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« Je sens bien que je te serai une mère véritable, car j’ai besoin d’une fille[1]… » Et cette fille Mme Sand la trouva effectivement dans cette « petite Italienne — nera, nera, chantant adorablement de sa voix de contralto fraîche et veloutée, nature chaude et généreuse, bonne et emportée, toujours prête à rire ou à pleurer, » cœur spontané, esprit éveillé, s’intéressant à toutes les questions scientifiques ; tantôt lisant avec ardeur des traités d’archéologie, des brochures politiques et des romans à clef, Darwin et Flaubert, Renan et Lyell, et tantôt s’adonnant avec la même ardeur à l’art culinaire, à la confection de robes d’enfants, à la préparation de toutes sortes de surprises pour tous ses proches, se livrant à des sorties véhémentes contre tout ce qui lui paraissait « obscurantisme » et défendant avec la même véhémence les idées qui lui étaient chères. Oui, cette nouvelle fille fut de tous points une fille selon le cœur de Mme Sand. Quant à Lina, elle disait plus tard franchement : « Oh ! j’ai bien plus épousé George Sand que Maurice Sand, je me suis mariée avec lui, parce que je l’adorais, elle. » Et cette adoration, cette vénération, ce chaud amour filial, Lina le garda pour George Sand tant qu’elle vécut et même après sa mort ! Elle voua sa vie entière à son service, au culte de sa mémoire. Mme Sand trouva par elle et en elle tout ce qui lui avait tant manqué depuis la mort de son aïeule, ce que ni sa mère, ni son mari, ni même son fils, ni surtout sa fille n’avaient su lui témoigner : une sollicitude toujours égale et active, un souci constant de la préserver des ennuis matériels de la vie, des soins ininterrompus, continuels, la volonté de prévenir tous ses désirs. Mme Sand trouva en Lina quelque chose de plus encore : la réalisation de ce qu’elle prêchait dans ses œuvres et de ce qu’elle prenait comme thème favori de ses romans : un être s’oubliant pour les autres, et cependant nullement ordinaire, nullement effacé, un cœur d’une loyauté rare, une nature d’élite se distinguant par ses goûts artistiques, ses aspirations intellectuelles, sa spontanéité, sa sincérité, son abnégation. Lina Sand se disait avec tant de bonne foi « la plus ordinaire, la plus simple

  1. Lettre du 31 mars 1862. (Correspondance, t. IV.)