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Nous avons été dîner chez Magny et, en rentrant, j’ai avalé le volume… J’étais bien fatiguée tout de même, et après ça, j’ai dormi… Ah ! il faut vous dire que dès le matin, j’avais encore couru la ville avec Flaubert. Croisset est un endroit délicieux, et notre ami Flaubert mène là une vie de chanoine au sein d’une charmante famille.

… Il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors, et je ne songe même pas à aller à Palaiseau par ce déluge. Parlons donc de ce que nous allons faire. Il faut faire ce Pied sanglant[1] ; il faut le faire ensemble, d’entrain et vite. Mais il faut voir la Bretagne.

Dites-moi tout de suite si vous voulez y venir ; car si c’est non, inutile que j’aille à Nohant pour repartir de là et doubler la fatigue et les frais de voyage. Si vous y venez avec moi, c’est différent, j’irai vous prendre.

Si vous ne voulez pas, j’irai y passer huit jours et j’irai ensuite à Nohant d’où nous pourrons aller ailleurs…

Maurice lui ayant signalé les difficultés qu’on aurait à vaincre pour faire une pièce dont l’action se passerait à l’époque de la guerre de Vendée, et surtout de faire, comme il l’avait d’abord conseillé, un héros de Cadio ou Cadiou, une espèce d’innocent ou même de fou, Mme Sand répondit à son fils la très intéressante lettre que voici ; nous trouvons indispensable de la donner presque intégralement, quoiqu’elle soit imprimée dans la Correspondance :

Je ne me décourage pas comme ça, moi. Les difficultés d’un sujet doivent être des stimulants et non des empêchements. Je ne suis pas obligée de faire la peinture de la Révolution. Il me suffit d’en tirer la moralité, et ça n’est pas malin, puisque tout le monde est d’accord sur 89. En mettant les passions dans la bouche d’un fou que nous rendrons intéressant quand même, nous ne choquerons personne.

Pourquoi Cadiou ne serait-il pas une espèce de Marat et de Robespierre en même temps ? Pourquoi n’aurait-il pas des instincts sublimes et misérables ? Il faut voir ici les choses de plus haut que l’histoire écrite. Il y avait en France alors des milliers de Bonaparte, des milliers de Marat, des milliers de Hoche, des milliers de Robespierre et de Saint-Just, lequel, par parenthèse, était un fou aussi. Seulement ces types, plus ou moins réussis par la nature, et plus ou moins effacés par les événements, s’appelaient Cadiou, Motus, ou Riallo ou Gar-

  1. On lit en note à cette lettre à la page 129 dans la Correspondance, t. V; « Drame joué plus tard à la Porte-Saint-Martin sous le titre de Cadio. »