louange ou le blâme. Si plus tard elle s’est imaginé qu’elle l’avait fait, elle s’est trompée elle-même de bonne foi. Dans sa correspondance avec Musset, on ne trouve de son côté rien de maternel, et Musset n’a pas l’air de s’en plaindre. Nous croyons que Modèle:Mme s’est éloignée ici de la vérité, — ce qui lui est du reste arrivé assez souvent, — et Lindau a tort de répéter les paroles des autres.
  326. a). Lettres inédites à son fils, à sa mère et à Boucoiran, des 25, 28 et 29 janvier 1834. b). Histoire de ma Vie, t. IV, p. 186-188. Elle y dit qu’après la fièvre qu’elle avait eue à Venise, elle a souffert toute sa vie de violentes migraines.
  327. Le même fait est raconté par M. Plauchut dans ses intéressants articles intitulés : Autour de Nohant, publiés dans le Temps (5, 6 et 7 septembre 1891), et réunis maintenant en volume (Lévy, 1898).
  328. C’est là une erreur sans doute involontaire que M. Plauchut commet aussi dans le Temps en nommant André et Teverino. Teverino n’a paru que onze ans plus tard, en 1845. Une lettre inédite à Boucoiran nous apprend qu’à Venise George Sand avait travaillé au Secrétaire intime (elle en fait mention le 28 janvier). Le 7 mars elle parle d’André, de Jacques qui est promis à Buloz pour le mois de mai, et de Leone-Leoni. Enfin, à Venise aussi, ont été écrits Mattea et les premières Lettres d’un voyageur.
  329. On voit déjà dans la lettre du 28 janvier qu’elle travaillait énormément. Le 4 février elle écrit : « Je m’échine à le satisfaire… Je crève de travail… »
  330. Lettres inédites.
  331. Maxime Ducamp, dans ses intéressants Souvenirs littéraires, raconte une conversation qu’il a eue avec George Sand en 1868. Elle lui disait entre autres choses que son ambition était de « posséder 3 000 livres de rente ? Je fis un bond : « Comment, vous, George Sand, vous ne les avez pas ? » Elle répondit : « Non, j’ai gagné beaucoup, beaucoup d’argent, je l’ai dépensé ; j’en aurais gagné davantage, je l’aurais dépensé de même. » Elle eut alors un sourire mâle, où l’orgueil de la domination exercée, le sentiment d’une supériorité acceptée, se mêlaient à une expression de mépris, dont la cause n’était pas difficile à deviner : elle ajouta : « Je ne regrette rien ! » Ce fut un éclair…
  332. Correspondance de George Sand, t. I, p. 262.
  333. Ce fragment de la lettre du 4 février est cité aussi (avec des coupures) par Arvède Barine.
  334. Arvède Barine, p. 65.
  335. Il a été beaucoup parlé dans la presse de la maladie de Musset que personne, à commencer par le médecin, n’a jamais osé appeler de son vrai nom. Le médecin l’a poliment appelée « fièvre typhoïde », mais en réalité, c’était le « delirium tremens », effet final de la vie de débauches de Musset.
  336. Il est mort quand notre travail était déjà fini, au printemps de 1898 âgé de plus de quatre-vingt-dix ans.
  337. La notice du rédacteur et la lettre de Pagello ont paru en 1881 dans le Figaro, mais Modèle:Corr altérées et mal traduites.
  338. Modèle:Mme, il est vrai, a publié dans son livre, sans toutefois indiquer la source, une partie du journal de Pagello réimprimée maintenant presque en entier dans le livre de M. Marieton. Mais Pagello a déclaré que tout ce que Modèle:Mme écrivit sur son compte était fantastico. Il est vrai aussi qu’en 1881, M. Cambiano a raconté sur George Sand, à R. Barbiera, quelques détails qu’il dit tenir du Modèle:Dr. Cependant celui-ci lui-même n’a rien fait imprimer. Il y a deux ans, le Modèle:Dr a publié à Paris, sous le titre : Déclaration d’amour de George Sand une des lettres de George Sand dont il avait eu copie par le fils de Pagello. Le récit de son interwiew avec Pietro Pagello, qu’il y a ajouté, éclaircit plusieurs détails relatifs au séjour de Pagello à Paris et à sa rupture avec George Sand. Les amis de George Sand en France, révoltés par ces articles, répondirent par bon nombre de lignes dures et injustes à l’adresse du Modèle:Dr. L’antagonisme national, semble-t-il, entrait pour beaucoup dans cette hostilité, et le lecteur impartial, tout en restant dans la vérité, peut, sans porter préjudice à la mémoire de George Sand, rendre justice à la manière d’agir de Pagello. La seule chose que l’on puisse lui reprocher, c’est de ne pas avoir été fidèle à sa première décision et d’avoir permis à son fils de donner au Modèle:Dr la copie de la Déclaration d’amour. Mais d’un autre côté, il nous semble impossible d’exiger d’un homme vivant, et encore plus de son fils, qu’il reste absolument insensible aux fables qui se colportent sur son compte et sur celui de la femme autrefois aimée. Selon nous, il ne pouvait répondre autrement aux questions directes qu’on lui adressait qu’en disant la vérité dans toute sa simplicité. Quant à la Déclaration, c’est une des plus belles pages qui soient jamais sorties de la plume de George Sand, et ses amis n’ont qu’à se réjouir de la savoir publiée. Nous ne pouvons comprendre non plus pourquoi, aussitôt qu’il s’agit de défendre George Sand contre de fausses accusations, il faut absolument accuser quelqu’un et, si ce n’est Musset, du moins Pagello. Nous insistons encore une fois sur la nécessité d’abandonner ce procédé de procureur dans les questions psychologiques.
  339. Note de 1895. — C’est dans ce but que George Sand écrivit à Sainte-Beuve les lettres du 20 janvier et du 6 février 1861, dont nous avons déjà plusieurs fois fait mention, et dont nous aurons encore à parler en détail. Dans la lettre du 6 février, George Sand proteste surtout « contre trois horribles choses », et en premier lieu contre l’accusation « d’avoir donné le spectacle d’un nouvel amour aux yeux d’un mourant ». La lettre sera bientôt publiée.
    Note de 1898. Depuis 1895, les lettres à Musset ont été publiées par M. Aucante, de même que les deux lettres à Sainte-Beuve, d’abord dans le livre du vicomte de Spoelberch, puis dans le volume de Lévy.
  340. M. Maurice Clouard, quoique partisan de Musset, a eu le courage d’être impartial en énonçant l’opinion suivante, en tout analogue à la nôtre : « Mais c’est Paul de Musset et non Alfred qui a écrit cela, et pas une ligne d’Alfred ne fait allusion à ce fait ; il reproche bien des choses à sa maîtresse, mais jamais cela. Il ne nous paraît guère possible d’admettre que George Sand épuisée par les veilles, malade elle-même, se soit donnée à un autre homme sous Les yeux de celui qu’elle soignait avec un dévouement sans bornes. Toute sa vie elle a protesté là contre ; elle s’est défendue, non pas d’avoir été la maîtresse de Pagello, mais de l’être devenue dans des circonstances que voilà. Je parle du fait matériel et non de la « déclaration », adressée par elle à Pagello et signalée récemment par le docteur Cabanès… » — M. Mariéton donne dans son livre la fameuse « page dictée », mais elle est écrite, répétons-le, par Paul de Musset !…
  341. En réalité c’était au commencement de janvier.
  342. Modèle:Lang 16 nov. 1877.
  343. Dans l’Histoire de ma Vie, George Sand dit qu’elle connût pour la première fois à Venise « d’atroces douleurs de tête qui se sont installées depuis lors dans mon cerveau en migraines fréquentes et souvent insupportables ».
  344. Modèle:Lang écrite le lendemain de celle de Pagello, le 17 nov. 1887. La lettre contient de très intéressants et sympathiques détails sur le Modèle:Dr, homme fort honnête, fort sérieux et très sévère envers lui-même. Il y est dit entre autres que deux mois auparavant, ce travailleur infatigable de quatre-vingts ans, toujours dévoué à la science, s’était blessé au doigt lors d’une opération qu’il faisait à un malade et que le doigt est resté paralysé.
  345. Ce n’était pas le Modèle:Dr, comme on l’a plusieurs fois affirmé, mais le Modèle:Dr.
  346. Modèle:Lang
  347. Cette lettre et le récit du Modèle:Dr sont imprimés dans l’Illustrazione Italiana du Modèle:1er mai 1881, dans l’article de Raffaelo Barbiera Una lettera inedita di Giorgio Sand. Le vicomte de Spoelberch en a donné dans le Cosmopolis et puis dans son livre la Véritable histoire, avec la traduction française, le texte italien qui avait été reproduit photographiquement pour lui par les héritiers de M. Minoret. Nous le traduisons sur l’original.
  348. Nous avons déjà dit que par délicatesse et discrétion de médecin le Modèle:Dr n’a pas appelé la maladie de son vrai nom.
  349. Corriere della Sera.
  350. Tous les biographes de Musset, même son frère, même Lindau et la vicomtesse de Janzé sont d’accord, qu’il ne s’est rétabli que grâce aux soins de George Sand et à l’art du médecin. Voir : « Biographie de Alfred de Musset », « Étude et récits sur A. de Musset », « Alfred de Musset ». Voir aussi l’article de Maurice Clouard avec les lettres de la mère de Musset et celles de George Sand à A. Tattet.
  351. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 188.
  352. Il partit le 29 mars 1834, date indiquée sur le passeport.
  353. Expression de Modèle:Mme (voir plus haut).
  354. Le docteur Garibaldi dit : « Modèle:Lang » (En ses jeunes années il était blond, presque roux, très robuste, grand et beau. À présent, âgé de quatre-vingts ans, d’aspect vénérable, il est vigoureux, se lève de grand matin, fait des promenades, peut lire sans lunettes, est d’une humeur toujours gaie ; mais depuis longtemps déjà il est complètement sourd…)
    On voit par tout ceci que c’était physiquement et moralement une nature tout à fait saine.
  355. Arvède Barine en reproduit quelques fragments inédits. Depuis la publication de ce chapitre dans le Messager du Nord de 1895, M. Roche-blave dans son article : Fin d’une légende a donné un fragment de cette lettre, autre que celui publié par Arvède Barine.
  356. Roman d’Alex. Herzen, ayant fait époque en Russie, un des chefs-d’œuvre de la littérature russe.
  357. Célèbre nouvelle de Drouginine.
  358. Roman à thèse de Tchernichevsky, pendant de longues années considéré comme l’Évangile des libéraux russes par rapport aux questions de la morale conjugale.
  359. Dans les lettres à Boucoiran — celle de la Correspondance et l’inédite — G. Sand dit qu’elle l’a accompagné jusqu’à Vicence. D’après l’Histoire de ma Vie et les lettres de Pagello, elle l’aurait conduit jusqu’à Mestre.
  360. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 189.
  361. Nous trouvons dans la lettre du Modèle:Dr au prof. Ercole Moreni l’indication suivante : « Nous partîmes pour Bassano, nous allâmes à la grotte Parolini (près Oliero), à Crespano et revînmes à Bassano… » G. Sand dit à Boucoiran qu’elle « visita encore les bords de la Brenta ».
  362. On voit par une lettre inédite d’Aurore Dudevant à son mari, datée du 6 avril, que le voyage se fit entre le Modèle:1er et le 6 avril. (Maintenant publiée par M. de Spoelberch.)
  363. « Plus tard, nous visitâmes les îles de l’Archipel Vénitien. » dit Pagello.
  364. Paul de Musset. Biographie d’Alfred de Musset, p. 125-126.
  365. Modèle:Mme, la fille du Modèle:Dr raconte que George Sand fut un jour si mortifiée d’avoir été blâmée par Roberto Pagello de ne pas savoir cuire les artichauts, qu’elle lui tricota, — pour le dédommager de ce plat mal préparé — quatre paires de chaussettes. (Paul Mariéton. « Une histoire d’amour, » p. 144).
  366. Arvède Barine, p. 68.
  367. Dans une lettre inédite à M. Dudevant, datée du 30 juillet, George Sand raconte qu’elle a visité les lacs Garda, Iseo, Maggiore, traversé le Simplon, séjourné à Martigny, et fait l’ascension du Mont-Blanc et du Saint-Bernard. Elle décrit la cathédrale et le musée de Milan, les beautés de la nature de l’Italie, l’agriculture en Lombardie. Quant à l’état des voies de communication elle donne raison à son mari qui prétendait que les gouvernements absolus étaient les meilleurs sous ce rapport-là.
  368. La lettre de George Sand à Rollinat, datée de Paris, 15 août 1834, commence par les mots : « J’ai trouvé ta brave lettre du mois d’avril, hier en arrivant de Venise où j’ai passé toute l’année… » Par les lettres à son fils on voit qu’elle se hâtait de revenir à Paris pour le 18 août, jour de la distribution des prix au collège Henri IV. Ce qu’elle dit dans l’Histoire de ma Vie : « Je suis partie de Venise à la fin du mois d’août », n’est donc pas exact. Elle a quitté Venise, dans les derniers jours de juillet.
  369. La lettre a été publiée par M. Hédouin (Yorick) dans l’Homme libre du 14 avril 1877. Elle a été réimprimée dans le Figaro du 28 avril 1882, Des fragments en sont insérés dans les Souvenirs de Grenier et dans le livre de Modèle:Mme. Elle se termine par des vers, qui, comme les cinq sonnets dédiés à George Sand, n’ont été reproduits dans aucune édition des œuvres de Musset. Nous trouvons encore dans le volume des Poésies Nouvelles une pièce de vers que Paul de Musset n’a pas daigné orner d’un titre, car elle se rapporte également à George Sand. C’est celle qui commence par les mots, « Se voir le plus possible… » et ne porte aucune date.
  370. Dans l’Histoire de ma Vie, t. IV, p. 299-300. George Sand explique sa disposition d’esprit à cette époque par une maladie de foie et s’efforce d’atténuer l’impression que produisent les Lettres d’un Voyageur. Il serait plus juste de dire que la maladie de foie que George Sand avait héritée de sa mère s’était alors aggravée par suite de ses malheurs.
  371. Lettre inédite.
  372. Lettre inédite.
  373. Pendant toute cette période, George Sand tint une sorte de journal, dans lequel elle s’adresse parfois directement à Musset. (Nous avons eu occasion de le lire.) Ces feuillets ne lui furent remis qu’après leur rupture définitive. Ce sont des pages merveilleuses comme style, merveilleuses de passion et de sincérité. Il en existe plusieurs copies dans des archives privées. Nous y reviendrons plus loin.
  374. Note de 1893 : Lettre inédite.
    Note de 1898 : Depuis la publication de ce chapitre dans le Messager du Nord (novembre, décembre 1895), cette lettre fut publiée par le vicomte de Spoelberch dans son livre la Véritable histoire.
  375. Depuis la publication de ce chapitre en russe, cette lettre fut publiée par M. Clouard dans son article « Alfred de Musset et George Sand » (Revue de Paris, 1896).
  376. Note de 1895 : Lettre inédite.
    Note de 1898 : Un fragment s’en trouve aussi dans le livre de M. de Spoelberch.
  377. Arvède Barine, le vicomte de Spoelberch, MM. Mariéton et Rocheblave en ont d’ailleurs cité des fragments.
  378. Lettre inédite. Arvède Barine en donne aussi des fragments qu’elle date du 14 mars.
  379. Nous ferons remarquer en passant, que, lorsque George Sand était encore à Venise, et que Musset se trouvait déjà à Paris, Boucoiran et Musset y arrangeaient ensemble ses affaires d’argent et celles avec Buloz.
    Voir les lettres inédites de George Sand du 9 mai, des 20 et 27 juin 1834.
  380. Paul de Musset, qui, dans la suite, s’est efforcé de toutes les manières de rabaisser le rôle que George Sand et son amour avaient joué dans la vie de son frère, a essayé, mais sans succès, de démentir l’authenticité de cette lettre. C’est celle qui fut imprimée par M. Hédouin dans l’Homme libre et que nous avons déjà citée. Voir plus haut, p. 93.
  381. « Mémoires épisodiques d’un vieux chansonnier saint-simonien » par Pierre Vinçard. (Paris, Dentu et Grassart, 1878.)
  382. Ni Paul de Musset, ni les autres biographes hostiles à George Sand ne font mention de ces entrevues amicales. Arvède Barine seule fait exception. La lettre entière est publiée par Modèle:M. Spoelberch.
  383. Avec Lindau, nous ne pouvons ajouter foi à ce qu’un auteur inconnu raconte sur Musset et George Sand dans le petit journal Daheim (n° du 26 mars 1865). On ne peut non plus prendre en considération les biographies peu sérieuses que nous donnent Mirecourt et Kertbeny, lesquelles ne contiennent que des bavardages et des racontars empruntés à d’autres.
  384. On trouve à ce sujet des détails assez curieux dans les lettres inédites de la comtesse d’Agoult.
  385. D’après Paul de Musset, Alfred les aurait remis à Modèle:Mme Jaubert dans le but de se garantir contre les demandes de restitution de George Sand. Cette assertion doit être une erreur, car le lendemain même Musset les remit à M. Papet.
  386. Biographie de Alfred de Musset, par Paul de Musset. Note à la page 123.
  387. Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, du 20 novembre 1892. Lettre de M. Maurice Clouard au docteur Cabanès. L’histoire de cette correspondance est exposée avec beaucoup de finesse et d’équité dans le livre du vicomte de Spoelberch, Véritable histoire, où cet éminent écrivain encadre une foule de lettres et de documents inédits et précieux, — de commentaires délicats et judicieux et d’observations historiques d’un goût sûr.
  388. Il est à regretter que ce livre soit si répandu. Souvent des personnes qui n’ont lu aucune lettre de Musset ou de George Sand, et qui ne connaissent pas une seule de ses biographies sérieuses, ont cependant lu Lui et Elle et s’imaginent qu’ils connaissent les faits de l’histoire de George Sand et de Musset. Nous osons leur assurer qu’ils ne connaissant que la légende.
  389. Tous ceux qui connaissent les vrais rapports qui ont existé entre les frères Musset, et la vraie cause de leur inimitié, etc., savent trop bien et ont su, avec George Sand, que le rôle d’ami dévoué et d’avocat chevaleresque que Paul endossa après la mort d’Alfred, et la soi-disant défense de sa mémoire contre George Sand — s’expliquent, hélas ! très prosaïquement.
  390. Propres paroles de Musset lui-même tirées de sa lettre de 1834, citées plus haut.
  391. Il paraît que c’est à cette époque qu’elle avait permis à la fille de Modèle:Mme, Modèle:Mme, de copier quelques lettres de Musset. C’est de là que proviennent probablement : 1° les lettres citées par Grenier dans ses Souvenirs, 2° la lettre qui, en 1877, a été imprimée dans l’Homme libre et déjà mentionnée plusieurs fois plus haut, et enfin 3° les fragments en vers et en prose donnés par Ducamp dans ses Souvenirs littéraires.
  392. Comme on le voit par la lettre de George Sand à M. Aucante, servant de préface aux lettres à Musset publiées en volume, ce fut d’abord Louis Maillard, auteur du Voyage à l’île de la Réunion, qu’elle désigna comme troisième exécuteur testamentaire. (George Sand avait, comme on le sait, consacré un article à ce livre de Maillard.) Après sa mort, Dumas, conformément au paragraphe 6 de la lettre à M. Aucante, choisit M. Parfait. Aujourd’hui M. Aucante est le seul survivant des exécuteurs testamentaires primitifs.
  393. Nous osons affirmer que nous avons lu tout ce qui a paru à ce sujet, en 1881, dans la presse française. C’est un tas incroyable de journaux et d’articles, dont seule l’énumération prend une place considérable dans notre liste bibliographique de tout ce qui a été écrit sur George Sand, qui se trouve en appendice à la fin de cet ouvrage.
  394. Paul de Musset a publié cette pièce dans la Revue des Deux-Mondes (Modèle:1er novembre 1878) en l’accompagnant de quelques commentaires et en y joignant la reproduction d’une page d’Indiana corrigée par Musset. Paul de Musset assure que la poésie se rapporte à l’année 1836, tandis qu’elle date de 1833 comme nous l’avons vu par ce qui précède (voir plus haut, p. 39).
  395. Elle a été trouvée dans les papiers de Modèle:Mme.
  396. Ces deux sonnets ont été trouvés parmi les papiers de de Vigny et ont été imprimés par Louis Ratisbonne dans la Revue Moderne, 1865.
  397. Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, 1891, 10 octobre.
  398. George est dans sa chambrette.
    Entre deux pots de fleurs
    Fumant sa cigarette
    Les yeux baignés de pleurs… etc.

    (Alfred de Musset et George Sand, par Maurice Clouard) (Revue de Paris du 15 août 1896).
    Modèle:M. a cité les trois couplets qui manquent chez Modèle:M. et où figurent Guéroult, Papet et la bonne de George Sand, Modèle:Mme.

  399. M. Mariéton lui-même a trouvé nécessaire de réfuter sur ce point Paul de Musset ; son opinion est tout à fait conforme à la nôtre.
  400. (Voir Lettres d’un Voyageur, p. 142-143 édit. Michel Lévy.) Notre livre était déjà écrit lorsque nous avons eu l’occasion de causer de cela avec le vicomte de Spoelberch, et c’est avec le plus grand plaisir que nous avons appris que M. de Spoelberch a entre les mains des preuves confirmant qu’il en est effectivement ainsi, c’est-à-dire qu’il est bien ici question de Musset. Depuis lors, M. de Spoelberch a publié dans le Cosmopolis et dans sa Véritable Histoire des renseignements et des faits très intéressants qui prouvent que George Sand a beaucoup travaillé avec Musset et pour Musset. Ainsi, par exemple, elle a terminé pour lui Faire sans dire destiné à un recueil littéraire, le Dodécaton. Durant la vie de Musset, cette pièce n’a fait partie d’aucun recueil de ses œuvres, ce qui se comprend facilement, une fois que la pièce n’a pas été faite par lui seul.
  401. Malgré toute la valeur de son étude, elle pèche cependant par quelques défauts. Sans parler de l’anecdote rapportée plus haut, concernant les raisons qui avaient engagé Buloz à mettre en relation Musset et George Sand, ni de ce que Brandés dit que lors de son voyage en Italie, Musset avait vingt-deux ans et elle vingt-huit (tandis qu’il en avait vingt-trois et elle vingt-neuf), Brandès commet des erreurs et des inexactitudes bien plus sérieuses. Il dit entre autres : « Dans l’abîme qui s’ouvrit soudain entre eux, elle précipita son laisser-aller d’écrivain, ses tirades, son manque de goût, son costume d’homme. Depuis lors elle devint une femme complète, une nature complète : dans le même gouffre Musset plongea son costume de bouffon, son insolence provocante, son admiration pour Rolla, son entêtement de gamin et devint dès lors un homme complet, un esprit complet. » Hélas ! ce ne sont là que de belles phrases : 1° Modèle:Mme portait encore son costume d’homme en 1836 en Suisse, sans parler de l’hiver et du printemps de 1835 à Paris ; 2° nature complète, elle l’avait toujours été dès son enfance même ; 3° il reste à se demander où l’on trouve une absence de goût plus prononcée : dans Lélia ou dans la Comtesse de Rudolstad, les Sept cordes de la Lyre et le Compagnon du Tour de France ? 4° Musset n’a jamais été un homme véritablement complet, il a toujours gardé une âme incomplète ; 5° il n’est pas vrai non plus, comme le dit Brandès, que George Sand l’ait trompé, Musset a toujours affirmé qu’elle ne l’avait jamais trompé et qu’elle avait toujours été vraie ; 6° il n’est pas vrai qu’en dehors de quelques amourettes il fût resté enfant innocent jusqu’à sa rencontre avec George Sand. Certes il en a eu plusieurs de ces amourettes et quelles encore !… Nous devons toutefois reconnaître que les données générales de Brandès sont justes et que son étude est finement et élégamment écrite.
  402. Dans son article Fin d’une légende, M. Rocheblave reproduit une série de fragments et de lettres de Musset (pour la plupart publiées pour la première fois par Mariéton, et d’autres tirées de documents inédits). Il démontre ainsi que George Sand a exercé une influence ennoblissante, purifiante, sur Musset, homme et écrivain. Malheureusement cette influence fut de trop courte durée et n’a pu jouer un assez grand rôle dans la vie de cet homme malheureux, et de ce poète si prématurément silencieux.
  403. Voici ce qu’en dit Lindau : « Dans les deux dernières parties de son roman, Musset développe la même pensée, qu’il avait déjà énoncée dans ses œuvres antérieures : celui qui s’est adonné au vice est incapable de s’en défaire, il sera éternellement sa victime, le vice le privera du bonheur, le tourmentera par le doute, le conduira à l’injustice, le rendra malheureux.
    « Ainsi, Octave n’est pas en état d’apprécier la femme qui l’aime. Sans aucun motif, il tombe en proie à une honteuse méfiance. Il tourmente la pauvre Brigitte, la traite avec dureté et même avec cruauté. Il commence à être jaloux du passé de la veuve et finit par lui reprocher de s’être donnée à lui. De là il tire la piteuse conclusion : « Pourquoi ne se donnerait-elle pas à un autre ? » Tout cela est peint avec un réalisme effrayant, avec une vérité sans bornes. Tout cela est écrit d’après nature. Les sentiments offensants d’Octave, Musset les a éprouvés. Parfois on a l’impression de lire un chapitre de Elle et Lui… »
  404. M. Mariéton cite un fragment d’une lettre de Musset, qui montre combien en fut charmé celui à qui les trois premières Lettres d’un voyageur étaient dédiées, comme il fut saisi d’inquiétude, troublé de la douleur et du désespoir de George Sand dans ces lignes si profondément senties, mais aussi combien il fut fier de savoir que ces belles pages se rapportaient à lui. C’est par son entremise, on le sait, que George Sand, envoya ces Lettres à Buloz en chargeant Musset de les revoir, de les changer, d’y faire des coupures ou de les jeter au feu tout à son aise.
  405. Depuis que le vicomte de Spoelberch a publié dans sa Véritable histoire les merveilleuses pages inédites de George Sand, intitulées « Un roman qui n’a pas été fait » qui contiennent en germe le début de Elle et Lui, on peut se dire que si George Sand, encore toute palpitante d’émotion, avait poursuivi son plan primitif et continué à écrire l’histoire de son roman vécu, cette œuvre serait devenue tout autre chose, et nous aurions eu un Elle et Lui bien différent du roman qui existe.
  406. M. de Spoelberch attire l’attention sur le fait curieux que la phrase la plus célèbre de Perdican, le héros de la pièce (phrase, remarquons-le à notre tour, citée fréquemment comme profession de foi de Musset lui-même dans les biographies étrangères du poète) : « J’ai souffert longtemps, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé ! C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil ou mon ennui », est tout entière empruntée par Musset à une lettre que George Sand lui écrivit de Venise, le 12 mai 1834.
  407. « Et quand je me suis plaint de mes douleurs, vous avez bâillé et vous ne m’avez rien dit ; mais lorsque je les ai mises en jolis vers, vous m’avez adressé de grands éloges… »
  408. Cet épisode pittoresque fut avant l’apparition du roman inséré séparément dans un recueil et fut acclamé avec un grand enthousiasme par le public d’alors.
  409. Voir la lettre de Balzac à {{Mme|Hanska que nous citons dans le chapitre Modèle:Sc.
  410. M. Skalkovsky, dans son article sur George Sand (faisant partie de son livre : « Les femmes écrivains du Modèle:S » (Saint-Pétersbourg, 1865, en russe) assure tout le contraire de la vérité, en disant que le petit Maurice avait été trop ému par la lecture des Maîtres Mosaïstes, « livre peu adapté à la lecture de cet enfant ».
  411. Voir la Correspondance, t. II, p. 73-81. Sur la prière de George Sand, Luigi Calamatta lui avait envoyé des dessins et des descriptions des costumes de la Renaissance. Elle lui écrit peu après : « Lisez dans le prochain numéro de la Revue les Maîtres Mosaïstes. C’est peu de chose, mais j’ai pensé à vous en traçant le caractère de Valerio. J’ai pensé aussi à votre fraternité avec Mercuri. Enfin je crois que cette bluette réveillera en vous quelques-unes de nos sympathies et de nos saintes illusions de jeunesse… »
  412. Modèle:Mme a essayé de le faire dans une brochure consacrée à cette œuvre, qu’elle critique sévèrement au point de vue moral, « À George Sand, sur son romam intitulé l’Uscoque », par Modèle:Mme. Paris, Lemoine, 1839, Modèle:In-8°, 56 pages.
  413. Léon Tolstoï, Anna Karenine.

  414. Une petite abeille volait diligemment çà et là, recueillant le doux
    suc des fleurs.
  415. « Mais le poison je l’y laisse. »
  416. Nous nous permettons de citer quelques fragments des pages de Renan si profondément senties et si belles dans leur simplicité, pages dédiées à George Sand dans ses Feuilles détachées, et qui sont, selon notre opinion à nous, avec l’article de Dostoïevsky et le discours de Victor Hugo, ce qu’il y a de mieux dans tout ce qui a été écrit sur George Sand. Touché de ce que les dernières pages de George Sand eussent trait à lui, de ce qu’il avait été « le dernier à faire vibrer cette âme sonore, qui fut comme la harpe éolienne de notre temps », Renan dit : « Elle eut le talent divin de donner à tout des ailes, de faire de l’art avec l’idée qui pour d’autres restait brute et sans forme… un instrument d’une sensibilité infinie était en elle ; émue de tout ce qui était original et vrai, répondant par la richesse de son être intérieur à toutes les impressions du dehors, elle transformait et rendait ce qui l’avait frappée en harmonies infinies. Elle donnait la vie aux aspirations de ceux qui sentirent, mais ne surent pas créer. Elle fut le poète inspiré qui revêtit d’un corps nos espérances, nos plaintes, nos fautes, nos gémissements. Ce don admirable de tout comprendre et de tout exprimer était la source de sa bonté. C’est le trait des grandes âmes d’être incapable de haïr. Elles voient le bien partout et elles aiment le bien en tout… Sa vie, passée malgré les apparences dans une paix profonde, a été tout entière une recherche ardente des formes sous lesquelles il nous est permis d’admirer l’infini… Modèle:Mme Sand traversa tous les rêves, elle sourit à tous, crut un moment à tous ; son jugement pratique put parfois s’égarer, mais comme artiste elle ne s’est jamais trompée. Ses œuvres sont vraiment l’écho de notre siècle. On l’aimera… quand il ne sera plus, ce pauvre Modèle:S que nous calomnions, mais à qui il sera un jour beaucoup pardonné. George Sand alors ressuscitera et deviendra notre interprète. Le siècle n’a pas ressenti une blessure dont son cœur n’ait saigné, pas une maladie qui ne lui ait arraché des plaintes harmonieuses. Ses livres ont les promesses de l’immortalité, parce qu’ils seront à jamais le témoin de ce que nous avons désiré, pensé, senti, souffert… »
  417. M. Rocheblave, dans sa spirituelle préface aux Pages choisies de George Sand (Paris, 1894, Lévy), est tout à fait dans le vrai en faisant remarquer que ce ne sont pas tant les idées de telle ou telle personne qu’elle prêchait dans ses œuvres, mais les idées générales de l’époque, qui planaient pour ainsi dire dans l’air. Puis il ajoute : « On a parlé de la réceptivité de George Sand, et avec raison. La faculté de s’assimiler et de transformer, tenait chez elle du prodige. Recevoir vite et rendre dix pour un était pour elle comme une fonction naturelle. Mais on n’a pas assez pris garde qu’elle savait repousser aussi fortement qu’elle savait attirer. Son cerveau, comme un vigoureux organisme, élimine dès l’abord tout ce qu’il ne peut convertir en nourriture. »
  418. Histoire de ma vie, vol. IV, p. 207.
  419. Voir Étude sur les dédicaces et les ex-dono, par M. Alexis Martin (Baur, 1877, Modèle:In-8°), ainsi que l’article Quelques dédicaces inconnues dans le Livre moderne, t. I, p. 15.
  420. Voir la remarquable lettre de Sainte-Beuve du 10 mars 1833, publiée dans l’ouvrage de M. de Spoelberch. Il est très curieux de comparer cette lettre avec le fragment de l’article de Sainte-Beuve sur Lélia, du 18 mai de la même année, que nous avons donné en note au chapitre Modèle:Sc.
  421. Voir entre autres sa lettre de juillet 1833.
  422. Elle écrit dans son journal : « C’est trop affreux ! Je ne peux pas croire cela ! Je vais y aller ! J’y vais ! — Non ! — Crier, hurler, mais il ne faut pas y aller. Sainte-Beuve ne veut pas… »
    Et Sainte-Beuve lui-même écrivait à ce moment sur une carte de visite, à Musset : « Je venais vous voir pour vous prier de ne plus voir ni recevoir la personne que j’ai vue ce matin si affligée. Je vous ai mal conseillé en voulant vous rapprocher, trop vite du moins. Écrivez-lui un mot, mais ne la voyez pas, cela vous ferait trop de mal à tous les deux. Pardonnez-moi mon conseil à faux. »
  423. — Voir ch. Modèle:Sc, p. 410.
  424. À cette même époque, elle répétait ceci sur tous les tons à son ami Rollinat dans les Lettres d’un voyageur, et surtout dans celle où se trouve le portrait du juste, extrait d’un de ses cahiers de jeunesse ; elle y pleure amèrement son orgueilleuse confiance en elle-même qui l’a conduite à de si cruelles chutes.
  425. Voir ch. Modèle:Sc, p. 189, et ch. Modèle:Sc, p. 410.
  426. Ces lignes et celles qui suivent répètent donc presque dans les Modèle:Corr termes ce que George Sand dit à Rollinat dans la quatrième Lettre d’un voyageur par rapport aux causes qui la font songer au suicide.
  427. C’est-à-dire le célèbre Almanach du bonhomme Richard, l’œuvre la plus populaire de Benjamin Franklin, qui est comme le code de tous ses enseignements moraux et pratiques. On voit par une lettre inédite de Jules Néraud, que Modèle:Mme avait lu également la Biographie de Franklin en plusieurs volumes.
  428. Louis Blanc, Histoire des dix ans (1841-1844, 3 vol. Modèle:In-8°.)
  429. Histoire, vol. IV, ch. Modèle:Sc et Modèle:Sc, p. 315-374.
  430. Voir les lettres publiées dans la Correspondance des 31 juillet, 7 septembre, 27 octobre, 22 novembre 1830, la lettre à Modèle:Mme datée : « fin de septembre ou commencement d’octobre 1830 » (la Revue Encyclopédique, 1891,) et les lettres de 1831 à son mari en partie inédites, en partie publiées dans le Cosmopolis de 1896 et dans le livre du vicomte de Spoelberch.
  431. Adolphe Guéroult, homme politique, journaliste et économiste, naquit en 1810 à Radepont, et mourut à Vichy en 1872. Il collabora au Globe, au Temps, au Journal des Débats, à la République, à la Presse et fonda l’Opinion nationale. Il fut chargé de plusieurs missions diplomatiques en Espagne, fut consul au Mexique, à Jassy, entra au Crédit mobilier, grâce à ses relations d’antan avec les saints-simoniens, fut d’abord un adversaire de l’Empire, fit ensuite la paix avec lui et devint partisan de la « démocratie césarienne ».
  432. Maxime Ducamp. Souvenirs littéraires, Deuxième partie. (Revue des Deux-Mondes, 15 mai 1882), p. 247.
  433. Voir la lettre à son mari, de février 1831 (Cosmopolis, février 1897).
  434. Voir la Correspondance, t. I, p. 293-297.
  435. Cette lettre datée, dans la Correspondance, t. I, p. 353-358, de mars 1836 se rapporte en réalité au moment où George Sand fit la connaissance de Michel de Bourges, c’est plutôt « avril 1835 » qu’il faudrait y mettre.
  436. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 319.
  437. Dans le n°VII des Lettres d’un voyageur adressé à Liszt, George Sand décrit d’une manière humoristique cet épisode : « Vous souvenez-vous d’Everard… et de mon frère Emmanuel (Arago) qui me cachait dans une des vastes poches de sa redingote pour entrer à la Chambre des Pairs et qui, en rentrant chez moi, me posait sur le piano en vous disant : « Une autre fois vous mettrez mon cher frère dans un cornet de papier, afin qu’il ne dérange pas sa chevelure… » (Lettres d’un voyageur, p. 228-230, édition Lévy.)
  438. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 334.
  439. Charles Didier, écrivain français et collaborateur de la Revue des Deux-Mondes, naquit à Genève en 1805, et mourut à Paris en 1864. Outre la susdite revue, il collabora encore au National, au Monde de Lamennais, etc. Il avait beaucoup voyagé, rempli des missions diplomatiques (entre autres en Pologne). Vers la fin de sa vie il perdit la vue. Ses écrits ont pour la plupart parus d’abord dans la Revue des Deux-Mondes. Ses œuvres les plus connues sont : Rome souterraine et les Lettres sur l’Espagne.
  440. On a omis dans la Correspondance de George Sand tous les passages se rapportant à Michel. C’est ainsi qu’à la page 20 du tome II on devrait lire (nous mettons en italiques les passages tronqués) : « Je suis maintenant avec mes enfants dans la chère Vallée Noire. Michel est en prison à Bourges. J’ai vu Modèle:Mme la veille de mon départ de Paris et je l’ai embrassée pour son fils et pour moi. Je n’ai plus vu personne de nos connaissances. Occupée à soigner le vieux républicain plus malade que jamais, je n’étais presque jamais chez moi. J’ai vu une fois Emmanuel, qui m’a chargée de le rappeler à votre amitié, et qui m’a questionnée avec intérêt sur votre compte. On dit que notre cousin Heine s’est pétrifié en contemplation aux pieds de la princesse Belgiojoso. Sosthènes (de la Rochefoucauld, ami de Liszt et de George Sand) est mort ou il s’est reconnu dans un passage de la lettre imprimée, car je ne l’ai pas revu depuis ce temps-là. Moi, je me porte bien, je suis bête comme une oie ou comme Sosthènes. Je dors douze heures, je ne fais rien du tout… » etc., ainsi qu’il est imprimé. (Lettre du 18 août 1836 à Franz Liszt.)
    Dans l’Histoire de ma Vie, George Sand raconte aussi qu’elle avait soigné le vieux républicain une année auparavant, en 1835.
  441. Voir la lettre à Planet déjà citée, où George Sand raconte que Michel la déclarait digne d’être guillotinée.
  442. Marche au supplice de la « Symphonie fantastique, épisode de la vie d’un artiste ».
  443. Voir plus haut ce que nous avons dit par rapport à ce drame.
  444. Célèbre violoniste et violoncelliste non moins célèbre de l’époque.
  445. On trouve dans le volume édité par La Mara des Lettres à Liszt (Briefe hervorragender Zeitgennossen an Franz Liszt), quatre lettres Modèle:Tiret2 de George Sand, la première est datée de « Paris 9 mai 1834 ». Pourtant en mai 1834, George Sand était à Venise. Cette lettre doit donc probablement dater de mai 1833. On voit par cette lettre qu’alors ils ne s’étaient pas encore vus.
  446. Dans un article de la « Modèle:Lang », Henri Laube avait rapporté quelques phrases de Henri Heine à ce sujet. Plus tard, Heine protesta dans sa Lutèce contre sa propre affirmation ; il dit : « Modèle:Lang ». Ce que nous préférons ne pas traduire.
  447. Le sort de cette noble femme fut fort triste et bien triste aussi la rencontre, quinze ans plus tard, de ces deux êtres jadis pleins d’espoir et d’amour, mais alors brisés et désillusionnés par la vie. C’est sous l’impression de cette douloureuse et vaine rencontre que Liszt écrivit sa romance poétique : « Modèle:Lang »
  448. Lina Ramann. Livre cité.
  449. Comme on le sait, les Saint-Simoniens formulaient ainsi leur doctrine : toute réforme sociale doit avoir pour base « le développement physique, moral et intellectuel de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre », car la société doit reposer, non sur des principes d’inégalité et sur des privilèges établis en faveur d’un sexe contre l’autre, ni sur la prépondérance de certaines classes, et de certaines conditions sociales sur les autres, mais sur le principe du travail général et obligatoire. Dans cette nouvelle société, l’aristocratie sera représentée par ceux qui suivent l’une des trois voies conduisant l’humanité vers l’idéal : les artistes, les savants, les industriels ; de là, l’aristocratie de l’esprit ; de là aussi, la célèbre formule : « à chacun selon sa capacité, à chaque capacité selon ses œuvres. » La propriété, l’hérédité, l’esclavage de la femme seront abolis ; on fondera des associations ouvrières pour réunir les efforts communs pour le bien général ; enfin, on reconnaîtra la légitimité des jouissances physiques à l’égal de celles de l’esprit, et on adorera la beauté à l’égal du génie, car tous les deux émanent de Dieu.
  450. Tel le chapitre Modèle:Sc (absolument semblable à ce que L. Tolstoï a dit dans le Figaro sur le service militaire) ; tels aussi les chapitres Modèle:Sc, Modèle:Sc, Modèle:Sc. Mais en général, ce livre, qui a fait autrefois tant de bruit — cette improvisation sombre, parfois vraiment dantesque ou prophétique, pleine de pages toutes poétiques, de paraphrases de psaumes, d’invocations républicaines — est aujourd’hui vieilli et n’attire plus guère l’attention que par son style et la force de son inspiration. Tous les lettrés en connaissent presque par cœur le célèbre chapitre Modèle:Sc, ainsi que les chapitres Modèle:Sc et Modèle:Sc, qui certes, n’entreront cependant jamais dans un recueil de « pages choisies » !
  451. Esquisse d’une Philosophie ; Paris, Pagnerre, 1840 (4 volumes).
  452. Esquisse d’une Philosophie, vol. III, seconde partie : De l’homme ; livre vII — Industrie ; livres VIII et XIX. — L’art. p. 70.
  453. Ibidem, p. 477.
  454. Esquisse d’une Philosophie, vol. III.
  455. Page 472.
  456. Page 134.
  457. Page 348.
  458. Page 24.
  459. Page 272.
  460. Cette lettre de George Sand, se trouve dans le livre de La Mara : Modèle:Lang, et est datée, d’après elle, du 19 janvier 1835.
  461. Toutes les lettres de Liszt que nous donnons dans les chapitres X, XI, et XII sont inédites.
  462. Expression de George Sand, que l’on trouve dans la septième Lettre d’un voyageur, adressée à Liszt. Nous avons déjà reproduit ce passage de cette lettre dans laquelle George Sand parle de tous ceux qui, pendant le procès d’avril, ont visité son modeste logement quai Malaquais.
  463. « Une Amitié romanesque ; George Sand et Modèle:Mme, » par M. Rocheblave (Revue de Paris, 15 décembre 1894).
  464. Les Lettres d’un Bachelier ès musique ont été imprimées entre 1835 et 1837 dans la Revue et Gazette musicale de Paris, et trois d’entre elles sont adressées à George Sand : la Modèle:1re « intitulée Lettre d’un voyageur (sic) à M. George Sand, fut imprimée dans la Revue et Gazette musicale de Paris, n° 49, p. 397 (1835) : la 2Modèle:E, intitulée : Lettre d’un bachelier ès musique à un poète voyageur et datée de « Paris, janvier 1837 », fut imprimée dans le n° 7 de la 4° année (1837) de cette revue, p. 53. La 3Modèle:E, simplement intitulée Lettre d’un bachelier ès musique, parut dans le n° 29 de cette même année, p. 239.
  465. Lamennais l’invitait à venir faire un séjour à la Chenaie, mais elle n’y est pas allée. (Voir Histoire de ma Vie, t. IV, p. 375-376.)
  466. Voir plus haut.
  467. C’est-à-dire Sosthènes de la Rochefoucauld, qui fut constamment l’objet de moqueries et de calembours dans les lettres de Modèle:Mme, de George Sand et de Liszt.
  468. C’est-à-dire « Modèle:Lang ».
  469. Voir Correspondance.
  470. Des points dans l’original.
  471. Modèle:Mme occupait alors un petit chalet sur le Mont-Salève.
  472. Comparer avec les lettres : à Jules Janin du 15 février 1837, à Liszt du 28 mars, à Scipion du Roure du 13 avril, à la comtesse d’Agoult des 10 et 21 avril de cette même année (Correspondance, t. II) et surtout aux passages qu’on trouve aux pages 49, 55, 62 et 65. « Vous n’imaginez pas, mon ami, quel dégoût m’inspire à présent la littérature (la mienne s’entend). J’aime la campagne de passion, j’ai comme vous tous les goûts du ménage, de l’intérieur, des chiens, des chats, des enfants par-dessus tout. Je ne suis plus jeune. J’ai besoin de dormir la nuit, et de flâner tout le jour. Aidez-moi à me tirer des pattes de Buloz et je vous bénirai tous les jours de ma vie !… » — écrit-elle à Janin le 15 février 1837. « Je suis accablée de travail, soyez assez bon pour faire passer à Buloz le manuscrit que je vous envoie » (à Liszt le 28 mars). « Je ne puis d’ici à deux mois me dépêtrer de Mauprat et d’une nouvelle qui suivra immédiatement pour compléter des volumes… le travail m’écrase, et mes forces ploient sous le faix. » (À Modèle:Mme, le 10 avril.) « Je suis éreintée de travail… » (à Scipion du Roure le 13 avril). « Je me suis embarquée à fournir du Mauprat à Buloz, au jour le jour, croyant que je finirais où je voudrais et que je ferais cela par-dessous la jambe. Mais le sujet m’a emportée loin et cette besogne m’a ennuyée, comme tout ce qui traîne en longueur. De sorte qu’au dernier moment de chaque quinzaine, depuis un mois et demi, me voilà suant sur une besogne qui m’embête, que je fais en rechignant. Je n’ai pas même le temps de dormir et je suis sur les dents !… » (À Modèle:Mme, le 21 avril 1837.)
  473. Lettres de femme. (Revue Illustrée. 1891, n° 123.)
  474. Voir à ce sujet les Mémoires épisodiques d’un vieux chansonnier saint-simonien par Vinrard aîné (Paris, Dentu et Grassart, 1878), ainsi que les articles de Caribert : La dame bleue et George Sand (le Journal « Paris» 10 décembre 1889) et Les étrennes de Maurice Sand (le même journal, 10 septembre 1889). Modèle:Mme, veuve du dernier saint-simonien, prétend par contre que ce fut Vinçard lui-même qui fut chargé de remettre les cadeaux à Modèle:Mme.
  475. Voir chapitre Modèle:Sc.
  476. Lettre du 12 novembre 1835 à Hippolyte Châtiron.
  477. Inédite.
  478. Au chapitre Modèle:Sc, en parlant des excursions de George Sand avec Pagello à Bassano, Parolino, etc., nous avons cité plusieurs passages de la réponse d’Aurore à cette lettre.
  479. Elle voulait sans doute dire par là qu’elle gagnait de 15 à 20 000 francs par an, et qu’elle pouvait dépenser ce produit annuel de son travail sans toucher à son capital.
  480. Alexis Pouradier Duteil ou Dutheil, grand ami de Casimir Dudevant et de sa femme, fut d’abord avocat à la Châtre, ensuite procureur à Bourges et enfin président de la cour d’appel de cette dernière ville. Aurore était, comme nous le savons, aussi très liée avec sa femme, Modèle:Mme, née Mollier.
  481. Correspondance de George Sand, t. I. Lettre à la comtesse d’Agoult, du Modèle:1er novembre 1835 ; — 2° Revue Encyclop. Lettre à Félicie Saint-Agnan datée de 1835 ; — 3° Lettres inédites : à Papet du 20 octobre, à Hippolyte du 4 novembre, à Boucoiran du 17 novembre, à Michel de Bourges de la fin d’octobre 1835 ; — 4° Comptes rendus de la séance de la cour de la Châtre et du Cher dans Le Droit, 1836, Modèle:Nos 240, 242 ; — 5° Histoire de ma Vie, IV, pages 377-385.
  482. T. IV, page 483-97.
  483. Correspondance, I et II.
  484. Revue Encyclopédique.
  485. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 388-389.
  486. Correspondance, t. I.
  487. Voir : Une Amitié romanesque.
  488. Par la correspondance de George Sand avec l’abbé Rochet (voir chap. Modèle:Sc), nous soyons qu’au cours de cet hiver elle ne venait à Nohant que pour quelques heures, pour une journée tout au plus. Ne voulant pas d’abord confier à l’abbé, qu’elle ne connaissait encore que fort peu, les causes véritables de son absence, elle lui écrit de La Châtre… « Je dois pour ne pas vous exposer à m’attendre ou à ne pas me rencontrer, vous prier de m’avertir un jour ou deux à l’avance ; occupée d’un procès grave, je suis souvent en courses dans les environs et je craindrais d’être précisément absente si je n’étais prévenue. Je pense que je passerai chez moi à Nohant, la semaine où nous allons entrer et que je serai absente la semaine suivante, pour revenir chez moi dans quinze jours… » (Lettre du 5 décembre.) Mais lorsque l’abbé, tout en l’ayant prévenue par une lettre du 12 décembre, qu’il y arriverait le 21, vint au jour dit, il ne l’y trouva pas, et elle dut en grande hâte arriver de La Châtre pour passer une soirée en causeries philosophiques avec l’abbé. Elle retourna pourtant immédiatement après chez les Duteil. Et l’abbé, de son côté, ne lui adressa plus les lettres « à Nohant », comme auparavant.
    Par les lettres inédites de Rollinat à George Sand et par une lettre de cette dernière à l’abbé, datée du 11 février, nous voyons qu’elle et ses amis avaient d’abord espéré que la séance du tribunal aurait lieu le 2 février et qu’après le jugement elle pourrait immédiatement reprendre possession de sa maison. C’est pour cette raison que Rollinat lui avait adressé ses lettres à Nohant, mais la séance fut remise au 14, puis au 16 février, — et le 18 février, toujours encore de La Châtre, George Sand écrit à l’abbé qu’elle voudrait bien le revoir (ils se sont vus en janvier à Châteauroux), mais qu’elle ne pourra probablement le recevoir chez elle que dans deux mois — si l’adversaire n’acquiesce pas au jugement, — et elle ajoute : « Je me tiens toujours éloignée de mon ermitage, la personne pouvant y arriver d’un moment à l’autre. »
  489. Correspondance, t. I, p. 321 322. Lettre à la comtesse d’Agoult.
  490. Allusion à un célèbre détail du procès de Marie-Antoinette.
  491. Correspondance, t. I, 372.
  492. Correspondance, t. II. Lettre du 10 juillet 1836.
  493. Voir le chapitre vu de notre livre.
  494. Correspondance, t. II, p. 9.
  495. Correspondance, t. I, p. 372. Lettre à Modèle:Mme.
  496. Correspondance, t. II, p. 25. Lettre à Modèle:Mlle de Chantepie.
  497. Correspondance, t. II, p. 6.
  498. En insérant cette même pièce dans une note à la page 68 de son livre « Trois grandes figures » (Paris, 1898, Ernest Flammarion), M. Stéfane-Pol appelle cette prière « un document inédit ». C’est une erreur, car non seulement cette pièce fut déjà publiée en 1878 dans le Magasin pittoresque (p. 190), mais encore elle est entrée dans les Œuvres complètes de George Sand, dans le volume des Souvenirs de 1848 (p. 205). On a omis dans ce dernier volume les mots que nous donnons entre parenthèses.
  499. Histoire de ma vie, t. IV, p, 400.
  500. Le Droit, 1836, n° 240.
  501. Inédite.
  502. Lettre inédite à sa mère du 30 juillet 1836.
  503. Modèle:1o Le Droit, 12 juillet 1837 ; — Modèle:2o Lettres inédites ; — Modèle:3o Correspondance, t. II ; — Modèle:4o Histoire de ma Vie, t. IV, Modèle:Pg420-423.
  504. Lettre inédite.
  505. Lettre inédite.
  506. Lettre inédite à Modèle:Mlle, élève de Chopin, du 21 mai 1847.
  507. M. Gustave de Gévaudan. George Sand dit dans cette même Lettre avoir rencontré en route encore un autre « vieil ami » qu’elle avait connu « dans un temps orageux de sa vie ». C’était M. Blavoyer, rencontré jadis par elle au Mont-Dore et à Venise.
  508. C’est-à-dire de la comtesse d’Agoult, que dans sa correspondance George Sand appelle encore Mirabella, princesse Mirabelle, simplement princesse ou bien ma belle comtesse aux cheveux blonds.
  509. Adolphe Pictet, un ami de Liszt et de la comtesse d’Agoult, major de l’armée fédérale et écrivain, l’auteur du petit livre : Une course à Chamounix. (Paris, Benj. Duprat, 1838)
  510. Élève de Liszt, Hermann Cohen, plus tard entré dans les ordres, — il fut carme déchaussé, — et connu sous le nom de Père Hermann.
  511. George Sand écrivait plus tard à propos de ce chapitre x : « Les réflexions philosophiques qui terminent l’action de votre conte m’ont vivement frappée. La 5Modèle:E, 9Modèle:E, 19Modèle:E, 25Modèle:E, 29Modèle:E et la dernière me sont restées et me resteront dans l’esprit comme, dans mon enfance, certains versets de la Bible ou certaines maximes de vieux sages »… (Correspondance, vol. II, lettre au Major Adolphe Pictet, d’octobre 1838, p. 104-108.)
  512. M. Auguste Martineau-Deschenez. Voir plus loin, p. 347.
  513. Dans les éditions postérieures cette fin de lettre est tronquée.
  514. Lina Ramann : « Franz Liszt als Künstler und Mensch. (Leipsi Breitkopf und Härtel. 1880-1887.)
  515. « Le Contrebandier ». (Œuvres complètes de George Sand, » éd. Lévy, vol. La Coupe, p. 265-266.)
  516. Ballanche, membre de l’académie française, poète et philosophe, né en 1776 à Lyon, mort à Paris en 1817. Après une triste jeunesse maladive, Ballanche est resté tout le reste de sa vie enclin aux méditations solitaires et à la contemplation. On a de lui des poèmes (Orphée. Antigone), un roman (l’Homme sans nom). Il est surtout connu par son Essai sur la palingénésie sociale, qu’il n’a d’ailleurs pas terminé. Ses écrits pénétrés de mysticisme ne manquent pas de talent poétique et d’idées élevées. Les œuvres complètes de Ballanche ont paru en 1832, en 6 volumes Modèle:In-8°.
  517. Auguste-Théodore-Hilaire, baron Barchou de Penhoën, né à Morlaix en 1801, mort en 1855, historien et publiciste, adepte de Ballanche. Il fut un des premiers rédacteurs de la Revue des Deux-Mondes, publia plusieurs ouvrages très sérieux sur les philosophes allemands et en traduisit d’autres.
  518. La manie de ces auteurs d’inventer des fables poétiques allait jusqu’à faire honneur à George Sand d’une haute taille, alors qu’elle était petite, « de la taille d’une fillette de 14 ans », comme nous l’a assuré le plus sceptique et le plus véridique de ses amis.
  519. F. Chopin, par Liszt, Paris, Escudier, 1852, — édition très rare qui ne se trouve plus en vente. Les éditions suivantes diffèrent considérablement de la première. Ce livre, premier tome des œuvres complètes de Liszt, a été traduit par La Mara. Voir : Sämmtliche Schriften von Franz Liszt. Erster Band. Friedrich Chopin, frei ins deutsche übertragen von La Mara, Leipzig, Breitkopf und Härtel, 1880.)
  520. Henri Heine. Lutelia. « Ueber die französische Bühne. » Vertraute Briefe an August Levald, N° x.
  521. George Sand avait écrit à la comtesse, le 18 janvier, que tout était prêt pour son arrivée, et même « le garde-manger garni de gibier ».
  522. Bignat était le sobriquet d’Emmanuel Arago. On en avait aussi baptisé, un peu plus tard, le cheval favori de George Sand.
  523. Correspondance, t. I. Lettre à Franz Liszt du 5 mai 1836, p. 359-363.
  524. Cet ouvrage ne fut détruit que bien plus tard, vers 1862, à Palaiseau, lorsque Manceau brûla sur l’ordre de George Sand plusieurs de ses papiers et documents.
  525. Correspondance, t. II. Lettres déjà mentionnées plus haut (p. 263), à Janin du 15 février 1837, à Liszt du 28 mars, à la comtesse d’Agoult du 10 et du 21 avril et à Scipion du Roure du 13 avril. Voir aussi Lettres de femme, dont quelques fragments, concernant ce travail, qui dépassait ses forces, ont aussi été cités p. 263.
  526. Elle écrit le 13 avril à Scipion du Roure : « Solange vient d’être assez malade, moi je suis éreintée de travail. Le printemps est affreux ici, le rossignol a chanté trois jours sous la neige !… »
  527. Eugène-Pierre-Clément Pelletan, écrivain et homme politique fort connu, né à Saint-Palais-sur-Mer en 1813, mort à Paris en 1884.
  528. Gustave de Gévaudan, le légitimiste des Lettres d’un Voyageur, un jeune Nivernais.
  529. Félicien Mallefille, écrivain dramatique et diplomate (plus tard ministre plénipotentiaire de la France à Lisbonne), né en 1814, mort en 1868. Auteur de quelques drames et romans, des Sept Infants de Lara, des Mémoires de Don Juan, etc. Son frère, Léonce Mallefille, a longtemps séjourné à Saint-Pétersbourg, où il donnait pour vivre des leçons d’espagnol et de français, dans les maisons particulières, entre autres dans une famille de notre parenté.
  530. Voir les lettres de George Sand du 28 mars, du 5 et du 10 avril (Correspondance, t. II). Dans le livre de Szule : « Frédéric Szopin i Utwory iego Muzyczne » se trouvent des lettres écrites en 1837 par Chopin au comte Antoine Wodzinski. Sur la marge d’une de ces lettres, Chopin avait ajouté au crayon : « J’irai peut-être dans quelques jours chez George Sand. »
  531. Correspondance, t. I, p. 351. Lettre du 28 février 1836, datée de Bourges.
  532. On trouve dans le livre de Michiels, intitulé : « Le Monde du comique et du rire » (Paris, 1886), quelques lignes sur George Sand, assez insignifiantes du reste.
  533. Ceci est sans doute une licence poétique : George Sand, dans le courant de cet été, montait un petit cheval, toujours sellé, qui lui avait été amené de Nevers par M. de Gévaudan. Lina Ramann a été induite en erreur par Liszt lui-même qui, dans sa 3° Lettre d’un Bachelier ès musique, dit à George Sand : « Peut-être allez-vous me trouver bien sombre aujourd’hui, peut-être le chant du rossignol a-t-il marqué pour vous le passage d’une nuit délicieuse à un jour splendide ; peut-être vous êtes-vous assoupie sous les lilas en fleurs et avez-vous rêvé d’un bel ange aux cheveux blonds qui, à votre réveil, s’est trouvé souriant à vos côtés sous les traits de votre fille chérie, peut-être votre impétueux andalous frémissant sous la main qui le dompte vous a-t-il fait franchir en quelques secondes la distance qui vous sépare de votre meilleur ami ; peut-être, et sûrement, avez-vous rencontré sur votre passage les regards d’un malheureux auquel vous avez fait bénir la Providence… » Dans une note à la même page, il est dit que ce meilleur ami était Jules Néraud. Mais il est hors de doute que Liszt en écrivant ces lignes parlait, non de Jules Néraud, mais de Michel que George Sand allait souvent voir ou de grand matin ou à la nuit tombée, tantôt à La Châtre, tantôt à Châteauroux. (Voir les Lettres de femme et les lettres inédites de George Sand, du 16 avril, du 10 juin et du 18 septembre 1837.)
  534. « Crétin » ou « Crétin-Fellow » était le sobriquet donné à Liszt par George Sand.
  535. Ces lettres de George Sand ont été publiées par Modèle:Mme dans son volume : « Briefe hervorragender Zeitgenossen an Franz Liszt. »
  536. George Sand et Chopin demeurèrent place d’Orléans entre 1842-1847.
  537. Paysan berrichon, demi-chasseur, demi-devin, prototype de Monny-Robin.
  538. La mort de son père.
  539. Voir p. 326.
  540. Voir les lettres du 5 mai et du 4 juin 1855 à sa mystérieuse amie. (Franz Liszts Briefe. III Band, Briefe ain eine Freundin, herausgeben von La Mara. 1894. Leipzig). Voir aussi sa lettre à Modèle:Mme, du 6 novembre 1882.
  541. On croit entendre dans le mot monter de nouveau une allégorie.
  542. Voir les Sept corps de la Lyre, p. 128-133
  543. Sämmtliche Werke von Franz Liszt. H Band : « Ueber Meyerbeer’s Hugenotten ». S. 64.
  544. Voir plus haut.
  545. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 376.
  546. Correspondance, vol. I. p. 369.
  547. Correspondance, II, p. 48.
  548. Ce portrait parut dans le numéro d’octobre de la Revue des Deux-Mondes de 1836. Il est signé : Modèle:Lang Modèle:Droite
  549. Le second article fait maintenant partie du volume : Autour de la Table ; le premier et le troisième furent réimprimés dans les Questions d’Art et de Littérature.
  550. Cet article de George Sand parut dans la Revue des Deux-Mondes de 1840, puis fut réimprimé dans l’édition actuelle du volume : Autour de la Table.
  551. On pourrait admettre ce dernier cas en lisant dans le livre de M. Napoléon Peyrat sur Bélanger et Lamennais, le passage suivant d’une lettre de Béranger : « Je l’ai répétée (une invitation) aussi à Lamennais, que je voudrais bien retirer du bourbier où d’autres semblent vouloir l’enfoncer. N’en dites mot ; il veut se mettre à la tête d’un journal et je crains d’arriver trop tard pour lui éviter cette folie. Il m’a compris relativement à ses rapports avec Liszt et George Sand. Mais je crains bien que, facile et bon comme il est, il ne tombe de Charybde en Scylla… » Un peu après, pourtant, ce même Béranger, en disant qu’il ne sait pas trop comment Lamennais et son Monde se tireraient d’affaire, ajoute : « À moins que George Sand n’invente quelque chose. »
  552. Lettres à Marcie, p. 228.
  553. Lettres à Marcie, p. 229-230.
  554. « Je trouve, dit Daniel de Foë dans son Essay on projects, que l’une des manifestations les plus grossières de nos mœurs est d’exclure les femmes des privilèges que donne l’éducation. Nous nous croyons un peuple chrétien et civilisé et reprochons toujours aux femmes leur ignorance et leur manque d’éducation, tandis que je suis sûr que si nous leur donnions une éducation semblable à celle dont nous jouissons nous-mêmes, elles n’auraient jamais donné l’occasion de leur adresser ce reproche… Peut-on les accuser de stupidité, si la seule cause en est notre désir de ne pas leur donner la possibilité de devenir plus sages ? La femme est mieux douée que l’homme ; elle saisit plus vite, ce que l’on observe facilement par l’exemple de quelques femmes instruites. On croirait que nous ne leur donnons pas d’éducation à dessein dans la crainte qu’elles ne nous surpassent… Est-ce qu’une femme d’esprit est pire qu’une femme stupide, et est-ce que les femmes instruites sont si dangereuses qu’il faille les priver d’éducation ?… Il est difficile de montrer une plus hideuse manifestation de l’ingratitude et de la bêtise de l’homme que la privation pour les femmes de l’éclat que l’éducation et la culture donnent à la beauté innée de l’esprit. Une femme instruite et bien élevée est incomparable ; c’est un délice que les relations avec elle ; elle ressemble à un ange, elle est tout amour, paix et délices ; elle est l’idéal suprême, et l’homme auquel une femme pareille a été donnée, n’a qu’à se réjouir et à bénir son sort. Mais représentez-vous cette même femme sans instruction. Si elle est bonne par nature, cette absence de culture la rend faible et sans résistance ; si elle a de l’esprit, elle bavarde trop ; si elle a quelque savoir, mais pas d’éducation, elle a une trop grande Modèle:Corr d’elle-même, mais si elle est méchante par nature, alors elle est arrogante, vaniteuse, querelleuse et ressemble à un être insensé. Tous ses défauts font d’elle souvent un diable… « … J’ose affirmer que tout le monde agit injustement envers les femmes, car je ne puis penser que le Tout-Puissant créa de ces êtres si tendres, si charmants, les doua de traits si agréables et des mêmes capacités que les hommes, seulement pour en faire des ménagères, des cuisinières et des esclaves !… » Il est fort douteux que George Sand sût que par la bouche de l’ami de Marcie elle disait presque mot pour mot ce que l’auteur du Robinson avait dit cent quarante ans avant elle, il y a juste deux cents ans de cela, en 1698. Nous nous sommes permis de donner cette longue citation de l’Modèle:Lang en supposant que la mise en regard des idées de Daniel de Foë et des opinions de George Sand est fort curieuse, et pour montrer qu’il ne faut pas être une femme pour les avoir et les émettre. Amos Coménius (ou Komencki) l’a dit aussi. Cela ne signifie-t-il pas que les grands esprits doivent souvent répéter les uns après les autres, une grande vérité bien simple jusqu’à ce qu’elle devienne accessible à l’esprit de tout le monde ?
  555. Lettres à Marcie p. 230.
  556. Lettres à Marcie, p. 231.
  557. Lettres à Marcie, p. 217.
  558. Il fut écrit à la fin de 1836 et au commencement de 1837 et parut en 1837 dans les Modèle:Nos des Modèle:1er et 15 avril, du Modèle:1er mai et du 15 juin de la Revue des Deux-Mondes, mais dans toutes les éditions, nous trouvons
  559. Elle dit dans une lettre à son fils, datée du 15 décembre 1830, presque la même chose que Rousseau dans sa célèbre formule.
  560. dans la préface ces mots : « Je crois que j’ai écrit ce roman en 1846, mon procès en séparation à peine terminé ». Il est clair que c’est une simple faute d’impression, non corrigée, et qu’il faut lire : 1836.
  561. Correspondance, t. II, p. 89. Lettre à Duteil.
  562. Correspondance, p. 86. Lettre à la comtesse d’Agoult.
  563. Elle mourut le 19 août 1837.
  564. Correspondance, t. II, p. 89.
  565. C’est ce que George Sand dit dans la Correspondance ; dans l’Histoire de ma Vie, elle dit avoir confié son fils à Modèle:M. Viardot.
  566. Correspondance, t. II, p. 90 : « Je cours à Paris. Je braque le télégraphe. J’invoque la police… », etc.
  567. Correspondance, t. II, p. 88-92. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 419-422. Voir aussi à ce sujet les Mémoires du baron Haussmann, t. II, p. 129-136.
  568. Frédéric Girerd, avocat et homme politique éminent, naquit en 1810 et mourut en 1859. Il a rempli des fonctions municipales à Nevers, fut bâtonnier de l’ordre des avocats de cette ville, collabora à différents journaux de l’opposition, et fonda lui-même une feuille locale : l’Association. Il était l’ami intime de Michel et de Cavaignac, fut député du Nivernais en 1848, ensuite commissaire du gouvernement provisoire à Nevers, et enfin membre de l’Assemblée constituante. Après le
  569. Il est fort probable que Michel s’y rendit tout autant pour voir le fils de George Sand, que pour tâter Gustave Papet au sujet des élections.
  570. Correspondance, t. II, p. 94.
  571. Lutèce, p. 297.
  572. « Le maître d’école, c’est moi. » C’est ainsi que George Sand commence ces articles pédagogiques si remarquables et pourtant si complètement ignorés du public. Puis, elle nous dit qu’elle a le droit de s’intituler ainsi, ayant, toute sa vie, enseigné et appris à lire à quelqu’un : à ses enfants, à ses neveux, à ses petits-enfants et à une foule d’autres élèves de tous âges, sans en excepter les grands gars villageois. Et quoiqu’elle nous dise qu’elle n’est arrivée à ces idées sur l’éducation que par voie d’expérience et qu’elle a commis d’abord beaucoup d’erreurs, surtout lorsqu’elle donnait des leçons à ses propres enfants, nous voyons justement par toutes ses judicieuses remarques, observations et conclusions, que ses leçons n’étaient pas affaire de routine, que son enseignement devait être animé d’un souffle de vie et guidé par un esprit d’observation psychologique tout à fait exceptionnels.
  573. Correspondance, t. II, p. 108.
  574. Possédant une copie de la lettre entière, nous ne nous permettons d’en citer que les extraits qui furent publiés dans la Revue des Autographes, d’Eugène Charavay.
  575. On peut trouver des détails fort intéressants sur Mallefille et son amour pour George Sand, dans l’article de Perret : Souvenirs Littéraires (le Gaulois, 29 septembre 1885), ainsi que dans deux articles anonymes publiés dans le même journal, le 25 septembre 1885, dans le Temps le 30 octobre 1884, et enfin dans un article de la Liberté du 30 novembre 1894, intitulé « George Sand, Musset, Mallefille », et signé P. P.
  576. La lettre de Mallefille au directeur de l’Artiste, Delaunay, à propos de cette œuvre, lettre datée du 27 juillet 1838, existe encore.
  577. Voir l’Étude bibliographique sur les œuvres de George Sand, par le Bibliophile Isaac (vicomte de Spoelberch de Lovenjoul). Bruxelles, 1868, in-8°, 36 p. Nous en avons déjà dit quelques mots plus haut. C’est une œuvre unique et inestimable.
  578. Voir la Correspondance de Honoré de Balzac (1819-1830). Avec portrait et fac-similé. (Œuvres complètes, Modèle:In-8°. Calmann-Lévy, 1876-1882, vol. XXIV.) Une notice biographique par Modèle:Mme, née de Balzac, sert d’introduction à ce volume. Nous trouvons dans les pages de Modèle:Mme, consacrées à son illustre frère, une appréciation très remarquable de George Sand faite par Balzac, et en général beaucoup de détails et d’indications par rapport à l’amitié et à l’estime de Balzac pour George Sand.
  579. George Sand dit à Duvernet dans une lettre inédite du 25 janvier 1838 : « J’attends Balzac. S’il vient chez moi, faut-il te l’amener ? Mallefille te remercie pour l’invitation, mais il part pour Paris et ne reviendra pas avant huit jours. »
  580. C’était la propriété de ses amis, M. et Modèle:Mme. On sait que Modèle:Mme fut une amie intime et une correspondante fidèle de Balzac.
  581. Nous avons mentionné dans le chapitre Modèle:Sc l’enthousiasme de Balzac pour Gabriel et ses conseils à George Sand d’en faire un drame pour le théâtre.
  582. Voir plus haut, ch. Modèle:Sc.
  583. Comme elle le dit dans la lettre inédite à Pierre Leroux.
  584. Plusieurs chapitres de ces deux volumes parurent dans des revues et des recueils russes : « George Sand et Napoléon III » (chap. Modèle:Sc), dans le Messager de l’Europe (1904) ; « George Sand et Mickiewicz » (tiré du chap. Modèle:Sc), ibid., en 1907 ; ce même chapitre parut en polonais dans le Kraj (1907) ; « George Sand et les poètes populaires » (chap. Modèle:Sc), dans le Mir Bojiy (1904) ; « Horace et la Revue indépendante » (du même chapitre), dans le recueil « Vers la Lumière (1904) ; « le Centenaire et Claudie » dans la Rousskaya Mysl (1904) ; « George Sand et Herzen » (du chap. Modèle:Sc), ibid. (1910) ; « George Sand et Heine » (du chap. Modèle:Sc), ibid. (1911).
  585. Lettre inédite à George Sand du 24 septembre 1854, datée de Jersey. Voir plus loin.
  586. Il parut en tout huit volumes (petit Modèle:In-8°), chez Gosselin, 1841.
  587. Depuis que ces pages ont été terminées, il a paru sur la vie et la doctrine de Leroux un excellent ouvrage que nous regrettons de n’avoir pas connu plus tôt, le beau livre de M. F. Thomas : Pierre Leroux, sa vie, sa doctrine, ses idées. (1904, Paris, Alcan.)
  588. Engelson et sa femme, Modèle:Mme, furent d’abord des amis de Herzen, puis se brouillèrent complètement avec lui, grâce au caractère étrange et peu loyal d’Engelson, et surtout grâce à sa femme, être détraqué et étrange. Engelson avait assisté Herzen au moment de la mort tragique de sa mère et de son fils Nicolas ; il collabora au journal de Herzen à Londres, donna des leçons à ses deux enfants aînés, fut mainte fois secouru par le grand exilé russe, puis devint son ennemi et le calomnia d’une manière inimaginable. (Voir, à ce propos, les Œuvres complètes de Modèle:Sc, vol. IX, les chapitres Ombres russes et Oceano nox.) Leroux publia après la mort d’Engelson un article de lui traduit par sa femme.
  589. De l’Humanité. Introduction, p. 3-4, 78.
  590. Ibid., Tradition, p. 357.
  591. Ibid., p. 91.
  592. Ibid., p. 111.
  593. Ibid., p. 115.
  594. De l’Humanité. p. 95.
  595. Ad Romanos, XII, 4-5. Ce même verset de Saint Paul est placé comme épigraphe en tête du livre De l’Humanité.
  596. De l’Humanité, t. Modèle:Ier, p. 212-215 ; t. II, p. 19.
  597. Longtemps avant Leroux, Leibniz avait émis cette idée que le bien est libre et le mal ne l’est point, car le mal provient de l’ignorance et de l’erreur : Modèle:Lang.
  598. Histoire de ma vie, t. IV, p. 363-366.
  599. Dans une de ses lettres inédites à George Sand, que nous donnons plus tard, il le raconte lui-même.
  600. Correspondance, t. II, p. 197.
  601. V. t. II, p. 442-445 de notre travail.
  602. Leroux, dans ses lettres, l’appelle constamment « notre ami Chopin » et lui envoie ses saluts et même ses baisers. Dans une lettre, il dit : « J’embrasse Chopin… », dans une autre : « Je serre la main de Chopin avec toute l’ardeur de ma vieille amitié pour lui… »
  603. Cf. notre tome II, p. 440. et la Corresp. de George Sand, t. II, p. 94.
  604. Encore dernièrement, M. Fidao, dans son très intéressant article Pierre Leroux et son œuvre (Revue des Deux Mondes, 15 mai 1906), y faisait allusion et disait en se basant sur les œuvres de Sainte-Beuve et de Dupont-White et sur une lettre de Mme Sand elle-même (que nous donnons plus bas) que Leroux étant destiné à être « pillé » et « dévalisé » par les autres, que Mme Sand elle-même « sut l’exploiter royalement ». Mme Sand reconnaissant elle-même la source de ses idées, il nous semble qu’il ne faudrait pas lui appliquer ces termes.
  605. Encore dernièrement, M. Fidao, dans son très intéressant article Pierre Leroux et son œuvre (Revue des Deux Mondes, 15 mai 1906), y faisait allusion et disait en se basant sur les œuvres de Sainte-Beuve et de Dupont-White et sur une lettre de Mme Sand elle-même (que nous donnons plus bas) que Leroux étant destiné à être « pillé » et « dévalisé » par les autres, que Mme Sand elle-même « sut l’exploiter royalement ». Mme Sand reconnaissant elle-même la source de ses idées, il nous semble qu’il ne faudrait pas lui appliquer ces termes.
  606. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 310, et t. Modèle:Ier, p. 444, où nous parlons de l’engouement de George Sand pour les contemplations astronomiques.
  607. Lorsqu’on publia, dans la Revue musicale, le travail de M. Karlowicz en français, on traduisit le mot de kriostny (parrain) par le mot de « filleul », ce qui donna occasion à des contresens et des non-sens en plusieurs endroits.
  608. Modèle:Sc, Lutetia. « Modèle:Lang. » N° X.
  609. F. Chopin, par Modèle:Sc. Paris, Escudier, 1852.
  610. Histoire de ma vie, t. IV, p. 405.
  611. MM. Meczislas Karlowicz (Pamiatki po Chopinic, Warszawa, 1904) et Ferdinand Hœsick ont dernièrement fait justice de cette légende encore. La plus grande partie des lettres de Chopin et à Chopin n’a heureusement point été perdue lors du désastre de 1863, et ces messieurs en ont déjà publié un grand nombre.
  612. Cf. la lettre de George Sand à M. de Mirecourt, réfutant tout ce qu’il débitait dans sa biographie de George Sand sur ses habitudes d’élégance. Nous croyons devoir aussi déclarer à ce propos que les lignes si connues de M. de Lamennais à M. de Vitrolles sur la prétendue « élégance » et les « chemises de foulard de Mme Sand » doivent être mises sur le compte du mépris inné de prêtre pour la femme, et ne peuvent nullement être considérées comme véridiques.
  613. Caroline de Saint-Criq. Cf. notre volume II, p. 217.
  614. Si on lit attentivement tout ce que M. Ferdinand Hœsick raconte dans son excellent premier volume de la biographie de Chopin sur les relations entre Chopin et sa première « passion », la cantatrice Constance Gladkowska, on ne se rend que trop bien compte que ce fut le grand musicien qui aima avec toute la prodigalité d’un cœur novice, et que la jolie chanteuse de l’opéra de Varsovie ne le lui rendit que fort incomplètement, lui donnant ample matière à jalousies et à souffrances.
  615. Nous avons fait allusion au projet de Liszt de composer un opéra sur Consuelo, projet qui ne fut jamais réalisé. (Cf. notre volume II, p. 344.) On voit par les lettres inédites de Mme Pauline Viardot à Mme Sand que Meyerbeer s’était aussi enthousiasmé pour Consuelo, et voulait faire un opéra dont l’action se passerait en Bohême, c’est-à-dire qu’il voulait prendre pour sujet les aventures de Consuelo au château des Rudolstadt.
  616. Cf. notre premier volume, p. 220.
  617. Elle écrit dans son Journal pendant le voyage aux Pyrénées : « On veut que je chante ce soir : Modèle:Lang, ça m’ennuie de chanter. Est-ce que je sais chanter, moi ?… »
  618. Histoire de ma vie, t. IV, p. 440-441.
  619. Édouard Hanslick, célèbre critique viennois (n. 1825, m. 1904). Laroche, critique et compositeur russe (d’origine française), né à Saint-Pétersbourg en 1845, mort en 1904, ami de Tchaïkowski, auteur de Carmosine (sur le texte de Musset) et de quelques autres œuvres. Malheureusement il a trop tôt abandonné sa carrière de compositeur. Ses critiques sont connues par leur verve et leur esprit tout gaulois et très mordant.
  620. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 348-350.
  621. Ibid., p. 427-428.
  622. Ibid., p. 430-433.
  623. V. Modèle:Sc, Modèle:Lang, 1873. (Frédéric Chopin et ses œuvres musicales.)
  624. Cf. Modèle:Sc, Fred. Chopin, t. Modèle:Ier, p. 324-325.
  625. Ces Souvenirs parurent dans le Temps, en 1874. Charles Rollinat fut le frère du Pylade de George Sand, François Rollinat, et aussi un grand ami à elle, il chantait admirablement et fut surnommé par elle, pour sa voix agile et souple, le Bengali. Plus tard, il se voua à la carrière pédagogique, séjourna quelque temps, comme précepteur, en Russie, apprit le russe, se fit une petite fortune, alla en Italie, se ruina, revint en France et, grâce à l’aide de George Sand, put gagner sa vie en faisant pour la Revue des Deux Mondes des traductions du russe (c’est ainsi qu’il traduisit plusieurs œuvres de Tourguéniew) et en écrivant de Modèle:Corr articles dans le Temps. Nous y reviendrons plus loin.
  626. Dans une lettre inédite de Mme Viardot à George Sand, datée du 6 décembre 1848, nous lisons : « En attendant je suis déjà en train de travailler au Prophète que le grand maître me fait connaître bouchée par bouchée. Toutes ces bouchées finiront par former un grand plat et un bon. C’est très simple, très noble, très dramatique et par conséquent très beau. Je suis très heureuse d’avoir une perspective aussi intéressante pour mon hiver. Il me faut du travail, beaucoup de travail…, etc. » Il est évident qu’au moment où elle écrivait cette lettre — en hiver 1848-1849 — Mme Viardot ne faisait que commencer l’étude de son rôle et de la partition du Prophète.
  627. On voit par les lettres inédites à George Sand de Charles Rollinat lui-même ; par celles de Charles-Edmond (Choyecki), alors rédacteur du Temps, et par celle de George Sand à M. Edmond Plauchut (Corresp., t. VI, p. 307) de quelle chaleureuse et énergique aide, témoignant de son amitié inaltérable, fit preuve George Sand, lorsque Charles Rollinat s’adressa à elle au commencement de 1874, de Côme, lui contant ses misères. Les mots suivants de Tourguéniew dans sa lettre à Mme Sand, datée du 15 avril 1874 (Modèle:Sc, Ivan Tourguéniew, d’après sa correspondance avec ses amis français. Paris, Charpentier, 1901) : « Chère madame Sand, Aussitôt après avoir reçu votre lettre, j’ai écrit à l’ami Plauchut pour le prier de me faire faire la connaissance de Rollinat. Je serai heureux de me mettre à sa disposition pour tout ce qu’il voudra. J’ai parcouru sa traduction qui est très bonne. Plauchut l’amènera probablement demain soir…, etc », se rapportent justement à Charles Rollinat et à ses traductions du russe, et nullement à Maurice Rollinat, le fils de François, et plus tard poète connu, comme le prétend en note M. Halpérine Kaminsky. C’est à Charles Rollinat, encore, que se rapportent les lignes d’une autre lettre de Tourguéniew à Mme Sand, datée du 9 avril 1875 : « Ce bon Rollinat s’est débulozé… », c’est-à-dire que Charles Rollinat abandonna son travail chez Buloz, le directeur de la Revue des Deux Mondes.
  628. Voir Ferd. Modèle:Sc, Chopin, zycie i tworzosc, p. Modèle:Sc.
  629. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. Modèle:Ier, chap. Modèle:Ier, p. 56-58.
  630. Cf. George Sand, etc., t. Modèle:Ier, p. 264.
  631. Cf. George Sand, etc., t. II, p. 322, 457.
  632. George Sand donna à Chopin le sobriquet caressant du « petit » ; elle le nomme encore dans ses lettres à Mme Marliani « Votre petit » ou « Chopinet ». Plus tard, il porta dans l’intimité de Nohant les surnoms de « Chip », « Chip-Chip », « Chip-Chop » ou de « Chopinsky ».
  633. Ferd. Hœsick dans son article « Chopin et Fontana » (Biblioth. Warszawska de juillet 1899) ne se borne pas à restituer le texte des lettres de Chopin à Fontana arbitrairement changées et tronquées par Karasowski, mais encore il réussit par des raisonnements irrécusables à constater que toutes ces lettres sont postérieures à 1838. Voir à ce sujet plus loin.
  634. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 457-458, et le présent volume, p. 23.
  635. Ces souvenirs de voyage parurent dans la Revue des Deux Mondes de 1841, puis en volume. Dans l’édition de Lévy, ils sont simplement intitulés : Un hiver à Majorque. Ils furent dédiés à François Rollinat, et cette dédicace est écrite sous forme d’une Lettre d’un ex-voyageur à son ami sédentaire. La seconde préface, intitulée Notice, fut écrite pour l’édition de 1855, et George Sand y répond encore à la question : « Pourquoi voyager quand on n’y est pas forcé ?… » par les mots suivants : « C’est qu’il ne s’agit pas tant de voyager que de partir : quel est celui de nous qui n’a pas quelque douleur à distraire ou quelque joug à secouer ?… »
  636. Voyage à Majorque, p, 26.
  637. Un hiver à Majorque, p. 28-29.
  638. Inédite.
  639. Lettre à Jules Boucoiran, datée du 23 octobre 1838, de Lyon. (Corr., t. II.)
  640. Même lettre à Boucoiran du 23 octobre 1838.
  641. Histoire de ma vie, t. IV, p. 436.
  642. C’est ainsi, par exemple, au dire de Niecks, que Chopin contribua avec intention à répandre la fausse nouvelle de son départ pour une cure d’eau en Bohême, afin de cacher son premier voyage à Nohant. (Cf. Fr. Modèle:Sc, Chopin, t. Modèle:Ier, p. 325.)
  643. Cf. Modèle:Sc, Chopin, t. II, p. 22, 23, 26.
  644. Correspondance, t II, p. 110.
  645. Un hiver à Majorque, p. 122.
  646. C’est le chiffre que George Sand donne dans sa lettre à Mme Marliani du 14 novembre 1838. (Corr., t. II, p. 112.) Dans l’Hiver à Majorque, elle dit que c’est cent francs par mois que leur réclamait leur hôte.
  647. Corresp., t. II, p. 113.
  648. Jules Fontana, l’un des plus intimes amis du grand musicien polonais, naquit en 1810, fit ses études musicales sous la direction de Joseph Elsner au Conservatoire de Varsovie en même temps que Chopin, prit part à la révolution de Varsovie, à la suite de laquelle il dut émigrer ; puis il vécut à Paris et à Londres, gagnant sa vie à donner des leçons de musique, il se laissa aussi entendre comme virtuose dans quelques concerts. En 1841, il passa en Amérique, séjourna d’abord à la Havane, où il épousa une riche créole, puis à New-York. Il revint en Europe vers la fin de sa vie, perdit sa femme, se ruina, devint tout à fait sourd, et mourut à Paris, en 1870, dans la misère la plus complète. On dit qu’il se tua dans un accès de désespoir.
  649. Nous restituons le texte de cette lettre d’après Hœsick. Karasowski l’avait complètement dénaturée et changée dans son livre.
  650. Jean Matuszinski, l’un des trois amis les plus intimes de Chopin, médecin de profession. Chopin et lui occupèrent, pendant un certain temps, un appartement commun à Paris. Il mourut le 20 avril 1842.
  651. Inédite.
  652. Corresp., t, II, p. 112.
  653. Un hiver à Majorque, p. 165-168.
  654. Jean Matuszinski, déjà mentionné.
  655. C’est en 1836, sous le ministère de Mendizabal, que fut publiée la loi prescrivant la démolition de tous les couvents renfermant moins de douze frères et la confiscation des biens monacaux au profit du gouvernement. La chartreuse contenait treize moines, elle ne fut donc pas démolie, mais fermée.
  656. Les Léo étaient apparentés à Moscheles ; c’était une famille de banquiers et de mécènes qui protégeaient nombre d’artistes et de musiciens vivant à Paris.
  657. Il est très curieux de comparer les lignes que nous avons soulignées avec la recommandation de George Sand à Boucoiran qui se trouve dans sa lettre de Venise, datée du 4 février 1834 (cf. t. II de notre ouvrage, Modèle:Pg64) : « Je viens encore d’être malade cinq jours d’une dysenterie affreuse. Mon compagnon de voyage est très malade aussi. Nous ne nous en vantons pas, parce que nous avons à Paris une foule d’ennemis qui se réjouiraient en disant : « Ils ont été en Italie pour s’amuser et ils ont le choléra ! Quel plaisir pour nous, ils sont malades !… » Elle répétait la même chose dans sa lettre du 5 février : « Gardez un silence absolu sur la maladie d’Alfred… recommandez à Buloz de n’en pas parler et à Dupuy aussi. »
  658. Le commerce des cochons est la source principale de la fortune des Majorquins.
  659. Spiridion parut dans une livraison d’octobre et les deux livraisons de novembre de la Revue des Deux Mondes de 1838, puis dans les deux livraisons de janvier de 1839.
  660. Un hiver à Majorque, p. 105.
  661. Un hiver à Majorque, p. 115. Cette description évoque le souvenir d’un autre chef-d’œuvre de la sculpture espagnole du moyen âge, la Mater Dolorosa du Musée de Berlin, en bois peint, admirable de beauté spiritualiste et de force d’expression.
  662. Un hiver à Majorque, p. 129.
  663. Ces mots nous expliquent parfaitement pourquoi nous voyons sur le dessin de George Sand Chopin représenté comme ayant de longs cheveux flasques retombant des deux côtés des joues et peignés en arrière, tandis que tous ses autres portraits le représentent la tête bouclée et une grande « coque » au-dessus du front.
  664. Un hiver à Majorque, p. 152.
  665. Karasowski, qui avait mis tant de zèle à corriger les lettres de Chopin, avait changé ce bouton de culotte en un « bouton de redingote » ; tandis que Chopin, tout comme Pouchkine, employait dans ses lettres intimes des expressions non seulement familières, mais souvent même assez fortes.
  666. Cette phrase est omise dans la lettre imprimée à la page 120 du tome II de la Correspondance.
  667. Emmanuel Arago.
  668. Un ami fidèle et un intime de Mme Marliani pendant de longues années, entre les bras mêmes duquel elle expira, comme on le voit par les lettres médites datées de 1850 à Mme Sand de ce même M. de Bonnechose et par celles d’Anselme Pététin.
  669. Cela a été assez judicieusement remarqué par M. H. Bidou dans son article « la Chartreuse de Valdemosa », paru dans le Supplément du Journal des Débats du Modèle:1er juillet 1904. Mais l’auteur est toutefois trop sévère et fort peu aimable pour la grande romancière.
  670. Un hiver à Majorque, p. 157-159-161.
  671. Sobriquet de Marie-Louise Rollinat, sœur de François, qui fut la préceptrice de Solange en 1837 et au commencement de 1838.
  672. Corresp., t. II, p. 131.
  673. Histoire de ma vie, t. IV, p. 444.
  674. Un hiver à Majorque, p. 120-122.
  675. Corresp., t. II, p. 131.
  676. Cf. les chapitres vu et xi de notre travail (t. Modèle:Ier, p. 433-445, et t. II, n. 309-312. Les morceaux inédits parurent dans la Revue de Paris de septembre 1839 et dans la Revue des Deux Mondes du 15 septembre de cette année.
  677. Un hiver à Majorque, p. 127-128,
  678. Dans Un hiver à Majorque, Mme Sand dit que le but du voyage fut le piano de Chopin qu’il fallait tirer des mains des douaniers. Cet incident est aussi narré dans la lettre à Duteil datée du 20 janvier 1839. (Corresp., t. II, p. 122.)
  679. Dans Un hiver à Majorque, Mme Sand dit que ce sont eux qui durent abandonner à son sort le pauvre cocher du birlocho avec son véhicule et sa bête, épuisée de fatigue, après des dizaines de noyades dans les trous et les crevasses de la route envahie par le torrent, et après des heures d’efforts héroïques du brave mulet pour en retirer l’équipage.
  680. En note à cette page, Mme Sand ajoute : « J’ai donné dans Consuelo une définition de cette distinction musicale qui l’a pleinement satisfait et qui, par conséquent, doit être claire… » Quoique nous dussions y revenir dans le chapitre iv, nous citerons, dès à présent, ces lignes de Consuelo : « On a dit, avec raison que le but de la musique, c’était l’émotion. Aucun art ne réveillera d’une manière aussi sublime le sentiment humain dans les entrailles de l’homme ; aucun autre art ne peindra, aux yeux de l’âme, et les splendeurs de la nature, et les délices de la contemplation, et le caractère des peuples, et le tumulte de leurs passions, et les langueurs de leurs souffrances. Le regret, l’espoir, la terreur, le recueillement, la consternation, l’enthousiasme, la foi, le doute, la gloire, le calme, tout cela et plus encore, la musique nous le donne et nous le reprend, au gré de son génie et selon toute la portée du nôtre. Elle crée même l’aspect des choses, et sans tomber dans les puérilités des effets de sonorité, ni dans l’étroite imitation des bruits réels, elle nous fait voir, à travers un voile vaporeux, qui les agrandit et les divinise, les objets extérieurs où elle transporte notre imagination. Certains cantiques feront apparaître devant nous les fantômes gigantesques des antiques cathédrales, en même temps qu’ils nous feront pénétrer dans la pensée des peuples qui les ont bâties, et qui s’y sont prosternés pour chanter leurs hymnes religieux. Pour qui saurait exprimer puissamment et naïvement la musique des peuples divers, et pour qui saurait l’écouter comme il convient, il ne serait pas nécessaire de faire le tour du monde, de voir les différentes nations, d’entrer dans leurs monuments, de lire leurs livres, et de parcourir leurs steppes, leurs montagnes, leurs jardins ou leurs déserts. Un chant juif bien rendu nous fait pénétrer dans la synagogue ; toute l’Écosse est dans un véritable air écossais, comme toute l’Espagne est dans un véritable air espagnol. J’ai été souvent ainsi en Pologne, en Allemagne, à Naples, en Irlande, dans l’Inde, et je connais mieux ces hommes et ces contrées que si je les avais examinés durant des années. Il ne fallait qu’un instant pour m’y transporter Et m’y faire vivre de toute la vie qui les anime. C’était l’essence de cette vie que je m’assimilais sous le prestige de la musique… »
  681. Histoire de ma vie, t. IV, p. 438-440.
  682. Telle est l’opinion de Wodzinski et de la plupart des critiques musicaux.
  683. Telle est l’opinion de Liszt.
  684. C’est ainsi que le concevait aussi Antoine Rubinstein. Nous l’avons entendu le commenter ainsi dans son langage pittoresque et imagé, pendant les inoubliables soirées où il jouait « en petit comité » dans la maison de nos parents. On peut trouver cette même explication du finale de la Sonate dans le petit livret des programmes de ses Concerts historiques.
  685. Histoire de ma vie, t. IV, p. 442.
  686. Une grande artiste, qui avait beaucoup connu Chopin, s’est exprimée sur ce côté maladif de son caractère d’une manière plus résolue et qui correspond à la définition scientifique de ces phénomènes nerveux : « Il était hystérique, oui, je soutiens le mot, hystérique, sujet à des emportements et des crises capricieuses insupportables. » Or, la science nous enseigne que l’hystérie se manifeste justement par le désaccord entre la gravité des phénomènes nerveux et les causes souvent minimes qui les produisent.
  687. Histoire de ma vie, t. IV, p. 442-443.
  688. Corresp., t. II, p. 131-132. Lettre à Rollina.
  689. Histoire de ma vie, t. IV, p. 443.
  690. Inédite.
  691. Inédite.
  692. Corresp., t. II, p. 138.
  693. Le docteur Gaubert aîné, grand penseur, ami de George Sand, de Leroux et de Mme Marliani. Il s’occupait beaucoup de phrénologie et d’études sur les phénomènes psycho-physiologiques, tels que les rêves, etc. George Sand lui consacra des pages émues dans l’Histoire de ma vie. Il est souvent question de lui dans les lettres de cette époque.
  694. Ces lignes se rapportent aux propos des personnes qui réussirent à complètement désunir les deux amies d’antan : George Sand et Mme d’Agoult, racontars et potins dans lesquels Mme Marliani elle-même paraît avoir joué un triste rôle, tout comme Leroux, l’abbé de Lamennais et autres. (Cf. le t. II de cet ouvrage, p. 370-371, et le tome présent, p g 14, et plus loin, p. 236-237.)
  695. Inédite.
  696. Corresp., t. II. p. 140.
  697. Inédite.
  698. Corresp., t. II, p. 141.
  699. Ibid., p. 142.
  700. Corresp., p. 143.
  701. Autour de Nohant. Paris, Calmann-Lévy, 1898, p. 14.
  702. Nous soulignons avec intention ces mots, qui se rapportent à un volume de l’Encyclopédie, fort significatifs et utiles à retenir pour la suite de notre travail.
  703. C’est à cet épisode tragi-comique et qui, certes, n’aboutit à rien, que se rapportent la lettre de George Sand du 23 mars (Corresp., t. II, p. 135) et les trois lettres inédites de Rollinat, l’une sans date, l’autre datée du 19 mars (le timbre postal porte le 17) et une troisième du 2 avril 1839.
  704. Nous savons par les lettres de Chopin à Fontana, qu’en cet été de 1839 le grand musicien termina sa Sonate en si bémol mineur, le second Nocturne de l’op. 37 (Sol majeur), les trois Mazurkas de l’op. 41 (sauf le première, composée à Valdemosa) en si majeur, la bémol majeur et do dièze mineur, et enfin qu’il s’occupa à corriger l’édition des Œuvres complètes de J.-S. Bach.
  705. Inédite.
  706. Lutèce, premier volume de l’édition allemande, p. 300.
  707. Allusion à Berlioz. W. Stassow dit dans son Art au dix-neuvième siècle : « En 1837, Berlioz fit exécuter au dôme des Invalides son Requiem… il y employa des moyens orchestraux jamais encore vus ni entendus, pour peindre les tableaux de la vie transsépulcrale, du reste, nullement monstrueux eux-mêmes (16 trombones, 16 trompes, 5 ophicléides, 12 cors, 8 paires de timbales, etc.). »
  708. Histoire de ma vie, t. IV, p. 440.
  709. Ibid., p. 46 9.
  710. Ibid., p. 470-471.
  711. Mot de Pouchkine.
  712. Inédite.
  713. V. par exemple la lettre inédite du 20 septembre 1839 à Mme Cazamajou.
  714. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 292, 322.
  715. Le drame de Cosima, qui ne fut joué qu’au printemps de 1840.
  716. Corresp., t. II, p. 147.
  717. Charles-Frédéric Gutzkow, poète dramatique et publiciste allemand célèbre, l’un des représentants de la « Jeune Allemagne », auteur de Uriel Acosta, etc. Né en 1811, il est mort en 1878.
  718. Dans sa Lettre de Paris du 29 mars 1842. Œuvres complètes de Charles Gutzkow, t. XII. Lettres parisiennes, 1842. Impressions parisiennes, 1846.
  719. Nous avons déjà cité M. de Loménie dans notre premier volume, à propos de Dudevant, et signalé dans le cours de notre ouvrage quelques erreurs biographiques de son récit sur la jeunesse de George Sand. (Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. I, p. 245-49.)
  720. Lettres à l’Étrangère.
  721. Bernard Stavenow, les Belles âmes (Schône Geister). Bremen. 1879. N° 3. L’Élève favori de Chopin (Der Lieblingsschuler Chopin’s).
  722. Nous nous permettrons de noter dans le cours de notre travail les quelques erreurs de peu d’importance qui se trouvent dans cet élégant petit volume, édité à 200 exemplaires seulement et très soigné.
  723. Cf. le tome II de cet ouvrage, p. 345-51.
  724. Nous parlons plus loin de Mme Hortense Allart de Méritens, célèbre romancière et écrivain politique.
  725. Édouard Grenier, Souvenirs littéraires : George Sand. (Bévue bleue, 15 octobre 1892, t. I., p. 488-496.)
  726. Cf. notre deuxième volume, p. 398.
  727. Cf. ce que nous en avons dit dans notre deuxième volume, p. 99, 108-118. Cf. aussi : Véritable Histoire d’Elle et Lui, par le vicomte de Spœlberch de Lovenjoul, et le volume de Mme Arvède Barine, Alfred de Musset.
  728. Horace, chap. Modèle:Sc et Modèle:Sc, où l’auteur raconte Modèle:Corr de Paul Arsène, dit le Masaccio.
  729. Hiver à Majorque, chap. iv.
  730. Histoire de ma vie, t IV, p. 242-252.
  731. Parut dans la collection : Histoire des artistes vivants, études d’après nature, par Théophile Modèle:Sc, Modèle:2e livraison : Delacroix. Paris, Blanchard, 1856.
  732. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. Modèle:Ier, p. 246.
  733. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 99, 101-102, 108, et enfin 213-214.
  734. Ibid., t. II, p. 345, 350, et le présent tome, p. 28.
  735. V. t. I, p. 4, 11-12, 246 ; t. II, p. 34, 213, 441.
  736. Heines Sämmtliche Werke ; II Band : Lutezia, Franzosische Zustände, S. 282-307, George Sand (1840) und Spätere Notiz (Notice ultérieure) (1854).
  737. Jules Néraud.
  738. Sainte-Beuve annonçait à ses amis M. et Mme Olivier, au printemps de 1839, que « Didier se mariait… avec une amie de Mme Sand », une demoiselle belge, « bien posée dans le monde et ayant quelque fortune et encore plus d’espérances ». (Cf. Correspondance inédite de Sainte-Beuve avec M. et Mme Juste Olivier, p. 153.)
  739. Heine commet une petite erreur dans le titre de l’œuvre de l’une de ses amies : la princesse Christine de Belgiojoso fit paraître, en 1846, sous le voile de l’anonyme, un ouvrage en quatre volumes, intitulé Essai sur la formation du dogme catholique. (Paris, Renouard.) Balzac, de son côté, appelle ce livre dans une de ses Lettres à l’Étrangère : Essai sur l’établissement du dogme catholique. (Lettres à l’Étrangère, t. II, p. 164.)
  740. Heines Werke, V Band : Ueber Deutschland, p. 2, 4.
  741. Fr. Modèle:Sc, Aus meiner Zeit, Lehenserinnerungen. (2 Bande. München, 1894, Friedrich Bruckmann. I Band, S. 187-188.)
  742. Heine passa quelques mois, de la fin d’août et presque jusqu’à la fin de décembre 1835, à Boulogne-sur-Mer. (Cf. Heines Werke, 20ter Band, Briefe, Zweiter Theil.)
  743. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 296-297.
  744. Urkunden zur Geschichte der neueren deutschen Literatur : Briefe von Heinrich Heine an Heinrich Laube herausgegeben von Eug. Wolff, Breslau,. Schottlânder, 1893.
  745. Balzac mourut le 17 août 1850.
  746. Erinnerungen an Heinrich Heine und seine Familie von seinem Bruder Maximilian Heine. (Berlin, 1868, Ferdinand Dümmler.)
  747. Frankfurter Zeitung den 26 Juni 1904, N° 134.
  748. Ibid., Freitag den 12 August. 1904, N° 223.
  749. Ces mots de Heine se rapportent au petit article de Laube Une visite chez George Sand, dans lequel il raconte leur visite avec Heine chez la célèbre femme, en 1839. Cet article parut en cette même année dans les colonnes de la Gazette d’Augsbourg et fut réimprimé plus tard dans les Souvenirs de Laube, qui forment les volumes I et II de ses œuvres complètes. Voici ce que Laube raconte : Dès son arrivée à Paris, il tâcha de pénétrer chez différentes célébrités du jour… Un jour, il demanda à Heine : « Connaissez-vous Mme Dudevant ? — Oh ! oui, répondit Heine, seulement voici deux ans que je ne l’ai vue, mais je la fréquentais souvent. — Mais est-ce que cette dame ne prendra pas mal votre oubli et ne vous recevra-t-elle pas mal aussi ? » (Laube ne savait pas sans doute que depuis l’hiver de 1836-1837, — lorsque Heine, comme nous le savons, la voyait souvent à l’hôtel de France, — Mme Sand passa tout le temps soit à Nohant, soit dans le Midi.) « Je ne le crois pas, dit Heine, elle demeure à Paris comme moi, et je lis toutes ses œuvres. — Et qui est donc son cavalier actuel ? » Heine répondit : « C’est Chopin, un virtuose-pianiste, un homme charmant, maigre, svelte, éthéré comme un fantôme, dans le genre d’un poète allemand, chantant la divine solitude (Modèle:Lang. — Les virtuoses paraissent être dans son goût, remarqua Laube. Est-ce que Liszt n’a pas été longtemps son favori ? » Heine dit : « Elle cherche Dieu, or il n’est nulle part chez soi autant qu’en musique ; c’est quelque chose d’universel, cela ne tire pas à contradictions, ce n’est jamais bête, parce que cela n’a pas besoin d’être spirituel, il y a tout ce que l’on veut et ce que l’on peut, cela nous libère de l’âme qui nous tourmente, sans toutefois nous rendre inanimés (Modèle:Lang),… etc., etc. »
    Laube raconte plus loin comment il alla, quelques jours plus tard, en compagnie de Heine, faire une visite à Mme Sand, qui était encore au lit à deux heures, mais qui se leva bientôt et les reçut avec beaucoup de simplicité et de bonne grâce. Chopin lui prépara tout familièrement son chocolat dans la cheminée du salon, et pendant qu’elle l’avalait, arrivèrent Bocage, Sosthène de La Rochefoucauld et Lamennais, et une conversation fort animée s’engagea. Laube s’attendait à voir une virago, une « homme-femme » ; il vit une simple et charmante femme d’esprit et il garda un souvenir enthousiaste d’elle, de son accueil, et surtout de la dispute plus qu’intéressante entre Heine et Lamennais sur le spiritualisme et le sensualisme et sur les questions religieuses qui n’étaient pas seulement à l’ordre du jour en cette année où parut Spiridion, mais qui avaient de tous les temps été les plus chères et les plus importantes pour George Sand, — parce qu’elle « cherchait Dieu avidement », comme le remarque judicieusement Laube, et comme elle le confessa elle-même maintes fois…
    Tout récemment, le docteur Gustave Karpelès redit et cita d, ns le chapitre xxi de son intéressant et beau livre : Heinrich Heine. Aus se nem Leben and aus seiner Zeit (Leipzi, Adolf Titze, 1899), ce petit article de Laube en l’accompagnant de Notes que Laube lui communiqua par écrit et de vive voix.
  750. Heine dit en note à cette page que dans le manuscrit original il avait même mis : « Béranger vient après eux deux », et qu’il ne donnait à Victor Hugo que la troisième place.
  751. Heine parle lui-même dans sa lettre du 30 mai 1855 à Jules Kampe du succès extraordinaire et du bruit que fit sa Lutèce à Paris. (Heines Werke, 22 ter Band, Briefe, vierter Theil. Hamburg, Hoffmann et Kampe, 1876.)
  752. Ces Lieds avaient mérité les plus grands éloges de la part de Schubert et du poète Nicolas Lenau qui les trouvait même trop délicats pour la foule « qui a de si grandes oreilles », disait-il après la représentation du premier opéra de Dessauer, en 1839.
  753. Il lui dédia ses deux admirables Polonaises, op. 26.
  754. Bauernfeld, l’un des plus célèbres poètes de la « Jeune Allemagne », naquit le 13 janvier 1802 à Vienne, mourut le 9 août 1890 dans cette même ville.
  755. Déjà sur le tard de sa vie, il composa une fois tout un roman humoristique en vers, ayant pour sujet la vie des chats, qu’il accompagna de dessins autographes. Ces illustrations méritèrent, au dire de Bauernfeld, une entière approbation et les éloges du célèbre peintre et dessinateur Moritz Schwindt.
  756. Bauernfeld assure dans ses Souvenirs que ce sobriquet resta à Dessauer, depuis le jour où il chanta devant Mme Sand une chanson hindoue. Nous n’avons pas encore pu éclaircir la question. Qu’était-ce que cette chanson ? une vraie mélodie hindoue, une romance de Dessauer lui-même, sur quelque poésie traitant de l’Inde, ou bien simplement quelque farce musicale très en vogue à Nohant et dont en trouve des spécimens dans la correspondance Sand-Dessauer ? De ce même nom de Crishni l’appellent toujours dans leurs lettres les époux Viardot. Dans une lettre datée de 1843 de Vienne, où Mme Viardot et son mari revirent leur ami, ils écrivirent tous les trois quelques pages fort plaisantes à Mme Sand, qui se terminaient par une série de jeux de mots de Louis Viardot et de Crishni.
  757. M. Sack semble ne pas approuver ce silence. À son dire, pendant que tout le public viennois riait et applaudissait aux sorties comiques du livre de Heine, Dessauer… se taisait. Grave erreur aux yeux de M. Sack.
  758. Histoire de ma vie, t. IV, p. 460.
  759. Mme Charlotte Glummer fit paraître une traduction complète de cette œuvre, en douze volumes, en 1854-1856.
  760. Le comte Alexandre-Antoine Auersperg, l’un des poètes les plus connus de l’Allemagne du dix-neuvième siècle, sous le pseudonyme d’Anastasius Grün, fut en même temps l’un des plus nobles champions du mouvement libéral autrichien ; il prit une part active à la révolution viennoise de 1848, et servit sa patrie jusqu’à sa mort, en sa triple qualité d’homme d’État, de poète et de publiciste. Il naquit le 11 avril 1806 à Laibach et mourut le 12 septembre 1876 à Gratz.
  761. Briefwechsel zwischen Anastasius Grûn und Ludwig August Frank (1845-1876). Herausgegeben von Modèle:Dr Bruno von Frankl-Hochwart. Neue Ausgabe. Berlin, 1905. Herm. Ehbock, p. 52. Brief vom 9 déc. 1854.
  762. Naquit à Lovas-Bereny (en Hongrie), en 1795, mourut à Vienne, en 1858.
  763. Nous attirons l’attention sur ce passage de la lettre de Heine que nous soulignons et qui semble contenir une très vague allusion soit à Léo (ami de Chopin, mécène et en même temps commerçant de vins en gros) et à ses relations avec Dessauer, soit à Schlesinger, l’éditeur musical connu. Si, comme Heine l’assure, rien de semblable à un emprunt « n’était jamais arrivé », pourquoi alors tout ce racontar soudain sur « un capitaliste musical », et son « serviteur musical », et même l’indication du chiffre précis de 12 pour 100, moyennant lesquels ce « bailleur de fonds » escomptait ses lettres de change ? Nous devons confesser que les assertions : « Je n’ai pas emprunté d’argent à Dessauer », « je ne me suis pas adressé à Dessauer », même les plus catégoriques qui se répétaient à satiété durant cette polémique, nous semblent contenir une allusion tacite à quelqu’un à qui Heine avait emprunté de l’argent par l’intermédiaire de Dessauer. Mais ni Heine ni Dessauer ne crurent possible de nommer le mécène car c’était pour ainsi dire un secret professionnel.
  764. Expression de Wallenstein de Schiller.
  765. Nous avons copié cette lettre sur les colonnes mêmes du Fremdemblatt. Depuis sa publication dans cette feuille, elle n’a jamais été réimprimée complètement, sauf le livre du docteur Frankl, et ne fait point partie de la Correspondance de Heine. M. Sack la cite avec l’omission de tous les passages que nous donnons entre crochets. C’est aussi nous qui soulignons toutes les lignes données en italique. Modèle:Droite
  766. Voir à ce propos rien que la brochure d’Eug. Wolff, qui cite les lettres de Heine à Laube à ce sujet, sans parler des autres biographes du poète.
  767. Les lettres précédentes furent toutes copiées par nous sur les autographes ou sur les vieux journaux où elles parurent. Nous empruntons par contre la lettre du comte Auersperg au livre du docteur Bruno de Frankl (p. 73).
  768. Lettre de Heine à son frère.
  769. Modèle:Lang A. Grün und L. A. Frankl (p. 74).
  770. Cette signature seule est de la main d’Henri Heine.
  771. Inédite.
  772. V. plus loin chap. xi.
  773. Si le lecteur se rappelle, c’était^un ami intime de Sophie-Antoinette Dupin, mère de Mme Sand.
  774. C’est-à-dire Mme Dorval.
  775. Inédite.
  776. Corresp., t II, p. 150-151.
  777. Le docteur Gaubert jeune. Son père (ou oncle), grand ami de Chopin et de George Sand, mourut au printemps de 1839, pendant le séjour de Mme Sand à Marseille. (Cf. Corresp., t. II, p. 144, et la lettre médite à Mme Marliani du 22 avril 1839 donnée plus haut.)
  778. Sobriquet de Duteil.
  779. Inédite.
  780. Franzosische Zustànde, IV Theil, p. 294.
  781. V. notre tome II, p. 371.
  782. Correspondance, t. II, p. 152.
  783. C’était le sobriquet du graveur Luigi Calamatta, qu’on surnommait encore dans la maison de George Sand le Calamajo (ce qui est plus adapté à un graveur).
  784. George Sand dit dans une lettre à Sainte-Beuve, datant de la même époque et dans laquelle elle se plaint assez amèrement des changements et des coupures que l’on fait subir à Cosima aux répétitions, qu’elle n’avait jamais pensé d’abord à ce que sa pièce fût jouée et qu’elle avait simplement revêtu ses idées de la forme dramatique, comme déjà précédemment elle avait écrit quelques « romans dialogues ». (Cette lettre est imprimée dans le très intéressant volume de M. Clément Janin, Dédicaces et lettres autographes. Dijon, 1884, Darantière.
  785. Inédite.
  786. Inédite.
  787. Lettres inédites à Hippolyte du 28 août, et à Papet de cette même date et du 2 septembre 1840.
  788. Nous avons déjà vu par la lettre de Balzac de 1841 (v. plus haut) qu’il déclare catégoriquement que Mme Sand n’était « pas sortie de Paris l’année dernière ». Mais, outre cette déclaration, nous voyons encore par toutes les lettres et les adresses des lettres de George Sand et à George Sand pendant cette année de 1840 qu’elle ne quitta pas la rue Pigalle d’octobre 1839 à juin 1841.
    M. Ferdinand Hœsick qui publia dans la Biblioteka Warszawska de 1899 un très intéressant article sur les relations entre Chopin et Fontana et qui prouva clairement par la confrontation des lettres autographes de Chopin avec les lettres tronquées, changées et fantaisistement datées par Karasowski, combien peu il fallait se fier au texte et aux dates de ce dernier, reconstitua la chronologie de presque toutes les lettres de Chopin à Fontana. Il ne s’abuse qu’en disant (p. 17 de la Bibliothèque W. de juillet 1899) qu’à « l’arrivée de l’été il s’y rendit de nouveau » (à Nohant). Cette assertion n’est basée sur rien, car, comme nous venons de le dire, on voit par le contenu, les adresses et les dates de toutes les lettres tant imprimées qu’inédites de George Sand et à George Sand, que pendant une année et demie elle ne quitta Paris que pour deux jours et n’alla point du tout à Nohant. Il serait ridicule alors de croire que Chopin y alla seul. Donc la lettre de Chopin écrite de Nohant et datée de mercredi, dans laquelle Chopin prie Fontana d’aérer l’appartement et d’y faire faire du feu avant « leur arrivée à Paris », ne doit pas être rapportée à 1840, mais bien à 1842 ou même 1843. Cette lettre commence par les mots : « Modèle:Lang… » et on y trouve l’allusion à « l’accompagnement de l’honoré M. Lenz », or, Lenz (voir plus loin) ne fit la connaissance de Chopin qu’en 1842, — donc cette lettre ne peut pas avoir été écrite plus tôt.
  789. Nous soulignons dans ces deux lettres les phrases omises dans la Corresp., t. II, p. 155.
  790. Inédite.
  791. La contrariété principale consistait dans sa querelle avec Buloz, à propos de Perrotin et du refus de Buloz de publier le Compagnon du tour de France dans la Revue des Deux Mondes, si l’auteur n’y faisait des changements considérables.
  792. Un des personnages secondaires du Compagnon, fat impudent du genre épicier, toujours abhorré par la grande romancière.
  793. Ces trois passages sont inédits.
  794. Nous ne saurions dire à quel portrait de George Sand fait ici allusion Gutzkow.
  795. Élisabeth Brentano, connue sous le prénom de Bettina, sœur du Modèle:Tiret2 poète Clément Brentano et épouse du poète romantique comte Louis Achim de Arnim, amie de Gœthe et de la plupart des artistes et poètes de 1848, fut elle-même une célèbre poétesse, un écrivain politique très connu. Elle prit part au mouvement de 1848, ce qui lui nuisit beaucoup dans le « grand monde », fonda des œuvres de bienfaisance, s’intéressa aux questions sociales. Sa passion enfantine pour Gœthe fut cause d’une correspondance avec le poète, qu’elle publia sous le titre de Gœthe 1 s Briefwechsel mit einem Kinde (1835. Berlin, 3 vol.). Cette œuvre fut, en 1843, traduite en français en deux volumes par Mme Hortense Cornu qui écrivait sous le pseudonyme de Sébastien Albin. Bettina naquit à Francfort-sur-le-Mein le 4 avril 1788, mourut à Berlin le 20 janvier 1859.
  796. George Sand, qui, dès son adolescence, s’était enthousiasmée pour Schiller et Leibniz ; qui, vers 1840, non seulement étudiait les œuvres de Gœthe, mais qui écrivit encore deux articles, l’un sur Faust, l’autre sur la traduction de Werther ; qui adorait Hoffmann ; qui était l’amie de Heine et de Dessauer, qui connut plus tard le docteur Muller-Strübing, Herweg et toute une série de jeunes politiques allemands ; qui lisait beaucoup les œuvres de Heine, eût sans doute été fort étonnée d’entendre cette opinion de Gutzkow, si elle l’eût connue. Mais il est à croire que Gutzkow n’aurait pas du tout écrit ce passage sur Mme de Chezy, s’il avait su que Mme Sand avait personnellement connu Mme Chezy et entretenait une correspondance avec elle et que sa demande était simplement dictée par l’intérêt porté à une personne amie.
  797. Mme veuve Valchère, de Nevers, était propriétaire à Épinay-sur-Orge (Seine-et-Oise).
  798. Julien-Ursyn Niemcewicz, écrivain très connu et homme politique polonais, naquit en 1754 et mourut en 1841 ; il fit les campagnes aux côtés de Kosciuzko, dont il fut l’aidé de camp et dont il partagea la captivité ; il fut plus tard secrétaire du Sénat polonais et finit sa vie comme émigré à Paris.
  799. Jules Slowacki, contemporain, cadet et rival de Mickiewicz, ami de Krasinski, auteur du Cordian, de Beniowski, d’Angelli, de la Balladyne, du Songe d’argent de Salomée, du poème En Suisse et de plusieurs volumes de poésies lyriques, naquit à Krzemeniec en 1809, vivait depuis 1831 comme émigré à Paris ; il voyagea en Suisse, en Italie, en Grèce, en Palestine et en Égypte, fut d’abord un romantique exalté et byronisant, devint, sur la fin de sa vie, un mystique et un towianiste, et dans ses dernières œuvres (la Genèse de l’Esprit, le Roi Esprit) prêcha la renaissance des esprits sur la terre, la métempsycose, dans le goût de Leroux et V incarnation des idées dans des personnes et des peuples (après une suite d’existences successives dans les organismes inférieurs, à commencer par les minéraux et jusqu’à l’homme).
  800. Sigismond Krasinski, le troisième grand poète polonais après Mickiewicz et Slowacki, une personnalité sympathique et une âme lumineuse, naquit en 1812. Il appartenait à une grande maison affidée au gouvernement russe ; après l’émeute de 1830, emmené par son père à Saint-Pétersbourg, il dut entrer au service russe, mais heureusement, à la suite d’une maladie d’yeux, il put partir à l’étranger et vécut à Rome, à Vienne, à Paris, à Nice, en Allemagne. Pendant sa vie, ses œuvres, où il exprimait de profondes pensées en une forme exquise, paraissaient, par considérations de famille, sans nom d’auteur, et il fut longtemps connu sous le nom du Poète anonyme de la Pologne. Parmi ses œuvres les plus célèbres, nommons : la Comédie infernale, Iridion, la Nuit d’été, V Aurore, Béatrix, et les célèbres Psaume de bonne volonté et Psaume de la pitié, sans parler d’une série de poèmes et de poésies lyriques. Vers la fin de sa vie, il se brouilla avec son ami Slowacki à cause de leurs opinions politiques et religieuses respectives. On trouve la trace de cette querelle d’opinions dans les œuvres des deux poètes, qui y firent entendre leur désenchantement réciproque. Il mourut en 1859.
  801. M. Wlad. Spasowicz, dans son Histoire des littératures slaves (p. 668), appelle ce drame simplement « faible », et M. Belcikowski déclare « qu’il manque absolument de mouvement dramatique ». (Cf. la Vie de Mickiewicz écrite par son fils, M. Ladislas Mickiewicz, t. II, p. 392.) Mais ce même M. Ladislas Mickiewicz donne en Appendice, à la deuxième série des Œuvres posthumes de son père, plusieurs articles de journaux polonais de 1872, d’où il appert que lorsque, au centenaire de la confédération de Bar, on fit jouer à Cracovie les deux premiers actes de ce drame, ils eurent un grand succès. Nous croyons toutefois que ce fut plutôt un succès patriotique qu’artistique.
  802. Cf. Mélanges posthumes d’Adam Mickiewicz, publiés avec Introductions, préfaces et notes, par Lad. Mickiewicz. Paris, 1872-1879, l re série : Drames polonais, Préface, p. 15-16. Lettre de Félicien Mallefille à M. Ladislas Mickiewicz du 2 août 1867.
  803. Ibid., p. 12. Lettre d’Alfred de Vigny à Adam Mickiewicz du Modèle:1er avril 1837.
  804. Il les munit, comme on le sait, d’innombrables commentaires, introductions, avant-propos, préfaces, postfaces, appendices, au milieu desquels les œuvres mêmes de son père n’occupent que fort peu de place. Au dire de la critique française, les œuvres d’Adam Mickiewicz sont quasi noyées dans cette masse de suppléments. Mais si l’on considère tous ces suppléments comme une œuvre littéraire elle-même, il faut les apprécier comme des documents littéraires du plus haut prix, contenant des données biographiques très précises et très complètes sur Adam Mickiewicz, la critique de toutes ses biographies parues jusqu’alors (la Biographie, en quatre volumes, écrite en polonais par M. Ladislas Mickiewicz lui-même, ne parut qu’entre 1892 et 1896), des notes extrêmement intéressantes sur la plupart de ses œuvres, des détails sur une foule d’écrivains, d’hommes politiques et d’œuvres d’art polonais, des renseignements, des indications, des parallèles historiques les plus divers, et enfin des séries de pages, consacrées à la question russo-polonaise. N’était la crainte d’avancer un paradoxe, nous dirions même qu’au fond ces deux volumes, c’est l’histoire de la question russo-polonaise expliquée par les deux Mickiewicz, le père et le fils.
  805. Si le lecteur s’en souvient, George Sand avait écrit à la comtesse d’Agoult, déjà à la date du 5 avril 1837 : « … Dites à Mick… (manière non compromettante d’écrire les noms polonais) que ma plume et ma maison sont à son service et trop heureuses d’y être ; à Grrr… que je l’adore ; à Chopin que je l’idolâtre ; à tous ceux que vous aimez que je les aime et qu’ils seront les bienvenus amenés par vous… » (Corresp., t. II, p. 60. Voir aussi notre t. II, p. 355.)
  806. La comtesse d’Agoult était alors sur le point de commencer en compagnie de Liszt un long voyage en Italie.
  807. Adam Mickiewicz était marié avec Mlle Céline Szimanowska, la fille de la célèbre pianiste Mme Marie Szimanowska.
  808. Le comte Albert (ou plutôt Woyciech) Grzymala, ami de Chopin et de Mickiewicz, naquit à Dunajowcy, en Podolie, embrassa d’abord la carrière militaire, fut successivement aide de camp de Zajaczek et de Joseph Poniatowski, prit part à la campagne de 1812, fut fait prisonnier, passa trois ans à Pultawa, toujours avec Zajaczek (les relations avec la famille duquel lui nuisirent beaucoup dans l’opinion publique). Plus tard, il fut député et remplit les fonctions de référendaire du Conseil d’État. Grâce à sa participation à la Société dite « Patriotique », il dut comparaître avec les autres membres de la Société devant la justice, où il fit triste contenance ; il fut condamné d’abord à trois mois de prison, puis, sur un ordre express de Nicolas Modèle:Ier, tous les condamnés furent transférés à Saint-Pétersbourg et enfermés dans les casemates de Saint-Pierre-et-Paul, d’où Grzymala ne sortit qu’en 1829. Ses malheurs lui ramenèrent la faveur de l’opinion publique. Il fut plus tard directeur de la Banque, débuta aussi dans la carrière littéraire (il écrivit les Mysli Polaka konstitucyjnego), et sa maison devint le point de réunion des artistes et des écrivains, grâce à sa femme, une beauté « divine, sublime, mythologique ». Grzymala dut émigrer comme tant d’autres et mourut à Paris en 1855. Comme caractère, ce ne fut pas quelqu’un, — au dire de beaucoup de personnes, — mais un homme agréable et très serviable. (V. à ce sujet la biographie de Chopin, par F. Hoesick, p. 451 et 454, où l’on trouve aussi des détails sur lui, tirés du livre de Szimon Askenazy, Zobiegi dyplomaiyczne polski et les Souvenirs d’André Kozmian, assez malveillants tous les deux.)
  809. Dans les Œuvres complètes de George Sand, cet article fait partie du volume Autour de la table.
  810. Autour de la table, p. 136.
  811. Dziady ou la Fête des Morts, poème traduit du polonais d’Adam Mickiewicz, II e et III e parties. Un vol. in-16. Paris, Clétienne, 1834. Cette traduction est faite par M. Burgaud des Marets et revue par l’auteur lui-même.
  812. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 387. François Grzymala, qu’il ne faut point confondre avec Albert Grzymala, était poète et critique, éditeur de l’Astrée et de Sibylle deux publications polonaises fort répandues en leur temps. C’était un émigré et un grand ami de Chopin.
  813. Léon Modèle:Sc, Sainte-Beuve, t. II ; Ses Mœurs, chap. Modèle:Sc, Madame Juste Olivier, p. 109-111.
  814. M. Ladislas Mickiewicz (qui le publia dans le volume des Mélanges posthumes) a eu bien raison de le dater de 1843. Dans la Vie d’Adam Mickiewicz, M. Ladislas Mickiewicz rapporte ce même billet à 1840.
  815. C’est en note à ce billet que M. Ladislas Mickiewicz dit avec justice : « Ce billet de Mme Sand, ainsi que le précédent, est sans date. Mais ils sont adressés rue d’Amsterdam, n° 1, où M. Adam Mickiewicz demeura à son retour de Suisse, fin 1840, jusqu’à l’année 1845. Ils sont probablement du printemps 1843, époque à laquelle Mme Sand écrivit également à M. Mickiewicz à propos de ses leçons sur la Comédie infernale de Krasinski, professées au Collège de France en février 1843. »
  816. Cité par M. Ladislas Modèle:Sc dans les Mélanges posthumes, Modèle:2e série, Au lecteur bénévole, p. Modèle:Sc.
  817. M. Alf. Dumesnil fut plus tard gendre de Michelet et son successeur à la Sorbonne.
  818. V. Zywot Adarna Mickiewicza… przez Wladislawa Mickiewicza, 4 vol. Posnan, 1890-96, t. III.
  819. Tous les Chodzko se distinguèrent plus ou moins dans les lettres. Ignace Ch. (né en 1794, mort en 1861) publia plusieurs nouvelles et contes de mœurs lithuaniennes (cf. Modèle:Sc, Littérature polonaise, p. 742) ; Léonard Ch. (v. Mélanges posthumes d’Adam Mickiewicz, Modèle:2e série : Au lecteur bénévole, p. x-xv) fut le premier biographe de Mickiewicz, ayant publié un article sur lui dans la Biographie universelle et portative des contemporains, éditée par Alf. Rabbe. Enfin Alexandre Chodzko, ami de Mickiewicz et de Chopin, né en 1804 dans le gouvernement de Minsk, fit ses études à l’Université de Vilna, témoigna dès cette époque d’un vif intérêt pour la poésie populaire, puis, entré à l’Institut des langues orientales à Saint-Pétersbourg, il débuta dans les lettres par un poème dans le goût oriental, Dérar. En 1829 il publia à Saint-Pétersbourg un recueil de ballades, de légendes, de chansons néo-grecques, de traductions de Pouchkine et de Byron. En 1830 il fit un voyage en Perse et y étudia la poésie persane. Après 1831, il se fixa à Paris, publia en français et en anglais beaucoup d’études sur la poésie orientale et les œuvres de la littérature populaire slave, sur les chants des Lithuaniens, Tchèques, Petits-Russiens, Latyches, etc.; il fut un des orientalistes les plus célèbres, occupa la chaire des langues orientales au Collège de France, après Mickiewicz et Cyprien Robert. Il mourut en 1891.
  820. Alexander Modèle:Sc, Modèle:Lang
  821. Modèle:Corr l’édition Lévy des Œuvres complètes de George Sand fait partie du volume de Piccinino.
  822. Doctrine mystique d’André Towianski, gentilhomme polonais exalté, qui prêchait la rédemption et la résurrection de la Pologne par un sauveur providentiel dont toute la nation devait attendre et accélérer la venue par des actes de foi et de repentir. Mickiewicz, Slowacki et beaucoup d’autres illustres Polonais devinrent adeptes de cette doctrine et c’est même grâce à son adhésion trop fervente aux idées de Towianski que Mickiewicz dut suspendre son cours et abandonner la chaire du Collège de France en 1844.
  823. Revue des Deux Mondes du Modèle:1er juin 1841.
  824. M. Lèbre.
  825. Cet article parut dans le numéro du Siècle du 26 décembre 1839 et fait partie dans les Œuvres complètes du volume des Nouvelles Lettres d’un voyageur.
  826. Théophile Thoré naquit le 23 juin 1807, mourut le 30 avril 1869.
  827. Adalbert Statler, peintre polonais, passa plusieurs années en Italie, où il fit la connaissance d’Adam Mickiewicz, dont il peignit plus tard un merveilleux portrait. Son tableau le plus connu représente Mickiewicz lisant sur le parvis de l’église de Notre-Dame de Cracovie son Livre de la nation polonaise à la face d’une foule immense.
  828. Rappelons pourtant encore une fois cet incident au souvenir du lecteur : lorsque le 24 décembre 1840 les émigrés polonais se réunirent à une soirée chez Januszkiewicz, pour célébrer la fête de Mickiewicz et pour accomplir l’usage touchant de la patrie en mangeant en commun le gruau traditionnel, le jeune Slowacki, que Mickiewicz traitait toujours avec froideur et négligence et auquel il avait voué des sentiments non moins hostiles, quoiqu’il l’admirât comme poète, surtout comme l’auteur du Sieur Thadée, Slowacki, disons-nous, adressa à Mickiewicz un discours en vers. En rendant toute justice au grand poète, mais conscient de lui-même et dans un sentiment de fière dignité, il y déclarait que lui aussi, pour ses souffrances et pour ses œuvres, il avait bien mérité l’amour de la patrie et une place au royaume de la poésie. Mickiewicz lui répondit par une improvisation magnifique ; tous les assistants pleurèrent, emportés dans un élan d’enthousiasme, et les deux poètes s’embrassèrent et causèrent longtemps très amicalement en marchant de long en large par le salon. Mais malgré tous ces toasts et toutes ces démonstrations, il ne s’ensuivit pas de réconciliation durable. Grâce au caractère ombrageux et fier de Slowacki, à la négligence froidement méprisante de Mickiewicz et surtout grâce aux « amis » dont les uns appréciaient réellement Slowacki et d’autres se donnaient le cruel plaisir d’exciter traîtreusement son humeur offensée, les choses en revinrent bientôt à une querelle ouverte. (V. Slowacki, Lettres à sa mère, p. 97 ; Mickiewicz, Correspondance, t. Modèle:Ier, p. 175, et surtout la Vie de Mickiewicz par son fils, t. II.)
  829. « Dit-on » veut certainement dire « dit Chopin ». On sait que Slowacki aussi, en rendant justice au génie poétique du célèbre musicien, son compatriote, et en s’extasiant sur son jeu (par exemple dans les Lettres à sa Mère, 1830-1848, Lwow., 1875), faisait parfois des remarques assez mordantes sur son compte. Cette petite ombre de malveillance de part et d’autre s’explique, il nous semble, par leur rivalité en amour pour Marie Wodzinska. Dans ces mêmes Lettres à sa mère, Slowacki parle avec enthousiasme de George Sand. (V. surtout les pages 134, 155, 161, 165, 167.)
  830. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 358-360. Des discussions sur la musique descriptive que George Sand rapporte dans ses Impressions et Souvenirs, il ressort d’une manière absolument claire pour tout lecteur contemporain, que Chopin — comme un grand subjectiviste qu’il était — niait complètement et ne comprenait point que la musique puisse rendre les tableaux de la nature tout objectifs, trouvant leur expression dans les compositions dites à programme, les « poèmes symphoniques » descriptifs. Qui comprenait d’une manière exquise la différence entre la musique à programme et la musique absolue ou abstraite, ce fut Tchaikowski. (V. la Vie de Pierre Iliytch Tchaikowski, par Modeste Tchaikowski, t. II, p. 237 ; Lettre à Mme N. de Meck, datée du 5 décembre 1878, où il donne une définition profonde des deux genres.)
  831. Nous omettons les explications trop professionnellement spéciales de Delacroix qui précèdent et suivent, elles pourraient pourtant être considérées comme une première ébauche des doctrines des pleinairistes et des impressionnistes, et nous conseillons à ceux de nos lecteurs qui s’intéressent à ces questions de relire tout ce chapitre des Impressions.
  832. Modèle:Sc, Au delà du Rhin.
  833. Lorsque Chopin se préparait à donner un concert, il ne s’adonnait jamais à l’étude de ses œuvres à lui, qu’il allait exécuter, mais jouait quotidiennement le Clavecin bien tempéré et autres œuvres du grand maître de chapelle de Leipzig.
  834. Cf. notre premier volume, p. 435, et t. II, la note à la page 17.
  835. Impressions et Souvenirs, p. 243.
  836. Mot changé dans la Corresp. imprimée. (Cf. t. II, p. 115.)
  837. Nous avons déjà cité une partie de ces lignes p. 66.
  838. Nous avons omis ces lignes en citant cette lettre du 15 janvier à la p. 78.
  839. Inédite.
  840. Même lettre inédite.
  841. C’est ainsi, par exemple, que Julien Schmidt dit que Spiridion n’est qu’une imitation du Seraphitus (Seraphita) de Balzac, et M. Skabitchevski déclare que Spiridion est « une œuvre fantasque, ou plutôt une divagation de délire… », etc., etc.
  842. Modèle:Sc, Lettres à Berthelot. (Revue de Paris, Modèle:1er août 1897, p. 492.)
  843. Rappelons-nous que Lessing dit dans la préface de son Éducation du genre humain : « Pourquoi ne pas préférer voir dans toutes les religions positives la voie par laquelle l’esprit humain pouvait avancer partout et exclusivement, et dans laquelle il devra se développer à l’avenir aussi, au lieu de nous moquer ou de nous fâcher contre l’une de ces religions ?… » (Œuvres complètes de Lessing, en un vol. Leipsick 1841, 939 pages.)
    Leroux lui-même, en revenant encore une fois dans la conclusion de son Humanité (p. 391) sur ce qu’il avait déjà exposé dans son Encyclopédie, s’explique ainsi sur la nature de la religion : « Le fond de la religion est éternel, car c’est la connaissance subjective que nous avons de la vie qui est ce fond. Mais la manifestation objective qui en résulte est variable et changeante suivant les progrès de notre connaissance… »
  844. Histoire de ma vie, t. IV, p, 52-55.
  845. Histoire de ma vie, t. IV, p. 134.
  846. Il est à noter que dans le manuscrit primitif Hébronius ou Spiridion portait le nom de Pierre d’Engelwald, le même que portait le héros du roman écrit en 1836 et détruit plus tard par George Sand.
  847. Ce morceau est extrêmement remarquable et nous regrettons de ne pouvoir le réimprimer ici.
  848. Corresp., t. II, p. 138.
  849. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. Modèle:Ier chap. Modèle:Sc.
  850. Inédite.
  851. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, chap. Modèle:Sc, p. 229, chap. Modèle:Sc, p. 395.
  852. Corresp., t. II, p. 143.
  853. Corresp., t. II, p. 180. Cette lettre est erronément datée du « 27 septembre 1841 », dans la Corresp. ; elle fut écrite en novembre 1841. Nous en avons donné quelques lignes plus haut. p. 13.
  854. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, chap. Modèle:Sc.
  855. V. plus haut chap. Modèle:Ier, lettre inédite à Mme Marliani de Marseille.
  856. Parmi ses œuvres, les plus connues sont : le Compagnonnage (1839) ; le Livre du Compagnonnage (1839) ; Histoire d’une scission (1843) ; Mémoires d’un Compagnon (1854) ; Histoire démocratique des peuples anciens et modernes (1849-51) qui resta inachevée ; la Question vitale du Compagnonnage et de la classe ouvrière (1861) ; les Gavots et les Dévorants, pièce en cinq actes, etc.
  857. Chose d’autant plus facile à remarquer que George Sand le dit elle-même dans la Préface du Compagnon, écrite en 1852 pour l’édition des Œuvres complètes, qui parut entre 1852 et 1856, avec des dessins de Tony Johannot et de Maurice Sand.
  858. M. Skabitchewski dans ses articles sur George Sand, dans les Annales de la Patrie de 1881.
  859. V. Ed. Caro, George Sand, dans la série des Grands écrivains français. Paris, Hachette, 1887, p. 49.
  860. V. les feuilletons de M. Plauchut parus dans le Temps en 1891, sous le titre de Autour de Nohant. Ils furent réimprimés en volume sous le même titre, où ils parurent un peu modifiés et augmentés de plusieurs nouveaux chapitres.
  861. Elle est adressée : À Monsieur Alexandre Rey, rue Pigal (sic), n° 6, (Chaussée d’Antin), pour remettre à Mme George Sand, à Paris.
  862. Le timbre porte : Toulon, 15 août, mais la lettre est datée à l’intérieur du 16 août. Ce fut une erreur que Perdiguier constata lui-même en disant, dans une de ses lettres suivantes, qu’il s’était trompé, « ayant pris le jour de l’Assomption pour un dimanche… ».
  863. Dans la Corresp. (t. II, p. 346), cette lettre est faussement datée de « 1846 ». Elle ne fut point imprimée dans l’Entr’acte.
  864. Cet article intitulé : « le Compagnon du tour de France » parut effectivement dans l’Entr’acte du Modèle:1er janvier 1841. George Sand s’abuse dans sa lettre au directeur en prétendant que le feuilleton était intitulé « George Sand et Agricol Perdiguier », et qu’il avait paru « le 24 décembre dernier ».
  865. Notre assertion se trouve de tous points confirmée, outre les lettre inédites de Perdiguier, par tout ce que dit à ce propos le biographe de Perdiguier, M. Achille Rey, qui fit paraître, en 1904, une très intéressante plaquette : Agricol Perdiguier, pacificateur du compagnonnage, sa vie, son œuvre. (Avignon, J. Chapelle, 22 pages.)
  866. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. Modèle:Ier, chap. Modèle:Sc, p. 390.
  867. Corresp., t. II, p. 94.
  868. On sait combien Béranger avait été magnanime et généreux envers Leroux : il avait signé un contrat avec l’éditeur Giraldon, par lequel il s’engageait à écrire une Histoire de Napoléon. Or, il n’y donnait que son nom : le travail devait être fait par Leroux, qui devait, grâce à cela, recevoir de l’éditeur de 44 000 à 50 000 francs. Leroux, toutefois, avait tellement laissé traîner ce travail (de 1838 à 1841), que l’affaire fut manquée. On lit à la page 318 (Appendice) de la biographie de Pierre Leroux, par M. F. Thomas, la très importante lettre de Béranger se rapportant à cet épisode et qu’il est de tout intérêt de confronter avec la Correspondance de Béranger (t. III, p. 135, 138 (NB), 145, 166 (NB), 172, 184, 186, 193, 195, 196, 199, 200).
    M. Thomas s’abuse en croyant que Leroux avait « écarté l’offre de Béranger, craignant de n’avoir pas toute sa liberté d’appréciation des hommes et des faits ». On voit par les lettres de Béranger que Leroux avait même reçu des avances, « des sommes sur lesquelles il vit déjà » avec sa nombreuse famille et que ce n’est que faute de travail livré à temps qu’il laissa échapper cette occasion de voir sa position améliorée. Cette générosité amicale de Béranger envers Leroux fut la cause de ce qu’il lui dédia son Humanité.
  869. Des points… dans la lettre autographe.
  870. Telle fut l’impression et l’expression du critique russe Annenkow, qui séjournait alors à Paris et envoyait des Lettres parisiennes à une revue russe. (V. Annenkow et ses amis. Saint-Pétersbourg, 1892, Souvorine, in-8°, p. 186 ; lettre du 29 novembre 1841.)
  871. À la fin de deux lettres inédites, Leroux y revient par deux fois :
    « Viardot me dit que vous allez écrire quelques pages sur le Salon. Nous aurons donc un numéro magnifique », lui écrit-il sur une feuille aux blancs de la Revue, en lui envoyant les épreuves des vers de Savinien Lapointe, qui devaient paraître dans le n°l. Quelques jours plus tard, il lui écrit encore :
    « Quant à l’article du Salon, si vous pouvez chercher encore et mettre la main dessus, ce sera bien ; sinon, remettez au mois prochain… »
  872. C’est comme une légère réminiscence de l’auteur qui se souvient que lorsque Aurore Dudevant arriva de Nohant avec Indiana parfaitement prête pour l’impression, elle vit, à son grand étonnement, que Jules Sandeau n’avait tracé, en son absence, qu’une seule ligne : Chapitre premier
  873. Beaucoup de ceux qui avaient eu le malheur de se trouver à Moscou en décembre 1905, et dans d’autres villes de la Russie en octobre de cette année, peuvent raconter des « courses au clocher » tout aussi tragiquement fantastiques et des cas de sauvetage par les toits et par-dessus les murs aussi fabuleux que réels !
  874. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 357, 358, 360-362.
  875. Cf. Une course à Chamounix, par Adolphe Modèle:Sc, et George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 246, 327, 333, 334.
  876. Marie de Flavigny, comtesse d’Agoult, était, comme nous l’avons dit, issue par sa mère de la famille des Bethmann, banquiers de Francfort.
  877. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 360, 362.
  878. Voir plus haut, chap. Modèle:Sc, p. 128.
  879. Dans l’Histoire de ma vie, en parlant des amis qu’elle n’avait « pas perdus de vue », Mme Sand nomme Mme Allart et lui voue les lignes suivantes : « Mme Hortense Allart, écrivain d’un sentiment très élevé et d’une forme très poétique, femme savante, toute jolie et toute rose, disait Latouche, esprit courageux, indépendant, femme brillante et sérieuse, vivant à l’ombre avec autant de recueillement et de sérénité qu’elle saurait porter de grâce et d’éclat dans le monde, mère tendre et forte, entrailles de femme, fermeté d’homme… »
  880. Mme Hortense Allart de Méritens, romancière et auteur d’études historiques et philosophiques, amie de Sainte-Beuve, de Bulwer, de Chateaubriand et de Gino Capponi, appartenait à la famille des Modèle:Sc Gay, étant la fille de Mme Mary Gay, cousine de Mlle Delphine Gay et nièce de Mme Sophie Gay, — toutes femmes de lettres connues. Elle naquit à Milan en 1801, eut une vie très orageuse, épousa assez tard M. Louis de Méritens, publia plusieurs romans, puis une série d’œuvres historiques très sérieuses, des œuvres de philosophie : Nouvelle Concorde des quatre Évangélistes, Novum Organum ou Sainteté philosophique, et enfin trois volumes de Mémoires, absolument remarquables par leur franchise et leur audace, publiés sous le titre d’Enchantements de Prudence Saman L’Esbatx, dont le premier volume parut en 1872, le second, intitulé Nouveaux Enchantements, en 1873, et le dernier, appelé Derniers Enchantements, en 1874. Nous reparlerons de ces ouvrages et de leur auteur. Notons, dès à présent, qu’on y trouve, à côté de révélations autobiographiques tout à fait surprenantes, des pensées très profondes, très fines et les détails les plus curieux sur ses amis intimes, littéraires et politiques. Ce fut une femme extrêmement bien douée, originale et remarquable. Ses Lettres inédites à George Sand méritent bien d’être publiées tant par leur verve, leur style élégant, spirituellement enjoué, leur sincérité émue que par les jugements pleins d’originalité, de profondeur rare et la modestie sympathique, la conscience de sa valeur secondaire à côté du « grand George », et par la sincère admiration pour ce dernier. George Sand écrivit, outre les lignes de L’Histoire de ma vie, deux fois sur son aimable et spirituel confrère. En 1857, elle publia dans le Courrier de Paris un article sur le Novum Organum, et en 1873 un autre dans le Temps sur les Enchantements de Prudence Saman, qui fait maintenant partie du volume des Impressions et Souvenirs.
  881. D’Agoult.
  882. Marliani.
  883. Lettres à l’Étrangère, t. Modèle:Ier, p. 514.
  884. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 369-370.
  885. Lettres à l’Étrangère, t. II, p. 160 : lettre du 15 mai 1843.
  886. Lettre du 16 mai 1843. Lettre à l’Étrangère, t. II, p. 164.
  887. V. plus haut, p. 129.
  888. Selon une autre version (v. George Sand, Questions d’art et de littérature, p. 77), Poncy ne fut pas même maçon, mais bien « un ouvrier en vidanges », c’est-à-dire qu’il s’occupait d’une profession devenue célèbre grâce à Akime, de Tolstoï. « Il n’y a rien de nouveau dans ce bas monde », tout se répète, même les représentants de la pureté d’âme et de la sagesse populaire, qui se trouvent être en même temps des fonctionnaires de l’assainissement public !
  889. Olinde Modèle:Sc, Poésies sociales des ouvriers, 1841.
  890. Cet article est signé Gustave Bonnin. George Sand eut plus tard souvent recours à ce pseudonyme de Bonnin, en n’y changeant que le prénom de « Gustave » pour celui de « Blaise ». C’est ainsi qu’elle signa du nom de Blaise Bonnin l’Histoire de Fanchette, en 1843, la Lettre d’un paysan de la Vallée Noire, qui parut dans l’Éclaireur de l’Indre en 1844 ; l’Histoire de France écrite sous la dictée de Blaise Bonnin, qui fut publiée à la Châtre, en brochure, en mars 1848, et enfin les Paroles de Blaise Bonnin aux bons citoyens, cinq brochures également parues en 1848 et réimprimées sous le vrai nom de l’auteur dans différents almanachs du temps.
  891. Il avait paru en cette année de 1842 une nouvelle édition des œuvres de Billault : Poésies de maître Adam Billault, menuisier de Nevers, précédées d’une notice biographique et littéraire, par M. Ferdinand Denis, accompagnées de notes par Ferdinand Wagnien, édition ornée de huit portraits et de deux vues du Nivernais. Nevers, 1842. 1 vol. in-8°.
  892. On lit dans une lettre inédite de Leroux, sans date ni adresse, écrite sur un papier portant l’en-tête de la Revue indépendante : Modèle:Droite « Voici, chère amie, la suite de vos épreuves et l’épreuve des vers de Savinien Lapointe, que vous aurez la complaisance de lui faire corriger. Je suis de votre avis, je trouve cette pièce fort remarquable. Ce que vous aviez souligné comme défectueux a été imprimé en caractères italiques. Il verra donc facilement où portent vos très justes critiques. »
  893. Charles Poncy naquit en 1821 et mourut le 30 janvier 1891.
  894. On voit par la Correspondance de Béranger et par le fort intéressant volume de M. Jules Canonge : Lettres choisies dans une correspondance de poète, communiquées à ses lecteurs par celui qui les a reçues, 1831-1866 (Paris, Tardieu, 1867), que George Sand n’épargna rien pour répandre le premier petit volume du jeune poète toulonnais et qu’elle l’avait envoyé elle-même à Béranger et à Canonge en accompagnant cet envoi de lettres autographes.
  895. Assertion pour le moins étonnante dans la bouche de George Sand, qui, en ces dernières années, écrivait journellement aux correspondants les plus divers de très longues lettres, si remarquables et si admirablement écrites qu’à elles seules elles auraient pu lui créer la réputation de grand écrivain, si même elle n’avait écrit rien d’autre !
  896. On trouve entre autres une opinion très intéressante et éminemment sympathique de Béranger sur George Sand dans le volume de Napoléon Peyrat, Béranger et Lamennais (Paris, Meyrueis, 1861), et surtout dans la lettre de Béranger à Peyrat, datée du 20 mars 1834, dans laquelle il appelle Mme Sand : « la reine de notre nouvelle génération littéraire ».
  897. Correspondance de Béranger, recueillie par Paul Boileau. (Paris, Perrotin, 4 vol. in-8°, 1860), t. III, p. 300.
  898. Mlle Marie Carpentier devint plus tard Mme Pape-Carpentier et fut la fondatrice et la directrice des célèbres écoles maternelles et salles d’asile et l’éditrice de toute une série de publications pédagogiques ou ayant trait à l’enseignement primaire, telles que : Conseils sur les salles d’asile, l’Enseignement pratique dans les salles d’asile, Cours d’instruction et d’éducation, Jeux gymnastiques et chants, l’Histoire du blé, Zoologie des écoles des salles d’asile et des familles, Histoire et Leçons de choses, les Grains de sable ou le Dessin expliqué par la nature, etc., etc. Ces deux dernières publications méritèrent l’attention particulière de Mme Sand, et la méthode de Mme Carpentier fut trouvée absolument remarquable par la grande femme qui s’intéressait toujours, comme on le sait, aux questions de l’enseignement primaire. On en trouve les preuves dans les lettres de Mme Sand à Mme Marie Pape-Carpentier, publiées dans le très intéressant livre de M. Emile Gossot : Madame Marie Pape-Carpentier, sa vie et son œuvre. (Paris, Hachette, 1890.) Marie Carpentier naquit en 1815 à la Flèche, mourut à Villiers-le-Bel, près Paris, le 31 juillet 1878.
  899. Lettre inédite de Magu à Mme Sand, du 29 octobre 1859.
  900. Lettre inédite à Mme Sand, probablement d’octobre ou novembre 1859.
  901. Lettre inédite, datée de février 1859.
  902. Lettres inédites de Magu des 5 et 18 septembre 1854, de Château-Thierry.
  903. Le poète Charles-Auguste Chopin naquit en 1811 et mourut en 1844.
  904. La copie de cette lettre de Béranger se trouve dans les lettres inédites de Magu à Mme Sand.
  905. Il faut noter que la préface de Mme Sand, qui fait maintenant partie du volume des Questions d’art et de littérature, est datée du 4 janvier 1845.
  906. Nous en possédons un exemplaire d’épreuve, ayant appartenu à l’un des avocats et portant un envoi de la main de Leroux.
  907. Nous avons confronté les deux versions : celle qui fut imprimée et la lettre autographe de Gilland.
  908. Nous y trouvons, par exemple, une critique très sérieuse de Claudie et notamment de la scène où le vieux Rémy non seulement réhabilite Claudie, mais la place « au-dessus > de tout le monde. Cela paraît « exagéré » à Gilland, et il cite à son appui la scène bien connue de l’Évangile où Jésus ne fait que pardonner à la femme adultère. Or, au dire de Gilland, l’Évangile est son livre préféré, qui ne le quitte jamais et où il puise sans cesse ses règles de conduite. Il a remarqué en outre que le public avait été froissé par les paroles exagérées du vieux Rémy, et cela avait nui au succès de la pièce.
  909. Elisabeth-Gertrude Mara, célèbre cantatrice dramatique (1749-1833).
  910. Il est très intéressant de noter que Mme Viardot le savait déjà au moment où s’écrivait et se publiait le roman. C’est ainsi que dans sa lettre du 29 juillet 1842 de Grenade, en racontant à Mme Sand comment les époux Viardot y furent fêtés par les membres du Lycée, société musicale et littéraire grenadine, et comment, pour les en remercier, la célèbre cantatrice avait pris part au grand concert-gala, arrangé en son honneur dans la Salle des Ambassadeurs de l’Alhambra, Mme Viardot dit plus loin qu’elle y avait parlé avec un fils d’Arabe, dont Ralph était l’idéal », que l’auteur d’Indiana avait en général parmi les membres de ladite Société « une foule d’apasionados » et que son portrait ornait la grande salle du Lycée « comme une madone ». Et enfin, elle ajoute (à propos du « fils d’Arabe » toujours) : « Vous voyez qu’il ne connaît pas Consuelo, Consuelo qui nous fait frémir, rire, pleurer, réfléchir. Oh ! ma chère ninonne, que vous êtes admirable et que vous êtes heureuse de pouvoir procurer de semblables jouissances à ceux qui lisent vos œuvres. Je ne puis pas vous dire ce qui se passe en moi depuis Consuelo, seulement, je sais que je vous en aime dix mille fois davantage et que je suis toute fière d’avoir été un des fragments qui vous ont servi à créer cette admirable figure. Ce sera sans doute ce que j’aurai fait de mieux dans ce monde… »
  911. Le commencement du chapitre Modèle:Sc mérite surtout notre attention sous ce rapport. À propos des cantiques et chants bohêmes populaires exécutés devant Consuelo par Albert, George Sand s’y étend sur les inépuisables trésors de beauté et de poésie, renfermés dans la musique populaire, dans les airs nationaux et dans les improvisations inconscientes des chanteurs et musiciens champêtres. Le biographe de Chopin, M. Ferdinand Hœsick, raconte que tout jeune encore, élève du lycée de Varsovie, Chopin ne pouvait passer devant une auberge ou une chaumière, s’il y entendait jouer ou chanter quelque mélodie populaire ; il s’arrêtait sous la fenêtre et écoutait, émerveillé, et le biographe a bien raison de voir dans cet amour de l’enfant de génie pour les chants nationaux la source du caractère profondément et véritablement national de la musique du grand maître. Mme Sand, elle, dit qu’Albert « s’était tellement nourri l’esprit de ces compositions barbares au premier abord, mais profondément touchantes et vraiment belles pour un goût sérieux et éclairé, qu’il se les était assimilées au point de pouvoir improviser longtemps sur l’idée de ces motifs, y mêler ses propres idées, reprendre et développer le sentiment primitif de la composition, et s’abandonner à son inspiration personnelle sans que le caractère original, austère et impressionnant de ces chants antiques fût altéré par son interprétation ingénieuse et savante… ». Il est trop clair que c’est « Chopin » qu’il faut lire au lieu d’ « Albert », et « la Pologne », les « Chants polonais », au lieu de « la Bohême » et de ses « Cantiques » dans tout ce morceau, ainsi que dans les pages qui suivent. Mme Sand y émet encore cette pensée très remarquable, que comme toute musique nous dit plus qu’aucune parole humaine et aucun autre art ne sont capables de nous révéler, ainsi la musique nationale nous dévoile le vrai fond de l’âme et de la pensée d’un peuple ; elle nous dépeint son esprit et son caractère historique, elle nous rend son essence même. Il est évident que George Sand pénétrait profondément les divines créations si nationales de Chopin et que c’est bien vers elles que se portait sa pensée lorsqu’elle disait plus loin qu’en écoutant certains motifs nationaux, bien rendus, elle s’était sentie transportée en Pologne, en Espagne, dans les steppes, dans les montagnes, dans le passé historique d’un peuple, bien mieux que lorsqu’elle lisait des œuvres d’histoire, ou des voyages où ces contrées étaient décrites. D’autre part cette digression sur l’art populaire était on ne peut plus conforme aux idées de Leroux, et c’est pour cette raison — comme nous le verrons à l’instant par ses propres lettres — qu’il apprécia particulièrement ce morceau sur l’art et en complimenta l’auteur.
  912. Il est à remarquer que Consuelo a une voix de mezzo-soprano d’un diapason extraordinaire, également propre aux fioritures les plus surprenantes et au chant large et dramatique, tout comme Mme Viardot qui chantait avec un égal succès les rôles lyriques, comiques, tragiques et dits de soprano-leggiere, les parties de contralto, de mezzo-soprano et de soprano aigu : Rosine, Amine, Desdémone, la Lucia, la Fidès, la Norma — et le rôle travesti de Vania dans la Vie pour le tsar. Il est curieux également de noter qu’ayant pour la première fois abordé le rôle de la Norma en Espagne, la grande artiste écrivait à Mme Sand : « Ce soir, troisième de la Norma. Vous voyez que j’ai fait une conquête en plein domaine de la Corilla, et je puis bien dire à vous, tout bas, à l’oreille, que ç’a n’a pas été de ma part trop téméraire. Dans tous les cas, cela m’a été fort utile comme progrès et comme préparation pour paraître dans ce rôle devant un public plus important. D’ailleurs, ce public, s’il n’est pas connaisseur, n’est ni flatteur, ni blasé et se laisse aller à ses impressions tout naïvement. C’est celui que j’aime et celui qui me fait faire des progrès. C’est aussi celui que l’admirable Nourrit aimait et devant lequel il était heureux de chanter gratis le jour de la fête du roi. Public ignorant, mais intelligent, mais sympathique, en un mot, le peuple !… »
    Ne dirait-on pas une lettre de Consuelo elle-même ?
  913. Il est encore curieux de noter qu’à peine avait commencé à paraître : la quatrième partie du roman, le chapitre Modèle:Sc, qui s’ouvre par l’arrivée de Consuelo chez les Rudolstadt, que Pauline Viardot s’empressa d’écrire à l’auteur, à la date du 17 juin 1842, de Madrid : « Chère ninonne, je n’ai pas encore reçu la Revue de ce mois, mais dans le numéro dernier, vous m’avez introduite dans la famille curieuse et étrange, dont je désire beaucoup continuer la connaissance. »
  914. Notons que dans toutes les lettres de Mme Sand aux époux Viardot et dans celles qu’ils lui écrivaient, la passion de Louis Viardot pour la chasse était une constante matière à calembours et à moqueries et que, d’autre part, le chien d’Albert portait le même nom que le chien favori de Louis Viardot, — Cynabre.
  915. Cette dame est encore un portrait : celui de la femme d’un secrétaire d’ambassade, rencontrée par Pauline Viardot à une matinée musicale, que Mme Viardot décrit avec beaucoup d’humour.
  916. On dirait que Mme Sand apparaît dans ce qu’elle dit des Invisibles, comme le prédécesseur ou l’inspiratrice du livre de Tallmayer sur le rôle joué par les francs-maçons dans tout le mouvement du dix-huitième siècle.
  917. Ne pouvant plus chanter, elle compose les morceaux inspirés pour son fils. On voit que Consuelo possède tous les talents de Mme Viardot.
  918. Nous donnons en Appendice à l’édition russe de ce volume le récit du savant biologue et ethnographe fort connu, M. W. Maïnov (1844-1887), élève de Broca, qui avait narré en 1881 dans le Messager d’histoire (Istoritcheski Westnik) un épisode extrêmement curieux de l’un de ses nombreux voyages. Il lui arriva notamment un jour de tomber au beau milieu des forêts septentrionales du gouvernement d’Olonetz, dans une secrète bourgade de sectaires, surnommés les négateurs, ou les reposants, ou encore les morts vivants. Cette secte prétend que depuis l’achèvement de la création en six jours, Dieu se repose, et tant qu’il se reposera, et que durera le « septième jour » et la non-intervention de Dieu dans les destinées de ce monde, c’est le règne du mal, le règne du diable qui durera sur la terre. Afin d’accélérer l’avènement de la « huitième journée », il faut suivre l’exemple de Jésus et des saints martyrs qui avaient méprisé la mort et la chair. Or, c’est la chair qui est le vrai diable, ennemi de l’âme divine, et non pas Satan, qu’on a tort de considérer comme le tentateur. Satan ne fait le mal que parce qu’il ne peut pas faire autrement, de même que Dieu ne peut faire que le bien. Inutile de les prier l’un et l’autre. Ceux qui sont parvenus à un mépris complet de la chair peuvent faire « avancer la loi de Dieu » par la propagation de la vertu et par une mort volontaire, en se consumant ou en se donnant quelque autre mort ; alors « celui qui fut calomnié sera aussi pardonné ». C’est pour cela qu’au lieu de s’aborder par un bonjour, les sectaires se saluent en disant : « Que celui qui fut condamné de toute éternité soit pardonné. » En le disant, ils ne font que se souhaiter l’arrivée prochaine du « huitième jour », jour de l’éternelle félicité universelle. Or, le chef ou maître spirituel de la secte, un certain « Père Ambroise », type extraordinaire, paysan ayant lu les livres de Humboldt, de M. de Cotta, et autres, connaissant la Bible comme un pasteur, fort en dialectique et poète en son âme farouche, dit à M. Maïnow que ce salut n’était en usage parmi les sectaires que depuis qu’il avait lu le livre d’une certaine dame « agréable à Dieu », lequel livre s’intitulait la Consuela ou « la bonne conseillère », et dans lequel ladite dame « agréable à Dieu » avait décrit tous les usages des Taborites. Ce livre, qui avait arraché des larmes au sévère vieillard, lui avait été donné par un commerçant, « homme de sainte vie ». George Sand n’aurait certes jamais imaginé que le guide spirituel d’une secte religieuse farouche et intransigeante, se dérobant aux yeux du monde dans la forêt vierge septentrionale, pût s’inspirer de la lecture de son œuvre au point d’ajouter un dogme à sa doctrine qui est l’expression d’une recherche ardente et fanatique de la vérité sur cette « terre de misères… ». Mais il est certain que cela l’aurait touchée plus que tous les hommages des lettrés.
  919. Anselme Pététin, homme politique et administrateur fort connu (né en 1807, mort en 1873), d’abord républicain, il se rallia ensuite à l’empire et remplit diverses fonctions sous le régime napoléonien.
  920. Modèle:Droite « Avez-vous lu la Revue indépendante ? Aguado n’y a mis que vingt mille francs. Trente autres ont été fournis ou recueillis par ce pauvre Viardot, qui en verra bientôt la fin. Pour la première livraison seule, Leroux s’est alloué quinze cents francs. On est convenu de cinq mille francs pour le roman de Mme Sand, touchante narration, m’a-t-on dit, des amours d’une grisette et d’un étudiant. Elle s’y fait la rivale, et pas du tout la rivale heureuse de Paul de Kock. Cette défaite me fâche extrêmement ; c’est le Waterloo du communisme. À quoi tiennent les choses !… »
  921. Voir plus loin, chap. Modèle:Sc.
  922. Nous avons déjà mentionné cette opinion de George Sand en parlant de son article à propos du messianisme de Mickiewicz.
  923. Le sous-titre en est encore Lettre à un ami, et c’est encore à Jules Néraud qu’elle est adressée.
  924. Cf. avec la lettre de Chopin à ses parents, datée du 20 juillet 1845, où il raconte la mort de la pauvre femme du Nuage blanc et le départ de la tribu des Ioways pour l’Amérique, et où il annonce qu’on est en train d’élever à Paris un monument funèbre à la mémoire de la pauvre Indienne morte.
  925. Nous avons vu que c’est de ce même nom, mais précédé du prénom de Gustave, que George Sand avait signé ses Dialogues familiers sur la poésie des prolétaires et sur les poètes populaires.
  926. C’est une simple erreur d’impression que la date de « 9 novembre 1845 » qu’on lit dans l’édition des Œuvres complètes de George Sand. (V. le volume des Légendes rustiques, p. 214.)
  927. Cette lettre porte dans la Correspondance la date du « 8 octobre », mais c’est une erreur, parce que, comme nous l’avons vu, Fanchette avait déjà paru le 25 octobre dans la Revue indépendante, et il s’agissait justement de faire réimprimer à la Châtre cet article.
  928. Les amis qui furent les aides et les collaborateurs de Mme Sand dans l’affaire de Fanchette, étaient ces mêmes compagnons berrichons de sa jeunesse, qui avaient jadis été « hugolâtres » comme elle (cf. t. Modèle:Ier, p. 284-312.), auxquels elle avait adressé ses épîtres collectives drolatiques, et qui, plus tard, s’acharnaient avec elle à la « solution de la question sociale » (cf. t. II, p. 184-85), c’est-à-dire : Duvernet, Fleury, Dutheil, Papet, Planet, Néraud et Rollinat.
  929. Inédite.
  930. La lettre du procureur, M. Rochoux, imprimée dans la Revue indépendante, fut datée du 9 novembre 1843. Il est clair que la réponse à cette lettre que Mme Sand écrivit, après avoir reçu le numéro de la Revue contenant la lettre de M. Rochoux et après en avoir délibéré avec ses amis, sur chaque point, ne put pas être écrite « le 17 octobre », comme il est imprimé dans la Correspondance, mais bien le 17 novembre. Cette lettre se termine par les mots : « Je décachette ma lettre pour te dire qu’elle n’est pas partie ce soir… Tu en recevras deux à la fois. » Effectivement, parmi les lettres inédites, nous en trouvons une qui est datée du 18 novembre et dont nous citerons quelques lignes un peu plus loin. Les lettres imprimées dans la Correspondance aux dates de 16 et 28 novembre doivent être datées des 26 et 27 novembre, comme chacun peut s’en convaincre en les lisant attentivement et en les confrontant avec celles des 17, 18 et 29 novembre.
  931. Cette Copie de l’enquête faite à la diligence de M. le maire de la Châtre par le commissaire de police de cette ville (et signée par ce commissaire nommé Bouyer) fut imprimée dans la Réponse à M. le procureur du roi de la Châtre, de George Sand, ainsi que les deux lettres par lesquelles MM. Boursault et Delaveau attestaient l’exactitude des faits consignés dans son récit sur Fanchette. Cette attestation de la part de Boursault que « tout ce qui le concernait (dans la réponse de George Sand au procureur) était d’une parfaite exactitude », était surtout importante, parce que si Fanchette eût légalement « cessé de faire partie de l’hospice » comme les coupables avaient essayé de le faire croire, elle n’aurait pu en sortir que munie d’un exeat du médecin, Or, cela n’était pas, et George Sand le prouvait victorieusement.
  932. Inédite.
  933. Ces derniers mots confirment que la lettre de Mme Sand à son fils n’a pas dû être écrite plus tard que le 27 au soir, car la Revue indépendante du 25 novembre arriva à la Châtre le 27 novembre au matin.
  934. Nous soulignons le passage tronqué dans la Correspondance. Bouli fut le sobriquet de Maurice. Mme Viardot chanta pendant deux hivers successifs de 1843-44 et 1844-45 à l’Opéra de Saint-Pétersbourg et elle y eut un succès dont le souvenir subsiste jusqu’à nos jours.
  935. C’est-à-dire le 29 novembre. Dans la lettre précédente, elle écrit : « À jeudi. » En 1843, le 26 novembre tombait un dimanche ; le 27 (lundi), Mme Sand écrit : Je pars après-demain (le 29), comme elle l’avait déjà annoncé dans sa lettre du 18. Elle comptait arriver à Paris le 30 (jeudi). Chopin écrivit aussi le 26 novembre : « Encore quatre jours. » (Voir plus loin, chap. v.)
  936. a) Lettres inédites de George Sand à Duvernet de janvier 1844 ;
    b) Correspondance, t. II, p. 280-310 ;
    c) Lettres inédites à George Sand de Leroux et de de Latouche.
  937. Ces trois articles, comme en général tous les articles qui parurent dans l’Éclaireur, sont réimprimés dans les Œuvres complètes de George Sand, et font partie du volume Questions politiques et sociales.
  938. Corresp., t. II, p. 317-322.
  939. Nous espérons pourtant que notre ami M. Ageorges fera un jour cet intéressant travail, auquel il est si bien préparé par ses recherches antérieures et sa vénération pour le grand poète du Berry.
  940. Cette réponse de Mme Sand à Louis Blanc, dont nous donnons ici le résumé, est imprimée dans le tome II de la Correspondance (p. 324). Les articles auxquels fait ici allusion Mme Sand sont ceux qui parurent sous le titre de Politiques et socialistes dans l’Éclaireur (réimprimés sous le titre de « la Politique et le Socialisme », dans le volume des Questions politiques et sociales).
  941. Nous avons devant nous les lettres inédites de Louis Blanc à George Sand, à commencer par cette première réponse du jeune républicain, datée du 8 janvier 1844, à la prière de Mme Sand, de donner son adhésion et sa collaboration à l’Éclaireur, et à finir par une lettre du 30 avril 1876, répondant à quelques lignes émues que Mme Sand lui avait écrites au sujet de la mort de son fils ; cette correspondance est du plus haut intérêt philosophique et biographique.
  942. Voir le volume : Questions politiques et sociales.
  943. Homme politique célèbre, plus tard membre du gouvernement provisoire de 1848 ; né en 1801 (ou, d’après d’autres sources, en 1803) à Marseille mort en 1878 à Paris.
  944. Voir plus haut, chap. Modèle:Sc, p. 196, et le présent chapitre, p. 371.
  945. Cette préface est réimprimée dans le volume des Nouvelles Lettres d’un voyageur, tandis que le Cercle hippique se trouve dans le volume d’Isidora. (Œuvres complètes, éd. C. Lévy.)
  946. Mme Bentzon a consacré à George Sand deux articles extrêmement intéressants et contenant des lettres inédites très précieuses ; le premier, en anglais, parut dans le Century, January 1894, sous le titre de Notable Women : George Sand, with letters and personal recollections ; le second, écrit à propos du centenaire de George Sand, parut dans le Supplément du Journal des Débats, en juillet 1904, sous le titre d’Une correspondance inédite.
  947. Il est aussi réimprimé dans le volume des Nouvelles lettres d’un voyageur.
  948. Entre 1843 et 1844, co-éditeur de François pour la Revue indépendante.
  949. Dans la Correspondance de George Sand, on lit Guillon. Nous ne saurions dire quelle est l’orthographe exacte.
  950. Voir plus loin, chap. Modèle:Sc.
  951. George Sand venait de publier dans le Constitutionnel reconstitué par Véron son roman de Jeanne et avait traité avec lui pour y faire paraître son prochain roman (le Meunier d’Angibault), mais elle ne put pas accepter et remplir à temps les clauses de ce traité, qui fut rompu, et le roman parut ; dans le journal de Louis Blanc.
  952. Chopin écrit à sa sœur, le 31 octobre 1844 : « Le manuscrit que j’ai apporté n’est pas encore imprimé ; il y aura probablement des procès ; Si on en arrive là, ce sera tout profit pour nous, mais nous en aurons des désagréments momentanés… »
  953. Homme d’affaires de George Sand.
  954. Cette lettre est encore erronément datée de « juin 1844 », dans la Correspondance. Mme Sand y fait allusion, entre autres, aux pluies et aux inondations qui désolèrent les environs de Nohant en l’été de 1845, qui y occasionnèrent de vrais désastres et par suite du débordement des rivières empêchèrent les Viardot de partir pour Paris à la date fixée pour leur départ. On a de plus omis les dernières lignes de cette lettre : « Ma lettre est retardée de quelques heures, Viardot s’en charge. » Or, les Viardot ne purent pas faire leur séjour habituel à Nohant en 1844 ; en 1845, ils quittèrent le château en juillet, plus tard ce fut Maurice qui fit un séjour chez eux, à Courtavenel, Mme Viardot se rendit après aux fêtes en l’honneur de Beethoven à Bonn. Tous ces faits sont relatés dans les lettres de Chopin à sa sœur, datées du 20 juillet et d’octobre 1845. Dans cette seconde lettre, il parle encore d’une excursion à Boussac, de l’imprimerie et de la machine de Leroux, qui imprimait « un nouveau journal intitulé l’Éclaireur » et de ses engouements éternels pour de nouvelles idées et de nouveaux projets, qu’ « il commençait toujours et n’achevait jamais entièrement », et aussi de ce que cette machine « a déjà coûté à Leroux, ainsi qu’au propriétaire de M. Coco (le chien de Mme Sand), et à ses autres amis plus de dix mille francs », ou même « plusieurs dizaines de mille francs ».
    On retrouve de même une allusion au « déluge » de 1845 dans la lettre de Mme Sand à Poncy, du 12 septembre 1845. Il faut aussi remarquer que le numéro 1 de l’Éclaireur ne parut que le 14 septembre 1844, et que ce journal s’imprimait d’abord à Orléans, plus tard à Boussac chez Leroux, qui ne put donc s’en occuper qu’en l’été de 1845 et non pas en 1844.
  955. Inédite.
  956. V. plus loin chap. viii.
  957. Cf. Correspond., t. III, p. 33, 57, 107, 235-236, 339.
  958. La lettre est datée du 22 janvier 1851 dans la Corresp. imprimée.
  959. Ce fut probablement Gustave Sandre, avec lequel Pierre Leroux avait, en 1843-44, débattu, comme avec le représentant de la maison Potter, les points du traité à propos d’une édition de Mme Sand, et qui, plus tard, fut son ami et son adepte.
  960. C’est Leroux qui souligne. Dans une lettre précédente, il la remercie pour son aide morale et le grand bien qu’elle lui fit en lisant attentivement ses « élucubrations sur l’Évangile et la Fable », ce qui l’encourage à persévérer dans son travail, malgré les tempêtes politiques qui mugissent autour de lui.
  961. Félix Modèle:Sc, Pierre Leroux, p. 131. Nous soupçonnons fort que ce ne fut pas la « personne amie » qui remit à George Sand les 600 francs, mais bien Mme Sand elle-même, qui chargea la « personne amie » de les lui remettre.
  962. Leroux avait mis par erreur : « 1844 ».
  963. Nous citons cet extrait de l’Opinion nationale du 16 avril 1871, d’après le livre de M. F. Thomas. (V. Pierre Leroux, p. 165.)
  964. Cette assertion est bien confirmée par les lettres de Chopin publiées par M. Mieczislas Karlowicz dans les Pamiatki po Chopinie.
  965. Eugène-Louis Lambert, plus tard peintre de chats fort célèbre, naquit à Paris le 25 septembre 1825.
  966. Lettre du 16 octobre 1842. (Pamiatki po Chopinie, p. 174.)
  967. Wilhelm von Lenz naquit en 1804, mourut le 31 janvier 1883 à Saint-Pétersbourg. Ses œuvres d’histoire et de critique musicale : Beethoven et ses trois styles et Beethoven eine Kunststudie, jouissent d’une célébrité fort méritée.
  968. Modèle:Lang Berlin, 1872. E. Bock, in-8°, 111 pages.
  969. Cf. avec ce que dit Balzac dans ses lettres de 1842. (Lettres à l’Étrangère, t. II, p, 72-73.)
  970. En français dans le texte allemand.
  971. Lenz prétend même qu’un beau jour Chopin lui aurait dit qu’il n’avait qu’une chose à désapprouver en lui : sa qualité de russe. « Liszt ne l’aurait pas dit, ajoute Lenz, c’était borné, exclusif, mais cela donnait la clef de son être (à Chopin)… » Nous sommes loin de partager cet étonnement naïf de M. le conseiller d’État von Lenz !
  972. H. Modèle:Sc, Lettres à l’Étrangère, t. II, p. 285-286.
  973. On peut lire dans les souvenirs de Thoré (Notes et souvenirs de Théophile Modèle:Sc, 1807-1869, Nouvelle revue rétrospective, 1898) combien Leroux était malpropre et désagréable à voir lorsqu’il mangeait.
  974. Femme poète anglaise fort connue (1805-1865).
  975. Robert Browning, mari de Mrs Barrett, poète et écrivain lui-même (1812-1889).
  976. Modèle:Lang, 1899, en polonais.
  977. 24 août 1841. Le timbre porte : La Châtre, 25 août. Or, le 25 août tombait en 1841 sur un mercredi. W. K.
  978. Fontana.
  979. Petit propriétaire polonais, hobereau.
  980. C’est nous qui soulignons.
  981. Lettres de Mme Sand à son fils du 4 septembre 1840 et des 3 et 6 juin 1843 (tronquées, changées et refaites dans la Correspondance), et surtout la lettre à Hippolyte Chatiron du 27 février 1843, qu’on a imprimée dans la Correspondance à la fausse date du 21 février.
  982. C’est ainsi, par exemple, que lorsque Mme Sand était en train de travailler à la Comtesse de Rudolstadt, elle écrivait le 3 juin 1843 à Maurice, qui était à ce moment chez son père à Guillery (cette lettre est arbitrairement jointe à la première moitié de la lettre du 6 juin, dont la fin est tronquée, et ainsi refondues, ces deux lettres sont imprimées dans la Correspondance, à la date du 6 juin 1843) : « … Je suis dans la franc-maçonnerie jusqu’aux oreilles ; je ne sors pas du Kadosh, du Rose-Croix et du Sublime Écossais. Il va en résulter un roman des plus mystérieux. Je t’attends pour retrouver les origines de tout cela dans l’histoire d’Henri Martin, les Templiers, etc. Je reçois une lettre anonyme d’un Slave de la Moravie qui me remercie des réflexions que ma plume gracieuse sème par-ci par-là sur l’histoire de la Bohême, et qui me promet la reconnaissance de la race slave depuis la mer Egée jusqu’à sa sœur glaciale. Tu pourras donner ce nom à Solange quand elle ne sera pas sage… »
    Nous avons retrouvé dans les papiers de George Sand cette touchante et enthousiaste lettre (datée de Paris, 30 mars 1843), dont la grande romancière semble se moquer, mais qui, certes, lui fut agréable à lire et qu’elle garda pour cette raison comme une expression sincère de sympathie et de gratitude de la part de la nation bohème à l’auteur des articles sur Ziska et Modèle:Tiret2. Lors du centenaire de George Sand, les Tchèques témoignèrent publiquement de leur profonde reconnaissance à la grande femme en envoyant une députation pour déposer une couronne de roses au pied de son monument, (V. là-dessus, à la fin de notre travail : le Centenaire.)
  983. Cf. Histoire de ma vie, t. IV, p. 200-201.
  984. Ultérieurement aussi, Solange porta souvent le costume masculin à Nohant, par exemple, en l’hiver de 1838, ce dont Balzac parle avec désapprobation dans sa Lettre à l’Étrangère du 2 mars 1838. (V. aussi notre tome IL p. 448-451.)
  985. Nous avons parlé du séjour que Mme Sand fit à Paris au printemps, en été et pendant l’automne de 1838, dans le chapitre Modèle:Sc du tome II de notre ouvrage (p. 457-458), et dans le chapitre Modèle:Ier du présent volume.
  986. La Fille de George Sand. Lettres inédites, publiées et commentées par Georges d’Heylli (Edmond Modèle:Sc). Paris, 1900. Ce livre qui, selon la petite notice placée en tête du volume, était « destiné à la famille et aux amis de Mme Bascans et de sa fille, Mme Edmond Poinsot (dont on trouve les deux portraits gravés par Lalauze, aux pages 20 et 100), n’a été tiré qu’à deux cents exemplaires qui ne sont pas mis dans le commerce… ». Nous profitons de cette occasion pour exprimer notre plus vive reconnaissance à l’auteur, M. Poinsot, qui, sans nous connaître personnellement, nous fit l’honneur de nous faire présent d’un exemplaire de ce rare petit volume si élégamment et si soigneusement imprimé.
  987. Voir dans le tome Modèle:Ier de notre ouvrage le jugement de Heine à ce propos.
  988. Le vieux Delatouche qui revit George Sand et sa fille après onze ans de séparation et qui revit cette dernière non plus comme « un gros enfant mangeur de groseilles » mais comme une belle jeune fille de seize ans, écrit à George Sand dans l’une de ses lettres médites (mardi, 12 mars 1845) :
    « Je suis, mon cher et gracieux camarade, dans la joie de mes souvenirs de dimanche. Je trouve à Solange bien de la grâce avec un défaut que le temps ne tardera pas à corriger. Vous l’avez dotée d’une capacité cérébrale qui fait sa tête à l’heure qu’il est trop forte pour sa taille, mais demain la nature établira l’équilibre et un de vos plus jolis ouvrages aura la perfection des autres… »
  989. Il est à noter que cette artiste acquit son domaine à un moment où Solange n’était déjà plus une enfant, mais une grande fillette, presque une grande jeune fille et que cet incident doit avoir eu lieu vers 1844-45, donc lorsqu’elle était âgée de seize à dix-sept ans.
  990. C’est ainsi que l’appellent aussi les amis de la maison : De Latouche, dans ses lettres, parle de notre princesse, Anselme Pététin de la marquise, Emmanuel Arago de la reine.
  991. Ces paroles candides semblent avoir été écrites pour être adaptées à
    l’Aubade de Schubert (Morgenständchen).
  992. Corresp., t. II, p. 71.
  993. Ibid., p. 115. Lettre à Mme Marliani de 1838.
  994. Ibid., p. 118.
  995. Lettre à Hippolyte Châtiron, du 27 février 1840, p. 151.
  996. Lettre du 4 septembre 1840 à Maurice. (Corresp., t. II, p. 158.) Le mot nouvel est omis dans le texte imprimé. Nous le copions sur la lettre autographe.
  997. Corresp. t. II, p. 165.
  998. Ibid., t. II, p. 344.
  999. George Sand et sa fille, d’après leur correspondance inédite, par M. Samuel Rocheblave. (Revue des Deux Mondes, février, mars, mai 1905.)
  1000. Histoire de ma vie, t. IV, p. 457.
  1001. George Sand et sa fille. (Revue des Deux Mondes, février 1905, p. 821.)
  1002. Corresp., t. II, p. 372.
  1003. Lettre à M. Dumas fils citée par M. Rocheblave.
  1004. Ces pensées, prises indépendamment du roman, rappellent beaucoup la lettre de Mme Sand à M. *** (Rollinat), datée de juin 1835 et imprimée dans le tome Modèle:Ier de la Correspondance, ainsi que certaines pages du Journal de Piffoël, consacrées aux questions de l’éducation privée et publique. C’est, en même temps, la partie du roman qui fut surtout goûtée des contemporains, voire de certains contemporaines de l’auteur. Mme Hortense Allart de Méritens s’extasiait à propos de ces pages tout particulièrement… et pour cause !
  1005. Cf. a) George Sand, sa vie et ses œuvres, t. Il, ch. xi, p. 249-250. b) Histoire de ma vie, IVModèle:E partie, t. III, chap. 111, p. 271, et t. IV, p. 354-355.
  1006. Cet article parut dans le deuxième volume du Diable à Paris.
  1007. Lettre inédite à Mme Marliani, de septembre 1844.
  1008. Cette lettre est non datée, mais elle doit avoir été écrite en l’automne de 1843, lorsque Mme Sand dut rester à Nohant jusqu’à la fin de novembre pour régler des questions matérielles et financières (v. plus haut, chap. Modèle:Sc), tandis que Chopin et Maurice se trouvaient déjà à Paris ; ce fut le moment où se jouait le dernier acte de l’histoire de Fanchette. Il se peut toutefois que la lettre ait été écrite en l’automne de 1844, ou même de 1845.
  1009. Mme Sand, toujours entourée de bêtes, aimant à apprivoiser tantôt des oiseaux, tantôt de petits animaux sauvages, avait la passion des chiens, et on lui en donnait de tous les côtés. Entre 1838 et 1848, elle avait auprès d’elle à Nohant et à Paris les petits chiens des noms de : Coco, Marquis et Pistolet et les grands chiens Simon, Jacques et Pyram. Nous aurons le plaisir de les rencontrer presque tous dans une de ses œuvres ultérieures. Il en est aussi constamment question dans les lettres de Chopin à sa famille et dans celles de Mme Viardot à Mme Sand.
  1010. Elle est dédiée à la comtesse Potocka.
  1011. Fr. Niecks, Chopin, t. II, p. 154-155.
  1012. V. plus haut. p. 88.
  1013. Histoire de ma vie, t. IV, p. 440.
  1014. Inédite.
  1015. Nous empruntons cette lettre (déjà publiée précédemment dans le livre de M. Karasowski (Fryderik Chopin, zycie, Usty, diela, t. II, p. 158-159) au livre de Fr. Niecks, Fr. Chopin, t. II, p. 365, Appendice I.
  1016. Modèle:Sc, Pamiatki po Chopinie, p. 199-200 et 207.
  1017. Les lettres de Mme Sand à Mme Jedrzeiewicz publiées dans le livre I de M. Karlowicz n’avaient point été imprimées lors de la première publication de son ouvrage dans la Bévue musicale, en français. Nous le regrettons beaucoup, puisque ces lettres peignent sous le jour le plus sympathique les relations de Mme Sand avec la famille de Chopin. Nous avons déjà dû et nous devrons encore dans la suite revenir souvent au livre de M. Karlowicz et puiser maint détail précieux tant dans les lettres de Chopin à ses parents que dans celles que lui adressent ces derniers, ses sœurs et diverses autres personnes. Nous remarquerons seulement que la plupart de ces lettres ne sont point datées et que c’est nous qui les datons, en nous basant sur des faits et dates qui nous sont connus.
  1018. Joseph Kalasante Jedrzeiewicz, mari de Louise.
  1019. L’article de Mme Sand consacré à ses tapisseries (dont la confection est attribuée à l’esclave de Zizime, fils de Mahomet II, qui fut fait prisonnier et amené en France par Pierre d’Aubusson, grand maître de l’ordre de Saint-Jean et châtelain de Boussac), cet article parut en 1847 dans V Illustration et fut réimprimé dans le volume Promenades autour d’un village. Ces tapisseries sont aujourd’hui au Musée de Cluny.
  1020. Tels sont : la Vallée noire ; le Cercle hippique de Mézières en Brenne ; les Tapisseries du château de Boussac ; la Berthenoud ; les Bords de la Creuse ; Un coin de la Marche et du Berry, etc.
  1021. Histoire de ma vie, t. IV, p. 471.
  1022. Voir plus haut note à la p. 445.
  1023. Sobriquet de Chopin, « gâteux » en berrichon.
  1024. Correspondance, volume II, p. 267.
  1025. Correspondance, t. II, p. 269.
  1026. Françoise Meillant, femme de chambre de Mme Sand, s’était remariée en 1843. On voit par la lettre de Mme Sand à Mlle de Rozières de mai 1842 que Chopin appréciait beaucoup cette simple femme et lui faisait de beaux cadeaux, voyant combien elle était attachée à sa maîtresse. George Sand (qui lui dédia Jeanne), dans une autre lettre inédite, adressée à Charles Poncy et datée du 1 er août 1844, dit d’elle que c’est un « ange », que c’est « sa véritable amie », « une amie de cœur », qu’elle est depuis dix-huit ans dans la maison et que Solange avait tenu sur les fonts de baptême l’enfant de son second mariage, né en 1844.
  1027. V. plus haut note à la p. 408.
  1028. Sobriquet d’Eugène Lambert.
  1029. Inédite. Nous avons donné la fin de cette lettre p. 409.
  1030. C’est nous qui soulignons. Cette phrase est à retenir, a comparaison provenant de la même source que le fait même que la phrase constate.
  1031. Dans la lettre de Mme Sand à Mme Marliani de juillet 1845, imprimée dans la Correspondance à la fausse date de « juin 1844 » (t. II, p. 311), que nous avons déjà citée au chapitre iv, à propos des inondations de 1845, George Sand dit au contraire : « Quelque temps qu’il fasse, nous courons, nous montons à cheval ; Solange s’en trouve bien. »
  1032. Cf. avec la lettre de Mme Sand à Louise Jedrzeiewicz imprimée dans le livre de M. Karlowicz sous le numéro 10 (p. 223) et se rapportant sans aucun doute à ce même « été déplorable » de 1845, — ce qui est évident pour tous ceux qui se donneront la peine de comparer cette lettre avec la lettre à Mme Marliani citée dans la note précédente et avec les lettres de Chopin à sa famille du 20 juillet et du Modèle:1er octobre 1845.
  1033. T. IV, p. 465.
  1034. Voir plus haut, chap. Modèle:Ier, p. 56.
  1035. Ce lundi était le 14 août 1843, comme on voit bien par la lettre précédente de Mme Sand.
  1036. Inédite.
  1037. Inédite.
  1038. Inédite.
  1039. Inédite.
  1040. Lettre inédite du 3 novembre 1843.
  1041. Voir plus haut, chap. iv.
  1042. Ceci paraît être en désaccord complet avec l’assertion de la lettre de Mme Sand à M. de Potter du 15 mai 1845, imprimée dans le tome II de la Correspondance (p. 355) où Mme Sand, ayant appris de source certaine qu’il se vantait d’être en possession d’un ouvrage d’elle, appelle ceci un « mensonge étrange » et déclare que M. de Potter savait « mieux que personne qu’il n’avait pas une ligne d’elle à publier », et que lorsqu’ « il y a un an, il avait publié un ouvrage qui n’était pas d’elle » ce fut une « tentative ou une intention déloyale » et qu’elle n’avait gardé le silence que parce qu’il avait renoncé à cette entreprise frauduleuse ».
  1043. Voir plus haut, p. 382-85.
  1044. Mots omis dans la Correspondance imprimée.
  1045. Corresp., t. II, p. 280.
  1046. Dans une lettre à sa sœur, écrite l’aimée suivante, Chopin dit en passant que « l’amabilité n’étant pas dans la nature de Maurice », il n’y a donc pas à s’étonner qu’il ne dise rien à M. Jedrzeiewicz à propos de « sa machine à cigares » (que M. Jedrzeiewicz doit lui avoir donnée), et dans les lettres de Mme Sand à son fils, datées de cette époque et aussi des années ultérieures (surtout dans une lettre de 1851), on sent que Mme Sand se rendait parfaitement bien compte de l’égoïsme de Maurice et de son incapacité de penser aux autres, malgré sa grande bonté et toutes ses autres qualités.
  1047. Inédite.
  1048. Cf. avec les lettres de Mme Sand des 17, 26 et 27 novembre 1843 (voir plus haut, chap. iv) imprimées dans la Correspondance aux dates des 17 octobre, 16 et 28 novembre (p. 278, 283, 287).
  1049. Dans sa lettre du 27 novembre, Mme Sand disait entre autres choses qu’il faisait chaud à Nohant « comme au mois de mai » et que lorsqu’elle avait été dans les champs avec les Meillant, ses fermiers, elle avait dû prendre son ombrelle et que, malgré cela, elle était « en nage ».
  1050. Le baron de Stockhausen était ambassadeur du Hanovre et grand ami de Chopin, qui lui dédia sa première Ballade (en sol, op. 23), et plus tard à la baronne de Stockhausen, femme du précédent sa Barcarolle (op. 60).
  1051. Cf. avec ce qui était dit plus haut, chap. iv, surtout dans les notes aux pages 382, 384, 385.
  1052. En 1844, le 23 septembre tombait effectivement un lundi. Inédite.
  1053. Anténor Joly, rédacteur et éditeur du Courrier français et de l’Époque. C’est lui qui publia en 1846 la Mare au diable ; pendant l’hiver de 1844-45 Mme Sand avait fait faire des démarches auprès de lui pour faire paraître en volumes Jeanne (qui venait d’être publiée dans le Constitutionnel) et le Meunier d’Angibault (point encore terminé). Voir là-dessus plus loin chap. vu.
  1054. Le célèbre violoncelliste. Chopin lui dédia sa Sonate pour violoncelle (op. 65).
  1055. Auguste Léo, banquier et mécène. (Voir plus haut, chap. Modèle:Ier de ce livre.)
  1056. Princesse Anna Czartoryska.
  1057. Voir plus haut, p. 475 de ce chapitre.
  1058. Cf. avec les lettres de Chopin à sa sœur du 28 (18) septembre et du 31 octobre 1844.
  1059. On a omis dans la Correspondance de George Sand à la fin de sa lettre de novembre 1844 à Louis Blanc les lignes suivantes : « J’ai été bien longue à vous répondre. Je relève de maladie. Nous avons ici une épidémie. J’ai failli perdre ma nièce, et je ne pouvais songer à rien… » Ces lignes doivent être placées après les derniers mots de la lettre à la page 327.
  1060. Chopin écrit dans sa lettre du 31 octobre à sa sœur Louise : « Te souviens-tu qu’une fois à Paris étant descendu de voiture, sur la place non loin de la Colonne, j’allai pour une affaire au ministère des finances, chez un très ancien ami d’ici ? Le lendemain, il vint chez moi. C’était un excellent homme et un ancien ami du père et de la mère de notre hôtesse. Il a assisté à sa naissance et avait élevé sa mère, en un mot, il était réellement de la famille. Eh bien, ce vieillard, en revenant l’autre jour de chez un député de ses amis, où il avait dîné, est tombé des escaliers et en est mort quelques heures après. C’a été un grand coup ici, car on l’aimait extrêmement. En un mot, depuis que je ne t’ai vue, nous avons eu plus de tristesse que de joie… »
  1061. Inédite.
  1062. Inédite.
  1063. Inédite.
  1064. Lundi, 2 décembre 1844.
  1065. Cf. avec ce qui a été dit dans le chapitre m. Le procès d’Achille Leroux avait été plaidé au commencement de décembre 1844.
  1066. Inédite.
  1067. 5 décembre 1844. (W. K.)
  1068. Lettre inédite à Mme Marliani de la fin de 1844.
  1069. Lettre inédite à Hippolyte Châtiron du 8 avril 1843.
  1070. Lettre inédite à Maurice du 18 novembre 1843.
  1071. Histoire de ma vie, t. IV, p. 470.
  1072. Cette lettre sans date fut bien certainement écrite au printemps de 1845, c’est-à-dire à la fin de cet « hiver rigoureux » qui suivit le séjour de Mme Jedrzeiewicz à Paris et à Nohant. Cette lettre est imprimée sous le numéro 9, dans le livre de M. Karlowicz, mais devrait être placée avant les numéros 3, 4, 5, 7 et 8.
  1073. Cette lettre est imprimée par Niecks dans l’Appendice, au tome II de son livre. Elle manque dans la Correspondance de George SandModèle:Corr
  1074. Inédite.
  1075. Pamiatki po Chopinie, p. 223. Cette lettre, imprimée sous le numéro 10.
  1076. Voir, par exemple, sa lettre du Modèle:1er octobre 1845, dans laquelle il dit : « Le violoniste Artôt est mort. Ce garçon si fort et si robuste, si large d’épaules et tout en os, est mort de la phtisie à Ville-d’Avray, il y a quelques semaines… Personne n’aurait deviné en nous voyant tous les deux que ce serait lui qui mourrait le premier et de la phtisie encore !… »
  1077. Cette lettre fut écrite à quatre reprises, les 12, 21, 24 et 26 décembre. (Karlowicz, p. 27-34.)
  1078. Emmanuel Arago.
  1079. Le domestique français de Chopin qui succéda en 1845 au Polonais Jean.
  1080. Jeune Berrichonne, compagne de Solange et domestique dans la maison de Mme Sand, qui l’a vue naître et l’éleva avec sa fille.
  1081. Cuisinière.
  1082. Le capitaine d’Arpentigny, adepte de Lavater et de Spurzheim et auteur d’un ouvrage sur la devination du caractère d’après les lignes de la main. Cet ouvrage, qui parut en 1843 sous le titre de Chirognornonie, est mentionné par George Sand dans une note de son roman d’Isidora. Le capitaine était alors l’un des habitués du salon de Mme Sand.
  1083. Inédite.
  1084. Inédite.
  1085. C’est nous qui soulignons. (Inédite.)
  1086. Chopin lui dédia ses trois Mazurkas (op. 63).
  1087. Le comte de Lancosme-Brèves, un propriétaire brennois, homme très éclairé et se distinguant par ses opinions généreuses sur les devoirs de la noblesse rurale. C’est lui qui fonda le Cercle hippique de Mézières, afin de développer dans la Brenne infertile et pauvre l’élevage de la race chevaline et de relever par là les ressources de la population. George Sand suivait avec beaucoup de sympathie son activité, aussi bien que les essais du comte d’Aure dans la même direction.
  1088. Cette lettre ne fait pas partie de la Correspondance et fut imprimée sans date ni indication de destinataire dans la Vie parisienne de 1 er juillet 1876.
  1089. Allusions très transparentes à Solange.
  1090. Le comte Savary de Lancosme-Brèves que nous venons de mentionner.
  1091. C’est-à-dire sur les conditions sociales et économiques de ce pays marécageux et malsain, qui faillirent amener le dépérissement de la population, et que le comte de Brèves et quelques autres hommes de bien tâchaient de combattre. Tout ce qu’elle apprit là-dessus, Mme Sand le raconta dans son article sur le Cercle hippique, mentionné plus haut.
  1092. Le livre du comte de Brèves est en réalité intitulé : la Vérité à cheval. Il parut en 1843 avec des dessins de Giraud et F. Ledieux gravés par Gagnou. L’auteur l’offrit à George Sand avec un aimable envoi.
  1093. Cette lettre fut imprimée, comme nous l’avons dit, dans un article de la Vie parisienne du Modèle:1er juillet 1876, consacré à George Sand, et dont l’auteur se cache sous les initiales de L. Y., c’est-à-dire : L(aprade) V(ictor).
  1094. C’est ainsi, par exemple, que dans l’une de ses lettres de 1844 à Louise Jedrzeiewicz Chopin lui fait part qu’immédiatement après son départ de Nohant son appartement fut occupé par la « cousine » et par sa mère, ce qui lui déplut fort évidemment. (V. le livre de Karlowicz, p. 9.)
  1095. Nous empruntons tous les détails concernant Augustine et son histoire à la lettre médite de Mme Sand, adressée par elle en juillet 1848 à M. Chaix d’Estange, et nous les atténuons autant que possible.
  1096. Inédite.
  1097. Mme Sand raconte tout cela fort explicitement dans la lettre inédite à M. Chaix d’Estange déjà mentionnée et dans une lettre à Mme Brault elle-même, — lettre que le mari de cette dernière ne se fit pas scrupule d’imprimer, dans un but de chantage. La lettre est authentique et confirmée de tous points par plusieurs autres lettres inédites de Mme Sand, quoique publiée dans un libelle immonde. (V. plus loin.)
  1098. Cf. les lettres de Mme Sand de l’été et de l’automne de 1847 à Charles Poncy, Mmes Viardot et Marliani, Grzymala, Emmanuel Arago, et d’autres et les extraits de leurs réponses que nous donnons plus loin.
  1099. Dans la lettre à sa sœur du 20 juillet 1845, en lui racontant les petits faits de la vie à Nohant, Chopin dit entre autres : « … Il y a en ce moment un grand orage au dehors et un second dans la cuisine. On peut voir ce qui se passe au dehors, mais dans la cuisine, je ne le saurais pas, si Suzanne n’était venue se plaindre de Jean, qui l’a maltraitée en français parce qu’elle lui a enlevé son couteau de table. Les Jedrzeiewicz connaissent le français de Jean, ils peuvent donc s’imaginer comme il a gentiment injurié la femme de chambre. « … Pourtant ils se disputent souvent, et comme la servante de Mme Sand est très adroite et nécessaire, il est probable que pour avoir la paix, je serai obligé de renvoyer le mien, ce que je déteste, car on ne gagne rien à ces changements de figures. Par malheur, il ne plaît pas non plus aux enfants, parce qu’il est propre et fait régulièrement sa besogne… » Dans sa lettre de l’automne de cette année, Chopin dit qu’effectivement il se sépare de son Jean parce qu’il ennuie certaines personnes et que les enfants se moquent de lui, mais il le fait à grand regret, parce que Jean lui est très attaché, et quoiqu’il ait maintes fois déclaré qu’il s’en allait, à cause de Suzanne, il espérait toujours être pardonné, et restait.
  1100. V. la lettre de Chopin à sa sœur du 11 octobre 1846, dont nous donnons un grand extrait plus loin, et une lettre ultérieure, d’avril 1847.
  1101. Lettres inédites de Louis Blanc de 1847-48 et lettre inédite de Mme Sand à Mlle Augustine Brault de mars 1848.
  1102. Louis Blanc fait allusion à ce projet de Mme Sand dans une lettre datée d’Enghien (sans millésime) et qui dut être remise à George Sand par M. Lesseps, se rendant alors à Nohant.
  1103. À en juger par les lettres de George Sand à son fils, dont nous avons cité quelques passages, et par les lettres de Chopin à sa sœur, il nous semble au contraire qu’une antipathie réciproque avait depuis longtemps existé entre eux, du moins dès 1841 on peut en voir tous les indices (il n’y a qu’à se rappeler l’incident de Rozières) sans parler déjà de ce qui ressort en toute évidence des lettres de 1844 et 1845.
  1104. Il est à remarquer que les amis de Chopin doutaient si peu de ce que le portrait de Karol était celui de Chopin qu’ils copiaient souvent dans l’œuvre de Mme Sand ce portrait de l’ange et se le passaient les uns aux autres,
  1105. P. 408, chap. Modèle:Sc.
  1106. Il en était de même dans ses rapports avec ses contemporains musiciens. Schumann, qui avait pour lui une admiration enthousiaste depuis le premier jour qu’il connut ses œuvres, Meyerheer, et Mendelssohn, tous firent preuve de bien plus de chaleur, de franchise et d’amitié à son égard que lui envers eux. Nous ne parlons pas de gens de moindre valeur, surtout des compositeurs polonais. Il les traitait simplement avec froideur, à l’exception du seul Fontana. (V. par exemple dans le livre de Karlowicz ses jugements sur les musiciens, ses compatriotes qui le visitaient.)
  1107. Le chapitre Modèle:Sc du deuxième volume de Niecks, où celui-ci a rassemblé les opinions et les témoignages des amis sur le caractère, les habitudes et la manière d’être de Chopin envers ses amis et ses connaissances, mérite la plus grande attention. (V. Niecks, Frédéric Chopin, t. II, p. 164.)
  1108. Tous ces passages jusqu’à cette ligne inclusivement sont transcrits par la « dame du grand monde », l’un après l’autre, sans indication d’être séparés par des lignes omises, et ils passent dans le livre de M. Hœsick pour une esquisse d’après nature du caractère et du naturel de Chopin. La grande dame a de plus intercalé après les mots suivis d’un * quelques lignes empruntées à un autre chapitre de L. F. que nous donnons à la p. 526.
  1109. On sait qu’Alfred de Musset était aussi horripilé d’entendre Mme Sand parler de sa mère, comme elle le faisait, en toute sincérité.
  1110. L’auteur de la Lucrezia aurait pu, en toute confiance, ajouter à ces mots les lignes des Impressions et Souvenirs écrites en 1841 (et citées par nous au chapitre Modèle:Sc) : « Rubens l’horripile, Michel-Ange lui fait peur… » Liszt, de son côté, dit dans sa Biographie de Chopin que ce dernier « estimait Beethoven, mais que son cœur lui restait fermé, parce que ses courroux lui semblaient trop rugissants. »
  1111. Ces lignes nous rappellent le passage des Impressions et Souvenirs, où George Sand dit combien Chopin parlait peu, semblait toujours absent du monde de la réalité, et ne s’intéressait qu’aux questions générales de l’art.
  1112. P. 446.
  1113. P. 431-32.
  1114. Les lignes entre crochets [ ] sont celles que la « grande dame » a intercalées dans le « portrait de Chopin » cité plus haut, p. 523.
  1115. V. plus haut, p. 513.Modèle:Corr
  1116. Cf. avec le passage de l’Histoire cité plus haut (p. 447) : « Il n’avait pas abjuré les aspérités de son caractère envers ceux qui m’entouraient, avec eux l’inégalité de son âme tour à tour généreuse et fantasque se donnait carrière, passait toujours de l’engouement à l’aversion et réciproquement. »
  1117. « À la suite des dernières rechutes de sa maladie, son esprit s’était assombri extrêmement… » (Histoire de ma vie, p. 472.)
  1118. « J’essayai de le distraire, de le promener. » (Ibid., p. 471.)
  1119. « … Il était avec moi le dévouement, la prévenance, la grâce, l’obligeance et la déférence en personne… » (Histoire de ma vie, p. 469.)
  1120. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. I er, p. 107, avec l’Histoire de ma vie, t. III, p. 252-282-286, et la Lucrezia Floriani, chap. Modèle:Sc et Modèle:Sc.
  1121. On se rappelle : George Sand écrivait à Mlle de Rozières : « Avant-hier, il a passé la journée entière sans dire une syllabe à qui que ce soit. »
  1122. Nous la citons plus loin.
  1123. On sait que Celio publia quelque quinze ans plus tard un ouvrage sur l’entomologie, dont il avait toujours été passionné et que sa mère écrivit une préface à ce livre sur les papillons.
  1124. Nous nous permettons de rappeler au souvenir du lecteur que c’est dans ce petit bois qu’Aurore Dudevant et Jules Sandeau, son « premier amant se voyaient clandestinement, et c’est là qu’Aurore Dudevant avait concerté avec Sandeau « sa fuite » de la maison conjugale en 1831, donc juste « quinze ans » avant 1846. (Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, 1. 1, p. 315-316.)
  1125. Ce détail est encore absolument exact.
  1126. Nous avons retrouvé les traces de ce projet dans plusieurs autres lettres inédites : nous tenons en outre des détails fort intéressants sur cet épisode de la bouche de Mme Maurice Sand.
  1127. C’est ainsi que dans sa lettre datée de Berlin, du 27 février 1847, elle dit à Mme Sand qu’elle espère la revoir à Paris « après la noce de la belle femme », et dans sa lettre datée de Francfort-sur-le-Mein, au 20 juin 1847, elle écrit à George Sand : « … L’histoire du mariage de la belle femme m’a été racontée en gros à Dresde par Mme Czosnowska, dame polonaise qui s’est trouvée à Nohant au début du roman. Son récit coïncide avec le vôtre. Elle m’a tout appris, excepté le nom du second prétendant… » (Ce fut le quatrième.) Nous reviendrons encore à cette lettre de la grande artiste.
  1128. V. plus haut, p. 501 et 538.
  1129. Pamiatki po Chopinie, p. 220, n° 7.
  1130. Pamiatki, p. 221, n°8. Mme Sand parle aussi du séjour de la comtesse Czosnowska à Nohant dans plusieurs lettres médites d’août 1846 à Mlle de Rozières.
  1131. Ibid., p. 215-216, n° 3.
  1132. Dans sa lettre inédite à Poncy du 21 août Mme Sand écrit que « Chopin compose des chefs-d’œuvre, tout en niant qu’ils le sont… ».
  1133. Joseph Novakowski, compositeur et pianiste polonais, passa à Paris l’hiver de 1846-47.
  1134. Inédite.
  1135. Inédite.
  1136. C’est la seule lettre imprimée dans la Correspondance, entre mai 1846 et mai 1847.
  1137. Les détails que Mme Sand donne dans cette lettre sur la manière dont Solange traite son adorateur, sur son caractère altier, capricieux, porté à l’esprit de contradiction, mi-fantasque, mi-pratique et sachant escompter tous les bénéfices de sa position, se retrouvent presque textuellement transcrits dans l’exposition du caractère de Mlle Erneste du Blossay, la petite cousine du héros du roman de Mlle Merquem, ainsi que dans le récit de ses premières fiançailles avec le jeune hobereau de la Thoronay (quoique ce roman ait été écrit par Mme Sand vingt-deux ans plus tard).
  1138. Ces trois lettres sont inédites.
  1139. Inédite.
  1140. Inédite.
  1141. On a indiqué après ces mots lors de l’impression du volume des Souvenirs e 1 Idées la date de « 1845 », c’est une erreur : Mme Sand passa l’hiver de 1845-46 à Paris ; ce n’est qu’en 1846 que commencèrent les représentations théâtrales à Nohant.
  1142. Grzymala avait été effectivement très malade en l’hiver de 1846-47. Dans la lettre de Chopin à ses parents d’avril 1847, que nous donnons plus loin, nous lisons que « la garde-malade de Grzymala, quand il était indisposé, disait : la cerise de Monsieur » pour dire « crise ». Par les lettres de Chopin de janvier 1847, nous verrons qu’alors Grzymala était déjà en convalescence.
  1143. Une amie de Mmes Sand et Viardot, la femme du journaliste américain. (V. plus loin, chap. Modèle:Sc.)
  1144. Inédite.
  1145. Comme on le voit par la lettre qui suit, ce samedi était le samedi 12 décembre 1846.
  1146. Victor Borie (né en 1818, à Tulle, mort en 1880), républicain et homme de lettres, plus tard corédacteur de Mme Sand à la Cause du Peuple, rédacteur du Travailleur — journal qui fut publié à Châteauroux — et auteur du livre sur les Travailleurs et Propriétaires paru en 1849, pour lequel Mme Sand écrivit une préface ; il séjourna à Nohant pendant les deux hivers consécutifs de 1846-47 et 1847-48.
  1147. Inédite.
  1148. L’enveloppe porte, écrit de la main de Mme Sand, à l’encre bleue Chopin, et de la main de Chopin : Madame, Madame George Sand, à la Châtre, (Indre.) Château de Nohant Les estampilles sont : 15 décembre 1846 et 17 décembre 1846. Le 15 décembre 1846 tombait effectivement sur un mardi.
  1149. L’autographe de cette lettre se trouve parmi les manuscrits de la Bibliothèque Impériale à Saint-Pétersbourg et y prit place dans les circonstances que voici : En 1859, Mme Nathalie Sobolstchikoff, la femme du directeur de la section d’art de ladite Bibliothèque, se rendant à Paris, feu M. Wladimir Stassow, alors attaché au service de cette section qu’il dirigea lui-même plus tard, lui donna la commission de faire, si cela se pouvait, la connaissance de Mme Sand et de lui demander un autographe de Chopin pour la Bibliothèque Impériale. Mme Sobolstchikoff s’y prêta gracieusement, mais, arrivée à Paris, elle n’y trouva point Mme Sand. Alors Mme Sobolstchikoff écrivit à George Sand et reçut d’elle la réponse que voici, accompagnant la lettre de Chopin et faisant aussi partie de la collection des autographes de la Bibliothèque. La lettre de Chopin avait déjà paru dans le livre de Frédéric Niecks, mais nous la recopions d’après l’original, ainsi que la lettre de Mme Sand, inédite.
    À Madame Nathalie Sobolstchikoff,
    rue de Provence, 32, Paris (biffé).
    à la Bibliothèque Impériale,
    Saint-Pétersbourg (Russie).
    L’estampille porte : La Châtre, 28 mars 1859.
    Le papier est aux initiales de Mme Sand : G. S. en blanc.
    « Je regrette beaucoup, Madame, de vous remercier d’aussi loin. Je vous envoie un petit billet de Chopin, je n’en ai aucun qui soit mieux signé, mais vous pouvez être bien sûre qu’il est authentique.
    « Agréez, madame, l’expression de mes sentiments bien distingués et de ma gratitude pour ceux que vous me témoignez.
    Modèle:Droite
    Nohant, 27 mars 1859.
  1150. C’était, sans aucun doute, mercredi 30 décembre 1846, parce que le 30 décembre tombait cette année justement un mercredi et le 1 er janvier 1847 un vendredi.
  1151. La femme de l’ami de Mme Marliani, M. de Bonnechose, celui qui reçut son dernier soupir en 1850. (V. plus haut, chap. m.)
  1152. La tragédie de Ponsard, Agnès de Méranie, écrite en 1846, fut représentée au théâtre de l’Odéon le 22 décembre 1846.
  1153. Aussi une tragédie de Ponsard, écrite trois ans plus tôt, en 1843.
  1154. L’hôtel Lambert, l’une des maisons historiques du vieux Paris, était la résidence magnifique de la famille princière d’Adam Czartoryski.
  1155. Inédite.
  1156. C’était mardi 12 janvier 1847.
  1157. Inédite.
  1158. On a mis au crayon en haut de cette lettre « 14 janvier 1847 ». Toutefois, cela ne peut être ainsi, parce qu’en 1847 le dimanche tombait le 17 janvier et le 14 février, mais à cette dernière date, Mme Sand n’était plus à Nohant, mais bien à Paris. C’est donc dimanche 17 janvier qu’il faut lire.
  1159. Chopin intitule la pièce d’après son premier titre la Caverne du crime. Elle s’appela plus tard la Taverne du crime et même l’Auberge du crime, comme nous le verrons à l’instant.
  1160. Naquit à Londres en 1793, mourut en 1873.
  1161. Auguste-Jean-Baptiste Clésinger, né en 1814, mort en 1883, commença par être « fourrier » dans un régiment de cuirassiers, puis prit sa retraite, se fit sculpteur et acquit une grande célébrité dans cette carrière. Ses œuvres les plus connues sont : la Femme piquée du serpent, le monument de Chopin et les statues de Marceau et de George Sand.
  1162. Cette lettre de Clésinger fut publiée par M. Rocheblave dans la Revue des Deux Mondes (mars 1905, George Sand et sa fille).
  1163. Selon l’expression du même auteur.
  1164. Cette indication de Chopin est parfaitement exacte : à commencer de 1841, on faisait annuellement exécuter à Nohant des constructions, des arrangements et des changements ; on construisait tantôt une serre, tantôt un manège, tantôt un atelier pour Maurice, on arrangeait un théâtre, une bibliothèque ou la chambre de Chopin, on changeait la destination des chambres, les tentures, les rideaux, les arbres fruitiers, les chevaux et… le personnel de la maison. Toutes les lettres inédites de Mme Sand d’automne et d’hiver sont remplies de détails sur ces arrangements et ces reconstructions. Il en fut de même en 1850, 1851, 1857, 1858, etc., etc., jusqu’à 1862.
  1165. Inédite.
  1166. 10 avril 1847
  1167. Inédite.
  1168. Inédite.
  1169. Dans la lettre du 20 juin 1847, de Mme Viardot, déjà mentionnée nous lisons : « Je félicite Solange d’avoir choisi le beau diable que vous dépeignez si bien, plutôt que l’ange dont la bonne nullité vous aurait bientôt tous ennuyés et endormis moralement, Solange surtout, et alors, gaie au réveil ! Tout pour le mieux… » Le réveil arriva quand même, tout diable que fût Clésinger ! Mais n’anticipons pas.
  1170. Ce passage fut déjà publié par M. Rocheblave dans son article cité dans la Revue des Deux Mondes (mars 1905, p. 181).
  1171. En 1847, le 30 avril tombait un vendredi, donc ce jeudi-là était le 29 avril.
  1172. Sur la parenté de George Sand avec les de Villeneuve, les de la Roche-Aymon, les Galitzine, etc., et sur son amitié avec son cousin, René de Villeneuve, voir notre tome Modèle:Ier (chap. Modèle:Sc et Modèle:Sc). Nous y avons dit qu’après 1822 les rapports entre Aurore Dupin et les Villeneuve avaient complètement cessé, on ne se vit point jusqu’en 1845. Une réconciliation eut lieu l’automne de cette année, et George Sand séjourna même avec son fils, au château historique de Chenonceau, appartenant aux Villeneuve. (Cf. Correspondance, t. II, et Lettres de Chopin à sa famille dans les Pamiatki, etc.)
  1173. Nous empruntons ces deux extraits de lettres inédites (à M. Bascans et à la princesse Galitzine) au livre de M. Georges d’Heylli : la Fille de George Sand, p. 53-54.
  1174. C’était justement le Château des Désertes, terminé le 30 avril.
  1175. Inédite.
  1176. Inédite.
  1177. La princesse Anna Czartoryska.
  1178. Inédite.
  1179. Inédite.
  1180. Ce devait être samedi le 15 mai 1847. (Inédite.)
  1181. Nous imprimons cette lettre intégralement d’après une copie communiquée par M. de Spœlberch. Des extraits en furent publiés par M. Rocheblave. Nous entourons de crochets les passages inédits et nous soulignons la date précise de cette lettre qui manquait à la copie de Mme Maurice Sand.
  1182. C’est nous qui soulignons. Il est clair que Mme Sand fait allusion à sa décision de cacher à Chopin le vrai état des choses, les causes du mariage précipité de Solange avec Clésinger, en général désapprouvé par Chopin, ce qui devait infailliblement l’amener à se sentir pour ainsi dire mis en dehors de la famille et provoquer une rupture morale définitive.
  1183. Cf. avec ce que l’auteur de Lucrezia Floriani dit de V exclusivisme du prince Karol. (V. plus haut, p. 522-523.)
  1184. M. Poinsot s’abuse seulement en croyant que M. Dudevant mourut en 1873 ; il mourut en 1871.
  1185. Extrait publié par M. Rocheblave dans la Revue des Deux Mondes.
  1186. Nous avons déjà cité les lignes de cette lettre inédite dans le deuxième volume de notre ouvrage, au chapitre Modèle:Sc.
  1187. À la fin de la lettre à Mazzini, datée du 22 mai 1847 et imprimée dans le tome II de la Correspondance (p. 364-366), on a omis les lignes suivantes (venant après les mots : f espère la durée de cet amour et de cet hyménée) : « J’ai eu la gaucherie de me casser un muscle à la jambe et de me le recasser pour avoir voulu marcher trop vite. Voilà pourquoi, ne pouvant faire un mouvement et vous écrivant au milieu de la nuit, je me sers de ce mauvais bout de papier qui finit et ne me laisse plus de place que pour vous dire que je vous respecte et vous aime. »
  1188. Solange avait reçu par contrat de mariage ce même hôtel de Narbonne représentant une partie de la dot maternelle, qui avait été d’abord, pendant le procès avec M. Dudevant, cédé à ce dernier par Mme Sand, puis racheté, et dont le prix s’élevait à 100 000 francs. Il rapportait jusqu’à 8 500 francs de loyer, mais Solange devait payer l’intérêt des hypothèques, de sorte que la maison lui rapportait à peu près 5 500 francs de rente. Mais d’emblée, les époux Clésinger avaient négligé de payer lesdits intérêts et dix-huit mois plus tard l’hôtel, tombé entre les mains des créanciers, fut vendu aux enchères malgré toutes les démarches de George Sand, dont nous donnerons les preuves.
  1189. Celle du poète Etienne Witwicki, ami d’adolescence et de jeunesse de Chopin, mort en 1847.
  1190. Ce n’est pas en vain que Solange, dans sa lettre à Chopin, après lui avoir narré quelque histoire concernant sa mère ou après s’être plainte d’elle, s’empressait d’ajouter : « J’embrasse Mlle de Rozières ; dites-lui tout cela… Solange savait fort bien à quel télégraphe perfectionné elle avait affaire en la personne de son ex-maîtresse de musique.
  1191. Corresp., t. II, p. 371.
  1192. Allusion très transparente au lien existant entre la rupture avec sa fille et celle avec Chopin, et finalement entre elles et la malheureuse histoire du mariage manqué d’Augustine.
  1193. Cf. avec la page 466 de l’Histoire de ma vie et les lignes précitées : de la Lucrezia Floriani.
  1194. Cf. avec Mlle Merquem, p. 292.
  1195. Cf. avec Mlle Merquem, p. 301, et avec ce que nous avons dit plus haut, p. 566.
  1196. V. M. Modèle:Sc, Pamiatkipo Chopinie, p. 233-236. Lettres de Solange à Chopin.
  1197. V. M. Modèle:Sc, p. 230-233, lettre de Solange à Chopin du 9 novembre 1847, et p. 50-52, lettre de Chopin à sa famille, commencée le jour de Noël de 1847 et terminée le 6 janvier 1848.
  1198. Il est à croire que Mme Sand avait écrit aussi à Emmanuel Arago au sujet de cette espérance déçue, car voici ce qu’Emmanuel Arago lui répond :
    « Sa visite m’étonne un peu, mais cette visite ayant eu lieu, les choses devaient être ce qu’elles ont été. J’ai cependant beaucoup souffert en songeant aux angoisses qui torturaient ton cœur alors que ta fille était là près de toi, solennelle et glacée, attendant de toi des prières qu’elle aurait dû t’adresser à genoux. Tu as fait, mon amie, ce que te commandait et ta position et l’intérêt même de Solange. Un instant de faiblesse t’aurait asservie de nouveau et préparé de nouvelles catastrophes. Ce que fa dit Solange sur Chopin et sur moi n’est pas mai. Je n’ai point, dans la rue, tourné le dos à Chopin ; fêtais à pied, rue Richelieu, je l’ai vu passer en voiture, et il m’a vu aussi, je l’ai salué et il m’a salué, je ne pouvais pas, pour le joindre, courir après son fiacre, il pouvait l’arrêter et il ne l’a point fait ; voilà la scène… »
    Le dernier passage, à commencer par la phrase soulignée par nous, laisse voir en toute évidence que fâcher les gens entre eux, les brouiller, médire des uns aux autres, inventer des fables rien que pour désobliger quelqu’un, était la spécialité de Solange, et qu’à peine une grande querelle, une grande Modèle:Tiret2 vidée, elle ne dédaignait point de l’orner encore de quelque petite médisance secondaire. C’est ainsi qu’elle calomnia Arago auprès de sa mère.
  1199. C’était là le « jeune homme » sur le compte duquel Solange avait raconté l’histoire incroyable dont Chopin avait été malheureusement dupe. George Sand fait allusion à ce racontar dans sa lettre précitée du 2 novembre 1847. (V. aussi les lettres de Chopin à sa famille du 10 février et du 19 août 1848.)
  1200. Ils préparaient une édition populaire de Rabelais a expurgée de toutes ses obscénités, de toutes ses saletés » et rendue en orthographe moderne, — travail qui était facilité par la presque totale identité du magnifique vieux français rabelaisien et du patois berrichon que Maurice Sand connaissait parfaitement. Ce travail ne fut pas terminé en raison des événements de 1848.
  1201. C’est nous qui soulignons.
  1202. Notons que de toutes les lettres de Mme Sand à son fils des 5, 7, 12, 16, 18, 19, 23 et 24 février, il n’y a d’imprimées que trois qu’on prétend être datées des 18, 23 et 24 février. Mais la lettre du 18 est tout arbitrairement composée de fragments des lettres des 5, 7 et 18 février, disposés de la manière la plus fantaisiste du monde et tronqués. Elle commence par un passage de la lettre du 5, puis vient un fragment de la lettre du 18, puis de nouveau un passage de la lettre du 5, puis de nouveau un fragment de la lettre du 18, puis un fragment de la lettre du 7, avec deux passages tronqués et des expressions changées.
    Les lettres du 23 et du 24 février sont également imprimées avec omissions de pages entières et avec le transfert de passages d’une lettre dans l’autre.
  1203. Inédite.
  1204. Sobriquet d’Eugène Lambert.
  1205. Avec la Société des Gens de Lettres. (V. plus loin, chap. viii.)
  1206. Inédite.
  1207. Inédite.
  1208. Inédite.
  1209. V. la lettre de Clésinger à Mme Bascans, datée de Guillery du 29 février 1848, où il dit : « Bien chère madame, je m’empresse de vous donner des nouvelles de ma tant aimée Solange ; à mon arrivée, elle allait vous écrire, lorsque hier, dans la nuit, les premières douleurs de l’enfantement l’ont surprise. Enfin, à cinq heures moins un quart de l’après-midi, j’étais père d’une ravissante petite fille, toute l’image de sa mère… » Et à cette lettre Solange ajoute quelques mots au crayon, ce qu’elle fit certainement le lendemain et non le jour même de la naissance de son enfant. Solange dit que sa fillette est venue « avant le terme, six semaines trop tôt ». C’est une indication qui n’est pas dénuée de valeur, sinon judiciaire, du moins morale et… biographique.
    Il est aussi très curieux de confronter les lignes ultérieures de cette lettre de Clésinger disant combien il était heureux que « sa fille était née républicaine » avec celles d’une lettre du comte d’Orsay à Mme Sand, écrites après le coup d’État de 1851 : « Clésinger va bien, il transforme ses productions
  1210. Mme Marliani avait aussi quitté le square d’Orléans et habitait depuis quelques années rue Ville-l’Évêque, n° 18.
  1211. Fait confirmé par les lettres inédites de Mme Sand à Mlle Augustine, démocratiques en saintetés, avec la même dextérité que le ferait Herr Dohler. Geoffroy est devenu sainte Geneviève, Il vient de recevoir une commande de 4000 francs de la ville pour un bas-relief ; cela le remonte moralement ; il en a besoin, car il ne sait sur quel pied danser et ceci influe sur sa tête…, etc. à M. et Mme Duvernet et à Maurice du 27 février au 12 avril inclusivement.
  1212. Mme Sand avait l’intention de revenir le 7 mars à Nohant et d’y rester quelque temps. (V. plus loin, chap. viii.)
  1213. V. plus haut, p. 514.
  1214. Voir le Kuryer Warszawski du 9 août 1882, n°177.
  1215. V. la lettre de Solange à Mme Bascans du 7 mars 1848. « Ce soir, on enterre ma pauvre petite fille. » (Georeres d’Heylli, la Fille de George Sand, p. 63.)
  1216. Inédite.
  1217. Inédite.
  1218. Inédite. — À placer à la page 44 du tome III de la Correspondance, entre les phrases : « Elle se porte bien » et : « Rien de nouveau pour mes affaires. »
  1219. Inédite.
  1220. Inédite. — George Sand dit à ce même propos dans son Histoire de ma vie : « Mais la révolution de février arriva et Paris devint momentanément odieux à cet esprit incapable de se plier à un ébranlement quelconque dans les formes sociales. Libre de retourner en Pologne ou certain d’y être toléré, il avait préféré languir dix ans loin de sa famille qu’il adorait, à la douleur de voir son pays transformé et dénaturé. Il avait fui la tyrannie, comme maintenant il fuyait la liberté… »
    Nous ne partageons aucunement l’étonnement que semblent révéler ces lignes de George Sand.
  1221. Inédite.
  1222. C’est nous qui soulignons.
  1223. Inédite.
  1224. Inédite.
  1225. Lettres inédites de George Sand aux Duvernet des 15 août, 7 septembre, 9, 14 et 26 octobre, 12 novembre, 11, 25, 27 et 29 décembre 1848.
  1226. L’orthographe de ce nom nous paraît douteuse.
  1227. Ce fut la même chose plus tard, Solange ^ prétendait toujours être abandonnée, alors que sa mère lui versait des sommes considérables. C’est ainsi, par exemple, que dans une lettre inédite de George Sand à Dumas fils, datée du 4 janvier 1862, gracieusement communiquée par M. Rocheblave, nous lisons que Solange, alors malade, « crie misère en ayant 40 000 francs à placer, déposés chez les notaires de la Châtre » et tandis que George Sand « se charge des frais de sa maladie et lui sert régulièrement sa pension, Solange prétend ne rien recevoir ni de sa mère ni de son père » ; et en outre « elle a une autre rente d’un prince étranger… ».
  1228. V. Georges d’Modèle:Sc, la Fille de George Sand, p. 77, 78, 87, 88 et 110-114
  1229. On trouve, à ce sujet, des lettres de Mme Sand extrêmement importantes, ainsi que des détails très curieux dans le troisième volume des Mémoires de Mme Juliette Modèle:Sc, Mes Sentiments et nos idées avant 1870, p. 193-198 (Paris, 1905, Hachette).
  1230. M. S. Modèle:Sc, George Sand et sa fille. (Revue des Deux Mondes, mars 1905, p. 190.)
  1231. Nous omettons la dernière page de cette lettre consacrée en partie à des constructions exécutées alors au château, et nous peignant la solitude de Mme Sand à Nohant.
  1232. Nous raconterons plus loin comment George Sand, malgré tout son immense chagrin, sut, grâce à la flexibilité de sa nature, se rendre maîtresse de son désespoir, le combattit consciemment, voyagea, revint à son travail, donna même une forme littéraire — nous devons l’avouer carrément : très déplaisante et sonnant faux — à ses idées sur la mort et l’immortalité. (V. Souvenirs et Idées, p. 137. Après la mort de Jeanne Clésinger.) Ce qui plus est, elle ne put jamais comprendre la valeur et la signification des tristes anniversaires pour Solange et ne lui permit pas de venir à Nohant au jour anniversaire de la mort de la petite Nini, ne voulant pas, disait-elle, de ces « crises à heure fixe ». Hélas ! George Sand n’était, malgré tout, que l’aïeule de Jeanne, elle n’avait jamais perdu son enfant à elle ! La désolation de Solange fut plus simple et plus profonde.
  1233. Dans l’un des carnets de George Sand de 1854, parmi plusieurs autres dates et anniversaires de mort d’amis et de parents, inscrits à l’époque de la rédaction de l’Histoire de ma vie, Mme Sand écrivit : « Mort d’Hippolyte, 2 janvier 1849 », mais évidemment elle avait mis là, par une association d’idées facile à comprendre, le deuxième jour après le jour de l’an au lieu du second jour après Noël. Hippolyte Chatiron mourut le 26 décembre 1848, comme on peut le voir d’après les lettres de Mme Sand elle-même : l’une à Charles Duvernet, datée du 27 décembre, et l’autre à M. Henri Simonnet, gendre de M. Chatiron, du 28 décembre 1848.

    Dans la première elle écrit : »
    Modèle:C
    Modèle:Droite « Cher ami, d’abord une triste nouvelle en ce qui me concerne. Mon pauvre Hippolyte est mort. Annonce ceci à Augustine avec quelque précaution, car, bien que les liens d’affection fussent comme brisés de fait entre lui et nous, la mort est quelque chose de si solennel et de si triste, que je craindrais, dans la position où est notre fillette, de lui causer un moment d’émotion pénible. « Ce pauvre ami de mon enfance était fini pour moi depuis longtemps, depuis le mariage de ma fille je ne l’avais pas vu. Il s’était retiré de nous sans savoir pourquoi et sans qu’il y ait eu de ma part avant, pendant, ni après, un mot de reproche pour des torts dont il ne pouvait plus sentir la gravité. Tu sais que chaque jour il augmentait ses torts sans en avoir conscience. Sa raison et sa vie s’en allaient en même temps. Il y a quinze jours, il a eu un accès d’aliénation véritable, furieuse, et nous avons eu à craindre pour lui une situation pire que la mort, il faut bien le dire. Les soins assidus de Papet n’ont pu le sauver. Une fièvre compliquée s’est déclarée ; tous les organes étaient tellement usés, qu’aucun remède n’a produit le moindre effet. Il a recouvré sa tête, un instant, pour dire bonjour à sa famille et à Maurice, mais il ne sentait pas son mal et il est mort dans une divagation tranquille. C’est un suicide ! il avait cinquante ans, une organisation physique magnifique, de l’intelligence et un bon cœur. Mais rien ne résiste à cette passion du vin, et en la combattant pendant quelques années, je n’ai fait que retarder l’inévitable résultat. Ce triste événement me fait rentrer dans un coupon de rentes sur l’État qui me mettra à même de payer une partie de mes dettes… »

    Mme Sand le communique à Duvernet comme à son premier et principal créancier. (V. ce qu’il en a été dit plus haut.)

    Le 28 décembre, elle écrit à M Simonnet :
    « Mon cher Simonnet,
    « Modèle:Corr si l’usage de notre pays comporte les billets de faire part pour les décès. Mais dans le cas où vous croiriez devoir en envoyer, je dois vous prier de me faire figurer, ainsi que Maurice, après les autres parents plus rapprochés et de nous désigner comme faisant part de la mort d’un frère et d’un oncle. J’irai voir Mme Chatiron aussitôt que le temps et ma santé me le permettront. Veuillez, en attendant, lui exprimer mes douloureux sentiments d’intérêt et de condoléance ainsi qu’à Léontine que j’embrasse tendrement… »
  1234. Inédite.
  1235. Nous omettons le milieu de cette lettre et le dernier paragraphe après la signature, parce qu’ils se rapportent aux événements politiques de 1848, que nous traitons dans le chapitre Modèle:Sc.
  1236. Cette indication nous permet de fixer l’époque à laquelle M. d’Aragon écrivit sa lettre : c’est le 25 juillet que Radetzki battit les Piémontais commandés par Charles Albert et les obligea à repasser le Mincio. Donc cette lettre fut écrite dans les derniers jours de juillet 1848.
  1237. V. Modèle:Sc, Modèle:Lang, p. 67-69.
  1238. Lettre à Grzymala, datée du Modèle:1er octobre de Keire.
  1239. Lettre à Grzymala du 17-18 octobre 1848, de Londres. V. Ferdinand Modèle:Sc, Modèle:Lang (Bibliotheka Warszawska, 1898, novembre). Mais M. Hœsick est dans l’erreur, lorsqu’il dit, à ce propos, ailleurs, dans sa Biographie de Chopin, que M. Niecks ne connaît pas cette lettre et que c’est pour cela qu’il ne peut pas bien juger des relations amicales entre Chopin et la princesse Marceline Czartoryska et de la bonté de cette dame et de son mari, le prince Alexandre, dont ils firent preuve envers Chopin. Niecks a bien imprimé cette lettre dans son livre sur Chopin, quoiqu’elle n’y soit pas traduite de l’autographe, mais citée d’après le texte publié par M. Karasowski. Niecks a également imprimé la lettre de Chopin de mars 1849 (en la datant, toujours d’après Karasowski, de janvier), et là, nous lisons les phrases sur la bonté de la princesse Marceline, bonté dont Hœsick bien à tort accuse Niecks d’avoir ignoré l’étendue.
  1240. Phrase écrite en français par Chopin ; toute la lettre est en polonais.
  1241. C’est nous qui soulignons.
  1242. C’est la dernière des lettres de Mme Sand à Mme Jedrzeiewicz, publiées dans le livre de M. Karlowicz.
  1243. Inédite.
  1244. Gravé par A. Manceau d’après le portrait dessiné par Couture, qui se trouve maintenant au musée Carnavalet. La gravure de Manceau avait été exposée au Salon de 1851.
  1245. Cette phrase est changée dans le vol. III de la Correspond. (V. p. 191.)
  1246. Le Régent Mustel, par Al. Dumas fils.
  1247. Notre grand écrivain D.-V. Grigorowitch nous a dit un jour qu’il considérait Jeanne comme un vrai chef-d’œuvre, un vrai tour de force artistique, parce que Mme Sand sut dans la personne de l’héroïne donner l’explication d’un grand type historique et la psychologie de la plus naïve sauvageonne campagnarde.
  1248. Chopin écrivait à ses parents le 20 juillet 1845 : « Dites-lui (à sa sœur Louise) que le manuscrit autographe du roman dont elle a entendu ici la lecture, m’a été donné pour elle… » Et Mme Sand elle-même, dans le petit billet à Louise, envoyé sous le même pli que la lettre de Chopin, disait à cette Louise : « J’ai donné à Frédéric un gros autographe pour vous, comme souvenir d’un des meilleurs temps de notre vie. S’il fallait barbouiller cent fois plus de papier pour vous faire revenir, je me mettrais bien vite à l’œuvre… » La sœur de Chopin avait séjourné à Nohant en septembre 1844, comme nous savons. En note à cette lettre de George Sand, M. Karlowicz dit que le manuscrit de la Mare au Diable est gardé jusqu’à nos jours dans la famille de Chopin.
  1249. George Sand elle-même dit dans la Notice écrite pour l’édition de 1852 ceci : « François le Champi a paru pour la première fois dans le feuilleton du Journal des Débats. Au moment où le roman arrivait à son dénouement, un autre dénouement plus sérieux trouvait sa place dans le premier-Paris dudit journal. C’était la catastrophe finale de la monarchie de Juillet, aux derniers jours de février 1848. Ce dénouement fit naturellement beaucoup de tort au mien, dont la publication interrompue et retardée ne se compléta, s’il m’en souvient, qu’au bout d’un mois… »
  1250. Elle ne fut publiée que dans l’édition in-18, parue en 1850, et puis réimprimée dans le volume des Questions d’art et de littérature sous le titre de « À propos de la Petite Fadette ».
  1251. V. Autour de la table, p. 242.
  1252. Lettre inédite de de Latouche à Mme Sand.
  1253. Modèle:Sc, Mémoires d’un bourgeois de Paris, t. II, p. 306.
  1254. V. Annenkow et ses amis, p. 612. (Saint-Pétersbourg. Souvorine, 1892.)
  1255. Cf. ce qui était dit à ce sujet dans notre tome Modèle:Ier, p. 373-374.
  1256. Nous avons été bien heureux de constater, lors d’une causerie avec notre célèbre critique M. C. Arseniew, qu’il partageait notre jugement sur Jeanne et la considérait comme l’un des plus beaux romans de George Sand et l’un des plus beaux romans en général
  1257. Le dernier chapitre de Jeanne parut dans le Constitutionnel du 2 juin 1844.
  1258. Cette lettre est placée par Véron en quatrième, mais, d’après son contenu elle est indubitablement la première de la série.
  1259. Le vicomte de Spoelberch a publié, dans le numéro de février 1903 de l’Art, une lettre de George Sand à Eugène Sue, écrite en 1842 ou au commencement de 1843 ; on voit qu’à cette époque les deux écrivains ne se Modèle:Tiret2 pas encore personnellement. La lettre est très intéressante, car elle contient la « profession de foi d’écrivain » de George Sand.
  1260. Ces points sont imprimés tels que dans le livre de Véron.
  1261. Il y a en effet dans le Meunier d’Angibault un quadrille d’amoureux : le meunier avec Rose Bricolin et Marcelle de Blanchemont avec Henri Lemor.
  1262. L’héroïne du Meunier d’Angibault, la riche et noble Marcelle de Blanchemont, se dépouille de sa fortune, afin d’être l’égale de son amoureux Henri Lémor.
  1263. On pouvait effectivement s’attendre à un procès avec Véron en l’automne de 1844. Nous y avons déjà fait allusion dans le chapitre v, 2Modèle:E note, à la p. 404.
  1264. Alochon, mot berrichon signifiant les petits morceaux de bois qui garnissent la roue du moulin. Le petit Édouard de Blanchemont, grandi à Paris, trouve ce mot tellement plaisant, lors de sa première rencontre avec le meunier Grand-Louis, que, dès ce moment, il ne l’appelle plus qu’Alochon.
  1265. Dans le volume des Agrestes se trouve effectivement une pièce de vers dédiée à Chopin, où l’on peut lire entre autres la ligne que voici : Modèle:Pom « L’équivoque » que Chopin voulait voir éviter à l’auteur et que George Sand avait dû commenter auprès du pianiste était la possibilité d’être confondu avec le poète Chopin, dont nous avons parlé à propos de Magu (V. plus haut, Modèle:Pg314-315), qui venait justement d’imprimer dans la Revue indépendante une pièce de vers dédiée à ce Chopin-poète.
  1266. La femme de de Latouche mourut en janvier 1845.
  1267. Le bibliophile Isaac (notre inoubliable ami de Spoelberch) s’abuse donc en disant dans son Essai bibliographique sur les œuvres de George Sand (Bruxelles, 1868) que ce roman « devait s’intituler d’abord le Prolétaire ». Il y avait bien changement de nom, mais pas de celui-ci.
  1268. Les Victimes de Paris, par Jules Modèle:Sc. Paris, Dentu, 1864.
  1269. M. Claretie, en se fiant à l’assertion de Véron que les quatre lettres de George Sand publiées dans les Mémoires d’un bourgeois de Paris avaient trait à Jeanne, crut que c’était Jeanne qui s’intitulait d’abord Au jour d’aujourd’hui, tandis que, comme nous l’avons prouvé, elle s’intitulait Claudie.
  1270. La dédicace d’Adrienne, roman de de Latouche, paru en février 1845. est ainsi libellée : À ma cousine Ursule, et on y trouve effectivement quelques lignes enthousiastes sur George Sand, dont le talent, selon l’auteur, « se tiendra debout bien plus longtemps que tous les monuments du Berry ».
  1271. Maurice, Solange et Chopin.
  1272. C’est ainsi, par exemple, qu’il lui écrivait en mai 1844 : « …Voulez-vous en croire une impression, non de docteur, mais de vieux enfant qui vous écoute avec ivresse ? Supprimez la comparaison et le nom de Canova de votre tableau de Jeanne, à genoux devant le cadavre de sa mère. Nous sommes mieux que dans un atelier romain ; nous sommes en un de ces intérieurs qui ont fait la gloire de l’école flamande. Voyez ce que vous êtes ici ! Point de distraction, point de papillotage ailleurs. Qu’avez-vous affaire à l’art, vous êtes la nature… » Il signalait encore que l’appellation la Charmoise, « rappelant trop le théâtre et le dix-huitième siècle », était à éviter comme vulgaire et déplaisante. George Sand crut remédier à l’affaire en appelant parfois la sous-préfète « la grosse Charmoise », mais dans vingt autres endroits elle la nomme quand même « la Charmoise », et le lecteur est de l’avis de de Latouche.
  1273. Ce pauvre fou, dont George Sand a tracé la touchante figure dans le tome II (p. 376-378) de l’Histoire de ma vie, s’appelait M. Demai.
  1274. Nous avons eu le plaisir de faire la connaissance de ce personnage — presque un nonagénaire — lors des fêtes du centenaire de George Sand à Nohant, en 1904. Il est mort en 1907.
  1275. De Latouche écrivait à l’auteur, à propos de la fin de ce roman : « Je vous dois donc de dire que la fin de ce roman me semble un peu précipitée, que la mère d’Émile disparaît d’une manière un peu trop absolue, qu’il manque dans le passage de l’amitié conservée par le comte pour le marquis un petit lampion qui l’éclaire, qu’on voudrait savoir quel genre d’usine met en mouvement la Gargilesse et qu’enfin le communisme non défini de M. de Boiguilbaut laisse bien froids les lecteurs qui ne sont pas d’avance initiés dans le but du progrès social. Votre mission eût été là de faire comprendre, de vulgariser par l’éloquence les futurs résultats de la doctrine. Le mot communisme n’a encore aucun sens pour la moitié des bourgeois qui sont de bonne foi. Expliquez-leur donc ce que vous voulez. Concluez, comme vous disait autrefois un homme que vous estimiez sous le nom d’Everard… »
  1276. Ces deux séries d’articles parurent d’abord dans l’Illustration de 1851-52 comme texte aux dessins de Maurice Sand, représentant les visions et les superstitions du Berry. Plus tard, elles furent réimprimées dans les volumes des Œuvres complètes. (Les légendes rustiques, La dernière Aldini et les Promenades autour d’un village.)
  1277. En 1875, Mme Sand fit preuve d’un intérêt toujours vivace pour ces questions en consacrant un article (dans le Temps) au livre de M. Laisnel de la Salle : Croyances et Légendes du centre de la France.
  1278. Voir notre premier volume, chap. Modèle:Sc, p. 137.
  1279. George Sand, Œuvres complètes : Autour de la table : H. Delatouche p. 245-253.
  1280. Lettres de Tourguéniew à Mme Viardot. (Revue hebdomadaire, n° 44, Modèle:1er octobre 1898, p. 37-39.)
  1281. Il est curieux de constater que Tourguéniew désapprouve la langue de ce roman pour les mêmes raisons que donnait plus tard Gustave Planche à sa désapprobation du style de Claudie. (Voir plus loin, p. 679.)
  1282. Signalons cependant à ceux de nos confrères français qui aiment à déclarer que tout nous vient toujours de France, que Tolstoï a très peu lu George Sand et ne l’aimait guère.
  1283. Nous en parlons dans notre tome Modèle:Ier, p. 144.
  1284. Voir plus loin, chap. Modèle:Sc.
  1285. M. Cristal dit par contre que George Sand fut extrêmement touchée d’apprendre que Tackeray fut si enchanté de François le Champi que sous cette impression il écrivit à son tour l’histoire d’un être abandonné (Henry Esmond), en transportant, cela s’entend, l’action d’un village du Berry dans un château de la Old England.
  1286. Mme Viardot avait aussi eu l’intention d’écrire un opéra sur un livret tiré par M. Louis Viardot de la Petite Fadette, mais ce projet ne fut pas mené à bout.
  1287. Gustave Modèle:Sc, Nouveaux portraits littéraires, t. II. (Paris, Amyot, 1854.)
  1288. Modèle:Sc, Histoire de la chanson populaire en France, p. 351. Paris, 1889, in-8°.)
  1289. Il fut terminé et publié au commencement de 1853. George Sand écrit à son fils le 16 janvier 1853 : « J’ai repris mon travail après deux jours de souffrances atroces. M’en voilà encore une fois revenue et j’arrive à la fin de mes deux gros volumes de berrichon… » (Les Maîtres sonneurs commencèrent à paraître dans le Constitutionnel, à partir du Modèle:1er juin de cette année.)
  1290. Le docteur Hermann Muller Strubing, musicien et philologue allemand, réfugié politique entre 1849 et 1852, d’abord l’hôte de Mme Sand à Nohant, puis celui de ses amis les Duvernet à la Châtre. C’est lui qui aida George Sand à transcrire et à adapter les chansons populaires berrichonnes pour le drame de Claudie.
  1291. Ces deux lignes sont omises dans le vol. III de la Corr.
  1292. V. Modèle:Sc, Dictionnaire de l’ancienne langue française ; Modèle:Sc et Modèle:Sc, Dictionnaire général de la langue française ; Modèle:Sc, Glossaire du centre de la France ; Sachs, Encyclopddisches Wôrterbuch der franzosischen und deutschen Sprache. 1899. (nebst Anchang 1900).
  1293. George Sand pour sa part accorda une attention spéciale à la langue du Berry après avoir pris connaissance du premier ouvrage de M. Modèle:Sc, Vocabulaire du Berry par un amateur de vieux langage (1842). On peut lire son opinion sur ce livre et les observations critiques dénotant une connaissance parfaite des matières dont il traite, dans la lettre de George Sand au comte de Jaubert, de juillet 1843. (Corresp., t. II, p. 269.)
  1294. Max Born. Die Sprache George Sands in dem Romane « les Maîtres sonneurs », Berlin, Verlag von E. Ebering, 1901. (Berliner Beitrdge zur germanischen und romanischen Philologie, XXI.)
  1295. En 1848, George Sand dit un jour, en parlant de Louis Blanc : « Une grande ambition dans un petit corps. »
  1296. Piccinino. Notice de 1853.
  1297. Nous prions avant tout nos lecteurs, en lisant ce chapitre, de se rappeler les mots de Renan que nous avons mis comme épigraphe à notre travail : Le devoir de la critique ne saurait être de regretter que les hommes ne fussent autres qu’ils ne furent, mais d’expliquer ce qu’ils furent. Nous nous permettrons d’y ajouter : le devoir du lecteur équitable ne saurait être d’attribuer au critique toutes les opinions de l’auteur qu’il explique et qu’il tâche de rendre fidèlement.
  1298. V. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. Modèle:Ier, chap. Modèle:Sc, p. 166-169.
  1299. V. Daniel Modèle:Sc, Histoire de la révolution de 1848, t. Modèle:Ier, Introduction, p. Modèle:Sc.
  1300. Nous sommes très heureux de noter que par rapport au « socialisme » et au « communisme » de George Sand, nous sommes du même avis que MM. Marius-Ary Leblond, émis dans leurs si intéressants articles, George Sand et la démocratie (Revue de Paris, juillet 1904) et Notes sur George Sand socialiste (Revue socialiste, juillet et août 1904.)
  1301. Voir plus loin l’analyse des articles de George Sand : Lettre aux riches (Revue politique de la semaine) et la Préface au livre de M. Modèle:Sc, Travailleurs et Propriétaires.
  1302. Le Socialisme, quatre articles parus en avril 1848 dans le journal de George Sand, la Cause du peuple, et réimprimés dans ses Œuvres complètes dans le volume des Questions politiques et sociales, (V. p. 276.)
  1303. Souvenirs et Idées, p. 171.
  1304. Nous devons remarquer toutefois que cet article avait déjà été signalé par notre ami, le bibliophile Isaac (le vicomte de Spoelberch) dans l’appendice manuscrit à son Essai bibliographique sur les Œuvres de George Sand, que nous avons cité avec reconnaissance à la page 345 de notre premier volume.
  1305. M. Monin cite en note à ces mots le volume des Souvenirs de 1848, mais nous pouvons encore renforcer sa désapprobation, en ajoutant que, sans aucune raison logique, on avait séparé une partie de ces articles pour les insérer dans le volume des Questions politiques et sociales, et un autre article encore, arbitrairement retiré de l’ordre chronologique de la série, dans le volume des Questions d’art, quoique tous ces articles proviennent des mêmes numéros du journal de George Sand, la Cause du Peuple.
  1306. L’orthographe de ce nom nous paraît douteuse, nous lisons ailleurs dans les lettres de George Sand miss Hawkes.
  1307. Nous avons déjà cité cette lettre dans le tome II de notre ouvrage (chap. xi), et dans le chapitre vi du volume III.
  1308. Voir vol. III.
  1309. V. plus loin.
  1310. Il s’agissait de son traité avec M. de Girardin, directeur de la Presse. Selon ce traité, George Sand devait livrer le manuscrit de ses Mémoires en l’espace d’une année, et M. de Girardin devait la rembourser dans la somme de 11 000 francs. (Cf. avec ce que George Sand dit à Poncy dans sa lettre du 14 décembre 1847, que nous avons citée dans le chapitre vi et avec une lettre inédite à son fils du 10 avril que nous citons plus loin.)
  1311. Le sort de ses « deux filles », Solange et Augustine Brault, ne pouvait plus inquiéter Mme Sand en 1850, l’une étant mariée depuis 1847, et l’autre depuis 1848. Il est évident que ce fut écrit avant, en 1847.
  1312. Nous montrerons dans l’un des chapitres suivants comment les épreuves de 1847 provoquèrent chez Mme Sand ce « besoin moral » de récapituler toute sa vie, d’analyser le passé. C’est ainsi que naquit l’idée de l’Histoire de ma vie.
  1313. Il est encore une fois évident que ces lignes sont écrites en 1847, lorsque la dot de Solange et ses prétentions ridicules à « ne pouvoir vivre » avec 150 000 francs furent un fait de fraîche date, ce qui serait tout antre chose en 1850, lorsqu’il ne restait de cette dot presque rien déjà et que Solange elle-même était sur le point de se séparer de son mari.
  1314. C’est encore là une remarque qui se rapporte à l’époque d’ébullition générale précédant la catastrophe de 1848.
  1315. Encore une allusion à son état d’âme déprimé, à ce grand découragement qui l’envahit en 1847, à la suite de sa rupture récente avec Chopin et Solange.
  1316. Expressions d’une lettre inédite de Louis Blanc à George Sand. Nous avons retrouvé dans les papiers de George Sand des lettres inédites et fort intéressantes de Louis Blanc se rapportant à ses démarches pour placer l’article de George Sand. Elles sont datées des 5 et 22 janvier 1848. Louis Blanc joignit à cette dernière lettre celle qu’Emmanuel Arago lui avait adressée à la même date, et la lettre de M. Chambolles, rédacteur du Siècle, datée du 16 janvier.
  1317. Ces mots encore ne pouvaient être écrits nullement en 1851, comme le prétend la date dans la Correspondance, lorsque Mazzini était déjà revenu à Londres après la défaite de la révolution en Italie, mais bien alors qu’il était encore à Londres. On sait que Mazzini avait quitté cette ville et se rendit en Italie en février 1848 pour n’en revenir qu’en 1850.
  1318. Lors de la discussion de l’adresse au roi en janvier 1848, la Chambre des députés a voté pour approuver la conduite du cabinet par rapport aux affaires d’Italie et de Suisse, conduite très désapprouvée par l’opinion publique.
  1319. Allusion au célèbre discours prononcé par Montalembert le 15 janvier 1848 à la Chambre des pairs. Il est très intéressant de confronter ces lignes et celles de la lettre précédente sur la « décomposition générale » avec celles que Tourguéniew adressait presque à la même date, le 17 janvier 1848, à Mme Viardot : « Paris a été mis en émoi pendant quelques jours par le discours fanatique et contre-révolutionnaire de M. de Montalembert ; la vieille pairie a applaudi avec rage aux invectives que l’orateur adressait à la Convention. Encore un symptôme — et des plus graves — de l’état des esprits. Le monde est en travail d’enfantement… Il y a beaucoup de gens intéressés à le faire avorter. Nous verrons… » (V. la Revue hebdomadaire du Modèle:1er octobre 1898, n° 44, p. 37-39.)
  1320. L’article de Borie sur la Lettre au Pape parut le samedi 15 janvier 1848, dans le Supplément du Journal du Loiret. Comme nous le savons déjà, Victor Borie avait été l’hôte de Nohant de l’automne de 1846 à février 1848. Il passa 1848 à Paris et à Orléans. En 1849, pour un article paru dans ce même Journal du Loiret, il fut condamné à la prison, se sauva à l’étranger et vécut en Belgique et à Londres. Dans la lettre du 26 décembre 1850, imprimée dans ce même tome III de la Correspondance, George Sand écrit à Poncy : « Borie est en Angleterre. Mais nous n’avons pas de ses nouvelles depuis assez longtemps… » Et deux pages plus loin on a pourtant imprimé cette lettre prétendue du 22 janvier 1861 où se trouvent les mots auxquels nous ajoutons cette note.
  1321. La Revue sociale cessa de paraître dès 1848, En 1851 eUe n’existait plus.
  1322. Depuis les sanglantes journées de Juin, George Sand n’avait plus jamais pensé ni écrit rien de pareil. Ce fut écrit à un moment où les flots de sang versés pour la liberté ne se voyaient encore qu’en imagination et paraissaient alors quelque chose de « beau », hélas !
  1323. C’est nous qui soulignons cette pensée que George Sand émit ainsi bien avant Lombroso et presque simultanément avec Herzen (dans ses Mémoires du docteur Kroupow). Voilà le cas de dire ; les grands esprits se rencontrent !
  1324. Encore quelque chose que George Sand n’a pu écrire qu’à un moment où la foi à « l’action générale » vivait encore en son âme avant que l’épreuve néfaste ne la détruisît.
  1325. Intéressant à confronter avec ce que nous avons dit dans le vol. III à propos de Piccinino et avec les citations de ce roman que nous y dormons. À confronter aussi avec le passage soi-disant de la lettre du 18 février à Maurice Sand, imprimée à la page 3 du tome III de la Correspondance, et qui est, en réalité, du 7 février 1848 : « Au reste, l’Italie est sens dessus dessous… Seulement, tout ce qu’ils y gagneront, c’est de passer du gouvernement despotique au gouvernement constitutionnel, de la brutalité à la corruption », etc.
  1326. Charles Duvemet, sa femme et Gabriel Planet lui étaient venus en aide en cette affaire.
  1327. Nous devons à l’amitié de notre inoubliable amie, Mme Lina Sand, d’avoir pu copier sur l’autographe le Journal de 1848 et le Journal du coup d’État de 1851. Dans le volume des Souvenirs et Idées paru en 1904, l’un et l’autre sont imprimés avec des lacunes, des changements et des mots tronqués.
  1328. Souvenirs et Idées, p. 17.
  1329. M. Monin dit, à ce propos en toute justesse, que « George Sand prédisait plus qu’elle ne prévoyait », comme du reste cela arriva à la plupart des politiques de profession, en 1848, conservateurs et radicaux.
  1330. Nous avons déjà dit en note, à la page 589 du vol. III, comment les sept lettres de février 1848 étaient « arrangées » dans le tome III de la Correspondance.
  1331. Les lignes qui, dans la Correspondance, suivent celles-ci, se rapportant à Bakounine et aux événements d’Italie, appartiennent à la lettre inédite du 7 février. Nous les donnerons plus loin lorsque nous parlerons des relations entre George Sand et le célèbre anarchiste. Dans la lettre autographe du 18 février nous lisons, immédiatement après les mots « pourtant pas », l’annonce d’une lettre reçue de Mme Marliani et quelques mots sur sa curiosité excessive. Nous les avons cités dans le chapitre Modèle:Sc du volume III.
  1332. Nous avons cité une partie de cette lettre dans le chapitre Modèle:Sc. Elle est également inédite.
  1333. Correspondance, t. III, p. 9-12.
  1334. Correspondance, t. III, p. 6-8.
  1335. Les deux Lettres au peuple portent les sous-titres : Hier et Aujourd’huiAujourd’hui Demain et parurent en brochures avec indication qu’elles se vendaient « au profit des ouvriers sans travail ».
  1336. Elle écrit à Augustine Brault (lettre inédite du 5 mars) et à Girerd (lettre imprimée du 6 mars) qu’elle sera à Nohant mardi, le 7.
  1337. Michel de Bourges. V. les chapitres Modèle:Sc et Modèle:Sc du tome II de cet ouvrage.
  1338. Voir la collection complète des Bulletins de la République, p. 19. Il parut en avril une seconde édition de cette Lettre au peuple, semble-t-il, parce que, dans la Bibliographie de la France, nous la trouvons enregistrée à la date du Modèle:1er avril. De plus, les deux lettres furent réimprimées dans le journal de George Sand, la Cause du peuple, comme on verra plus loin.
  1339. Dans la Correspondance de George Sand (t. III, p. 14), il est dit que le Blaise Bonnin promis par George Sand à son fils en guise de thème pour ses causeries futures avec les paysans de sa commune, c’était « la Lettre d’un paysan de la Vallée Noire, écrite sous la dictée de Blaise Bonnin », erreur que M. Monin répète après les éditeurs de la Correspondance. C’est de l’Histoire de France écrite sous la dictée de Blaise Bonnin, que Mme Sand parle à son fils dans sa lettre du 24 mars, tandis que la Lettre d’un paysan de la Vallée Noire parut dès 1843, et les Paroles de Blaise Bonnin, dont nous parlons plus loin, ne furent écrites qu’à la fin d’avril de cette année 1848.
  1340. C’est nous qui soulignons. Nous avons retrouvé dans les papiers de George Sand une lettre d’Henri Martin écrite pour accuser réception de cette brochure de George Sand, comme un peu ultérieurement il l’avait déjà fait pour la Lettre à la classe moyenne. Henri Martin écrit donc, à la date du 18 mars :
    « Je reçois à l’instant votre second envoi : je vous avoue qu’il y a des choses qui m’inquiètent quant à l’effet politique, des choses qui demanderaient un grand développement pour être comprises et qui surtout, dans un écrit si concis et si rapide, me semblent bien hasardeuses. Le temps me manque pour en causer avec vous ; mais pourquoi prendre ainsi le mot
  1341. C’est encore nous qui soulignons.
  1342. Cette lettre est datée de « Paris » dans la Correspondance. Mais le 14 mars elle était encore à Nohant ; c’est donc le 14 mars, Nohant ou le 24 mars. Paris, qu’il faut lire.
  1343. Mme Sand répète ainsi ce qu’elle dit, à propos de ces commissaires, dans la lettre à son fils datée du 25 mars, écrite à sa rentrée à Paris.
  1344. Comme on le verra tout à l’heure par sa lettre inédite du 25 mars, George Sand prit sur elle de faire des démarches pour faire distribuer des armes aux campagnards de Nohant-Vic.
  1345. M. Monin dit que cet amateur fut le grand-père paternel de M. Alfred Aulard, grand ami de George Sand et de sa famille et plus tard maire de Nohant. Nous parlons de lui dans le chapitre Modèle:Sc.
  1346. Ce vieux brave s’appelait Jacques Saulat et on peut voir par la fin inédite de la lettre du 17 avril, imprimée dans la Correspondance, que George Sand étendit sa protection sur lui aussi et s’empressa de le faire récompenser par le gouvernement provisoire.
  1347. Allusion aux événements du 17 mars à Paris : la manifestation des « bonnets à poil » et la contre-manifestation du prolétariat.
  1348. Il est très intéressant de confronter ce passage avec les lettres inédites de George Sand à son fils, datées du 25 mars et du 20 avril, dans lesquelles elle sermonae vertement le nouveau maire de Nohant-Vic de vouloir 1 scinder » les deux communes. On lira dans le texte la première de ces deux lettres. Voici le passage de la seconde qui s’y rapporte : « Tu as tort de t’obstiner à vouloir scinder ta commune, nous ne l’obtiendrions pas, et les raisons qu’on nous donnerait seraient justes. C’est que l’association diminue de moitié les dépenses et qu’en outre, les bons citoyens doivent tendre à détruire l’esprit de localité au lieu de l’augmenter. S’il y a difficulté pour un maire à administrer deux communes, le zèle doit augmenter et ne pas songer à faire disparaître la difficulté. Tu n’es pas dans les bans principes à cet égard, tu te laisses impressionner par les préjugL-s et les petites passions de tes administrés. Il faut te montrer ferme, juste et dévoué à tous. Sois sûr que tu concilieras tout si tu t’en donnes la peine, et si ton cœur vient un peu en aide à tes actes par de bonnes paroles. Je crois qu> ? tu as bien fait d’être ferme pour ton conseil municipal. Il faut que Fieury ratifie bien vite ce que tu as fait, et s’il y mettait de la négligence, il faudrait ne pas t’endormir, enfourcher ta blanche ou la patache et aller chercher à la préfecture la sanction de ta conduite, autrement tu trouverais chez les mécontents une résistance fâcheuse. On est tranquille comme Baptiste ici, malgré la grandpeur de ces derniers jours. Les mesures un peu révolutionnaires que vient de prendre le gouvernement provisoire vont te venir en aide. Il faudra te hâter d’en donner la première nouvelle à tes administrés et leur faire comprendre que si on n’a pas eu plus tôt ces heureuses améliorations, c’est qu’il y a à Paris, comme à Nohant, des Étève, des Biaud, des Blanchard, etc., qui ne veulent pas qu’on adoucisse le sort du peuple et qui créent mille embarras à la République. Accuse-moi réception des deux mille francs. Bonsoir, mon enfant, attache-toi à montrer une sollicitude égale à tes deux communes et en prouvant que tu n’as pas de préférences, tu auras la confiance à Vie comme à Nohant. » Dans la lettre du 21 avril imprimée dans la Correspondance, on peut lire les lignes suivantes : « Ne t’inquiète pas. Tu ne m’as pas dit quelles raisons tu avais eues pour casser ton conseil, mais il aurait fallu commencer par là. Quoi qu’il en soit, je te réponds que tu n’auras pas le dessous, j’ai parlé de cela à Ledru-Rollin, qui m’a dit que probablement tu n’avais pas agi par caprice, que sans doute il y avait nécessité, et que tu devais être appuyé et soutenu. Je viens d’écrire à Fleury un peu ferme là-dessus ; ne te laisse pas émouvoir par les récriminations et les menaces… » On voit que Mme Sand menait à la baguette le maire de Nohant-Vic et gouvernait fort énergiquement sa commune.
  1349. Rue de Condé, 8.
  1350. V. plus haut la note à la p. 30.
  1351. Expressions du Bulletin n° 1.
  1352. Cette phrase empruntée au rapport de la commission d’enquête sur l’affaire du 15 mai (t. II, p. 30), fait, comme on le sait, par Jules Favre, est citée par Daniel Stern (Histoire de la Révolution de 1848, t, II, p. 292) et par M. Monin.
  1353. M. Monin, George Sand et la révolution de 1848, (La Révolution française, 14 décembre 1899, p. 544-545.)
  1354. La correspondance inédite de George Sand avec René de Villeneuve et sa famille, comprenant 89 lettres, existe ; quelques lettres seulement ont paru dans le Figaro, 16 janvier 1881.
  1355. Ces mots se rapportent, il est évident, à la préface de la Petite Fadette, qui avait commencé à paraître le Modèle:1er décembre 1848 dans le Crédit. V. notre vol. III, p. 638.
  1356. À ce moment de réaction croissante, il y eut des déclarations et des poursuites contre tous les acteurs des premiers mois de la République, entre autres contre Emmanuel Arago, envoyé en mars à Lyon, en qualité de commissaire du gouvernement provisoire.
  1357. Emmanuel Arago était alors ambassadeur à Berlin.
  1358. Le compte rendu de la fête du 19 mars parut dans la Réforme, comme nous l’avons dit, le 23 mars, ce qui prouve que la lettre est bien du 23 mars.
  1359. C’est nous qui soulignons, et nous prions le lecteur de noter ces indications des numéros des Bulletins, elles nous seront de toute utilité tout à l’heure.
  1360. Charles Delaveau était alors maire de la Châtre et le chef du parti des modérés réactionnaires. Bientôt il prit ouvertement parti contre George Sand. La lettre que Mme Sand lui adressa à cette occasion est très curieuse sous tous les rapports. On peut la Uie dans le tome III de la Correspondance.
  1361. C’est nous qui soulignons.
  1362. Le général Subervie avait été nommé ministre de la Guerre le 24 février, mais bientôt la commission de la Défense se mit à agir à son insu, on se mit à l’accuser d’inertie et de lenteur, et bien vite on nomma à sa place le général Eugène Cavaignac.
  1363. La collection originale des vingt-cinq Bulletins de la République présente un rassemblement d’affiches et de placards de formats et de caractères divers, imprimés dans quatre typographies différentes. Dans la seconde moitié de 1848, un « haut fonctionnaire en activité » réimprima les Bulletins en un minuscule in-8° recouvert de papier jaune, et les fit précéder d’une Préface. Nous avons eu la chance d’acquérir ce curieux et rarissime petit livre dont le titre exact est : Bulletins de la République émanés du ministère de l’Intérieur du 13 mars au 6 mai 1848. Collection complète avec une Préface, par un haut fonctionnaire en activité. Prix : 3 francs 50 centimes. Paris. Au bureau central, 6, rue de Bussy. 1848.
    M. Monin, qui doit avoir aussi eu en mains ce livret, dit avec raison que, malgré le mot de « complète », cette collection ne l’est point, mais que la Préface en est curieuse. Remarquons de notre côté que le « haut fonctionnaire » avait indubitablement profité d’une part des indications faites par la comtesse d’Agoult, très au courant de l’histoire intime et de tous les faits et gestes du gouvernement provisoire ; d’autre part, il avait dû posséder des données assez précises sur les actes de George Sand, en général, et en particulier sur la part qu’elle eut dans l’envoi des commissaires et dans les instructions qu’ils reçurent de « républicaniser, agiter et démocratiser la province ».
  1364. M. Monin observe que dans les Bulletins, ce n’est que la première partie imprimée généralement en plus gros caractères qui est due à la plume de George Sand. L’observation est exacte. Mais quant au Bulletin n° 8, il nous paraît certain que Mme Sand en a écrit les deux parties.
  1365. On voit que l’auteur du Bulletin n° 8 est d’accord avec Blaise Bonnin.
  1366. Dans le n° 1 de la Cause du Peuple.
  1367. Il est évident qu’il s’agit de ce personnage de la Comédie dans l’article de George Sand. Ngub savons que l’on était alors très épris de la Commedia dell’ arte à Nohant, et on avait l’habitude d’employer dans la conversation courante les noms de ses personnages, symbolisant des caractères et des travers convenus : c’est ainsi que de vieux poltrons hargneux et bougonnants y étaient appelés des Cassandre, les jeunes fats des Léandre, les serviteurs des Pedrillo ou Leporello, les militaires des Capitan ou des Matamores, etc., etc. Il est évident aussi que c’est un simple lapsus de la part de M. Monin, lorsqu’il croit que George Sand fait dans cet article allusion à la prophétesse grecque.
  1368. Il est tout à fait incompréhensible aujourd’hui pour quelle raison le nom de Cabet, le moins fanatique de tous les utopistes socialistes et le moins militant des politiciens, devint en cette journée du 16 avril le symbole de l’anarchie la plus dangereuse, de sorte que le pauvre auteur de l’Icarie ne parvint à se soustraire à la fureur que grâce à Lamartine qui le cacha dans son hôtel.
  1369. Il est hors de doute que Daniel Stern visait bien ces lignes de George Sand en disant à la page 8 de son tome III :
    « Chaque jour on répétait dans les journaux, comme une chose toute simple, que si l’Assemblée ne se hâtait d’exécuter les volontés du peuple, il chasserait cette fausse représentation nationale, ou bien on disait encore que les ouvriers de Paris apporteraient aux représentants une constitution toute faite, proclamée au Champ de Mars et qu’il les forcerait à la voter séance tenante. »
  1370. « Pour un Bulletin un peu raide que j’ai fait, il y a un déchaînement incroyable de fureur contre moi dans toute la classe bourgeoise », écrit George Sand à son fils, le 19 avril.
  1371. Correspondance, t. III, p. 46, lettre du 21 avril.
  1372. M. Monin remarque fort judicieusement que George Sand fit preuve, dans ces remarquables pages de critique dramatique, de beaucoup de goût, de finesse et d’une grande compétence pour cette critique ; il exprime son étonnement de ce que lorsqu’on réimprima le Prologue de George Sand dans ses Œuvres complètes, « le même honneur n’a pas été fait à ces pages », — et il le trouve d’autant plus regrettable, que « George Sand n’a guère abordé que là ce genre littéraire ». Les deux dernières indications sont inexactes : les deux articles de la Cause du Peuple, intitulés Arts, sont bel et bien réimprimés dans les volumes des Questions d’art et de littérature. Quant à l’assertion que George Sand n’ait plus jamais « abordé ce genre littéraire », elle est réduite à néant par le fait que, dans ce même volume, ainsi que dans d’autres volumes de ses Œuvres, on peut lire une série de ses articles de critique dramatique et artistique, tels sont : Mars et Dorval, Marie Dorval, Debureau, Hamlet, À propos des idées de Mme Aubray, les Beaux Messieurs de bois-Doré au théâtre de l’Odéon, Reprise de Lucrezia Borgia, etc., etc. Tous ces articles avaient paru dans les périodiques de 1836 à 1873.
  1373. Nous avons vu que c’est à George Sand qu’était due l’idée de demander la nouvelle Marseillaise à Mme Viardot et l’autre à Rachel.
    L’Intermédiaire des chercheurs et curieux de 1874 contenait l’indication que c’est encore George Sand qui avait donné l’idée de frapper une médaille de la République et avait conseillé à un artiste de s’inspirer des poses de Rachel chantant la Marseillaise. Les citations que les collaborateurs de l’Intermédiaire des chercheurs et curieux donnent à l’appui de cette assertion ne sont toutefois pas de George Sand, mais présentent des passages assez inexacts de deux pages de Daniel Stem (t. II, p. 311-312). Or, l’acharnement qu’y met Stem à critiquer ces poses de Rachel et son air belliqueux et farouche, ainsi que la critique extrême que Daniel Stem fait de toutes les statues et médailles présentées aux deux concours ordonnés par Ledru-Rollin, nous prouvent, comme toujours, qu’il dut y avoir de l’influence de Mme Sand dans tout cela. Effectivement, le programme que le ministre avait fait communiquer aux artistes et qui fut publié dans l’Artiste du 9 avril, n’est que l’extrait d’une lettre de George Sand à Clésinger. Quant à la statue projetée du Champ-de-Mars, c’est encore elle qui la fit commander à ce sculpteur. Elle écrit à son fils, le 28 avril (la lettre est inédite, et écrite la nuit des élections à Paris) : « Solange se porte comme le Pont-Neuf ; son mari, grâce à moi, fait la statue du Champ-de Mars. »
  1374. V. Daniel Modèle:Sc, t. II, p. 309-310.
  1375. La représentation gratuite, où on avait joué ce Prologue, eut lieu le 7 avril, comme on le voit, par la lettre inédite de George Sand à son fils, datée du 8 avril, et fut « magnifique » ; dans cette lettre, Mme Sand parle du public qui fut pour elle ce qu’il y avait de plus intéressant dans ce spectacle, dans des termes tout aussi enthousiastes que ceux de son article de la Cause du Peuple.
  1376. Dans sa lettre du 7 août à Girerd, George Sand dit au sujet de la manière dont étaient rédigés, corrigés et imprimés les Bulletins qu’elle avait « accepté la censure du ministre ou des personnes qu’il commettait à cet examen « , qu’elle « ignorait si les cinq ou six Bulletins qu’elle avait envoyés au ministre ont été « examinés » et qu’elle « ne revoyait jamais les épreuves ». Ceci rend probable notre supposition que le Bulletin n° 12 a été retouché par quelqu’un des membres du gouvernement.
  1377. Il y avait alors plusieurs clubs féminins et plusieurs journaux rédigés par des dames, par exemple : la République des femmes, la Politique des femmes, l’Opinion des femmes, le Volcan, etc., etc. (Voir l’article de M. Monin et l’Histoire de 1848, par Daniel Modèle:Sc.)
  1378. Il est très intéressant de confronter cette lettre de George Sand avec la lettre publiée par M. Edouard de Pompéry (fouinériste, ami de Mme Marliani, de M. Anselme Pététin et de Mme Pauline Roland, auteur des livi-es : Démocratie pacifique et Quintessences féminines), lettre dont RL Monia cite un extrait, ainsi qu’avec l’article de George Sand, VEomme et la Femme, écrit le 20 août 1872, publié dans le Temps du 4 septembre de cette même aimée et réimprimé dans le volume des Impressions et Souvenirs. Toutes ces lettres et articles ne laissent subsister aucun doute sur le fait que la question féminine proprement dite « n’existait pas » pour George Sand : elle ne s’intéressait qu’aux questions humaities, et ne partageait nullement les aspirations du féminisme contemporain.
  1379. Souvenirs et Idées, p. 19-38.
  1380. Si l’on ne compte pas pour une telle preuve le fait que Daniel Stem lui attribue ce Bulletin {Histoire de 1848, t. II, p. 305) dont elle cite un passage effectivement très ressemblant, comme style et idée, aux écrits de Mme Sand. Or, comme nous l’avons dit maintes fois et comme nous allons le répéter plusieurs fois encore, Daniel Stem était à ce moment précis, on ne sait pas trop comment, très au courant des faits et gestes de son ancienne amie.
  1381. Daniel Stern raconte plus loin que la seule chose qui inquiétait les conspirateurs, c’était l’intervention possible de Blanqui qui faisait de la conspiration à ses risques et périls et pouvait tout gâter au dernier moment ; puis eUe relate comment la découverte inattendue de papiers, relatifs à la conspiration de 1839, leur délia les mains à l’égard de BLanqui, ayant permis de constater qu’il avait joué envers son associé Barbes un rôle qui ne laissait subsister aucun doute sur ses relations avec la police et sa provocation.
  1382. Ces deux lettres sont inédites.
  1383. Alexandre Lambert, ouvrier et publiciste prolétaire, puis rédacteur de journal à la Châtre ; cf. les chapitres Modèle:Sc (vol. III) et Modèle:Sc (vol. IV).
  1384. La publication de l’Histoire de ma vie fut arrêtée par les événements politiques, et Mme Sand, pour sa part, abandonna ce travail en 1848, pour ne le reprendre qu’en 1853. Nous lisons dans l’un de ses carnets, écrits de la main de Manceau : « Après la lecture de tout, Madame se remet sérieusement à l’Histoire de ma vie, le 22 avril 1853. » L’ouvrage parut en 1854.
  1385. Eugène Lambert.
  1386. Cf. aux pages 69-70 et 72-73.
  1387. Le 13 avril 1848.
  1388. On lit aux pages 7 et 8 du tome III de l’Histoire de la Révolution de 1848 : … Nous avons vu aussi que les principaux chefs révolutionnaires s’étaient étonnés et alarmés sans mesure du tour que prenaient les élections. Lorsqu’ils entrevirent le résultat du suffrage universel, ils s’excitèrent l’un l’autre à n’en tenir aucun compte et se répandirent à l’avance contre l’Assemblée nationale en menaces insensées. Malheureusement, quelques hommes d’un esprit supérieur et qui auraient dû se montrer plus sages, encouragèrent ou tolérèrent ces tendances dangereuses et laissèrent se former autour d’eux des foyers d’une opposition préconçue qui touchait à la sédition. … Dès le 16 avril au soir, M. Louis Blanc et ses adhérents décidaient, dans une réunion au Luxembourg, qu’il fallait incessamment réparer l’échec de la journée en reprenant l’offensive. À la vérité, on ne s’était entendu ni sur l’occasion, ni sur le mode d’une nouvelle intervention du prolétariat, mais on s’était quitté en se payant de l’assurance que si l’Assemblée ne se montrait pas docile aux volontés du peuple, on ferait bonne et prompte justice de ces mandataires infidèles. À quelques jours de là, MM. Pierre Leroux et Cabet proposaient de leur côté au gouvernement provisoire de s’adjoindre un comité permanent composé des hommes les plus avancés de la démocratie. aân de rentrer par leur influence et par leurs conseils, malgré l’Assemblée et sans elle, dans les voies de la révolution sociale.
    Enfin, dans le même temps, il se tenait au ministère de l’Intérieur des conciliabules où MM. Portalis. Landrin, Jules Favre, Étienne Arago, Mme Sand agitaient la question de savoir si l’on se débarrasserait de l’Assemblée le jour même de son ouverture ; trop souvent cette question absurde se tranchait d’une manière affirmative… »
  1389. Voir plus haut, p. 98.
  1390. Celle de l’Assemblée constituante.
  1391. Nous avons vu par la lettre de Mérimée que, parmi ces écrivains, il y avait Victor Considérant et « quelques fouriéristes ». Nous présumons que c’étaient Pététin, Pompéry et Victor Borie, quoique ce dernier ne fût nullement « fouriériste ».
  1392. Ces trois articles sont réimprimés dans le volume des Souvenirs de 1848, sous le titre général de Question de demain ; lors de leur première apparition, ce titre manquait et kes articles portaient simplement les titres de la Religion de la France, le Dogme de la France, le Culte de la France, qui leur servent à présent de sous-titres. M. Monin observe avec raison que, lors de la réimpression du premier article, on en a retranché tout un passage, à la page 100 du volume des Souvenirs de 1848, qui, du reste, n’ajoutait rien à la gloire de l’écrivain. C’est un essai peu réussi de faire de l’esprit à propos du « manque d’actualité de la question de l’existence de Dieu » (allusion à la réponse célèbre de Buloz à Pierre Leroux). Seulement M. Morin a tort de croire que ce fut la seule fois que George Sand ait essayé de l’ironie ; son article les Rues de Paris est plein d’ironie et de sarcasmes, nous ne dirons pas fort réussis, à l’adresse des bourgeois horripilés et poltrons, et l’article le Père Communisme, dont nous parlons plus loin, est écrit dans le but de s’égayer aux dépens de la grand’peur de cette bourgeoisie et aux dépens des calomnies répandues sur le compte de la romancière elle-même ; mis il faut convenir que Henri Heine avait trois fois raison en décrétant que George Sand « manquait d’esprit » : il perce, sous son ironie, ce que les compatriotes de Heine appellent le galgenhumor (ironie du gibet), le rire à travers les larmes, Le désir de faire bonne mine à mauvais jeu.
  1393. Elle avait déjà quitté la rue de Condé et demeurait rue d’Ancin, n° 14.
  1394. Nous pouvons ainsi confirmer en passant l’absolue exactitude de l’indication de Mérimée que le dîner chez Monkton-Milnes auquel assistèrent Mme Sand et M. de Tocqueville eut effectivement lieu non le 6 juin, mais le 6 mai.
  1395. Elle alla à Paris au commencement de ce mois de décembre 1849, pour assister à la seconde représentation de François le Champi. C’est à ce séjour de décembre 1849 à Paris que se rapporte sa rencontre avec son vieil ami, le célèbre général Pepe, ainsi qu’une rencontre fortuite avec le maréchal de Castellane. Ce dernier écrit dans son Journal à la date du 16 décembre 1849 :
    « 16 décembre 1849. — Dans la même maison que moi loge une Mme Marliani, femme d’esprit, qui reçoit une foule de Libéraux ; elle est fort poHe pour moi et m’a beaucoup engagé à aller chez elle. J’y vais de temps en temps avant de sortir. J’y suis monté ce soir. J’y ai vu une femme paraissant assez jeune ; il n’y avait pas beaucoup de lumière, et je n’ai pu bien voir son visage ; elle fumait une cigarette. Mme Marliani m’a bientôt, en parlant de Maurice de Saxe, dont George Sand descend du côté gauche, fait comprendre que c’était elle. George Sand aussitôt une cigarette finie en prenait une autre. Il y avait là un monsieur de beaucoup d’esprit qu’on appelait « le capitame » et dont je ne sais pas encore le nom. (C’était le capitaine d’Arpentigny, dont nous avons parlé dans notre vol. III. W. K.) Démocrate enragé, il disait que les démocrates étaient les plus forts, mais il s’affligeait, ainsi que George Sand et un autre jeune homme, de leurs divisions en différentes sectes, ce qui les perdrait. Sur ces entrefaites est entré un monsieur assez grand, gras, l’air commun. George Sand s’est avancée vers lui, l’a embrassé en lui disant : « Il y avait longtemps que je ne vous avais vu. » C’était le fameux général Pepe… 1) {Journal du maréchal de Castellane, t. IV, p. 201-202.) C’est à cet épisode aussi que se rapportent les lignes d’une lettre inédite de George Sand à Mazzini, datée du 30 janvier (sans millésime, que même le vicomte de Spoelberch était iudécis de dater de 1849 ou 1850 et que nous pouv ns, à présent, dater en toute conscience de ISôO) : « Le général Pepe est un vieux ami à moi, un homme de bien, je vous assure. Que ses idées aient de l’étroitesse et son caractère de la timidité, je ne le nie pas. On accepte les imperfections de ses amis, mais je n’aurais pas songé à traduire son travail s’il m’eût paru possible que vous y fussiez contredit ou attaqué d’une façon quelconque. J’ai vu Pepe à son retour à Paris dernièrement. Je l’ai trouvé bien changé d’esprit et de santé. Vieux, éteint en apparence, mais voyant bien plus juste, et parlant des rois et des peuples comme jamais je ne l’aurais cru capable de le faire ; cela ressemblait à l’oracle d’un mourant qui voit clair au moment de quitter la vie. « Vous me dites et on me dit qu’il subit des influences fâcheuses, voilà ce que j’ignore. Mais soyez tranquille. Si son œuvre n’est pas ce qu’elle doit être, je m’abstiendrai et lui en dirai franchement et amicalement la raison. « Je n’ai pas le temps de vous écrire aujourd’hui, je vous ai écrit une énorme lettre hier. Je vous embrasse et vous aime de toute mon âme. »
  1396. Lettre à Thoré (la Vraie République du 27 mai 1848), réimprimée dans le volume des Souvenirs de 1848, sous le titre le Père Communisme.
  1397. Lettre à Charles Delaveau du 13 avril 1848. (Corresp., t. III, p. 25-30.)
  1398. La même lettre et celle à Mme Marliani de juillet 1848.
  1399. Lettre du 24 mai à Thoré (la Vraie République du 27 mai) et lettre privée du 28 mai au même.
  1400. C’est nous qui soulignons.
  1401. C’est encore nous qui soulignons.
  1402. Selon la mention ci-dessous d’une lithographie de l’époque, « Le 15 mai, dessiné d’après nature par François Bonhomme. »
  1403. Monographie de la rue du Bac. (Paris, in-8°, 1894.)
  1404. Charles Duplomb était fils d’Adolphe Duplomb. Ce dernier, surnommé Hydrogène, apothicaire à la Châtre, était grand ami d’Aurore Dudevant et de son frère, Hippolyte Châtiron, et leur compagnon d’escapades et de parties de plaisir. George Sand en parle dans le morceau autobiographique, Un voyage chez M. Blaise (volume des Dernières Pages), ainsi que dans ses lettres de jeunesse. (Voir Corresp., t. Modèle:Ier.)
  1405. Réimprimées dans le volume des Souvenirs de 1848, sous le titre de Paris et la province.
  1406. Daniel Stern a marqué d’une pierre blanche cette petite œuvre de George Sand, et c’est avec une pointe de sarcasme bien éidcnte qu’après avoir dit : « Le peuple à son tour murmurait. Les ateliers nationaux commençaient à laisser paraître des dispositions hostiles… La presse communiste, un moment silencieuse, reprenait le ton menaçant, et, laissant de côté les questions politiques, elle posait ce fatal antagonisme entre la bourgeoisie et le peuple qui devait, à peu de temps de là, éclater d’une manière si formidable. Les républicains éclairés ne voyaient pas sans chagrin de grands talents s’employer à cette œuvre de dissolution… ». Elle ajoutait en note : « Un article de Mme Sand, entre autres, publié dans la Vraie République, le 28 mai, fit sensation. Elle mettait dans la bouche d’un ouvrier, qui racontait à sa femme la journée du 16 mai, l’explication que voici : … « Puis Daniel Stern citait le morceau que nous donnons dans le texte : « Nous tombâmes tous d’accord… », etc.
  1407. V. plus haut, p. 9.
  1408. Le premier article, Louis Blanc, réimprimé dans le volume des Souvenirs de 1848, sous le titre de Louis Blanc au Luxembourg, parut dans la Vraie République, le 2 et 3 juin. Le second, qui parut le 11 juin, fut écrit en forme de simple Lettre à Théophile Thoré. Dans le volume des Souvenirs de 1848, on le munit d’un sous-titre : Sur la mise en accusation de Louis Blanc, et pourtant la rédaction de la Vraie République l’avait fait précéder de la petite note que voici : « Cet article n’est pas une défense. Il nous a été envoyé par notre collaborateur avant qu’on connût les projets d’accusation qui en font un article de circonstance. »
  1409. Parut dans la Vraie République, le 9 juin, réimprimé aussi dans le volume des Souvenirs de 1848.
  1410. V. plus haut, p. 111.
  1411. Arnold Ruge, républicain allemand fort connu, dit dans ses Souvenirs de Bakounine (Neue Freie Presse de 1878) que ce fut lui, Ruge, qui avait présenté Bakounine à George Sand ainsi qu’à Chopin.
  1412. Cf. avec ce que George Sand dit dans sa lettre inédite à Mazzini que nous avons donnée à la page 16, et avec les lignes du Piccinino citées dans le chapitre vii.
  1413. Sobriquet de Victor Borie.
  1414. Voir ce que nous avons dit sur cette doctrine de Leroux aux pages 6 et 415 des chapitres i et iv du volume III. Les lignes que nous donnons entre crochets sont tronquées et changées dans la Correspondance, George Sand met les mots en toutes lettres.
  1415. On voit par une lettre de Bakounine au poète Herwegh (Voir le volume des Lettres de et à Herwegh publié en 1904) que Bakounine avait envoyé sa lettre par l’intermédiaire de cet « ami allemand », le docteur Müller.
  1416. Genève, 1870, H. Georg, chapitre intitulé : les Allemands dans l’émigration européenne, p. 69-60.
  1417. Nouvelle Gazelle Rhénane (Neue Kheinische Zeitung), 1848. N° 64.
  1418. La première lettre est signée : Bakounine, la seconde : Bacounine.
  1419. Nous avons donné dans le chapitre Modèle:Sc du vol. III deux extraits de lettres de George Sand de 1850, nous montrant que Müller l’avait aidée d’abord à transcrire les chants berruyers de Jean Chauvet, le maître chanteur-maçon, pais à arranger les chansons du père Rémy, pour les représentations de Claudie à la Porte-Saint-Martin. Dans les lettres imprimées et inédites de George Sand de 1849 à 1852, il est constamment question de Müller, et on voit combien Mme Sand avait d’amitié pour cet original et sympathique personnage.
  1420. Émile Aucante.
  1421. La pièce de George Sand tirée de son roman.
  1422. A. Modèle:Sc, Nouveaux samedis. Paris, 1877, 16Modèle:E série, 11 novembre 1877.
  1423. Paru d’abord dans la Revue de Paris de 1836. Réimprimé dans le volume des Questions d’art et de littérature.
  1424. Sobriquet de Louis-Philippe.
  1425. Lettre de George Sand à Louis Blanc de novembre 1844. Correspondance, t. II, p. 324-27.
  1426. George Sand, sa vie et ses œuvres, vol. II, p. 184.
  1427. Abbatucci.
  1428. Cette lettre parut d’abord sous le titre de M. Louis-Napoléon jugé par George Sand en 1844 dans YAlmanach populaire de la France pour 1849, (16Modèle:E année, Pagnerre), que nous avons retrouvé à la Bibliothèque Carnavalet. Puis elle fut réimprimée dans deux brochures répandues par la propagande bonapartiste, un peu avant les élections du 10 décembre 1848, et George Sand protesta dans le journal de Proud’hon, le Peuple, numéro du 6 décembre 1848, contre cet emploi pratique de son épître purement abstraite. Enfin, elle parut dans la Correspondance de George Sand, vol. II, p. 328, mais tronquée, changée, avec omission du dernier passage et à la fausse date de « décembre » 1844.
  1429. Du souvenir flatteur que vous avez bien voulu me consacrer.
  1430. À en apprécier la réalisation.
  1431. Le fait.
  1432. Noble.
  1433. Dans quelles mains l’avenir la mettra-t-il ?
  1434. Ce passage manque dans la Correspondance, et il y est remplacé par les mots : « Nous autres cœurs démocrates nous aurions préféré peut-être être conquis par vous que par tout autre, mais nous n’aurions pas moins été conquis, d’autres diraient délivrés. »
  1435. De courage.
  1436. Âmes généreuses.
  1437. Maintenant.
  1438. Désarmé.
  1439. Reconnaîtrons.
  1440. Cette souveraineté nous paraît incompatible.
  1441. Mots ajoutés dans la Correspondance. « Ne nous prouvera le droit d’un seul. »
  1442. Puisque les hommes sont méfiants et que la pureté.
  1443. La force des lois providentielles qui poussent la France à.
  1444. Tirer des mains d’un homme vulgaire pour ne rien dire de pis.
  1445. Une autre puissance que celle du commandement.
  1446. Sentez.
  1447. Grand.
  1448. Venait un jour à guérir.
  1449. Nous paraissent plus odieuses que jamais.
  1450. Nous voyons.
  1451. Ce n’est donc pas le nom terrible et magnifique que vous portez qui nous eût séduit.
  1452. Grandeur, là est l’aliment de votre âme active.
  1453. Vos pensées.
  1454. L’eût fait peut-être malgré vous l’exercice du pouvoir.
  1455. Mot ajouté : personnellement.
  1456. Ceux qui rêvent des temps meilleurs.
  1457. Par la pensée.
  1458. Encore de liberté.
  1459. Mme Hortense Cornu, née Lacroix, sœur de lait et amie intime de Napoléon III, fut mariée au peintre Sébastien-Melchior Cornu et se distingua comme écrivain et traductrice des poètes allemands, sous le pseudonyme de Sébastien Albin. Elle fit paraître en 1843 un travail en deux volumes sur Goethe et Bettina et un peu avant Ballades et chants populaires (anciens et modernes) de l’Allemagne, précédés d’une notice historique. (Gosselin, 1841.)
  1460. C’est notre inoubliable amie Mme Maurice Sand qui nous en avait, peu avant sa mort, remis l’autographe pour le copier, afin d’en faire usage pour la suite de notre travail, et de le publier à sa date soit en entier soit en partie.
  1461. Mme Rozanne de Curton, mariée en premières noces à M. Bourgoing, amie de George Sand dès 1829-1830.
  1462. V. la Revue de Paris du 15 juin 1904.
  1463. Mme Rose Chéri, la charmante ingénue du Gymnase, femme du directeur, M. Montigny, jouait surtout les jeunes premières, elle remplissait dans le Mariage de Victorine le rôle de l’héroïne.
  1464. Mme Solange Clésinger. Son mari, le sculpteur connu, l’auteur de la Femme au serpent, fut à ce moment très lié avec le comte d’Orsay, qui, comme on le sait, s’était, sur la fin de sa vie, épris de sculpture, travaillait à des bustes de ses contemporains illustres et fut, peu avant sa mort, nommé ministre des Beaux-arts.
  1465. Le comte Gédéon-Gaspard-Alfred d’Orsay, que nous venons de citer, le célèbre dandy et arbiter elegantiarum, ami de Byron, connu dans la chronique mondaine de 1820-1850 sous le nom du « beau d’Orsay ». Il passa nombre d’années de sa vie sous le même toit que la non moins célèbre lady Blessington qui donna aussi l’hospitalité à Napoléon III, lors de son séjour à Londres, après sa fuite de Ham. Il est évident que ce service amical ne fut point oublié par Napoléon et, quoique le biographe du comte d’Orsay, le comte de Contades, assure le contraire, d’Orsay jouit toujours d’une certaine influence à l’Élysée, comme nous le verrons bientôt. Il fut aussi très lié avec le prince Jérôme.
  1466. Mlle Femand, la jeune première de t’Odéon, qui créa le rôle d’Edmée dans Mauprat en 1853.
  1467. George Sand lui dédia son roman d’Adriani.
  1468. Alexandre Manceau, graveur de grand talent, qui grava entre autres, en 1850, le portrait le plus connu de George Sand, celui de Couture.
  1469. Ce jour est omis dans le volume des Souvenirs et idées.
  1470. Mme Clotilde Villetard, née Maréchal, cousine de George Sand.
  1471. Cette phrase est aussi omise dans le volume.
  1472. Emmanuel Arago.
  1473. Nous omettons encore le passage sur cette féerie.
  1474. Lovely était le prénom de Mme Emmanuel Arago.
  1475. Nous passons ici encore une page consacrée à répéter les bruits politiques qui couraient dans Paris.
  1476. Il est permis de douter de l’exactitude de cette dernière assertion quoique effectivement nous n’avons pu retrouver que les quatre ou cinq lettres de Napoléon III, mais d’une part M. Armand Dayot avait, lors de l’impression dans le Figaro des trois lettres que nous avons données plus haut, déclaré que « cette correspondance paraîtrait un jour », et d’autre part George Sand avait jadis cru et déclaré, aussi, « avoir brûlé » les lettres d’Alfred de Musset — et elles ont paru !
  1477. Pierre Carlier, né à Sens en 1799, mort en 1858, fut d’abord commerçant à Rouen, puis agent de change à Lyon. Après 1830, il devint commissaire de police à Paris, dirigea plus tard la police municipale et se distingua par la sévérité avec laquelle il réprimait les troubles de la rue. Nommé en 1849 préfet de police, il seconda avec beaucoup de zèle la politique de Louis-Napoléon jusqu’à la veille du coup d’État, et pourtant il résigna ses fonctions peu de jours avant le 2 décembre dont il avait préparé le succès. Membre de la Commission consultative il fut envoyé en province pour sonder l’état politique des départements et, vers la fin de sa vie, nommé conseiller d’État.
  1478. Cette lettre doit avoir été adressée à la comtesse Apolline de Villeneuve, femme du cousin de George Sand. (Voir notre vol. I, p. 196.)
  1479. Correspondance, vol. III, p. 271.
  1480. Mme Eugénie Duvernet était née Ducarteron.
  1481. Correspondance, vol. III, p. 262.
  1482. Alphonse Fleury.
  1483. Jean-Gilbert-Victor Fialin, comte (plus tard duc) de Persigny, né en 1808, mort à Nice en 1872, homme politique et intime ami de Louis-Napoléon, fut d’abord militaire, légitimiste, puis républicain et enfin bonarpartiste, partisan dévoué de Napoléon et favori omnipotent. Il fut nommé ministre de l’Intérieur le 22 janvier 1862.
  1484. Correspondance, vol. III, p. 273.
  1485. George Sand écrit à son cousin René de Villeneuve, le 31 janvier : « Je vis cachée, afin de pouvoir travailler et suis censée être repartie pour la campagne. »
  1486. Dans la Correspondance, vol. III, p. 274, cette lettre est adressée « à M. le chef du cabinet du ministre de l’Intérieur ».
  1487. Correspondance, vol. III, p. 279.
  1488. Nous avons retrouvé dans les papiers de George Sand une lettre sans signature, mais qui porte écrit de la main de George Sand : « De la part du Gaulois. » L’auteur de cette lettre annonce à sa correspondante qu’il (Fleury) lui défend de faire des démarches pour lui et ses amis.
  1489. C’est aussi une erreur que la date du 14 janvier en tête d’une lettre publiée dans la Revue des Deux Mondes lors de l’impression de la Correspondance de George Sand avec le prince Jérôme.
  1490. Lettre inédite, trouvée dans les papiers de George Sand.
  1491. Correspondance, t. III, p. 282.
  1492. Jacques-Pierre-Charles Abbatucci, né en Corse en 1791, mort en 1867, fut d’abord député, puis président de la Chambre de la cour d’Orléans, puis remplit différentes autres fonctions dans la magistrature, fut ensuite membre de l’Assemblée Constituante (du Loiret) et enfin sénateur et ministre de la Justice. Il reçut ce portefeuille en 1862.
  1493. Pierre-Marie Pietri, né aussi en Corse, en 1810, mort à Paris en 1854, d*abord républicain ardent, devint plus tard bonapartiste non moins dévoué, succéda à Carlier dans la préfecture de police, puis fut nommé ministre de la Police et sénateur.
  1494. Voir plus loin la lettre à Duvernet du 10, et à Louis-Napoléon du 12 février.
  1495. Cette lettre fut écrite en réponse à une lettre datée du 6 février, et gardée dans les papiers de Mme Sand, dans laquelle les Duvernet, lui annonçant que Fleury avait deux fois écrit à sa femme et qu’il refusait de profiter de toute espèce de démarches en sa faveur — de crainte que cela ne nuise à Mme Sand dans l’opinion publique, — mais qu’ils la priaient quand même de persévérer ; puis, ils ajoutaient qu’à La Châtre et à Châteauroux on bavardait déjà sur ses démarches, ce qui avait permis au parti réactionnaire de déclarer qu’on « saurait contrecarrer » les dites démarches, qu’on parlait même déjà du « bannissement de Périgois » ; ils disaient encore que « tout s’organisait à Châteauroux », mais que « ces messieurs faisaient autoriser toutes leurs petites infamies par le ministre de manière à se couvrir ainsi de ce grand mot : les ordres viennent de Paris… » et que « le Grand Lama du pays » était revenu tout déconfit de n’être rien, et s’en dédommageait en jouant le désintéressé et en allant demander des grâces pour le semblant, comme disent les enfants…
    Il est évident que l’entrevue de Mme Sand avec M. de Persigny n’était pas restée sans influence sur cette « déconfiture « du « Grand Lama » de Châteauroux. Cette lettre porte de la main de George Sand : « Modèle:Lang, le 10 février. »
  1496. C’était justement Marc Dufraisse.
  1497. C’était Greppo.
  1498. C’était Lise Perdiguier, et sa lettre a été gardée par George Sand. Nous avons raconté les relations de George Sand avec les écrivains-prolétaires dans le volume III de notre ouvrage.
  1499. Le comte Christophe-Michel Roguet, fils du général François Roguet, naquit à San-Remo en 1800, fut page de Napoléon ! « ’, polytechnicien, servit en Afrique, puis devint aide de camp de Napoléon III, et, après le coup d’État, général de division et commandant de la maison mihtaire, en décembre 1862, sénateur, et enfin en 1868 grand officier de la Légion d’honneur.
  1500. Cf. avec la lettre de Marc Dufraisse à Mme Sand, plus bas.
  1501. Dans le feuilleton du Temps, écrit le jour même de la mort de Napoléon III et intitulé : Dans les lois (il ne fait pas partie du volume Impressions et souvenirs, comme il le faudrait, mais de celui des Dernières pages), George Sand assure qu’après les premières entrevues avec Napoléon, déjà, elle se crut jouée et ne voulut plus le revoir, « …J’ai quitté Paris et manqué & un rendez-vous donné par lui. On ne m’a pas dit : « Le roi a failli attendre », on m’a écrit : « L’empereur a attendu… » — Le lecteur verra que c’est de l’histoire… comme on en écrit !
  1502. Ce furent les ministres de l’Intérieur, de la Guerre et de la Justice.
  1503. « On », c’est-à-dire M. de Persigny lui-même.
  1504. Le comte Achille Baraguay d’Hilliers, né à Paris en 1795, militaire dès son plus jeune âge, eut le poignet emporté à la bataille de Leipzig, servit en Afrique, fut commandant à Constantine, puis à Besançon ; ayant quitté la service il fut représentant à la Constituante, puis à la Législative. S’étant rapproché de l’Élysée il remplaça le général Hautpoul à Rome, puis remplit les fonctions de commandant de l’armée du Rhin, appuya le coup d’État, se distingua dans la guerre avec la Russie, fit la campagne d’Italie où il gagna la bataille de Mariguan, fut maréchal de France, sénateur et vice président du Sénat. Il mourut en 1878.
  1505. Alexandre Erdan, rédacteur de l’Événement.
  1506. Mme Sand avait avancé pour motif de sa demande la nécessité de la présence de M. Aucante à Nohant pour les intérêts de la « gestion du dit domaine ».
  1507. Cette lettre existe toujours.
  1508. Lettre inédite de Ch. Abbatucci — alors garde des sceaux — du 13 avril 1852.
  1509. Clésinger, mari de Solange, la fille de Mme Sand.
  1510. Eugène Lambert.
  1511. C’est-à-dire le prince Napoléon-Jérôme.
  1512. Émile Ollivier.
  1513. La célèbre amie de d’Orsay, lady Blessington, fut en son temps une beauté remarquable et une élégante de haute lice, puis la première éditrice des « keepsakes » et d’albums de Modèle:Lang. Elle fit un livre sur Byron qu’elle avait beaucoup connu et écrivit quelques romans médiocres. Son salon, tant en France qu’en Angleterre, était des plus brillants. Elle ne survécut pas à sa ruine, ne put se consoler de vieillir et mourut en 1849 subitement, — on présume que ce fut un suicide.
  1514. Voir plus haut, p. 168.
  1515. Voir plus haut, p. 178.
  1516. Journal de 1861, samedi, 6 décembre.
  1517. Lettre inédite de Fulbert Martin à Bocage, datée du 11 février 1852 du fort de Bicêtre.
  1518. Histoire de ma vie, t. IV, p. 313-315.
  1519. Edgard Modèle:Sc : Lettres d’exil.
  1520. Nous avons pu lire toutes les lettres écrites en exil par M. Périgois à Mme Sand, ainsi que de nouveaux amas de correspondances à son propos et à propos de Patureau entre Mme Sand et MM. Pietri, Delangle et autres.
  1521. Correspondance, t. IV, lettre à M. Frédéric Villot du 4 septembre 1858. Voir aussi les Nouvelles lettres d’un voyageur, les Amis disparus : Patureau-Francœur.
  1522. En 1852 Patureau-Francœur avait dû être arrêté en même temps que Lumet et les autres ; mais il parvint à rester caché jusqu’à ce que George Sand eût réussi à le faire graciée. Après la mort de Patureau, qui passa ses dernières années à Constantine, Mme Sand raconta dans la touchante nécrologie que nous venons de citer, comment il se cachait pendant vingt jours dans une grange, ne sortant que la nuit, protégé par la pitié généreuse et le respect des berrichons et surtout des paysannes berrichonnes. Parmi ses lettres à Mme Sand nous en avons trouvé une écrite de cette grange, et dans cette lettre un mot charmant de précision : Patureau dit entendre tout le temps le gazouillis des hirondelles juste au-dessus de sa tête, mais ne pas les voir, car il n’osait point, ne fût-ce une seconde, sortie sa tête de dessous le toit qui le protégeait.
  1523. Dans le chapitre sur George Sand et les poètes prolétaires dans notre vol. III.
  1524. Correspondance, t. IV, p. 110. La lettre du 6 octobre 1857 À S. M. l’Impératrice Eugénie, et la suivante, à la même, du 30 octobre.
  1525. Cette lettre est adressée : Madame, Madame George Sand, chez M. Charles Poncy, à Toulon (Var).
  1526. Cette opinion fit le tour de la presse européenne et y a si bien pris racine que tout dernièrement encore le London Telegraph en parlait comme d’un fait avéré.
  1527. Correspondance, t. V, p. 384-385. Voir aussi, à ce sujet, à la page suivante de la Correspondance, la lettre au docteur Favre.
  1528. Pseudonyme du critique de la Liberté.
  1529. Malgrétout, p. 213-216.
  1530. Impressions et souvenirs, t. II, p. 35.
  1531. Lettres inédites de Charles Edmond à George Sand du 16, 23 et 24 Modèle:Tiret2 1873. Les deux dernières renferment des jugements plus que curieux sur le prince Jérôme et sur toute la famille des Bonaparte.
  1532. Lettre inédite de Charles Edmond du 6 février 1873. Voir plus haut, p. 210. Ce feuilleton ne fait pas partie — on ne sait pas trop pourquoi — du volume des Impressions et Souvenirs, mais de celui des Dernières Pages.
  1533. Cf. avec ce qui a été dit plus haut, p, 210-214.
  1534. Sylvanie Arnould-Plessy, foudroyée par la trahison et la brutale grossièreté de son amant infidèle, sauvée du désespoir par l’illustre femme qui la poussa à étudier les sciences naturelles, à oublier son pauvre petit moi au milieu de la grande Nature — dans l’une de ses lettres pleines d’une gratitude enthousiaste, parlait en ces termes du roman de Valvèdre, où George Sand avait, avec le plus de netteté, dit sa pensée sur le travail qui nous sauve et la science qui nous ennoblit et nous élève : « …Je vais vous remercier plus particulièrement encore de Valvèdre que de tout le reste. « Ce livre est pour moi moral et poétique au dernier point. J’en admire tous les sentiments, toutes les idées et votre héros (le Travail) me paraît aussi le Dieu qu’il faut apprendre à aimer dès l’enfance et le grand générateur de toutes les vertus. « Cette vérité, qui devrait être banale, est ignorée de presque toutes les femmes, et vous la rendez si saisissable, vous employez pour convaincre des paroles si douces que la lecture de ce livre doit faire du bien. « Moi, je vous félicite, je vous remercie, je vous fais mon plus beau compliment, parce que j’ai été attendrie et parce qu’après la lecture, à la réflexion, le charme n’a fait que croître. « Adieu, grande maman du public ! « Et que Dieu vous garde et vous bénisse. »
  1535. Voir la lettre à Flaubert du 18 septembre 1868, Cf. Correspondance, t. V. p. 276-277 et Correspondance entre George Sand et Gustave Flauhert, p. 130 et suivantes.
  1536. Lettres inédites de Georçe Sand à Charles Edmond et à Charles Duvernet du 8 septembre 1857.
  1537. Voir plus haut p. 239.
  1538. Voir George Sand, sa vie et ses œuvres, t. I, p. 97-99
  1539. C’est nous qui soulignons.
  1540. V. George Sand, sa vie et ses œuvres, vol. II, p. 143-146.
  1541. George Sand, sa vie, etc., t. IModèle:Er, p. 124.
  1542. V. George Sand, sa vie, etc., vol. III, chap. Modèle:Sc, p. 509.
  1543. C’est tout à fait la manière de procéder pratiquée de nos jours par les sociétaires du Théâtre Artistique de Moscou.
  1544. V. plus haut la lettre à Augustine datée du 28 avril 1861.
  1545. V. le vol. précédent, chap. Modèle:Sc.
  1546. V. la préface du Château des Désertes.
  1547. Pour remercier George Sand de ce succès moral et matériel remporté par son théâtre, Bocage commanda au peintre Adolphe Leleux et fit cadeau à Mme Sand d’un tableau représentant la scène du Champi, où Jacques Bonnin demande la main de Mariette, la coquette nièce de Madeleine Blanchet. (V. l’article de M. Clément Modèle:Sc dans l’Événement du 29 avril 1850.)
  1548. Cette pièce, quoique refaite plus tard, ne fut pas jouée et ne fut qu’imprimée dans la Presse en décembre 1851 et janvier 1852.
  1549. Le Château des Désertes, l’Homme de Neige, le Diable aux champs, Pierre qui roule, etc., etc.
  1550. C’était Nello, la première version de Maître Favilla.
  1551. Léon Villevieille, peintre, ami de Maurice et de Lambert. On lui donnait à Nohant le sobriquet de Paloignon.
  1552. Bien sûr une pièce de Paul-Henri Foucher, auteur dramatique de l’époque fort connu.
  1553. Francis Ponsard.
  1554. Gounod avait alors l’intention de faire un opéra tiré de l’un des contes champêtres de George Sand et dont le texte devait être écrit par Ponsard. Mais le mariage de Gounod et sa querelle avec les époux Viardot qui suivit, rompit aussi complètement les relations entre le grand compositeur et George Sand, et cette affaire tomba à l’eau. Ce fut Gounod néanmoins qui écrivit la musique d’une autre pièce de George Sand : Maître Favilla.
  1555. Publié déjà dans la Rousskaya Mysl en septembre 1904.
  1556. Lettre inédite à Mme Augustine de Bertholdi du 24 février 1851.
  1557. Cette seconde lettre de Flaubert, datée du 10 mars, est arbitrairement fondue, dans le volume de la Correspondance de George Sand et de Flaubert publiée en 1904, en une seule avec la précédente, datée du 8 mars, comme si c’en était la seconde moitié, tandis qu’il est de toute évidence qu’elle répond à la réponse de George Sand du 9 mars : « Tu méprises Sedaine, gros profane ! voilà où la doctrine de la forme te crève les yeux. » C’est ainsi que Mme Sand commence sa lettre et elle la termine par les mots (qui sont une réponse aux derniers mots de la lettre de Flaubert du 8 mars : « Lisez donc le nouveau roman de Zola Son Excellence Eugène Rougon, je suis curieux de savoir ce que vous en pensez. « ) : « Dis donc à M. Zola de m’envoyer son livre ; je le lirai certainement avec grand intérêt. » Et Flaubert commence sa lettre du 10 mars par les mots : « Non, je ne méprise pas Sedaine, parce que je ne méprise pas ce que je ne comprends pas… » et il la termine ainsi que suit : « J’ai écrit à Zola pour qu’il vous envoie son bouquin… » (V. Corresp. de G. Sand et Flaubert, 1904, Paris, Lévy, p. 446-449.)
  1558. Dans la pièce imprimée dans le volume II du Théâtre de George Sand ce mot est remplacé par le mot spectacle.
  1559. C’est ainsi que la phrase est exactement transcrite dans la Lettre de George Sand à M. Jules Lecomte. Dans le vol. II du Théâtre on lit : Elle les a vus au théâtre ou dans les romans. Un tas de chenapans qui font et disent les choses les plus bêtes. »
  1560. Lafontaine avait joué le jeune premier de la pièce, le Marquis.
  1561. Lemaître.
  1562. V. plus loin la lettre inédite de îlme Sand à propos du changement apporté par Rouvière dans la dernière scène de Favilla, ce qui exigea aussi un changement dans le décor et la mise en scène de cet acte.
  1563. Inédite.
  1564. Mme Sand écrit à son fils, à propos de ce projet jamais exécuté, la très intéressante lettre que voici :
    « …Tu me dis que tu as vu Frédéric, Hetzel de son côté, doit l’avoir vu, et doit lui avoir remis le manuscrit. Revois-le, je te prie, et dis-lui que je serai enchantée de le recevoir, que je ferai tous les changements qu’il jugera convenables, et que je lui ferai tous les rôles qu’il me demandera et m’indiquera un peu. Quand on a la bonne volonté d’un artiste comme lui, cela rend le courage. Mais dis-lui que la Porte Saint-Martin m’a demandé Mauprat et que j’ai promis. On veut le jouer en septembre. C’est précisément le temps où il doit lui-même jouer Nello aux Variétés. S’il voulait jouer Jean le Tors, j’en ferais un personnage plus développé qu’il ne l’est dans le roman. Mais alors, il faudrait changer l’époque de la représentation de Nello ou celle de Mauprat. Qu’il vienne me voir, nous tâcherons d’arranger tout à sa satisfaction. Mais il faudrait que ce fût dans le courant de mai, car je ne peux guère me mettre à l’ouvrage plus tard. S’il voulait essayer Nello ici, nous lui donnerions bien la réplique. Lambert ferait Hermann et tu nous amènerais une jeune première quelconque. Dis-lui que s’il nous donnait huit ou dix jours, nous ferions peut-être de Nello un chef-d’œuvre, avec ses idées et sa création, et qu’en causant avec lui je serais capable d’en faire d’autres pour lui.
    « Dis-lui donc de lire Marielle dans la Revue de Paris et demande-lui si, en retranchant l’acte du déjeuner qui ressemble à Molière, et en arrangeant certaines parties, il ne pourrait pas jouer cela. C’est un rôle que Marielle ! Les journaux qui l’ont loué, ne pourraient plus le démolir. Aux Variétés nous aurions Paulin Ménier pour jouer Florimond, Mlle Clarisse pourrait jouer Sylvia qui est une fille de trente ans, je crois. Les ressemblances avec Molière seraient à changer. On en viendrait à bout… »
  1565. Léopold Barré, acteur.
  1566. Gustave Vaëz.
  1567. Édouard Charton.
  1568. Homme d’affaires de Mme Sand.
  1569. Jules-Isaac Mirès, grand brasseur d’affaires (1809-1871).
  1570. Collier l’éditeur. V. le chap. suivant.
  1571. Corresp., t. IV, p. 68.
  1572. Jules-Jean-Baptiste-Hippolyte Hostein.
  1573. Charles Isarrey.
  1574. Corresp., t. IV, p. 88.
  1575. Edmond Plauchut, écrivain fort connu, collaborateur fidèle du Temps et de la Revue des Deux Mondes, né en 1814, mort en 1909.
  1576. Autour de Nohant.
  1577. V. plus haut chap. Modèle:Sc, p. 148-153.
  1578. M. Francis Laur prétendit plus tard que ce fut lui qui raconta un jour à George Sand une histoire qui fut le germe d’où sortit ce roman. Ceci est inexact. Les faits prouvent autre chose.
  1579. Charles-Edmond Choïecki naquit en novembre 1822 et mourut en 1899, à Paris. Nous avons déjà parlé de lui dans le chap. Modèle:Sc de ce volume.
  1580. Voyage dans les mers du Nord.
  1581. Bien certainement qu’après avoir pris connaissance des livres envoyés par Choïecki, George Sand vit nue « Stelleborg « était un nom bon tout au plus pour le théâtre des marionnettes de Nohant, qu’en suédois « Stelleborg » ne signifie rien, qu’il aurait fallu dire Stierneborg pour Château des Étoiles — mot qui écorcherait les oreilles françaises — et en rejetant son premier titre, elle intitula son roman l’Homme de Neige. À ce propos il faut noter que le « bibliophile Isaac » (le vicomte de Spœlberch) cite à la p. 32 de son Étude bibliographique sur les œuvres de George Sand, le Château des Étoiles, parmi les « ouvrages annoncés qui n’ont jamais paru ». Or, il est évident qu’il ne faut nullement l’inscrire dans ce nombre, ce roman et l’Homme de Neige ne faisant qu’un.
  1582. Ce roman parut dans la Presse à la fin de 1857. V. plus loin, chap. xi.
  1583. Il faut noter que George Sand rentra par ce roman à la Revue des Deux-Mondes, où ses œuvres ne paraissaient plus depuis 1841. (V. notre vol. III, p. 230-234, 256 et suiv.) Ce rapprochement de l’écrivain avec la revue s’effectua un peu contre le désir de Mme Sand et seulement grâce à ce que Charles-Edmond ayant déjà payé le manuscrit que la Presse ne pouvait payer comptant, il le céda au directeur de la Revue des Deux Mondes. Ce fut donc pour le Château des Étoiles à peu près la même histoire que pour le Château des Désertes en 1851. Mais à partir de 1868 les romans de Mme Sand Modèle:Tiret2 à réapparaître de plus en plus souvent dans la revue de Buloz et finirent par y reprendre leur résidence fixe.
  1584. À comparer avec la lettre du 17 décembre 1857 au prince Jérôme dans laquelle Mme Sand déclare qu’en « lisant son voyage dans le Nord, son imagination était très allumée ».
  1585. À Gargilesse. Nous racontons dans le chapitre suivant comment Manceau avait acheté un pied-à-terre dans ce village, pour que Mme Sand eût un lieu de repos et de travail tranquille pendant ses courses aux bords de la Creuse renouvelées en 1857 après une interruption de dix années.
  1586. Tout le passage de la lettre du 9 janvier que nous entourons de crochets est médit, il manque dans le vol. IV de la Correspondance, où il devrait faire suite aux lignes imprimées à la p. 127.
  1587. Correspondance, t. IV, p. 135.
  1588. C’est ainsi que Mme Sand appelait un minuscule jardinet qu’elle piochait et ratissait elle-même dans le parc de Nohant ; elle lavait arrangé pour la petite Nini Clésinger, mais à cette place même sa mère, Mme Sophie Dupin, avait jadis arrangé un petit jardin fantastique avec grotte et cascade pour la future George Sand, alors une enfant de huit ou neuf ans. (V. l’Histoire de ma vie, t. II, p. 275-279.)
  1589. V. plus loin chap. Modèle:Sc, p. 369.
  1590. Henri Sylvain, cocher de George Sand (v. notre vol. III, p. 659).
  1591. Nous avons raconté dans notre vol. II comment George Sand avait en passant répondu dans la Préface de Jean de la Roche aux récriminations des habitants de La Châtre qui avaient reconnu leur ville, le vrai but de cette préface ayant été de répondre aux procédés hostiles de Paul de Musset qui avait reconnu dans Elle et Lui le portrait de son frère Alfred et les détails de son roman vécu.
  1592. Rose et Blanche ou la Comédienne et la Religieuse (v. notre vol. IModèle:Er p. 336-340).
  1593. C’est sous ce titre que le roman fut publié par Hetzel en Belgique, avant sa publication dans le Siècle.
  1594. Imprimé dans le même volume que Fronda, c’est un proverbe, écrit en 1872.
  1595. V. la lettre de George Sand à M. Chilly datée du 4 avril 1862. (L’Entracte du 6 avril 1862.)
  1596. Mlle La Quintinie fut jouée au Théâtre des Arts à Bruxelles.
  1597. Mme Sand écrivait quelques jours plus tard à sa belle-fille à Paris : « Manceau a dû écrire ce matin à Maurice que tout le mobilier était arrivé sain et sauf. Il a passé la journée entière, ce pauvre Pérégrinus, à déballer, ranger, séparer et en somme tout est admirablement placé sous la main et vous n’avez plus qu’à distribuer comme vous l’entendrez… Je me porte bien et Pérégrinus pas mal… »
  1598. Plutus fut en effet publié dans le numéro du 1" janvier 1863 de la Revue des Deux Mondes.
  1599. Lettre du 28 novembre 1862 (Revue de Paris du Modèle:1er octobre 1899).
  1600. Il est très intéressant de lire à ce propos sa lettre du 23 août 1859 à Bocage, imprimée dans le recueil des Lettres autographes composant la collection de M. Alfred Bovet, décrites par Étienne Charavay, ouvrage imprimé sous la direction de Fernand Calmettes. (Paris, Charavay, 1882, in-4"). À cf. aussi avec sa lettre à Maurice du 10 juin 1858 (Corresp., t. IV, p. 169-141) où elle parle avec une bonhomie pleine de gaieté du peu de succès de ses pièces.
  1601. Nous avons déjà dit dans le chap. ix du vol. II de notre travail que le volume des Lettres d’un voyageur réunit : 1° les trois lettres, toutes lyriques, à Musset ; 2° des épanchements non moins lyriques et des réflexions élégiaques adressées à Néraud et Rollinat ; 3° une lettre politique à Everard (Michel de Bourges) ; 4° les impressions du voyage en Suisse et du jeu de Liszt racontées à Herbert (Charles Didier) ; 5° une lettre sur la phrénologie (à Liszt) ; 6° l’analyse critico-musicale des opéras de Meyerbeer et des œuvres de Berlioz (lettre à Meyerbeer) et enfin 7° un écrit polémique pro domo sua contre Nisard.
  1602. Mme Sand indique plus loin, que la sixième Lettre d’un voyageur était intitulée Lettres d’un oncle. Cette indication n’est pas tout à fait exacte, de même qu’est inexacte l’indication, donnée plus haut, des lettres de « septembre 1834 et janvier 1835 ». Quoique nous l’ayons déjà dit dans le chap. x de notre deuxième volume, nous croyons indispensable de donner ici les dates, l’ordre et le numérotage des Lettres lors de leur première impression dans la Revue des Deux Mondes et les numéros sous lesquels elles sont réimprimées dans toutes les éditions des œuvres de George Sand depuis 1842 :
    Revue des Deux Mondes Dans le volume Datées de :
    du 15 mai 1834, N° I
    15 juillet 1834, N° II à M***
    15 sept. 1834, N° III
    I
    II
    III
    Venise, Modèle:1er mai 1834.
    Sans date.
    Venise, juin 1834
    13 janvier 1835 : Lettres d’un Oncle.
    15 juin 1835, N° IV (à Everard)
    Modèle:1er septembre 1835, N° V
    V (à Rollinat)
    VI à Everard (Michel)
    VII à Fr. Listz
    Janvier 1835.

    11, 15, 18, 20, 22, 23, 26, 29 avril 1835.
    Sur Lavater et une maison déserte.

    Modèle:1er juin 1836, N° VI










    15 octobre 1836, Le Prince (M. de Talleyrand).

    Modèle:Nos IV et IX au Malgache et à Rollinat










    N° VIII

    Septembre 1835 :

    lundi soir
    mercredi soir
    jeudi
    vendredi, à Rollinat
    samedi
    au Malgache
    à Rollinat
    au Malgache, 15 mai 1836.
    introduction :
    minuit, six heures du matin dans ma chambre. Prière d’une matinée de printemps.

    15 novembre 1836, N° VII, à Charles Didier. X à Herbert Versailles, Auteuil, 2 sept. 1836,

    de Chalon à Lyon, Nantua, Genève, Fribourg.

    15 novembre 1836, N° VIII

    La Revue de Paris, de mai 1836, Lettre à M. Nisard.

    XI à Meyerbeer

    N° XII

    Genève, septembre 1836.

    Sans date.

    
    
  1603. V. George Sand, sa vie et ses œuvres, Modèle:Vol., Modèle:Chap., Modèle:Pg.
  1604. Allusion évidente à Aurélien de Sèze.
  1605. Adolphe Dutheil.
  1606. Stéphane Ajasson de Grandsagne (V. notre vol. IModèle:Er, p. 196-98,286-361, et vol. III de l’Histoire de ma vie, p. 327, 330, 334.)
  1607. Gustave Papet.
  1608. James Duplessis (V. notre vol. IModèle:Er, p. 216-220, et vol. III, p. 67).
  1609. Zoé Leroy (V. vol. IModèle:Er, p. 264).
  1610. C’est-à-dire que Zoé la montrerait encore à Aurélien de Sèze à qui Aurore Dudevant ne voulait point être rappelée à ce moment.
  1611. Jane Bazouin (V. notre vol. IModèle:Er, p. 180, 250, 253, 259, 316).
  1612. Cf. avec ce qui a été dit à la page 93 de notre premier volume, surtout la note à cette page.
  1613. Nous avons raconté dans le chap. Modèle:Sc de notre premier volume comment la mère d’Aurore Dupin, après la mort de son aïeule, se mit à gouverner l’existence de sa fille et comment elle débuta dans ce rôle en la privant de son chien favori, de son petit groom et en jetant par la fenêtre tous ses livres.
  1614. N’oublions pas que celle qui écrivait ces lignes avait à ce moment à peine vingt-trois ans !
  1615. V. notre vol. Modèle:Ier, p. 269-270.
  1616. V. notre vol. Modèle:Ier, p, 301-302, et l’ Histoire de ma vie, p. 69-60, vol. IV.
  1617. George Sand fit encore paraître dans ce même journal (le Temps de 1875-76) quelques esquisses biographiques ou autobiographiques se rapportant à des épisodes de sa vie ou à des personnages qu’elle avait rencontrés, tels sont : Voyage chez M. Blaise (ce M. Blaise est Adolphe Duplomb selon les uns et selon d’autres M. Biaise Meure, en 1831 substitut à La Châtre, plus tard procureur à Clamecy), la Blonde Phœbé, Une nuit d’hiver, etc., etc.
  1618. V. notre vol. III, chap. vi.
  1619. Il faut noter ce chiffre ; il précise d’une manière parfaitement exacte qu’à partir de 1844 (1869 — 1844 = 25) on ne trouve dans l’Histoire de ma vie que peu de données biographiques et de faits.
  1620. V. plus loin les lettres de Mme Sand à son fils et à Dumas fils.
  1621. La préface à « Deux jours dans le monde des papillons, par Maurice Sand » parut dans le numéro du 15 février de la Revue de Paris de 1855.
  1622. Plus tard, en 1857 ou 1858 Émile Aucante s’installa définitivement à Paris et y fonda une agence littéraire ayant pour but de faciliter les rapports entre les écrivains et les éditeurs. Et George Sand fit paraître dans la Presse du 21 juin 1858 une Lettre (datée du 7 juin) adressée à M. Émile Aucante, par laquelle elle invitait tous les gens de lettres à soutenir de leur concours l’entreprise si sympathique de son jeune ami.
  1623. C’est-à-dire ses dessins des personnages de la Comédie italienne qui, plus tard, en 1859, parurent en deux volumes sous le titre de Masques et Bouffons avec une préface de George Sand.
  1624. Émile Aucante.
  1625. Nous avons déjà dit dans le chap. Modèle:Sc que cette princesse invitait toujours Manceau lorsqu’elle invitait Mme Sand.
  1626. La lettre est du 30 janvier, la petite Jeanne mourut le 13 !
  1627. Lettres inédites de Mme Sand : à Victor Borie du 16, à Maurice des 23 et 26 février 1855 et lettres imprimées : à Édouard Charton du 14 février, à Augustine de Bertholdi idem, à Maurice du 24 février et à Mlle Leroyer de Chantepie du 27 février.
  1628. Lettres inédites de Mme Sand à Maurice du 23 mai, adressée à Tourin, du 10 juin à Toulon, des 17, 26, 26 et 29 juin à Guillery.
  1629. Terre et Ciel, par Jean Modèle:Sc. Paris, Fume, Jouvet et Modèle:Cie, in-8°, 1855.
  1630. Hippolyte Chatiron mourut le 26 décembre 1848, Chopin le 17 octobre 1849, Mme Maréchal le 8 mai 1851, Gabriel de Planet le 30 Modèle:Tiret2 1863, Jeanne le 13 janvier 1865 et Jules Néraud le 11 avril de la même année. Ajoutons que l’ami de la jeunesse d’Aurore Dupin, Stéphane Ajasson, était mort en 1847.
  1631. Le roman parut dans la Presse en 1867.
  1632. Parut dans le Monde illustré de 1857.
  1633. Fut publié dans la Revue des Deux Mondes de 1859.
  1634. V. notre vol. II, p. 103-104.
  1635. Parut dans la Revue des Deux Mondes en 1859.
  1636. Ce dernier article parut dans la Presse du 5 juillet 1865 ; « les Jardins en Italie » et « les Bois « dans le Magasin pittoresque de 1856, et « la Villa Pamphili » dans le journal niçois la Terre promise du 8 décembre 1857. Cet article comme aussi le morceau inédit Les Loges de Raphaël, fut enlevé du manuscrit de la Daniella. Tous ces articles sont réimprimés dans les œuvres complètes de G. Sand dans les volumes : Nouvelles Lettres d’un voyageur et Flavie.
  1637. Lettre à Eugène Lambert (Corr., t. IV).
  1638. Jules Néraud, auquel ces lignes étaient adressées, était, comme nous savons, un éminent botaniste.
  1639. Il est très intéressant de confronter ce passage avec la description du lieu habité par Valreg, le héros du roman, dans Daniella (t. P, p. 119-121, 123-127, 271-278)
  1640. Corresp., vol. IV, p. 97-99.
  1641. Émile Aucante.
  1642. V. plus loin p. 382.
  1643. Cette lettre parut dans le Siècle du 18 mars 1857.
  1644. Cette expression se rapporte aux lignes de Daniella ; « Mais quoi, pensais-je, en m’arrachant au charme qui me dominait, ce vaste ciel et ces sales décombres, ces fleurs luxuriantes et ces égouts infects, ces yeux enivrants et ces cœurs souillés, n’est-ce pas là toute l’Italie, vierge prostituée à tous les bandits de l’univers, immortelle beauté que rien ne peut détruire, mais qu’aussi rien ne saurait purifier ? ». » (Daniella, t. Modèle:Ier, p. 217).
  1645. On lit à la page 87 du t. Il de Daniella :
    « …Je remarquai, au bout d’un instant, que le prince et le docteur n’étaient nullement d’accord sur les moyens de sauver l’Italie. Plus logique et plus courageux d’esprit que son ami, le docteur voulait renverser les vieux pouvoirs. Le prince, aussi hardi de caractère que timide de principes, ne s’en prenait qu’aux abus, et rêvait un retour à l’Italie de Léon X et des Médicis, sans vouloir avouer que ces abus avaient pris d’autant plus d’essor et de licence que Rome et Florence avaient eu plus d’éclat, d’artistes, de luxe et d’aristocratie. Quant à son gouvernement napolitain, il en parlait avec horreur et mépris, mais sans pouvoir admettre l’idée de remplacer l’autorité absolue par une constitution démocratique. Il avait vu la populace de son pays se faire l’exécuteur des hautes œuvres de la tyrannie, et il ne pouvait sacrifier la répugnance trop fondée du fait à l’enthousiasme du principe. J’en concluais, en moi-même, que là où des natures bienveillantes et sincères comme celle de ce prince avaient le peuple en aversion, c’était la faute du peuple et qu’un critérium de l’état de maturité de la démocratie d’un pays devrait être la confiance qu’elle inspire aux esprits élevés ou aux cœurs aimants. On pourrait dire à un peuple : « Dis-moi de qui tu es aimé, et je te « dirai qui tu es. » Je crois que de Maistre a dit « qu’un peuple a toujours « le gouvernement qu’il mérite d’avoir. »
  1646. Cette lettre à l’impératrice, datée du 9 décembre, fut remise aux bons soins de Mme de Contades qui, ainsi que le comte d’Aure, MM. Damas-Hinard et le baron de Pierre, avait maintes fois aidé Mme Sand dans ses démarches auprès de l’impératrice. La lettre touchante de Mme Sand à Mme de Contades, datée de ce même 9 décembre, reste inédite.
  1647. La Daniella s’appelait d’abord Jean Valrey-roman-voyage et l’introduction manuscrite primitive est tout autre que celle qui fut publiée et qui s’imprime en tête du roman depuis 1857.
  1648. Remarquons qu’en 1856 parut dans le Magasin pittoresque un article anonyme intitulé la Maison déserte, dont George Sand se reconnut plus tard l’auteur. C’est ainsi que pendant plus de vingt ans George Sand resta fidèle à cette passion pour une maison déserte, rêve fait déjà en 1835-36. ( Voir notre vol. II, p. 249-250.)
  1649. Ces articles parurent dans la Presse du 24 juin ou 25 octobre 1856 sous le titre de Autour de la table ; puis furent réimprimés en volume sous le même titre.
  1650. Lors de l’impression de ces pages sous le titre primitif de Courrier de village dans le Courrier français, il se trouvait à cet endroit dans le texte de Mme Sand une assez longue digression sur le réalisme, qui fut supprimée quand les Promenades autour d’un village parurent en volume. Ce morceau fut réimprimé plus tard dans les Questions d’art et de littérature sous le titre de Réalisme. Il renferme quelques pages fort intéressantes consacrées à l’analyse et à la défense de Madare Bovary, de Flaubert.
  1651. Remarquons qu’au moment où parurent ces lignes, il n’y avait que les Paysans de Balzac qui existaient en littérature ; la Terre, de Zola, n’avait pas encore réjoui le monde des humains par son apparition.
  1652. Mme Sand avait, elle aussi, toujours eu une passion pour les ruisseaux ; elle écrivit deux petites bluettes charmantes consacrées Spécialement à leur murmure, leur babillage ; l’un de ces morceaux, le Ruisseau, fit partie du recueil le Keepsake édité en 1854 à Londres par miss Power ; l’autre parut dans la Revue des Deux Mondes de 1863 sous le titre de Ce que dit le ruis- Modèle:Tiret2. Il fut dédié à Manceau. (Voir plus loin chap. Modèle:Sc.) Nous en possédons l’autographe qui nous fut donné par M. Émile Aucante. — W. K.
  1653. Expression fort en usage alors à Nohant parmi les jeunes peintres. (Cf. la Correspondance, t, IV, avec ce que George Sand dit à la page 43 des Promenades autour d’un village et dans la Daniella.)
  1654. En 1846. Voir notre vol. III, chap. Modèle:Sc.
  1655. Cf. avec ce que Mme Sand dit dans les Promenades autour un village à la page. 46, à propos des paysages italiens et des comparaisons avec les sites au centre de la France faites par Manceau et Maurice.
  1656. Êtres fantastiques que Maurice Sand avait esquissés entre autres dans ses Visions à la campagne exposées au Salon en 1857 et qui parurent l’année suivante en volume avec une préface de George Sand. Voir notre vol. III, chap. VII.
  1657. Émile Aucante.
  1658. Dans une lettre au prince Jérôme Mme Sand appelle Manceau : « Mon fidèle tête-à-tête. »
  1659. Inédite.
  1660. Inédite.
  1661. La lettre est datée du 14 dans la Correspondance, mais elle fut écrite le 13. Mme Sand partit de Nohant le 10 janvier, elle passa à Gargilesse le 11 (le lendemain) et le 12 (le surlendemain) et enfin elle est partie de Gargilesse le 13 (« ce matin »).
  1662. À consulter, sur les relations entre le directeur de cette Revue et Mme Sand, le très intéressant ouvrage de Mme M.-L. Pailleron, paru au moment où notre livre était déjà terminé. Nous renvoyons aussi le lecteur au chapitre Modèle:Sc de notre troisième volume.
  1663. Voir plus haut, p. 150-151, 191-196, 209, 230.
  1664. Nom d’un personnage de la Comédie italienne qu’on avait donné comme sobriquet au cocher de Mme Sand.
  1665. Ce même journal nous apprend que « toute la correction de Elle et Lui est terminée le Modèle:1er juin » et « on part de Gargilesse pour retourner à Nohant ».
  1666. Les articles sur Fenimore Cooper, Mme Allart, la Joconde gravée par Calamatta, sur les deux livres de Fromentin : Un été dans le Sahel et Une année dans le Sahara, sur Balzac, Béranger, etc., etc.
  1667. Narcisse.
  1668. C’est-à-dire le texte de ses dessins fantastiques Visions dans les campagnes.
  1669. Mme Sand s’était tellement engouée de Gargilesse (qu’elle lui prédisait même dans ses articles un brillant avenir comme station balnéaire.
  1670. Cette « Marie » était Marie Caillaud, qui joua plus tard un grand rôle à Nohant. Elle avait commencé par être gardeuse de basse-cour et laveuse de vaisselle ; puis Mme Sand se mit à lui enseigner à lire et à écrire, lui trouvant une rare intelligence ; plus tard elle la prit comme femme de chambre ; enfin Marie Caillaud joua la comédie à Nohant, devint une très bonne actrice et participa à toutes les représentations et fêtes organisées par les jeunes gens de la maison. Plus tard elle épousa l’un de ces jeunes gens. Nous la retrouverons dans le chapitre suivant.
  1671. C’étaient les épreuves de l’Homme de neige.
  1672. La pièce a été faite d’abord en quatre actes, puis refaite en cinq, puis de nouveau resserrée en quatre actes.
  1673. Nous analysons la pièce à la suite du roman, ici, pour ne plus y revenir, quoique la comédie ne fût jouée qu’en 1864, et par cela même revient au chapitre suivant, où l’on trouvera les détails sur les premières représentations et sur les causes réelles de son succès.
  1674. Voir notre vol. I, chap. Modèle:Sc.
  1675. On lit en note à la lettre de George Sand du 14 février 1861 (dans laquelle elle décrit son excursion à Montluçon et dit que « cela rentre dans son métier d’écrivain ») : « Mme Sand préparait alors son roman la Ville noire. Or, ce roman avait déjà paru en 1860. Donc les explications de M. Brothier — ingénieur à Montluçon — et les visites aux usines ne purent lui servir que pour quelques corrections ou quelques vérifications pour une nouvelle édition de ce roman. Nous avons aussi dit dans le chap. Modèle:Sc de notre précédent volume que Mme Sand avait peint, sous les traits d’Audebert, le vieux poète prolétaire Magu, mort en 1859.
  1676. Voir notre vol. I et l’Histoire de ma vie, vol. III.
  1677. Lettre du 17 octobre 1862.
  1678. Lettre du 23 octobre 1862.
  1679. Lettre du 27 octobre 1862.
  1680. Mme B…, fille de M. Édouard Rodrigues.
  1681. Voir Correspondance, t. V.
  1682. Ces deux articles portaient le titre : Monsieur Maillard et ses travaux sur l’île de la Réunion dans la Revue des Deux Mondes ; en volume ils sont intitulés : Un cyclone à l’île de la Réunion et Conchyliologie de l’île de la Réunion.
  1683. L’Anglaise qui remplace, dans cette pièce tirée de Tévérino, le curé si comique et si sympathique du roman.
  1684. Mme Sand écrit dans sa lettre du 20 novembre 1861 (ce passage manque dans le vol. IV de sa Correspondance imprimée, il doit être placé à la p. 298 à la suite des mots se rapportant à Marchai : « Il nous a fait à tous nos portraits merveilleux, charmants comme dessin, et d’une ressemblance que les portraits n’ont jamais eue. Il ne se doutait pas de ça, lui il est tout étonné d’avoir réussi. ») : « Le mien de portrait est un chef-d’œuvre ; de même ceux de Maurice et de Manceau, et ceux de Véron et de Lucien, qu’il avait essayés en s’amusant. Il veut faire aussi celui de ma grande Marie. J’espère qu’il paie assez son écot ! Il s’y obstine et comment refuser ? Il va faire photographier le portrait qu’il a fait de moi, et vous aurez enfin quelque chose qui est moi et pas une autre. J’espère que je vous aurai comme ça quelque jour, car toutes vos photographies vous font affreux, et décidément la photographie sur nature est ce qu’il y a de plus menteur au monde. Ledit Marchal [puis viennent les lignes imprimées dans la Correspondance : repart pour voir sa mère… » etc.] Et enfin nous lisons dans cette lettre du 20 novembre : « Et dans tout ça je n’ai pas trouvé le temps de recopier ce chef-d’œuvre d’acte de Villemer, et je m’en faisais pourtant une fête. Manceau, lui, n’a pas respiré une heure depuis votre départ. » (Ces trois lignes sont encore omises dans la Correspondance, puis viennent les lignes imprimées à la p. 299 : « On vous attend pour retrouver le sens commun littéraire… »)
  1685. Le docteur Vergne (de Beauregard.)
  1686. Inédite.
  1687. En 1851, Maurice Dudevant faillit se marier avec une jeune personne de son voisinage pour la seule raison qu’elle était très apte à jouer les jeunes premières dans les représentations improvisées ; fait confirmé par une lettre inédite de Mme Sand à son fils de septembre 1851.
  1688. Inédite.
  1689. Avoué à La Châtre, homme d’affaires de Mme Sand, ami de toute sa famille.
  1690. Inédite.
  1691. Après la mort de Lina Sand (en 1901) l’un de ceux qui parlèrent sur sa tombe dit, en rappelant aux assistants l’aide active que Lina prêta à Mme Sand dans ses secours aux malheureux : « Ces femmes admirables se cachaient toutes les deux pour faire le bien comme d’autres pour faire le mal, » disant ainsi en quelques mots plus qu’on ne pourrait en dire en des dizaines de pages.
  1692. Lettre du 31 mars 1862. (Correspondance, t. IV.)
  1693. Inédite.
  1694. Correspondance, vol. V.
  1695. Correspondance entre George Sand et Gustave Flaubert. (Paris. Lévy, 1904), p. 93.
  1696. Lettre à Flaubert du 31 décembre 1867.
  1697. Correspondance, vol. V.
  1698. Ibid., vol. VI.
  1699. Ibid., vol. VI.
  1700. Voir la lettre de George Sand au prince Napoléon, p. 328-329 du vol. IV de la Correspondance.
  1701. Mme Sand le déclare elle-même dans sa lettre du 3 août 1863 au pasteur Leblois ; à ce moment-là l’enfant n’était pas encore baptisé et, comme on verra par les lettres du printemps 1864, Mme Sand avait alors seulement l’intention d’être la marraine de son petit-fils. Le baptême n’eut lieu qu’au mois de mai 1864, et selon le rite protestant.
  1702. Mme Sand avait écrit à Jules Boucoiran dès le 9 février 1863, c’est-à-dire encore avant la naissance de Marc-Antoine : « …Oui, mon cher ami, il faut venir nous voir cette année, nous en serons tous heureux. Vous aimerez notre Lina qui est une enfant ravissante et qui, dans cinq mois environ, nous donnera un petit protestant. Maurice a l’intention sérieuse de n’en pas faire un catholique, c’est son idée. Vous parlerez de cela avec lui. Je m’abstiens. Ils partent dans quelques heures à Paris où ils vont passer deux ou trois semaines. C’est donc pour Maurice autant que pour moi que je vous réponds et vous remercie. « Manceau vous embrasse aussi. »
  1703. Elle peignait fort bien à l’huile et au pastel et nous avons vu au salon de Nohant plusieurs tableaux et portraits dus à son pinceau et à ses crayons.
  1704. Que nos lecteurs se souviennent encore une fois des mots de Renan pris par nous comme épigraphe de notre travail et qu’ils ne nous rendent pas responsables des opinions de Mme Sand, nos idées religieuses différant sur bien des points de ses croyances et de son credo social et religieux.
    En qualité d’historien fidèle nous sommes obligé de rapporter et de citer exactement toutes les idées et expressions de George Sand, quelque hérétiques qu’elles puissent nous paraître. Nous prions nos lecteurs de ne point nous en croire solidaire ni responsable. — W. K.
  1705. V. notre vol. III, p. 456.
  1706. L’Amateur d’autographes, publié par Noël Charavay, 15 janvier 1900, 33Modèle:E année. Nouvelle série, numéro 1.
  1707. George Sand souleva dans plusieurs de ses écrits la question du matérialisme si répandu dans le monde contemporain et si attristant selon elle. Dans son écrit À propos de Madelon, d’Edmond About, tout en félicitant le jeune auteur de ses heureux débuts, elle lai faisait remarquer que son héros, si indigné contre les lâches et les nigauds qui l’entourent, pèche lui-même par le même défaut, car il ne croit à rien et n’est guidé par aucun idéal. Cet article parut dans la Presse en 1863, et est réimprimé dans le volume des Questions d’art et de littérature.
  1708. Cette lettre est imprimée dans le vol. IV de la Correspondance à la fausse date du 5 juin 1858.
  1709. Lettre inédite du 16 janvier 1863.
  1710. Alors, carme déchaussé et célèbre prédicateur catholique, plus tard brouillé avec Rome et chef d’une communauté libre, il est mort tout récemment, en 1912.
  1711. Mme Sand fut surtout très véhémente contre le père Hyacinthe dans sa lettre à Mme Arnould datée du 13 septembre 1868 ; Mme Arnould montra cette lettre au père Loyson et celui-ci écrivit lui-même à Mme Sand en réponse à ses paroles dures et outrageantes.
  1712. Mme Sand avait écrit à Mme Arnould-Plessy déjà le 18 mai 1863 : « Je vous dis que si voire abbé H… est homme de progrès, il est hétérodoxe. N’importe ! s’il prêche le bien et s’il vous fait du bien, tout est bien… »
  1713. Roman d’Octave Feuillet. Voir plus loin, p. 439.
  1714. Lettre de Charles Edmond (Choïecki) à Mme Sand du 26 novembre 1872 et George Sand le redit presque mot à mot dans sa lettre du 29 novembre à Flaubert {Correspondance, t. VI, p. 260.) À cet épisode se rapportent aussi beaucoup de ses lettres, tant imprimées qu’inédites (du 21 février 1871 à janvier 1873).
  1715. C’est nous qui soulignons. — W. K.
  1716. C’est aux démarches faites en 1872 par Mme Sand auprès de Jules Simon en faveur de Duquesnel et de l’Odéon, alors à la veille de la ruine causée par les troubles de l’année terrible, ainsi qu’en faveur de Berton malade, que se rattache l’épisode raconté dans notre volume I : comment George Sand et Jules Sandeau passèrent une heure entière dans l’antichambre du ministre sans se reconnaître.
  1717. Dans le volume des Lettres de George Sand à Musset et à Sainte-Beuve publiées en 1897, ce Verbet est appelé tout le temps « Pubet ». C’est une faute d’impression… à plusieurs éditions.
  1718. Voir aussi le volume précité des Lettres de George Sand à Sainte-Beuve.
  1719. Il est facile de deviner que l’auteur entendait sous cet éditeur son ami Buloz.
  1720. Marcel Prévost : « George Sand, » conférence prononcée à Nancy le 3 mars 1901, sur l’initiative de la Ligue de l’Enseignement. (La Contemporaine, mars 1901.)
  1721. Sainte-Beuve avait écrit dans son article qui parut lorsque Mademoiselle La Quintinie était encore en cours de publication à la Revue des Deux Mondes : « L’auteur de Sibylle… a remué dans ce roman de grosses questions, plus grosses peut-être qu’il n’avait d’abord pensé : questions théologiques, sociales, questions de présent et d’avenir. George Sand, on le sait, s’en est émue ; l’aigle puissante s’est irritée comme au jour du premier essor : elle a fondu sur la blanche colombe, l’a enlevée jusqu’au plus haut des airs, pardessus les monts et les torrents de Savoie, et à l’heure qu’il est, elle tient sa proie comme suspendue dans sa serre. Thèse contre thèse, théologie contre théologie, et tout cela en roman ; c’est un peu rude. La région du moins où le débat s’agite, s’est singulièrement agrandie et élargie ; on y respire. Ledernier mot de l’énigme, la solution est encore, comme dit le poète, dans les genoux de Jupiter. Nous attendons impatiemment la conclusion de Mademoiselle La Quintinie, nous verrons bien… » {Nouveaux lundis, t. V, p. 40.)
  1722. Cette préface parut dans la première édition de Mademoiselle La Quintinie en volume et se réimprime depuis lors à la tête du roman.
    Deux lettres de Mme Sand à Octave Feuillet se rapportant à une autre œuvre célèbre de l’auteur de Sibylle : le Roman d’un jeune homme pauvre, sont publiées dans le livre de Mme Octave Modèle:Sc, Quelques années de ma vie. (Paris, 1894), p. 213-216.
  1723. Voir les lettres de Mme Sand du 8, 16 et 23 juin 1863 dans le volume des Lettres de George Sand à Musset et à Sainte-Beuve, que nous avons déjà cité plusieurs fois et que nous citerons encore.
  1724. Nous avons dit ailleurs (dans notre vol. III, chap. Modèle:Sc) qu’en 1865 George Sand publia dans l’Avenir national un article consacré aux derniers volumes de l’Histoire de la Révolution de Louis Blanc, parus juste en 1863. Probablement c’est à cet ouvrage que George Sand fait allusion en parlant des « beaux livres de ses amis sur la Révolution » qu’elle lisait alors.
  1725. Cette lettre de Mme Sand à Sainte-Beuve est imprimée à la page 250 du volume des Lettres de George Sand à Musset et à Sainte-Beuve, paru en 1897 chez Lévy, et y porte le numéro 64. En réalité, c’est le numéro 67 de la collection complète des lettres de George Sand à Sainte-Beuve.
    En général l’ordre des numéros et les dates sont absolument inexacts dans ce volume. Par exemple, la lettre numéro 64, datée du 5 avril 1862, est imprimée comme le numéro 69 et datée du « 13 janvier 1864 « ; le numéro 78 est en réalité le numéro 63 ; elle n’est pas de « décembre 1866 », mais du 3 avril 1842 ; le numéro 77 est le numéro 62 et non plus de « décembre 1866 », mais de mars 1862 ; le numéro 62 est en réalité le numéro 65 ; le numéro 63 le numéro 64 ; le numéro 75 le numéro 80 ; le numéro 81 le numéro 79 ; le numéro 76 le numéro 81 ; elle n’est pas du « 15 janvier 1869 », mais bien du 16 juin 1869, etc., etc. Bref, à partir de la page 247, tous les numéros sont intervertis et doivent être corrigés.
  1726. George Sand s’était déjà cachée sous ce nom d’emprunt dans la description de son arrivée à Venise avec Musset, par laquelle commençait ce Fragment d’un roman qui n’a pas été fait, écrit en 1842, dont nous avons parlé dans nos deux premiers volumes et qu’on peut lire aux p. 137-147 du livre du vicomte Modèle:Sc, Véritable histoire.
  1727. Cet article est réimprimé dans le volume des Sept cordes de la lyre.
  1728. Réimprimé dans les Questions d’art et de littérature.
  1729. Voir notre vol. I, chap. iii, et vol. IV, chap. viii et x.
  1730. Voir Œuvres complètes de George Sand, vol, des Nouvelles lettres d’un voyageur.
  1731. Voir notre vol. I, chap. Modèle:Sc.
  1732. Celui du duc d’Aléria.
  1733. Lorsque ce chapitre fut déjà prêt pour l’impression, parurent dans le Temps les « Souvenirs « de M. Duquesnel, ancien directeur de l’Odéon, très intéressants, mais très peu exacts. Nous renvoyons le lecteur à l’Appendice, au chapitre Modèle:Rom, où il trouvera toutes les rectifications nécessaires du récit de Duquesnel sur la première de Villemer. Quant à Brindeau, il joua effectivement dans Villemer, lorsque la pièce fut reprise en l’automne de 1864.
  1734. Directeur de l’Odéon.
  1735. Voir p. 463. C’est Mme Leprévost qui créa le rôle de Diane.
  1736. Directeur du Vaudeville.
  1737. Ministre des Beaux-Arts.
  1738. Eugène Fromentin, célèbre peintre et écrivain. Mme Sand consacra dans la Presse de 1857 et 1859 des articles très enthousiastes à ses livres : Un été dans le Sahara et Une année dans le Sahel. Elle lui dédia aussi son roman de Monsieur Sylvestre en l’appelant dans la dédicace « son ami » : À mon ami Eugène Fromentin.
  1739. Pièce de Jules Sandeau.
  1740. Mme Sand voulait le consulter sur la possibilité ou l’impossibilité selon lui, de tirer une pièce de l’Homme de neige.
  1741. Sobriquet de Mme Arnould-Plessy. Nous avons déjà dit plus haut comment Mme Sand sut la consoler et la soutenir dans la terrible épreuve de sa vie lorsque le même prince Jérôme la trahit d’une manière aussi grossière que cynique. On connaît trop cet épisode pour que nous ayons besoin d’en parler encore. (Voir entre autres Mes sentiments et nos idées avant 1870, de Mme Adam, p. 280-281,)
  1742. Célèbre peintre et dessinateur, grand ami de Dumas fils, de Manceau et de Mme Sand. Elle l’appelle dans l’une de ces lettres à Dumas : « Mon joli petit colibri Marchal, » par dérision, Marchai étant énorme. En 1861 il avait fait un portrait de Mme Sand. (V. plus haut p. 406.)
  1743. Henri Arrault fut, encore avant Dunant, le premier promoteur de l’idée de secourir les blessés au champ de bataille, c’est-à-dire le vrai créateur de la Croix-Rouge. La lettre de Mme Sand à Arrault, dans laquelle elle souligne ce fait ; la primauté de cette idée revenant à Anault et non pas à Dunant, fut publiée en 1865 dans l’Opinion nationale. C’est à Arrault aussi que se rapporte une autre lettre de M. Sand intitulée À propos du choléra et imprimée dans l’Avenir national. Mme Sand y fait appel à tous les gens de bien de s’empresser de venir en aide à une autre entreprise d’Arrault, soit en lui envoyant de l’argent, soit des vêtements, afin qu’il puisse secourir les familles des morts du choléra, bonne œuvre que cet excellent homme avait entreprise lors de l’épidémie de 1865.
  1744. Berton, qui devait obtenir la permission du directeur du Vaudeville de jouer le duc d’Aléria dans la pièce de Mme Sand, ne parvint pas pendant longtemps à vaincre l’obstination de M. de Beaufort. Ayant enfin obtenu cette permission, il eut dans ce rôle un éclatant succès.
  1745. Manceau était déjà atteint de la phtisie à ce moment.
  1746. Peint par Mme Calamatta. Il est au salon de Nohant où nous l’avons vu.
  1747. Propriétaire d’un cheval et d’une carriole, qui accompagnait Mme Sand dans ses courses et ses promenades à Tamaris.
  1748. Le général Ferri-Pisani, attaché à la maison du prince Jérôme, grand ami de Mmes Sand et Villot.
  1749. > Nadar, célèbre photographe, qui avait fait en 1864 seize portraits de George Sand, était un républicain et ami de George Sand depuis 1848. Il s’intéressait à l’aérostatique et l’aviation et écrivit un livre : le Droit au vol. On sait qu’un décret datant de la grande Révolution interdisait absolument tout essai de vol, soit en ballon, soit sur des appareils plus lourds que l’air. Or Nadar défendait le droit de chacun de voler. Mme Sand écrivit, en 1865, une Préface à son livre, qu’il aurait été fort curieux de publier de nos jours dans quelque revue d’aviation. (Cette préface est réimprimée dans le volume des Souvenirs de 1848.) Mme Sand y part d’un point de vue très élevé et très grand r il ne faut ni se moquer, ni mettre d’entraves à une grande idée nouvelle, mais au contraire l’accueillir avec joie et prêter à son auteur aide et secours, pour qu’il la réalise, si cette idée est basée sur la logique et provient de la volonté de se rendre maître d’une force de la nature point encore domptée ; l’avenir justifie toujours les novateurs et les chercheurs courageux ; il est impossible, au siècle de la vapeur et de l’électricité, de ne pas avoir foi dans la victoire future de la navigation aérienne. On voit combien George Sand avait le sens juste.
  1750. Auteur du livre les Forçats pour la foi.
  1751. Nous tenons ces détails des sources les plus autorisées.
  1752. Voir Correspondance, vol. V, p. 24-35, les lettres à Duvernet du 24 mars ; à Mme de Bertholdi du 3 avril ; à Mlle Nancy Fleury du 8 mai ; à M. Oscar Cazamajou de « mai 1864 » et à M. Guillemat du 11 juin 1864.
  1753. Cette lettre est inédite.
  1754. Paroles tirées de la ballade la Bonne déesse de la pauvreté, composée par Modèle:Sc, (Voir notre vol. III, chap. iv.)
  1755. Œuvres de Virgile, texte latin publié d’après les travaux les plus récents de la philologie avec un commentaire critique et explicatif par M. E. Benoist. (Voir Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, Lévy, 1869, t. XI, p. 174.)
  1756. Il est évident qu’il faut sous-entendre par « M. Sylvestre » Mme Sand.
  1757. Lettres d’un voyageur, voir la lettre numéro Modèle:Sc (à Néraud et Rollinat) de 1834, samedi (p. 160-163 de l’édition Lévy).
  1758. Voir le chapitre Modèle:Sc du présent volume.
  1759. Voir notre vol. II. p. 311-312.
  1760. Plus tard son corps fut transféré dans le cimetière de Nohant.
  1761. Inédites.
  1762. Ce discours est imprimé dans le volume des Nouvelles lettres d’un voyageur parmi les nécrologies des Amis disparus.
  1763. Voir plus haut à la p. 460 ce qui était dit des procédés d’Ed. Cadol envers Manceau taxés « de mauvais » par Mme Sand, lors des représentations de la Journée à Dresde.
  1764. Voir plus haut, chap. Modèle:Sc et Modèle:Sc.
  1765. En disant tout cela nous ne faisons que confirmer les idées de Mme Sand sur les cérémonies religieuses et le culte. Nos croyances personnelles sont complètement différentes.
  1766. Fils de la demi-sœur de Mme Sand, Mme Caroline Cazamajou. George Sand avait intercédé pour lui auprès des hauts fonctionnaires militaires, en 1852. (Voir plus haut, chap. Modèle:Sc.) Elle avait beaucoup d’amitié pour ce neveu, qui la lui rendait de son côté.
  1767. Mme Herminie Cazamajou.
  1768. Sobriquet de Francis Laur qui, depuis la mort de Maillard, vivait, paraît-il, dans la famille Boutet aux vacances.
  1769. Pièce écrite en collaboration par Dumas fils et Em. de Girardin, et qui fut la cause d’une querelle, d’une polémique acharnée et finalement d’une inimitié à mort des deux ex-amis. (Voir à ce sujet les Entractes, par Dumas fils, vol. II.)
  1770. Dans sa lettre à Dumas, écrite à la même date que ces lignes, Mme Sand dit que c’est la partie écrite par M. de Girardin qui lui avait déplu.
  1771. Roman de Maurice Sand, le Coq aux cheveux d’or. La publication de ce roman fit faire à Mme Sand la connaissance du célèbre éditeur et critique Albert Lacroix, qui devint bientôt et resta toujours l’ami de tous les Sand, mère, fils, belle-fille et petites-filles. Albert Lacroix raconta l’histoire de ses rapports avec l’illustre femme dans ses très intéressants Mémoires d’un éditeur publiés dans la Revue internationale de 1898.
    Nous eûmes le plaisir de faire la connaissance de cet excellent homme, d’un désintéressement, d’une culture et d’une science vraiment rares, encyclopédiques, en 1898, à Nohant. Il avait alors plus de soixante-dix ans ; nos relations furent d’emblée très amicales. Le culte que nous professions pour George Sand fut le point de départ de cette amitié, et la généreuse habitude du charmant vieillard de prendre à cœur les intérêts d’autrui, si ces intérêts avaient quelque rapport à la littérature ou à la science, fit qu’il témoigna à l’égard de notre travail un intérêt et une sympathie vraiment paternels.
    Plus tard nous eûmes l’occasion de visiter M. Lacroix et sa charmante famille, si laborieuse, si éclairée, dans son petit appartement de la rue Vergne ; la modestie de cette demeure n’empêchait pas qu’elle fut toujours le point de réunion d’amis nombreux — portant la plupart des noms, connus de tout homme instruit en Europe — ou bien leurs veuves ou leurs sœurs. Et c’était pourtant un éditeur ! Mais cet éditeur perdit toute sa fortune à enrichir les auteurs, et cet écrivain dut, jusqu’à la fin de sa vie, travailler pour ne pas mourir de faim. Ce fut un coup très sensible pour nous lorsque nous apprîmes à Paris, en 1904, lors du centenaire de George Sand, que notre vieil ami n’était plus de ce monde, qu’il ne lirait plus les volumes III et IV de notre travail. Modèle:Lang, cher excellent ami ! Que ces lignes soient l’expression de notre gratitude et de notre vénération pour sa mémoire.
  1772. Le petit Marc-Antoine, mort deux mois après la Lettre d’un voyageur, d’avril 1864, où Mme Sand « chantait » Gargilesse.
  1773. Il ne faut pas oublier que Maillard et Manceau étaient cousins et que c’est par Manceau que Mme Sand avait connu Maillard. Ces deux lignes révèlent d’une manière parfaitement explicite à qui et à quoi doit être attribuée la profonde douleur dont est empreinte cette Lettre adressée à Hugo et qui, par son lyrisme et sa poésie, égale les toutes premières Lettres d’un voyageur datées de 1834-36.
  1774. Voir plus haut le chap. xi du présent volume.
  1775. Réimprimés également dans le volume Questions d’art et de littérature.
  1776. Inédite.
  1777. On lit en note à cette lettre à la page 129 dans la Correspondance, t. V; « Drame joué plus tard à la Porte-Saint-Martin sous le titre de Cadio. »
  1778. Histoire de ma vie, vol. III, p. 122-26.
  1779. Elle parut dans le numéro du 23 septembre 1867.
  1780. Lors de l’impression de cette lettre dans la Liberté ces deux derniers mots se lisaient : connaissance humaine.
  1781. Voir son charmant volume, très documenté : George Sand. Mes souvenirs.
  1782. Parmi tous ces volumes, les plus intéressants sont : 1° Henri Amic : George Sand, mes souvenirs ; 2° Edmond Plauchut : Autour de Nohant ; 3° Juliette Lamber (Mme Adam) : Mes sentiments et nos idées avant 1870 ; 4° Gabriel Nigond : Les Contes de la Limousine ; 5° Firmin Roz et Hugues Lapaire : la Bonne Dame de Nohant ; 6° le Journal des Concourt (où l’on trouve entre autres un curieux récit de Théophile Gautier sur son séjour à Nohant on 1869. Voir Journal des Concourt, t. II, p. 144) ; 7° la série d’innombrables brochures, livres et articles qu’on trouvera indiqués dans la Bibliographie à la fin de ce volume.
  1783. Nous avons pu admirer dans le jardin de Nohant plusieurs arbres rares ou exotiques, plantés ou même « semés » par Mme Sand et par Maurice Sand. — W. Z.
  1784. Mes sentiments et nos idées avant 1870, p. 279.
  1785. On trouve à ce propos des pages extrêmement curieuses dans la Nouvelle lettre d’un voyageur « À propos de botanique » adressée à Maurice Sand et publiée dans la Revue des Deux Mondes en 1863, ainsi que dans plusieurs lettres de Mme Sand à Flaubert.
  1786. Mme Sand avait fait sa connaissance lors de son séjour à Tamaris. C’était le fils du célèbre artiste.
  1787. Adam s’était moqué de Plauchut à propos de son naufrage aux îles du Cap-Vert, dont nous avons parlé dans le premier chapitre de notre premier volume, et l’appelait par dérision « le naufragé des salons ».
  1788. Ce nom est imprimé : « Camat » dans le livre de Mme Adam ; il est évident que ce n’est qu’une faute d’impression
  1789. Voir plus haut, chap. Modèle:Sc.
  1790. Nous possédons une pelote brodée par George Sand et représentant, sur un fond rose, une chimère — la devise de Nohant — le « château de la Chimère ». (Voir plus haut chap. Modèle:Sc.)
  1791. Nous possédons une de ces dendrites, dessinée pour amuser les petites Aurore et Gabrielle ; elle nous a été donnée par Edmond Plauchut. Elle représente un paysage fantastique — un golfe au milieu de collines, tapissées de broussailles et d’arbustes, et, sur l’une de ces collines, deux petites filles et un chien, voire : « Lolo et Titite avec Fadet », le légendaire chien de Nohant. Les portraits des deux petites filles et du chien étaient sa signature de peintre.
  1792. Huit de ces contes sur treize et Gribouille ont été traduits en russe par Mme Tolivérow, en 1893. (Devrienne, Saint-Pétersbourg, in-18.)
  1793. Voir plus haut, chap. Modèle:Sc.
  1794. Histoire du véritable Gribouille, vignettes par Maurice Sand, gravures de Delaville (Petite Bibliothèque blanche. Éducation et récréation. Hetzel et Modèle:Cie, Paris, 1850.) Cette histoire est dédiée à la fille du vieil ami de l’auteur, Alphonse Fleury. Mlle Valentine Fleury (plus tard Mme Engelhardt).
    Ce conte fut traduit en russe en 1851 par Mme Ogarew. Il parut avec une préface de Herzen, à Londres.
  1795. À comparer avec ce que George Sand dit dans l’Histoire de ma vie (vol. Il, p. 166-160) du merveilleux dans la vie de l’enfant.
  1796. On sait par le livre de M. Plauchut que les « daines » de la troupe, grâce à des « toupies » placées sous la peau qui couvrait leur buste pouvaient même charmer les spectateurs par un décolletage… assez décent.
  1797. Voir surtout la page 21 du troisième volume du Journal des Goncourt.
  1798. Journal des Goncourt, t. III, p. 51, 21 mai 1866.
  1799. Mme Lina ignorait à cette époque que son mari voulait la tenir à distance de sa sœur, à cause des principes immoraux de cette dernière, et même plus tard, en 1873, lorsque Mme Lina Sand avait fait un court séjour à Paris, George Sand lui avait écrit le 19 janvier : « Voilà Sol après Plauchut qui ne saura pas dire que tu n’es pas à Paris, et alors elle se mettra après toi. Ne te laisse pas envahir ni ennuyer. D’autant plus que toutes ses tendresses ne servent qu’à mieux nous cracher au visage plus tard. »
  1800. Mme Adam par erreur dit dans son livre que c’était le « second » enfant de Maurice et Lina ; elle oublie sans doute le petit Marc-Antoine.
  1801. Mme Sand adorait ces lignes de Pascal : « La nature agit par progrès itus et reditus… Elle passe et revient, puis va plus loin, puis deux fois moins, puis plus que jamais… » Elle avait copié et collé cette phrase sur son bureau de travail à Nohant, Ce bureau appartient maintenant à M. Henri Amic.
  1802. Ces lignes furent écrites avant 1914. En relisant ces articles de George Sand au moment de la grande guerre, elles nous produisirent une toute autre impression.
  1803. Par amour de la vérité nous devons toutefois noter ici que dans Francia nous trouvons un jugement de Mme Sand sur Roudine, prouvant que si elle admirait ce roman avec enthousiasme, elle comprenait fort mal le caractère du héros de Tourguéniew. Après avoir écrit : « C’est un trait fort répandu parmi les Russes (!!!) d’opprimer les faibles et de se prosterner devant les puissants » — [trait, hélas, noté par Tacite, Machiavel et La Rochefoucauld, donc un peu partout, ajouterons-nous ! W. K] — George Sand fait cette singulière remarque : « Ivan Tourguéniew, qui connaît bien la France, a créé en maître le personnage du Russe intelligent, qui ne peut rien être en Russie, parce qu’il a la nature du Français. Relisez les dernières pages de l’admirable roman Dimitri Roudine… » Or, on sait que dans Roudine Tourguéniew a voulu peindre un type très répandu en tous pays, celui d’un parleur ne trouvant nulle part de champs à son activité, par excès de réflexion et par manque de volonté.
  1804. L’Année terrible (?).
  1805. Dont nous avons cité le premier — sur Mickiewicz, Chopin et Delacroix, dans le chap. ii de notre IIIModèle:E vol.
  1806. Tous les trois sont réimprimés dans le volume Laura.
  1807. Ce musicien était un ami de Chopin, il avait été professeur au Modèle:Tiret2 de Varsovie, avait séjourné à Saint-Pétersbourg où il avait entre autres enseigné le piano à la grande-duchesse Alexandra Nikolaievna, et avait écrit plusieurs opéras ! (La Testa di bronza, Elena Malvine, etc.)
  1808. Voir plus haut, chap. Modèle:Rom.
  1809. On voit comment Mme Sand n’avait pas changé dans ses sympathies pour la révolution de 1848, malgré toutes les erreurs auxquelles elle avait abouti.
  1810. Voir notre vol. I, chap. Modèle:Sc, et le présent vol., chap. Modèle:Sc.
  1811. Flaubert écrit dans sa lettre du 8 septembre : « Le premier remède serait d’en finir avec le suffrage universel, la honte de l’esprit humain. »
  1812. V. notre vol. Modèle:Rom, p. 48-49.
  1813. Nous en avons déjà parlé dans le tout premier chapitre de notre premier volume, ainsi que dans le chapitre Modèle:Rom (à propos de l’éclosion première des sentiments religieux dans l’âme de la petite Aurore Dupin).
  1814. Voir plus haut, chap. Modèle:Rom.
  1815. Vers de Pouchkine.
  1816. Modèle:Sc, Senilia.
  1817. C’est nous qui soulignons. — W. K.
  1818. Cf. avec ce que George Sand disait dans sou étude Ce que dit le ruisseau. (Voir plus haut, p. 442-446.)
  1819. George Sand était très portée à admettre une âme de plante, surtout depuis qu’elle avait lu le livre de M. Boscowicz : l’Âme de la plante. Elle en parle dans l’une des Nouvelles lettres d’un voyageur, intitulée ; De Marseille â Menton.
  1820. Voir par exemple l’Histoire de ma vie.
  1821. Cf. avec ce que nous avions dit plus haut en analysant Ce que dit le ruisseau, écrit, notons-le en passant, en cette même année 1863 que les deux dialogues avec Manceau formant les numéros 1 et 3 des Impressions et souvenirs.
  1822. Très curieux à confronter ces lignes avec ce que George Sand disait de l’extase en 1840, à propos de Mickiewicz. (Voir notre vol. III, p. 201 et suiv.)
  1823. Voir plus haut ce qui a été dit à propos de Narcisse et de Jean de la Roche, vol. IT, chap. vin, p. 113, et dans le présent volume, chap. x.
  1824. La Tour de Percemont parut dans les livraisons du Modèle:1er et 15 décembre et Marianne dans celles du Modèle:1er et 15 août 1875 de la Revue des Deux Mondes.
  1825. Comme Hippolyte Chatiron traitait sa demi-sœur Aurore.
  1826. Voir notre vol. Modèle:Ier, p. 196, 198, et l’Histoire de ma vie, t. III, p. 327, 330-334.
  1827. George Sand dit, en passant, à la page 391 du volume Modèle:Rom-maj de son Histoire de ma vie, que lorsqu’elle était toute petite, on avait projeté de la marier à un de ses cousins de Villeneuve (ou plutôt à l’un de ses neveux), le froid Septime ou le moqueur Léonce et que, petite fille de sept ans, elle avait été très chagrinée à l’idée de ce mariage. En fondant dans le personnage de Marius ces deux prétendus prétendants, George Sand ne manquera pas de se rappeler les sentiments d’une fillette, à laquelle on veut suggérer l’obligation d’épouser un jour son cousin. Ce n’est point non plus par hasard que le cousin de Jeanne de Mérangis porte un nom romain : Septime dans la vie réelle, il s’appelle Marius dans le roman. C’est à noter.
  1828. Tout comme don Basile de la pièce de Beaumarchais est devenu un « maître de musique » dans l’opéra de Rossini
  1829. Dans la Revue des Deux Mondes du Modèle:1er janvier au Modèle:1er mars 1874.
  1830. Flamarande fut publié dans la Revue des Deux Mondes, en 1875.
  1831. Coursier magnifique que M. Charlot laisse courir jusqu’à ce qu’il tombe épuisé, la nuit de l’enlèvement de l’enfant.
  1832. Correspondance entre G. Sand et G. Flaubert, p. 455.
  1833. La Tour de Percemont fut publiée dans la Revue des Deux Mondes du Modèle:1er décembre 1876 au Modèle:1er janvier 1876 inclusivement.
  1834. Nous possédons l’un de ces exemplaires avec un très amical envoi de l’auteur. Hélas ! cet excellent ami ne lira plus le dernier volume de notre travail, lui qui tenait tant à le voir terminé !
  1835. MM. Sagnier et de Vasson furent ainsi les derniers visiteurs à Nohant qui virent Mme Sand bien portant-e. L’un des derniers visiteurs de Nohant fut aussi un certain M. Gottlieh Ritter qui décrivit sa « Visite chez George Sand » dans les numéros 31-32 de la Gartenlaule de 1876. À l’exception de ce fait, c’est-à-dire d’avoir été le dernier des étrangers qui vit Mme Sand peu avant sa mort, cet article ne se distingue par aucun mérite et contient une série d’erreurs et d’inexactitudes. C’est ainsi par exemple que M. Ritter assure que Solange demeurait chez sa mère à Nohant, etc., etc.
  1836. Texte imprimé de M. Henry Harrisse dans les Derniers moments et les obsèques de George Sand, souvenirs d’un ami, publié à l’occasion du centenaire de l’illustre écrivain, Modèle:1er juillet 1904.
  1837. Texte imprimé de M. Henry Harrisse.
  1838. Mme Lina Sand avait mis en note à ces mots :
    « Je ferai remarquer que Favre soignait Mme Sand depuis des années et connaissait beaucoup mieux que ces messieurs l’état de la malade, puisqu’ils ne l’avaient jamais soignée, sauf Darchy.
    Modèle:Droite
  1839. Charles Sagnier.
  1840. M. Pestel écrit : « Quand je quittai Nohant le 8 juin à quatre heures du matin, le pouls de la malade avait encore une force telle que je devais supposer que l’existence se prolongerait pendant vingt-quatre heures environ. »
  1841. Aurore et Gabrielle — dit M. Harrisse dans une note à la p. 16 de sa plaquette — n’étaient pas présentes ; lorsqu’ayant été appelées, elles s’approchèrent du chevet de leur grand’mère, celle-ci avait cessé de vivre. Maurice dormait dans sa chambre accablé de chagrin et de fatigue. Ce furent ses fillettes qui vinrent lui apprendre la mort. Il s’assit, puis il s’abîma dans son désespoir. Il répétait au milieu de ses sanglots : « Ma mère, ma mère ! La vie pour nous est finie ! »
  1842. Ceci est inexact : ces deux monuments sont celui de Jeanne Clésinger transférée de Paris effectivement lors du voyage de George Sand en Italie et érigé par Solange, et celui de ! Marc-Antoine Dudevant, transféré de Guillery vers 1865 et érigé par M. et Mme Maurice.
  1843. Nous citons d’après le texte manuscrit ; le texte imprimé est malheureusement tout à fait changé à cet endroit de la narration de M. Harrisse.
  1844. Le docteur Pestel a ajouté en note à ce passage : « Mme Sand n’a jamais exprimé de désir ni de volonté formels au sujet de sa sépulture ; elle a plusieurs fois manifesté son goût et notamment à l’occasion des monuments funèbres de sa petite-fille d’abord, de son petit-fils ensuite, disant, dans ces circonstances, qu’elle aurait préféré au marbre de la verdure. »
  1845. Du Modèle:1er au 2 juin.
  1846. Un ami fidèle de Mme Sand nous a dit à propos de cette remarque de M. Pestel que Mme Sand, réservée et parfois absolument silencieuse en présence de plusieurs personnes, ne Tétait nullement lorsqu’elle se trouvait en tête à tête avec une personne qui lui était sympathique, disant qu’on ne pouvait jamais parler qu’à un seul interlocuteur de manière à pouvoir être compris, mais point à plusieurs à la fois, tous trop différents les uns des autres. — W. K.
  1847. Voir plus haut, chap. Modèle:Rom, p. 485-487.
  1848. Dans le vol. V de la Correspondance, p. 323, la lettre de George Sand. décrivant cet enterrement civil de Sainte-Beuve est faussement datée du « 17 octobre », elle est du 5 octobre 1869.
  1849. Feu notre ami M. Plauchut, en nous racontant cette manifestation, ne pouvait retenir ses larmes, à tel point les impressions ressenties ce jour-là l’émouvaient encore. Il répétait : « Jamais je n’ai rien vu de pareil ; de ma vie je n’ai rien vu de pareil. »
  1850. Cette Nécrologie parut en 1868 dans l’Avenir national ; elle fait partie des Amis disparus, imprimés dans le volume des Nouvelles lettres d’un voyageur.
  1851. Voici ce dialogue tel que M, Amie en a gardé le souvenir exact :
    — Je ne veux pas, me dit M. Maurice, que ma mère soit enterrée comme un chien.
    — Mais vous n’avez pas à vouloir, répliquai-je, mais à observer la volonté de Mme Sand exprimée ici même devant tous lors de l’enterrement de M. Duvernet.
    — C’est bien, me dit-il, on consultera le testament, et si ma mère a exprimé sa volonté, je m’y conformerai.
  1852. La lettre de M. Moulin à M. de Vasson est justement une réponse à cette question. C’est-à-dire M. Moulin annonce que, n’ayant aucune espèce d’ordres ou de recommandations de Mme Sand à ce sujet, il est prêt, si tel est le désir de Maurice et de Solange, à immédiatement remettre le testament au président, afin de le faire ouvrir.
  1853. Modèle:Me Adrien Guédon, avoué que Mme Sand avait consulté pour la rédaction de son testament, lui avait conseillé d’éviter tout conflit avec sa fille, que Mme Sand devait réduire à la quotité disponible afin d’avantager son fils et ses petites-filles. — W. K.
  1854. Le docteur Favre parait avoir été très porté à toutes sortes d’ « apparences », de « poses » et de phrases. C’est ainsi qu’au dire de M. Pestel, lorsque la question de l’enterrement fut décidée, le docteur Favre alla à Ars voir Papet et, en parlant des derniers instants de Mme Sand, il dit que « la voyant près d’expirer, il se jeta à genoux et adressa à Dieu une invocation, pour qu’il reçût dans sa miséricorde l’âme du grand écrivain « . Dans sa brochure, mais point dans son manuscrit, M. Harrisse raconte, sans indiquer la source de ce racontar, que « dès que la malade eut rendu le dernier soupir, le docteur Favre se redressa et, levant la main au-dessus du corps de George Sand, il dit avec force : Tant que je vivrai, votre mémoire ne sera jamais souillée. » Quelle misère que cet amour indestructible de phrases et de poses, dont on ne peut se départir même vis-à-vis de cette chose grande et simple qu’est La mort !
  1855. Femme gardant le logement de Mme Sand à Paris, elle était ouvreuse à l’Opéra-Comique.
  1856. Nous faisons remarquer une fois de plus que le texte imprimé diffère en beaucoup d’endroits du manuscrit autographe de M. Harrisse ; ces lignes y manquent et le commencement de la phrase est changé.
  1857. Dans le texte imprimé on lit : « Étaient installés au château outre les hôtes habituels ; Mme Clésinger (Solange Sand) qui, prévenue de l’état désespéré de sa mère par une dépêche de son notaire, était venue de Paris en toute hâte ; des parents : Oscar Cazamajou, le docteur Favre, etc., etc. »
    On voit par ce qui précède que tout ceci n’est pas tout à fait exact.
  1858. C’était un ami de Mme Sand, surtout depuis son séjour de Palaiseau, et nullement son factotum. — W. K.
  1859. Ce passage est changé dans la plaquette imprimée ; les trois passages qui y suivent manquent dans l’autographe. Ils sont inexacts comme chronologie et comme faits, se rapportant à la manière dont ce manuscrit fut muni de notes par le docteur Pestel, renvoyé à M. Harrisse, puis corrigé et complété par ce dernier. Nous avons dit plus haut comment tout cela s’était passé.
  1860. Note D du docteur Pestel.
  1861. Inexact.
  1862. Inexact.
  1863. Tout ce passade est complètement changé dans le texte imprimé, il renferme (sans indication de l’auteur) entre autres un morceau emprunté aux souvenirs de M. P. de Vasson que nous avons donné plus haut, et, ajouterons-nous, nullement connu de M. Harrisse en 1876, ni lorsqu’il donna le manuscrit à Mme Maurice, ni enfin en 1894 lorsqu’il nous permit d’en prendre copie et en parla avec nous de vive voix. Il ne put consulter ces souvenirs de M. de Vasson qu’après la mort de Mme Maurice Sand.
  1864. C’est près de la tombe ouverte que Marie Caillaud distribuait ces brins de laurier pour les jeter sur le cercueil comme un dernier adieu. Ce fut là une idée de Mme Lina Sand. — W. K.
  1865. M. Harrisse a dessiné sur une feuille de papier la coupe de cette voûte en briques dépassant à peine le sol et il nous a donné ce dessin, alors qu’il nous raconta de vive voix les funérailles de George Sand.
  1866. Elle avait été enterrée au Père-Lachaise, maintenant (1924) son corps est transporté dans ce même cimetière de Nohant.
  1867. M. Pestel et Mme Maurice avaient été choqués du fait que M. Harrisse avait nommé « vieillard » un homme de cinquante et un ans et avaient ajouté une note à ces lignes. Nous croyons devoir laisser les expressions du texte primitif de M. Harrisse telles que. Nous les préférons franchement.
  1868. Tout ce passage est atténué et changé dans le texte imprimé.
  1869. La phrase la plus connue de ce discours est : « Je pleure une morte et je salue une immortelle. » — W. K.
  1870. Ce passage est également changé.
  1871. Dumas avait été installé pour la nuit non dans la chambre de M. Favre, mais dans celle de Mme Maurice, qui alla loger dans la chambre de ses enfants. (Note du docteur Pestel.)
  1872. Qu’il ne prononça pas, mais que publièrent en 1879 le Figaro (11 juin), et le Temps (12 juin), puis l’Ordre républicain, journal d’Indre-et-Loire.
  1873. Cette partie du chapitre Modèle:Rom de notre Modèle:Rom-majModèle:E volume parut peu de jours avant le centenaire dans le Mir Bogi, une revue russe.
  1874. Les articles anonymes ont été Modèle:Corr dans l’ordre alphabétique des périodiques dans lesquels ils ont paru.