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d’accepter. J’ai passé une nuit terrible, dans des souffrances de coliques, etc.

Aussi je me sens maintenant d’une faiblesse désolante. Fais mes excuses auprès de Mme Sand, dis-lui que je suis désolé et en même temps un des plus pauvres diables qui aient jamais existé.

À toi de tout mon cœur.

Dessauer.

De graves maladies, exagérées par ses nerfs, des désenchantements, des ennuis de toutes sortes, enfin la perte progressive de la vue développèrent chez Dessauer une méfiance maladive et lui donnèrent une tendance au pessimisme et à la misanthropie. Bauernfed remarque à ce propos, avec beaucoup de finesse, que ce manque de santé et des plaintes mélancoliques continuelles contre le sort ne faisaient que lui attirer plus facilement les cœurs féminins, toujours généreux et compatissants. Nous ne pouvons pas comprendre comment un artiste sensitif et une âme profonde tel que Heine ait pu se moquer, dans les Esquisses musicales, même de cette mélancolie et de ce désenchantement.

Mais tous ces chagrins n’empêchaient pas Dessauer d’être bon enfant, naïf, sincère et gai compagnon dans un milieu sympathique et entre gens qui lui étaient proches par l’esprit, tels que Chopin, les époux Viardot et la famille de Mme Sand.

Il n’est donc pas étonnant que le passage de Lutèce relatif à Dessauer ait révolté George Sand.

Mais c’est en outre Dessauer lui-même qui, usant des droits de son ancienne amitié, s’adressa à elle, lui demandant simplement et franchement si elle croyait qu’il pût parler d’elle comme le prétendait Heine. Voici la lettre inédite qu’il lui écrivit à ce propos, que nous avons retrouvée dans les papiers de George Sand :

Gratz (en Styrie), 10 novembre 1854.

Il y a un petit siècle, madame, que le musicien allemand, honoré par vous d’un accueil amical et du nom flatteur de Crishni[1], a

  1. Bauernfeld assure dans ses Souvenirs que ce sobriquet resta à Dessauer, depuis le jour où il chanta devant Mme Sand une chanson hindoue. Nous