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cette dame, en assurant tous mes compatriotes à Vienne et à Prague que si l’un des plus misérables compositeurs de chansons en un idiome de charabia (im mundfaulstem dialekt), un insecte rampant et sans nom, se vante là-bas d’avoir été en relations intimes avec George Sand, — c’est l’une des plus misérables calomnies. Les femmes ont toutes sortes d’idiosyncrasies ; il y en a qui avalent même des araignées, mais je n’ai jamais encore rencontré de femme qui avalât des punaises. Non, cette punaise vantarde (prahlerische Wanze) n’avait jamais plu à Lélia, et elle ne faisait que la souffrir parfois dans son intimité (Umgang) parce que celle-ci était déjà par trop importune. Pendant longtemps, comme je l’ai dit déjà, c’est Alfred de Musset qui avait été l’ami de cœur de George Sand. Par un étrange hasard, le plus grand poète en prose qu’ait eu la France et le plus grand auteur en vers parmi les contemporains (au moins le plus grand après Béranger), en brûlant d’un amour passionné réciproque, présentèrent un jour un couple couronné de lauriers…, etc.[1].

Cette notice ultérieure fut en 1854 intercalée par Heine dans sa Lutèce, pour l’édition de ses Œuvres complètes qui paraissaient alors chez Jules Kampe et dont quelques-unes, entre autres les Lettres parisiennes, parurent simultanément chez l’éditeur parisien de Heine, Renduel. Il est certain que même dans le cas où George Sand eût elle-même pris connaissance de ce passage, ou que l’un de ses amis le lui eût signalé[2], il l’aurait désagréablement surprise. Tout devait l’y toucher au vif : l’allusion peu respectueuse à sa liaison avec Musset ; la critique irrévérencieusement dénigrante à l’égard de Leroux ; les moqueries grossières à propos du rôle de Chopin, et la manière gouailleusement équivoque à réfuter le potin médisant, répandu un peu partout, grâce au bavardage de Laube et de Heine lui-même, sur les prétendues « amours » de George Sand avec Liszt, Nous disons « équivoque » parce que vers la moitié du dix-neuvième siècle les caricatures représentant Franz Liszt sous les traits d’une araignée qui attrape de ses pattes de virtuose démesuré-

  1. Heine dit en note à cette page que dans le manuscrit original il avait même mis : « Béranger vient après eux deux », et qu’il ne donnait à Victor Hugo que la troisième place.
  2. Heine parle lui-même dans sa lettre du 30 mai 1855 à Jules Kampe du succès extraordinaire et du bruit que fit sa Lutèce à Paris. (Heines Werke, 22 ter Band, Briefe, vierter Theil. Hamburg, Hoffmann et Kampe, 1876.)