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toutes les nuances, la plupart honnêtes gens, d’humeur douce, et pères de famille. En arrivant à Paris au milieu de la lutte, ils ne surent que faire, à qui se rallier et comment passer à travers les partis sans être suspects aux uns, écrasés par les autres. Enfin, vers le soir, rassemblés dans un poste qui leur était confié et honteux de n’avoir pu serar à rien, ils arrêtèrent un passant qui, pour son malheur, portait une blouse ; ils étaient deux cents contre un. Sans interrogatoire, sans jugement, ils le fusillèrent. Il fallait bien faire quelque chose pour charmer les ennuis de la veillée. Ils étaient si peu militaires, qu’ils ne surent même pas le tuer ; étendu sur le pavé, il râla jusqu’au jour, implorant le coup de grâce.

Quand ils rentrèrent triomphants dans leur petite cité, ils avouèrent qu’ils n’avaient fait autre chose que d’assassiner un homme qui avait Vair d’un insurgé. Celui qui me raconta le fait me nomma l’assassin principal, et ajouta : « Nous n’avons pas osé empêcher cela. »

Voilà pourtant un fait historique des mieux caractérisés ; il résume et dénonce une époque : aucun journal n’en a parlé, aucune plainte, aucune réflexion n’eût été admise. La victime n’a jamais eu de nom ; le crime n’a pas été recherché ; l’assassin a vécu tranquille, les bons bourgeois et les bons artisans qui l’ont laissé déshonorer leur campagne à Paris se portent bien, vont tous les jours au café, Usent leurs journaux, prennent de l’embonpoint et n’ont pas de remords.

Ceci est une goutte d’eau dans l’océan d’atrocités que soulèvent les guerres civiles. Je pourrais en remplir une coupe d’amertume ; mais ces choses sont encore trop près de nous pour être rappelées sans faire appel aux passions et aux ressentiments ; tel n’est pas le but du travail d’un artiste.

Cette Préface fit sensation. Plusieurs journaux la réimprimèrent, entre autres le Nain jaune et le Soleil. Un mandat a été lancé contre les rédacteurs, MM. Castagnary, Ranc et Émile Faure, qui ont dû comparaître devant un juge d’instruction. Mme Sand fit alors publier dans la Liberté[1] une « Lettre » dans laquelle elle protestait avant tout contre le fait que ce n’était pas elle, l’auteur du roman, qu’on poursuivait judiciairement, mais bien des « journalistes » qui en avaient reproduit des fragments. Puis eUe disait :

Il est facile, en lisant toute la préface et tout le roman de Cadio, de voir que le but de l’ouvrage est diamétralement contraire à cette

  1. Elle parut dans le numéro du 23 septembre 1867.