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Mais c’est au fond un droit que tout le monde possède, commence par répondre M. Mille, cette femme extraordinaire avait tout simplement une probité masculine, une santé superbe et le bon sens le plus clairvoyant. Le plus sage, c’est de la juger comme Chopin, qui souffrit certes, comme une femme abandonnée, mais garda de ses six mois de Majorque « une reconnaissance toujours émue ».

Puis voici ce que dit M. Mille, et que nous trouvons parfaitement vrai et bien pensé :

Je voudrais bien savoir, après tout, pourquoi nous trouvons tout naturel qu’un homme quitte une femme, alors que nous affectons d’être si fort scandalisés quand les rôles se renversent. On connaît la célèbre anecdote de Majorque. George Sand partant un jour d’orage à travers la pluie et le vent déchaînés, par pure joie de vivre, pour marcher, pour lutter contre les éléments ; Chopin, fou d’inquiétudes nerveuses, se disant : « Elle va mourir », composant l’admirable prélude en fiss moll et quand Lélia revint, tombant évanoui à ses pieds. Elle en fut peu touchée, fort agacée même, dit la Biographie (écrite par Liszt). Mais enfin, si vous êtes homme, imaginez que vous êtes monté à cheval, que vous reveniez ivre de grand air, le sang fouetté par la bonne pluie tiède et qu’une personne d’un sexe différent du vôtre vous fasse cette scène. Vous penserez : « Mon Dieu, que les femmes sont donc ennuyeuses ! » C’est ce qui arriva à George Sand. Et elle resta encore longtemps fidèle à sa passion morte, par indulgence, par charité peut-être, et surtout par instinct maternel, pour ne pas rendre malheureux « cet éternel malade… »

Il faudrait en effet se représenter, à la place de Chopin, une femme éternellement gémissante de l’incompréhension de son amant, et à la place de George Sand un homme s’étonnant de ces incompréhensibles caprices, chagrins et exigences de la part de sa maîtresse, de ces éternelles explications, disculpations et consolations, pour que tous ces malentendus entre Chopin et George Sand, éveillant tant de pitié pour Chopin et tant de condamnation pour George Sand, prissent une tout autre signification aux yeux de ces juges sévères. Et nous les entendons d’ici, ces juges, s’exclamant : « Ah ! ces femmes à nerfs et à scènes ! Ah ! combien nous comprenons qu’il l’ait lâchée… »

Quant à nous qui ne sommes ni les défenseurs, ni les détrac-