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sciemment de déguiser la vérité aux yeux de Chopin, car elle faisait l’innocente et ne se lassait pas de se plaindre de l’ « accueil glacé de sa mère », de son manque de tendresse, de son isolement à elle, entre cette mère cruelle ne pensant qu’à s’amuser dans son théâtre et ce père inerte et égoïste ; elle ajoutait que seul « son petit Chopin » avait sympathisé à ses malheurs. Solange ne se tait sagement que sur un point : Chopin ne prit à cœur la position précaire de cette jeune personne malheureuse, de cette martyre innocente, que parce qu’elle sut, avec une astuce infernale, retourner le fer dans sa blessure à lui, toujours saignante, qu’elle calomnia sa mère et se garda bien de dire à Chopin ce qu’elle-même et son mari firent à Nohant. Les lettres citées et celles que nous citerons encore expliquent clairement la conduite de Mme Sand à l’égard de sa fille. Le lecteur verra que Solange seule inventa la calomnie inénarrable à laquelle crut Chopin. Et au moment même où elle se plaignait à Chopin de l’insensibilité de sa mère, Mme Sand écrivait le 2 novembre à Mme Marliani, — cette ancienne confidente de ses relations avec Chopin, — que Solange « ne témoignait pas le moindre repentir » : dans ces mots on devine qu’au fond du cœur ulcéré de la mère qui disait qu’elle ne s’attendait à rien de consolant, il restait pourtant une vague espérance[1]. Immédiatement après ces mots, Mme Sand dit :

  1. Il est à croire que Mme Sand avait écrit aussi à Emmanuel Arago au sujet de cette espérance déçue, car voici ce qu’Emmanuel Arago lui répond :
    « Sa visite m’étonne un peu, mais cette visite ayant eu lieu, les choses devaient être ce qu’elles ont été. J’ai cependant beaucoup souffert en songeant aux angoisses qui torturaient ton cœur alors que ta fille était là près de toi, solennelle et glacée, attendant de toi des prières qu’elle aurait dû t’adresser à genoux. Tu as fait, mon amie, ce que te commandait et ta position et l’intérêt même de Solange. Un instant de faiblesse t’aurait asservie de nouveau et préparé de nouvelles catastrophes. Ce que fa dit Solange sur Chopin et sur moi n’est pas mai. Je n’ai point, dans la rue, tourné le dos à Chopin ; fêtais à pied, rue Richelieu, je l’ai vu passer en voiture, et il m’a vu aussi, je l’ai salué et il m’a salué, je ne pouvais pas, pour le joindre, courir après son fiacre, il pouvait l’arrêter et il ne l’a point fait ; voilà la scène… »
    Le dernier passage, à commencer par la phrase soulignée par nous, laisse voir en toute évidence que fâcher les gens entre eux, les brouiller, médire des uns aux autres, inventer des fables rien que pour désobliger quelqu’un, était la spécialité de Solange, et qu’à peine une grande querelle, une grande ca-