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lentement, paisiblement et entourés, à toutes les stations, de nos amis, qui nous ont comblés de soins[1].

Ces « amis », outre les Du Plessy, déjà mentionnés, furent : Mme Mongolfier et M. Théodore de Seynes à Lyon, et à Nîmes, sauf Boucoiran, encore une certaine Mme Oribeau ou d’Oribeau (avec laquelle Mme Sand garda des relations plus tard). De Perpignan, nos voyageurs, réunis, se rendirent à bord du Phénicien par Port-Vendres à Barcelone, où ils passèrent quelques jours à parcourir la ville et les environs et où George Sand visita, entre autres, le palais de l’Inquisition en ruines, qui lui fit une impression foudroyante. Nous en retrouverons l’écho dans le chapitre iii du Voyage à Majorque qui renferme un morceau séparé intitulé : le Couvent de l’Inquisition, et dans celui de la Comtesse de Rudolstadt où parmi maintes épreuves imposées par les « Invisibles » à Consuelo pendant le noviciat qui précède son entrée à la loge de ces supra-maçons, il lui est enjoint de contempler, dans un souterrain du château, les vestiges des horreurs et des crimes jadis commis au nom de la religion du Christ par des hommes qui avaient négligé et dénaturé le suprême commandement du Sauveur.

À Barcelone, nos voyageurs s’embarquèrent sur l’El-Mallorquin qui les transporta à Majorque. La traversée fut des plus heureuses et des plus poétiques.

Lorsque nous allions de Barcelone à Palma, par une nuit tiède, sombre, éclairée seulement par une phosphorescence extraordinaire dans le sillage du navire, tout le monde dormait à bord, excepté le timonier, qui, pour résister au danger d’en faire autant, chanta toute la nuit, mais d’une voix si douce et si ménagée qu’on eût dit qu’il craignait d’éveiller les hommes de quart, ou qu’il était à demi endormi lui-même. Nous ne nous lassâmes point de l’écouter, car son chant était des plus étranges. Il suivait un rythme et des modulations en dehors de toutes nos habitudes, et semblait laisser aller sa voix au hasard, comme la fumée du bâtiment, emportée et balancée par la brise. C’était une rêverie plutôt qu’un chant, une sorte de divagation nonchalante de la voix, où la pensée avait peu de part, mais qui sui-

  1. Correspondance, t II, p. 110.