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lui ; c’est pour cela qu’immédiatement après la publication de ses Marines[1] elle lui écrivit une lettre, dans laquelle elle le mettait en garde contre les séductions de ce succès, contre les tentations de la richesse, de la protection des puissants de la terre et en même temps elle lui disait que l’auteur de la préface de son volume (M. Ortolan) n’avait pas assez apprécié Poncy, et qu’elle voulait pour cette raison écrire elle-même sur lui, lorsqu’il ferait quelque nouvelle édition.


À monsieur Charles Poncy, à Toulon.
Paris, 27 avril 1842.
Mon enfant,

Vous êtes un grand poète, le plus inspiré et le mieux doué parmi tous les beaux poètes prolétaires que nous avons vus surgir avec joie dans ces derniers temps. Vous pouvez être le plus grand poète de la France un jour, si la vanité, qui tue tous nos poètes bourgeois, n’approche pas de votre noble cœur, si vous gardez ce précieux trésor d’amour, de fierté et de bonté qui vous donne le génie. On s’efforcera de vous corrompre, n’en doutez pas ; on vous fera des présents, on voudra vous pensionner, vous décorer peut-être, comme on l’a offert à un ouvrier écrivain de mes amis, qui a eu la prudence de deviner et de refuser…

Prenez donc garde, noble enfant du peuple ! Vous avez une mission plus grande peut-être que vous ne croyez. Résistez, souffrez, subissez la misère, l’obscurité, s’il le faut, plutôt que d’abandonner la cause sacrée de vos frères. C’est la cause de l’humanité, c’est le salut de l’avenir, auquel Dieu vous a ordonné de travailler, en vous donnant une si forte et si brûlante intelligence…

… Souvenez-vous, cher Poncy, du mouvement qui vous fit crier :

Pourquoi me brûles-tu, ma couronne d’épines ?

C’était un mouvement divin.

Eh bien ! beaucoup ont crié de même dans ce siècle de corruption

  1. On voit par la Correspondance de Béranger et par le fort intéressant volume de M. Jules Canonge : Lettres choisies dans une correspondance de poète, communiquées à ses lecteurs par celui qui les a reçues, 1831-1866 (Paris, Tardieu, 1867), que George Sand n’épargna rien pour répandre le premier petit volume du jeune poète toulonnais et qu’elle l’avait envoyé elle-même à Béranger et à Canonge en accompagnant cet envoi de lettres autographes.