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croit tenir la science religieuse, politique et sociale, et qui s’annonce avec beaucoup d’audace comme possédant un dogme, une organisation, un principe de subsistance ; c’est beaucoup dire ! Cette admirable cervelle a touché, je le crains, la limite que l’humanité peut atteindre. Entre le génie et l’aberration, il n’y a souvent que l’épaisseur d’un cheveu[1]. Pour moi, après un examen bien sérieux, bien consciencieux, avec un grand respect, une grande admiration, et une sympathie presque complète pour tous ses travaux, j’avoue que je suis forcée de m’arrêter, et que je ne puis le suivre dans l’exposé de son système. Je ne crois pas d’ailleurs aux systèmes d’application a priori. Il faut le concours de l’humanité et l’inspiration de l’action générale[2]. Enfin, lisez et dites-moi si j’ai tort et si vous me croyez dans le vrai. Je tiens beaucoup à votre jugement. J’en ai même besoin pour sonder encore le mien propre. Je vous demande donc de donner deux ou trois heures à cette lecture et d’en consacrer encore une ou deux s’il le faut à résumer pour moi votre opinion. Ne craignez pas de me faire payer un gros port de lettre. Je n’ai pas encore discuté avec Leroux, j’étais tout occupée de l’écouter et de le faire expliquer. Et puis il était aujourd’hui dans une sorte d’ivresse métaphysique, et il n’eût rien entendu.

Adieu, mon ami ; permettez-moi d’affranchir ce paquet, que je vais grossir de ma réponse à miss Hays. Je ne me souciais pas de répondre, je l’avoue. Une personne qui avait débuté par des altérations ne me paraissait pas très bien venue à me demander une consécration de la fidélité de sa traduction. Et puis, il me semblait que mistress Ashurst, votre amie, ayant traduit aussi quelque chose, je ne devais pas créer à une autre un monopole. Je conclus de votre lettre que mistress Ashurst a renoncé à ce travail et je fais ce que vous me dites. Mais je vous envoie une lettre à miss Hays, pour que, réflexion faite, vous en agissiez comme vous trouverez bon.

Adieu encore, mon ami et mon frère. Bénissez-moi, j’en vaudrai mieux.

George.

L’affaire de la Lettre au Pape traîna donc en longueur, et c’est après de nombreuses délibérations et démarches que, grâce

  1. C’est nous qui soulignons cette pensée que George Sand émit ainsi bien avant Lombroso et presque simultanément avec Herzen (dans ses Mémoires du docteur Kroupow). Voilà le cas de dire ; les grands esprits se rencontrent !
  2. Encore quelque chose que George Sand n’a pu écrire qu’à un moment où la foi à « l’action générale » vivait encore en son âme avant que l’épreuve néfaste ne la détruisît.