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Il n’en est pas moins certain que la manière dont elle décrivit cet enterrement de Sainte-Beuve et la silencieuse ovation dont elle-même y fut l’objet, marquait clairement à quoi elle avait attribué cette manifestation respectueuse. Mme Sand y souligne très nettement que cette manifestation était « un mouvement général d’estime pour le caractère plus que pour la réputation… », c’est-à-dire qu’il s’adressait à son courage et à la dignité de sa conduite habituels la faisant toujours bravement agir d’accord avec ses opinions et sa foi[1].

… Je me suis levée à 8 heures pour aller enterrer le pauvre Sainte-Beuve,

Tout Paris était là, les lettres, les arts, les sciences, la jeunesse et le peuple ; pas de sénateurs ni de prêtres. J’y ai vu Girardin qui a dit à Solange que son roman était très bien, et qui l’a beaucoup encouragée à continuer ; Flaubert qui était très affecté ; Alexandre ; son père qui ne marche plus ; Berton, Adam, Borie, Nefftzer, Taine, Trélat, le vieux Grzymala, Prévost-Paradol, Ratisbonne, Arnaud (de l’Ariège), catholique. Des athées, des croyants, des gens de tout âge, de toute opinion, et la foule.

La chose finie, j’ai quitté tout ce monde officiel pour aller trouver ma voiture ; alors en rentrant dans la vraie foule j’ai été l’objet d’une manifestation, dont je peux dire que j’ai été reconnaissante, parce qu’elle était tout à fait respectueuse et pas enthousiaste : on m’a escortée en se reculant pour me faire place et en levant tous les chapeaux en silence. La voiture a eu peine à se dégager de cette foule qui se retirait lentement, saluant toujours et ne me regardant pas sous le nez, et ne disant rien. Adam et Plauchut qui m’accompagnaient pleuraient presque et Alexandre était tout étonné.

J’ai trouvé cela mieux que des cris et des applaudissements de théâtre, et j’ai été seule l’objet de cette préférence. Il n’y avait pour les autres que des témoignages de curiosité. Plauchut m’a fait promettre de te raconter cela bien exactement, disant que tu en seras content, parce que c’était comme un mouvement général d’estime pour le caractère plus que pour la réputation[2]

  1. Dans le vol. V de la Correspondance, p. 323, la lettre de George Sand. décrivant cet enterrement civil de Sainte-Beuve est faussement datée du « 17 octobre », elle est du 5 octobre 1869.
  2. Feu notre ami M. Plauchut, en nous racontant cette manifestation, ne pouvait retenir ses larmes, à tel point les impressions ressenties ce jour-là l’émouvaient encore. Il répétait : « Jamais je n’ai rien vu de pareil ; de ma vie je n’ai rien vu de pareil. »