Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/623

Cette page n’a pas encore été corrigée

douleur. Son mari travaille pour la République. Il a un immense talent, mais un grand désordre et une tête assez folle. Je ne suis pas sans chagrin de ce côté-là. Heureusement Solange est un Roger Bontemps. Chopin est en Angleterre, les leçons lui ayant manqué à Paris depuis la révolution[1].

À Mme Pauline Viardot elle écrit sans ambages le 10 juin 1848 :

… Voyez-vous Chopin ? Parlez-moi de sa santé. Je n’ai pas pu payer sa fureur et sa haine par de la haine et de la fureur. Je pense à lui souvent comme à un enfant malade, aigri et égaré. J’ai beaucoup revu Solange à Paris, et je me suis beaucoup occupée d’elle, mais je n’ai jamais trouvé qu’une pierre à la place du cœur. J’ai repris mon travail, en attendant que le flot me porte ailleurs…[2].

À ce moment même Clésinger se vit finalement criblé de dettes ; pour sauver les derniers débris de la fortune de Solange on lui conseilla d’avoir recours à la justice. Mme Sand écrit à ce propos le 6 septembre 1848 de Nohant à son vieil ami Luigi Calamatta :

… Ma fille n’est pas séparée du tout de son mari. C’est une simple séparation de biens accordée par les tribunaux à la demande de Solange et avec l’assentiment de Clésinger, afin de soustraire la dot de sa femme aux exigences des créanciers du mari. Ils sont à Besançon, et je crois qu’ils y vivent en bon accord, du moins Solange dit qu’elle l’aime et qu’elle en est aimée. Je ne peux jamais rien savoir d’elle que ce qu’elle veut bien m’en dire, et elle ne dit que ce qu’elle croit utile à ses intérêts[3]. Elle est bien portante et s’amuse à Besançon. Ils veulent aller en Russie. Leurs affaires sont toujours dans un grand désordre, et je crains que tous les sacrifices qu’il me faut faire pour eux ne soient de l’eau dans le tonneau des Danaïdes… J’ai été malade en effet. C’était trop de chagrins à la fois, mais j’ai repris le dessus, et, forcée de travailler

  1. Inédite. — George Sand dit à ce même propos dans son Histoire de ma vie : « Mais la révolution de février arriva et Paris devint momentanément odieux à cet esprit incapable de se plier à un ébranlement quelconque dans les formes sociales. Libre de retourner en Pologne ou certain d’y être toléré, il avait préféré languir dix ans loin de sa famille qu’il adorait, à la douleur de voir son pays transformé et dénaturé. Il avait fui la tyrannie, comme maintenant il fuyait la liberté… »
    Nous ne partageons aucunement l’étonnement que semblent révéler ces lignes de George Sand.
  2. Inédite.
  3. C’est nous qui soulignons.