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par une lampe spéciale. Chopin devait ne rien avoir entendu ; il était retourné auprès de la table de la maîtresse de la maison.

Pauvre Frédéric ! Combien il me faisait pitié, le grand artiste !

Le lendemain le portier de mon hôtel, M. Armand, me dit : « Un monsieur et une dame sont venus : je leur ai dit que vous n’y étiez pas, vous ne m’aviez pas dit de recevoir. Le monsieur a laissé son nom, il avait oublié ses cartes… Je lus : Chopin et Mme George Sand.

Deux mois durant j’ai gardé rancune à M. Armand……

Chopin me dit pendant la leçon : « George Sand (c’est ainsi qu’on avait donc l’habitude d’appeler Mme Dudevant) avait été avec moi chez vous ; quel dommage que vous n’y étiez pas ! je l’ai bien regretté ! George Sand croit avoir été impolie envers vous. Vous auriez vu combien elle peut être aimable, vous lui avez plu ! »

Cette visite dépendait assurément de la comtesse espagnole ; c’était une grande dame, elle avait bien sûr désapprouvé l’impolitesse, pensai-je. J’allai chez George Sand. Elle n’y était pas. Je demandai : « Comment s’appelle-t-elle donc cette dame effectivement, Mme Dudevant ? » « Ah, monsieur, elle a tant de noms ! » telle fut la réponse de la brave vieille concierge.

Dès lors je jouis d’une attention toute particulière de la part de Chopin. « J’avais plu à George Sand ! » c’était un diplôme ! George Sand me fit l’honneur d’une visite ! c’était un avancement.

Liszt ou Chopin, l’homme reste le même.

, « Vous avez plu », m’avait dit Liszt un mois plus tôt en parlant d’une dame du grand monde parisien à laquelle il avait toujours voulu plaire et avait toujours plu ! Quant à moi, je n’avais que redit à la dame les triomphes de Liszt à Saint-Pétersbourg, ce qu’il ne lui était pas commode de faire à lui-même.

C’est là que gît notre point d’attraction à nous tous, hic jacet homo

Ce qu’il y a d’intéressant dans ce récit, ce n’est certes point l’autoportrait de l’auteur, qu’il esquisse là, sans s’en douter le moins du monde, mais bien les sentiments hostiles dont George Sand fit preuve à l’égard de la Russie[1]. Et cela est absolument naturel et compréhensible non seulement de la part de l’amie de Chopin et de Mickiewicz, mais encore de la part du

  1. Lenz prétend même qu’un beau jour Chopin lui aurait dit qu’il n’avait qu’une chose à désapprouver en lui : sa qualité de russe. « Liszt ne l’aurait pas dit, ajoute Lenz, c’était borné, exclusif, mais cela donnait la clef de son être (à Chopin)… » Nous sommes loin de partager cet étonnement naïf de M. le conseiller d’État von Lenz !