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garda néanmoins jusqu’à son dernier jour une pureté d’âme et une candeur d’enfant. Sans la moindre amertume et avec un enjouement plein de bonhomie il raconte, dans ses lettres à Mme Sand, sa vie misérable, ses privations, ses maladies. Devenu végétarien, il est presque honteux d’avouer qu’il ne peut suivre les prescriptions de son médecin que quant au vin, mais il ne peut point se forcer à manger de la viande, et il craint tellement qu’on ne voie en ceci un signe de son « imbécillité » qu’il s’empresse de se défendre par l’exemple de Byron et de Lamartine. Bien rarement il se permet une plainte doucement ironique comme celle-ci :

Malgré toute ma modestie, je dois reconnaître que j’ai fait quelque chose de bien, puisque j’ai été admis comme membre correspondant par sept sociétés de gens de lettres et académies, tant de Paris que de la province ; mon fils aîné, qui est peintre et vitrier, m’a encadré mes sept diplômes, qui tapissent les murailles de ma petite maison ; j’ai aussi quatre médailles, argent et bronze. Si tous les membres de ces académies mè faisaient chacun cinq centimes de rente par jour, je vivrais très à l’aise, sans avoir besoin de déranger personne peut-être, mais si quelqu’un voulait écrire aux présidents de ces différentes sociétés, on pourrait en tirer quelque chose ; je dis cela, mais ne le voudrais pas. Je dois faire taire mon ambition en pensant au peu de temps qui me reste à passer sur la terre, et bien tristement…[1].

Mais, en économisant sur toutes choses, le brave vieux qui. était resté fidèle à toutes les croyances et à toutes les opinions de son jeune âge, s’ingéniait à rassembler ses derniers pauvres sous pour s’acheter quelque bon petit journal, s’intéressait à. toutes les choses publiques et faisait ses délices de la lecture de l’Histoire du Consulat et de l’Empire, de Thiers, qui voulut bien, « pour remercier Magu de l’envoi de ses deux petits volumes, lui en envoyer seize, plus un carton, contenant les plans et cartes ». — « Je n’ai pas perdu au change, s’écrie le bonhomme gaiement, c’est un présent de cent dix francs[2] ! »

  1. Lettre inédite à Mme Sand, probablement d’octobre ou novembre 1859.
  2. Lettre inédite, datée de février 1859.