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de trouver ne fût-ce qu’une étincelle de condoléance, et malgré son assertion de tout à l’heure qu’elle « ne pouvait parler ou du moins ne pouvait pas écrire », le 27 août Mme Sand récrit à Poncy et lui conte franchement sa rupture avec sa fille :

Je suis brouillée avec ma fille… Jusqu’à la veille de son mariage, elle a porté pendant deux mois le masque de tendresse, d’abandon, de sincérité[1] qui me rendait trop heureuse, et je ne suis pas née pour être heureuse. À peine mariée elle a tout foulé aux pieds, elle a jeté le masque. Elle a aigri son mari, qui est une tête ardente et faible, contre moi, contre Maurice, contre Augustine, qu’elle hait mortellement et qui n’a eu d’autre tort que d’être trop bonne et trop dévouée pour elle. C’est elle qui a fait manquer le mariage de cette pauvre Augustine et qui a rendu Rousseau momentanément fou en lui disant une calomnie atroce sur Maurice et sur elle… Elle a dix-neuf ans, elle est belle, elle a une intelligence remarquable, elle a été élevée avec amour dans des conditions de bonheur, de développement, de moralité qui auraient dû en faire une sainte ou une héroïne. Mais ce siècle est maudit et elle est l’enfant de ce siècle[2]. Il n’y a pas de religion dans son âme ; et à mesure que ses moyens de séduction lui ont procuré les joies funestes de l’orgueil et de vanité, elle a tout sacrifié à cet enivrement. Depuis deux ans surtout elle était sur une pente déplorable et m’imputait à crime de vouloir la retenir. Vous serez effrayé de la puissance de cette organisation terrible qui pouvait être magnifique, qui le deviendra peut-être un jour, si Dieu lui envoie une étincelle d’amour véritable, une goutte de la rosée du ciel, la tendresse !

Mais jusqu’ici tout est passion chez elle et passion glacée, ce qui est bien profond, bien inexplicable, et bien effrayant !…

Puis Mme Sand parle des cancans, des abominables potins qui l’envahissent de toutes parts, de la trahison des amis. Mais tout cela serait supportable ; la haine de sa fille, voici ce qui l’a terrassée, ce qui la torture. Cette malheureuse enfant a découvert, on ne sait trop où ni comment, « qu’en ce monde tous sont ou bourreaux ou victimes et s’est décidée à être bourreau ; c’est horrible » !

Mme Sand conte, en plus, un petit fait à propos de la vente

  1. Cf. avec Mlle Merquem, p. 292.
  2. Cf. avec Mlle Merquem, p. 301, et avec ce que nous avons dit plus haut, p. 566.