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conforme au paisible tableau sérénal évoqué par les extraits des lettres de Mme Sand à son fils.

Après sa première visite manquée, Gutzkow réussit pourtant à s’introduire chez George Sand, grâce à un billet de recommandation de Mme d’Agoult, et quoique sa Lettre parisienne soit datée du 10 avril 1842, il est parfaitement utile de la citer à cet endroit de notre récit, parce que non seulement elle nous peint l’intérieur de George Sand, tel qu’il était réellement en l’hiver de 1840-1841 et de 1841-1842, mais encore il contient des allusions à la querelle avec Buloz dont il vient d’être question.

Donc, en réponse à sa demande d’audience, Gutzkow reçut le billet suivant de George Sand :

Vous me trouverez tous les soirs chez moi. Mais s’il arrivait que vous me trouviez en conférence avec un avocat ou si je suis obligée de sortir précipitamment, ne le prenez pas pour une impolitesse de ma part. Je suis à toute minute exposée aux vicissitudes d’un procès que je soutiens en ce moment contre mon éditeur. Vous pouvez y voir l’un des traits de nos mœurs françaises dont mon patriotisme devrait rougir. J’ai porté plainte contre mon éditeur qui veut me forcer corporellement à lui écrire un roman selon son goût ou ses opinions. Notre existence se passe dans les plus tristes nécessités et s’alimente de douleurs et de sacrifices. Du reste, vous verrez les traits d’une femme de quarante ans qui passe sa vie non point à plaire par son charme, mais bien à effaroucher par sa franchise. Si vos yeux ne me trouvent pas à leur gré, il se trouvera quand même un petit coin dans votre cœur que vous me céderez. Je l’ai mérité par mon amour passionné de la vérité que vous avez senti dans mes essais littéraires…

Après avoir reçu cette lettre, Gutzkow se rendit un soir, chez Mme Sand.

… Dans une petite chambre que nous eussions appelée chambrette et que les Français nomment « la petite chapelle », grande à peine comme dix pieds carrés, George Sand brodait au coin du feu. Sa fille était assise en face d’elle. Le petit espace était faiblement éclairé par une lampe à abat-jour sombre. Il n’y avait de lumière que juste assez pour éclairer les ouvrages de la mère et de la fille. Il y avait deux hommes assis sur un divan placé dans un coin.

On ne me les présenta point selon la coutume française. Ils se taisaient, ce qui augmentait encore la tension solennelle et intimidante