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de l’expression. Peut-être tous les autres personnages, par cela même, devraient-ils se montrer plus sobres de suspensions et de réticences. L’esprit de notre langue n’en comporte pas autant et quoique nos modernes écrivains dramatiques les prodiguent, nos vieux et illustres maîtres, qui sont les aïeux par alliance de votre génie, s’en montrent très avares. Je suis honteuse, monsieur, de me permettre ces observations envers une supériorité telle que la vôtre. Je ne les aurais pas risquées si vous n’eussiez eu la bonté de me les faire demander, à moi, indigne, mais sincère admirateur de votre puissance. Quant au succès du drame, il m’est impossible d’avoir aucune prévision à cet égard. Le public français est si ignoblement stupide aujourd’hui, il applaudit à de si ridicules triomphes, que je le crois capable de tout, même de siffler une pièce de Shakespeare, si on la lui présentait sous un nom nouveau. Je puis dire seulement que si le beau, le grand et le fort doivent être couronnés, votre œuvre le sera.

Agréez, monsieur, l’assurance de mon sincère et entier dévouement.

George.

Citons aussi la lettre de la comtesse d’Agoult qui fut envoyée, paraît-il, sous le même pli que la précédente. Nohant, près La Châtre (sans date).

Voici, monsieur, le précieux manuscrit que je vous avais volé. Mme Sand a dû vous écrire ce qu’elle en pensait. Je n’ai rien à ajouter, si ce n’est que c’est la personne la plus sincère que j’aie jamais rencontrée. Mallefille sera toujours à vos ordres pour l’arrangement des scènes et la lecture au théâtre, si vous jugez bon de recourir à lui. Je voudrais bien espérer de vous voir ici avant mon départ[1]. Que mon bon génie vous inspire la pensée de venir ! Adieu, monsieur. Personne au monde ne vous admire plus que moi. J’emporte avec moi[2] le souvenir ineffaçable de la bienveillance que vous avez bien voulu me témoigner.

Marie.
  1. Si le lecteur s’en souvient, George Sand avait écrit à la comtesse d’Agoult, déjà à la date du 5 avril 1837 : « … Dites à Mick… (manière non compromettante d’écrire les noms polonais) que ma plume et ma maison sont à son service et trop heureuses d’y être ; à Grrr… que je l’adore ; à Chopin que je l’idolâtre ; à tous ceux que vous aimez que je les aime et qu’ils seront les bienvenus amenés par vous… » (Corresp., t. II, p. 60. Voir aussi notre t. II, p. 355.)
  2. La comtesse d’Agoult était alors sur le point de commencer en compagnie de Liszt un long voyage en Italie.