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les vagabonds et les bohémiens de tontes sortes, aux dépens des « vils bourgeois » ou des aristocrates froidement raffinés, menant une vie laborieuse ou fainéante, mais calme et réglée. De là toutes les variantes des Carmen, des Esmeralda, des Consuelo et des Petites Fadettes. Tévérino présente au lecteur le contraste des deux natures : celle d’un fils du peuple, nature spontanée, douée de tous les talents et de tous les dons de l’esprit, mais mal élevée, mal équilibrée, ne s’élançant vers le beau qu’instinctivement et menant une vie désordonnée de vagabond, de vrai bohème, et celle de deux représentants de l’aristocratie, instruits, d’une éducation parachevée, mais toujours froidement réfléchissants, incapables de jouir librement de la vie, empoisonnés par l’amour-propre et le scepticisme.

Nous venons de faire connaissance avec l’amoureux de la vie en plein air, le généreux, insoucieux et ingénieux Huriel.

Tévérino, c’est encore Huriel, mais apprêté d’une autre manière, c’est Huriel sans sa cornemuse, sans ses mulets, ni poussière de charbons, ni bûchage dans les montagnes du Bourbonnais, ni usages marchois, bref, un Huriel sans couleur locale. Mais il est évident que cet Huriel, nouvelle édition, est un spécimen d’autant plus brillant de la tribu des adorables vagabonds-artistes.

Le jeune aristocrate Léonce voulant distraire la capricieuse dame de ses rêves, lady Sabina G… qui se meurt d’ennui, arrange une fantastique excursion où tout doit être imprévu, donc intéressant pour la belle blasée. Chemin faisant, Léonce enlève un curé de village, amateur de la bonne chère, la jeune sœur d’un contrebandier, Madeleine, qui possède le don d’apprivoiser les oiseaux et passe, comme la petite Fadette, pour sorcière, et enfin le beau chemineau Tévérino. Ce Tévérino, grâce à sa belle stature et à sa figure plus belle encore, avait été modèle, et avait acquis chez les peintres des notions sur les arts. Il sait prendre des poses plastiques, dans le style du Michel-Ange, dans le genre antique, ou encore à la Raphaël, à la Giulio Romano, etc., et il disserte sur l’art pas plus mal qu’un professeur d’esthétique. Il a encore été chanteur d’opéra