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ici d’une crise affreuse. Une fièvre muqueuse accompagnée de typhus faisait des ravages épidémiques. J’en ai été atteinte assez pour me rendre fort malade, mais très légèrement en comparaison des autres. Ma nièce a été tenue pour morte. La voilà sauvée. Mon pauvre frère, qui était avec Maurice chez M. Dudevant, est arrivé plein de terreur et l’a trouvée, Dieu merci, en voie de guérison. Mais toutes ces anxiétés m’ont bien fait souffrir. Solange n’a rien eu, le beau temps enlève la mauvaise influence et nous rassure. Chopin, pour lequel je ne craignais rien à cause de sa faiblesse même, est souffrant d’une névralgie, mais ce n’est rien de grave, et sa santé s’est assez bien soutenue cette année.

Maurice me revient dans quelques jours pour m’aider à faire mes paquets. Chère amie, je serais bien heureuse de passer tous mes soirs avec vous en dînant chez vous, ou en vous engageant à dîner avec moi. Mais chez moi, cela irait à la diable, et je ne sais rien ordonner. Chez vous, ce serait impossible à cause de la santé de Chopin qui souffrirait de ces allées et venues par le froid. Vous êtes mille fois bonne et aimable de songer à continuer notre phalanstère, mais le phalanstère n’est guère commode sous des toits différents. Et puis il m’est resté comme un remords et une crainte que cet arrangement n’ait été économique et commode que pour moi. Vous faites trop bien les choses pour que cela n’ait pas été plus dispendieux pour vous que vous ne vouliez me le dire. Mais nous nous verrons souvent et je vous saurai près de moi. Si vous êtes bien là où vous êtes maintenant, je serai un peu consolée que ce ne soit plus tout à fait près.

Je ne veux pas dire à Chopin que vous êtes revenue un peu exprès pour lui. Il s’en désolerait ! Vous le lui direz vous-même, et il pourra vous en remercier tout son soûl, comme on dit en Berry pour dire beaucoup. Embrassez pour nous le gros Manuel. Certainement il rentrera en Espagne autrement qu’il n’en est sorti. Mais qu’il ne se presse pas trop, le terrain est encore trop ébranlé. Salut à Enrico et amitiés à Pététin. Ne dites qu’à nos intimes l’époque de mon retour, afin que je puisse être tranquille les premiers jours. Bonsoir, amie, à bientôt. Je vous aime. J’ai dit qu’on vous envoie l’Éclaireur, et j’ai payé. Le rédacteur était absent, mais le voilà revenu et vous serez servie[1].

À mademoiselle de Rozières.
Nohant, 28 novembre 1844.

Chère petite, je vous annonce l’arrivée de Chopin pour vendredi soir. Je suis sûre que vous serez assez mignonne pour songer à lui faire du feu et tenir sa clef à sa disposition.

  1. Inédite.