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mois de juin, en nombreuse compagnie aux courses de Mézières-en-Brenne, fondées par le Cercle hippique de Mézières. L’un des compagnons de cette partie de plaisir, qui laissa les plus joyeux souvenirs chez tous ceux qui y prirent part, fut Victor de Laprade. Il avait gagné tous les cœurs à Nohant, et surtout celui de Solange qui se querellait à tout propos avec lui, lui faisait mille agaceries et ne semblait pas insensible à ses prévenances. C’est à cet épisode que se rapporte une très longue et très intéressante lettre de George Sand à M. de Laprade dont nous devons citer la plus grande partie[1] :

Maintenant, causons d’autre chose, de vous, par exemple. Vous avez dû profiter de ces deux ou trois jours de chaleur qui viennent de passer et qui nous ont fait plaisir, parce qu’ils nous rappelaient la Brenne et ce joyeux épisode dont notre vie casanière et uniforme a été si gracieusement traversée. Vous avez dû barboter dans toutes les eaux dont vous êtes susceptible ; vous ne trouverez à Nohant ni fleuve, ni cours d’eau digne du nom de rivière, mais un ruisselet, un rio, comme disent nos paysans, l’Indre, que l’on enjambe pendant l’été, et qui, l’hiver, devient parfois large et impétueux comme le Rhône à Lyon. On ne croirait jamais cela à le voir dans son habit d’été. Il n’y a rien de si tranquille, de si humble, de si caché sous le feuillage, de si bon enfant quand il se promène, la canne à la main, à travers nos prés. C’est une baignoire de poche, mais elle est bien jolie, bien claire, courante, ombragée, avec des monticules de sable pour s’asseoir et fumer son cigare en voyant courir les goujons, des iris, des joncs et des demoiselles. Ah ! quelles demoiselles ! Vous en seriez fou et il y en a par milliers. Je ne parle pas des miennes. Celles qui voltigent sur l’Indre ont le corsage encore plus fin, des ailes d’or, d’azur, d’émeraude. Elles ne pincent ni n’égratignent, elles ne font aucun tort aux cravates, elles ne volent pas les lorgnons, elles ne cassent point les cannes. Elles fuient et reviennent sans cesse ; en cela elles sont femmes, mais elles ne mettent pas deux heures et demie à leur toilette[2]. Elles naissent et meurent, parées et splendides comme les lys des champs. Pour les approcher et les admirer sur les herbes du rivage, je me flanque souvent dans des trous, car l’Indre vous en a d’assez perfides, mais cela ne me corrige pas, je fais ce que vous ferez

  1. Cette lettre ne fait pas partie de la Correspondance et fut imprimée sans date ni indication de destinataire dans la Vie parisienne de 1 er juillet 1876.
  2. Allusions très transparentes à Solange.