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bleue : « Quoi qu’il arrive maintenant, et quelque événement qui vienne nous séparer, nous serons sacrés l’un pour l’autre. »

Je n’ai pas oublié cette parole, et je suis assuré que tu t’en souviens comme moi.

Répondrai-je à présent aux reproches que tu m’adresses sur notre séparation ? Non, j’aime mieux me taire ; il est des choses qui se comprennent et ne s’expliquent pas, des faiblesses, des torts, dont on s’absout soi-même si l’on interroge son cœur et dont l’on ne peut pas se défendre.

Embrasse pour moi tes enfants, serre la main à mes amis.

Emmanuel.

Cette lettre, outre qu’elle témoigne du caractère sympathique et franc de son auteur, est d’autant plus intéressante qu’il appert de la correspondance de Mme Sand avec Étienne Arago, oncle d’Emmanuel, avec différentes autres personnes et même avec Emmanuel lui-même, qu’effectivement on semble avoir reconnu en lui certains traits peu sympathiques dont George Sand avait doté son Horace : futilité, légèreté, égoïsme, vanité, amour de la pose et indifférence intime pour les graves intérêts sociaux, déguisée sous de grandes phrases libérales.

Parlons à présent du roman même.

Horace est un homme très bien doué ; il peut devenir un écrivain hors ligne, un excellent homme de loi, un brillant orateur politique ; il a beaucoup d’esprit, il est sensible à tout ce qui est bon, comprend tout ce qui est grand et beau, il a de l’imagination, de l’éloquence, il est capable d’enthousiasme et d’enthousiasmer ses auditeurs, mais… mais… il y a en lui tant de ces mais, qu’ils forment un seul mais énorme, appelé la personnalité ; toutes ses capacités et toutes ses qualités sont paralysées par l’égoïsme, la vanité, l’amour-propre, l’adoration même de sa propre personne. Aussi Horace ne devient qu’un beau parleur, un enthousiaste à froid, un de ces hommes de rien si fréquents parmi les intrus de l’élite intellectuelle. La société européenne fourmille de cette espèce, depuis la grande Révolution qui a tout bouleversé, tout embrouillé. Horace est le fils d’un petit bourgeois de province. C’est grâce à de suprêmes