La fin d’avril fut marquée par un accident triste et touchant. Peu auparavant, Nourrit, le grand chanteur, se tua à Naples en tombant de la fenêtre d’un étage supérieur ; d’aucuns disent que ce fut un suicide, commis dans un accès de désespoir causé par la perte de sa voix ; d’autres que ce fut à la suite d’un vertige ou d’une distraction qui lui aurait fait prendre la fenêtre ouverte pour la porte d’un balcon. La malheureuse veuve, mère de six enfants et en attente d’un septième, revenait avec la dépouille de son mari en France. Le jour où dans une des églises marseillaises, — malgré la protestation de l’évêque, — on célébra une messe pour le mort, Chopin voulut, en souvenir de son ami disparu, tenir l’orgue pendant le service funèbre. La nouvelle s’en répandit dans la ville et la curiosité amena une foule d’auditeurs dans la petite église.
Mais cet auditoire qui, — au dire de George Sand, — s’était porté là en masse et avait poussé la curiosité jusqu’à payer cinquante centimes la chaise (prix inouï pour Marseille), a été fort désappointé, car on s’attendait à ce que Chopin fît un vacarme à tout renverser et brisât pour le moins deux ou trois jeux d’orgue. On s’attendait aussi à me voir en grande tenue, au beau milieu du chœur, que sais-je ?
Or, tout se passa bien autrement. Je ne sais pas si les chantres Font fait exprès, mais je n’ai jamais entendu chanter plus faux ; Chopin s’est dévoué à jouer de l’orgue à l’élévation ; quel orgue ! un instrument faux, criard, n’ayant de souffle que pour détonner. Pourtant votre petit en a tiré tout le parti possible ! Il a pris les jeux les moins aigres et il a joué les Astres, non pas d’un ton exalté et glorieux comme faisait Nourrit, mais d’un ton plaintif et doux, comme l’écho lointain d’un autre monde. Nous étions là deux ou trois tout au plus qui avons vivement senti cela et dont les yeux se sont remplis de larmes. On ne m’a point vue du tout ; j’étais cachée dans l’orgue, et j’apercevais, à travers la balustrade, le cercueil de ce pauvre Nourrit. Vous sou-’ venez-vous comme je l’embrassais de grand cœur chez Viardot, la dernière fois que nous le vîmes ? Qui pouvait s’attendre à le trouver sous un drap noir entre des cierges ?
J’ai passé cette journée bien tristement, je vous assure. La vue de sa femme et de ses enfants m’a fait encore plus de mal. J’avais le cœur si gros et je craignais tant de pleurer devant elle, que je ne pouvais lui dire un mot…[1].
- ↑ Corresp., t. II. p. 140.