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en décembre 1845, comme nous l’avons dit. Quant au roman même, il parut dans l’Époque de 1846.

… « Quand j’ai commencé par la Mare au Diable, une série de romans champêtres, que je me proposais de réunir sous le titre de Veillées du chanvreur, je n’ai eu aucun système, aucune prétention révolutionnaire en littérature », dit George Sand, et dans cette préface, comme dans celle de François le Champi, elle nous révèle, avec la plus grande simplicité et une entière franchise, les éléments qui servirent à former ce petit chef-d’œuvre : elle était mécontente de Jeanne : en transportant cette paysanne vivant d’une vie presque élémentaire, incapable de réflexion, capable seulement de sentir, dans un milieu de gens cultivés, en lui faisant prendre part aux péripéties de leurs sentiments et de leurs conflits, elle l’avait privée de son plus grand charme, de sa parfaite simplicité. Rollinat, l’ami de George Sand, était aussi mécontent de Jeanne, elle lui paraissait trop idéalisée et ressemblant à Velléda la druidesse ou à Jeanne d’Arc. Puis, George Sand jeta les yeux par pur hasard sur une gravure d’une ancienne édition des Simulachres de la Mort, de Holbein, représentant la Mort qui court, le fouet à la main, derrière l’attelage d’un vieux laboureur, et la légende au-dessous, disait en vieux français :

     À la sueur de ton visaige
     Tu gagneras ta pauvre vie.
     Après long travail et usaige
     Voicy la Mort qui te convie.

Le même jour, en se promenant dans les champs, George Sand vit un tableau de labourage, non plus fantastique, mais réel : un vieux paysan qui travaillait avec une paire de beaux animaux énormes et dociles, habitués l’un à l’autre, comme des jumeaux, et tirant patiemment, opiniâtrement, lentement et mesurément la charrue de la terre grasse et brune ; son fils, marchant derrière un attelage de quatre bœufs ; à l’autre bout du champ, « Germain, le fin laboureur », accomplissant avec une suprême beauté primitive le plus grand et le plus saint de tous les labeurs humains ; son petit garçonnet