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— Qui me traduit en Allemagne ?

— Fanny Tarnow ; mais elle appelle ses traductions des adaptations.

— Elle omet certainement les passages dits « immoraux » ?

Elle le dit avec beaucoup d’ironie. Je ne répondis pas et je regardai sa fille, qui baissa les yeux. La pause qui suivit ne dura qu’une seconde, mais elle eut plus de signification que toute une période oratoire.

George Sand ne connaît point l’Allemagne, mais c’est pour cela qu’elle peut la comprendre mieux que tous ceux qui se font de cette connaissance une espèce de profession. Les savants français qui étudient nos affaires ne connaissent généralement de nous qu’un côté quelconque. Il vaut mieux ne pas nous connaître que de prononcer des jugements faux et de nous endoctriner. Ceux qui, comme George Sand, ne savent rien de l’Allemagne, peuvent, malgré cela, avoir beaucoup d’estime pour l’esprit allemand. Ceux qui ne connaissent pas notre langue peuvent nous connaître par notre musique. George Sand aurait visité l’Allemagne si elle n’entreprenait ses voyages dans le but de l’isolement. Elle avait entendu parler de Bettina et me questionna sur Chezy. De tous nos poètes, philosophes et savants, elle n’avait retenu qu’un nom : Mme de Chezy ! Elle sembla étonnée que Mme de Chezy ne gardât sa place que dans des mémoires littéraires. Elle la prenait pour une grande poétesse[1].

    lèbre poète Clément Brentano et épouse du poète romantique comte Louis Achim de Arnim, amie de Gœthe et de la plupart des artistes et poètes de 1848, fut elle-même une célèbre poétesse, un écrivain politique très connu. Elle prit part au mouvement de 1848, ce qui lui nuisit beaucoup dans le « grand monde », fonda des œuvres de bienfaisance, s’intéressa aux questions sociales. Sa passion enfantine pour Gœthe fut cause d’une correspondance avec le poète, qu’elle publia sous le titre de Gœthe 1 s Briefwechsel mit einem Kinde (1835. Berlin, 3 vol.). Cette œuvre fut, en 1843, traduite en français en deux volumes par Mme Hortense Cornu qui écrivait sous le pseudonyme de Sébastien Albin. Bettina naquit à Francfort-sur-le-Mein le 4 avril 1788, mourut à Berlin le 20 janvier 1859.

  1. George Sand, qui, dès son adolescence, s’était enthousiasmée pour Schiller et Leibniz ; qui, vers 1840, non seulement étudiait les œuvres de Gœthe, mais qui écrivit encore deux articles, l’un sur Faust, l’autre sur la traduction de Werther ; qui adorait Hoffmann ; qui était l’amie de Heine et de Dessauer, qui connut plus tard le docteur Muller-Strübing, Herweg et toute une série de jeunes politiques allemands ; qui lisait beaucoup les œuvres de Heine, eût sans doute été fort étonnée d’entendre cette opinion de Gutzkow, si elle l’eût connue. Mais il est à croire que Gutzkow n’aurait pas du tout écrit ce passage sur Mme de Chezy, s’il avait su que Mme Sand avait personnellement connu Mme Chezy et entretenait une correspondance avec elle et que sa demande était simplement dictée par l’intérêt porté à une personne amie.