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comme une certaine Aurore Dupin, vivre tranquillement à la campagne, dans une solitude absolue, en compagnie seulement d’une aïeule qui s’éteint doucement et d’un cousin, petit gentillâtre campagnard très médiocrement éveillé, la traitant despotiquement[1] ; elle aurait pu aller les dimanches entendre la messe dite par un vieux curé ami, dans une petite église de campagne, déjeuner chez lui puis prendre des leçons de son neveu, jeune rustre fort savant[2] ; elle aurait pu être fiancée à un autre cousin, petit aristocrate, égoïste et raisonneur[3]. Mais l’auteur, à l’instar des pièces nohantaises, et pour complaire au goût de l’époque, mais peut-être aussi par tendance naturelle de son imagination, voulut faire entrer ce simple motif psychologique et ces premiers chapitres, si finement tracés, si pleins de réminiscences biographiques, dans le cadre d’une fable abracadabrante ! La fine étude psychologique fut noyée dans ce scénario de marionnettes, et un roman, qui aurait pu être des plus intéressants, est devenu l’un des plus insipides et des plus faciles à oublier.

Plus tard, George Sand tira de ce roman une pièce en quatre actes, l’Autre. La comédie est supérieure au livre, contrairement à ce qui arrive presque toujours. Et pourtant, il ne reste rien de l’intéressant thème psychologique mentionné plus haut. L’histoire de l’enfant illégitime exilée de la maison paternelle par l’époux offensé, puis élevée par sa prétendue aïeule, demeure seule. Cette donnée est très simplifiée et, vers la fin, tout à fait changée. L’Écossais qui arrive dans la maison de la grand’mère est un médecin, le père véritable de la jeune fille. L’intérêt de l’action n’est

  1. Comme Hippolyte Chatiron traitait sa demi-sœur Aurore.
  2. Voir notre vol. Ier, p. 196, 198, et l’Histoire de ma vie, t. III, p. 327, 330-334.
  3. George Sand dit, en passant, à la page 391 du volume II de son Histoire de ma vie, que lorsqu’elle était toute petite, on avait projeté de la marier à un de ses cousins de Villeneuve (ou plutôt à l’un de ses neveux), le froid Septime ou le moqueur Léonce et que, petite fille de sept ans, elle avait été très chagrinée à l’idée de ce mariage. En fondant dans le personnage de Marius ces deux prétendus prétendants, George Sand ne manquera pas de se rappeler les sentiments d’une fillette, à laquelle on veut suggérer l’obligation d’épouser un jour son cousin. Ce n’est point non plus par hasard que le cousin de Jeanne de Mérangis porte un nom romain : Septime dans la vie réelle, il s’appelle Marius dans le roman. C’est à noter.