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Paris pour y prendre dans le monde la place qui lui appartenait comme veuve du comte de T… En retrouvant son premier et unique amour pur, — ce jeune homme qui fut aussi le seul homme qui l’ait aimée, — Isidora, par trop experte en matière d’intrigues amoureuses, ne peut se défendre de la tentation d’essayer encore une fois sa puissance sur cet homme. Elle réussit : bien que, sincèrement et profondément amoureux d’une autre femme, Jacques Laurent devient son amant. Mais l’ivresse sensuelle une fois dissipée, il ne peut se pardonner sa trahison envers la femme aimée ; Isidora se convainc une fois de plus que son âme blasée est incapable de ressentir la vraie tendresse, et qu’elle n’a fait que gâter son roman, resté inachevé, en voulant lui donner une conclusion. Leur faute a fait le malheur d’une troisième personne : Alice. Sans se l’avouer à elle-même, ne se trahissant ni par un geste ni par un mot, ce fier et grand cœur aime passionnément Jacques Laurent. Lorsqu’elle le prie de reconduire Isidora, elle ne songe nullement à lui imposer une épreuve : rien encore ne fut prononcé entre Jacques et Alice, ni l’un ni l’autre ne savent pas s’ils s’aiment. Alice sent néanmoins que toute son existence future dépend du retour de Jacques. S’il revient immédiatement, il a dit la vérité : son passé (c’est-à-dire Isidora) est mort pour lui, et Alice peut… l’aimer. Si non, tout est fini. Jacques ne revient pas avant minuit. Il se passe alors une scène émouvante par sa tragique simplicité : Jacques, revenu à la maison, torturé par le remords, ne peut dormir, il s’approche de la fenêtre et voit dans le crépuscule d’une nuit d’été une silhouette de femme aller et venir lentement sur la terrasse au fond du jardin. Il se passe une heure, deux heures, la silhouette va et vient toujours sans accélérer ni ralentir ses pas, avec la régularité méthodique d’un automate. Jacques s’endort ; il se réveille à l’aube, il regarde par la fenêtre : la femme silencieuse est toujours là. Enfin le soleil dore de ses premiers rayons la cime des arbres, et la femme mystérieuse qui avait marché sans trêve pendant toute la nuit, interrompt enfin sa marche machinale et se dirige vers la maison. Jacques reconnaît Alice,