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pensais que quelques mois passés dans l’éloignement et le silence guériraient cette plaie et rendraient l’amitié calme, la mémoire équitable…

Immédiatement après ces lignes, George Sand dit : « Mais la Révolution de février arriva et… » et ainsi de suite, comme si l’incident à propos de Maurice s’était produit juste avant les journées de février. Ce n’est qu’une rencontre toute fortuite dans un même passage, dans une même ligne, de deux faits séparés par presque deux années de distance, car nous savons que la querelle entre Chopin et Maurice n’eut pas lieu à la veille de la Révolution de février, ou même dans l’été de 1847, mais bien réellement au commencement de l’été 1846. Relisons un autre passage de l’Histoire (précédant celui-là, venant immédiatement après les lignes citées dans le chapitre v et peignant les exigences outrées de Chopin par rapport à la « nature humaine », les « engouements et désillusions » qui en résultaient, sa sensibilité extrême par rapport à toute chose grossière ou inélégante, à toute ombre, toute tache chez les personnes qu’il fréquentait).

On a prétendu que dans un de mes romans j’avais peint son caractère avec une grande exactitude d’analyse. On s’est trompé, parce que l’on a cru reconnaître quelques-uns de ses traits, et procédant par ce système, trop commode pour être sûr, Liszt lui-même dans une Vie de Chopin un peu exubérante de style, mais remplie cependant de très bonnes choses et de très belles pages, s’est fourvoyé de bonne foi.

J’ai tracé dans le Prince Karol le caractère d’un homme déterminé dans sa nature, exclusif dans ses sentiments, exclusif dans ses exigences.

Tel n’était pas Chopin. La nature ne dessine pas comme l’art, quelque réaliste qu’il se fasse. Elle a des caprices, des inconséquences, non pas réelles probablement, mais très mystérieuses. L’art ne rectifie ces inconséquences que parce qu’il est trop borné pour les rendre.

Chopin était un résumé de ces inconséquences magnifiques que Dieu seul peut se permettre de créer et qui ont leur logique particulière. Il était modeste par principe et doux par habitude, mais il était impérieux par instinct et plein d’un orgueil légitime qui s’ignorait lui-même. De là des souffrances qu’il ne raisonnait pas et qui ne se fixaient pas sur un objet déterminé.