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spirituelle causerie après dîner, dans un salon littéraire, lorsque la conversation tomba sur les romans champêtres de George Sand, notre inoubliable vieil ami, le prince A. I. Ourousof, ce connaisseur si fin, ce critique excellent, s’écria, en donnant à sa voix une intonation et à sa figure une expression d’effroi du plus haut comique ; « Et le Champi ? Mais c’est horrible cette histoire-là ! C’est incestueux ! Mais oui, cela frise le parfait inceste !… » C’est ainsi que le brillant critique, l’esthète blasé par toutes les choses de la vie et de l’art, exprima par sa spirituelle boutade la même pensée, la même révolte du sentiment moral intime qui se devinait dans les paroles inconscientes de la naïve et innocente lectrice à la robe demi-courte.

Nous autres gens adultes et lecteurs moyens, nous savons très bien calculer que Madeleine Blanchet n’avait que dix-huit ans au moment où elle ramassait le petit François qui en avait six, qu’il est donc parfaitement probable et même naturel que lorsqu’il eut vingt-deux ans et elle trente-quatre, un amour passionné s’alluma dans leurs cœurs. Et puis, disons-nous, qu’est-ce que cela fait qu’il l’épouse, une fois que son mari est mort ?… Mais quand même, cet épilogue où François qui avait tout le long du roman dit « ma mère » à Madeleine, devient son fiancé et puis son mari, produit sur le lecteur l’impression d’un vague malaise.

Nous eussions préféré que François le Champi se passât de l’amour de François ou tout au moins qu’il ne se terminât pas par son mariage avec Madeleine, mais alors il n’y aurait point eu de roman, car le roman est l’histoire de la passion inconsciente de François. Nous aurions préféré en tout cas que la douce et modeste Madeleine repoussât cette passion : son amour pour le garçon qu’elle avait élevé en même temps que son petit Jeannie nous choque et nous paraît presque criminel. Nous avons déjà dit que nous ne concevons pas pourquoi à propos des amours de George Sand on prononce si souvent le mot de « tendresse maternelle », de « sentiments maternels ». Mais si cette confusion de sentiments d’ordres si différents nous étonne, lorsque nous la rencontrons chez les biographes ou les critiques, elle nous rend absolument perplexes,