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d’une beauté dont je ne peux pas te donner l’idée. Il est calme, doux, tendre, enthousiaste, lyrique, c’est l’idéal du personnage et la salle croule sous les applaudissements du dernier acte. Il ne joue plus de violon, c’est Juliette qui joue un solo de harpe (censé) et Anselme qui joue du violon ensuite. Tout cela dans le fond avec des musiciens postiches, et pendant ce temps-là, Rouvière fait une pantomime ébouriffante qu’on applaudit à tout rompre. Il m’a fallu tâtonner cet effet, mais il est venu magnifique. Pour moi ce n’est pas là le merveilleux du talent de l’acteur, c’est la diction des moindres mots qui sortent de lui suaves et profonds. C’est le plus grand acteur qui existe aujourd’hui à Paris, et je crois que le public arrive à s’en apercevoir. Avec cela il est arrangé à ravir. Il est pâle, propre, doux, fantastique, beau comme un Kreysler d’Hoffmann. Quel joli personnage à peindre ! Les artistes en sont fous. La représentation de ce soir a été superbe comme argent et comme succès (d’Odéon). La presse est bonne jusqu’à présent et on croit à un vrai succès. Quel qu’il soit quant au profit, il est réel et certain dans l’opinion, et le ministre demande une nouvelle pièce pour les Français. J’ai vendu le manuscrit à la Librairie Nouvelle. Je vas m’occuper de Charton[1] et de Falempin[2] pour toi, voir l’industrie, voir Mirés[3] qui fait enrager M. Collier[4], dîner chez Girardin, etc. Je ne crois pas pouvoir partir avant lundi prochain, car je n’ai encore pu rien faire en dehors de Favilla. Tu sais qu’à l’Odéon il faut s’occuper de tout. Ils sont plus fafiots et lambins que jamais, mais toujours si gentils qu’on ne peut se fâcher…

… Manceau t’embrasse, sa colique de première représentation est passée. Porte-toi bien.

George Sand exprimait presque dans les mêmes termes son admiration pour le jeu de Rouvière dans la Préface pour l’édition de la pièce qu’elle lui dédia à cette occasion. L’auteur y remercie l’artiste surtout pour avoir par son jeu rendu véridique, réel et possible ce type idéal de Favilla, d’avoir, d’un personnage que l’auteur avait fait simple et bon, fait un personnage grand et poétique, doué d’ « une physionomie que les poètes et les peintres ont comparée avec raison aux types saisissants et touchants des plus belles légendes d’Hoffmann » et d’avoir ainsi

  1. Édouard Charton.
  2. Homme d’affaires de Mme Sand.
  3. Jules-Isaac Mirès, grand brasseur d’affaires (1809-1871).
  4. Collier l’éditeur. V. le chap. suivant.