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datées de cet automne, elles renferment des détails importants.

Dans la lettre du 9 août[1], après quelques lignes consacrées au voyage manqué de la famille Poncy à Nohant, — voyage que Mme Sand semble elle-même avoir retardé, — elle écrit à Charles Poncy, devenu alors l’ami de toute la famille de Nohant, « qu’elle n’avait jamais été superstitieuse, mais qu’elle l’était devenue à force de malheur, depuis deux ans ». Puis elle s’exprime en ces termes sur les événements de cet été :

Tous les chagrins m’ont accablée par un enchaînement fatal[2] ; mes plus pures intentions ont eu des résultats funestes pour moi et pour ceux que j’aime ; mes meilleures actions ont été blâmées par les hommes et châtiées par le ciel comme des crimes. Et croyez-vous que je sois au bout ? Non ! Tout ce que je vous ai raconté jusqu’ici n’est rien, et depuis ma dernière lettre, j’ai épuisé tout ce que le calice de la vie a de désespérant. C’est même si amer et si inouï que je ne puis en parler, du moins je ne puis l’écrire. Cela même me ferait trop de mal. Je vous en dirai quelques mots quand je vous verrai. Mais si je ne reprends courage et santé jusque-là, vous me trouverez bien vieillie, malade, triste et comme abrutie. Voilà aussi, mon enfant, pourquoi je n’ose pas appeler Désirée avec l’ardeur que j’y avais mise avant tous mes chagrins. Je crains que cette chère enfant ne me trouve toute différente de ce que vous lui avez dit de moi, et que le spectacle de mon abattement ne la froisse et ne la consterne. J’étais, quand vous m’avez vue, dans un état de sérénité à la suite de grandes lassitudes. J’espérais du moins, pour la vieillesse où j’entrais, la récompense de grands sacrifices, de beaucoup de travaux, de fatigues et de vie entière de dévouement et d’abnégation. Je ne demandais qu’à rendre heureux les objets de mon affection[3]. Eh bien ! j’ai été payée d’ingratitude, et le mal l’a emporté dans une âme dont j’aurais voulu faire le sanctuaire et le foyer du beau et du bien. À présent je lutte contre moi-même pour ne pas me laisser mourir. Je veux accomplir ma tâche jusqu’au bout. Que Dieu m’assiste ! je crois en lui et j’espère !…

Mais n’ayant pas rencontré la moindre sympathie chez Mlle de Rozières, souffrant cruellement dans son isolement moral, avide

  1. Corresp., t. II, p. 371.
  2. Allusion très transparente au lien existant entre la rupture avec sa fille et celle avec Chopin, et finalement entre elles et la malheureuse histoire du mariage manqué d’Augustine.
  3. Cf. avec la page 466 de l’Histoire de ma vie et les lignes précitées : de la Lucrezia Floriani.