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sauer. Au poète Louis Frankl il écrivit à cette occasion les lignes que voici, que nous empruntons encore au livre publié par le fils de Frankl :


1er novembre 1855.

… La nigauderie (Büberei) de Heine m’a rempli de dégoût. Quoique le respect personnel me défendît de descendre sur ce terrain sali, et quoique le découragement à propos de Fessai de me faire porteur d’une calomnie fabriquée pût me commander silence, néanmoins, provoqué de cette manière, je ne pouvais me taire ni vis-à-vis de lui, ni vis-à-vis du pauvre Dessauer, froissé jusqu’à en être réellement malade, que jamais je ne pouvais, ni ne voulais donner un certificat de vérité à un mensonge. Je crois avoir ainsi agi envers les deux selon l’honneur et le devoir, sans me laisser entraîner par force sur un terrain qui m’est étranger et me répugne.

Du reste, c’est un triste spectacle au plus haut point que de voir la flamme d’un si magnifique talent se consumer si piteusement dans la fange, — le torse d’un Apollon enfoncé dans un marécage ! Combien cela serait plus noble, plus conciliant et plus élevé, si Heine eût rassemblé toutes ses grandes qualités d’esprit, qui ne connaissent pas de repos, même sur son lit de douleur, pour une œuvre digne de son talent, s’il eût fini par un chant de cygne saintement sublime, au lieu d’un croassement hargneux d’oiseau moqueur ! L’admiration pour son merveilleux talent me fit jadis rechercher sa connaissance ; une compassion sincère pour ses souffrances me fit rester (ausharren) à son chevet de douleur, lorsque d’autres, effrayés par la décomposition et la pourriture morales, étaient déjà depuis longtemps éloignés. Je ne veux point me plaindre de ma persévérance, mais j’aurais dû me rappeler que lorsqu’une telle image divine s’écroule dans la boue, cela n’arrive pas sans que les assistants en soient éclaboussés… Le procès que Dessauer intenta à Saphir et à Gustave Heine fut plaidé après la mort de Heine, au printemps de 1856. Gustave Heine ne fut pas reconnu coupable, parce que le tribunal ne trouva point « injurieuse » la lettre de son frère, et il ne fut point appelé devant les juges.

Quant à Saphir, il dut comparaître devant le tribunal. L’épisode de l’emprunt ne fut pas prouvé, au contraire, Gustave Heine déposa d’abord sous serment que, peu avant sa mort, en novembre 1855, son frère lui avait de nouveau juré de n’avoir jamais demandé d’argent à Dessauer ; puis il déclara que deux