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les bois et les champs, en causeries et en jouant au billard, tandis que Louis Viardot avec Hippolyte et Gustave Papet s’amusent à « braconner », c’est-à-dire qu’ils chassaient à un moment où la chasse est encore défendue. Et le soir Pauline Viardot passait des heures entières au piano, à lire avec Chopin les partitions des vieux auteurs. Souvent elle repassait ainsi avec lui des opéras entiers, des oratorios ou des cantates, et ressuscitait, avec son incomparable et merveilleuse intuition de génie, le style et la manière des grandes œuvres depuis longtemps oubliées ou méconnues de la foule. Palestrina, le Porpora, Paisiello Marcello, Jomelli et Carissimi, Haendel, Gluck et Haydn, et même Orlando Lasso, Martini, Josquin de Pré et Durante, mais surtout Bach et Mozart ne quittaient point le pupitre, le Don Juan de Mozart étant, comme nous l’avons déjà dit, l’Evangile musical de Chopin, qu’il ne se lassait jamais de repasser, de relire et d’étudier[1]. Quant à George Sand, elle garda toute sa vie une adoration enthousiaste pour cette œuvre et ce n’est pas pour rien qu’elle fit servir la pièce de Molière et l’opéra de Mozart de pierre d’achoppement aux jeunes talents des héros de son Château des Désertes. C’était alors à Nohant un culte de l’art divin, un sacerdoce désintéressé, sans aucun but ni considération étrangers à l’art même, sans pose, ni souci de succès, d’effet produit, ou d’applaudissements. Et Chopin et Mme Viardot étaient, chacun dans son domaine, en même temps des génies novateurs et des prêtres de la Musique dans le plus haut sens de ce mot, des prêtres inspirés, exigeants envers eux-mêmes, ayant voué toute leur existence à cette seule grande idée, le sacerdoce de l’art ! Un génie artistique comme Chopin ne pouvait pas ne pas apprécier et admirer une nature d’artiste aussi rare, aussi sublime que celle de la jeune, Pauline Viardot, mariée depuis quelques mois à peine. George Sand, elle aussi, ne pouvait pas ne pas être charmée par cette incomparable artiste à

  1. Lorsque Chopin se préparait à donner un concert, il ne s’adonnait jamais à l’étude de ses œuvres à lui, qu’il allait exécuter, mais jouait quotidiennement le Clavecin bien tempéré et autres œuvres du grand maître de chapelle de Leipzig.