Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/584

Cette page n’a pas encore été corrigée

irréprochable dans toute la force du mot, et son accusateur un homme d’esprit un peu léger. De sorte que je connaissais tous les faits de sa vie la plus intime, le jour où il me demanda ma fille. Le hasard avait amené à cet égard plus de lumières que je n’en aurais eu en l’examinant par mes yeux pendant des années. Néanmoins je n’avais rien conclu en quittant Paris et c’est depuis un mois que son activité a levé tous les obstacles et réduit à néant toutes les objections possibles. M. Dudevant, qu’il a été voir, consent. Nous ne savons pas encore où se fera le mariage. Peut-être à Nérac, pour empêcher M. Dudevant de s’endormir dans les éternels lendemains de la province.

Je vous écrirai dans quelques jours, car jusqu’ici nous n’avons rien fixé et j’attends Clésinger demain ou après, pour déterminer avec lui le jour et le lieu. Mais ce sera dans le courant de mai. Les bans se publient et on coud la robe blanche. Pourtant on ne sait encore rien dans ce pays-ci, et nous nous préservons des grandes annonces. Il a fallu ménager un chagrin encore assez vif, qui n’est pas loin de nous. Il y a eu un échange de lettres sincères très satisfaisant. Le pauvre abandonné est un noble enfant qui se montre, comme dit, avec raison, son oncle, M. de Grandeffe, un vrai chevalier français. Je regrette bien ce cœur-là ; mais nous mettons dans la famille une meilleure tête, et il faut bien que la fatalité apparente soit une volonté d’en-haut. Je n’aurais pas voulu d’abord qu’on fît si vite un autre choix. Mais, le choix étant fait (et vous savez que les parents n’empêchent rien de ce côté-là), je crois qu’il faut le ratifier bien vite.

À la fin de cette lettre, à propos de « la misère qui augmente à Nohant tous les jours » et de la nécessité, afin d’y pourvoir et « de gagner quelques billets de banque », de faire un roman[1], au milieu de toutes ces préoccupations de mariage, Mme Sand ne parvient plus à soutenir le ton joyeux un peu factice des premières pages, elle déclare qu’elle ne peut rien dire d’elle-même « sinon qu’elle est fatiguée à mourir » et termine par le conseil inattendu que voici :

Gouvernez votre volonté, à l’effet de conserver votre santé. Créez-vous des devoirs qui vous ôtent le temps de penser à vous-même. Je crois que c’est le seul moyen de supporter le terrible poids de la vie. Plus il est lourd, mieux on marche peut-être…

  1. C’était justement le Château des Désertes, terminé le 30 avril.