Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/143

Cette page n’a pas encore été corrigée

sitôt de reconnaître que cette minorité est l’élue de la majorité, que je voudrais oublier tout cela, ne fût-ce que pendant une soirée, pour écouter ce paysan qui chantait tout à l’heure, ou toi-même, si tu voulais me dire un de ces contes que le chanvreur de ton village t’apprend durant les veillées d’automne…

— Eh bien, allons le chercher, dit mon ami, tout réjoui d’avance ; et demain tu écriras son récit pour faire suite avec la Mare au Diable et François le Champi à une série de contes villageois, que nous intitulerons classiquement les Veillées du chanvreur.

— Et nous dédierons ce recueil à nos amis prisonniers ; puisqu’il nous est défendu de leur parler politique, nous ne pouvons que leur faire des contes pour les distraire ou les endormir. Je dédie celui-ci en particulier à Armand…

— Inutile de le nommer, reprit mon ami : on verrait un sens caché dans ton apologue, et on découvrirait là-dessus quelque abominable conspiration. Je sais bien qui tu veux dire, et il le saura bien aussi, lui, sans que tu traces seulement la première lettre de son nom.

C’est ainsi que la Petite Fadette se trouve être dédiée à Armand Barbes et prouve une fois de plus que George Sand n’oubliait pas ses amis tombés dans le malheur ; au contraire, elle semble vouloir ostensiblement confirmer sa piété amicale à ceux qui, en ce moment, souffraient en prison de la justice des hommes et étaient encore condamnés à la réprobation et à la médisance générale.

En ce même été de 1848, George Sand eut aussi l’occasion de défendre Michel Bakounine. Nous reviendrons à ce propos un peu en arrière et puis nous anticiperons un peu sur les événements de cette année, afin de raconter les relations de Mme Sand avec les deux grands émigrés russes, Herzen et Bakounine, et avec quelques autres membres de l’émigration internationale.

Herzen et Bakounine avaient toujours hautement apprécié George Sand. Tous ceux qui ont lu les écrits de Herzen connaissent trop bien ses opinions, la plupart enthousiastes, sur ses romans ; chacun d’eux provoquait un échange d’idées des plus animés entre Herzen et ses amis russes : Ogarew, Basile Botkine, Annenkow, Biélinski, etc. Toutefois Herzen ne se contentait pas de donner toute son attention à chaque nouvelle