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L’image de ses combats intérieurs, de ses alternatives de révolte et de soumission, de doute philosophique et de terreur superstitieuse, que j’avais devant les yeux comme un enfer ; et plus je m’identifiais avec ce dernier chartreux qui avait habité ma cellule avant moi, plus je sentais peser sur mon imagination frappée ces angoisses et ces agitations que je lui attribuais…[1].

La différence entre les cellules de l’ancien et du nouveau cloître, étroites, malpropres et lugubres dans le premier, vastes, confortables et bien aérées dans celui-ci, et la visite à un ermitage dans les montagnes dominant la chartreuse, où George Sand vit les représentants des deux types monacaux : le supérieur, bon enfant, presque mondain, et un ascète de quatre-vingts ans, abruti jusqu’à l’idiotisme, hébété par les macérations et l’indigence, ces deux impressions ne firent que préciser encore plus, dans l’âme de George Sand, l’image de la terrible lutte intime à laquelle est infailliblement livrée toute âme vivante qui, de nos jours, tombe dans les tenailles du régime monacal catholique. Toutes ces pensées, ces impressions, ces peintures trouvèrent place dans Spiridion commencé non pas à Nohant, comme George Sand le dit dans la préface de l’édition de 18521855, maie bien, comme nous le savons, à Paris, en l’automne de 1838, en collaboration avec Leroux, et terminé à Majorque.

Cet isolement romantique, ce coloris lugubre et cet excès de « caractère » répandus sur toutes choses produisirent une action bien autrement forte sur Chopin, impressionnable jusqu’à la morbidesse et mal à l’aise hors de son train de vie habituel. Ils l’influencèrent de deux manières très contradictoires : Chopin artiste y trouva l’inspiration pour ses œuvres les plus profondes et les plus poétiques ; le pauvre homme faillit y gagner une maladie nerveuse, il arriva à un abattement profond, presque au désespoir !

… Le pauvre grand artiste, dit Mme Sand, était un malade détestable. Ce que j’avais redouté, pas assez malheureusement, arriva. Il se démoralisa d’une manière complète. Supportant la souffrance

  1. Un hiver à Majorque, p. 127-128,