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les contrées inconnues de la Vallée Noire. Je n’étais jamais de la partie, parce que ces choses me fatiguent plus qu’elles ne valent. Quand je suis fatigué, je ne suis pas gai, cela déteint sur l’humeur de chacun et les jeunes n’ont aucun plaisir avec moi. Je ne suis non plus allé à Paris, comme je croyais le faire, mais j’ai eu une très bonne, occasion et très sûre pour envoyer mes manuscrits de musique ; j’en ai profité et n’ai plus besoin de me déranger[1]. Dans un mois je pense être de retour au square, où j’espère trouver encore Nowak[owski] ; je sais par Mlle de Rozières qu’il a déposé sa carte chez moi[2]. Je voudrais bien le voir ; malheureusement, ici, on ne le veut pas. Il va me rappeler bien des choses. Avec lui au moins je parle notre langue, car ici je n’ai plus Jean, et depuis le départ de Laure, je n’ai pas dit un mot de polonais. Je vous ai parlé aussi de Laure. Quoi qu’on lui ait témoigné de i’amabilité, on n’a pas gardé d’elle un bon souvenir. Elle ri a pas plu à la cousine et par conséquent au fils ; de là des plaisanteries, d’où on passe aux grossièretés et comme cela ne me plaisait pas, il n’est plus question d’elle du tout. Il faut avoir une bonne âme comme Louise pour avoir laissé ici un bon souvenir à chacun. Mon hôtesse m’a dit souvent devant Laure : « Votre sœur vaut cent fois mieux que vous. » À quoi je répondais : « Je crois bien… »

… Le soleil aujourd’hui est admirable : on est allé à la promenade en voiture ; je n’ai pas voulu accompagner, et je profite de ce moment pour être avec vous. Le petit chien « Marquis » me tient compagnie, il est couché sur le sofa… Je voudrais remplir ma lettre des meilleures nouvelles, mais je ne sais rien, sinon que je vous aime et encore que je vous aime. Je joue un peu, j’écris un peu aussi.

De ma sonate avec violoncelle je suis parfois content, parfois mécontent ; je la jette dans un coin, puis je la reprends. J’ai trois mazurkas nouvelles ; je ne crois pas qu’elles puissent être comparées aux anciennes… mais il faut du temps pour bien juger. Quand on les compose, il semble que ce soit bien ; s’il en était autrement, on n’écrirait jamais. Plus tard vient la réflexion et on rejette ou on accepte. Le temps est le meilleur juge, et la patience le meilleur maître…

Je ne me porte pas mal, parce qu’il fait beau. L’hiver ne s’annonce pas mauvais, et, en se soignant quelque peu, il passera comme le précédent et, grâce à Dieu, pas plus mal. Combien de personnes vont plus mal que moi ! Il est vrai que beaucoup vont mieux, mais à celles-là je ne pense pas.

  1. Dans sa lettre inédite à Poncy du 21 août Mme Sand écrit que « Chopin compose des chefs-d’œuvre, tout en niant qu’ils le sont… ».
  2. Joseph Novakowski, compositeur et pianiste polonais, passa à Paris l’hiver de 1846-47.