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folkloriste acharné ; l’amie de Jeanne, la rusée et naïve Claudie, et toute une cohue de commères, de jeunesses et de gars campagnards, sont tous peints avec une vivacité et une vitalité intenses. Et non seulement ils parlent la langue du pays, aux tours et aux expressions locales, mais pensent berrichon. Ils croient aux « lavandières », rinçant et tordant, à nuitée, les cadavres des enfants morts non baptisés ; ils croient au « grand veau » apparaissant à ceux qui cherchent le secret ; celui qui a trouvé le secret sait où est le trésor, enfoui sous les pierres druidiques depuis les temps immémoriaux ; ce « trésor » est gardé par les fées ou fades ; or, la reine des fades ou la Grand’Fade c’est la Reine des cieux ; il faut vivre en bonne entente avec les fades, ou du moins leur apporter de temps en temps quelque petite offrande. La mère de Jeanne a connu le secret, selon les voisins, et l’a transmis à Jeanne. Mais celui qui veut avoir « la connaissance » doit rester pur et observer de mystérieuses pratiques. Jeanne, elle, croit aussi à tout cela, mais elle croit encore à l’archange Michel, chef de la milice céleste, qu’elle identifie dans ses rêveries avec Napoléon, dont elle place le portrait parmi les images saintes à côté de celle de la sainte Jeanne d’Arc (remarquons qu’alors la Pucelle d’Orléans n’avait pas encore été béatifiée) ; et cela parce que tous deux ils avaient combattu contre l’ennemi juré de la France — « l’Anglais ».

Tout cela est si vivant, si poétique que même les dernières paroles de Jeanne mourante, qui ne sont rien d’autre que la profession de foi la plus parfaite des doctrines sociales de Pierre Leroux et de Louis Blanc (avançant que le bonheur et la richesse universelle « seront trouvés » dans la solidarité de tous les hommes, etc., etc.), que même cette singulière profession de foi, si mal placée dans la bouche de Jeanne expirante, ne gâte pas l’impression de ce charmant roman, l’une des plus belles œuvres de George Sand[1].

  1. Nous avons été bien heureux de constater, lors d’une causerie avec notre célèbre critique M. C. Arseniew, qu’il partageait notre jugement sur Jeanne et la considérait comme l’un des plus beaux romans de George Sand et l’un des plus beaux romans en général