Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/340

Cette page n’a pas encore été corrigée

dès lors, ébauché en lignes générales le plan de son Histoire de ma vie tel qu’il fut exécuté plus tard.


Mont-Dore, dimanche 12 août.

J’arrive. Que c’est bête un voyage d’amateur. Je suis exténuée ! Que suis-je venue faire ici ?

Chercher la santé ? où est-elle la santé ? Je suis d’une humeur de chien.

Lundi. — C’est bizarre, une vie comme celle-ci. C’est même plaisant. Je me réconcilie. Cependant, je ne me sens pas encore assez d’aplomb pour rester au salon. Nouvelle débarquée, tous les regards se portent sur moi. Que c’est sot de faire attention à moi ! Je viens dans ma chambre…

…Çà, que faire ? Il pleut. Jamais je n’ai eu tant envie de me promener. Je suis fantasque aujourd’hui. Je fais la jolie femme. Ah ! pour femme, pas trop ! Jolie encore moins. C’était bon il y a dix ans. Je n’ai pas de livre qui me plaise.

Ce que j’ai emporté est absurde. C’est égal, cela me donnera un maintien pour sortir seule.

J’aurai l’air de lire, de penser à quelque chose et je pourrai à mon aise ne penser à rien.

À rien ! Quand ne pense-t-on à rien ? Qu’on serait heureux si, un quart d’heure dans la vie, on pouvait ne penser à rien ! Mais en dormant même, on rêve !…

…Ah ! il y a un bénitier auprès de mon lit. C’est une attention, cela me rappelle le couvent. Comment donc ! mais c’est charmant, un bénitier ! Me voilà bien, si j’écrivais à quelqu’un ? oui, à ma mère, par exemple ! à ma mère, ah Dieu ! Ô ma mère, que vous ai-je fait ? pourquoi ne m’aimez-vous pas ? Je suis bonne pourtant. Je suis bonne, vous le savez bien. J’ai cent défauts, mais je suis bonne dans le fond. J’ai mes violences et elles sont terribles. Mais vous en aperçûtes-vous jamais ? Oh ! que j’étais facile à mener ! Un mot de vous détruisait toutes mes résolutions. Je vous avouais tout ce qu’en tenant caché j’aurais pu faire servir à adoucir mon sort. Mais, chose étrange, vous saviez également me faire peur et m’attendrir.

Quand vous étiez en colère, je tremblais, j’étais pâle et me sentais mourir. Quand vous m’entouriez de vos séductions, j’arrosais vos mains de pleurs… Oh ! que je vous aurais aimée, ma mère, si vous l’aviez voulu ! Mais vous m’avez trahie, vous m’avez menti, ma mère,