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pratique de la culture et du jardinage. Nous avons fait ainsi une foule d’expériences décisives. Mes deux autres gendres, Desages et Auguste Desmoulins, ont ouvert en ville une école pour des enfants, laquelle est en voie de prospérité. Enfin tous ont fait ce qu’ils ont pu.

Voici Noël qui vient ; c’est aujourd’hui le moment d’affermer un peu de terre, car ce que mon frère Jules en occupe est trop exigu pour nourrir sa seule famille. J’ai résolu de louer une douzaine d’hectares de terrain à bon marché au bord de la mer et à proximité de la ville pour y faire à la fois de l’agriculture et une fabrique de cirage, d’encre et de guano. J’ai tous les travailleurs qu’il me faut pour cela, des procédés certains et éprouvés, un commencement d’exécution ; car dès à présent je fabrique et vends ces produits. Le succès me paraît assuré Ici l’agriculture consiste presque uniquement à nourrir des vaches, dont le lait se vend à la ville : le débouché est donc sûr. Il l’est aussi pour le cirage, que jusqu’ici l’on faisait venir d’Angleterre, et que je fabrique par un procédé nouveau et à un prix incomparablement moindre que tous ceux qui en ont fait, soit en France, soit en Angleterre. Je dirai la même chose de l’encre ; quant au guano, la Société d’Agriculture de Londres a proposé un prix de vingt-cinq mille francs pour celui qui découvrirait ce que précisément j’ai trouvé. Mais cette société a mis pour condition l’établissement d’une fabrique capable de livrer ce produit à un prix déterminé. Dans tous les cas, il n’est pas un produit plus recherché en ce moment, soit en Angleterre, soit en France que le guano du Pérou, et je trouverai facilement à vendre l’imitation que j’en fais.

Mais ce projet, qui m’occupe depuis bien des mois, et pour lequel j’ai tout préparé, est comme la statue de Prométhée, il est d’argile. Que faut-il pour y mettre ou lui mettre le feu ? Un peu d’argent. Si le comte de Raousset avait eu un canon, peut-être aurait-il conquis le Mexique.

Je ne viens pas vous demander d’emprunter mon artillerie à l’arsenal que la Presse vous suppose. Je ne crois pas à ces annonces d’éditeurs. Je crois que vos Mémoires seront lus sur le globe tout entier, mais vous serez longtemps avant d’en retirer le profit qu’on vous prête.

D’ailleurs, je sais combien vous avez de devoirs et de charges et vous en avez peut-être plus que je n’en soupçonne. Mais je viens vous soumettre une question.

Vous savez que Desages aura quelque fortune ; il a plus de trente ans et il a deux enfants : le droit ultérieur à cet héritage est donc bien assuré. Depuis dix ans que Luc s’est attaché à moi, son père en a usé avec lui fort peu libéralement. J’ai assurément beaucoup plus fait pour lui, même matériellement, que sa famille. Enfin, en ce moment, il reçoit de cette famille une petite pension de deux à trois cents francs