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elles. C’est, de leur part, une espèce de daltonisme moral.

Maupassant a peint le sort tragique d’une femme dont la beauté vieillit avant le cœur et qui ne peut pas se résoudre à perdre son amour. George Sand semble avoir su vieillir. Nous avons une œuvre d’elle dans laquelle nous trouvons comme un écho de réflexions amères qui se rattachent à ce moment de sa vie. C’est Isidora, écrite en 1844-45.

Isidora est une œuvre assez faible. Elle manque d’homogénéité, et la charpente en est imparfaite, surtout au début du roman où, sous forme d’extraits de deux cahiers de Jacques Laurent, — son journal intime et son travail littéraire, — nous sont présentées les propres doctrines et les propres pensées de l’auteur sur les femmes, leur rôle dans la société contemporaine, leur éducation en particulier, l’éducation des enfants en général, etc.[1]. L’auteur semble croire que cette exposition de ses idées générales sert à nouer l’intrigue. Mais le lecteur reste interdit et se demande ce qu’il doit conclure de toutes ces théories. Doit-il les prendre au pied de la lettre, les considérer comme des idées que l’auteur expose catégoriquement comme absolues, ou bien n’est-ce qu’un moyen de peindre Jacques Laurent, de pénétrer au plus profond de son être ? Ces idées nous frappent pourtant par leur profondeur, leur droiture, leur force de protestation contre l’ordre de choses actuel. Dès la seconde partie, changement de manière, et l’action du roman se développe en lignes brèves et concises : l’amour silencieux de la jeune veuve Alice S…, femme du plus grand monde, pour le précepteur de son fils, et l’amour caché de ce dernier pour elle ; la rencontre de Jacques Laurent avec son ex-maîtresse de quelques jours, la courtisane Isidora, devenue, par son mariage avec le frère d’Alice, sa belle-sœur, et fraîchement débarquée à

  1. Ces pensées, prises indépendamment du roman, rappellent beaucoup la lettre de Mme Sand à M. *** (Rollinat), datée de juin 1835 et imprimée dans le tome Ier de la Correspondance, ainsi que certaines pages du Journal de Piffoël, consacrées aux questions de l’éducation privée et publique. C’est, en même temps, la partie du roman qui fut surtout goûtée des contemporains, voire de certains contemporaines de l’auteur. Mme Hortense Allart de Méritens s’extasiait à propos de ces pages tout particulièrement… et pour cause !