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sans interruption et je me porte très bien, grâce aux promenades de la journée. Je serai sans doute fatiguée après, mais c’est égal. Ce que je vous ai promis, je le tiendrai. Le roman sera beaucoup plus long que nos conventions ne le portent, mais c’est encore égal. J’espère que mon bon vouloir compensera à vos yeux l’imperfection du travail. J’y fais de mon mieux pourtant ; mais ce n’est pas dire que mon mieux soit bien.

Je ne sais trop comment couper mes séries, ne sachant pas ce que vous ne savez peut-être pas encore vous-même, c’est-à-dire l’urgence de donner trois, quatre ou cinq feuilletons par semaine. Vous pourriez peut-être m’indiquer, du moins, à cet égard, un minimum ou un maximum. J’aimerais mieux ne vous envoyer le roman que complet. Sans cela, je me répéterai, grâce à ma belle mémoire. Si le Juif errant dure un peu plus que vous ne le prévoyez, j’en serai fort aise et j’espère que vous me donnerez quelques jours de plus que le 15 août. J’aurai certainement fini, mais je voudrais avoir quatre ou cinq jours pour revoir et corriger, supprimer des longueurs dont on ne s’aperçoit pas en écrivant si vite, enfin tout ce que vous savez être bien nécessaire.

Je ne sais que faire pour ce double, que vous désirez que je garde, du manuscrit. Je suis incapable de recopier une page. Je la changerais ; ce serait un nouveau roman, peut-être moins mauvais, mais le temps manque. Je n’ai personne auprès de moi qui ait le temps de faire cette copie et l’industrie de l’écrivain public est très ignorée dans la Vallée Noire. Je ne pense pas qu’il y ait de danger à mettre le manuscrit à la poste ou à la diligence. J’ai envoyé ainsi et même de bien plus loin la plupart de mes romans ; jamais il ne s’en est égaré un chapitre.

Je ne retournerai à Paris que cet hiver et le plus tard possible, je vous le confesse. J’ai la passion de la campagne. Pour mes affaires, M. Leroux aura la bonté de s’en charger. Il vous verra et ne fera rien sans vous consulter.

Je me rappelle bien qu’en effet je vous dois deux mille cinq cents francs. Est-ce que je vous aurais écrit deux mille ? C’est une distraction.

Bonsoir, monsieur, je vous prie de ne pas être inquiet. Je ne perds pas de vue un instant l’affaire qui nous occupe ; et si vous aviez le malheur de faire des romans, vous sauriez bien qu’on ne peut guère s’en distraire quand on a disposé ces petits mondes dans sa pauvre cervelle.

Mille compliments empressés.

George Sand.


Cette lettre porte au bas, dans le livre de Véron, la date du « 21 août 1844 », c’est une erreur ou de la part de George Sand,