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de ma préférence pour mon fils et pour cette coquine d’Augustine qui a l’impudeur d’être fort pauvre sans se plaindre jamais, de travailler comme un nègre, à cinquante sous le cachet, dans une petite ville de province, de se trouver heureuse avec son mari et son enfant, et de me bénir comme si je l’avais faite millionnaire. Que veux-tu ? La vie a ses mauvais côtés, je les connais, je les subis, je laisserai dire et tu n’en seras ni plus riche ni mieux entourée.

Ouvre donc les yeux, tu n’es pas idiote, et tu auras beau enfler ta personnalité, ta conscience te criera toujours que quiconque ne se sacrifie jamais ne forcera jamais personne à se sacrifier pour lui. L’avenir est à toi, ce n’est plus un avenir de cavalcades, de beaux appartements, de loisirs, de causeries, d’indolence et de grands airs. C’est la retraite, les soins du ménage, l’éducation et la surveillance assidue de ta fille, le travail si tu peux, sinon la plus stricte économie, la plus austère simplicité dans un intérieur presque pauvre à Paris, tout à fait pauvre et misérable en comparaison de ce que tu as rêvé. Sinon la vie de campagne chez les parents, mais un peu en tutelle, car tes parents voudront rester maîtres chez eux et ne souffriront pas de cortège auquel on les accuserait de prêter la main et de tenir la. bougie.

Voilà l’avenir d’une femme qui a été malheureuse dans le mariage, autant par sa faute que par celle d’autrui ; qui a voulu rompre violemment et dès les premières souffrances, sans s’assurer l’appui et sans écouter le conseil de personne. Mais cet avenir peut tout réparer. Ce peut être celui d’une femme de bien qui a réfléchi après coup et qui a fait un grand effort de cœur, de conscience et de courage pour ramener à elle les affections gaspillées, l’approbation discutée. Dans cette austérité, dans cette simplicité de mœurs et d’habitudes, elle peut sentir son âme s’élargir, son esprit s’élever, elle peut être artiste, elle peut créer ou sentir, ce qui est aussi agréable, aussi fortifiant l’un que l’autre, aussi en dehors des jouissances matérielles, aussi indépendant du monde de la richesse et des excitations vides qu’elle procure. L’âme purifiée peut et doit arriver aux seules vraies jouissances de la vie. Dans cette situation un enfant aimable, intelligent et beau comme Nini, est un trésor dont on sent le prix et qui vous tient lieu de tout. On a de bons et solides amis qui ne vous admirent pas pour vos rubans et vos parfums, mais qui vous estiment, vous chérissent et vous protègent pour votre vraie beauté, celle de l’âme et de la conduite.

Mais il y a un autre avenir, et les réflexions de ta lettre sur les femmes de jugement et de cœur, qui succombent quelquefois comme les filles sans éducation au plaisir et au vice me font penser que ton mari ne mentait pas toujours quand il prétendait que tu lui avais fait certaines menaces. Si ton mari est fou, tu es diablement folle aussi, ma