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Marceau, d’Orthez, Catherine de Médicis, et, s’il y a de la grandeur et de la poésie en Russie, je ne superpose pas là-dessus les idées de nos écrivains démocratiques. Restez dans vos journaux et laissez-moi croire qu’un Russe, dans sa peau de mouton et devant un samovar, est heureux au moins autant que notre portier.

« Voilà, belle dame, un échantillon de la belle France. On m’a dit éclectique, satirique, car on m’a supposé le cœur trop noble pour ne pas avoir été profondément affligé de la servitude de tout un peuple. Notez que le portier-libre de la place d’Orléans fera couper le cou à tout ce monde s’il devient président de section de la République.

« Oh ! tenez, il faut vivre chez soi, aussi loin des théories que des grands fleuves[1] !… »

Ces lignes moqueuses de Balzac relèvent le récit passablement plat de Lenz et lui donnent du relief. Mais si on relit attentivement ce même récit et les pages traitant de Chopin, qui le précèdent dans le livre de Lenz, alors, en outre de ces sentiments hostiles à l’égard de la Russie si caractéristiques chez George Sand, une autre impression s’impose. C’est la différence, l’opposition des deux natures : douceur presque féminine et retenue aristocratique, dans les manières de Chopin, — simplicité toute démocratique, absence de toute contrainte, droiture et même une certaine brusquerie presque masculine dans les allures de George Sand. Le livre de Lenz reflète inconsciemment ces divergences de nature, comme sur une plaque photographique apparaissent, à l’insu du photographe, non les lettres du document qu’il est en train de reproduire, mais les lignes et les caractères du texte primitif, tracés précédemment sur la même feuille et soigneusement grattés. À travers le récit si franchement pauvre de Lenz, sous son agaçante préoccupation de faire de l’esprit, apparaissent les traits des caractères, très importants pour le biographe, et nous trouvons fortuitement la clef de certains désaccords entre Chopin et Mme Sand. On a maintes fois signalé que les rôles étaient intervertis : George Sand était un caractère tout masculin, Chopin, une nature toute féminine. De plus, Chopin, avait reçu une éducation extrêmement soignée, suivie, régulière. Aurore Dupin

  1. H. de Balzac, Lettres à l’Étrangère, t. II, p. 285-286.