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Le suprême but actuel de l’humanité étant la solution des grands problèmes sociaux, de la grande question de l’égalité, de la fraternité et de la solidarité générale, et sa solution pratique se présentant sous la forme de l’enseignement universel, de l’organisation du travail et de la garantie à tous des moyens d’existence, il est naturel que ce soient ceux qui y sont le plus intéressés qui vous en parlent : les ouvriers prolétaires.

La poésie, dit Mme Sand dans son article sur Lamartine utopiste, reflète les idées et les sentiments les plus vivaces de l’humanité. Si Lamartine lui-même, considéré par les uns comme un barde insouciant, accordant son luth sur n’importe quel mode, par les autres comme un froid égoïste et par les troisièmes comme un vaniteux politique, si lui aussi vient d’écrire des vers communistes, intitulés Utopie, où il déclare qu’aucune souffrance de l’humanité ne peut lui être étrangère, qu’il souffre et se tourmente pour tous et voit sa vocation dans cette union avec l’humanité, — qu’y a-t-il alors de surprenant que les poètes populaires élèvent à présent leur voix ? Le sentiment de la vie, de l’avenir, de la perfectibilité, de l’égalité est à cette heure dans toutes les nobles âmes, poètes célèbres ou rimeurs prolétaires, et la parole de la vérité sur toutes les lèvres, depuis M. de Lamartine jusqu’à Savinien Lapointe…

Il est injuste d’exiger, dit Mme Sand dans ses Dialogues familiers sur la poésie des prolétaires, que récemment entré dans la carrière littéraire, le prolétaire dise d’emblée une « nouvelle parole » tout originale et irréprochable, ne copiant personne. On ne peut pas exiger de lui ce qu’on n’exige point des poètes des autres classes. Nommez donc quelque poète mondain contemporain qui n’eût jamais contrefait tantôt Othello, tantôt les héros espagnols de Caldéron et tantôt quelque « sombre et féroce pacha ». Or, si les hommes, depuis longtemps habitués à manier la langue, copient les idées d’autrui, qu’y a-t-il d’étonnant que le jeune « quatrième ou cinquième état », commençant sa carrière, imite aussi de beaux originaux, tels que Lamartine (comme Beuzeville), ou Béranger (comme Poncy). Mais si parmi les poètes populaires il y en a qui chantent sur des ans qui leur