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vous me le proposez, ce manuscrit. Je pourrai faire des calculs d’impression et de librairie, sur les deux formats dont vous me parlez, et sur les chances de vente. Et alors je vous répondrai en connaissance de cause.

Mon avis moral est qu’il est absurde et déplorable que le Journal ou Revue de Buloz soit l’arbitre de vos publications. Avez-vous lu, dans le dernier numéro de cette Revue, une dénonciation en forme contre les idées qui se répandent aujourd’hui sous le nom de communisme, idées dont vous et moi sommes regardés comme des fauteurs, et avec raison ; car, chère amie, sans le savoir, vous êtes communiste et je suis communiste. (Il n’y a que M. de Lamennais qui ne veut pas l’être, en quoi il a tort, et montre qu’il est arrivé au bout de son rouleau.)

C’est le peuple ou quelques écrivains du peuple, qui ont trouvé ce nom de communiste. Ce mot fait fortune. Le communisme en France est l’analogue du chartisme en Angleterre. J’aimerais mieux communionisme qui exprime une doctrine sociale fondée sur la fraternité, mais le peuple qui va toujours au but pratique a préféré communisme pour exprimer une république où l’égalité régnerait. Ce mot, qui prend partout, à Lyon comme à Paris, à Rouen comme à Carcassonne, n’est pourtant qu’un mot, une tendance, faute d’une véritable doctrine capable de réaliser le problème Liberté, égalité, fraternité. Aussi les communistes se divisent-ils en trois ou quatre doctrines plus ou moins absurdes et de leur sein sortent des écrits, dont quelques-uns sont vraiment insensés. Je ne vois donc aucune nécessité à prendre pour notre compte le nom dont Buloz vous fait si grand’peur, mais il n’y a non plus aucune raison pour le rejeter. Pour revenir à la Revue, avez-vous lu ce monsieur de Carné dénonçant les écrivains aux parquets ? Il y a un mot pour vous ; vos romans sont signalés dans son réquisitoire. Voyez donc l’intrigue de ce Buloz et le rôle qu’il se permet de vouloir vous imposer. Il fait dénoncer vos romans (le Compagnon du tour de France surtout, bien évidemment) et il vous amènerait, par des corrections et des mutilations, à pouvoir entrer dans son cadre moral et politique, dans sa Revue vendue, à passer sous ses fourches patibulaires et par conséquent à appuyer vous-même indirectement la dénonciation de M. de Carné… contre nous, contre le peuple, contre vous-même !

Chère amie, tout cela mérite grande attention. Il y a longtemps que vous sentez comme moi votre position dans cette misérable boutique où se sont conclus tant de marchés ignobles et où la littérature s’est prostituée comme Buloz l’a voulu. Vous échappez à tous les soupçons par votre grandeur. Mais votre réputation de caractère y perd beaucoup. Cent fois j’ai entendu vos partisans de cœur déplorer