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avez repoussé les accusations que des personnes ont dirigées, non pas déloyalement, je le crois, mais aveuglément contre M. Leroux. De même que Luc, j’aime M. Leroux de toute mon âme et je le respecte saintement. Chaque fois que M. Leroux a été attaqué en ma présence, je l’ai défendu avec énergie, parce que j’étais profondément convaincu que ces attaques étaient toutes gratuites ; cependant, je l’avoue et je m’en repens, lorsqu’on m’a dit que M. Leroux vous avait trompée et que vous étiez désormais en garde contre lui, je me suis senti ébranlé et le doute a déchiré mon cœur affreusement. À mon âge, les déceptions peuvent être mortelles au moral, elles sont toujours extrêmement douloureuses. Si vous eussiez confirmé les faits que l’on ose imputer à M. Leroux, je n’eusse certainement point abandonné ses idées, car elles ont pris racine en moi pour toujours, mais j’aurais perdu l’enthousiasme qui élève l’âme et produit les grandes choses. Peut-être même serais-je resté méfiant envers tous ceux qui me sont chers, et j’ai besoin de croire à la sincérité et à l’amitié, car je ne saurais vivre sans aimer et estimer quelqu’un. Vous voyez, madame, quel bien m’ont fait vos paroles et combien je dois vous en savoir gré. Je suis sûr maintenant d’être invulnérable aux traits dirigés contre M. Leroux et contre les autres personnes qui possèdent ma sympathie.

Les conseils que vous avez donnés à Luc m’étaient nécessaires aussi, car j’étais résolu, comme lui, à partir pour Boussac, et je cherchais les moyens de le faire sans que ma famille eût à en souffrir. J’ai donc à vous remercier encore de ces conseils, puisque j’en prends ma part et que je veux les suivre. J’attendrai, en effet, le moment où je pourrai être de quelque utilité véritable à M. Leroux pour lui offrir mes faibles services. En attendant, je lui ferai de la propagande autant que possible et je m’associerai avec Luc pour réaliser ensemble le projet qu’il devait exécuter à Limoges avec un autre de ses amis.

Soyez assez bonne, madame, pour me pardonner de vous avoir entretenue de moi. Je n’ai eu d’autre intention que de vous mettre à même d’apprécier le double service que vous m’avez rendu.

J’ai l’honneur d’être, madame, avec une haute considération, votre humble et tout dévoué serviteur.

Émile Aucante.
La Châtre, le 30 novembre 1844.

On voit que tout en s’exécutant bravement, ne reculant devant aucun sacrifice personnel pour la bonne cause, Mme Sand se rendait déjà compte des misères et des dangers qu’on pouvait encourir à lier son sort à celui de Leroux : elle savait à l’oc-