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ait fait des bassesses pour être toléré auprès d’une personne, cette personne fût-elle même George Sand ! Donnez-moi un mot de réponse, chère madame, rassurez-moi sur tous mes doutes, et ce signe de votre bonté m’honorera plus que le double des horreurs débitées par un polisson comme Heine ne saurait jamais m’avilir. Il a probablement pour but de m’engager dans une polémique scandaleuse, qui égayerait le public et d’où il sortirait en vainqueur, usant de sa plume spirituelle, calomnieuse, mensongère et cynique. Mais c’est un plaisir que je voudrais lui refuser, ainsi qu’au public. Il paraît que mes confrères en insultes : Meverbeer, Liszt, etc., pensent comme moi — ils se taisent[1]. Je connais bien une réponse digne du méchant pamphlétaire, quoique indigne d’un dieu, fût-il même des Indes, mais malheureusement, cette réponse ne s’écrit pas, et la donnerait-on à un agonisant ?

J’ai réfléchi quelque temps sur le motif de la haine d’un homme que je n’ai jamais offensé, et voilà ce que j’ai trouvé dans ma mémoire. Il manquait d’argent pour entreprendre un voyage aux bains des Pyrénées, c’était, je crois, au printemps 1842, il venait m’en demander, mais de sa manière ironique, peu obligeante. Je lui refusai et j’ai eu doublement tort, d’abord parce qu’il me soupçonna de la méfiance en sa probité à restituer la somme, — cette idée m’était tout à fait étrangère, — ensuite, par manque de politique. « Voyez-vous, disait-il, vous avez eu grandement tort, car ma plume valait bien une petite obligeance de cette sorte. »

Mais assez, assez de ce misérable, j’abuse de votre patience et de votre temps précieux. Auriez-vous l’extrême bonté de m’adresser quelques mots, à Gratz, Autriche (Styrie), poste restante ?

Ne tardez pas à le faire, madame, vous donnerez une grande consolation à un homme dont l’attachement sincère et la reconnaissance la plus profonde vous sont voués pour toujours.

Votre très humble serviteur,

Joseph Dessauer.

Les journaux nous annoncent un nouveau succès de George Sand. Mille félicitations ! J’aurai peut-être l’honneur de me présenter à vous dans le courant de l’hiver.

La lettre était accompagnée de la copie de la page de Heine (p. 47 du volume allemand) que nous avons donnée plus haut

  1. M. Sack semble ne pas approuver ce silence. À son dire, pendant que tout le public viennois riait et applaudissait aux sorties comiques du livre de Heine, Dessauer… se taisait. Grave erreur aux yeux de M. Sack.