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Il ne rencontre qu’une certaine Mme Poisson, la femme d’un restaurateur, qu’il se met à courtiser, pour la belle raison qu’elle ne fait aucune attention aux autres étudiants.

Mme Poisson, qui s’appelle Marthe, n’est point la femme de Poisson, mais bien une pauvre jeune villageoise, qu’il a séduite. Elle est aimée en silence par un autre ami de Théophile, Paul Arsène, surnommé le Mazzacio, son « pays », apprenti bijoutier et présentement élève de l’atelier Delacroix. Pour pouvoir soustraire Marthe à son avilissement, Paul Arsène, la mort dans l’âme, mais avec une abnégation suprême et inébranlable, abandonne ses rêves d’art et devient d’abord simple ouvrier, puis garçon de restaurant chez Poisson ; il fait venir de la campagne ses deux sœurs, prépare la fuite de Marthe, la place avec ses sœurs chez Eugénie, puis l’assiste et la secourt à son insu, grâce à cette même Eugénie.

Horace ignore tout cela et éprouve un mépris profond pour cet homme vil qui a préféré à « l’art divin » le « honteux métier de laquais ». En même temps, jaloux des bons rapports qui existent entre lui et Marthe, aiguillonné par l’amour-propre et la vanité, il se met à courtiser assidûment cette dernière et s’efforce de la séduire, de l’éblouir par ses discours.

Marthe, sous son extérieur modeste, cache une âme sensible, des aspirations vagues vers tout ce qui est beau, une nature artiste qui n’a pas encore eu l’occasion de se manifester ; n’ayant rien vu dans sa vie de vraiment sublime, en étant instinctivement avide, elle prend toutes les belles phrases d’Horace pour de l’or pur, s’éprend de cet égoïste éloquent et devient sa maîtresse, son esclave soumise ; elle se plie docilement à toutes les exigences, tous les caprices et toutes les bizarreries de son amour-propre illimité. Par vanité et par jalousie, il l’oblige même à rompre avec ses meilleurs amis, à tout quitter et à vivre avec lui ouvertement et même à ne point travailler : son orgueil s’offusque à l’idée que Marthe gagne sa vie l’aiguille à la main comme la première modiste venue ; il lui défend même de raccommoder leurs vêtements, trouvant que c’est trivial, peu poétique. Mais, ne faisant rien, il mange