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fut élevée au contraire à l’aventure, ballottée entre deux extrêmes contradictoires, sans aucune suite ou système (on peut dire que ce fut un manque de toute vraie éducation). Mais sans parler du passé, les milieux où se mouvaient depuis leur liaison le grand musicien et la romancière étaient parfaitement dissemblables. Chopin vivait presque exclusivement entouré d’artistes de grand talent, d’hommes d’un esprit et d’un goût raffinés, ou dans les cercles de l’aristocratie polonaise, française et étrangère. La première nourrissait des rêves de liberté, mais de liberté nationale et nullement sociale ; la seconde se composait de purs légitimistes. Quant à Mme Sand, elle était alors presque exclusivement entourée de révolutionnaires, de démocrates d’opinions et de naissance : tout les dénonçait : leurs habitudes, leurs manières et leur langage. Musset avait déjà été choqué par le laisser aller et les manières passablement grossières des amis berrichons de la grande femme. Il fallait à présent leur ajouter Leroux : Chopin admirait sa doctrine, mais sa malpropreté et sa chevelure mal peignée l’horripilaient[1]. Il n’était pas le seul ! La maison de George Sand était encore fréquentée par une foule de « prolétaires », poètes ou non ; de camarades d’atelier de Maurice, rappelant très peu par leurs manières et leurs allures leur professeur Delacroix, ce dandy accompli. On y voyait aussi des membres de l’allègre confrérie des tréteaux, qui n’étaient souvent que des bohèmes fort débraillés. On y rencontrait aussi certains parents de la mère et du demi-frère de George Sand, dont nous aurons à parler plus loin. Dans une lettre de Mrs Elisabeth Browning-Barrett[2] qui visita George Sand en 1852, nous trouvons la page que voici, qui, selon nous, peint parfaitement le milieu dans lequel se mouvait George Sand, aussi bien en 1842-1847 qu’en 1852 :

Je n’ai pu aller chez elle avec Robert[3] que trois fois, et un jour elle n’y était pas. Il a été vraiment bon et aimable de m’y laisser

  1. On peut lire dans les souvenirs de Thoré (Notes et souvenirs de Théophile Thoré, 1807-1869, Nouvelle revue rétrospective, 1898) combien Leroux était malpropre et désagréable à voir lorsqu’il mangeait.
  2. Femme poète anglaise fort connue (1805-1865).
  3. Robert Browning, mari de Mrs Barrett, poète et écrivain lui-même (1812-1889).